Scandale sanitaire à Flint (Michigan): le capitalisme est un poison

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L’eau est vitale à la vie, à l’humanité. Les deux-tiers de la planète sont recouverts par l’eau. Et pourtant… l’eau potable devient une denrée rare, précieuse, y compris dans les zones urbaines les plus développées. Vivre ou survivre en buvant un simple verre d’eau n’est plus chose aisée ! Et là, point de sécheresse ou désertification climatique comme dans beaucoup de zones arides africaines ou australiennes. Non, seules les pollutions industrielles ou agricoles sont en cause.

Le scandale de l’eau polluée de Flint, une petite ville du Michigan aux États-Unis, en est le dernier exemple en date. Les faits : en 2014, pour réduire ses coûts, la municipalité de Flint, plutôt que de continuer de l’acheter à la ville de Detroit, a décidé de puiser son eau dans la rivière locale, à la qualité douteuse. Après la découverte d’une bactérie, les autorités municipales entament un traitement chimique qui finit par ronger les conduites en plomb du réseau de distribution. Pendant un an et demi, entre avril 2014 et l’automne 2015, les habitants de cette ville de 100 000 habitants majoritairement noirs et pauvres ont utilisé et consommé cette eau contaminée au plomb. Malgré les plaintes à répétition, sans résultat, 87 cas de légionellose sont constatés dont 10 mortels, des milliers d’enfants sont contaminés avec risques de dommages irréversibles sur le système nerveux.

Le scandale sanitaire qui suit contraint Barack Obama à décréter une situation d’urgence, le président affirmant lui-même, la main sur le cœur : “Si j’étais en charge d’une famille là-bas, je serais hors de moi à l’idée que la santé de mes enfants puisse être en danger”. La mobilisation politique alors déclenchée est presqu’un exemple d’unanimité ! Le gouverneur de l’État du Michigan et l’administration municipale de Flint sont accusés de négligence et d’avoir fermé les yeux sciemment pendant des mois. Les appels à la démission se multiplient, à l’image de celui lancé par l’une des figures de Flint, le réalisateur de cinéma Michael Moore : Ce n’est pas seulement une crise de l’eau. C’est une crise raciale, une crise de la pauvreté”, lance le cinéaste, estimant qu’un tel scandale ne serait jamais arrivé dans une ville aisée et blanche du Michigan. Car Flint, ancien pôle industriel dans l’ombre de Détroit, a subi de plein fouet l’effondrement de l’industrie automobile, en particulier celles de General Motors (fondée à Flint en 1908). En un demi-siècle, Flint a perdu la moitié de ses habitants. Le taux de chômage y est aujourd’hui près de deux fois supérieur à la moyenne nationale et 40 % de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté.

Alors, ça y est : tout est dit ! Les responsables de la crise de l’eau sont trouvés : ils sont racistes et profitent de la misère des laissés-pour-compte pour faire des économies sur leur dos ! Voilà les coupables, les “méchants” !

Est-ce aussi simple ? Que ces autorités locales ou régionales portent une lourde responsabilité, c’est une évidence. En bons gestionnaires capitalistes qu’ils sont, toutes ces administrations se doivent de rentabiliser leurs comptes face à la crise. Et elles n’ont souvent pas d’états d’âme en la matière ! Mais l’État américain, comme tous les États capitalistes, s’est refait une virginité à bon compte : “Les coupables doivent être punis et la situation doit revenir à la “normale””, “Plus jamais ça !”. Ces mêmes phrases-type ont déjà été entendues à chaque scandale financier, sanitaire ou écologique dans le monde depuis des années et des années, ou même lors de tel ou tel épisode barbare, guerrier, terroriste sur l’ensemble de la planète. De Bhopal à Fukushima, en passant par le sang contaminé, l’Amoco Cadiz, l’usine AZF et des milliers d’autres épisodes, il faut toujours jeter des coupables à la vindicte pour tenter de calmer l’indignation et empêcher toute réflexion sur les causes profondes de tels scandales.

