Polémique: les failles du PCI sur la question du populisme (Partie I)

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

Dans le n° 523 de son journal Le Prolétaire daté de février/mars/avril 2017, le Parti communiste international (PCI) a publié un article : Populisme, vous avez dit populisme ?, dans lequel il aborde ce phénomène et sa montée en puissance actuelle et, sur la base de cette analyse, dans un second temps, entreprend une critique des analyses et des positions du CCI sur cette question. La première partie de notre réponse à cette polémique va se centrer sur les éléments d’analyse apportés par le PCI lui-même pour évaluer sa capacité d’expliquer le phénomène du populisme.

Le PCI se situe, il faut d’abord le reconnaître, par ses positions, dans la défense d’un point de vue de classe. Il démontre ainsi qu’il se situe toujours dans le camp du prolétariat et qu’il défend globalement les positions de la Gauche communiste.

Qu’est-ce que le populisme selon le PCI ?

Les camarades du PCI font justement remarquer :

– que les autres partis de la bourgeoisie instrumentalisent idéologiquement le populisme afin de rabattre les prolétaires sur le terrain électoral autour de la mystification de la “défense de la démocratie”. Nous sommes donc d’accord avec le PCI sur le fait que la fausse opposition entre populisme et anti-populisme est un piège idéologique dont se sert la bourgeoisie.

– que le plus grand danger pour la classe ouvrière n’est pas l’extrême-droite mais la gauche de l’appareil politique de la bourgeoisie : “(Le populisme) ne peut cependant pas remplacer le rôle contre-révolutionnaire infiniment plus puissant qu’a joué le réformisme classique (qualificatif donné par le PCI aux partis de gauche), solidement implanté dans la classe ouvrière, et de ce fait en mesure de la paralyser” et ces camarades sont assez clairs sur l’antifascisme, ce qui les démarque complètement des positions de l’extrême-gauche du capital. Ils ont ainsi dénoncé sans ambiguïté l’appel à voter Chirac en 2002 et lors des dernières élections, ils ont une nouvelle fois dénoncé la mystification électorale et démocratique.(1)

Le Prolétaire souligne aussi justement que la démagogie n’est nullement le propre du populisme, de même que les promesses électorales. Nous partageons indiscutablement le même terrain prolétarien.

Mais quelle est l’analyse du populisme avancée par le PCI ? Avant tout, il nous assure qu’il est de nature petite-bourgeoise. Pour cela, il s’appuie sur une citation de Marx tirée du 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte : “il ne faudrait pas s’imaginer platement que la petite bourgeoisie a pour principe de vouloir faire triompher un intérêt égoïste de classe. Elle croit au contraire que les conditions particulières de sa libération sont les conditions générales en dehors desquelles la société moderne ne peut être sauvée ni la lutte des classes évitée”. Cette caractérisation générale de la petite bourgeoisie reste parfaitement juste mais quel rapport, quel lien cela a-t-il avec le milliardaire Trump ? Avec les tenants du Brexit ? On n’en a aucune idée… Cela n’explique rien quant à la situation actuelle.

Le seul élément historique qu’il donne est sa référence au populisme russe du XIXème siècle. Là-encore, on ne voit pas du tout le rapport du populisme russe au XIXème siècle (les rapports entre la petite bourgeoisie intellectuelle et la paysannerie, les méthodes de cette petite bourgeoisie de l’époque orientées sur l’action individuelle et le terrorisme) avec le populisme actuel, sauf qu’au lieu de se référer à Trump, au Tea Party et aux courants d’extrême-droite actuels (le FN et d’autres fractions populistes d’extrême-droite en Europe), le PCI nous parle de populisme “en général”. Cela, en rejetant indistinctement et pêle-mêle dans la même poubelle “petit-bourgeoise” le populisme d’extrême-droite (Trump, Le Pen et les partisans du Brexit) ou encore les propagandistes zélés de la mystification démocratique bourgeoise (DRY ou les altermondialistes) avec d’authentiques réactions de classe aux questionnements prolétariens, certes encore influencées par des illusions sur la démocratie telles qu’elles se sont manifestées dans les mouvements d’Occupy ou des Indignados

Que peut-on tirer d’une telle confusion qui affirme que le populisme équivaut seulement à la petite bourgeoisie et se contente de plaquer schématiquement cette grille d’analyse sur la réalité en cherchant à traquer tout ce qu’ils pensent relever de l’idéologie petite-bourgeoise ? Rien ! Sinon qu’il traduit une absence totale d’analyse du phénomène du populisme et de son évolution historique pour comprendre à quoi il correspond dans la situation actuelle.

