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Révolution Internationale n°457 - mars avril 2016

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  • La politique allemande et le problème des réfugiés : un jeu dangereux avec le feu [2]

Le Parti socialiste au pouvoir, une politique d’attaques et de désorientation de la classe ouvrière

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Avec sa réforme du Code du travail, le gouvernement socialiste mène une énième attaque contre les conditions de vie des travailleurs. Jour après jour, mesure après mesure, la précarité des salariés, des chômeurs et des retraités augmente lentement mais inexorablement. La gauche de la bourgeoisie profite ici de la faiblesse de notre classe ; elle sait que le prolétariat, empêtré dans de lourdes difficultés, est incapable d’opposer à ces attaques incessantes un grand mouvement de masse. Mais la bourgeoisie la plus clairvoyante sait aussi autre chose : la classe ouvrière n’a peut-être plus conscience qu’elle est capable de renverser le capitalisme et d’offrir une alternative à toute l’humanité, elle n’a peut-être plus conscience de sa propre force quand elle est unie et organisée, ni même qu’elle existe. Il n’en reste pas moins qu’elle existe, qu’elle a en elle une immense force potentielle et qu’elle est bel et bien en mesure de faire surgir la société communiste ! La bourgeoisie est intelligente, c’est même la classe dominante la plus intelligente de l’histoire. Elle tire des leçons et si cette histoire lui a bien appris une chose, c’est qu’elle ne doit surtout pas sous-estimer son ennemi mortel. C’est pourquoi le Parti socialiste, si habile et expérimenté contre la classe ouvrière, mène une politique intense pour désorienter et atomiser les travailleurs. Sa démarche est préventive. Il travaille sans relâche à entretenir et même à renforcer les faiblesses actuelles du prolétariat. Tel est le sens des grandes campagnes médiatiques de ces derniers mois.

Par exemple, les manifestations des taxis et des agriculteurs ont bénéficié d’une immense publicité. Pourquoi ? D’abord, l’ampleur du mécontentement à contenir est une réalité. Ceci dit, les blocages de taxis ou de tracteurs ne présentent pas une réelle menace pour l’ordre établi. C’est pour cette raison que les projecteurs ont pu être braqués sur les pneus qui brûlent, les autoroutes bloquées, les supermarchés dévastés : autant d’actions spectaculaires présentées comme radicales et... “efficaces”, puisque les portes des ministères se sont immédiatement ouvertes, elles aussi avec grand bruit. La grande distribution a été reçue par le Premier ministre et les fameux VTC, véhicules de tourisme avec chauffeurs, concurrents directs des taxis, ont été soumis à une réglementation beaucoup plus stricte.

Ce n’est pas exactement par hasard si, au même moment, les syndicats de fonctionnaires ont appelé à une journée de grève stérile sur la question des salaires. Le gouvernement a clamé haut et fort que d’augmentation, il n’en était pas question. Les médias en chœur ne se sont pas privés de souligner le contraste entre “l’impuissance” des “fonctionnaires en lutte” et la “relative réussite” des agriculteurs et des taxis. La bourgeoisie cherche ainsi à faire croire que la lutte efficace n’est pas celle des ouvriers, mais celle d’autres catégories sociales minoritaires et spectaculaires. Blocage et sabotage, tel serait le nec plus ultra du combat. En 2010-2011, lors du mouvement contre la réforme des retraites, la bourgeoisie française n’avait déjà eu de cesse de mettre en avant le blocage des raffineries prôné par les syndicats les plus “radicaux” et le risque de paralysie de l’économie qui en découlait prétendument (voir notre article : “Bilan du blocage des raffineries” 1). La classe dominante sait que ce type d’action est parfaitement inoffensif, comme des piqûres de moustique sur la peau d’un éléphant puisqu’elles participent à diviser, à épuiser et à isoler les éléments les plus combatifs de la majorité des travailleurs. Les méthodes réelles de lutte de la classe ouvrière sont l’exact opposé.

