Soumis par Révolution Inte... le
Dans ce numéro, nous publions la première partie du rapport sur la situation en France adopté tout récemment par la section territoriale du CCI en France.
Ce rapport, qui s’inscrit dans la continuité des précédents travaux de notre Courant, dégage les perspectives fondamentales et met en lumière quelles sont les lignes de force qui orientent la société de classe dans ce pays.
Il se veut être une contribution qui permette à l'organisation des révolutionnaires de faire face à ses tâches dans un tout proche avenir et il doit être compris comme tel.
■ Malgré l'écran idéologique qu'a pu projeter la bourgeoisie, la crise mondiale et la situation de misère physiologique et spirituelle faite à des centaines de millions d'êtres humains dans les différents pays civilisés apportent, pour les révolutionnaires, la preuve que le régime bourgeois de la production a exacerbé ses propres contradictions pour aboutir à une impasse dont il ne peut sortir.
Partout, le capitalisme est acculé à une situation de faillite internationale. Celle-ci fournit la preuve palpable qu'il ne pourra remonter le courant, qu'il ne pourra pas retrouver l'expansion qui a été la sienne après la 2ème guerre. Le capitalisme ne peut plus organiser le processus d'accumulation comme avant l'éclatement de la crise; il ne peut plus le faire sur les mêmes bases qu'auparavant.
Malgré les lénifiantes déclarations optimistes des gouvernements, la "confiance" dans le redémarrage du bien-être social s'est perdue et le cauchemar de la guerre commence à envahir et à hanter la conscience de l'humanité qui a déjà vécu deux holocaustes. Le vieux monde capitaliste ne vit plus dans 1'opulence du développement des forces productives: des pans entiers de son édifice construit "dans le sang et dans la boue" sont emportés par la crise.
Quoiqu’il existe une série de facteurs sociaux, historiques et politiques propres à la France, la situation dans ce pays est déterminée par les lois du marché mondial.
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En France, le capitalisme ne régule plus son marché et se trouve étouffé par un surplus de marchandises faute de débouchés en acheteurs solvables. Il a jeté sur le marché une surproduction d'articles de toutes sortes, il a inondé de billets de banque le marché monétaire amenant une inflation à deux chiffres. A la rentrée d'octobre 1977, le rythme de l'inflation atteignait 12%, les produits alimentaires accusaient une hausse annuelle de 20%, les services de 11%.
Les capacités de l'appareil de production français ne sont utilisées qu'à 75% en moyenne de leur capacité -65 % dans la sidérurgie; les investissements ne sont engagés qu'avec la plus grande hésitation, tandis que les taux de croissance sont plus faibles et les taux d'augmentation des prix plus élevés que pendant les années favorables que l’on a connues autrefois. Les courbes de croissance industrielle déclinent beaucoup plus vite que celle des géants (USA, Japon, RFA); les achats industriels s'effondrent; le vieillissement de la machinerie s'accélère.
Compte tenu de la faiblesse de l'augmentation du taux de productivité des usines françaises, les produits finis et élaborés trouvent difficilement acquéreurs. Non seulement la France perd divers marchés mais encore doit-elle protéger son marché intérieur de la percée étrangère. La libre circulation des marchandises au sein de la CEE étant morte de sa belle mort, l'austérité dans l'autarcie pour réduire la consommation de produits importés, devient la règle.
Après une brève reprise au premier semestre 76, reprise sectorielle et non généralisée à l'ensemble des branches d'activité, le capitalisme a plongé encore plus bas dans le marasme. Depuis le printemps 77, la production ne croit plus et baisse, se tasse dans le courant de l'été et la chute se poursuit à la rentrée d'automne. Une nouvelle détérioration générale est attendue, faisant craindre le pire pour la tenue du franc. La décote de celui-ci par rapport au deutschemark est venue alourdir la facture des importations. Le taux de couverture du commerce extérieur est tombé à 94 % alors que la dette extérieure française s'élève à 10 milliards de dollars. Les carnets de commande se vident et les stocks d'invendus s'alourdissent. Ce bilan désastreux, comparable à celui de l'Espagne, de l'Italie et de la Grande-Bretagne range la France dans le peloton des "hommes malades de l'Europe".
A lui seul, le nombre de chômeurs complets permet de se faire une idée précise de la dimension et de la profondeur de la crise: 1,220,000. Des dizaines de milliers de jeunes en âge d'entrer dans la production ou les activités annexes restent sur le pavé. La plupart des salariés de l'industrie et du commerce, qui avaient été mis à pied par suite de "conjoncture défavorable" n'ont pas, depuis, retrouvé de travail. Maintenant, la bourgeoisie décidée à faire baisser le chômage essaie de dresser les ouvriers au travail contre les chômeurs "fauteurs d'inflation"; elle renvoie dans leurs pays d'origine les travailleurs étrangers et limite sévèrement les contingentements de main d'œuvre. Il suffit que le chômeur ne se présente pas à une convocation d'un employeur, où qu'il soit situé sur le territoire national, pour être radié du chômage. Les tentatives du gouvernement pour assainir le marché de l'emploi ont l'appui, plus ou moins franc, des syndicats qui développent le thème du "fabriquons français !", cherchant par-là à atteler la classe ouvrière à la défense de "son" capital.
