Commémorations du 11 septembre 2001 : le cynisme et l'hypocrisie de la classe dominante

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Le cinquième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center a été une fois de plus l'occasion pour la bourgeoisie internationale de se vautrer dans cette attitude de contrition et cet humanitarisme hypocrites dont elle a le secret. Du couple Bush déposant, la larme à l'œil, des fleurs sur l'emplacement des Twin Towers à Kofi Annan déplorant ce "crime contre l’humanité" en passant par Chirac qui appelait à communier "dans le souvenir des victimes, de leurs familles et de leurs proches" et a rendu "hommage à toutes les victimes du terrorisme à travers le monde", pas une voix n’a manqué dans la classe dominante pour rappeler l’horreur de l’événement et montrer du doigt la monstruosité que représente le terrorisme.

Le rappel des évènements ne peut en effet que faire froid dans le dos. Ce sont près de 3000 personnes qui ont trouvé la mort en deux heures à New York, 189 à Washington et 44 en Pennsylvanie. Et la sinistre statistique du nombre de tués n’est pas seule à inscrire ces attaques terroristes dans les mémoires. Ainsi, 70% des 40 000 personnes présentes dans le voisinage immédiat de Ground Zero dans les jours et les semaines qui ont suivi les attaques aériennes sont aujourd’hui atteintes de troubles pulmonaires aigus. Membres des services municipaux, volontaires venus des quatre coins des Etats-Unis, habitants proches, policiers, pompiers, sont touchés par la "toux du World Trade Center". Il ne s’agit pas d’un syndrome passager mais d’une maladie qui va inévitablement frapper mortellement nombre d’entre eux dans les années à venir, conséquence de l’inhalation des produits hautement toxiques, dont de l’amiante en très grande quantité, pulvérisés lors de l’incendie et de l’effondrement des tours.

Toute cette population, ces victimes passées et à venir du terrorisme et de la guerre, c’étaient et ce sont dans leur immense majorité des ouvriers et des employés. Comme à Madrid il y a deux ans, comme à Londres l’an dernier, comme à Bombay cet été, comme partout, même lorsque les médias parlent de "touristes", ce sont des ouvriers, des salariés qui sont frappés, ce sont eux qui partout paient le prix fort de la violence aveugle et destructrice résultant de la guerre entre cliques bourgeoises, qu’elles soient "occidentales", islamistes ou autres. La bourgeoisie peut bien se répandre en lamentations, on sait bien qu’elle n’en a cure. Elle peut bien nous abreuver de films comme celui d’Oliver Stone, World Trade Center, pour faire pleurer dans les chaumières, c’est pour mieux exalter le nationalisme et au bout du compte la guerre. Et bien pire, car en définitive, ces attentats ont été une véritable aubaine, pour la bourgeoisie américaine mais aussi pour toute la classe dominante.


A qui a profité le crime ?

L’Amérique, sous prétexte de "guerre au terrorisme", a ainsi pu lancer une offensive militaire et stratégique visant à rétablir et imposer un leadership de plus en plus remis en question sur l’ensemble de la planète. C’est à elle que le crime du 11 septembre a réellement profité à l’époque, pas à Ben Laden ou à sa clique de "fous de Dieu". Dans sa logique de coups tordus, la bourgeoisie n’a jamais hésité à utiliser, voire provoquer ou organiser elle-même des destructions de grande ampleur, afin d’arriver à ses fins. Pour choisir un événement parmi les plus connus, on peut citer le bombardement de la base américaine de Pearl Harbour par les Japonais en décembre 1941, prélude à l’entrée en guerre des Etats-Unis. On sait que l’administration Roosevelt connaissait parfaitement le projet japonais d’attaque de la base et qu’elle a au moins laissé faire, provoquant devant cet acte odieux, l’adhésion à l’entrée en guerre des Etats-Unis d’une opinion publique jusqu’alors hostile à la participation américaine dans la Seconde Guerre mondiale (Voir nos Revue Internationale n° 107 et 108 sur le sujet).

