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ICConline - février 2019

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Crise du Brexit: les divisions de la bourgeoisie n’aideront pas la classe ouvrière

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La classe dirigeante est dans le pétrin à propos du Brexit. Deux mois et demi avant l’échéance du 29 mars, le vote sur l’accord de retrait s’est soldé par un refus significatif avec un record de 230 voix contre. Le Parlement n’est pas le seul à être divisé sur la question : les partis travailliste comme conservateur le sont également. Tandis que le Parlement se bat pour exercer plus fortement son pouvoir sur le gouvernement (par exemple, le Président Berkow a autorisé le dépôt d’un amendement priant le Premier ministre de revenir au Parlement trois jours après avoir perdu le vote, muni d’un plan alternatif, alors que ce n’est pas conforme à la législation), Jacob Rees-Mogg, lui, a proposé que le Parlement soit suspendu. Deux mois avant l’échéance du Brexit, les entreprises se plaignent de l’incertitude sur ce qui risque de se passer, en particulier au cas où le pays sortirait de l’UE sans accord. Comment une telle situation a-t-elle pu frapper une bourgeoisie stable jusqu’ici, réputée pour le contrôle de son appareil politique ? Pour The Economist, “la crise dans laquelle se trouve la Grande-Bretagne reflète en grande partie les problèmes et les contradictions inhérents à l’idée même de Brexit” (19 janvier 2019). Mais cela n’explique guère pourquoi elle s’est exposée à ces problèmes et à ces contradictions, pourquoi le gouvernement Cameron, qui, malgré les divisions au sein du Parti conservateur, était fermement favorable au maintien dans l’UE, devait organiser un référendum pour ou contre, les deux partis étant d’accord pour accepter le résultat quel qu’il ait été. Quelque chose a changé lorsque le gouvernement de John Major1 a été confronté aux “bâtards” eurosceptiques qui ont rendu les liens avec l’UE plus compliqués, mais n’avaient jamais pu changer fondamentalement la politique de maintien dans l’UE. Depuis, nous avons assisté à la montée en puissance du populisme de droite à l’échelle internationale, avec son idéologie ultra-nationaliste, anti-immigration et “anti-élites”. Ce sont des thèmes clairement bourgeois, utilisés par les gouvernements de gauche comme de droite (rappelons la campagne du gouvernement Blair contre les “faux” demandeurs d’asile et l’infâme déclaration d’un “environnement hostile” face à l’immigration illégale par le gouvernement May). Mais les forces populistes sont irrationnelles et perturbatrices, comme nous l’avons vu en Italie avec l’actuel gouvernement populiste, aux États-Unis avec la présidence Trump et avec le Brexit. En France, le populisme a fortement influencé le mouvement des “gilets jaunes”. Le populisme a pris en Grande-Bretagne la forme majeure du Brexit et de l’UKIP2 et a trouvé un écho substantiel aussi bien dans le parti travailliste que dans le parti conservateur à cause des divisions apparues avec le déclin du Royaume-Uni, rétrogradé du statut de principale puissance impérialiste mondiale à celui de “second couteau” au cours des cent dernières années (voir le “Rapport sur la situation en Grande Bretagne, World Revolution, janvier 2019). Si la classe dirigeante se dirige vers le Scylla du Brexit, c’est avant tout pour éviter le Charybde du populisme.

La classe dominante est poussée sur les rochers du Brexit par la marée du populisme

Chaque parti peut critiquer l’accord de retrait de May. Les brexiters n’apprécient pas que les réglementations britanniques soient alignées sur celles de l’UE, pour éviter une frontière irlandaise trop imperméable (certains se satisferaient d’une absence d’accord). Corbyn veut faire l’impossible en maintenant une union douanière avec l’UE tout en évitant la libre circulation des travailleurs ; certains pro-Européens souhaitent un nouveau “vote populaire” dans l’espoir d’abandonner le Brexit. Yvette Cooper demande un délai afin que le gouvernement et le parlement trouvent un accord. Quelques brexiters “durs”, tels que Rees-Mogg, se sont exprimés pour défendre la possibilité d’un nouvel accord. Mais, au cas où l’accord ne serait pas réalisé, la décision finale reviendrait, non pas à la Grande-Bretagne mais aux 27 pays de l’UE.

L’incertitude règne au sein de la bourgeoisie. Les entreprises ont besoin de stabilité pour pouvoir se projeter. Les responsables du département de la santé, le NHS, se concertent sur la gestion de l’approvisionnement en médicaments. La Confédération britannique de l’industrie met en garde contre un no deal, qui entraînerait une perte de 8 % du PIB, et la directrice générale, Carolyn Fairbairn, a déclaré : “Lors des réunions à Davos, on a reconnu que les causes de la vulnérabilité de l’économie mondiale incluent désormais le Brexit” (The Guardian, 24 janvier 2019). Elle a poursuivi en soulignant que cela conduisait à une dévalorisation du label “Royaume Uni” sur le marché mondial et a souligné la nécessité de ne pas sortir de l’UE sans accord afin de protéger les emplois et les investissements. Les entreprises, y compris le NHS, ont en effet besoin d’une politique d’immigration post-Brexit pour assurer l’entrée dans le pays de travailleurs de l’UE acceptant des salaires inférieurs à 30 000 £.

L’insistance de l’UE pour garder ouverte la frontière irlandaise, ce qui cause beaucoup de tourments aux brexiters qui ne veulent pas s’aligner sur les réglementations européennes, est un des piliers de l’Accord du Vendredi Saint.(3) Étant donné que le partage du pouvoir est en panne depuis des mois, que le DUP4 et le Sinn Fein n’arrivent pas à se mettre d’accord, la frontière est la seule chose qui reste acquise. Comme pour rappeler à tout le monde ce qui est en jeu, la nouvelle IRA a fait exploser une voiture piégée devant un tribunal de Derry le 19 janvier 2019.

Le problème du Brexit est en train de creuser les divisions au sein des partis conservateur et travailliste. L’aile dure des brexiters est plus visible chez les conservateurs. Cependant, il ne faut pas oublier qu’en 2016, un vote de défiance envers Jeremy Corbyn a été organisé par le groupe parlementaire du Parti travailliste à cause de son attachement à l’Europe. Il a été largement blâmé pour le résultat du référendum. Les divisions au sein du Parti travailliste ont même menacé son unité en 2016 et les élections de 2017 ont réconcilié provisoirement le Parti travailliste progressiste (PLP) avec Jeremy Corbyn. Les difficultés du Parti travailliste ne sont pas surprenantes quand on regarde ce qui se passe en Europe : les partis socialistes en France et en Espagne ont été largement éclipsés respectivement par La France Insoumise et Podemos ; on a vu également en Allemagne la mauvaise performance du SPD après des années de grande coalition autour d’Angela Merkel.

Une des raisons pour lesquelles Theresa May a persisté à refuser d’organiser un deuxième référendum, malgré l’impasse dans lequel se trouve l’accord de sortie de l’UE, l’affaiblissement de l’économie britannique, comme de sa place dans le monde et la probabilité d’un revirement d’opinion est essentiellement la peur que cela n’entraîne une méfiance envers la démocratie et que cela n’ouvre la porte à une agitation sociale influencée par le populisme.

Les divisions de la bourgeoisie utilisées contre la classe ouvrière

Alors que le gouvernement craint plus que tout le populisme, il est “l’organe exécutif” d’une classe capitaliste qui n’oublie jamais la menace que représente la classe ouvrière. On l’a bien vu quand le parti travailliste s’est temporairement réconcilié avec Jeremy Corbyn, suite au résultat meilleur que prévu des élections, qui avait montré sa capacité à mobiliser un nombre non négligeable de jeunes ouvriers jusque-là indifférents à la politique. On le voit aussi quand Theresa May, après avoir perdu le vote concernant l’accord sur le Brexit, a essayé de rencontrer toutes les personnalités politiques importantes pour discuter des prochaines étapes, notamment la secrétaire générale du Trades Union Congress, Frances O’Grady et les dirigeants de UNITE, GMB et UNISON. Non pas que les syndicats parlent pour la classe ouvrière (ils ne le font pas). Ils jouent pleinement leur rôle, celui de comprendre l’état d’esprit des travailleurs, jauger jusqu’où ils peuvent supporter l’austérité et les licenciements avant de réagir et cantonner les luttes dans des limites acceptables. Le fait que les syndicats aient été consultés et que May ait eu tant à cœur de préserver les droits des ouvriers montre que la bourgeoisie n’oublie pas le fossé existant entre les deux classes, malgré son souci immédiat du populisme.

Ce serait une grave erreur, cependant, de croire que le désarroi de la classe dominante face au populisme soit un atout pour la classe ouvrière. Actuellement, le nombre de grèves est historiquement au plus bas et la classe ouvrière a même du mal à se reconnaître en tant que classe. Elle risque de se faire avoir et de tomber dans le piège de la division selon les lignes des différentes idéologies mises en avant par la classe dominante. Aucune de ces idéologies, favorables ou non au Brexit, pour un nouveau référendum ou le vote du Parlement, n’a quelque chose à offrir à la classe ouvrière. Quelle que soit l’issue du Brexit, la crise économique continuera à s’approfondir et toutes les fractions de la bourgeoisie seront obligées de réagir avec des mesures d’austérité et de nouvelles attaques. Le résultat d’un nouveau référendum sera à coup sûr rendu responsable de cet état de fait, même si des attaques similaires ont lieu dans d’autres pays à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE.

Afin de résister aux attaques, les ouvriers doivent s’unir et lutter ensemble. Le capital ne peut que nous diviser : les tenants du “non” contre les tenants du “oui”, “classe ouvrière blanche” au Nord contre “classe ouvrière cosmopolite” à Londres ; les vieux contre les jeunes qui doivent vivre avec les conséquences du vote, les “natifs” contre les “migrants”.

N’oublions pas que le camp travailliste comme celui des conservateurs sont tous les deux favorables à l’alignement de la politique d’immigration sur les besoins du capital, tous les deux sont également capables de rejeter la responsabilité du manque d’écoles et de services de santé sur les “nouveaux arrivants” après les avoir surexploités pendant des décennies. Avant tout, nous ne devons pas nous laisser embarquer dans les campagnes pour ou contre le populisme.

Le nationalisme ouvert et la volonté évidente de diviser les travailleurs entre “natifs” et “migrants” montrent le danger de se faire happer par le populisme (voir l’affiche de l’UKIP montrant des migrants en Europe afin de faire peur aux gens et de les inciter à voter “non”). Au niveau international, on peut voir la même chose en Allemagne avec l’AfD, aux États-Unis avec Trump et ses “bad hombres”, et en Italie avec le refus d’accueillir les migrants. On voit les mêmes thèmes en France avec les manifestations des “gilets jaunes” qui ont commencé une “révolte populaire” qui sape, en réalité, la capacité des ouvriers à lutter. L’explosion de colère légitime des “gilets jaunes” contre leurs conditions de vie misérables a été noyée dans un conglomérat interclassiste de soi-disant citoyens individuels et libres. Le rejet des “élites” et de la politique en général les rend particulièrement perméables aux idéologies les plus réactionnaires, notamment la xénophobie d’extrême-droite.

La division que nous impose le populisme n’implique pas que nous devrions tomber dans l’anti-populisme, avec ses illusions sur la démocratie libérale, ou nous rallier au Parti travailliste qui a aussi attaqué la classe ouvrière chaque fois qu’il était au gouvernement (même le gouvernement Atlee avec sa création du service de santé, le NHS) et restreint l’immigration quand le capital n’avait pas besoin de main-d’œuvre supplémentaire. Nous ne devons pas nous laisser aller à soutenir un mensonge idéologique de l’État capitaliste contre un autre. Avant tout, nous devons éviter de fustiger la partie de la classe ouvrière sur laquelle pèse fortement le poids du populisme ; nous devons nous rappeler que, que l’on soit victime du chômage dans une zone industrielle délabrée, embauché à zéro heure de travail par jour dans une des nouvelles entreprises Internet, coincé par les dettes en tant qu’étudiant ou obligé de vivre avec une pension de retraite en baisse, etc., nous faisons tous partie de la même classe. L’État capitaliste et toutes ses forces politiques sont notre ennemi.

Alex, (26 janvier 2019)

D’après World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne

1Premier ministre entre 1990 et 1997 (NdT).

2Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni, fondé en 1993 et rassemblant dès cette époque les franges les plus hostiles à l’Union Européenne qui a connu un succès historique devant les partis « traditionnels » aux élections européennes de 2014 avec 27, 49 % de voix et 27 députés sur 73 (NdT).

3L’Accord du Vendredi saint, (ou accord de Belfast) signé en 1998, avait mis fin à trente années de conflits sanglants en Irlande du Nord (NdT).