Les agriculteurs et autres chauffeurs de taxis n’ont pas d’avenir en dehors du capitalisme. Ils forment cette couche intermédiaire de la société qui n’appartient pas aux grands groupes, qui n’a pas les moyens d’investir et d’exploiter en masse mais qui pour autant n’appartient pas au rang des prolétaires qui n’ont, eux, que leur force de travail à vendre pour vivre. Ce sont de petits propriétaires, de quelques champs ou de leurs véhicules ou de tout autre capital relativement modeste, qui ne rêvent que d’une seule chose : prospérer, accroître leurs biens et “réussir”. Leur déception est d’autant plus grande quand, inexorablement, ils sont tour à tour broyés par le capital, sa concurrence effrénée et impitoyable comme par sa crise économique mondiale. De la déception à la frustration, de l’humiliation à la haine. Ces couches sociales qui s’apparentent plus ou moins à la petite-bourgeoisie sont incapables de mener des luttes qui remettent en cause le capitalisme. Au contraire, leurs actions coups de poings sont des cris qui reviennent à implorer la grande bourgeoisie de les respecter, voire de les protéger ou, plus exactement, de les réintégrer. Les petits propriétaires détenant leurs moyens de production se battent en regardant derrière eux. Ils tentent de résister à la force du capitalisme en se raccrochant à un passé idéalisé où ils gardaient une place plus importante au sein de l’économie. Finalement, pour eux, le salut vient du retour à ce passé mythifié.

La classe ouvrière, quant à elle, est porteuse d’une autre société et cela change tout. Son combat n’est pas une simple lutte de résistance tournée vers le passé ou des objectifs strictement immédiats, mais une lutte fortement marquée et inspirée par le futur. En inscrivant cette perspective dans chacune de ses luttes, elle s’éloigne inévitablement de la destruction et de la désorganisation pour aller vers le développement de la solidarité et de la prise en charge organisée et centralisée de ses luttes. La classe ouvrière ne porte pas dans ses combats la destruction aveugle, ni un quelconque blocage. Elle porte en elle le mouvement, la potentialité et la possibilité de construire une nouvelle société. Elle ne défend pas sa survie dans le capitalisme, elle lutte au contraire pour sa propre disparition en tant que classe, pour une société nécessitant d’unifier l’humanité. Les méthodes de lutte qu’elle emploie doivent être en cohérence avec ce but : favoriser l’unité et la solidarité la plus large possible de tous les secteurs de la classe ouvrière par des revendications communes, débattre en organisant des assemblées générales souveraines ou des cercles de discussion ou tout autre lieu de parole libre permettant la confrontation des idées. Ces méthodes de lutte, la bourgeoisie se doit de les disqualifier et de les combattre avec énergie, comme elle l’a toujours fait dans l’histoire, car elles contiennent en germe la remise en cause réellement radicale du capitalisme et de son mode de vie basé sur la concurrence de tous contre tous.

Les derniers événements judiciaires à propos des luttes à Goodyear sont éloquents de cette volonté constante de la bourgeoisie de décourager la majorité de la classe exploitée à lutter tout en poussant la minorité qui demeure malgré tout combative vers des impasses. Lors d’une grève contre la fermeture de leur usine, des ouvriers exaspérés sont encouragés par les syndicats à séquestrer les cadres de leur entreprise. Ces derniers finissent par renoncer aux plaintes qu’ils avaient initialement portées. Mais l’État ne l’entend pas de cette oreille et maintient les poursuites qui s’achèvent par une condamnation à de la prison ferme (peine aménageable). Le message est clair : lutter ne sert à rien. Pire, cela conduit au tribunal, puis en prison. Dans une situation où le prolétariat est victime de démoralisation et de déboussolement, de tels messages n’ont d’autre volonté que l’intimidation. Voilà pour la majorité poussée à la résignation.

