Résolution sur la situation internationale du 18e congrès du CCI (III) : le lutte de classe

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Nous publions ci-dessous la troisième partie de la résolution sur la situation internationale adoptée lors du XVIIIe congrès du CCI qui s’est récemment tenu. Dans la première partie, nous montrions que le capitalisme n’a aucune solution réelle à apporter à la crise économique, qu’il s’agit d’un système décadent et moribond. La deuxième partie traitant des conflits impérialistes qui ravagent la planète introduisait la question de la lutte de classe qui est traitée à partir du point 9 1 :

Comme le soulignait la résolution adoptée par le précédent congrès international :

Ainsi, comme le CCI l’avait mis en évidence il y a plus de 15 ans, le capitalisme en décomposition porte avec lui des menaces considérables pour la survie de l’espèce humaine. L’alternative annoncée par Engels à la fin du xixe siècle, socialisme ou barbarie, est devenue tout au long du xxe siècle une sinistre réalité. Ce que le xxie siècle nous offre comme perspective, c’est tout simplement socialisme ou destruction de l’humanité. Voila l’enjeu véritable auquel se confronte la seule force de la société en mesure de renverser le capitalisme, la classe ouvrière mondiale.” (Point 10)”.

9Cette capacité de la classe ouvrière à mettre fin à la barbarie engendrée par le capitalisme en décomposition, à sortir l’humanité de sa préhistoire pour lui ouvrir les portes du “règne de la liberté”, suivant l’expression d’Engels, c’est dès à présent, dans les combats quotidiens contre l’exploitation capitaliste, qu’elle se forge. Après l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes soi-disant “socialistes”, les campagnes assourdissantes sur la “fin du communisme”, voire sur la “fin de la lutte de classe”, ont porté un coup sévère à la conscience au sein de la classe ouvrière de même qu’à sa combativité. Le prolétariat a subi alors un profond recul sur ces deux plans, un recul qui s’est prolongé pendant plus de dix ans. Ce n’est qu’à partir de 2003, comme le CCI l’a mis en évidence en de nombreuses reprises, que la classe ouvrière mondiale a fait la preuve qu’elle avait surmonté ce recul, qu’elle avait repris le chemin des luttes contre les attaques capitalistes. Depuis, cette tendance ne s’est pas démentie et les deux années qui nous séparent du précédent congrès ont vu la poursuite de luttes significatives dans toutes les parties du monde. On a pu voir même, à certaines périodes, une simultanéité remarquable des combats ouvriers à l’échelle mondiale. C’est ainsi qu’au début de l’année 2008, ce sont les pays suivants qui ont été affectés en même temps par des luttes ouvrières : la Russie, l’Irlande, la Belgique, la Suisse, l’Italie, la Grèce, la Roumanie, la Turquie, Israël, l’Iran, l’Émirat de Bahrein, la Tunisie, l’Algérie, le Cameroun, le Swaziland, le Venezuela, le Mexique, les États-Unis, le Canada et la Chine. 1

De même, on a pu assister à des luttes ouvrières très significatives au cours des deux années passées. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer les exemples suivants :

en Égypte, durant l’été 2007, où des grèves massives dans l’industrie textiles rencontrent la solidarité active de la part de nombreux autres secteurs (dockers, transports, hôpitaux…) ;

à Dubaï, en novembre 2007, où les ouvriers du bâtiment (essentiellement des immigrés) se mobilisent massivement ;

en France, en novembre 2007, où les attaques contre les régimes de retraite provoquent un grève très combative dans les chemins de fer, avec des exemples d’établissement de liens de solidarité avec les étudiants mobilisés au même moment contre les tentatives du gouvernement d’accentuer la ségrégation sociale à l’Université, une grève qui a dévoilé ouvertement le rôle de saboteurs des grandes centrales syndicales, notamment la CGT et la CFDT, obligeant la bourgeoisie de redorer le blason de son appareil d’encadrement des luttes ouvrières ;

en Turquie, fin 2007, où la grève de plus d’un mois des 26 000 travailleurs de Türk Telecom constitue la mobilisation la plus importante du prolétariat dans ce pays depuis 1991, et cela au moment même où le gouvernement de celui-ci est engagé dans une opération militaire dans le Nord de l’Irak ;

en Russie, en novembre 2008, où des grèves importantes à Saint-Pétersbourg (notamment à l’usine Ford) témoignent de la capacité des travailleurs à surmonter une intimidation policière très présente, notamment de la part du FSB (ancien KGB) ;

en Grèce, à la fin de l’année 2008 où, dans un climat d’un énorme mécontentement qui s’était déjà exprimé auparavant, la mobilisation des étudiants contre la répression bénéficie d’une profonde solidarité de la part de la classe ouvrière dont certains secteurs débordent le syndicalisme officiel ; une solidarité qui ne reste pas à l’intérieur des frontières du pays puisque ce mouvement rencontre un écho de sympathie très significatif dans de nombreux pays européens ;