Aujourd’hui, le terrorisme est une arme de guerre de toutes les bourgeoisies, grandes ou petites. Aussi, la croisade "du bien contre le mal", faisant suite au 11 septembre 2001 et annoncée dès le 16 comme allant durer "jusqu’à l’éradication de tous les groupes terroristes à portée mondiale", a permis aux Etats-Unis de réunir une des plus formidables coalitions de l’histoire, incluant la Russie, les pays de l’OTAN, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Pakistan, l’Arabie Saoudite et les autres pays du Golfe, et l’accord tacite de l’Iran et de la Chine (voir notre Revue Internationale n° 107, 4e trimestre 2001), et d’aller envahir un pays comme l’Afghanistan. Si cette alliance contre le régime des talibans s’est ensuite progressivement délitée, en particulier suite à l’invasion de l’Irak, il faut se rappeler du concert commun de toutes ces puissances prêtes à aller prétendument casser du terroriste, en réalité accourant pour défendre leurs propres intérêts impérialistes.

Et si cette meute enragée était prête à mettre sans états d’âme l’Afghanistan à feu et à sang, elle n’a pour autant pas oublié ses propres populations. C’est ainsi que l’ouverture de la "guerre contre le terrorisme" a permis dans de nombreux pays un renforcement de la répression et du flicage de la population, aux Etats-Unis comme dans les pays d’Europe. Au pays de la "Liberté", le "USA Patriot Act", voté sans même passer par les législateurs immédiatement après le 11 septembre, introduisait de nombreuses mesures d’intrusion dans la vie privée : espionnage du courrier, des mails, fouilles systématiques des gens se rendant au travail, jusqu’à l’obligation par les bibliothèques de fournir la liste de leurs abonnés et celle de leurs emprunts de livres. La Grande-Bretagne en profitait pour accélérer sa surveillance des villes par caméras vidéo et la France relançait diverses mesures policières comme le plan Vigipirate devenu dès lors permanent.

Et c’est régulièrement depuis cinq ans qu’on nous remet une louche de psychose du terrorisme pour renforcer encore les mesures policières.


La bourgeoisie est une classe de menteurs et d’assassins

Dans le cirque médiatique fait autour du 11 septembre, à côté des lamentations hypocrites, sont ainsi réapparues de façon plus virulente que jamais les critiques faites à l’incompétence de Bush et de ses services secrets, et même clairement la dénonciation de l’organisation des attentats du 11 septembre par Bush et sa clique, comme dans le film Loose Change, visible gratuitement sur internet, c’est-à-dire dans le monde entier. Rappelons qu’après le 11 septembre, dans l’ambiance d’hystérie nationaliste de l’époque, le CCI était intervenu pour dénoncer ces attentats comme servant en fait les intérêts impérialistes américains, alors que nous évoquions la probabilité que l’administration Bush ait laissé faire les attentats. A l’époque, on nous avait traité de tous les noms en nous accusant d’avoir une vision machiavélique de l’histoire. Aujourd’hui, étonnamment, c’est au sein de la bourgeoisie elle-même que l’on voit mettre en avant la thèse de la machination fomentée par l’équipe au pouvoir.

L’Union sacrée d’après 2001 a donc fait son temps. Finie l’embellie nationaliste durant laquelle on pouvait voir le drapeau américain flotter sur chaque véhicule et à chaque fenêtre de New York, jusque dans les quartiers les plus déshérités. Finies les déclarations percutantes rassemblant Démocrates et Républicains dans la sacro-sainte guerre contre le "terrorisme international" désigné par avance. L’heure est à la désunion, aux critiques de Bush et des services secrets. Malgré le lancement à grands frais de films comme World Trade Center, qui exalte le "courage" et "l’esprit de sacrifice" des policiers et des pompiers de New York, cherchant ainsi à renouer avec la "grande communion" de l’après-11 septembre 2001, le cœur n’y est plus, de toute évidence. Les 3000 Gi’s morts officiellement (certaines sources parlent de 10 000) en Irak en trois ans, les 278 morts en Afghanistan depuis 2002, ne peuvent que raviver dans l’opinion publique américaine le "syndrome du Vietnam" et, avec le rejet de la guerre, celui des raisons qui l’ont justifiée. Ainsi, ce sont plus de mille déserteurs américains qui se seraient réfugiés au Canada depuis deux ans.

Plus d’un tiers des Américains et près de la moitié des New-yorkais pensent qu’il s’est agi d’un coup monté par Bush pour justifier la guerre au Moyen-Orient. Sur des dizaines de sites internet, dans les interventions de scientifiques et d’universitaires foisonnent les arguments défendant cette thèse du complot, Démocrates et Républicains confondus.