En l’occurrence, l’État américain, Obama en tête, se permet d’apparaître comme garant de la salubrité publique face à tous les margoulins ou politiques avides de profit ! Ils seraient donc les champions de la moralité et les chevaliers blancs de la qualité de vie ? On croit rêver… ou plutôt cauchemarder ! Ce sont les États qui, les premiers, réduisent les budgets de fonctionnement, les budgets sociaux, instaurent les programmes d’austérité, réduisent les populations au chômage de masse et les font tomber dans la précarité permanente. Qu’à cela ne tienne : il faut un coupable à sacrifier et surtout éviter que les États et le système capitaliste comme un tout n’en soient rendus responsables !

Cette logique cache en fait l’essentiel et c’est le but de la manœuvre : derrière chaque scandale ou catastrophe, il y a effectivement souvent la recherche du profit. Mais le principe du profit n’est pas l’apanage de tel ou tel bourgeois malintentionné ou corrompu : c’est la logique permanente d’un système aux abois, barbare, d’une classe bourgeoise qui ne vit que de la concurrence, du profit. Ce sont ses lois implacables, inhérentes du capitalisme.

Engels déclarait en 1845 déjà : “Je n’ai jamais vu une classe si profondément immorale, si incurablement pourrie et intérieurement rongée d’égoïsme que la bourgeoisie anglaise, et j’entends par là surtout la bourgeoisie proprement dite (…) Avec une telle rapacité et une telle cupidité il est impossible qu’il existe un sentiment, une idée humaine qui ne soient souillés (…) toutes les conditions de vie sont évaluées au critère du bénéfice et tout ce qui ne procure pas d’argent est idiot, irréalisable, utopique (…)” 1.

Rien n’a fondamentalement changé depuis. Au contraire. Avec la décadence du capitalisme depuis près d’un siècle, sa décomposition sur pied jour après jour, la recherche du profit pousse à la guerre de tous contre tous, au niveau planétaire comme au simple niveau local. Le capitalisme, est une catastrophe permanente. Et, pour survivre, il doit trouver à chaque épisode spectaculaire et désastreux, un responsable particulier, un bouc émissaire : un “mauvais choix politique”, un dirigeant pourri”, une “erreur humaine”, le “climat”, le “hasard”, la “folie”... Les États bourgeois, États-Unis en tête, se dédouanent ainsi à bon compte pour préserver leur monde en putréfaction.

Soyons clairs : il n’est pas question pour nous de défendre une analyse “fataliste” de l’histoire où tout serait écrit d’avance, où chaque catastrophe serait annoncée, inéluctable et banalisée. C’est même exactement l’inverse ! C’est la bourgeoisie elle-même, avec toutes ses variantes idéologiques, qui défend la “fatalité” de l’existence du monde capitaliste en nous poussant à nous y résigner ; il suffirait d’un peu plus de “bonne volonté” individuelle ou de faire confiance à un État “réellement démocratique” pour atténuer les effets de ces catastrophes inévitables, pour rendre ce “sort” plus tolérable.

Les partis de la gauche de l’appareil politique bourgeois se sont ainsi fait les champions de la “solution démocratique”. Le parti démocrate au pouvoir et les mouvances de gauche l’ont répétés à l’unisson : avec un État sincèrement à l’écoute des besoins du “peuple” tout irait pour le mieux : finis les scandales ! Finies les guerres ! Finie l’exploitation ! Mais la raison d’être de l’État est précisément la préservation des intérêts du capital, dont les profits sont à l’origine des scandales sanitaires en tout genre. Avec la “démocratie renouvelée”, la gauche capitaliste n’aspire qu’à anesthésier la classe ouvrière pour la rendre docile et renforcer son impuissance.

Le scandale de Flint, après bien d’autres, est l’occasion d’une nouvelle instrumentalisation politicienne de la part des démocrates bourgeois. Leur monde nous indigne toujours davantage et nous refusons la logique de mort au quotidien qu’ils défendent, celle des marchands et du système capitaliste qui est lui-même la catastrophe permanente. C’est bien ce système qui doit être renversé, radicalement, à l’échelle mondiale. Malgré les préjugés et des apparences contraires, les difficultés et le sentiment d’impuissance qui domine, la classe laborieuse, comme le disait Engels, reste la seule classe sociale apte à le faire. L’affirmation de la force collective internationale du prolétariat a en effet fait la preuve par l’histoire qu’elle pouvait renverser l’ordre établi et s’attaquer à la dictature du capital.

Stopio, 21 février 2016

1 La situation de la classe laborieuse en Angleterre.

 

 

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