Dans le même temps, ces condamnations permettent de faire croire que la bourgeoisie craint ce type d’actions-­commando de séquestration, puisqu’elle les juge si sévèrement. Voilà pour la minorité combative, encouragée à se perdre dans le piège du corporatisme, de l’isolement et l’impasse d’actions coups de poing, aussi spectaculaires que stériles. Il y a même dans cette affaire politico-­judiciaire une dimension encore plus sournoise et dangereuse : les syndicats (et en particulier à la CGT), ces chiens de garde du capitalisme, passent pour la partie la plus déterminée du prolétariat qu’il s’agirait de soutenir et suivre.

En fait, cette fausse alternative vise non seulement à diviser les ouvriers entre eux mais surtout à renforcer une attaque idéologique contre la conscience de tous les prolétaires en leur faisant croire que ce sont eux qui seraient l’expression d’une classe réduite soit à la résignation, soit à mener des combats désespérés et sans avenir.

Pourquoi la bourgeoisie s’évertue-t-elle tant à nous dresser un tableau si sombre ? Dans notre article publié page 4, “Podemos, des habits neufs au service de l’empereur capitaliste”, nous écrivons : “La spécificité de Podemos qui justifie le coup de pub que lui fait le capitalisme espagnol est que les troupes d’Iglesias (son leader) remplissent une mission spéciale, très importante pour la bourgeoisie aussi bien espagnole que mondiale, qui est celle d’effacer les empreintes du mouvement du 15 mai qui ont fait trembler les rues il y a quatre ans et demi.” “Effacer les empreintes”, cette formule résume parfaitement le but des campagnes et des manœuvres permanentes de la bourgeoisie. Le mouvement des Indignés de 2011 en Espagne, celui contre le CPE de 2006 en France, plus en arrière la grève de masse de 1980 en Pologne et en mai 1968 de nouveau en France, ou bien plus anciennement encore les vagues révolutionnaires de 1919-1921 en Allemagne et de 1917 en Russie, en remontant jusqu’à la Commune de Paris de 1871..., toutes ces expériences plus ou moins grandes, parfois gigantesques, sont autant “d’empreintes” inestimables que la bourgeoisie n’a de cesse de recouvrir de ses mensonges. Car la classe dominante craint que le prolétariat ne redécouvre ses empreintes, constate qu’il s’agit des pas d’un géant et surtout que ces empreintes sont celles qui peuvent potentiellement conduire, au bout d’un très long chemin, à la révolution mondiale !

GD, 26 février 2016

1) RI nos 418 [4] (décembre 2010-janvier 2011) et 420 [5] (mars 2011).

 

 

Rubrique: 

Situation en France

Moyen-Orient : l’obsolescence historique de l’État-Nation

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Nous publions ci-dessous la traduction d’une contribution d’un sympathisant du CCI sur la situation au Moyen-Orient. La version originale est disponible sur notre site en anglais [6].

Le militarisme et la guerre, expressions principales du mode de vie du capitalisme depuis environ un siècle, sont devenus les synonymes de la désintégration du système capitaliste et de la nécessité de le renverser. La guerre, dans cette période et dans l’avenir, est une question cruciale pour la classe ouvrière.

Dans la période ascendante du capitalisme, les guerres pouvaient encore être un facteur de progrès historique, conduisant à la création d’unités nationales viables et servant à étendre le mode de production capitaliste à l’échelle mondiale : « depuis la formation de l’armée des citoyens, de la Révolution française au Risorgimento italien, de la guerre d’Indépendance américaine à la Guerre Civile, la révolution bourgeoise a pris la forme de luttes de libération nationale contre les royaumes réactionnaires et les classes abandonnées par la féodalité (…) Ces luttes avaient pour principal but de détruire les superstructures politiques surannées de la féodalité, de balayer l’esprit de clocher et l’autosuffisance, qui empêchaient la marche vers l’unification du capitalisme.» (Brochure du CCI : Nation ou Classe) Comme Marx l’a écrit dans sa brochure à propos de la Commune de Paris, La Guerre Civile en France : « Le plus gros effort d’héroïsme dont la vieille société est encore capable est la guerre nationale.»