4Democratic Unionist Party : fraction protestante traditionnellement « dure » en Irlande du Nord qui, depuis plus d’une décennie, cogère et prône, au sein d’une alliance avec les Tories, le maintien de l’Ulster dans le Royaume-Uni (NdT).

 

 

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [1]

Récent et en cours: 

  • Brexit [2]

Rubrique: 

Vie de la bourgeoisie

Il y a 90 ans… le voyage de Tintin au pays des staliniens

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Avant d’apparaître sous forme d’album, les aventures de Tintin, créées par Hergé, étaient publiées dans la presse catholique belge. C’est ainsi que le célèbre reporter à la houppette fit ses débuts, le 10 janvier 1929, dans le supplément jeunesse du journal ultraconservateur : Le Vingtième Siècle, dirigé par un curé antisémite et admirateur de Mussolini, Norbert Wallez.

Armé d’un pamphlet “anticommuniste” (Moscou sans voiles), en guise de guide touristique, Hergé, dans son premier album Tintin au pays des soviets, choisit d’envoyer son jeune reporter affronter d’innombrables dangers dans ce territoire hostile qu’était la Russie stalinienne. C’est sans doute le contexte de la très pieuse Belgique du début du XXe siècle, et son entourage de bigots peu fréquentables, qui firent naïvement confondre au jeune reporter la barbarie de l’État stalinien et les authentiques révolutionnaires bolcheviks de 1917.

Sans cesse pourchassé par la police secrète de Staline, Tintin crut ainsi identifier derrière chacune de ces brutes, un communiste. Un indice aurait pourtant pu mettre le vaillant reporter sur la bonne piste : les barbouzes sanguinaires étaient déjà une spécificité de tous les États capitalistes, y compris de la démocratique Belgique. Alors que la contre-révolution triomphait après la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-1923, les véritables communistes, eux, furent inlassablement pourchassés. Ce fut le cas, entre autres, de Léon Trotsky, stigmatisé comme persona non grata dans la Russie stalinienne avant d’être sauvagement assassiné par un agent de la Guépéou.

Les mêmes préjugés semèrent le trouble dans l’esprit de Tintin lorsqu’il assista à un simulacre de soviet où trois apparatchiks se firent réélire “à l’unanimité” en terrifiant la foule. Tintin crut, là encore, assister à un véritable conseil ouvrier. Dans Dix jours qui ébranlèrent le monde, un autre reporter plus lucide, John Reed, a pourtant donné une image saisissante de ce qu’étaient réellement les soviets : des organes révolutionnaires débordant de vie, de débat et d’audace !

Le pauvre Tintin crut encore découvrir par hasard “la cachette où Lénine, Trotsky et Staline ont amassé les trésors volés au peuple”. Dans cette base secrète, Staline entassait, semble-t-il, “d’immense quantités de blé” à exporter “pour attester de la soi-disant richesse du paradis soviétique”. Rien à voir, donc, avec la solidarité et le dévouement des prolétaires en Russie qui, pour soutenir la révolution en Allemagne en 1918 et leurs frères de classe, acheminèrent par train d’énormes quantités de blé vers la frontière. Cela, alors qu’ils étaient soumis de fait à un blocus des armées blanches et de l’Entente qui générait déjà de nombreuses privations.

Dans ses aventures russes, nul doute que Tintin s’est fourvoyé par naïveté, victime de la propagande anticommuniste de la bourgeoisie qui n’a cessé d’identifier Staline à Lénine. Mais Hergé a été néanmoins capable de jeter sur son travail un regard critique. Voici ce qu’il déclarait en 1971 : “Pour “Tintin au Congo”, tout comme pour “Tintin au pays des soviets”, j’étais nourri des préjugés du milieu bourgeois dans lequel je vivais.” Et d’ajouter : “Si j’avais à les refaire, je les referais tout autrement, c’est sûr.” (1) Ce jugement fut probablement l’une des raisons qui poussa Hergé à ne pas coloriser cette première aventure de Tintin et à empêcher toute republication.

C’était sans compter les “conseillers en communication”, les “responsables du marketing”, tous ces moussaillons, ces bachi-bouzouks et ces bougres d’ostrogoths qui s’occupent de l’image de Tintin depuis sa mise au placard en 1983 ! Contre la volonté d’Hergé qui voulait que Tintin au pays des soviets reste en dehors de la véritable série, Casterman réédite l’album pour les 70 ans du reporter.

Mais c’est en 2017, à l’occasion du centenaire de la Révolution russe, que l’éditeur belge décide de contribuer davantage à la campagne assimilant le stalinisme au communisme : l’album est imprimé en couleur. Le reportage de Tintin se prête évidemment à une telle propagande. Mais le silence de Casterman face à la critique qu’Hergé lui-même avait faite de son premier album, relève de la pure malhonnêteté. Si Tintin était encore en activité, nul doute qu’il dénoncerait fermement de tels agissements !

SC, 27 janvier 2019.

1Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé (1971).

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Campagnes idéologiques

Le Brésil entre dans la tourmente

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Crise économique, spectre d'une répression aggravée, approfondissement de la misère, envolée de l'insécurité, attaques anti-ouvrières profondes en prévision, menaces de guerre, risques de chaos liés à la personnalité même du nouveau président, Bolsonaro, qui a pris ses fonctions le 1e janvier 2019. Au-delà de la personne de Bolsonaro qui symbolise à lui seul ce que l'époque que nous vivons peut produire de plus sinistre et répugnant, il est une loi dont on peut être sûr qu'elle va encore être vérifiée : quelle que soit l'étiquette politique du nouveau président et de ses ministres, quelle que soit sa personnalité, celui-ci ne manquera pas de faire payer aux exploités, plus encore que ses prédécesseurs, la crise du capitalisme qui ne fait que s'approfondir.

Face à tous ces périls, seule la classe ouvrière, à travers ses luttes de résistance est à même de s'opposer à la logique de mort du capitalisme et d'ouvrir une autre perspective. Tout en partageant les difficultés du prolétariat mondial à se reconnaître comme classe aux intérêts antagoniques à ceux du capitalisme, c'est en s'appuyant sur des expériences de lutte d'un passé parfois récent que le prolétariat devra riposter à des attaques qui s'annoncent drastiques, et ce, dans le contexte social très difficile d'une société en décomposition[1]. Mais plus la conscience du prolétariat sera libérée de toutes les tromperies et mystifications de la classe bourgeoise, de droite comme de gauche, plus son combat pourra se renforcer, et plus il lui sera possible, dans le futur, de réaffirmer explicitement le but de ce combat, l'instauration d'une autre société sans classes ni exploitation.

L'enfer brésilien de la délinquance et les remèdes de Bolsonaro

La délinquance et la criminalité sont évidemment fondamentalement la conséquence de la misère économique et morale de la société, produit du pourrissement sur pied de la société capitaliste. Ses niveaux actuels rendent la vie quotidienne invivable dans certains pays d'Amérique latine comme le Honduras et le Venezuela ; ils y constituent souvent la première cause d'émigration massive et sauvage. La situation s'est gravement détériorée sur ce plan au Brésil ces dernières années, propulsant le pays, et certaines de ses villes en particulier, très haut dans le classement mondial de la criminalité. Les statistiques ci-dessous donnent une idée concrète de l'enfer quotidien auquel sont exposées les parties de la population les plus défavorisées.

"Le Brésil est l'une des capitales mondiales de l'homicide, avec 60 000 homicides par an sur une population de près de 208 millions d'habitants. Chaque année, 10 % des personnes tuées dans le monde sont des Brésiliens.  Près de 50 millions de Brésiliens âgés de 16 ans ou plus - soit près d'un tiers de la population adulte - connaissent quelqu'un qui a été assassiné, selon une recherche menée pour "Instinto de Vida" (Instinct de vie) (…). Près de 5 millions de personnes ont été blessées par des armes à feu et environ 15 millions connaissent quelqu'un qui a été tué par la police, l'une des forces les plus meurtrières du monde." (Brazil’s biggest problem isn’t corruption — it’s murder [3] ; Le plus grand problème du Brésil n'est pas la corruption, c'est le crime)

"Selon une autre étude, le taux d'homicides en 2017 est de 32,4 pour 100 000, avec 64 357 homicides. En 2016, le Brésil a enregistré un nombre record de 61 819 meurtres, soit 198 meurtres par jour en moyenne, soit un taux d'homicides de 29,9 pour 100 000 habitants. Sept des vingt villes les plus violentes du monde sont au Brésil en raison de l'augmentation de la violence dans les rues." (Crime in Brazil [4] ; La criminalité au Brésil).

La criminalité et l'insécurité croissantes plongent des parties de plus en plus importantes de la population dans une impasse totale, dans le désespoir le plus profond. Ce fléau qui ronge la société n'a pas de solution possible sous le capitalisme, même pas la moindre possibilité d'atténuation[2].

Dans la campagne électorale de Bolsonaro figuraient, en priorité de ses promesses, la lutte contre la violence et corruption. Il s'engageait à les "combattre radicalement", à travers des mesures qui portent lourdement la marque de fabrique du personnage. Derrière ses promesses électorales déclarant la guerre à la criminalité, la perspective réelle est en fait celle d'une aggravation de la barbarie. Tirant le bilan critique des politiques menées jusqu'alors, il s'exprime en ces termes : "on ne combat pas la violence avec des politique de paix et amour", il faut donc "accroître la performance de la police", "doubler le nombre de personnes tuées par la police". On imagine le carnage en perspective alors que, "de 2009 à 2016, 21,9 mille personnes ont perdu la vie suite à des actions de la police. Presque toutes sont des hommes entre 12 et 29 ans, les 3/4 sont des Noirs."  (Guaracy Mingardi, ex- spécialiste des questions de sécurité et secrétaire national de la Sûreté Publique, dans un entretien au HuffPost Brasil).

En fait, non seulement la criminalité ne sera pas réduite mais les victimes de la police vont augmenter. Et les premières victimes en seront d'abord ceux des quartiers miséreux qui sont déjà les premiers à souffrir de la délinquance[3].

Il y a de plus tout à craindre que l'accentuation de la violence ne soit pas seulement le fait des délinquants ou de la police mais aussi de la part de ce sinistre et classique appendice de l'extrême-droite que sont les bandes recrutées parmi le lumpen, qui existent au Brésil depuis longtemps.

Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, Bolsonaro a d'amblée pris une "mesure forte" consistant à nommer comme ministre de la justice l'ex-juge anticorruption Sergio Moro, formé par la CIA pour l'opération "Lava Jato" (de 2014 à 2016) qui a ciblé particulièrement certaines personnalités politiques tout en épargnant d'autres tout autant corrompues, voire plus.

Pourquoi Lula a-t-il été écarté de la vie politique et Bolsonaro a-t-il été élu ?

L'élection de Bolsonaro s'inscrit dans la dynamique globale, vérifiable à l'échelle internationale, à l'ascension de "leaders forts et d'une rhétorique belliqueuse", comme l'avait caricaturalement illustré, par exemple, l'élection de Duterte aux Philippines. C'est là une conséquence de la décomposition du capitalisme, empêtré dans ses contradictions inextricables. Le phénomène est on ne peut plus palpable au Brésil, à travers l'insécurité et la criminalité, et les peurs que cela engendre font le lit de l'ascension au pouvoir de personnages comme Bolsonaro.

Néanmoins, pour important qu'il soit, ce facteur n'a pas été déterminant dans l'élection de Bolsonaro. Et la preuve en est qu'un autre candidat, qui a été le meilleurs politicien au service du capital national brésilien depuis Vargas, aurait été, selon tous les sondages, élu au premier tour des élections, s'il avait effectivement pu se présenter, et cela malgré l'accusation de corruption qui le visait. Il s'agit de Lula, qui a été mis et maintenu en prison pour éviter qu'il ne se présente.

Comment expliquer la persistance d'une telle popularité de Lula ? Tout simplement par le fait qu'il n'est pas apparu comme étant aussi véreux que tous les autres politiciens en lice pour les élections et venant de tous bords. Ce qui est plus précisément apparu, et qui est conforme à la réalité, c'est que l'accusation et la sanction à son encontre avaient été particulièrement sévères, compte tenu des charges retenues contre lui et en comparaison avec le sort réservé à d'autres hommes politiques immergés dans les scandales et qui s'en sont très bien sortis, comme Michel Temer du PMDB (Partido do  Movimento Démocratico Brasileiro) et Aécio Neves du PSDB, par exemple.