en Grande-Bretagne, où la grève sauvage dans la raffinerie Linsay, au début de 2009, a constitué un des mouvements les plus significatifs de la classe ouvrière de ce pays depuis deux décennies, une classe ouvrière qui avait subi de cruelles défaites au cours des années 1980 ; ce mouvement a fait la preuve de la capacité de la classe ouvrière d’étendre les luttes et, en particulier, a vu le début d’une confrontation contre le poids du nationalisme avec des manifestations de solidarité entre ouvriers britanniques et ouvriers immigrés, polonais et italiens.

10L’aggravation considérable que connaît actuellement la crise du capitalisme constitue évidemment un élément de premier ordre dans le développement des luttes ouvrières. Dès à présent, dans tous les pays du monde, les ouvriers sont confrontés à des licenciements massifs, à une montée irrésistible du chômage. De façon extrêmement concrète, dans sa chair, le prolétariat fait l’expérience de l’incapacité du système capitaliste à assurer un minimum de vie décente aux travailleurs qu’il exploite. Plus encore, il est de plus en plus incapable d’offrir le moindre avenir aux nouvelles générations de la classe ouvrière, ce qui constitue un facteur d’angoisse et de désespoir non seulement pour celles-ci mais aussi pour celles de leurs parents. Ainsi les conditions mûrissent pour que l’idée de la nécessité de renverser ce système puisse se développer de façon significative au sein du prolétariat. Cependant, il ne suffit pas à la classe ouvrière de percevoir que le système capitaliste est dans une impasse, qu’il devrait céder la place à une autre société, pour qu’elle soit en mesure de se tourner vers une perspective révolutionnaire. Il faut encore qu’elle ait la conviction qu’une telle perspective est possible et aussi qu’elle a la force de la réaliser. Et c’est justement sur ce terrain que la bourgeoisie a réussi à marquer des points très importants contre la classe ouvrière à la suite de l’effondrement du prétendu “socialisme réel”. D’une part, il a réussi à enfoncer l’idée que la perspective du communisme est un songe creux : “le communisme, ça ne marche pas ; la preuve, c’est qu’il a été abandonné au bénéfice du capitalisme par les populations qui vivaient dans un tel système”. D’autre part, il a réussi à créer au sein de la classe ouvrière un fort sentiment d’impuissance du fait de l’incapacité de celle-ci à mener des luttes massives. En ce sens, la situation d’aujourd’hui est très différente de celle qui prévalait lors du surgissement historique de la classe à la fin des années 1960. A cette époque, le caractère massif des combats ouvriers, notamment avec l’immense grève de mai 1968 en France et l’automne chaud italien de 1969, avait mis en évidence que la classe ouvrière peut constituer une force de premier plan dans la vie de la société et que l’idée qu’elle pourrait un jour renverser le capitalisme n’appartenait pas au domaine des rêves irréalisables. Cependant, dans la mesure où la crise du capitalisme n’en était qu’à ses tous débuts, la conscience de la nécessité impérieuse de renverser ce système ne disposait pas encore des bases matérielles pour pouvoir s’étendre parmi les ouvriers. On peut résumer cette situation de la façon suivante : à la fin des années 1960, l’idée que la révolution était possible pouvait être relativement répandue mais celle qu’elle était indispensable ne pouvait pas s’imposer. Aujourd’hui, au contraire, l’idée que la révolution soit nécessaire peut trouver un écho non négligeable mais celle qu’elle soit possible est extrêmement peu répandue.