Sur toute la ligne, le plan du docteur Barre est allé d'échec en échec. Devant ces graves revers et leurs conséquences en pleine période de préparatifs électoraux le gouvernement, en particulier sous la pression de l’ex-premier ministre Chirac, a eu recours à un saupoudrage de "social" (facilité de retraite anticipée, aide aux ouvriers et aux familles pour la rentrée scolaire, appel à la philanthropie patronale et municipale pour le secours aux chômeurs, embauche de 300.000 jeunes...) aussi bien pour maquiller les plaies du régime que pour dégonfler, le temps d'une campagne électorale, les statistiques du chômage. Toujours dans une préoccupation d'ordre politique, le gouvernement a accordé à plusieurs catégories sociales -petits industriels, commerçants, artisans- la déduction de 20% sur la déclaration de leurs revenus.
Dans un souci d'apaisement, le gouvernement a fini par faire voter une loi sur l'imposition des "plus-values" particulièrement atténuée.
Le capitalisme français n'est plus capable de reprendre souffle et de continuer à orienter la production sur les bases de la propriété privée. Malgré les pétitions de principes sur le libéralisme giscardien, jamais les pouvoirs publics ne sont intervenus aussi souvent et aussi directement dans l'économie française. Tour à tour dans l'automobile (Peugeot, Citroën) et les poids lourds (Berliet, Saviem), dans l'industrie nucléaire et l'informatique (CGE, CII, Alsthom), c'est-à-dire les principaux secteurs à technologie avancée et de l'économie de guerre ont été placés sous la coupe directe de l'Etat. Pour l'instant, le secteur public en France représente 9,6% de la population active et 24% des investissements. Quel que soit le résultat des élections de 1978, cette marche tendant à renforcer le caractère omniprésent de l’Etat-Parasite sera accélérée en tous cas. Le capitalisme d'Etat, pour diriger la nation tout entière vers l'effort de guerre, a donné plus nettement encore au gouvernement -démocratique ou totalitaire- le caractère de machine exerçant une dictature sociale et politique sans précédent.
Sans les exportations militaires, le déficit de la balance des paiements de la France aurait été le double en 1974.
Le capitalisme français ne peut plus se survivre sans une gigantesque économie de guerre. Il a lancé sur le marché, dans l'espace et sous les mers, un stock incalculable d'armes et d'engins de mort des plus meurtriers. Il a converti une masse énorme de moyens de production en moyens de destruction. Il a consacré une masse d'argent de plus en plus fabuleuse pour la recherche militaire. Il a investi des milliards pour construire des sous-marins nucléaires et la bombe atomique. Il a militarisé la vie de l’homme depuis le berceau jusqu'à sa tombe.
Le capitalisme contient et conduit à la guerre pour anéantir les propres richesses créées par le travail de la société. La guerre est devenue le mode de survie permanent du capitalisme qui ne paraît que capable de plonger l'humanité dans le précipice d'une 3ème guerre mondiale annoncée par les conflits impérialistes sur la scène du monde. Par les efforts déployés pour son armement, par sa politique munitionnaire, par ses expériences atomiques, par la construction de dizaines de centrales nucléaires, la France se place aux avant-postes de la préparation à la guerre.
La crise a précipité, non l'effritement, mais le renforcement des blocs. Elle a mis les pays de second ordre en demeure de choisir leur camp; elle a resserré les jeux diplomatiques des différentes nations.
Capitalisme affaibli par la dernière guerre mondiale, la France a payé du prix de son indépendance nationale le soutien logistique, économique et financier que lui assure la puissance nord-américaine. C'est pourquoi elle a dû rabaisser ses prétentions sur ses anciennes chasses-gardées d'Afrique Noire et de l'Indochine. Les Etats-Unis n'abandonnent qu'une maigre portion du marché mondial à son allié auquel est fixé un cadre d'exportation bien défini qui ne pourra aller qu'en se rétrécissant. Renault et Michelin ont rencontré d'énormes difficultés aux USA: les USA ne sont pas un marché pour la France.
En outre, les interdictions de survol de New-York par le Concorde ont frappé d'un rude coup toute l'aéronautique française. Sous la pression de l'Amérique, qui doit à tout prix contenir les forces du Pacte de Varsovie en Europe, la France a été quasiment contrainte d'accroître son budget militaire. La restructuration de l'armée française, l'abandon de son projet stratégique de "défense tous azimuts", la substitution de la technologie américaine pour la conception et la réalisation des centrales atomiques à la filière nationale "graphite-gaz", traduisent la soumission de la France au bloc de tutelle. Dans l'impossibilité de jouer sa propre carte en politique étrangère, la France voit ses intérêts généraux se confondre à ceux du bloc américain. Elle sera toujours plus soumise au diktat américain, renoncera à toute initiative diplomatique et militaire sans l'accord américain, et réintégrera l'OTAN.
Dans une deuxième partie, nous verrons comment la crise économique se répercute sur le plan politique, et sonne le branle-bas de combat contre la classe ouvrière pour les différentes fractions du capital.