Fahrenheit 9/11 - Une superproduction qui masque la réalité de la guerre

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 Le film de Michael Moore, Fahrenheit 9/11, a fait la une de la presse française durant l'été dernier. Ce long métrage reprenant de façon très critique l'ensemble de la politique de l'administration Bush en direction de l'Irak a reçu la palme d'or au festival de Cannes et a été reçu en France avec une publicité au moins égale à de nombreuses superproductions américaines. Loin des Star War, Batman et autres Spiderman, la production de Moore a été nominée bien plus pour ses aspects politiques qu'artistiques, mais a cependant permis de remplir largement les salles de cinéma cet été. Il faut dire que cette superproduction anti-Bush venait à point nommé remplir la tâche que s'est assignée la bourgeoisie française : faire de l'antiaméricanisme à tous crins. La bourgeoisie française a donc trouvé dans le film de Moore une bonne occasion de justifier a posteriori son opposition à l'intervention américaine en Irak.

Au sein même des Etats-Unis, la controverse autour de ce film reflète l'importance des divisions existant dans la bourgeoisie américaine sur la façon avec laquelle la guerre a été menée en Irak. Mais fondamentalement, il s'agit d'abord et avant tout d'un film de propagande en faveur des démocrates, dans le cadre de la préparation aux élections présidentielles. Les différentes prises de position et "bagarres" sur cette production sont révélatrices de cet état de fait.

Ainsi, la société Walt Disney Co, productrice du film, avait au début décidée de ne pas laisser sortir le film de peur d'offenser l'administration Bush à cause de la forte attaque politique qui la vise. L'ex-gouverneur de l'Etat de New-York, Mario Cuomo, démocrate libéral important, qui représentait Moore en tant qu'avocat pour faire sortir le film, soutenait qu'il se battait pour celui-ci parce qu'il pensait que chaque Américain devait le voir, qu'il s'agissait d'un message vital pour la démocratie américaine.

Face à lui, le New York Post, journal "populaire" conservateur, contrôlé par le groupe de presse Murdoch's News Corp, dénonçait en revanche le film de Moore comme étant une propagande grossière.

Dans le barouf médiatique autour de Fahrenheit 9/11, il est apparu avec évidence, et cela était particulièrement clair aux Etats-Unis, que ce que les commentateurs et les journalistes de tout acabit disaient était complètement dépendant de la fraction de la bourgeoisie à laquelle ils appartenaient. Qu'ils s'agissent des tenants de Bush ou de ses adversaires, chacun faisait parler la voix de son maître.

Cependant, une chose doit rester claire : Fahrenheit 9/11 n'est ni anti-guerre, ni anti-impérialiste. Il est simplement pro-démocrate. Moore met ainsi une bonne raclée à Bush. Ce film met en scène toute une série d'images très fortes sur l'horreur de la guerre, et sur l'ineptie balourde de Bush et de son administration, utilisant des prises de vue gênantes pour celle-ci. Par exemple, on peut voir Paul Wolfowitz, l'architecte de la stratégie de l'impérialisme américain en Irak, présenté comme un clown dans une scène où il se lèche les doigts pour arranger ses cheveux avant d'apparaître à la télé - on le voit même tenir son peigne dans la bouche.

Moore se sert des défauts reconnus de Bush comme orateur public afin de dresser le portrait de quelqu'un de stupide et mesquin, le rendant complètement ridicule.

Il utilise toutes les ficelles des médias pour toucher la sensibilité de la population par rapport aux soldats morts en Irak. Dans un autre registre, il se sert encore d'une propagande démagogique pour "dénoncer" à bon compte les politiques. On peut rappeler la scène où Moore demande à des membres du Congrès si leur soutien à la guerre irait jusqu'à envoyer leurs propres enfants se battre en Irak et n'obtient que des regards d'incrédulité en réponse.

Si ce film se fait fort d'attaquer la campagne menée par Bush pour justifier la guerre, il n'a au bout du compte rien d'anti-guerre. Ainsi par exemple, Moore soutient clairement l'invasion et l'occupation impérialiste américaine en Afghanistan, et ne fait au fond que critiquer Bush parce qu'il n'a pas assez fait la guerre dans ce pays. Il ridiculise l'administration Bush pour ses liens diplomatiques avec le régime des talibans avant l'invasion militaire et même pour avoir eu la visite de représentants talibans dans l'Etat du Texas et l'attaque pour n'avoir pas envahi l'Afghanistan plus tôt. Il se plaint que le président américain ait attendu deux mois pour attaquer - laissant "deux mois d'avance" à Ben Laden et critique encore le fait que le président ait envoyé aussi peu de troupes en Afghanistan.

