Venezuela : Toute la bourgeoisie unie pour attaquer la classe ouvrière

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Nous publions ici un article d'Internacionalismo (publication du CCI au Venezuela) d'octobre dernier sur la situation au Venezuela. L'article montre bien ce qu'est le "socialisme" à la Chavez, au pouvoir depuis 7 ans, après des années de partage de pouvoir entre la droite (démocrate-chrétienne) et la gauche (AD, Social-démocrate), des années où aussi bien les uns que les autres se sont remplis les poches d'une façon si arrogante et éhontée qu'ils ne pouvaient que faire le lit à un démagogue comme Chavez, lui-même accué de "dictateur" par ses adversaires.

En fait, l'autoritarisme de Chavez n’est pas dirigé contre l'ancienne "classe dominante", les vieux partis politiques corrompus jusqu'à la moelle, qui ont même essayé d'organiser un coup d'État grand'guignolesque contre Chavez. En fait, au-delà des vantardises chavistes contre ceux qu'il appelle les "capitalistes", toute sa politique n'a eu qu'un but : contrôler la population, mater la classe ouvrière. Chavez a créé autour de lui une cour de protégés aussi corrompus que ceux de l'ancienne caste politicienne, en faisant des aumônes avec l'argent du pétrole dans un contexte permanent de dégradation des conditions de vie de la population. Tel est le nouvel héros des altermondialistes et des gauchistes de tout poil.

Début décembre, se sont tenues des élections au Venezuela. L'abstention a atteint 80 %. Ce taux d’abstention ne s'explique pas seulement par le fait que seuls les candidats chavistes se sont présentés, mais, surtout, il exprime le ras-le-bol de la population et surtout des travailleurs vis-à-vis du "socialisme" chaviste. Pas seulement du chavisme, mais de toute la bourgeoisie et de ses manigances.

La violente confrontation continuelle entre les fractions bourgeoises chavistes au pouvoir et les fractions bourgeoises dans l'opposition, a occulté une réalité : il existe entre elles un partage des tâches visant à attaquer les conditions de vie du prolétariat. Dans d'autres articles d'Internacionalismo, nous avons analysé l'émergence du chavisme comme une nécessité du capital national face à la débâcle des partis de la bourgeoisie qui ont gouverné jusqu'à la fin des années 1990 ; dans ce sens, le gouvernement de Chavez se situe dans la parfaite continuité avec la classe bourgeoise en ce qui concerne les mesures à prendre contre le prolétariat pour affronter la crise économique et survivre sur le marché mondial.

Ce partage des tâches se fait sur deux plans, très imbriqués et dépendants l'un de l'autre : l'attaque idéologique permanente pour affaiblir la conscience de la classe ouvrière et sa combativité ; et une attaque sans répit contre ses conditions d'existence.
 

Une attaque sans trêve contre la conscience de classe du prolétariat…
 

Pour préserver son système social en pleine décadence, la bourgeoisie a besoin d'oxygéner son appareil idéologique pour empêcher que le prolétariat, le "fossoyeur" du capitalisme (Manifeste Communiste), prenne conscience du fait que la seule façon d'en finir avec la misère et la barbarie auxquelles nous soumet le capitalisme est la révolution prolétarienne.

Déjà bien avant le triomphe de Chavez en 1998, les chavistes et l'opposition actuelle se faisaient concurrence sur qui était la meilleure expression de la démocratie, les uns défendant la "démocratie participative", les autres la "démocratie représentative". 7 ans se sont écoulés dans ce va-et-vient, dans ce tango qui a marqué le rythme électoral de la bourgeoisie : d'un côté, le chavisme essayant de fabriquer un socle pour sa "révolution bolivarienne" ; de l'autre, les opposants essayant de l'affaiblir en traitant Chavez de dictateur. Avec des campagnes électorales incessantes, la bourgeoisie est arrivée à créer une polarisation, une nasse dans laquelle la classe ouvrière a été attrapée, en cultivant des divisions en son sein, ce qui s'est concrétisé par une perte de solidarité de classe et une baisse significative de ses luttes contre les capitalistes privés ou d'État.

Par ailleurs, la bourgeoisie chaviste, pour fabriquer une base sociale à sa "révolution bolivarienne" a développé toute une série d'organes de contrôle social : les cercles bolivariens, les missions, les milices, etc., qui lui permettent de diluer les travailleurs dans la masse du "peuple" ; de son côté, l'opposition essaye de faire la même chose avec les "assemblées citoyennes" ; de cette manière, la nécessaire autonomie que doit avoir le prolétariat est diluée dans des couches de la petite bourgeoisie et les autres couches exploitées et appauvries de la population. Au sein même des travailleurs, le chavisme a introduit massivement le coopérativisme à la manière chaviste, la cogestion et l'autogestion, directement promues et financées par les partis et les organes de l'État, voulant ainsi donner un caractère "ouvrier" au nouveau gouvernement ; mais, en fait, ces coopératives sont devenues de plus en plus des moyens de contrôle idéologique des travailleurs pour les soumettre, en plus, à des conditions de travail précaires.