En lui substituant à l’analyse du phénomène populiste un placage de schémas tout faits, Le Prolétaire en arrive à des aberrations et des affirmations stupides, complètement déconnectées de la réalité : notamment quand il évoque l’existence d’une “aristocratie ouvrière” pour expliquer l’influence des thèmes populistes dans les rangs ouvriers. Cette “théorisation” faite par Engels, suivi par Lénine, était déjà une erreur en leur temps car elle visait à expliquer la propagation de l’idéologie bourgeoise (et non pas spécifiquement petite-bourgeoise) dans les rangs ouvriers. Par ailleurs, les ouvriers plus formés qui travaillent avec des meilleures conditions de vie et de salaire ne sont pas du tout ceux qui peuvent être les plus sensibles à l’idéologie populiste actuelle. Dans la réalité, ce sont au contraire ceux qui sont touchés de plein fouet par la crise et le chômage, comme dans les régions les plus sinistrées et ravagées (l’ex- bassin minier du Nord ou l’ancien bastion de la sidérurgie en Lorraine, là où le FN a fait une percée électorale), qui sont les plus perméables à l’idéologie et aux thèmes du populisme. La réalité contredit directement la thèse absurde du PCI sur le poids d’une “aristocratie ouvrière” dans la question du populisme aujourd’hui.(2)

Une vision schématique d’une bourgeoisie sans contradictions

Le Prolétaire voit ainsi le populisme comme une sorte de réaction rationnelle et mécanique de défense des couches petites-bourgeoises, de ses intérêts économiques particuliers, globalement compatible ou assimilable avec les intérêts du capital national. Cela l’amène à escamoter le problème, à le traiter complètement par-dessus la jambe. Le texte s’évertue même à montrer que le populisme ne pose pas le moindre problème à la bourgeoisie en utilisant comme critère un constat empirique, photographique à titre de “preuve” : ainsi, ils se réfèrent au fait que, juste après l’élection de Trump a été enregistrée une hausse record de la bourse de Wall Street (sur le même modèle, il avance comme argument-massue la réaction de la bourse de Londres après le référendum sur le Brexit pour affirmer que “les dirigeants de la bourgeoisie britannique ne pensent pas du tout que cette rupture est pour eux un grave problème”), en reprenant de façon schématique une vision erronée et dépassée du XIXème siècle, comme si les grandes orientations de la bourgeoisie se jouaient à la bourse alors que la bourse est le domaine par excellence d’une vision au jour le jour, à court terme, guidée par des intérêts de profits immédiats des capitalistes. C’est d’ailleurs pour cela que la classe dominante ne s’en remet pas à ce type d’institution mais fait dépendre son orientation des intérêts généraux de son État, de son administration, de ses “planifications”. En réalité, si l’élection de Trump a été immédiatement suivie d’une hausse boursière à Wall Street, c’est parce que ce dernier avait simplement annoncé qu’il allait réduire les impôts sur les sociétés, ce qui ne pouvait que recevoir un accueil favorable des actionnaires.

Un autre raisonnement développé par l’article ne tient pas davantage la route : Trump servirait en définitive les intérêts de toute la bourgeoisie, avec l’argument qu’il n’y a jamais eu autant de milliardaires dans un même gouvernement. Que le gouvernement Trump soit bourré de capitalistes les plus riches, et qu’il soit de nature capitaliste, cela ne fait aucun doute. Cela ne signifie pas pour autant qu’il garantit de servir au mieux les intérêts généraux du système capitaliste. On peut supposer que le PCI pense également que le Brexit servirait, en définitive, les intérêts du capital britannique. Mais on ne voit vraiment pas en quoi il le renforce et le PCI ne nous dit pas ce qui peut bien étayer cette affirmation.

Il est important de déceler ce que le PCI ne dit pas et les questions qu’il ne pose pas. Quelle est la stratégie poursuivie par la bourgeoisie américaine avec l’élection de Trump ? Quel est l’intérêt pour la bourgeoisie britannique d’avoir réalisé le Brexit ? Cela lui permet-elle d’avoir une force plus grande pour défendre ses intérêts économiques et impérialistes dans l’arène de la concurrence mondiale ? Le PCI ne dit rien de cela et n’apporte pas la moindre argumentation sérieuse là-dessus. Le PCI a certes raison d’affirmer que le nationalisme est, vu la concurrence entre États, un moyen privilégié pour chercher à resserrer les rangs derrière la défense du capital national, mais cela n’apporte aucune explication ni aucun cadre pour comprendre le phénomène du populisme et encore moins son développement actuel. Cela le rend inapte à rendre compte de nombreux phénomènes de la société actuelle et d’analyser leur évolution.

