Courrier des lecteurs

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Une lectrice nous a envoyé une lettre contenant une réflexion sur l’article "L'avenir, c'est la lutte de classe" (RI nº 362, novembre 2005) qui analysait les dernières luttes de notre classe partout dans le monde, des luttes qui montrent que le prolétariat est "bien vivant", contrairement à toutes les campagnes de la bourgeoisie qui l’ont déclaré moribond ou inexistant. Nous y décrivions plus particulièrement des grèves comme celles de l’aéroport londonien d'Heathrow, celle de 18 500 mécaniciens de Boeing aux Etats-Unis, ou celles de l’Argentine.

Parmi les préoccupations soulevées par notre camarade, la plus importante nous semble être la suivante : " Cependant une phrase dans le premier article du journal me pose question. Vous dîtes au sujet des ouvriers mécaniciens de Boeing : ' La colère était d’autant plus forte que les bénéfices de l’entreprise ont triplé au cours des 3 dernières années. ' (…) J’aurais besoin d’explications sur ce discours qui est tenu par les gauchistes et les syndicats scandalisés de voir une entreprise en ‘bonne santé’ qui licencie."

Syndicats et gauchistes enferment et divisent dans la logique des entreprises

Cette remarque est très juste. Il existe en effet une ambiguïté regrettable dans la formulation du journal car ce discours consistant à "dénoncer" les entreprises qui licencient alors qu’elles font des bénéfices a justement servi à de nombreuses reprises, comme le signale la camarade, aux gauchistes et aux syndicats pour dévoyer la riposte ouvrière. Cette question est d'ailleurs très importante car elle touche à ce qui constitue deux fondements du système capitaliste, la course au profit et la recherche de l’exploitation la plus forte de la force de travail. Les syndicats et les gauchistes veulent ainsi faire croire que le système capitaliste pourrait être autre chose qu’un système de profit. Ils cherchent ainsi à masquer que le capitalisme est une société d'exploitation qui tire forcément son profit, sa plus-value, d'une exploitation constante et féroce de la force de travail de la classe ouvrière et non pas d’une simple mauvaise répartition de la richesse sociale. L'idée selon laquelle il pourrait y avoir une autre répartition des richesses si l'entreprise fait des bénéfices est illusoire et dangereuse et, de plus, masque le fait que le capitalisme se trouve dans une situation de crise insurmontable. Quand une entreprise fait des bénéfices, elle vire des ouvriers et baisse les salaires, d'une part en prévision d'une aggravation de la situation économique dans un futur proche, d'autre part pour augmenter la part de ses bénéfices pour réaliser une accumulation de capital imposée par les lois du capitalisme. Cette accumulation devient particulièrement problématique dans les périodes de récession économique. Si les entreprises qui licencient ne parviennent pas forcément à surnager et à faire face à la concurrence, le recours à des licenciements de plus en plus massifs a été le moyen le plus efficace depuis plus de trente ans pour affronter la guerre économique et "faire des bénéfices". Comme l’avait dit Charles Bickers, un des porte-parole de Boeing : "Nous ne pouvons donner notre accord à une proposition limitant notre capacité à être compétitif et à gagner de nouveaux marchés. La concurrence est de plus en plus agressive. Nous devons mettre l'accent sur la productivité et la qualité." (Libération du 19 septembre 2005). C’est cette référence à la nécessité d’ouvrir les vannes à l’exploitation la plus féroce du fait de la situation de crise définitive du capitalisme que veulent cacher les meilleurs défenseurs du capital que sont les syndicats et les gauchistes.

Quelle différence y-a-t-il entre des ouvriers licenciés parce que leur entreprise a fait faillite, c’est-à-dire n’a pas fait de profit, et des ouvriers licenciés alors que la leur fait du profit ? Aucune, ils sont mis à la porte dans les deux cas et se retrouvent ensemble au chômage.

Mais il est vrai que le fait de savoir que l’entreprise avait triplé ses bénéfices ne pouvait qu’attiser le sentiment de révolte et d’injustice pour l’ensemble des ouvriers frappés de licenciements.

Aussi, est-ce que les ouvriers doivent se sentir plus motivés pour lutter lorsque les entreprises font des profits ? Et à l'inverse, les ouvriers devraient-ils se résigner lorsqu'ils sont mis à la porte d'une entreprise en faillite ? C'est ce faux questionnement qu'introduisent et alimentent les défenseurs patentés de l'ordre capitaliste qui insistent sur l'idée fausse qu’il pourrait exister un capitalisme à "visage humain" dont les lois pourraient être au service des êtres humains. Il s'agit d'opérer une division entre ces deux catégories de licenciés en en démoralisant une partie et en créant l'illusion dans l'autre.