Les erreurs et la cupidité personnelles de Bush sont rendues responsables de la débâcle en Irak. Les arguments de Moore ne volent pas plus haut que de mettre en avant le fait que les relations d'affaires de la famille Bush avec la famille royale saoudienne expliquent la politique étrangère de l'administration américaine actuelle. Tout en s'arrêtant à la limite d'un appel à entrer en guerre contre la famille royale saoudienne, il dénonce pratiquement le président américain de trahison pour avoir fait la visite de New-York avec l'ambassadeur saoudien au soir du 13 septembre, et de protéger les intérêts saoudiens aux Etats-Unis.

Cette "analyse", Michael Moore l'a clamée très fort dans les interviews télévisées sur son film. Elles sont typiques de cette politique capitaliste qui consiste à attaquer des individus et leurs méfaits plutôt que le système capitaliste lui-même.

En bon représentant de la bourgeoisie, ce marchand de soupe médiatique veut nous faire croire que la situation actuelle est le produit de l'incompétence et du manque d'intelligence de Bush et de son administration, incapables de stabiliser l'Irak. C'est un argument complètement faux. Car la situation d'instabilité anarchique qui se répand est le pur produit de la situation historique dans laquelle se trouve le capitalisme aujourd'hui. Evoquer l'incompétence de tel ou tel chef d'Etat comme étant la cause des guerres permet à la bourgeoisie de cacher l'effroyable responsabilité du capitalisme décadent et de l'ensemble de la classe bourgeoise. Une telle logique permet en effet d'absoudre ce système de tous ses crimes en trouvant pour ceux-ci des boucs émissaires : la folie d'Hitler ou son déséquilibre mental serait la cause de la Seconde Guerre mondiale ; de même l'inhumanité et l'inconséquence de Bush seraient la cause de la guerre et des horreurs actuelles en Irak. Or, dans ces deux cas significatifs, ces hommes, avec leur tempérament et leurs spécificités, correspondent aux besoins de la classe qui les a portés au pouvoir.

Hitler avait été soutenu par l'ensemble de la bourgeoisie allemande parce qu'il se montrait capable de préparer la guerre rendue inévitable par la crise du capitalisme et par la défaite de la vague révolutionnaire qui a suivi Octobre 1917. Le déséquilibre d'un Hitler -ou plutôt le fait de mettre un tel déséquilibré au pouvoir- n'était rien d'autre que l'expression même de l'irrationalité de la guerre dans laquelle se lançait la bourgeoisie allemande. Il en est de même de Bush et de son administration. Ils mènent la seule politique qui aujourd'hui soit possible, du point de vue capitaliste, pour défendre les intérêts impérialistes américains, leur leadership mondial, à savoir celle de la guerre, de la fuite en avant dans le militarisme.

La prétendue "incompétence" de l'administration Bush, notamment du fait de l'influence qu'a pu exercer en son sein une fraction va-t-en guerre et jusqu'au-boutiste représentée par des Rumsfeld et Wolfowitz, son incapacité à agir sur la base d'une vision à long terme, sont révélatrices du fait que la politique de la Maison Blanche est à la fois la seule possible, et qu'elle est vouée à l'échec. Le fait que Colin Powell, appartenant à la même administration et sachant mener une guerre, ait fait des mises en garde, qui n'ont pas été écoutées, quant à l'impréparation du conflit, est une confirmation supplémentaire de cette tendance à l'irrationnel.

Il ne faut pas s'illusionner, c'est l'ensemble de la bourgeoisie américaine qui soutient une politique militariste parce que c'est la seule possible pour la défense de ses intérêts impérialistes.

La véritable discussion au sein de la bourgeoisie américaine n'est pas de savoir si les Etats-Unis devaient envahir l'Irak mais sur des questions tactiques : quelles justifications idéologiques devaient être utilisées (les armes de destruction massive et les liens avec Al Qaïda ainsi que les violations des droits de l'homme), à quel niveau les Etats-Unis devraient travailler de façon à obtenir un soutien international à cette invasion, et de quelles tactiques et doctrines militaires ils se serviraient dans celle-ci et pendant l'occupation.

Plus secondairement, mais de façon non négligeable, Fahrenheit 9/11 n'a d'ailleurs pas seulement pour fonction de cacher la nature profondément bourgeoise de la politique impérialiste américaine et de rouler pour le parti démocrate, mais de redonner du tonus à la mystification électorale elle-même, qui a pris du plomb dans l'aile avec le désastre des élections de 2000, où chaque bulletin a dû être recompté, du fait de tricheries supposées.

En conclusion, on peut voir Fahrenheit 9/11 si l'on a envie de rire aux dépens de Bush (et de voir une manière habile et prétendument critique de faire de la propagande politique bourgeoise), mais pas une seconde pour espérer y voir une prise de position anti-impérialiste ou anti-guerre, pas plus qu'une analyse pertinente des événements actuels. Quel que soit celui qui gagne les élections en novembre, l'impérialisme américain continuera sans aucun doute à répandre la guerre. La seule façon d'en finir avec la guerre est d'en finir avec le capitalisme.

D'après Internationalism n°131 (septembre/octobre 2004)
Section du CCI aux Etats-Unis

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