En revanche, la guerre d’aujourd’hui et depuis les cent dernières années ne peut jouer qu’un rôle réactionnaire et destructeur et menace maintenant l’existence même de l’humanité. La guerre devient un mode d’existence permanent pour tous les États-nations, qu’ils soient grands ou petits. Alors que chaque État ne dispose pas des mêmes moyens pour poursuivre la guerre, ils sont tous soumis à la même dynamique impérialiste. L’impasse du système économique oblige les nations, vieilles ou jeunes, à adopter une politique de capitalisme d’État, sous peine de mort ; et cette politique est mise en œuvre par les partis bourgeois, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Le capitalisme d’État constitue une défense raffinée de l’État-nation et une attaque permanente contre la classe ouvrière.

Dans la période ascendante du capitalisme, la guerre avait tendance à se payer elle-même, à la fois économiquement et politiquement, en brisant les barrières du développement capitaliste. Dans la phase de décadence, la guerre est une dangereuse absurdité, devenant de plus en plus séparée de toute justification économique. Il suffit de regarder les vingt-cinq dernières années de prétendue « guerre pour le pétrole » au Moyen-Orient pour s’apercevoir qu’il faudrait des siècles pour qu'elle soit rentable, et encore, à condition que la guerre cesse dès maintenant.

La nation est un symbole de la décadence du capitalisme

Consacrer une grande part des ressources nationales à la guerre et au militarisme est maintenant normal pour tout État, et c’est ce qui se passe depuis le début du XXe siècle ; cela s’est seulement intensifié aujourd’hui. Ce phénomène est directement lié à l’évolution historique du capitalisme : « La politique impérialiste n’est pas l’œuvre d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire.»1 La position qu’on adopte sur la guerre impérialiste détermine de quel côté de la barrière de classe on se trouve ; soit l’on défend la domination du capital à travers la défense de la nation et du nationalisme (compatibles avec à la fois le trotskysme et l’anarchisme), soit l’on défend la classe ouvrière et l’internationalisme contre toute forme de nationalisme. Les « solutions » nationales, les identités nationales, la libération nationale, les « conflits » nationaux, la défense nationale : tout cela ne sert que les intérêts impérialistes, donc capitalistes. Ceux-ci sont diamétralement opposés aux intérêts de la classe ouvrière : la guerre de classe devra en finir avec l’impérialisme, ses frontières et ses États-nations.

En 1900, il y avait quarante nations indépendantes ; au début des années 1980, il y en avait presque 170. Aujourd’hui, il y en a 195. Le dernier État, le Soudan du Sud, reconnu et soutenu par la « communauté internationale », s’est immédiatement effondré dans la guerre, la famine, la maladie, la corruption, la loi des seigneurs de guerre, le gangstérisme : c’est une autre expression concrète de la décomposition du capitalisme et de l’obsolescence de l’État-nation. Les nouveaux États-nations des XXe et XXIe siècles ne sont pas l’expression d’une croissance de jeunesse, mais sont nés séniles et stériles, aussitôt empêtrés dans les rêts de l’impérialisme, avec leurs propres moyens de répression interne (ministère de l’Intérieur, services secrets et armée nationale) et de militarisme externe avec les pactes, les protocoles d’accords de défense mutuelle, l’implantation de conseillers et de bases militaires par les plus grandes puissances.

