Élections législatives : les gouvernements changent, le capitalisme demeure

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C’est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections. Puisqu’il s’agit de “choisir” quelle sera la meilleure équipe dirigeante pour gérer la nation au sein de l’arène mondiale. Et cette fois-ci, la bourgeoisie française a particulièrement bien réussi son coup : une campagne démocratique assourdissante faisant croire au “renouveau”, une majorité gouvernementale d’ores et déjà attelée à justifier les “nécessaires sacrifices” pour “moderniser et dynamiser l’économie française, un Président triomphant et plébiscité internationalement, Emmanuel Macron, armé d’un “nouveau parti” 1, “La République en marche !” et d’une majorité absolue au Parlement... Bref, la bourgeoisie française peut se féliciter et se targuer d’un renforcement de son dispositif étatique sur le plan politique et idéologique.

Cette réussite de la bourgeoisie française est d’autant plus retentissante que, presque partout, les autres bourgeoisies nationales sont en difficulté, gangrenées par leurs partis populistes dont la capacité à gérer efficacement et rationnellement l’intérêt du Capital est plus que douteuse. Pour preuves : la victoire du Brexit dans le plus vieux pays capitaliste du monde, la Grande-Bretagne et l’élection de Trump à la tête du plus puissant d’entre-eux. En France, le risque de l’arrivée au pouvoir du Front National devenait donc une préoccupation majeure pour les fractions les plus lucides de la bourgeoisie des pays occidentaux, en particulier face aux dangers d’éclatement de l’Europe, de remise en cause de sa monnaie, de ses institutions dont la France comme l’Allemagne constituent le cœur.

Démocratisme et citoyenneté : une expression de la domination bourgeoise

La tendance au rejet massif des partis traditionnels qui avaient gouverné pendant des décennies, l’indifférence croissante par rapport au jeu des institutions démocratiques bourgeoises devenaient un réel problème pour la classe dominante, pour sa capacité à défendre au mieux ses propres intérêts nationaux. Il s’agissait de mettre à l’écart les vieux politiciens usés et discrédités. La machine à propagande de la bourgeoisie a marché à plein régime : il fallait aussi que la bourgeoisie fasse apparaître un homme fringant et “moderne”, en apparence “neuf” et providentiel, ancien ministre mais sans “casseroles” politiques ou personnelles trop marquantes, disposant d’un nouveau parti au-dessus des “vieux clivages”, pouvant racoler à gauche comme à droite, ouvertement pro-européen, pratiquant une parité entre hommes et femmes... En d’autres termes : un “ravalement de façade” qui masque le fait qu’il ne peut qu’imposer les mêmes conditions de domination capitaliste aux exploités et à l’ensemble de la société. C’était aussi l’entame, essentielle pour ses besoins, d’une remise en ordre de marche de son appareil d’État grippé.

En réalité, l’idéologie démocratique n’est qu’une expression de la domination totalitaire du capital sur la société. La théorie selon laquelle les réformes de la machine et des institutions de l’État démocratique moderne permettraient une adaptation à la défense de tous les citoyens par les citoyens eux-mêmes est une fiction mystificatrice. Tant que la société est basée sur l’existence de classes aux intérêts radicalement antagoniques dont l’une exploite l’autre, la démocratie de l’État s’impose comme l’expression d’une domination de classe 2. La citoyenneté n’est qu’une abstraction mensongère cherchant à camoufler la réalité des conflits de classes. Participer aux élections, c’est se transformer en un citoyen impuissant livré pieds et poings liés à la propagande et aux discours officiels, aux intérêts et aux manipulations de la bourgeoisie.

Il est vrai que le taux d’abstention aux élections législatives est encore plus élevé que celui déjà significativement haut atteint au moment de l’élection présidentielle. A cela s’ajoute les non-inscrits et les votes blancs. Ce phénomène exprime certes une méfiance croissante envers les institutions bourgeoises. D’élections en élections, de désillusions en désillusions envers les politiques menées par les différents gouvernements, une partie importante du prolétariat a tout simplement boycotté ces élections. Et sur ce plan, le phénomène Macron n’a pas eu d’effet significatif. Toutefois, si cette réalité inquiète la bourgeoisie, elle ne constitue pas pour autant en soi un atout pour le prolétariat. La passivité, le repli, l’indifférence parfois à l’égard de la politique sont avant tout le produit d’un manque de perspective qui génère une impuissance, elle-même exploitée par la bourgeoisie pour tenter de culpabiliser les ouvriers et pourrir leur conscience. Se borner à refuser le cirque électoral n’est nullement une solution. Cela doit nécessairement s’accompagner d’une démarche consciente, d’une critique radicale de la société capitaliste, d’une action sur un terrain de classe.

“La République en marche !” pour défendre la nation bourgeoise

Le nouveau gouvernement, malgré les inquiétudes qu’il suscite déjà, peut maintenant se prévaloir de la légitimité des urnes pour passer à l’offensive contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Le gouvernement Macron a immédiatement lancé une politique parfaitement adaptée aux intérêts du capital français. Ceci est particulièrement spectaculaire sur le plan impérialiste et guerrier. La politique de la France en Afrique, comme au Mali par exemple, a été immédiatement soutenue et confirmée, sa participation à la guerre en Syrie et en Irak renforcée. Il semble même que Macron soit prêt à reconnaître le boucher Assad au nom de la realpolitik.