Le très bon score de Lula dans les sondages ne signifie pas que son image ne s'était pas érodée au fil du temps, au sein de la classe ouvrière notamment, à cause des attaques antiouvrières qu'il a portées durant ses deux mandats successifs[4]. Mais il est largement apparu comme un moindre mal, compte-tenu de sa stature, face à tous les autres candidats. Sa popularité était plus grande que celle de son propre parti, le PT (Parti des travailleurs), ce dont souffrira le candidat qui sera présenté par ce parti une fois que Lula aura définitivement été mis dans l'impossibilité de se présenter. En effet, alors que Lula aurait battu Bolsonaro au premier tour, Haddad, le candidat du PT, a été largement battu par Bolsonaro au deuxième tour. Cette différence entre Lula et le PT n'est pas étonnante, quand on sait que, durant trois mandats successifs, ce dernier a été mouillé dans beaucoup d’affaires de corruption mais également a soutenu toutes les politiques d'austérité : celles de deux mandats de Lula et celles encore plus drastiques de Dilma Rousseff, lors de son premier mandat et des quelques mois de son second mandat avant qu'elle ne soit destituée[5].

Le contraste est frappant entre l'habilité politique de Lula d'une part et l'incapacité notoire qui semble affecter Bolsonaro d'autre part. Pourquoi la bourgeoisie réserve-t-elle donc un tel sort à l'un des siens alors qu'il fait figure à ce jour de principal acteur (durant ses deux mandats de 2002 à 2010) de l'émergence du Brésil sur la scène internationale et du deuxième miracle brésilien[6]. En fait, l'éviction de Lula faisait partie d'une stratégie au sein de laquelle les États-Unis ont joué un rôle majeur et visant à ramener le Brésil sous leur influence directe, alors que la 7e puissance économique mondiale n'avait cessé de se dégager de celle-ci depuis le premier mandat de Lula (Les gouvernements qui l'ont précédé étaient totalement soumis aux États-Unis).

Après la dissolution du bloc occidental, le Brésil s'émancipait de la tutelle des États-Unis

Depuis bien longtemps avant la formation des deux blocs antagoniques rivaux après la Deuxième Guerre mondiale, respectivement l'américain et le russe, l’Amérique latine avait constitué le pré carré des États-Unis jusqu'à ce que, avec l'effondrement du bloc de l'Est, celui de l'Ouest disparaisse à son tour. Jusqu'en 1990, l'Oncle Sam pouvait défendre avec efficacité sa chasse gardée contre toute tentative d’intrusion du bloc impérialiste rival. De la même manière, il intégrait les différents pays du continent sud-américain dans des réseaux d’accords commerciaux bi- ou multilatéraux bénéficiant en premier lieu aux États-Unis. Pour servir ses intérêts, l'Oncle Sam faisait et défaisait à sa guise les gouvernements en instaurant, par exemple, des dictatures d'extrême-droite pour lutter contre toute tentative d'instauration de gouvernements de gauche pouvant relayer l'influence du bloc adverse. Ce fut le cas en particulier en Argentine, au Chili et au Brésil dans les années 1960 et 70. De la même manière, lorsqu'une telle menace s'éloignait, les États-Unis pouvaient aussi bien appuyer le processus démocratique mettant fin à une dictature. Ce fut le cas au Brésil en 1984 pour obtenir d'un gouvernement démocratique qu'il mette un terme aux excès de rigidité dans la gestion du capital national de la part de l'État dirigé par les militaires, le rendant ainsi plus propice à la pénétration américaine[7]. C'est d'ailleurs cette gestion de l'État par les militaires qui avait alors inspiré Bolsonaro quand, en 2000, il défendit l'idée que soit fusillé le président Fernando Henrique Cardoso pour avoir privatisé", alors qu'il s'agit à présent d'une mesure phare de son gouvernement.

Suite à la dissolution du bloc de l'Ouest, le Brésil, comme d'autres pays d'Amérique du Sud ou dans le monde, a mis à profit le relâchement de la pression des États-Unis pour jouer sa propre carte géopolitique. Ainsi, il a pu prendre des distances vis-à-vis des États-Unis sur le plan économique comme politique. En effet, durant toute la période correspondant à la présidence Lula (2003-2006 ; 2007 – 2010), le pays s'est distingué par un développement économique important mais aussi par certaines prises de position politiques opposées à celles des États-Unis. En particulier, l'opposition du gouvernement Lula fut cruciale pour faire avorter en 2005 le projet nord-américain ALCA (zone de libre-échange des Amériques), accord multilatéral de libre-échange qui couvrait tous les pays du continent américain, à l'exception de Cuba. Une telle opposition s'est également manifestée à travers la promotion de pays non alignés sur les États-Unis, en Amérique latine et ailleurs. Ainsi, en 2010 le Brésil s'opposait aux États-Unis sur la question de l'Iran. En même temps, ce pays établissait des relations économiques internationales (BRICS) qui fortifiaient son indépendance vis-à-vis des États-Unis. Fait marquant de cette trajectoire de distanciation par rapport aux États-Unis, la Chine est devenue, en avril 2009, le premier partenaire commercial du Brésil, à la place des États-Unis.[8] Ce faisant, le Brésil acquérait une position de plus en plus hégémonique sur tout le continent sud-américain, grâce à sa puissance économique et diplomatique. Si bien que, durant le gouvernement Lula, le Brésil devint le principal concurrent des États-Unis dans la région. Concurrent, mais pas ennemi déclaré. En fait, Lula a su établir des relations avec à la fois les États-Unis et la Chine, mais favorisant clairement la Chine, d'autant plus aisément que ce puissant "partenaire" était éloigné géographiquement, contrairement aux États-Unis.

Certaines "tricheries" qui furent aussi un "talon d'Achille" de la montée en puissance du Brésil

Expression et facteur de la montée en puissance du Brésil au niveau économique, de grandes entreprises brésiliennes, dynamisées par des investissements de la part des banques d'État[9], se sont imposées sur la scène internationale notamment dans  les secteurs de l'énergie, l'alimentation, la construction navale, l'armement, les services, etc...

Parmi celles-ci figuraient Petrobras (production de pétrole et dérivés), BRF (production de protéines animales, viande et dérivés), Odebrech (construction lourde, armement et services rendus à Petrobras), … Ainsi, par exemple, grâce à un financement public intensif, la BRF est devenue le principal producteur et exportateur de protéines animales dans le monde, présent dans plus de 30 pays. La multinationale brésilienne, Odebrecht (12e entreprise mondiale), qui avait des activités dans presque tous les pays d'Amérique du Sud, dans quelques anciennes colonies portugaises en Afrique et même au-delà, a quant à elle certainement constitué un vecteur important de la pénétration économique du Brésil hors de ses frontières en Amérique du Sud.

Par ailleurs, des mesures protectionnistes étaient également à l'œuvre visant à imposer la présence des entreprises brésiliennes en différentes circonstances : coopération obligée des firmes étrangères venant extraire du pétrole sur le territoire brésilien avec les firmes brésiliennes ; toute fourniture au Brésil de biens d'équipement devant nécessairement intégrer des composants fabriqués au Brésil, dès lors qu'ils existaient ou pouvaient exister au catalogue.

Un autre type de mesure protectionniste favorisant les grandes entreprises brésiliennes était également mis en œuvre, "illégal" celui-ci, même s’il est pratiqué partout dans le monde. Odebrecht, par exemple, avait un service spécialisé dans l'attribution des pots-de-vin pour l'obtention des gros contrats, et cela dans tous les pays où elle opérait. Cette entreprise, de même que d'autres dont  AOS, se sont organisées en cartel dans le BTP, rétribuant les cadres du groupe public pétrolier Petrobras et des politiciens complices, par le biais de surfacturations estimées entre 1 % et 5 % de la valeur des contrats. Il s'était mis en place un système de détournement de fonds de plusieurs milliards de Reais (réaux, le réal étant la monnaie brésilienne) à des fins de financement de partis politiques et/ou d’enrichissement personnel ("Brésil : tout comprendre à l’opération "Lava Jato" [5], Le Monde, publié le 26 mars 2017 et  mis à jour le 4 avril 2018). 

La pression des États-Unis sur l'État brésilien et l'opération "Lava Jato"

Aucun des rivaux économiques des États-Unis ne peut évidemment s'opposer au fait que la première puissance mondiale tire économiquement parti de son rang dans le monde au détriment de tous ses concurrents, en particulier du fait que sa monnaie est également la monnaie d'échange internationale. Par contre, les États-Unis se montrent particulièrement vigilants à faire en sorte que soit durement sanctionné tout pays coupable de non observance des lois de la concurrence. C'est ainsi que les tricheries brésiliennes ont servi de prétexte et de cible à une vaste offensive visant au démantèlement de toute l'organisation économique sur laquelle elles s'appuyaient. Les représailles ont été d'autant plus draconiennes qu'il s'agissait à travers elles, non seulement d'infliger des sanctions économiques pour des manquements à la loi de la concurrence, mais surtout de désorganiser toutes les mesures protectionnistes de l'économie brésilienne (légales ou non, comme l'attribution systématique de pots-de-vin), et de ramener docilement le Brésil sous influence américaine exclusive en neutralisant ses forces politiques les plus influentes et hostiles à une telle orientation. En témoigne le traitement réservé à l'homme politique le plus populaire au Brésil, Lula, condamné à 12 années d'emprisonnement au terme d'une procédure expéditive et manquant significativement de preuves concernant un prétendu enrichissement personnel. Il n'est d'ailleurs pas anodin que ce soit l'accusation la plus difficile à fonder, celle de l'enrichissement personnel, qui a néanmoins été retenue contre Lula, car elle était la plus à même de le déconsidérer auprès de son électorat, alors que d'autres accusations - attestées par de nombreux témoins - relatives à des malversations au bénéfice de l'État brésilien semblent ne pas avoir été prises en compte.

Le nom "Lava Jato" fait sa première apparition publique en mars 2014 et celle-ci est alors suivie de peu par des fuites relatives à des aveux d'un ex-haut dirigeant de l'entreprise Petrobras, concédés dans l'espoir d'une remise de peine, concernant l'existence d'un vaste système de pots-de-vin versés à des cadres de cette entreprise, ainsi "achetés" pour attribuer des contrats. À la suite de quoi, l’hebdomadaire d’opposition Veja évoque le nom d’une quarantaine d’élus suspectés issus de la coalition de centre gauche au pouvoir, membres essentiellement du PMDB, du PT et du PSB (Partido Socialista Brasileiro).

Des faits de corruption remontant à 2008 avaient motivé la mobilisation d'organes de contrôle de l'État bourgeois. Celle-ci accouchera de l'opération "Lava Jato" dont le groupe de travail était constitué d'agents de la police fédérale, de membres du ministère public et de juges. Pour son travail, cette task force fit appel à des tribunaux chargés de vérifier les comptes de l'État, au pouvoir judiciaire, au ministère public et à la police fédérale, avec la constitution de groupes spéciaux de cette dernière destinés à "combattre" la criminalité organisée sous ses diverses formes.

Des éléments solides laissent à penser que cette mobilisation judiciaire a été effectuée en interaction forte avec les plus hautes instances des États-Unis, voire même qu'elle soit le produit de l'ingérence ouverte de ces derniers. Ainsi des documents divulgués par Wikileaks font état de la tenue à Rio de Janeiro en octobre 2009 d'un séminaire de coopération avec la présence de membres sélectionnés de la Police Fédérale, de la Justice, du Ministère public et de représentants des autorités nord-américaines[10]. En fait, un tel séminaire n'a rien d'étonnant quand on sait à quel point, d'une part, les États-Unis y avaient intérêt mais aussi étant donné ce fait que, depuis les années 1960, les ténors du pouvoir judicaire et du ministère public brésiliens se sont avérés d'ardents défenseurs des institutions américaines qui leur dispensent cours, formations, conférences, assistance aux enquêtes… Une telle coopération n'est d'ailleurs pas niée par le procureur général de la République, Rodrigo Janot, personnage central de "Lava Jato", lorsqu'il explique que les "résultats brésiliens" sont le résultat "d'un échange intense avec les États-Unis, qui ont fourni au Brésil des cours de formation et de recyclage pour les chercheurs brésiliens, en plus de la technologie et des techniques de planification de la recherche". Et le procureur de ponctuer : "Tout cela fait que le Brésil a une relation d'égal à égal avec les autres États."[11] Au cas où on aurait douté du contraire concernant la relation avec les États-Unis ! On ne résiste pas ici à citer le titre d'un autre article : "Le FBI est présent dans l'opération "Lava Jato" depuis le début et s'enorgueillit de cela dans le monde entier".[12]

Dans le contexte de cette pression des États-Unis sur le Brésil, il faut également signaler cet épisode d'enregistrements en 2011 par la NSA des conversations présidentielles, de certains ministres, d'un directeur de la banque centrale, des diplomates, des chefs militaires.[13]

On ne doit pas s'étonner de la divulgation des premiers résultats de "Lava Jato" en 2014 à propos de l'existence d'un système de pots-de-vin versés à Petrobras. En effet, ceux-ci "arrivent au bon moment" pour fragiliser Dilma Rousseff et le PT dans la campagne pour la réélection incertaine de la présidente sortante, alors que, dans la période concernée par les premiers résultats en question, celle-ci était présidente du conseil d’administration de Petrobras, de même que le PT était alors impliqué, à travers certains de ses membres, dans la gestion de cette entreprise d'État.