L’article du PCI est obligé de reconnaître du bout des lèvres que le populisme gêne ou inquiète une partie de la bourgeoisie mais il n’explique pas pourquoi quand il dit que “Sans doute quelques-unes de ses déclarations à l’emporte-pièce ont pu faire lever les sourcils parmi certains secteurs capitalistes : la menace de frapper les importations de taxes élevées serait un coup sévère pour nombre d’industries qui ont délocalisé une partie de leur production ou pour le secteur de la grande distribution. Mais on peut parier que les capitalistes à la tête de puissants groupes d’intérêts sauront le faire comprendre à leur collègue Trump.” De même que le PCI est obligé de reconnaître que les programmes des populistes “entrent sur certains points en contradiction avec les intérêts des grands groupes capitalistes les plus internationalisés”. Mais il voit cela comme un épiphénomène sans conséquences et il part du présupposé explicite que la bourgeoisie saura toujours utiliser ces contradictions pour en tirer profit et les surmonter. Il est clair que l’élection et la politique de Trump un an plus tard vont dans un sens totalement opposé aux prévisions du PCI selon laquelle la bourgeoisie saura faire entendre raison et mettre au pas les prétentions de Trump. A l’heure actuelle, une grande partie de la bourgeoisie américaine est plongée dans le désarroi et plusieurs secteurs, y compris dans son propre camp, essaie de trouver le moyen de le destituer ou tout autre recours pour le démettre de ses fonctions présidentielles. On assiste depuis un an à un discrédit croissant, à une dénonciation du manque de sérieux, de la politique erratique, incohérente et désordonnée menée par la première puissance mondiale au niveau international. Par exemple, la reconnaissance par Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël constitue, parmi d’autres, une illustration flagrante d’une politique internationale à l’emporte-pièce qui ne fait que jeter de l’huile sur le feu et qu’attiser la recrudescence d’une violence incontrôlée au Moyen-Orient. On assiste de même à un blocage des programmes et à une accumulation de contradictions sur les dossiers traités par l’administration Trump (y compris la remise en cause de “l’Obamacare”, le grand cheval de bataille de Trump), la valse incessante de destitutions et de changements de hauts fonctionnaires pour ne prendre que quelques exemples. En Grande-Bretagne, le Brexit pose depuis un an de graves problèmes à la santé du capital national, en particulier en affaiblissant et sapant considérablement sa puissance du fait de la fuite des capitaux internationaux qu’il provoque. Cela, alors que ce qui a toujours constitué le point fort de l’économie britannique était le secteur financier. Face à une succession d’échecs et d’initiatives contradictoires pour parvenir à un accord avec l’UE, Theresa May est de plus en plus fragilisée, ouvertement accusée par ses pairs d’incompétence, de manque de préparation et de confusion.

Cela ne signifie pas pour autant que la venue de Trump au pouvoir, pas plus que le triomphe du Brexit, vont porter des coups fatals au capitalisme, pas plus que cela n’empêchera les États-Unis ou la Grande-Bretagne de rester des États et des puissances impérialistes dominantes. Cela n’empêchera pas non plus la bourgeoisie d’essayer de canaliser les problèmes liés aux décisions populistes, et même d’utiliser et d’exploiter les manifestations ou les conséquences du poids du populisme pour pousser à un pourrissement idéologique dans les consciences et pour les diffuser au maximum dans les crânes des prolétaires, comme le poison du nationalisme ou celui de la défense de la démocratie. Mais le PCI, en se focalisant sur l’utilisation idéologique du populisme par la bourgeoisie (il est vrai que celle-ci ne se prive pas de retourner ces éléments contre le prolétariat) passe totalement à côté des problèmes posés par la dynamique générale que porte le capitalisme, du sens de cette évolution historique, celle de l’accumulation et de l’exacerbation des contradictions (y compris au sein de la bourgeoisie elle-même) et de l’enlisement de la société dans la barbarie, dont le populisme dans sa forme actuelle est l’une des manifestations les plus significatives. Par là-même, il sous-estime complètement les menaces, les dangers et les pièges (nationalisme, canalisation sur la fausse opposition populisme / antipopulisme, populisme ou démocratie), la désorientation et le déboussolement accrus, qui pèse sur l’identité de classe du prolétariat.