Mais la plus grande attaque idéologique contre la conscience du prolétariat a été l'identification que fait la bourgeoisie chaviste de son "projet" étatique avec le "socialisme". On sait que ce n'est pas la première fois que la bourgeoisie déguise ses politiques capitalistes d'État avec un discours "marxiste" et "révolutionnaire" : la bourgeoisie stalinienne, à la suite de la défaite de la Révolution russe imposa l'exploitation la plus féroce au prolétariat russe pendant presque 60 ans au nom du "socialisme soviétique" et de la même manière toutes les classes dominantes de l’ex- "bloc socialiste" ; et aujourd'hui les bourgeoisies de Cuba, de la Chine et de la Corée du Nord, font la même chose contre les prolétaires de leurs pays respectifs. Mais ce mensonge monstrueux de l'identification du capitalisme d'État, du stalinisme, avec le socialisme, n'aurait jamais eu l'impact idéologique qu'il a eu contre la classe ouvrière mondiale sans la participation des bourgeoisies du bloc adverse, autrement dit l'ancien "bloc américain" : tandis que les bureaucrates russes soumettaient le prolétariat à l'exploitation et la répression les plus féroces au nom de la "défense de la patrie socialiste", les bourgeoisies d'occident, avec les Etats-Unis à leur tête, matraquaient le prolétariat de leurs pays avec des campagnes sur les pénuries et les maux du "socialisme" et du "communisme", en présentant la démocratie comme le meilleur des mondes.

C'est ce même partage des tâches que nous voyons à l'heure actuelle au Venezuela : tandis que la bourgeoisie chaviste exploite le prolétariat vénézuélien au nom de la "révolution bolivarienne", préambule au "socialisme du 21e siècle", l'opposition se charge d'attaquer le "castro-communisme" des chavistes, en vantant ainsi les merveilles de la démocratie. Bref, les uns et les autres font la paire pour entretenir la confusion et l'affaiblissement de la conscience de classe.

Cette idéologie du "socialisme du 21e siècle" est complétée par celle de l'"anti-impérialisme", en utilisant le rejet de la population contre les agissements impérialistes de la bourgeoisie nord-américaine, pour tenter de ramener le prolétariat derrière les intérêts propres de la bourgeoisie chaviste, de la même manière que d'autres bourgeoisies dans le monde essayent de tirer profit de toutes les difficultés de la bourgeoisie américaine en Irak, Afghanistan et au Moyen Orient, pour tenter de faire croire que le seul impérialisme dans le monde serait celui des États-Unis ; ceci permet aux uns et aux autres de camoufler leurs propres appétits impérialistes. Le partage des tâches entre les fractions bourgeoises, chaviste et d'opposition, fonctionne aussi dans cette idéologie : les chavistes exprimant un anti-américanisme virulent, utilisant la fourniture du pétrole comme arme de chantage, alors que l'opposition est bien plus proaméricaine ; mais, finalement, les uns et les autres sont tous d'accord pour défendre et renforcer les intérêts de la bourgeoisie vénézuélienne dans leurs zones d'influence : les Caraïbes, l'Amérique Centrale et les pays andins (Colombie, Pérou, Bolivie et Équateur).

pour le soumettre à une  exploitation encore plus grande

Ce contexte a permis à l'ensemble de la bourgeoisie nationale pendant le régime chaviste d'accentuer les attaques contre les conditions de vie du prolétariat, sans que, pour l'instant, celui-ci n’ait été en mesure de riposter par des luttes importantes.

La plus grande attaque et la plus significative a été celle menée contre les travailleurs du pétrole. Avec l'action coordonnée des secteurs chavistes et ceux de l'opposition, la classe dominante est arrivée à assener le coup le plus rude que la classe ouvrière vénézuélienne ait reçu : elle n'a pas seulement réussi à diminuer le nombre d'ouvriers et d'employés (la moitié des 20 000 licenciés depuis l'arrêt de travail pétrolier de 2002-2003 contre Chavez), mais le gouvernement chaviste a réussi, entre autres choses, à faire passer une loi souhaitée depuis longtemps par la bourgeoisie vénézuélienne : l'élimination de l'économat qui, depuis le temps des multinationales pétrolières, permettait aux travailleurs et à leurs familles d'obtenir des denrées alimentaires à moindre prix. Et ceci avec des arguments comme "la situation est très dure" pour tous, les travailleurs du pétrole sont des privilégiés, ils sont une "aristocratie ouvrière".