Néanmoins cette première rafale de révélations de "Lava Jato" ne suffit pas à écarter Dilma Rousseff et le PT de la conduite des affaires du pays. En effet, la présidente sortante est réélue contre un candidat du PSDB, Aécio neves, qui par la suite eut sa réputation politique salie pour la même raison. Cependant, le fait qu'elle ait alors été réélue dans ce contexte témoigne de la confiance que lui témoignait alors encore une partie importante de la bourgeoise pour assumer la défense des intérêts du capital national. En effet, pour cette consultation électorale, comme pour les précédentes, elle a pu disposer d'un niveau significatif de ressources financières provenant de grandes entreprises industrielles, financières et de services.

Cependant, elle s'est rapidement discréditée plus profondément encore du fait des mesures antiouvrières sévères qu'elle a alors été amenée à prendre (reniant par là-même ses promesses électorales) dont en particulier celles restreignant l'accès à l'assurance chômage. Elle a aussi de nouveau été contestée dans la rue dans les premiers mois de 2015, à travers des manifestations à l'initiative d'organisations de droite évitant d'apparaître comme des partis politiques. Dans ces manifestations, qui rassembleront des millions de personnes, on trouve aussi bien des conservateurs, des libéraux que des partisans de la prise du pouvoir par les militaires. Il vaut ici la peine de signaler que ces manifestations serviront de tremplin à la promotion d'un discours en défense de la candidature du capitaine de réserve et notoirement homophobe, Bolsonaro. 

Les "alliés" d'alors de Dilma Rousseff constituent, sans elle ni le PT, une nouvelle et écrasante majorité parlementaire en s'alliant avec les partis d'opposition, en particulier le PSDB (Parti de la Social-Démocratie Brésilienne) et des secteurs de partis tels que le PMDB, le PDT (Partido Democrático Trabalhista), le PSB (Partido Socialista Brasileiro), l'ensemble du DEM (DEMocratas) et d’autres partis mineurs. Dilma Rousseff est destituée en août 2016 par un vote du Sénat au terme d'une procédure controversée.

Les conséquences de "Lava Jato" sur la vie politique de la bourgeoisie

Toutes les formations politiques brésiliennes d'importance ont été touchées par les révélations de "Lava Jato". De grandes figures de la bourgeoisie brésilienne ont été la cible de ses enquêtes, voire même humiliées (en particulier à la tête d'Odebrecht) par les révélations tapageuses de soupçons, de preuves à leur encontre immédiatement jetés en pâture à la presse qui les relayait.  Les journaux télévisés et émissions spécialisées devenaient le théâtre de "délibérations judiciaires populaires" auxquelles était convié le spectateur. Le pouvoir judiciaire "tout puissant" semblait trôner à la tête de l'État, à même de soumettre quiconque (nul chef ou cadre supérieur d'entreprise ou cacique de parti ne pouvait se sentir à l'abri).

Mais, loin de renforcer l'image des institutions et de la démocratie, "Lava Jato" les a discréditées encore d'avantage. Si la corruption et la pourriture ont effectivement été livrées publiquement à la honte, les moyens utilisés à cette fin étaient au moins tout autant discutables : l'institutionnalisation et la banalisation de la dénonciation[14]. De plus, il est rapidement apparu que tous les prévenus n'étaient pas égaux devant la justice de "Lava Jato" et que les sanctions les plus lourdes s'appliquaient à ceux qu'on voulait écarter du pouvoir. L'exemple de Lula résume à lui seul cette situation.

On retrouve la même "iniquité" concernant les sanctions infligées aux entreprises brésiliennes ayant "fauté". Dans ce cas, ce sont les États-Unis qui "punissent", pouvant le cas échéant accepter "généreusement" des arrangements pour éviter à certaines des "amendes" colossales. Ainsi, par exemple, le gouvernement américain a exigé que l'entreprise J & F (BRF) transfère son contrôle opérationnel en se constituant comme entreprise américaine si elle voulait éviter les sanctions. Odebrecht, quant à elle, fut très lourdement sanctionnée.

Le retour du Brésil sous influence politique exclusive des États-Unis et ses conséquences

Durant sa campagne électorale, Bolsonaro a envoyé un signal très fort aux États-Unis et à la Chine qu'il romprait avec cette dernière s'il était élu, en effectuant une visite officielle à Taiwan. Il affichait ainsi clairement les orientations que "le candidat de Washington", soutenu par une partie de la bourgeoisie brésilienne, allait mettre œuvre après son élection devenue certaine après l'éviction de Lula.  Ainsi c'en était fini de la position du Brésil en équilibre inégal mais relativement confortable entre États-Unis et Chine[15].

"Lava Jato", qui a constitué un maillon essentiel de la "récupération" du Brésil par les États-Unis, a démantelé toutes les protections économiques - légales et illégales - et les subventions étatiques favorisant les entreprises brésiliennes. Les conséquences vont être très lourdes pour le Brésil. En effet, la suppression de ces protections a déjà commencé à exposer dangereusement les entreprises brésiliennes à la concurrence des États-Unis. Cela ne va qu'empirer avec le renforcement de la "coopération" économique entre les deux pays. À cela s'ajoute que, dans un contexte économique mondial de plus en plus difficile, il va aussi falloir payer l'addition des conséquences ravageuses de la politique d'endettement du pays sous Lula et Dilma Rousseff.

Sur le plan des relations internationales, tel un petit chien, Bolsonaro emboite les pas de Trump et de sa diplomatie délirante en décidant, en signe de soutien à Israël, le transfert de l'ambassade du Brésil à Jérusalem. Plus récemment, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo, qui avait fait le déplacement au Brésil pour l'investiture de Bolsonaro, a dans un entretien avec le nouveau président, évoqué une "opportunité de travailler ensemble contre les régimes autoritaires", allusion à Cuba et au Venezuela, et référence voilée à la nécessité de freiner l'expansionnisme chinois. Le Brésil se retrouve ainsi de plain-pied dans le tourbillon impérialiste mondial comme l'illustre encore plus clairement ce tweet de l'ancienne ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Nikki Haley : "Il est bon d'avoir un nouveau dirigeant pro-américain en Amérique du Sud, qui se joindra aux combats contre les dictatures au Venezuela et à Cuba et qui voit clairement le danger de l'influence croissante de la Chine dans la région" ("Le Brésil de Bolsonaro et les États-Unis pour une relation "transformée"").

Avec l'élection de Bolsonaro, les États-Unis récupèrent en effet la domination impérialiste dans leur pré carré, puisque le Brésil, en plus d'occuper près de la moitié du continent sud-américain, avec une frontière avec la plupart des autres pays du continent, est la principale puissance militaire de la région. Et le Brésil va désormais jouer un rôle de premier plan dans la stratégie des États-Unis pour tenter de mettre fin au régime de Maduro au Venezuela. À la suite du gouvernement Trump qui a immédiatement reconnu le nouveau président autoproclamé Juan Guaidó, Bolsonaro faisait de même. De cette façon, le Venezuela se trouve pratiquement confiné derrière ses frontières "murées" par les gouvernements de droite de Colombie et du Brésil. Cette situation crée un climat d'affrontement dans la région avec des conséquences imprévisibles sur le plan militaire, puisque le gouvernement de Maduro est prêt à résister avec le soutien de la Russie, de la Chine et de Cuba ; mais aussi sur le plan social, car cela ne ferait qu'aggraver les conditions terribles dans lesquelles vit la population vénézuélienne, provoquerait un nouvel exode de la population, source d'instabilité dans les villes frontières des trois pays, en plus du Guyana.

À quoi s'attendre avec Bolsonaro ?

Au moyen d'une vaste entreprise s'étalant sur plusieurs années, mobilisant des moyens propres importants (sans compter ceux mobilisés au Brésil par "Lava Jato"), les États-Unis sont finalement parvenus à leur fin, à savoir réintégrer pleinement le Brésil sous leur influence. C'est donc un succès de la diplomatie américaine et de tous les services qui vont avec : pouvoir judiciaire, FBI, espionnage, … Le succès n'est néanmoins peut-être pas complet.

La dernière étape de la manœuvre consistait à doter le Brésil, aux prochaines élections, d'un candidat qui soit porteur de la nouvelle orientation. Le candidat a été trouvé, il a gagné les élections[16] grâce aux manœuvres que l'on sait. Mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas très "présentable". C'est vrai qu'il n'y avait pas réellement le choix vu que "Lava Jato" a rendu inutilisables pour un certain temps les formations et forces politiques traditionnelles, encore plus discréditées qu'auparavant, et vu également que quelqu'un comme Lula, incomparablement plus expert et fin politicien, était incompatible avec la nouvelle orientation.

Si pendant un certain temps Bolsonaro pourra peut-être séduire une frange de la population qui a voté pour lui aux élections, il peut aussi devenir un point faible du dispositif s'il ne change pas de style.

Le personnage Bolsonaro, misogyne et homophobe décomplexé, est une caricature. Il est un nostalgique de la dictature militaire telle qu'elle a existé au Brésil entre 1964 et 1985. Il a promis de nettoyer le pays des "marginaux rouges". Son clan politique familial fait également partie du décor. L'un de ses fils, Edouardo Bolsonaro (député fédéral de l'État de São Paulo) marche d'un pas décidé sur les traces du "papa", mais en mieux, en "plus excessif" : il veut faire qualifier de "terrorisme" les actions du Mouvement des Travailleurs sans Terre et, pour lui "quel est le problème ?", si pour cela "il est nécessaire d'emprisonner 100 000 personnes". Il veut également faire qualifier le communisme de crime.

Ambitionnant de surfer sur l'effet "Lava jato", Bolsonaro s'était lui-même préparé à enfiler le costume politique de chevalier blanc incorruptible. À cet effet, Il avait commencé par prendre soin de quitter en 2016 son ancien parti, le Parti Progressiste (PP), le parti le plus impliqué dans les scandales qui secouent le pays (des 56 députés affiliés au PP, 31 sont sous le coup d'accusation de corruption). Mais son premier faux pas n'aura pas attendu l'investiture. Parmi les personnalités politiques qu'il a choisies pour faire partie de son futur gouvernement, certaines se trouvaient déjà sous le coup d'accusation de corruption. C'est comme ça que Monsieur Propre a déjà taché ses beaux habits blancs présidentiels avant même d'avoir pris ses fonctions. Pire, l'absence totale de "tenue" et de "retenue" de son clan[17] l'ont déjà fait passer pour un sinistre pitre. En informant de désaccords existant dans le propre camp de Bolsonaro, un de ses fils est allé jusqu'à nous "régaler" de détails sordides. Les désaccords y sont tels, nous dit-il, qu'"il y en a qui souhaiteraient la mort de Bolsonaro". Que ce soit du bluff, l'expression de la bêtise ou la réalité, ces propos en disent long sur l'hypocrisie du clan Bolsonaro, ses liens avec les milices criminelles de Rio de Janeiro [6] ou encore l'implication du fils, Flávio, dans des transactions bancaires suspectes (L'affaire Queiroz [7]). Il s'agit là d'une nouvelle démonstration claire de la pourriture qui prévaut au sein du clan qui a été porté à la tête de l'État.

On ne doit malheureusement pas se réjouir de la bêtise épaisse de Bolsonaro et d'une partie de son entourage en pensant qu'il risque d'être un bien piètre défenseur des intérêts de la bourgeoisie. Soit il ne sera qu'une marionnette téléguidée depuis les coulisses, soit ses dérapages, notamment sur le plan des tensions impérialistes, pourraient avoir des conséquences funestes pour une partie de la population.

Contre les pièges de l'antifascisme et de l'anti-impérialisme yankee, développement de la lutte de classe !

Ce sont de rudes épreuves qui attendent la classe ouvrière au Brésil du fait des attaques économiques déjà ou pas encore annoncées. La première d'entre elles, la réforme des retraites, est "le premier et plus grand défi" comme l'a annoncé le ministre de l'économie, Paulo Guedes, lors de son investiture et elle est caractérisée par les médias comme "L'épineuse refonte d'un régime très coûteux pour l'État, réclamée avec insistance par les marchés" ("Brésil : le gouvernement Bolsonaro en place, salué par la Bourse").

