Soumis par Révolution Inte... le
Les luttes spontanées, en dehors de toute consigne syndicale qui se sont affirmée fin avril et début mai sur plusieurs sites d'Airbus démontrent toute la combativité et la détermination de la classe ouvrière. Pour la plupart, ce sont de jeunes ouvriers, une nouvelle génération de prolétaires qui ont pris la part la plus active dans ces luttes, notamment à Nantes et Saint-Nazaire, où s'est avant tout manifestée une réelle et profonde volonté de développer une solidarité active avec les ouvriers de la production de Toulouse qui avaient cessé le travail la veille (le 26 avril) en réponse à une véritable provocation de la direction.
Face à cette provocation, les ouvriers ont spontanément débrayé. Le caractère provocateur du montant dérisoire de la prime est une évidence. Les ouvriers se sont sentis traités comme des chiens à qui on jette un tout petit os à ronger. C'était d'autant plus une incitation directe à partir en lutte qu'elle était lancée au milieu d'un double scandale : celui du parachute doré de l'ancien PDG Forgeard parti avec plus de 8 millions d'Euros d'indemnités et celui de la mise en cause de ses principaux dirigeants (Lagardère et Forgeard) fortement suspectés de "délit d'initiés".
L'annonce du versement de cette "prime" ne s'est pas faite en catimini, mais au contraire a fait l'objet d'une bruyante publicité de la part des syndicats pour tous les employés d'Airbus.
Il saute aux yeux que les syndicats ont été un vecteur actif de cette provocation. Et pourtant les syndicats, après avoir soufflé le vent, ont tout fait pour étouffer la tempête. Ils ont cherché à freiner au maximum la mobilisation et à s'opposer par tous les moyens aux débrayages spontanés en appelant immédiatement à la reprise du travail. Pourquoi cette réaction ?
La provocation à Airbus sert une stratégie de sabotage de la lutte
Les syndicats et la direction savaient qu'un réel mécontentement couvait parmi le personnel et il fallait éviter qu'il s'exprime suite à l'annonce des licenciements, qu'il se focalise sur cette question des licenciements qui étaient le cœur de l'attaque. Ces licenciements concernaient essentiellement les postes administratifs, une partie au siège d'Airbus à Toulouse, une partie dans les autres centres administratifs et une partie concernant les sous-traitants.
Il s'agissait pour eux :
• D'abord de tester le niveau de combativité des ouvriers, surtout des jeunes, en les faisant partir sur la question des primes, pour amener cette combativité à s'épuiser. A Nantes et Saint-Nazaire, la colère qui s'est exprimée sur la question des primes était d'autant plus forte que les ouvriers savaient qu'ils allaient être sacrifiés quand leur usine serait reprise par un sous-traitant. La colère et la combativité se sont exprimées à travers la reconduction de la grève alors que le mouvement à Toulouse est globalement rapidement retombé. A Nantes en particulier, les grévistes étaient très remontés contre des syndicats vite débordés qui cherchaient uniquement à leur faire reprendre le travail. Sur les sites de Nantes et Saint-Nazaire, des comités de grève ont surgi, très rapidement transformées en "coordination" entre les deux sites. Une telle "coordination" exprimait donc une volonté de la part d'ouvriers combatifs d'organiser leur mouvement, en ne comptant que sur leurs propres forces. Mais en même temps, fait significatif des faiblesses de ce mouvement, des militants de LO revêtus de la casquette syndicaliste de base de la CGT ont pu récupérer immédiatement cette initiative dans le but de ramener les ouvriers derrière les syndicats. Un membre de cette coordination déclarait en effet : "Notre mouvement veut essayer de recréer une connexion entre le personnel et les syndicats. Il doit disparaître après" (Ouest-France du 4 mai 2007). Un militant de LO dans un forum sur Airbus le 27 mai organisé lors de la traditionnelle fête annuelle de cette organisation avouait lui aussi naïvement : "Je suis allé trouver les syndicats en leur disant : qu'est ce que vous foutez ? Si vous n'intervenez pas pour prendre le contrôle de la lutte, il y aura demain un nouveau Mai 68 qui vous pétera au nez !" Après quelques jours d'existence, cette coordination passait effectivement le relais à une "intersyndicale" pour reprendre le contrôle de la grève sur les deux sites jusqu'au moment où, à la suite des propositions de la direction pour casser le mouvement, la plupart des syndicats ont appelé à la reprise du travail à l'exception de la CGT minoritaire qui a entrepris de coller au mouvement jusqu'au vote général de la reprise du travail.