Après cette attaque sans précédent contre les travailleurs du pétrole, où tous les partis et les syndicats ont été complices, aussi bien ceux au pouvoir que ceux de l'opposition, le gouvernement chaviste a eu les mains libres pour infliger de plus fortes attaques contre les conditions de vie des travailleurs actifs : gel des conventions collectives, augmentations ridicules du salaire minimum, bien en deçà des augmentations des prix de consommation courante, etc. On fait du chantage avec la menace de licenciements massifs aux travailleurs qui tentent de faire grève pour leurs revendications ; c'est ce qui a été fait face aux protestations des travailleurs de la santé ou de l'éducation tout au long de ces années de gouvernement chaviste ; ou avec les travailleurs du secteur de la Justice, ou de la Télévision d'État, que Chavez lui-même a menacé d’ "écraser" comme il l'a fait avec les ouvriers du pétrole.

Les conditions de vie des travailleurs, surtout du secteur public, sont attaquées par le biais de missions, de coopératives, des entreprises cogérées ou autogérées que le gouvernement a créées pour y exercer son contrôle politique et social. Avec ces organes, le gouvernement chaviste a progressivement réussi à "flexibiliser" la force de travail, parce que les travailleurs embauchés par le biais de ces organes le sont temporairement, sans aucun salaire social et pour la plupart d'entre eux avec des salaires plus bas que le salaire minimum officiel. C'est ainsi que la bourgeoisie chaviste fait la même chose que les bourgeoisies des autres gouvernements de droite et de gauche de la région, qui appliquent les mesures typiques du "neo-libéralisme sauvage" en faisant en sorte que l'emploi soit de plus en plus précaire et l'exploitation plus brutale. Voilà le vrai visage du "socialisme du 21ème siècle" ! Mais ces organes sont aussi des instruments de chantage contre les travailleurs actifs : avec les missions et les coopératives, le gouvernement a couvert progressivement les services publics, avec l'objectif explicite d'affaiblir et faire du chantage sur les travailleurs actifs qui réalisent ces services ; et s'ils se mobilisent pour mettre en avant des revendications, ils sont menacés de licenciement et d'être remplacés par des travailleurs organisés en coopératives. C'est ainsi que le chavisme pousse les travailleurs les uns contre les autres, les missions et les coopératives contre les employés du secteur public.

Derrière toutes ces attaques contre les travailleurs du secteur public se trouve, occultée, une vieille nécessité de la bourgeoisie vénézuélienne : celle de réduire de façon drastique les emplois publics. Lors du gouvernement Caldera, le ministre, de gauche, de Planification de l'époque, Teodoro Petkoff, disait qu'il fallait réduire d'un demi million les effectifs de la fonction publique. Les déclarations répétées de Chavez et ses acolytes pour dénoncer la "contre-révolution bureaucratique", n'ont qu'un objectif : dénigrer les employés du secteur public pour justifier des attaques toujours plus fortes contre leur condition de vie et les licenciements.

Mais les attaques de la bourgeoisie contre le prolétariat ne s'arrêtent pas là. Le chavisme, grâce au travail coordonné entre le gouvernement et l'opposition, a réussi à imposer une série de mesures qui, dans d'autres circonstances, auraient provoqué des protestations inévitables chez les ouvriers et la population : il s’agit de l'augmentation brutale des impôts et, surtout, de la TVA (qui accroît de 14% le prix de la plupart des produits et des services) grâce à laquelle l'État collecte plus de la moitié du budget de 2005 (plus de 15000 milliards de $ US) ; les taxes sur certains produits de consommation ont atteint 30% en 2005. Enfin, les lois approuvées par le parlement envisagent de créer d'autres impôts, tel que celui prévu pour les dépenses de santé, 4% pour tous les travailleurs, actifs, chômeurs, retraités et de "l'économie souterraine".