La difficulté générale actuelle de la classe ouvrière au niveau mondial à se reconnaître comme une classe aux intérêts antagoniques à ceux du capitalisme ne manquera pas d'affecter ses capacités de réaction face au déluge d'attaques qui vont s'abattre sur elle au Brésil. Mais c'est aussi à travers la nécessaire riposte, la critique de ses propres faiblesses qui ne manqueront pas de se manifester à cette occasion, qu'elle pourra de nouveau faire des pas en avant vers une lutte plus unie, plus massive, plus solidaire et débarrassée  de mystifications qui pèsent sur sa conscience en particulier celles plus pernicieuses véhiculées par la gauche (PT, ...) et l'extrême-gauche du capital (trotskistes, …). C'est pour cela qu'il faut se réapproprier les expériences passées. Souvenons-nous en particulier :

  • de la massivité spontanée de la mobilisation des sidérurgistes de l'ABC en 1979, dépassant de beaucoup la mobilisation à laquelle donnait lieu annuellement à cette époque la campagne salariale lancée par les syndicats en vue du réajustement des salaires sur l'inflation.
  • de la manière dont Lula a réprimé les aiguilleurs du ciel en 2007 qui s'étaient mis spontanément en grève face à la dégradation dramatique de leurs conditions de travail, en dehors de toute consigne syndicale (car il n'y en avait pas dans ce secteur où la grève était interdite) et malgré les menaces de les emprisonner de la part du commandement militaire de l'aéronautique, Lula en particulier les accusant publiquement à cette occasion "d'irresponsables et de traitres". (Lire nos articles en portugais "Diante dos embates do capital, os controladores aéreos respondem com a luta [8]" et "Repressão e marginalização do movimento dos controladores aéreos [9]"
  •  de l'expérience du mouvement de 2013 parti spontanément suite à l'augmentation du prix des transports en commun, à l'initiative de la jeunesse prolétarisée et mobilisant des milliers de personnes dans plus de cent villes, se généralisant par la suite à la protestation contre la diminution de nombreuses prestations sociales. Il s'y est alors exprimé un rejet massif des partis politiques, principalement du PT, ainsi que des organisations syndicales ou étudiantes. D'autres expressions du caractère de classe de ce mouvement sont apparues, quoi que de façon plus minoritaire au travers d'assemblées décidant des actions à mener. (Lire notre article en portugais "junho de 2013 no brasil: a indignação detona a mobilização espontânea de milhões [10]"

De nouvelles difficultés qui vont probablement émerger comme conséquence de la situation actuelle sont susceptibles de se mettre en travers de la lutte de classe au Brésil. Il est important de s'y préparer.

Bolsonaro est tellement détestable qu'il est capable de polariser sur sa personne la colère provoquée par les attaques économiques. Le danger sera alors de ne voir que la personne et non pas le capitalisme en crise qui est derrière les attaques. Il existe la possibilité d'un danger similaire concernant l'orientation politique de Bolsonaro, l'extrême-droite, que la gauche ne manquera pas de désigner comme responsable de l'aggravation des conditions de vie. On ne peut écarter que Lula et le PT soient de nouveau, dans le futur, amenés à assumer la fonction de dévier vers une alternative de gauche un mécontentement à l'encontre de la droite et de l'extrême-droite.  Il faudra alors garder clair à l'esprit que tout parti, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche, accédant à la tête de l'État a pour responsabilité de défendre les intérêts du capital national et que cela se fait nécessairement au détriment de la classe exploitée. De plus, il faudra se souvenir que l'attaque flagrante contre Lula par "Lava Jato", alors que beaucoup de ses "collègues", politiciens véreux notoires ont été relativement épargnés, ne signifie en rien que l'ancien métallurgiste sorti du rang puisse être caractérisé d'honnête et encore moins de défenseurs des ouvriers.

De même, il ne va pas manquer de voix pour tenter dévoyer la colère légitime des ouvriers vers "l'impérialisme yankee qui oppresse le Brésil" et dont il faudrait se libérer. C'est une impasse tragique qui a déjà fait ses preuves. Elle implique la mobilisation du prolétariat aux côtés d'une partie de la bourgeoisie brésilienne contre la bourgeoisie américaine. Le prolétariat n'a pas de patrie à défendre, seulement ses intérêts de classe. Face à une telle mystification, un seul mot d'ordre : lutte de classe dans tous les pays contre le capitalisme !

Cela ne peut être qu'une perspective, un but non atteignable immédiatement, mais c'est toujours ce but et cette perspective qui doivent guider l'action du prolétariat, laquelle devant le plus possible être conçue comme un maillon de la chaîne qui mène à la révolution prolétarienne mondiale.

Revolução Internacional (06/02/2019)


[1] La décomposition de la société concerne tous les pays, même si c'est de manière inégale, et s'exprime à travers un ensemble de phénomènes différents concourant à rendre de plus en plus difficile la vie en société de même que l'émergence d'une perspective au renversement et au dépassement du capitalisme. Parmi ses manifestations les plus saillantes, nous avons déjà souvent avancé le développement, comme jamais auparavant, de la criminalité, de la corruption, du terrorisme, du crime, de l'usage de la drogue, des sectes, de l'esprit religieux, du chacun pour soi… Comme conséquence de l'approfondissement de ce phénomène de décomposition de la société, se trouvent également les catastrophes "naturelles", "accidentelles" aux conséquences de plus en plus ravageuses. Une illustration récente en a été donnée par la tragédie causée par la rupture du barrage de Vale à Brumadinho (Brésil) constitué par des milliers de mètre cubes de résidus miniers, provenant de l'exploitation de la mine de fer voisine. Bilan, environ 200 morts ou disparus, une illustration parmi des milliers d'autres dans le monde des conséquences de l'irrationalité mortifère du capitalisme à bout de souffle.

[2] Selon une certaine propagande de la bourgeoisie, il existerait la possibilité de faire baisser les chiffres de la criminalité comme l'illustre le cas de la Colombie grâce à l'élimination des principaux cartels de la drogue. Le problème est que l'exemple de la Colombie n'est pas généralisable, en particulier du fait que dans la plupart des pays où la criminalité atteint des sommets, celle-ci est essentiellement le fait d'une multitude de petits gangs et surtout d'individus isolés.

[3] C'est peut-être la raison pour laquelle le score de Bolsonaro aux dernières élections a été très faible (bien en deçà de 50%) dans les quartiers les plus pauvres.

[4] Les mesures sociales destinées à soulager la misère des couches les plus pauvres, un coût infime dans le budget de l'État et financé au moyen d'une accentuation de l'exploitation des travailleurs, eurent un impact très important en ce sens qu'elles ont renforcé le prestige de Lula parmi ces couches de la population.

[5] En fait la dureté des attaques portées par les gouvernements Dilma Rousseff a participé à estomper le souvenir de celles "moins brutales" des gouvernements Lula précédents.

[6] En référence à ce qui est communément appelé le "miracle brésilien" où, entre 1968 et 1973, le taux de croissance moyen de l'industrie était passé à près de 24%, le double de celui de l'économie en général dans ce pays. Le premier "miracle" fut financé par la dette, si bien qu'au début des années 1980, le Brésil sera "au bord de la faillite".

[7] Lire, "Entenda a influência dos EUA na crise política e econômica no Brasil [11]." "Comprendre l'influence des États-Unis dans la crise politique et économique du Brésil".

[8] "Pour la première fois dans l'histoire du Brésil, la Chine est devenue, en avril 2009, son premier partenaire commercial, à la place des États-Unis. Elle était déjà devenue, un mois plus tôt, le premier importateur de biens brésiliens. (…) Depuis les années 1930, les États-Unis s'étaient solidement installés en première position. (…) Ce changement de situation tient d'abord à la contraction du commerce américain avec le reste du monde, liée à la crise économique. Un phénomène qui affecte aussi les pays de l'Union européenne dans leurs relations avec le Brésil. Mais il traduit surtout une hausse forte et continue des achats de la Chine. Les exportations du Brésil vers la Chine ont, en valeur, été multipliées par quinze entre 2000 et 2008. Elles ont progressé de 75 % entre 2007 et 2008. Cette augmentation a permis au Brésil de dégager, pendant les quatre premiers mois de l'année 2009, un surplus commercial double de celui enregistré pendant la même période en 2008. Les trois premiers partenaires du Brésil sont désormais, dans l'ordre, la Chine, les États-Unis et l'Argentine. " (La Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil [12] ; Le Monde du 8 mai 2009)

"De 2003 à 2018, les entreprises chinoises ont investi au Brésil 54 Mds de $ sur une centaine de projets (ministère brésilien de la Planification). Pour la seule année 2017, les investissements chinois se sont élevés à près de 11 Mds$. Au 1er trimestre 2018, les exportations vers la Chine représentaient 26 % des exportations brésiliennes, contre 2 % en 2000 (ministère du Développement et du Commerce extérieur du Brésil). Un afflux massif de capitaux bienvenu pour ce pays dont l’économie a été fragilisée par une récession historique en 2015-2016 et une dette publique qui a pris énormément d’ampleur ces dernières années." ("La Chine à la conquête du Brésil")

[9] C'est la BNDES (Banco Nacional de Desenvolvimento) qui distribuait les financements aux entreprises bénéficiant ainsi d'un régime de faveur. C'est Lula qui dirigeait directement le lobby, certains dirigeants du PT étant associés aux représentants des corporations.

[10] Ces documents divulgués par Wikileaks rapportent en particulier qu'une équipe de formation américaine a enseigné aux élèves brésiliens (et également d'autres nationalités) les secrets des "enquêtes et sanctions dans les affaires de blanchiment de capitaux, notamment la coopération formelle et informelle entre pays, la confiscation des avoirs, les méthodes de collecte des preuves, la négociation de plaintes, le recours au contrôle comme outil et les suggestions concernant la manière d'aborder les organisations non gouvernementales (ONG) soupçonnées de financement illicite". Le rapport cité conclut que "Le secteur judiciaire brésilien est manifestement très intéressé par la lutte contre le terrorisme, mais il a besoin d'outils et de formation pour engager efficacement ses forces." Wikileaks: EUA criou curso para treinar Moro e juristas [13]" (Les États-Unis ont créé une formation pour Moro et les juristes). L'article de Wikileaks cité est le suivant "BRAZIL: ILLICIT FINANCE CONFERENCE USES THE "T" WORD, SUCCESSFULLY [14]".

[11] "A Lava Jato aos olhos dos americanos [15]". L'opération "Lava Jato" aux yeux des Américains.

[12] "FBI atua na “lava jato” desde o seu começo e se gaba da operação pelo mundo [16]" Le FBI est présent dans "Lava jato" depuis le début et s'en vante dans le monde entier.

[13] WikiLleaks: Dilma, ministros e avião presidencial foram espionados pela NSA [17] "Dilma : Ses ministres et l'avion présidentiel ont été espionnés par la NSA"

[14] Ainsi, par exemple, les 77 cadres d’Odebrecht entendus par la justice ont dénoncé 415 responsables politiques appartenant à 26 partis (sur 35) dans 21 États (sur 26 au sein de la Fédération). Parmi eux, 5 ex-présidents du Brésil : MM. José Sarney, Fernando Collor de Mello, Fernando Henrique Cardoso, Luiz Inácio Lula da Silva et Mme Dilma Rousseff. M. Temer est également cité à de nombreuses reprises, mais il ne put être mis en cause pour des actes antérieurs à son mandat, selon la Constitution. Au cours de sa déposition, M. Marcelo Odebrecht a déclaré avoir versé 100 millions d’euros entre 2008 et 2015 au Parti des travailleurs (PT, gauche), en plus des contributions officielles lors des campagnes électorales. "Les anciens présidents Lula et Dilma Rousseff étaient au courant de notre appui, même s’ils n’ont jamais demandé d’argent directement", a-t-il précisé. "Au Brésil, les ramifications du scandale Odebrecht [18]", Le Monde diplomatique, septembre 2017.

[15] On ne sait évidemment pas combien de temps durera ce mariage forcé ni quelles en seront les péripéties. Une chose est certaine est qu'il est dans l'intérêt de la première puissance mondiale de ne pas prendre le risque d'une nouvelle distanciation du Brésil qui, inévitablement, laisserait de nouveau la porte ouverte aux intentions de la Chine de s'installer en Amérique du Sud, et la possibilité que cela constitue une menace directe et périlleuse pour la suprématie américaine, sur un plan économique mais surtout militaire.
Cependant, il ne faut pas perdre du vue que l'opération "récupération du Brésil" a pour l'essentiel été gérée pendant des années par l'administration Obama. Trump l'imprévisible sera-t-il capable de ne pas la compromettre ?  Par ailleurs, même si la Chine a reçu des signaux très forts, de la part de Bolsonaro et de l'administration Trump, que c'en était fini pour elle de sa relation privilégiée avec le Brésil, il est évident qu'elle ne va pas se retirer complètement, loin s'en faut. Tout d'abord, sur un plan économique, c'est impossible car cela aurait des conséquences dramatiques pour l'économie brésilienne que, même les États-Unis, ne peuvent pas souhaiter.  Par ailleurs, il est évident que la Chine est loin d'accepter son éviction comme en témoigne le fait qu'elle s'est déjà portée candidate pour l'acquisition d'entreprises brésiliennes qui vont être privatisées par Bolsonaro.

