Soumis par Révolution Inte... le
Les larges extraits de cet article publié en janvier 2008 par Internationalism, section du CCI aux Etats-Unis, mettent en lumière la similitude des préoccupations des familles ouvrières de part et d'autre de l'Atlantique. Partout, la classe ouvrière se bat contre les mêmes maux : contre la précarité et le chômage, contre la dégradation des conditions de retraites et d'accès aux soins. Partout, elle est animée des mêmes sentiments de colère, d'indignation et de solidarité. Partout, la combativité de la classe ouvrière se développe peu à peu.
Ces derniers mois, les grèves se sont succédées aux Etats-Unis. Une telle vague de luttes n'avait pas été vue depuis longtemps : grève des conducteurs d'Access-A-Ride à New-York, chargés du transport de personnes handicapées, des machinistes du théâtre de Broadway, des scénaristes de cinéma et de télévision qui ont paralysé la production de nouveaux films et de nouveaux programmes (...)
Il s'agit là d'exemple de grèves syndicales "officielles", les syndicats étant bien obligés, face au mécontentement grandissant, de lâcher un peu de vapeur sous peine de trop se décrédibiliser et de voir se développer un mouvement hors de leur contrôle. Et justement, la lutte la plus importante a été la grève sauvage des intermittents de la chaîne de télévision MTV à New York. Ces ouvriers, dont la plupart ont entre vingt et trente ans, mènent une existence précaire, pratiquement sans couverture médicale, et soumis à de relativement bas salaires "en échange" du côté "glamour" du travail pour MTV. Les dirigeants aiment les appeler free-lancers pour justifier le fait qu'ils n'aient pas accès aux statuts légaux de l'entreprise et qu'ils soient traités comme des contractuels indépendants. MTV emploie presque 5000 de ces travailleurs qui préfèrent s'appeler eux-mêmes permalancers puisque beaucoup d'entre eux travaillent pour MTV depuis des années : en fait "d'intermittents", ils sont des précaires permanents. Le 11 décembre 2007, lorsque la compagnie a annoncé unilatéralement un plan pour réduire encore un peu plus leurs "avantages" médicaux et leurs droits à la retraite, ces jeunes travailleurs ont réagi spontanément en manifestant leur colère dans la rue. Fait remarquable, ils étaient fortement conscients de leur statut de prolétaires. Ils savaient qu'ils avaient les mêmes besoins et subissaient les mêmes conditions d'exploitation que n'importe quel ouvrier, quel que soit son secteur d'activité. C'est pourquoi ils se sont adressés directement aux autres ouvriers, de MTV ou d'ailleurs, pour les informer de leur lutte, de leurs conditions de travail et des attaques qu'ils subissaient. Ils ont ainsi inscrit sur leurs banderoles : "Il y a beaucoup trop d'entre vous qui ne savent pas." Et, lors de la grève sauvage du 14 décembre, ils ont fait circuler une liste avec l'adresse mail du personnel : "Nous pouvons organiser un site Internet pour que les gens puissent retrouver les informations." Ils ont également élu un groupe de délégués pour rencontrer les scénaristes de films et de télévision, qui étaient en grève au même moment. Cette ouverture, cette recherche de la solidarité ouvrière et cette volonté d'étendre le mouvement aux autres secteurs sont très précieux pour la classe ouvrière. Une grève puise sa force dans l'unité des travailleurs en lutte.
Ce n'est pas un hasard si MTV a dû finalement momentanément reculer et concéder des avantages médicaux pour les free-lancers qui ont travaillé régulièrement. Evidemment, sur le plan matériel, il ne s'agit là que d'un détail, d'une toute petite victoire très ponctuelle ; d'ailleurs, les attaques sur les conditions d'accès aux soins sont maintenues (franchises plus élevées et plafond de 2000 $ sur les frais d'hospitalisation chaque année). Mais la vraie victoire se situe dans la lutte elle-même. Il est clair que les dirigeants ont voulu éviter une épreuve de force. Ainsi, le mouvement de ces jeunes ouvriers a montré la capacité des travailleurs à prendre leur lutte en main, à s'organiser de manière autonome et à comprendre qu'il est possible de chercher l'unité avec les autres travailleurs dans le combat !