Entre temps, les syndicats avaient négocié avec la direction et Sarkozy l'octroi d'une prime portée à 800 Euros et des augmentations de salaire équivalentes à 2,7% de la masse salariale avec une augmentation minimum prévue de 40 Euros que les syndicats ont prétendu avoir "arraché" grâce à leur "attitude responsable de coopération" ; mais bien entendu ces "compensations" sont réservées aux ouvriers de la production. Pour la bourgeoisie, il fallait isoler les éléments partis en lutte tout en tentant de recrédibiliser momentanément les appareils syndicaux.
Il s'agissait de faire accréditer l'idée que partir en lutte hors des syndicats ne mène à rien, alors qu'avec des syndicats "responsables", on peut obtenir quelque chose.
• Il fallait également faire en sorte que la question des licenciements ne soit pas au centre de la lutte, et pour cela, entretenir la division entre "cols blancs" et "cols bleus". Il fallait que le scandale des primes masque le scandale bien plus grand des licenciements.
A travers son résultat, on perçoit mieux les buts de cette stratégie qui a permis de casser la dynamique de solidarité bien présente dans cette lutte :
• Tout a été fait pour entretenir la division entre les ouvriers à la production et les ouvriers administratifs (qui ne sont pas entrés en lutte parce que c'est sur eux que planait principalement la menace de licenciement).
Il est frappant de constater qu'à aucun moment dans tous ces mouvements, il n'y a pas eu le moindre appel à la solidarité entre "cols blancs" et "cols bleus", c'est-à-dire entre le personnel administratif, qui va être lourdement touché par les licenciements et les ouvriers à la production, qui eux ne seront pas touchés par ces mêmes licenciements, mais vont voir les cadences de travail encore s'accélérer.
• Ensuite en focalisant sur la prime, les syndicats ont poussé à séparer les "Airbusiens" et les ouvriers des entreprises sous-traitantes, menacés également de licenciements comme n'ayant pas les mêmes intérêts à défendre.
• Il s'agissait encore de renforcer le climat idéologique pourri de concurrence et de compétitivité nationalistes entre ouvriers français et allemands, laissant entendre que les ouvriers allemands, allaient toucher, eux, une prime plus conséquente.
• Cela permettait encore un enfermement sur les sites Airbus eux-mêmes et de pousser à fond "l'esprit de défense de l'entreprise" en mettant en avant des revendications spécifiques pour empêcher tout lien et toute solidarité avec les autres luttes (comme notamment à Alcatel et dans le secteur automobile chez qui les mêmes licenciements tombaient simultanément), alors qu'en Allemagne à Hambourg, les ouvriers d'Airbus ont rejoint dans une manifestation des ouvriers d'autres secteurs en grève (Sieta, Still, Blohm & Voss), de même à Berlin, ceux de BMW et ceux de Siemens ont pu manifester ensemble. En Espagne, des salariés d'une usine Airbus en Espagne sont également venus apporter leur solidarité dans une manifestation avec les licenciés de l'équipementier automobile Delphi.
Quelles sont les leçons de la lutte à Airbus ?
A travers la combativité et la volonté de se battre en dehors même des consignes syndicales, dans cette lutte s'est ouvertement posée la question : comment développer la lutte, comment se battre pour résister efficacement aux attaques de la bourgeoisie ? Tant que les ouvriers se battront dans le cadre de leur entreprise, de leur secteur, des frontières nationales, ils continueront à subir licenciements et défaite boîte par boîte comme c'est le cas non seulement à Airbus, mais à Alcatel ou dans l'automobile
La peur que la lutte s'étende comme à Airbus a amené la bourgeoisie à "acheter la fin du mouvement" aux ouvriers à travers une prime et une augmentation de salaire. Il s'agissait d'empêcher les ouvriers de tirer la leçon que les syndicats poussent les ouvriers dans la division et le sabotage de la lutte. Il est nécessaire d'élargir et d'étendre la lutte en direction des ouvriers des autres entreprises, en particulier ceux qui subissent les mêmes attaques.
Le véritable combat de la classe ouvrière, c'est de se battre sans exclusive contre toutes les attaques qu'elle subit : contre les licenciements, pour des augmentations de salaires, pour des primes, contre l'augmentation des cadences... Etendre et développer ces luttes, c'est l'affaire de tous les ouvriers, quel que soit leur secteur d'activité. Dans chaque lutte, pour pouvoir affirmer leur solidarité active, les ouvriers ont à faire vivre des AG ouvertes à tous. L'exemple de cette lutte est porteuse d'espoir pour l'avenir si les ouvriers renforcent leur volonté d'être solidaires dans leurs combats. Ils ne pourront le faire que s'ils brisent le carcan de l'enfermement sur l'entreprise.
Wu (1er juin)