Quant à la relance du couple franco-allemand dans une situation de crise de l’Union européenne, elle se traduit pour l’heure par la tentative de renforcer le rôle de la France en Europe. La volonté affichée de Macron de redynamiser l’appareil politique de l’État français grâce à l’aura qu’il possède actuellement au niveau international, se heurte déjà à l’opposition de Merkel qui, si elle a été le soutien le plus actif de Macron durant toute sa campagne et si son élection a rassuré la bourgeoisie allemande n’est pour autant pas prête à accepter le pied d’égalité et le co-leadership entre les deux pays au sein de l’UE. Pour le moment, les seules mesures prises d’un commun accord consistent à renforcer davantage l’austérité en Grèce et la politique anti-migrants aux frontières de l’Europe...

Mais ce n’est pas seulement dans ces domaines que l’arrivée au pouvoir de Macron implique une évolution importante de la situation. Les médias bourgeois et la nouvelle majorité clament à tue-tête que le capitalisme français n’est pas assez compétitif, malgré les attaques précédentes et la loi El Khomri. Ces réformes, dans la bouche de la bourgeoisie, nous en connaissons le prix. Cela veut dire plus de taxes, un démantèlement accéléré de la protection sociale, plus d’austérité, plus de précarité, plus de flexibilité, plus d’exploitation. Après avoir prétendu faire du “nouveau”, le gouvernement Macron a déjà entrepris de ramener brutalement les exploités à la réalité de l’intensification de la dégradation de leurs conditions d’existence. C’est bien une paupérisation et une précarisation sans fin qui est programmée. Des attaques massives sont déjà annoncées et seront prises notamment au cours des vacances d’été.

L’importance prise par le mouvement La France insoumise, avec son leader charismatique Mélenchon et l’appui éventuel de nouveaux mouvements comme celui de Benoît Hamon, viennent renforcer cette capacité à faire passer les attaques en apportant leur caution “critique” et de prétendue “opposition”, témoignant d’un redéploiement des forces politique les plus éclairées au sein du capitalisme d’État. Mélenchon vient ainsi de prétendre qu’il apporterait à l’Assemblée nationale les revendications de la rue. Tout comme les syndicats qui eux aussi renforcent leur encadrement anti-ouvrier sur les lieux de travail.

S’il y a une leçon que la victoire de Macron nous donne à retenir, c’est qu’il ne faut jamais sous-estimer la capacité de la bourgeoisie à faire face aux aléas de la crise, à ses difficultés politiques. Le renforcement de l’exécutif par Macron, la réorganisation de l’État à laquelle nous assistons sont autant d’armes dans les mains de la bourgeoisie contre le combat historique du prolétariat.

Une seule perspective est possible et réaliste : celle de la révolution communiste

Même si le prolétariat n’a pas pour le moment la force de réagir du fait de son incapacité à se reconnaître comme force politique réelle, ayant une identité propre, celle d’une classe révolutionnaire en mesure de défendre une alternative au capitalisme, il lui faudra réagir et s’opposer à ce capitalisme pourrissant en renouant tout d’abord avec l’expérience de ses luttes. Même s’il n’est pas en mesure, dans la période actuelle, de s’élever sur son terrain de classe et de lutte pour s’opposer à la dégradation de ses conditions de vie, le combat de classe s’imposera à lui, comme cela s’est fait tout au long de l’histoire du capitalisme. Rappelons-nous qu’il y a 100 ans, le prolétariat a su prendre l’initiative de remettre en cause le système capitaliste avec la volonté de le renverser à l’échelle mondiale. Octobre 1917 en Russie, comme première étape d’une vaste vague révolutionnaire internationale, démontre que le prolétariat est historiquement capable de porter des assauts contre le capitalisme avec une démarche consciente et montre à la classe ouvrière d’aujourd’hui que la révolution est non seulement nécessaire mais possible. La réappropriation de cette mémoire est indispensable. Quoi qu’en disent les médias bourgeois, l’avenir de l’humanité n’appartient pas à des politiciens comme Macron et ceux de sa classe, pas plus qu’aux élections et autres assemblées parlementaires. L’avenir appartient en réalité à la lutte historique du prolétariat, au pouvoir des conseils ouvriers et au communisme. La révolution en Russie a été capable de mettre fin à la guerre impérialiste de 1914-1918 avant d’être finalement vaincue dans les années 1920. Mais elle reste un phare qui doit guider la lutte de classe dans la nuit du capitalisme. Tous ceux qui, au sein de la classe prolétarienne, cherchent à rejeter le système capitaliste et aspirent à transformer le monde radicalement doivent s’inscrire dès maintenant dans la perspective d’un combat de classe.

Pour cela, même si c’est difficile, il est nécessaire de se regrouper, de se rencontrer pour débattre et clarifier les immenses questions qui se posent à notre classe. La démarche consciente et la solidarité sont toujours une nécessité vitale pour le prolétariat afin de combattre toutes formes d’illusions démocratiques et s’armer politiquement en vue de résister aux attaques inévitables que ce gouvernement, comme les précédents, va asséner.

Stephan, 8 juillet 2017

1 Créé sous sa houlette un an à peine avant l’élection présidentielle.

2 Voir notre article “Élections et démocratie: l’avenir de l’humanité ne passe pas par les urnes”, Révolution internationale n° 463.

 

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