 La LCR propose : "Il faut imposer, tous ensemble, un Smic européen et interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits." ("Bolkenstein fait des petits", LCR, mai 2005). LO n’est pas en reste : "Prendre sur ces profits pour assurer un salaire à tous, voilà pourtant la seule vraie solution au chômage et aux licenciements. Une solution que les travailleurs auraient la force d'imposer." (Lutte Ouvrière n°1779 du 6 septembre 2002). Quant aux altermondialistes d’ATTAC, où l’on retrouve de tout, y compris différentes composantes des partis de gauche et des syndicats, ils proposent "pour en finir avec les licenciements de convenance boursière", des mesures du style : "définir les critères permettant de caractériser les "difficultés économiques", attribuer aux Comités d’entreprise un droit suspensif des licenciements, exiger des entreprises qu’elles fournissent toute l’information économique et financière utile ; favoriser la possibilité de reprise des entreprises par leurs salariés ; augmenter significativement les indemnités de licenciement.."

Cette vision implique que quand une entreprise "ne fait pas de profits", il est normal qu’on licencie. Faire dépendre la lutte pour les salaires ou contre les licenciements des profits des entreprises, c’est rester dans la logique même du capitalisme, c’est mettre en concurrence les ouvriers entre eux. Cette vision demande la "protection" de la loi et de l’Etat qui serait le prétendu défenseur des "acquis sociaux", quand il est, en fait, le garant de l’exploitation des ouvriers.

Autrement dit, on pourrait aménager ce système et y vivre en "harmonie", sous le règne de la "paix sociale" : des exploités, heureux et silencieux, aux côtés de leurs exploiteurs, partageant leurs bénéfices.

Ce discours sert ainsi à engager les ouvriers dans des luttes portant l’illusion mortelle d’une autre gestion possible du capitalisme.

Mais au delà, il sert aussi à les ligoter, les enfermer dans le cadre strict de la défense de l’entreprise et de ses intérêts, qui sont diamétralement opposés aux leurs. C’est ce qu’on avait vu avec les ouvriers de LU-Danone, les Moulinex, etc. qui sont restés, malgré toute la publicité faite autour de "leur" lutte, complètement enfermés dans les problèmes de "leur entreprise" qui "faisait des bénéfices" (voir RI n°312, avril 2001). C’est un levier idéologique dont se sont servis la bourgeoisie et ses syndicats pour enfermer, diviser les ouvriers entre eux, alimenter le corporatisme le plus étroit, tout en poussant les ouvriers vers la défaite dans des luttes isolées, jusqu’au-boutistes, épuisantes et démoralisantes, non seulement pour les ouvriers concernés mais pour l’ensemble de la classe ouvrière.

La solidarité ouvrière, une force pour l'avenir

Les luttes immédiates autant que les perspectives des luttes à venir passent par la recherche de la solidarité, la recherche de l’unité du mouvement, de l’extension à d’autres secteurs. Voilà qui est à la fois une nécessité et un moteur pour la lutte et non pas le "scandale des sur-profits". C’est ce besoin de solidarité qui est brisé et court-circuité par les forces de la bourgeoisie qui font tout leur possible pour le dénaturer et pousser au contraire dans la division. C’est ce que la camarade rappelle dans sa lettre en disant : "…ce que je retiens de l’article, c’est qu’il y a eu un rapport de force et le refus de division entre "nouveaux" et "anciens" et l’exigence que les propositions s’étendent aux autres sites de Boeing". En effet, c’est une leçon fondamentale qui ressort de la grève à Boeing : les ouvriers ont été capables d'opposer un rapport de force à la bourgeoisie grâce à la solidarité. Dans ce cas, c’est entre les générations que cela s’est manifesté. Les ouvriers ont refusé les divisions entre anciens et nouveaux embauchés, puisque la direction voulait faire signer des contrats différents pour les jeunes, ce qui avait pour conséquence la suppression de toute couverture médicale attachée à la retraite pour les nouveaux employés.

Ce sont de tels éléments que nous avons pu vérifier dans les luttes des dernières années. Depuis les grèves en France en 2003, en passant les grèves en Argentine, en Angleterre, au métro de New York ou chez Boeing aux Etats-Unis, chez Seat en Espagne et dernièrement dans la lutte contre le CPE en France, c’est cette pratique de la solidarité, la volonté d’union qui ressortent, contre les attaques menées par la bourgeoisie.

La camarade dans sa lettre nous dit encore : "Répondez- moi car j’ai besoin de reprendre des forces pour mieux lutter". Nous ne pouvons que saluer ce souci qui s’inscrit complètement dans celui de l’ensemble du prolétariat et du CCI. Avoir des réponses claires, développer sa conscience des enjeux dans les évènements auxquels la classe ouvrière est confrontée, c’est aussi développer la confiance en soi et c’est prendre des forces pour le futur. C’est pour cette raison que les idéologues bourgeois et autres troupes de sabotage des luttes ouvrières s’efforcent de casser la prise de conscience dans les rangs ouvriers de la véritable situation de faillite dans laquelle se trouve le capitalisme. C’est pour cette raison qu'ils font tout leur possible pour émietter et diviser les ripostes ouvrières contre les attaques capitalistes et s'opposer au développement de la lutte de classe. C’est encore pour cette raison que les prolétaires ne doivent jamais hésiter à faire part de leurs questionnements et à développer la discussion la plus large en leur sein.

DP

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