[16] Avec l'appui officiel, ouvert ou non, de tous les partis de droite.

[17] Constitué en particulier par tous les fils de Bolsonaro qui ont fait carrière dans la politique et soutiennent le "papa".

Géographique: 

  • Brésil [19]

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Rubrique: 

Barbarie du capitalisme

Le legs dissimulé de la gauche du capital (II): Une méthode et une façon de penser au service du capitalisme

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Dans la première partie de cette série,1 nous avons vu que les partis de gauche et d’extrême-gauche du capital ont un programme qui défend le capitalisme au nom d’une “nouvelle société” qui n’est rien de plus qu’une reproduction idéalisée du capitalisme lui-même.2 Pire encore, ils inoculent une vision de la classe ouvrière qui la nie complètement.

Dans ce deuxième article, nous verrons quelle est la manière de penser et quelle méthode d’analyse est développée dans ces partis, en particulier dans ceux qui se présentent comme les “plus radicaux”.

L’unité entre programme, théorie, fonctionnement et morale.

Dans le premier article, nous dénoncions le fait que, après avoir démonté le programme de défense du capital que ces mystificateurs mettent en avant, il est nécessaire de faire face à un autre problème : leur façon de penser, les liens qu’ils établissent entre camarades, leurs méthodes d’organisation, leur vision de la morale, leur conception du débat, leur vision du militantisme, enfin tout le vécu au sein de ces partis. Se débarrasser de leur manière d’envisager ces questions est encore plus difficile que de mettre en lumière les mystifications politiques qu’ils colportent, parce qu’elle conditionne les actions, empoisonne les comportements, en se propageant dans le fonctionnement organisationnel.

Les organisations révolutionnaires de la Gauche communiste, fragiles et très minoritaires, ont dû faire face à ce problème crucial. Elles ont été capables de rejeter le programme de ces organisations de gauche et d’extrême-gauche du capital, mais ce que nous appelons la face cachée de celles-ci, c’est-à-dire leur façon de penser, leur fonctionnement et leur comportement, leur vision morale, etc., tout cela, qui est aussi réactionnaire que leur programme, est sous-estimé et n’est pas soumis à une critique implacable et radicale. Il ne suffit donc pas de dénoncer le programme des groupes de gauche et d’extrême-gauche du capital ; il faut aussi dénoncer et combattre cette face cachée organisationnelle et morale qu’ils partagent avec les partis de droite et d’extrême-droite.

Une organisation révolutionnaire est bien plus qu’un programme ; elle est la synthèse unitaire du programme, de la théorie et du mode de pensée, de la morale et du fonctionnement organisationnel. Il y a une cohérence entre ces quatre éléments. “L’activité de l’organisation des révolutionnaires ne peut être comprise que comme un ensemble unitaire, dont les composants ne sont pas séparés mais interdépendants : 1. son activité théorique, dont l’élaboration est un effort constant, et le résultat ni figé, ni achevé une fois pour toutes. Elle est aussi nécessaire qu’irremplaçable ; 2. l’activité d’intervention dans les luttes économiques et politiques de la classe. Elle est la pratique par excellence de l’organisation où la théorie se transforme en arme de combat par la propagande et l’agitation ; 3. l’activité organisationnelle œuvrant au développement, au renforcement de ses organes, à la préservation des acquis organisationnels, sans lesquels le développement quantitatif (adhésions) ne saurait se changer en développement qualitatif”.3

Il est évident qu’on ne peut pas lutter pour le communisme avec des mensonges, des calomnies et des manœuvres. Il y a une cohérence entre les quatre aspects que nous avons mentionnés plus haut. Ils annoncent tous le mode de vie et l’organisation sociale du communisme et ne peuvent jamais être en contradiction avec celui-ci. Comme nous le disons dans le texte “Le fonctionnement organisationnel du CCI” :

“Toute une série d’aspects essentiels de ce qui sous-tend la perspective révolutionnaire du prolétariat sont concentrés sur les questions d’organisation : 1. les caractéristiques fondamentales de la société communiste et les relations établies entre ses membres ; 2. l’être du prolétariat comme la classe porteuse du communisme ; 3. la nature de la conscience de classe, les caractéristiques de son développement, son approfondissement et son extension au sein de la classe ; 4. le rôle des organisations communistes dans le processus de prise de conscience du prolétariat.”4

La gauche et l’extrême-gauche du capital, héritières de la falsification du marxisme mise en œuvre par le stalinisme

On peut dire que les groupes de gauche et d’extrême-gauche du capital sont des prestidigitateurs de la politique. Ils doivent faire passer des positions politiques du capital avec une enveloppe “prolétarienne” et “marxiste”. Ils doivent faire dire à Marx, Engels, Lénine et autres militants prolétariens le contraire de ce qu’ils voulaient dire. Ils doivent tordre, tronquer, manipuler les positions que ceux-ci ont pu défendre à un moment donné du mouvement ouvrier, pour en faire leur contraire le plus absolu : prendre des citations de Marx, Engels ou Lénine, leur faire dire que l’exploitation capitaliste, c’est bien, que la nation, c’est le bien le plus précieux, que nous devons nous laisser embrigader dans la guerre impérialiste, que l’État est un père bienfaiteur et protecteur, etc.

Marx, Engels, Lénine, qui se sont battus pour la destruction de l’État, deviennent, par le tour de magie de ces groupes, des défenseurs enthousiastes de l’État. Marx, Engels, Lénine, qui se sont battus inconditionnellement pour l’internationalisme, deviennent des champions de la “libération nationale” et de la patrie. Marx, Engels, Lénine, qui ont animé la lutte défensive du prolétariat, deviennent les champions du productivisme et du sacrifice du travailleur sur l’autel des besoins du capital.

L’instrument d’avant-garde de cette entreprise de falsification fut le stalinisme5. Il a effectué méthodiquement cette transformation répugnante. Pour illustrer cela, nous utiliserons le livre d’Ante Ciliga, Dix ans au pays du mensonge déconcertant6, qui décrit en détail ce processus qui se déroule à partir du milieu des années 1920 : “Le régime social très particulier qui se développait en Russie soviétique avait tendance à créer sa propre idéologie dans toutes les branches scientifiques. En d’autres termes, il a essayé de fusionner sa propre conception du monde avec celle de l’ancienne science, ainsi qu’avec l’idéologie traditionnelle du marxisme et les nouvelles découvertes scientifiques” (page 103 de l’édition PDF en espagnol). Pour l’expliquer, il rappelle que “Hegel (qui) avait démontré qu’un phénomène peut conserver sa forme tout en transformant complètement son contenu ; Lénine n’avait-il pas dit que souvent le destin des grands hommes est de servir d’icônes après leur mort, alors que leurs idées libératrices sont falsifiées pour justifier une nouvelle oppression et un nouvel esclavage ?” (page 109).

Lors de son passage à “l’Académie communiste” de Moscou, il constate qu’ “On modifiait chaque année les programmes, on falsifiait de plus en plus insolemment les faits historiques et leur appréciation. Cela se faisait non seulement avec l’histoire récente du mouvement révolutionnaire en Russie, mais aussi avec des événements aussi éloignés que la Commune de Paris, la révolution de 1848 et la première Révolution française. (…) Que dire de l’histoire du Komintern ? Chaque nouvelle édition donnait une version nouvelle, à beaucoup d’égards tout à fait opposée aux précédentes” (p. 100), “Comme on introduisait ces falsifications en même temps dans toutes les branches de l’éducation, je suis arrivé à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’accidents isolés, mais d’un système qui transformait l’histoire, l’économie politique et les autres sciences selon les intérêts et la vision du monde de la bureaucratie (…) En fait, une nouvelle école, l’école bureaucratique du marxisme, se formait en Russie.” (p. 101)

Suivant ces méthodes, les partis de gauche et d’extrême-gauche utilisent trois procédés :

– profiter des erreurs commises par les révolutionnaires ;

– défendre, comme si elles étaient toujours valables, des positions qui étaient justes au moment où elles ont été défendues par les révolutionnaires, alors qu’elles sont devenues contre-révolutionnaires ;

– émousser le tranchant révolutionnaire de leurs positions en faisant d’elles une abstraction inoffensive.

Les erreurs des révolutionnaires

Marx, Engels, Lénine, Rosa Luxemburg, n’étaient pas infaillibles. Ils ont fait des erreurs.

Contrairement à la vision mécanique de la pensée bourgeoise, l’erreur est souvent inévitable et peut être un pas nécessaire vers la vérité qui, d’autre part, n’est pas absolue, mais qui a un caractère historique. Pour Hegel, l’erreur est un moment de vérité nécessaire et évolutif.

Ceci est d’autant plus clair quand on considère que le prolétariat est à la fois une classe exploitée et une classe révolutionnaire et qu’en tant que classe exploitée, elle souffre de tout le poids de l’idéologie dominante. Par conséquent, lorsque le prolétariat – ou du moins une partie de celui-ci, ose penser, formuler des hypothèses, mettre en avant des revendications, se donner des objectifs, il s’élève contre la passivité et l’abrutissement imposés par le bon sens capitaliste, mais, en même temps, il peut tomber dans des approximations erronées, dans des idées que l’évolution sociale elle-même ou la dynamique même de la lutte de classe dépassent ou laissent de côté.

Marx et Engels croyaient qu’en 1848 le capitalisme était assez mûr pour être remplacé par le communisme et prônaient un programme encore capitaliste “intermédiaire” qui servirait de plate-forme pour le socialisme (la théorie de la “révolution permanente”).

Cependant, leur esprit critique les a amenés à rejeter cette spéculation, qu’ils ont abandonnée en 1852. De même, ils pensaient que l’État capitaliste devait être pris et utilisé comme levier de la révolution, mais l’expérience vivante de la Commune de Paris les a convaincus de cette erreur en concluant que l’État capitaliste doit être détruit.

Nous pourrions continuer avec beaucoup d’autres exemples, mais ce que nous voulons développer ici, c’est comment les groupes gauchistes utilisent ces erreurs pour donner un blanc-seing à leur programme contre-révolutionnaire. Lénine était un internationaliste conséquent, mais il n’avait pas suffisamment de clarté sur la question de la libération nationale et commit de graves erreurs sur ce point. Ces erreurs sont extraites de leur contexte historique, séparées de la lutte internationaliste qu’il a menée, deviennent ainsi des “lois” valables pour toujours7. Ces erreurs sont transformées en moyens hypocrites de défense du capital.

Comment peuvent-ils opérer une telle falsification ? L’un des moyens le plus important est de détruire l’esprit critique des militants. Les marxistes cohérents partagent avec la science ce que celle-ci a de meilleur : l’esprit critique, c’est-à-dire la capacité de remettre en question des positions qui, pour diverses raisons, entrent en conflit avec la réalité et les besoins de la lutte du prolétariat. Le marxisme n’est pas un ensemble de dogmes produit par des cerveaux géniaux et qui ne pourraient pas être modifiés ; c’est une méthode combative, vivante, analytique, en développement constant et pour cela l’esprit critique est fondamental. Raboter cet esprit critique est la tâche principale des groupes gauchistes, à l’instar de leurs maîtres staliniens qui, comme le dit Ciliga lors de son passage à “l’Université communiste” de Leningrad, les étudiants, futurs cadres du parti, “ce qui n’était pas écrit dans le manuel n’existait pas pour eux. Jamais de questions en dehors du programme officiel. Leur vie spirituelle était parfaitement mécanisée. Lorsque je m’efforçais de les pousser au-delà de l’étroit horizon du programme, d’éveiller leur curiosité et leur sens critique, ils restaient sourds. On aurait dit que leur sens du social était émoussé.” (p. 98).

Ainsi, face au suivisme aveugle prôné par les groupes gauchistes (des staliniens aux trotskistes en passant par la plupart des anarchistes) les militants prolétariens, les groupes révolutionnaires, doivent lutter pour garder vivant l’esprit critique, la capacité de se remettre en question, la volonté permanente d’être attentifs aux faits pour savoir, à partir d’une analyse historique, comment reconsidérer des positions qui ne sont plus valables.

Des positions qui étaient justes à une période qui peuvent devenir des mensonges éhontés.