Les conséquences de la mise en œuvre de programmes et de politiques populistes au gouvernement sont totalement niées et ignorées suite à l’élection de Trump et au référendum sur le Brexit, comme si la bourgeoisie de ces deux puissances, bien que parmi les plus puissantes et expérimentées du monde, était immunisée et que les politiques menées et les orientations économiques prises depuis ces événements ne faisait courir aucun risque de conséquences désastreuses pour le capital national et mondial. L’exemple récent de la situation en Allemagne au lendemain des élections législatives et l’entrée pour la première fois au parlement du parti d’extrême-droite AfD (Alternative pour l’Allemagne) avec 87 sièges et 13,5 % des votes confirme encore une fois la tendance historique du développement du populisme. Ce phénomène en Allemagne est particulièrement fort dans les anciens bastions industriels, en particulier de l’ex-RDA, ce qui ne correspond pas à la vision très réductrice et fausse avancée jusqu’ici par le PCI.

“Rien de nouveau sous le soleil” : une vision figée de l’histoire

Au lieu d’analyser et d’expliquer la montée, le développement et la dynamique du phénomène populiste, le PCI s’obstine à dire qu’il n’y a dans le phénomène actuel du populisme “rien de nouveau sous le soleil”. Il n’a ainsi aucun cadre d’analyse. Pour lui, la question et la montée du populisme est quasiment une invention des médias, un simple instrument de propagande. Le populisme ne serait rien d’autre, comme il le dit au début de son article, qu’ “une orientation politique qui nie la division de la société en classes sociales” uniquement destiné “à faire perdre au prolétariat ses orientations de classe”. Ce qui est extrêmement réducteur et revient à dire que la montée en puissance du populisme correspondrait seulement à une manœuvre, montée et orchestrée de toutes pièces par la bourgeoisie contre la classe ouvrière.

Le PCI plutôt que d’expliquer un phénomène qu’il ne comprend pas, nie sa réalité et donne vraiment l’impression qu’il n’y a pas de réelles contradictions au sein de la bourgeoisie, comme si la bourgeoisie était une simple somme, un agrégat d’intérêts différents : des patrons, des actionnaires, des États, différents partis et candidats… Il y a chez lui la vision d’une bourgeoisie toute puissante, omnisciente et sans contradictions internes qui mettrait en avant telle ou telle carte en fonction de ses besoins et exclusivement dirigée contre la classe ouvrière, ce qui permettrait ainsi de détourner son mécontentement. Ce qui est paradoxal car en même temps qu’il met en avant ce besoin de mystification, le PCI reconnaît que la menace que fait peser la classe ouvrière sur la bourgeoisie est actuellement à un niveau très faible. Le problème, c’est que le PCI cherche à faire rentrer au chausse-pied non seulement le populisme mais aussi les situations nationales, comme leur évolution, dans un moule préétabli, dans des schémas tout faits, figés et “invariants” (comme il le revendique) sans parvenir à intégrer le moindre cadre d’analyse ni à saisir la réalité d’un mouvement. Il y a une incapacité du PCI à se livrer à une analyse lucide de la réalité.

Pourquoi attachons-nous une telle importance à la nécessité de comprendre au mieux le phénomène du populisme ? Parce que, dans ce débat où les divergences pourraient être prises pour la manifestation d’une simple querelle un peu byzantine ou une bataille inspirée par un esprit de défense de sa chapelle, chacun prêchant pour sa paroisse, une discussion de Café du Commerce ou un débat académique entre “cénacles intellectuels”, il s’agit en fait pour les organisations révolutionnaires de dégager avec quelle méthode on peut parvenir à la vision la plus claire et au plus haut degré de conscience des enjeux, de la dynamique et de l’évolution du capitalisme pour armer au mieux le prolétariat dans son combat de classe.

 

(A suivre…)

CB, 28 décembre 2017

 

1) Nous renvoyons le lecteur à leur article : Bilan des élections présidentielles : recomposition du théâtre politique bourgeois pour mieux défendre le capitalisme, Le Prolétaire, n° 524, mai-juin 2017.

2) Voir notre article : L’aristocratie ouvrière : une théorie sociologique pour diviser la classe ouvrière, dans la Revue internationale, n° 25 (1981).

 

Vie du CCI: 

Récent et en cours: 

Courants politiques: 

Rubrique: 

Débat dans le milieu politique prolétarien