Mais si ce sentiment d'appartenir à une classe et cette volonté d'étendre la lutte ont pu émerger chez les free-lancers, c'est parce que la colère et la combativité se répandent peu à peu depuis plusieurs années de façon diffuse dans l'ensemble de la classe ouvrière. Pour preuve, en même temps que cette grève à MTV, le personnel d'entretien des immeubles, les portiers et les conducteurs d'ascenseur, ont fait grève de façon massive à Manhattan. Devant leur menace de faire grève aussi le Jour de l'An à New York, les dirigeants ont là-aussi reculé en trouvant un accord de dernière minute - qui doit encore être ratifié - incluant une augmentation de 20 % d'indemnisation pour les dépenses de santé et de 40 % sur toutes les pensions de retraites perdues. Au total, les salaires devraient donc augmenter de 4,18 % par an pour les quatre années à venir. Beaucoup d'emplois ont été transformés de temps partiel en temps plein et de nombreux gardiens ont reçu une couverture médicale familiale.
Dans les grèves des scénaristes de cinéma et de télévision, les syndicats ont rempli leurs fonctions habituelles de saboteurs des luttes. Les revendications des travailleurs pour revendiquer leur part sur les revenus des ventes de DVD et de téléchargement Internet des émissions qu'ils ont écrites ont eu un large soutien dans cette industrie particulière. Beaucoup d'acteurs qui sympathisaient avec la grève des scénaristes ont refusé de traverser les piquets de grèves. Par contre, la douzaine de syndicats de l'industrie du divertissement et des émissions télévisées (il y a des syndicats distincts pour les acteurs, les rédacteurs, les journalistes, les charpentiers, les électriciens et les machinistes) ont maintenu leurs bonnes vieilles traditions corporatistes, instaurant "leur" piquet tout en traversant sans vergogne les piquets des "autres" et, surtout, en ne demandant jamais, au grand jamais, aux travailleurs des "autres corporations" de se joindre à "leur" lutte ! Néanmoins, malgré leurs salaires relativement élevés et leurs emplois "glamour", les scénaristes sont de plus en plus conscients de leur condition de prolétaires, comme l'illustrait les propos de l'un d'entre eux à un meeting de la Writers Guild of America (syndicat des scénaristes), juste avant que la grève ne commence : "Cette question [les paiements d'un quota sur les DVD et les téléchargements] est si énorme que si les patrons voient que nous nous laissons faire sans nous battre, d'ici trois ans, ils reviendront à la charge pour autre chose [...], ce sera ‘nous voulons revoir tout le système des quotas', puis trois ans plus tard, ce sera ‘vous savez quoi, nous ne voulons plus financer vos assurances santé comme avant'. Puis ce sera les retraites [...]. Et puis, on en arrivera bien au point où tout le monde devra se rendre compte qu'il faut vraiment qu'on tienne bon dès maintenant."
Toutes ces luttes confirment ce que nous écrivions dans Internationalism no 143 : les grèves des ouvriers du transport de New York en décembre 2005 ont marqué aux Etats-Unis l'entrée dans une "période où la lutte de classe sera encore une fois au centre de la scène de la situation sociale, tandis que les politiques d'austérité et de guerre seront de plus en plus contestées" (1). Cette nouvelle période n'en est encore qu'à son tout début. Tout cela mûrit progressivement. Il s'agit d'un développement international de mobilisation auquel les travailleurs des Etats-Unis participent pleinement. Aujourd'hui, les luttes des ouvriers démystifient la campagne de la bourgeoisie sur la supériorité du capitalisme à l'américaine et sur la manière dont celui-ci attaque le niveau de vie des ouvriers. C'est une avancée qui va au-delà d'une victoire défensive immédiate, car elle apprend aux ouvriers que les luttes présentes ne sont qu'une préparation pour une bien plus grande lutte contre ce système agonisant. La classe ouvrière est en train de vivre un moment extraordinaire de prise de conscience et de réflexion. Le dynamisme de ces luttes démontre une maturation grandissante dans la compréhension de la nécessité de la solidarité et de l'impasse que représente le capitalisme. C'est une nouvelle période qui s'ouvre à travers d'importantes confrontations entre les deux principales classes aux intérêts antagoniques de notre société.
D'après Internationalism n° 145
1) Pour connaître plus en détail cette lutte qui est l'un des épisodes les plus importants des luttes de ces dernières années (en particulier sur cette question de la solidarité ouvrière), lire "Grèves dans les transports à New York : aux Etats-Unis aussi, la classe ouvrière réagit". En quelques mots, en 2005, les travailleurs du métro de New-York étaient entrés en lutte illégalement, tout en sachant que cela impliquerait pour eux et leurs familles des amendes exorbitantes, pour protester contre le projet d'un nouveau contrat d'embauche qui ne les concernait pas directement eux-mêmes mais était destiné aux nouvelles générations. Il s'agissait là d'une démonstration vivante de ce qu'est la solidarité ouvrière !