« [Aujourd’hui, la phrase nationale] ne sert plus qu’à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu’elle ne soit utilisée comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l’adhésion des masses populaires et de leur faire jouer leur rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes. »2 Depuis que Rosa Luxemburg a écrit ces lignes, il n’y a plus eu de révolution bourgeoise dans les pays sous-développés, mais seulement des luttes de cliques entre gangs bourgeois rivaux et leurs appuis impérialistes locaux et mondiaux. L’État militariste et la guerre deviennent le mode de survie pour l’ensemble du système comme pour chaque nation, chaque proto-État, toute expression nationaliste, chaque identité ethnique ou religieuse deviennent l’expression directe de l’impérialisme.

Regardons de plus près le rôle réactionnaire de l’État-nation à travers un bref aperçu de la situation au siècle dernier dans l’importante région du monde que constitue le Moyen Orient.

La guerre au Moyen Orient : de la Première Guerre mondiale à la Guerre du Golfe

La nation capitaliste a été préservée, et même multipliée par quatre, tout au long des cent dernières années. Mais son programme démocratique bourgeois et sa tendance unificatrice sont morts et enterrés ; désormais ses « peuples » ne peuvent qu’être soumis à la répression ou mobilisés pour défendre les intérêts impérialistes comme chair à canon. « Pour compléter le tableau, les nouvelles nations surgissent avec un péché originel : ce sont des territoires incohérents, formés par un agrégat chaotique de différentes religions, économies, cultures. Leurs frontières sont pour le moins artificielles et incluent des minorités appartenant aux pays limitrophes ; tout cela ne peut que mener à la désagrégation et à des confrontations permanentes. »3

Cela est illustré par la multitude des nationalismes, des ethnies et des religions qui cohabitent au Moyen-Orient. Les trois religions principales sont ici démultipliées en en une myriade de sectes, avec des conflits internes et externes permanents : les Chiites, Sunnites, Maronites, Chrétiens orthodoxes et coptes, les Alaouites, etc. Il y a des minorités linguistiques importantes et de plus en plus de peuples sans terre : les Kurdes, les Arméniens, les Palestiniens et maintenant les Syriens.

La Première Guerre mondiale a vu l’effondrement de l’Empire Ottoman et de ses trésors, ainsi que l’effondrement de la position stratégique du Moyen-Orient (entre l’Est et l’Ouest, l’Europe et l’Afrique, le canal de Suez, le détroit des Dardanelles) qui suscitait la cupidité des grandes puissances. Même avant que le pétrole ne soit découvert dans cette région, et bien avant que l’on ne se rende compte de l’ampleur des réserves de pétrole, la Grande-Bretagne avait mobilisé 1,5 million d’hommes de troupes dans la région. Ayant résisté à la menace représentée par l’Allemagne et la Russie, et malgré les rivalités existant entre la Grande-Bretagne et la France, ces deux puissances ont donné leur forme aux pays de cette région : la Syrie, l’Irak, le Liban, la Transjordanie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, le « protectorat » Palestinien, les frontières de ces pays ont été dessinées par les deux pouvoirs impérialistes victorieux, chacun surveillant à la fois ses partenaires et les anciens rivaux du coin de l’œil. Ces « nations » absurdes sont devenues un terreau fertile pour une instabilité et des conflits ultérieurs, pas seulement à cause des rivalités entre grandes puissances mais aussi à cause de luttes régionales entre elles. Cela a souvent donné lieu à des déplacements massifs de populations, justifiés par la nécessité de former des entités nationales distinctes : en un mot, elles ont fertilisé le sol pour les pogroms, l’exclusion, la violence entre les religions et les sectes que nous sommes obligés de supporter aujourd’hui ; de plus, cette violence se répand et devient de plus en plus dangereuse : Sunnites contre Chiites, Juifs contre Musulmans, Chrétiens contre Musulmans et des sectes encore plus anciennes qui auparavant étaient laissées tranquilles, mais qui sont maintenant entraînées dans le maelstrom impérialiste. La région est devenue une fusion violente des régimes totalitaires, de conflits religieux, de terrorisme et de la loi des seigneurs de guerre, une preuve supplémentaire qu’il n’y a pas de solution à la barbarie capitaliste, à part la révolution communiste. Avec la Déclaration Balfour, en novembre 1917, l’Angleterre avait promis un soutien à l’installation d’une patrie juive en Palestine ; elle pensait l’utiliser en tant qu’alliée locale contre ses grands rivaux. C’est dans le cadre militariste de luttes sanglantes avec les dirigeants arabes que l’État sioniste est né.4 Les États-Unis, principal bénéficiaire de la Première Guerre mondiale, commencèrent à supplanter la Grande-Bretagne comme premier gendarme du monde et cela devint une évidence au Moyen-Orient.