Les attaques contre les salaires et les baisses du salaire social des travailleurs, ajoutées aux nouveaux impôts de l'État, cumulées à une politique économique et fiscale qui engendre un taux d'inflation qui est le plus élevé de la région (23% en moyenne entre 2003 et 2004), qui érode mois après mois les salaires, tout cela est en train d'enfoncer des millions de travailleurs et leurs familles dans une paupérisation alarmante : d'après des statistiques non officielles, 83% des travailleurs (sur une force de travail totale de 12 millions) perçoivent le salaire minimum de 405 000 bolivars. (180 $ USA), alors que le "panier" alimentaire de base, d'après le gouvernement lui-même, coûte actuellement 380 000 Bs, alors que d'autres organismes le situent autour de 600 000 bolivars. Et cela sans parler des niveaux atteints par la malnutrition, les pandémies, etc. qui n'ont fait qu'augmenter dans la population. Le gouvernement fait tout pour maquiller les chiffres sur la pauvreté pour qu'ils puissent être cohérents avec son mensonge sur la "lutte contre la pauvreté", mais il est impossible d’occulter les évidences.

Par ailleurs, en plus du taux de chômage alarmant, la pauvreté et la misère qui écrasent les quartiers ouvriers, engendrent de plus en plus une décomposition sociale que la propagande officielle essaye d'occulter, mais qui est bien visible partout : mendiants issus des villes ou des campagnes, enfants vivant dans la rue, prostitution des enfants et des jeunes, etc. Un des fléaux qui n'a fait que s'exacerber et augmenter pendant l'administration chaviste est celui de la criminalité : chaque semaine se produisent environ une centaine de meurtres dans le pays, surtout dans les quartiers les plus pauvres, où habite un fort pourcentage de la classe ouvrière. Le gouvernement chaviste, faisant appel à ses cerveaux en manipulation médiatique, a trouvé un nom à son projet : la "révolution jolie", mais ce que la classe ouvrière vit au quotidien c'est la sale laideur du capitalisme en décomposition ; et c'est la seule réalité que la bourgeoisie peut nous offrir, qu'elle soit de droite ou de gauche.

La classe ouvrière menace toujours de riposter

Malgré les chantages et les intimidations, les travailleurs n'ont pas d'autre choix que lutter contre la détérioration sans répit de leurs conditions de vie.

On sent de plus en plus fréquemment monter l'indignation dans les rangs ouvriers : les protestations des chômeurs à la recherche d'un poste de travail, des retraités pour la satisfactions de leurs revendications qui ont été accordées mais pas appliquées (comme cela a été le cas avec les retraités de SIDOR et de la CVG dans la Zone du Fer), des médecins, des travailleurs du Métro, etc. ; et les menaces de lutte chez les employés du secteur public de l'éducation, de la santé, de la justice, etc. sont toujours là.

Conscient du fait que la lutte des travailleurs est la véritable menace qui pèse sur lui, le gouvernement prépare ses forces de dissuasion : les réservistes et les miliciens de la Garde Territoriale, qui dépendent directement de la présidence de la République, dont la tâche consiste à intervenir, en dernière instance, face aux "convulsions sociales". De la même manière, dans les hôpitaux et d'autres établissements publics, l'État y a introduit le dénommé "service de contrôle social", autrement dit, des groupes payés par le gouvernement pour servir de police contre les travailleurs.

Mais consciente que ce n'est pas toujours à coups de répression qu'on peut en finir avec un mouvement de classe, la bourgeoisie dans son ensemble joue une carte plus efficace contre les travailleurs : la rénovation syndicale et la dissidence syndicale à l'intérieur du chavisme même. C'est ce qui explique les tentatives de la Confédération des Travailleurs Vénézuéliens (CTV), avec Froilan Barrios et Alfredo Ramos a sa tête pour essayer de récupérer la CTV avec "un nouveau modèle de syndicalisme" ; mais, surtout, avec la montée de Machuca, dirigeant syndical adepte du chavisme, qui se profile comme un "leader ouvrier" non seulement dans la zone industrielle de Matanzas, mais au niveau national, promouvant des mobilisations ouvrières même contre Chavez, comme celle qui a eu lieu en en septembre dernier. De la même manière que la CTV contrôlée par Action Démocratique (AD, Social-démocratie) gardait à l'époque une certaine "distance" et faisait une certaine "opposition" par rapport aux gouvernements AD du moment, c'est la même chose que fait aujourd'hui un élément comme Machuca, lequel sait très bien faire son travail de contrôleur du mécontentement social puisque, et ce n'est pas un hasard, il reçoit des félicitations aussi bien du chavisme au gouvernement que de l'opposition.

Le prolétariat, pour en finir avec la bourgeoisie (chaviste et de l'opposition) doit canaliser son indignation pour renforcer son identité de classe, la solidarité entre prolétaires et sa conscience du fait qu'il est la seule classe qui peut et doit conduire la lutte des exploités pour en finir avec la barbarie à laquelle nous soumet le capital.

D’après Internacionalismo n° 55, organe du CCI au Venezuela

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