Les attaques contre Bush vont également bon train en dehors des Etats-Unis. Car alors que le 11 septembre 2006 a permis aux dirigeants de la planète d’exprimer leur "émotion profonde" et de pleurer sur les malheurs du monde, cela a encore été pour eux l’occasion d’étaler de nombreuses critiques virulentes sur la politique américaine en Irak, au Moyen-Orient. Cet "anniversaire" a donc en définitive été une manifestation générale de l’inexorable affaiblissement de l’Amérique sur l’arène impérialiste mondiale et cela malgré l’omniprésence militaire d’une Amérique qui, prétendant lutter contre le terrorisme n’a fait que renforcer celui-ci et lui donner une dimension inconnue jusqu’ici. Un très récent rapport confidentiel des services secrets américains, intitulé "Tendances du terrorisme mondial : implications pour les Etats-Unis", concluait ainsi que la guerre en Irak avait "accru la menace terroriste".

La situation en Irak est telle que les Etats-Unis y sont complètement coincés et contraints d’y rester pour colmater autant que faire se peut les brèches de plus en plus larges qui s’ouvrent vers un chaos total du pays, le tout sans aucune perspective d’y gagner quoi que ce soit. C’est dans cet échec phénoménal de la politique américaine avec toutes les retombées qu’il a et aura pour les intérêts américains que se trouve la véritable raison de ce déferlement d’accusations anti-Bush. L’enlisement dans une telle situation a exacerbé les oppositions au sein de la bourgeoisie américaine comme les rapports de force avec les autres puissances sur la planète. Si l’offensive américaine avait été une réussite, ne doutons pas que la plupart de tous ces accusateurs ronronneraient dans le giron de celui-là même qu’ils vouent à présent aux gémonies, tandis que d’autres comme la France aurait mis plusieurs bémols à la virulence de leurs attaques.

Car tous n’ont que faire de la vie humaine. Ils crient au fou et à l’assassin, dénoncent la bande à Bush qui s’en met plein les poches grâce à la mainmise sur le pétrole, mais ils ne valent pas mieux. Leurs critiques n’ont pas pour but de rétablir une quelconque vérité ni de tenter de renverser la vapeur. Reflet de cette lutte à mort que se mènent les fractions bourgeoises de par le monde, elles ont aussi pour fonction de dévoyer toute réflexion sur le terrain bourgeois, de la ramener sur le terrain du faux choix entre telle ou telle clique bourgeoise, de la canaliser vers la "défense de la démocratie". Dans un tel "débat", ce n’est pas le système capitaliste, ce n’est pas la bourgeoisie qui sont visés, mais des "méchants", des "rapaces", des "salauds", qui ne respectent rien, et surtout pas les vies humaines. Bien sûr, Bush et ses complices méritent bien les épithètes dont on les gratifie. Mais cette imagerie populaire cultivée à foison a pour but de rendre confuse toute réflexion et de la dévier sur des individus, bien sûr responsables, pour appeler à les remplacer par d’autres, qu’on espère meilleurs ou moins mauvais, et au bout du compte à faire confiance à la classe exploiteuse qui gouverne le monde et qui est la première responsable de la misère, de la guerre et des massacres.

Ce ne sont pas des individus qui font ce qu’est le capitalisme, c’est ce système en pleine déliquescence qui les produit en tant que dignes représentants de la classe bourgeoise décadente, une classe qui se défend bec et ongles face à sa propre agonie, n’hésitant pas à entraîner avec elle l’humanité toute entière dans la barbarie. Qu’un gouvernement comme celui des Etats-Unis laisse faire, voire organise, une monstruosité comme les attentats du 11 septembre pour finir par se mettre dans un guêpier comme l’Irak est une illustration évidente du niveau extrême de décadence et de décomposition dans lequel se trouve le capitalisme aujourd’hui.

Cela donne une idée de ce qui attend l’humanité dans la période à venir de la part de ceux qui se proclament les garants du bien-être de milliards d’êtres humains alors que ce sont eux et le système capitaliste qui sont les véritables responsables. Une telle situation ne peut que renforcer le questionnement grandissant qui naît dans l’ensemble du prolétariat, et de la part des soldats eux-mêmes, issus dans leur grande majorité de familles ouvrières, vis-à-vis de la justification anti-terroriste des guerres actuelles. Allié aux luttes ouvrières qui se développent un peu partout dans le monde y compris aux Etats-Unis contre les attaques économiques, ce questionnement doit ouvrir la voie à une prise de conscience que c’est tout le capitalisme qui nous entraîne vers la misère et le chaos le plus total, et qu’il faut le détruire.

Mulan (26 septembre)


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