La contre-révolution stalinienne des années 1920-30, aidée et encouragée par les puissances occidentales, a entraîné l’augmentation des machinations impérialistes au Moyen-Orient, jusqu’à et pendant la Deuxième Guerre mondiale. À cette période, les Turcs, les factions arabes et les sionistes oscillaient entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne ; la majorité choisit l’Allemagne. Cette région était importante pour les deux grandes puissances5, mais elle a été relativement épargnée par les destructions, dans la mesure où les champs de bataille principaux se trouvaient en Europe et dans le Pacifique. Dans l’ensemble, et la fin de la guerre devait le confirmer, la Grande-Bretagne et la France ont mené une guerre perdue d’avance au Moyen-Orient et ailleurs, car la hiérarchie impérialiste a été bousculée par l’émergence de la superpuissance américaine. Ceci fut encore renforcé par la création d’un État sioniste, qui a été fortement soutenu par les États-Unis (et aussi au début par la Russie), au détriment des intérêts nationaux britanniques. L’établissement de l’État-nation d’Israël a déterminé une nouvelle zone de conflits dont la naissance a entraîné la création d’un énorme et permanent problème de réfugiés, qui, en grossissant, a renforcé un état de siège militaire permanent. L’existence d’Israël est probablement l’un des exemples les plus frappants de la façon dont un pays formé dans la décadence capitaliste est encadré par la guerre, survit par la guerre et vit dans la peur constante de la guerre.

Un autre chapitre de l’impérialisme a été ouvert lorsque le Moyen-Orient est devenu un enjeu de la Guerre Froide entre les blocs américain et russe qui se sont consolidés après la Deuxième Guerre mondiale et ont effectué plusieurs interventions par l'engagement interposé de puissances militaires entre les deux grands. Ainsi, lors des guerres israélo-arabes de 1967 et 1973, les deux blocs s’affrontaient d’une certaine façon par procuration ; les victoires écrasantes d’Israël ont considérablement réduit la capacité de l’URSS à maintenir les points d’appui qu’elle avait établis dans la région, en particulier en Égypte. Dans le même temps, déjà dans les années 1970 et au début des années 1980, on a pu voir les germes des conflits multipolaires et chaotiques qui ont caractérisé la période qui a suivi l’effondrement de l’URSS et de son bloc. Le renversement du Shah d’Iran en 1979 a entraîné la formation d’un régime qui a tendu à s’affranchir du contrôle des deux blocs. La tentative de la Russie de se renforcer en profitant du nouvel équilibre des forces dans la région, sa tentative d’occupation de l’Afghanistan en 1980, l’a entraînée dans une longue guerre d’usure qui a grandement contribué à l’effondrement de l’URSS. Au même moment, en favorisant le développement des Moudjahidines islamistes, incluant le noyau qui allait devenir Al Qaïda pour lutter contre l’occupation russe, les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Pakistan étaient en train de fabriquer un monstre qui leur mordrait bientôt la main. Pendant ce temps, l’impérialisme américain procédait au retrait de ses troupes du Liban, qu’il n’avait pas réussi à soustraire aux forces agissant comme mandataires de l’Iran et de la Syrie.