Une autre caractéristique de la méthode gauchiste est l’utilisation des positions justes des révolutionnaires qui ont été invalidées ou rendues contre-productives par l’évolution historique. Par exemple, le soutien de Marx et Engels aux syndicats. Le gauchisme conclut que, si les syndicats étaient des organes du prolétariat à l’époque de Marx et Engels, ils ne peuvent l’être qu’en tout temps. Ils utilisent une méthode abstraite et intemporelle. Ils cachent le fait qu’avec la décadence du capitalisme, les syndicats sont devenus des organes de l’État bourgeois contre le prolétariat.8

Il y a des militants révolutionnaires qui rompent avec les positions de gauche, mais ne parviennent pas à rompre avec leur méthode scolastique. Ainsi, par exemple, ils se limitent simplement à inverser la position gauchiste à l’égard des syndicats : si la position gauchiste affirme que les syndicats ont toujours été au service de la classe ouvrière, ces militants révolutionnaires concluent alors que les syndicats ont toujours été contre elle. Ils font de la position sur les syndicats une position intemporelle, valable pendant des siècles, de sorte que, s’ils ont rompu avec le gauchisme, en fait ils en restent prisonniers.

Il en va de même pour la social-démocratie. Il est difficile d’imaginer que les partis socialistes d’aujourd’hui pendant la période de 1870 à 1914, aient été des partis de la classe ouvrière, qu’ils aient contribué à son unité, à sa conscience et à la force de ses luttes. Face à cela, les gauchistes, en particulier le trotskisme, concluent simplement : les partis sociaux-démocrates ont toujours été des partis ouvriers et ne cesseront jamais de l’être, malgré tous leurs agissements contre-révolutionnaires.

Cependant, il y a des révolutionnaires qui disent la même chose, mais dans l’autre sens : si les trotskistes parlent de la social-démocratie comme d’un parti qui est et sera toujours “ouvrier”, ils concluent que la social-démocratie est et a toujours été capitaliste. Ils ignorent que l’opportunisme est une maladie qui peut affecter le mouvement ouvrier et qui peut conduire ses partis à la trahison et à l’intégration dans l’État capitaliste.

Enfermés dans leur héritage gauchiste, ils remplacent la méthode historique et dialectique par la méthode scolastique. Ne pas comprendre que l’un des principes de la dialectique est la transformation des contraires : ce que peut être une chose peut se transformer et agir dans le sens contraire. Les partis prolétariens, à cause de la dégénérescence due au poids de l’idéologie bourgeoise et de la petite bourgeoisie peuvent se transformer en leur contraire qui leur est diamétralement opposé : devenir des serviteurs inconditionnels du capitalisme9.

Nous voyons là une autre des conséquences de la méthode gauchiste : on rejette la vision historique des positions de classe et de leur processus d’élaboration. Cela ampute une autre des composantes essentielles de la méthode prolétarienne. Chaque génération de travailleurs repose sur les épaules de la génération précédente : les leçons produites par la lutte de classe et par l’effort théorique en son sein, donnent lieu à des conclusions qui servent de point de départ, mais qui ne sont pas le point d’arrivée. L’évolution du capitalisme et les expériences mêmes de la lutte de classe rendent nécessaires de nouveaux développements ou des rectifications critiques des positions précédentes. C’est une continuité historique critique que le gauchisme nie en propageant une vision dogmatique et anhistorique.

Aux XVIIe et XIXe siècles, les penseurs qui annonçaient la révolution bourgeoise ont développé un matérialisme qui était en son temps révolutionnaire parce qu’il soumettait l’idéalisme féodal à une critique implacable. Cependant, une fois le pouvoir pris dans les principaux pays, la pensée bourgeoise est devenue conservatrice, dogmatique et anhistorique. Le prolétariat, par contre, a dans ses propres gènes une pensée critique et historique, une capacité de ne pas rester prisonnier des situations d’une époque donnée, aussi importantes soient-elles, et d’être guidé non pas par le passé ou le présent mais par la perspective de l’avenir révolutionnaire dont il est porteur. “L’histoire de la philosophie et l’histoire de la science sociale montrent en toute clarté que le marxisme n’a rien qui ressemble à du “sectarisme” dans le sens d’une doctrine repliée sur elle-même et ossifiée, surgie à l’écart de la grande route du développement de la civilisation universelle. Au contraire, Marx a ceci de génial qu’il a répondu aux questions que l’humanité avancée avait déjà soulevées.”10.

Le piège de l’abstraction

Comme la pensée bourgeoise, l’idéologie gauchiste est dogmatique et idéaliste d’une part, et relativiste et pragmatique d’autre part. Le gauchiste lève la main gauche et proclame des “principes” élevés au rang de dogmes universels, valables pour tous les mondes possibles et pour tous les temps. Mais, de la main droite, invoquant des “considérations tactiques”, il garde ces principes sacrés dans sa poche car “les conditions ne sont pas là”, “les ouvriers ne comprennent pas”, “le moment est mal choisi”, etc.

Le dogmatisme et la tactique ne sont pas opposés mais complémentaires. Le dogme qui oblige aujourd’hui à participer aux élections est complété par la “tactique” de “les utiliser” pour “se faire connaître”, “barrer le chemin à la droite”, etc. Le dogmatisme apparaît comme quelque chose de théorique, mais, en réalité, c’est une vision abstraite, placée en dehors de l’évolution historique. La “tactique”, cependant, semble “pratique” et “concrète”, est en fait une vision grossière et crétinisante qui ne part pas des positions cohérentes mais d’une action quotidienne, purement adaptative et opportuniste, typique de la pensée bourgeoise.

Cela nous amène à comprendre la troisième caractéristique de la méthode de la pensée gauchiste : elle doit nécessairement abstraire et décontextualiser les positions justes des révolutionnaires pour, comme le disait Lénine, émousser leur tranchant révolutionnaire, les rendre inoffensives pour le capital en les présentant comme des “principes” abstraits et inopérants. Ainsi, le communisme, la dictature du prolétariat, les conseils ouvriers, l’internationalisme… deviennent une grande rhétorique, un verbiage cynique auquel les dirigeants ne croient pas du tout, mais qu’ils utilisent sans gêne pour manipuler leurs fidèles. Ciliga, dans le livre précité, soulignait “le talent de la bureaucratie communiste à faire le contraire de ce qu’elle proclamait, à déguiser les pires crimes sous le masque des slogans les plus progressistes et des phrases les plus éloquentes” (page 52).

Dans les organisations gauchistes il n’y a pas de principes. Leur vision est purement pragmatique et évolue en fonction des circonstances, c’est-à-dire en fonction des besoins politiques, économiques et idéologiques du capital national qu’elles servent. Les principes sont à géométrie variable et on les garde pour des moments spécifiques : lors des fêtes du parti et des grandes célébrations ; comme prétexte pour persécuter des militants en les accusant d’avoir “transgressé les principes" ; ils sont aussi utilisés comme des armes dans les querelles entre factions.

Cette vision des “principes” est radicalement opposée à celle d’une organisation révolutionnaire. Celle-ci est basée sur “l’existence d’un programme valable pour toute l’organisation. Le programme en tant que synthèse de l’expérience du prolétariat dont l’organisation est une partie et parce qu’il relève d’une classe n’ayant pas seulement une existence présente mais aussi un devenir historique, exprime ce devenir par la formulation des buts de la classe et du chemin à suivre pour les atteindre ; il rassemble les positions essentielles que l’organisation doit défendre dans la classe ; il sert de base d’adhésion.”11

Le programme révolutionnaire est la source de l’activité de l’organisation, son corps théorique source d’inspiration, son guide pour l’action. Il doit donc être pris très au sérieux. Le militant qui vient du gauchisme et ne sait pas comment s’en séparer, croit, souvent inconsciemment, que le programme est une pantomime, des simples paroles qui sont invoquées dans des moments solennels, et il cherche donc “la pratique” en appelant constamment à laisser tomber les trucs “rhétoriques”. D’autres fois, lorsqu’il est en colère contre un camarade ou qu’il se croit marginalisé par les organes centraux, il essaie de “les prendre en faute”, en utilisant le programme comme une pierre qu’on jette au visage.

Contre ces deux fausses visions, nous revendiquons la fonction essentielle du programme dans une organisation prolétarienne, comme arme d’analyse partagée par tous les militants et dans laquelle tous sont engagés pour son développement ; comme moyen d’intervention dans la lutte du prolétariat, comme orientation et contribution active à son avenir révolutionnaire.

Les sophismes pragmatiques et “ingénieux” du gauchisme font beaucoup de mal car ils rendent difficile une pensée globale capable de passer du général au concret, de l’abstrait à l’immédiat, du théorique au pratique. La méthode gauchiste brise le lien qui unit ces deux facettes de la pensée prolétarienne, en empêchant de vivre concrètement l’unité entre le concret et le général, l’immédiat et l’historique, le local et le global. La tendance et la pression vont vers la pensée unilatérale. Le gauchiste est localiste tous les jours, mais affiche un discours “internationaliste” les jours fériés. Le gauchiste ne voit que l’immédiat et le pragmatique, mais l’embellit avec quelques références “historiques” et met chapeau bas devant “les principes”. Le gauchiste est minablement “concret” lorsqu’il s’agit de développer une analyse abstraite et il part dans les brumes abstraites lorsqu’une analyse concrète est nécessaire.

Les effets destructeurs de la méthode théorique du gauchisme

On a vu, d’une manière très synthétique, quelques-uns des traits de la pensée gauchiste et de ses conséquences sur la position des militants communistes.

Voyons quelques-unes de ces dernières. La Troisième Internationale a utilisé une formule qui n’a de sens que dans certaines conditions historiques : “derrière chaque grève se profile l’hydre de la révolution”.

Cette formule n’est pas valable si les rapports de force entre les classes sont favorables à la bourgeoisie. Ainsi, par exemple, Trotsky l’a utilisé de manière schématique, estimant que les grèves de 1936 en France et la réponse courageuse du prolétariat de Barcelone en juillet 1936 contre le coup d’État fasciste “ouvraient les portes vers la révolution”. Elle ne tenait pas compte de l’imparable course vers la guerre impérialiste, de l’écrasement du prolétariat russe et allemand, de l’engagement des ouvriers sous la bannière de l’antifascisme. Il a laissé de côté cette analyse historique et mondiale et n’a appliqué que la recette vide de “derrière chaque grève il y a l’hydre de la révolution”.12

Une autre conséquence est un matérialisme vulgaire imprégné d’économisme jusqu’à la moelle. Tout serait déterminé par l’économie, celle-ci comprise avec la plus grande myopie mentale. Des phénomènes tels que la guerre sont niés dans leur racine impérialiste, stratégique, militaire, pour essayer de trouver les explications économiques les plus fantaisistes. Ainsi, l’État islamique, un gang mafieux, sous-produit barbare de l’impérialisme, serait une compagnie pétrolière.

Enfin, une autre conséquence de la manipulation faite par le gauchisme de la théorie marxiste est celle de sa conception comme une affaire de spécialistes, d’experts, de chefs géniaux. Tout ce que vomissent ces chefs éclairés devrait être suivi au pied de la lettre par les “militants de base” qui n’auraient aucun rôle dans l’élaboration théorique car leur mission serait de distribuer des tracts, vendre la presse, porter les chaises pour les meetings, coller des affiches… c’est-à-dire servir de main-d’œuvre ou de chair à canon aux “leaders bien-aimés”.

Cette conception est nécessaire au gauchisme puisque sa tâche consiste à déformer la pensée de Marx, Engels, Lénine, etc. et pour cela ils ont besoin de militants qui croient aveuglément leurs histoires à dormir debout. Cependant, elle est néfaste et destructrice lorsqu’une telle conception s’infiltre dans les organisations révolutionnaires. L’organisation révolutionnaire d’aujourd’hui “est plus impersonnelle qu’au XIXe siècle, et cesse d’apparaître comme une organisation de chefs dirigeant la masse des militants. La période des chefs illustres et des grands théoriciens est révolue. L’élaboration théorique devient une tâche véritablement collective. À l’image des millions de combattants prolétariens “anonymes”, la conscience de l’organisation se développe par l’intégration et le dépassement des consciences individuelles dans une même conscience collective.”13

C Mir, 27 décembre 2017

 

1“Le legs dissimulé de la gauche du capital (Partie I) – Une fausse vision de la classe ouvrière [21]” (2018).

2La gauche et l’extrême-gauche du capital auraient pu correspondre à ce passage que le Manifeste communiste consacre au socialisme bourgeois : “Ils veulent la société actuelle, mais expurgée des éléments qui la révolutionnent et la dissolvent. Ils veulent la bourgeoisie sans le prolétariat. La bourgeoisie, comme de juste, se représente le monde où elle domine comme le meilleur des mondes. Le socialisme bourgeois systématise plus ou moins à fond cette représentation consolante. Lorsqu’il somme le prolétariat de réaliser ses systèmes et d’entrer dans la nouvelle Jérusalem, il ne fait que l’inviter, au fond, à s’en tenir à la société actuelle, mais à se débarrasser de la conception haineuse qu’il s’en fait (…) Car le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette affirmation que les bourgeois sont des bourgeois… dans l’intérêt de la classe ouvrière.”

