Pour ou contre le port du voile à l’école : une manoeuvre de diversion et de division de la classe ouvrière

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Avec l'affaire du port du voile à l'école et tous les débats, manifestations et protestations en tous genres auxquels elle a donné lieu autour du vote de la loi sur les signes visibles d'appartenance religieuse, la bourgeoisie française a mis sur pied une campagne à répétition visant à attaquer en profondeur la conscience de la classe ouvrière. De la droite à la gauche et à l'extrême gauche, chacun y va de son couplet pour ou contre, plus ou moins pour et plus ou moins contre, etc. Les médias, les politiques, les associations, islamistes, juives ou chrétiennes, tous participent en chœur à ce qu'ils appellent un "grand débat citoyen sur la laïcité". En fait, contrairement à la prétendue cacophonie qui règnerait dans la "société française" sur ce sujet, tous vont dans la même direction : créer un maximum de confusion dans la tête des ouvriers afin de mieux les enchaîner derrière l'Etat bourgeois et leur faire accepter leur sort.


Par ce faux débat, la bourgeoisie vise à faire diversion sur la faillite du système capitaliste, la montée de la misère et la série d'attaques qu'elle est en train de concocter pour mieux les faire passer. La bourgeoisie exhorte donc les ouvriers à participer en tant qu'individus atomisés au débat. Ils sont invités à la réflexion en tant que "citoyen", dans une communion avec le petit-bourgeois ou le bourgeois qui l'exploite. Tous égaux dans le débat !!! L'ouvrier est ainsi séparé de sa classe, dilué, perméable à toute l'idéologie dominante.

Mais l'affaire du voile est aussi une nouvelle occasion de développer des clivages au sein de la population et surtout du prolétariat. Il est significatif que le débat a largement échauffé les esprits et n'a fait qu'exacerber le racisme (à l'instar de la création par le PS de SOS Racisme au début des années 1980), le sexisme et les divisions communautaires dans leurs aspects les plus mesquins. Il s'agit encore de mettre en compétition les ouvriers, non plus seulement en fonction de leur nationalité, mais aussi de leur croyance. Il s'agit de créer un profond sentiment de division au sein de la classe ouvrière par la fausse opposition entre ouvriers français et ouvriers immigrés, ces derniers étant par définition potentiellement "islamistes". Et au sein de ceux-ci, la propagande bourgeoise fait en sorte de désigner d'un côté les "mauvais" immigrés qui ont manifesté pour le port inconditionnel du voile et de l'autre les "bons" immigrés soumis à la loi de la "république laïque". Elle transforme la véritable solidarité ouvrière qui dépasse les nationalités et les croyances en une solidarité de ceux qui se retrouvent dans la "croyance" envers l'Etat bourgeois comme ultime juge de paix et de cohésion sociales. Car, derrière tout ce débat sur la défense de la laïcité, c'est la question de la défense de l'Etat bourgeois démocratique qui est mise en lumière. Citons le journal Libération du 29 janvier 2004 qui montre bien tout le sens de la campagne : "Dans notre tradition laïque, l'Etat est le protecteur du libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression ou de sa non-expression. Il se doit d'intervenir quand elle est menacée." L'Etat serait le seul authentique garant des libertés individuelles, en l'occurrence, le seul à même de s'opposer à la montée de l'oppression des individus que représente la montée des intégrismes religieux. Or, c'est justement un des objectifs de ce "débat", créer un rideau de fumée sur les racines de cette montée, afin d'empêcher la classe ouvrière de prendre conscience que c'est la décomposition même de ce système capitaliste qui en est à l'origine[1].
Comme le disait Marx il y a plus de 150 ans : "La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple."[2] Au culte de la religion, la bourgeoisie voudrait opposer celui de l'Etat laïc, nec plus ultra de la libération des opprimés par la religion. Mais ce n'est certes pas en faisant confiance à l'Etat et à ses flics que les jeunes filles soumises au diktat des islamistes pourront échapper à l'oppression pas plus que n'importe quel prolétaire. D'ailleurs il n'est nullement dans les desseins du gouvernement d'abolir les cultes mais au contraire de les renforcer : c'est ainsi que c'est sous la houlette de l'Etat "laïc" républicain qu'on voit fleurir, au nom de la "liberté" et du "respect" des cultes, mosquées et synagogues. C'est là qu'apparaît avec une évidence sans équivoque que les fins de l'Etat démocratique ne s'opposent pas à celles des religions mais qu'elles sont complémentaires les unes des autres.
Oppression idéologique, écrasement de la pensée et de la conscience, exploitation en tous genres des individus sont le pain béni dont ils nourrissent leurs ouailles. Au XIXe siècle, la bourgeoisie, tant qu'elle était une classe progressiste, s'est efforcée de maintenir l'Eglise comme force différenciée de l'Etat bourgeois car elle représentait une entrave au développement des forces productives, ce qui a abouti à des lois sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, mais tout en la gardant sous le coude comme force idéologique. Cependant, déjà à cette époque, les révolutionnaires stigmatisaient cette illusion suivant laquelle l'anticléricalisme qui faisait florès dans la bourgeoisie républicaine française représentait en soi une force de libération. Rosa Luxembourg le considérait comme un élément mystificateur proprement né de l'idéologie bourgeoise. Dans un article publié en janvier 1902 elle affirmait que : "Les socialistes sont précisément obligés de combattre l'Eglise, puissance antirépublicaine et réactionnaire, non pour participer à l'anticléricalisme bourgeois mais pour s'en débarrasser. L'incessante guérilla menée depuis des dizaines d'années contre la prêtraille est, pour les républicains bourgeois français, un des moyens les plus efficaces de détourner l'attention des classes laborieuses des questions sociales (…)" Et elle ajoutait : "L'anticléricalisme bourgeois aboutit à consolider le pouvoir de l'Eglise, de même que l'antimilitarisme bourgeois, tel qu'il est apparu dans l'affaire Dreyfus, ne s'est attaqué qu'à des phénomènes naturels au militarisme, à la corruption de l'Etat major et n'a réussi qu'à épurer et à affermir l'institution elle-même."[3]
Avec la décadence du capitalisme et l'entrée de ce système dans sa phase de décomposition, ces illusions sur l'anticléricalisme et la défense de la laïcité sont devenues carrément des mystifications utilisées comme une arme idéologique de l'État capitaliste pour diviser la classe ouvrière et monter les ouvriers les uns contre les autres.
Face à la pourriture qui gagne la planète, il ne s'agit pas d'embrasser la cause de la religion ou celle de l'État "laïc". Il faut réaffirmer que, devant cette fausse alternative, seule la révolution prolétarienne pourra en finir avec toutes les mystifications, qu'elles soient "laïques" ou "religieuses" : toutes étant le produit de l'oppression capitaliste.

AM (20 février)

[1] Voir dans notre Revue Internationale n° 109 l'article "La résurgence de l'islamisme, symptôme de la décomposition des relations sociales capitalistes"

[2] Karl Marx et Friedrich Engels, Critique de la philosophie du droit de Hegel, Sur la religion, page 42, éditions Sociales.

[3] Rosa Luxembourg, Le socialisme en France, page 213-214, éditions Belfond.

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