C’est durant cette période que l’on assiste au début de la perte de puissance des États-Unis, qui est à la fois une expression et une contribution à la décomposition ambiante d’aujourd’hui. Après l’effondrement du bloc russe, est venue la désintégration des alliances autour des États-Unis et le développement centrifuge du chacun pour soi des différentes nations. Les États-Unis ont réagi énergiquement à cette situation, tentant de rassembler leurs alliés en lançant la Guerre du Golfe de 1990-91, qui a abouti à la mort d’environ un demi-million d’Irakiens (alors que Saddam Hussein restait en place). Mais la réalité de cette tendance était trop forte et la domination américaine avait irrémédiablement vécu. Après le 11 septembre 2001, les néo-conservateurs évangéliques agissant pour le compte de l’impérialisme américain ont engagé de nouvelles guerres en Afghanistan et en Irak, prenant l’apparence d’une croisade contre l’Islam, attisant ainsi les flammes du fondamentalisme islamique.

Aujourd’hui, on assiste à un glissement plus profond dans la barbarie capitaliste

Dans le film de 1979 réalisé par Francis Ford Coppola Apocalypse now, un colonel renégat américain demande au tueur à gages appointé par la CIA ce qu’il pense de ses méthodes ; l’assassin répond : « je ne vois aucune méthode. » Il n’y a pas de méthode dans les guerres d’aujourd’hui au Moyen-Orient, à l’exception d’un grand précepte : « faites ce que vous voulez ». Il n’y a aucune justification économique (des milliards de dollars sont partis en fumée juste pour les guerres d’Irak et d’Afghanistan), seulement une descente permanente dans la barbarie. Aussi fictif qu’il soit, le personnage du colonel Kurtz dans le film est le symbole de l’exportation de la guerre « du cœur des ténèbres », qui se trouve en fait dans les centres principaux du capital plutôt que dans les déserts du Moyen-Orient ou les jungles du Vietnam et du Congo.

En Syrie aujourd’hui, il y a une bonne centaine de groupes qui combattent le régime et se battent entre eux, tous plus ou moins téléguidés par des pouvoirs locaux ou plus importants. La nouvelle « nation », le prétendu califat de l’État islamique, avec son propre impérialisme, sa chair à canon, sa brutalité et son irrationalité, est à la fois une expression à part entière de la décadence du capitalisme et le reflet de toutes les grandes puissances qui, d’une façon ou d’une autre, l’ont créé. L’État islamique est actuellement en expansion partout dans le monde, gagnant de nouvelles filiales en Afrique, s’emparant de Boko Haram au Nigeria. L’État islamique est également en concurrence avec les Talibans en Afghanistan, qui eux-mêmes sont en danger dans la région de l’Helmand, qui a été si longtemps la base de l’armée britannique. Mais si l’État islamique était éliminé demain, il serait remplacé immédiatement par d’autres entités djihadistes, tels que Jahbat al-Nusra, une filiale de Al Qaïda. La « guerre contre le terrorisme » chapitre 2, comme pour le chapitre 1, ne fera qu’augmenter le terrorisme existant au Moyen-Orient avec son exportation au cœur du capitalisme.

L’une des caractéristiques du nombre grandissant de guerres au Moyen-Orient est la réémergence de la Russie sur le plan militaire, avec pour couverture idéologique les « valeurs » de la vieille nation russe. Pendant la Guerre Froide, la Russie a été expulsée de l’Égypte et du Moyen- Orient en général, car sa puissance avait décliné. Maintenant, la Russie est réapparue, non sous la forme d’une tête de bloc comme avant (elle a seulement quelques ex-républiques anémiques comme alliées) mais comme une force drapée dans la décomposition qui doit soutenir l’impérialisme pour son « identité » nationale. La faiblesse de la Russie est évidente dans ses tentatives désespérées pour installer des bases en Syrie, les plus importantes pour elle à l’extérieur de son territoire. Un autre facteur qui aura une incidence importante, y compris pour elle, est l’actuel rapprochement entre les États-Unis et l’Iran, lié à l’accord sur le nucléaire de 2015. Cet accord exprime aussi une faiblesse fondamentale de l’impérialisme américain et est la source de tensions importantes entre les États-Unis et leurs principaux alliés régionaux, Israël et l’Arabie Saoudite.