11Pour que la conscience de la possibilité de la révolution communiste puisse gagner un terrain significatif au sein de la classe ouvrière, il est nécessaire que celle-ci puisse prendre confiance en ses propres forces et cela passe par le développement de ses luttes massives. L’énorme attaque qu’elle subit dès à présent à l’échelle internationale devrait constituer la base objective pour de telles luttes. Cependant, la forme principale que prend aujourd’hui cette attaque, celle des licenciements massifs, ne favorise pas, dans un premier temps, l’émergence de tels mouvements. En général, et cela s’est vérifié fréquemment au cours des quarante dernières années, les moments de forte montée du chômage ne sont pas le théâtre des luttes les plus importantes. Le chômage, les licenciements massifs, ont tendance à provoquer une certaine paralysie momentanée de la classe. Celle-ci est soumise à un chantage de la part des patrons : “si vous n’êtes pas contents, beaucoup d’autres ouvriers sont prêts à vous remplacer”. La bourgeoise peut utiliser cette situation pour provoquer une division, voire une opposition entre ceux qui perdent leur travail et ceux qui ont le “privilège” de le conserver. De plus, les patrons et les gouvernements se replient derrière un argument “décisif” : “Nous n’y sommes pour rien si le chômage augmente ou si vous êtes licenciés : c’est la faute de la crise”. Enfin, face aux fermetures d’entreprises, l’arme de la grève devient inopérante accentuant le sentiment d’impuissance des travailleurs. Dans une situation historique où le prolétariat n’a pas subi de défaite décisive, contrairement aux années 1930, les licenciements massifs, qui ont d’ores et déjà commencé, pourront provoquer des combats très durs, voire des explosions de violence. Mais ce seront probablement, dans un premier temps, des combats désespérés et relativement isolés, même s’ils bénéficient d’une sympathie réelle des autres secteurs de la classe ouvrière. C’est pour cela que si, dans la période qui vient, on n’assiste pas à une réponse d’envergure de la classe ouvrière face aux attaques, il ne faudra pas considérer que celle-ci a renoncé à lutter pour la défense de ses intérêts. C’est dans un second temps, lorsqu’elle sera en mesure de résister aux chantages de la bourgeoisie, lorsque s’imposera l’idée que seule la lutte unie et solidaire peut freiner la brutalité des attaques de la classe régnante, notamment lorsque celle-ci va tenter de faire payer à tous les travailleurs les énormes déficits budgétaires qui s’accumulent à l’heure actuelle avec les plans de sauvetage des banques et de “relance” de l’économie, que des combats ouvriers de grande ampleur pourront se développer beaucoup plus. Cela ne veut pas dire que les révolutionnaires doivent rester absents des luttes actuelles. Celles-ci font partie des expériences que doit traverser le prolétariat pour être en mesure de franchir une nouvelle étape dans son combat contre le capitalisme. Et il appartient aux organisations communistes de mettre en avant, au sein de ces luttes, la perspective générale du combat prolétarien et des pas supplémentaires qu’il doit accomplir dans cette direction.

12Le chemin est encore long et difficile qui conduit aux combats révolutionnaires et au renversement du capitalisme. Ce renversement fait tous les jours plus la preuve de sa nécessité mais la classe ouvrière devra encore franchir des étapes essentielles avant qu’elle ne soit en mesure d’accomplir cette tache :

la reconquête de sa capacité à prendre en main ses luttes puisque, à l’heure actuelle, la plupart d’entre elles, notamment dans les pays développés, sont encore fortement sous l’emprise des syndicats (contrairement à ce qu’on avait pu constater aux cours des années 1980) ;

le développement de son aptitude à déjouer les mystifications et les pièges bourgeois qui obstruent le chemin vers les luttes massives et le rétablissement de sa confiance en soi puisque, si le caractère massif des luttes de la fin des années 1960 peut s’expliquer en bonne partie par le fait que la bourgeoisie avait été surprise après des décennies de contre-révolution, ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui ;

la politisation de ses combats, c’est-à-dire sa capacité à les inscrire dans leur dimension historique, à les concevoir comme un moment du long combat historique du prolétariat contre l’exploitation et pour l’abolition de celle-ci.

Cette étape est évidemment la plus difficile à franchir, notamment du fait :

de la rupture provoquée au sein de l’ensemble la classe par la contre-révolution entre ses combats du passé et ses combats actuels ;

de la rupture organique au sein des organisations révolutionnaires résultant de cette situation ;

du recul de la conscience dans l’ensemble de la classe à la suite de l’effondrement du stalinisme ;

du poids délétère de la décomposition du capitalisme sur la conscience du prolétariat ;

de l’aptitude de la classe dominante à faire surgir des organisations (tel le Nouveau parti anticapitaliste en France et Die Linke en Allemagne) qui ont pour vocation de prendre la place des partis staliniens aujourd’hui disparus ou moribonds ou de la social-démocratie déconsidérée par plusieurs décennies de gestion de la crise capitaliste mais qui, du fait de leur nouveauté, sont en mesure d’entretenir des mystifications importantes au sein de la classe ouvrière.

En fait, la politisation des combats du prolétariat est en lien avec le développement de la présence en leur sein de la minorité communiste. Le constat des faibles forces actuelles du milieu internationaliste est un des indices de la longueur du chemin qui reste encore à parcourir avant que la classe ouvrière puisse s’engager dans ses combats révolutionnaires et qu’elle fasse surgir son parti de classe mondial, organe essentiel sans lequel la victoire de la révolution est impossible.

Le chemin est long et difficile, mais cela ne saurait en aucune façon être un facteur de découragement pour les révolutionnaires, de paralysie de leur engagement dans le combat prolétarien. Bien au contraire !

CCI


1) Ces deux parties précédentes ont été publiées respectivement dans nos journaux de juillet-août (RI no 403) et de septembre (RI no 404). Le texte intégral de la résolution est disponible ici.


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