3“Rapport sur la structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires – Conférence internationale du CCI [22]” (janvier 82).

4“Documents de la vie du CCI : La question du fonctionnement de l’organisation dans le CCI [23]”.

5À son tour, le stalinisme s’est inspiré du sale travail de la social-démocratie qui trahit le prolétariat en 1914. Rosa Luxemburg, dans Notre programme et la situation politique ; Discours au Congrès de fondation du Parti Communiste Allemand (Ligue Spartacus), 31 décembre 1918, premier janvier 1919, en a fait la dénonciation : “Vous voyez d’après ses représentants où en est ce marxisme aujourd’hui : il est asservi et domestiqué par les Ebert [24], David [25] et consorts. C’est là que nous voyons les représentants officiels de la doctrine que, pendant des dizaines d’années, on a fait passer pour le marxisme pur, véritable. Non, ce n’est pas là que menait le marxisme, à faire en compagnie des Scheidemann, de la politique contre-révolutionnaire. Le marxisme véritable combat également ceux qui cherchent à le falsifier”.

6Ante (ou Anton) Ciliga (1898-1992), d’origine croate, rejoint le Parti communiste de Yougoslavie et vit en Russie à partir de 1925 où il prend conscience de la dégénérescence contre-révolutionnaire de l’URSS. Il rejoint l’opposition de gauche de Trotsky. Arrêté pour la première fois en 1930, il fut envoyé en Sibérie et finalement libéré en 1935. Dès lors, il s’installe en France où il écrit un témoignage très lucide sur tout ce qui s’est passé en URSS, dans la Troisième Internationale et dans le PCUS, dans le livre cité. On peut consulter la version PDF en espagnol, dont nous avons traduit les citations, sur : https://marxismo.school/files/2017/09/Ciliga.pdf [26]. Par la suite, Ciliga s’est de plus en plus éloigné des positions prolétariennes en évoluant vers la défense de la démocratie, surtout après la Seconde Guerre mondiale.

7Voir à ce sujet : “Les communistes et la question nationale (1900-1920) 1ère partie [27]” (1983).

8Voir notre brochure Les syndicats contre la classe ouvrière [28] et le texte en espagnol Apuntes sobre la cuestión sindical [29].

9Voir “Première Guerre mondiale : comment s’est produite la faillite de la Deuxième Internationale [30]” (2015)

10Lénine, Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme (1913).

11“Rapport sur la structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires”, Revue internationale nº 33 (1983), point 1.,

12Cette erreur de Trotsky a même été utilisée par le trotskisme jusqu’à la corde pour qualifier de “révolution” toute situation de révolte et même de coup d’État à base de guérilla comme celui de Cuba en 1959.

13Voir note 3.

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Vie de la bourgeoisie

Sommet de Copenhague: pour sauver la planète, il faut détruire le capitalisme!

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“À Copenhague, la douche froide”, “Le pire accord de l’histoire”, “Copenhague s’achève sur un échec”, “Déception à Copenhague” …, la presse est unanime, ce sommet annoncé comme “historique” a été un véritable fiasco !

Il n’y avait rien à attendre de ce sommet

Durant plusieurs semaines, les médias et les politiques ont enchaîné les déclarations grandiloquentes qui toutes affirmaient en substance : “l’avenir de l’humanité et de la planète se joue à Copenhague”. La fondation Nicolas Hulot avait ainsi lancé un ultimatum : “l’avenir de la planète et avec lui, le sort d’un milliard d’affamés […] se jouera à Copenhague. Choisir la solidarité ou subir le chaos, l’humanité a rendez-vous avec elle-même”. Il y avait ici une moitié de vérité. Les documentaires télévisés, les films (comme Home de Yann Arthus Bertrand), les résultats des recherches scientifiques montrent que la planète est en train d’être ravagée. Le réchauffement climatique s’aggrave et, avec lui, la désertification, les incendies, les cyclones… La pollution et l’exploitation intensive des ressources entraînent la disparition massive d’espèces. 15 à 37 % de la biodiversité devrait disparaître d’ici à 2050. Aujourd’hui, un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit, un tiers des amphibiens et 70 % des plantes sont en danger d’extinction. Selon le Forum humanitaire mondial, le “changement climatique” entraînerait la mort de 300.000 personnes par an (dont la moitié de malnutrition) ! En 2050, il devrait y avoir “250 millions de réfugiés climatiques”. Alors, oui, il y a urgence. Oui, l’humanité est confrontée à un enjeu historique et vital !

Mais il n’y avait aucune illusion à se faire, rien de bon ne pouvait sortir de ce sommet de Copenhague où 193 États étaient représentés. Le capitalisme détruit l’environnement depuis toujours. Déjà, au XIXe siècle, Londres était une immense usine crachant sa fumée et déversant ses déchets dans la Tamise. Ce système produit dans l’unique but de faire du profit et accumuler du capital, par tous les moyens. Peu importe si, pour ce faire, il doit raser des forêts, piller les océans, polluer les fleuves, dérégler le climat… Capitalisme et écologie sont forcément antagoniques.

Toutes les réunions internationales, les comités, les sommets (tel celui de Rio de Janeiro en 1992 ou celui de Kyoto en 1997) n’ont toujours été que des cache-sexes, des cérémonies théâtralisées pour faire croire que les “grands de ce monde” se soucient de l’avenir de la planète. Les Hulot, Yann Arthus Bertrand, et autres Al Gore ont voulu nous faire croire qu’il en serait cette fois-ci autrement, que face à l’urgence de la situation, les hauts-dirigeants allaient se “ressaisir”. Mieux, ils devaient même comprendre qu’il s’agissait là d’une opportunité historique de changer en profondeur le capitalisme, en s’orientant vers une green economy capable de sortir le monde de la récession par une croissance durable et écologique ! Pendant que tous ces idéologues brassaient de l’air, ces mêmes “hauts-dirigeants” affûtaient leurs armes éco… nomiques ! Car là est la réalité : le capitalisme est divisé en nations, toutes concurrentes les unes des autres, se livrant sans répit une guerre commerciale et, s’il le faut, parfois militaire. Un seul exemple : le pôle Nord est en train de fondre. Les scientifiques y voient une véritable catastrophe écologique. Les États y voient, eux, une opportunité d’exploiter des ressources jusqu’ici inaccessibles et d’ouvrir de nouvelles voies maritimes libérées des glaces. La Russie, le Canada, les États-Unis, le Danemark (via le Groenland) se livrent actuellement une guerre diplomatique sans pitié. Le Canada a même commencé à poster des armes à sa frontière dirigées dans cette direction ! Capitalisme et écologie sont bel et bien antagoniques.

Et ils voulaient nous faire croire que, dans ce contexte, les États-Unis et la Chine allaient accepter de “réduire leur émission de CO2”, c’est-à-dire limiter leur production ? D’ailleurs, cette notion de “limitation des émissions de CO2” est en elle-même révélatrice de ce qu’est le réchauffement climatique pour le capitalisme, une arme idéologique pour mener la concurrence. Chaque pays veut fixer les objectifs qui l’arrangent : les pays d’Afrique veulent des chiffres très bas, qui correspondent à leur production, pour mettre des bâtons dans les roues aux autres nations, les pays d’Amérique du Sud souhaitent des chiffres un peu plus élevés, et ainsi de suite pour l’Inde, les États européens, eux-mêmes divisés entre eux, la Chine, les Etats-Unis…

La bourgeoisie ne parvient même plus à sauver les apparences

Le seul élément peut-être surprenant de ce fiasco de Copenhague est que tous ces chefs d’État n’ont même pas réussi à sauver les apparences. D’habitude, un accord final signé en grande pompe fixe quelques vagues objectifs à atteindre un jour et tout le monde s’en félicite. Cette fois, il s’agit officiellement d’un “échec historique”. Les tensions et les marchandages sont sortis des coulisses et ont été portés au-devant de la scène. Même la traditionnelle photo des chefs d’États s’auto-congratulant bras-dessus, bras-dessous, et affichant de larges sourires d’acteurs de cinéma, n’a pu être réalisée. C’est tout dire !

En fait, la récession ne contraint pas les chefs d’État à saisir la “formidable opportunité” d’une green economy mondiale mais ne peut au contraire qu’attiser les tensions et la concurrence internationale. Le sommet de Copenhague a fait la démonstration de la guerre acharnée que sont en train de se livrer les grandes puissances. Il n’est plus l’heure pour eux de faire semblant de bien s’entendre et de proclamer des accords (même bidons). Ils sortent les couteaux, tant pis pour la photo !

Jamais le capitalisme ne sera “vert”. Demain, la crise économique va frapper encore plus fort. Le sort de la planète sera alors le dernier des soucis de la bourgeoisie. Elle ne cherchera qu’une seule chose : soutenir son économie nationale, en s’affrontant toujours plus durement aux autres nations, en fermant les usines pas assez rentables, quitte à les laisser pourrir sur place, en réduisant les coûts de production, en coupant dans les budgets de la prévention l’entretien, ce qui signifiera aussi plus de pollution et d’accidents industriels. C’est exactement ce qui s’est déjà passé en Russie dans les années 1990, avec ses sous-marins nucléaires laissés à l’abandon et la Sibérie polluée au point d’en faire mourir une large proportion de ses habitants.

Enfin, une partie de plus en plus grande de l’humanité va se retrouver dans la misère, démunie, sans nourriture ni logement. Elle sera donc plus vulnérable encore aux effets du changement climatique, aux cyclones, à la désertification.

Il est temps de détruire le capitalisme avant qu’il ne détruise la planète et ne décime l’humanité !

Pawel (19 décembre)

Révolution Internationale nr 408 (janvier 2010)

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Rubrique: 

Crise environnementale

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[1] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne [2] https://fr.internationalism.org/tag/7/482/brexit [3] https://theconversation.com/brazils-biggest-problem-isnt-corruption-its-murder-78014 [4] https://en.wikipedia.org/wiki/Crime_in_Brazil [5] https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/03/26/affaire-petrobras-retour-sur-les-trois-annees-qui-ont-marque-le-bresil_5100932_3222.html [6] https://www.intercept.com.br/2019/01/22/bolsonaros-milicias/ [7] https://ultimosegundo.ig.com.br/politica/2019-01-17/caso-queiroz.html [8] https://pt.internationalism.org/ICCOnline/2007/Brasil_luta_controladores_aereos [9] https://pt.internationalism.org/icconline/2007/controladores-aereos [10] https://pt.internationalism.org/ICColine/2013/Junho_de_2013_no_Brasil%3A_A_indignacao_detona_a_mobilizacao_espontanea_de_milhoes [11] https://www.cartacapital.com.br/mundo/entenda-porque-a-crise-politica-e-economica-nao-se-limita-ao-brasil/ [12] https://www.lemonde.fr/economie/article/2009/05/08/la-chine-est-devenue-le-premier-partenaire-commercial-du-bresil_1190539_3234.html [13] https://www.esquerdadiario.com.br/Wikileaks-EUA-criou-curso-para-treinar-Moro-e-juristas [14] https://wikileaks.org/plusd/cables/09BRASILIA1282_a.html [15] https://www.jusbrasil.com.br/noticias/a-lava-jato-aos-olhos-dos-americanos/484328314 [16] https://www.diariodocentrodomundo.com.br/fbi-atua-na-lava-jato-desde-o-seu-comeco-e-se-gaba-da-operacao-pelo-mundo-por-marcos-de-vasconcellos/ [17] https://noticias.uol.com.br/internacional/ultimas-noticias/2015/07/04/wikileaks-dilma-ministros-e-aviao-presidencial-foram-espionados-pela-nsa.htm [18] https://www.monde-diplomatique.fr/2017/09/VIGNA/57836 [19] https://fr.internationalism.org/tag/5/446/bresil [20] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/jair-bolsonaro [21] https://fr.internationalism.org/content/9760/legs-dissimule-gauche-du-capital-i-fausse-vision-classe-ouvriere [22] https://fr.internationalism.org/french/rinte33/structure_et_fonctionnement_organisation_revolutionnaire.htm [23] https://fr.internationalism.org/rinte109/fonctionnement.htm [24] https://www.marxists.org/francais/bios/ebert.htm [25] https://www.marxists.org/francais/bios/david.htm [26] https://marxismo.school/files/2017/09/Ciliga.pdf [27] https://fr.internationalism.org/rinte34/nation.htm [28] https://fr.internationalism.org/brochures/syndicats [29] https://es.internationalism.org/cci-online/201104/3103/apuntes-sobre-la-cuestion-sindical [30] https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201501/9182/premiere-guerre-mondiale-comment-sest-produite-faillite-deuxieme-in [31] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/ecologie