Quel que soit le côté où l’on regarde, le désordre impérialiste au Moyen-Orient devient de plus en plus impossible à démêler. Il existe aussi dans cette situation le positionnement de la Turquie, qui n’a pas hésité à verser de l’huile sur le feu de la guerre. Sa guerre contre les Kurdes n’aura pas de fin et par ses agissements, elle monte les uns contre les autres, les États-Unis, la Russie et l’Europe. Ses relations avec la Russie en particulier se sont refroidies après la destruction d’un avion de chasse russe, alors qu’elle a utilisé le grossier prétexte d’attaquer l’État islamique pour pilonner des bases Kurdes. Il y a la participation de l’Arabie Saoudite qui, bien que prétendument alliée des États-Unis et de la Grande-Bretagne, a été un bailleur de fonds important pour différentes bandes islamistes dans la région, grâce à l’exportation non seulement de son idéologie wahhabite mais aussi des armes et de l’argent.

Aussi loin que les États-nations s’enfoncent dans la décadence, l’Arabie Saoudite est l’une des pires farces historiques qu’on puisse trouver.6 Minée par la chute des prix du baril d’or noir, qui a été encouragée par l’Iran (désignant le pétrole non comme un facteur d'ajustement économique mais comme une arme impérialiste) et craignant que la théocratie iranienne rivale ne redevienne le gendarme de la région après ses récents accords avec les États-Unis, le régime saoudien a porté un coup contre l’Iran avec l’exécution du célèbre imam chiite Sheikh Nimr al-Nimr, et d’autres décapitations qui ont été à peine mentionnées dans les médias occidentaux. Cette provocation planifiée contre l’Iran montre un certain désespoir et une faiblesse du régime saoudien ainsi qu'un danger que la situation ne dérape et devienne hors de contrôle. Les actions récentes du régime saoudien révèlent à nouveau les tendances centrifuges de chaque nation au chacun pour soi et la difficulté des grandes puissances, particulièrement des États-Unis, à les contenir. Une chose est certaine concernant l’épisode actuel de rivalité Iran/Irak : la perspective de l’aggravation de la guerre, des pogroms et du militarisme à travers la région, avec de multiples tensions et la précarité des alliances provisoires gagnant du terrain. Des accrochages étaient signalés plus loin en Égypte (que l’Arabie Saoudite a financés dans le cadre de son combat contre les Frères Musulmans) et tout cela ne pourra que s’aggraver.

L’État-nation du Liban a déjà été déchiré dans les années 1980 ; les tensions vont s’accroître maintenant et les conséquences de la rupture de cet État fragile seraient désastreuses, du moins pour Israël dont la guerre larvée avec les factions palestiniennes et le Hezbollah continuent.

Enfin, il faut mentionner le rôle grandissant de la Chine, même si ses principaux points de rivalités impérialistes (avec les États-Unis, le Japon et d’autres) se portent plutôt sur l’Extrême-Orient. Ayant émergé comme alliée subalterne de la Russie à la fin des années 1940 à 1950, la Chine a commencé à avoir un parcours indépendant dans les années 1960 (la « rupture sino-soviétique »), conduisant rapidement à une nouvelle entente avec les États-Unis. Mais, depuis les années 1990, la Chine est devenue le deuxième pouvoir économique mondial et cela a sérieusement élargi ses ambitions impérialistes, on le voit dans ses efforts pour pénétrer en Afrique. Pour le moment, elle a eu tendance à opérer aux côtés de l’impérialisme russe au Moyen-Orient, bloquant les tentatives américaines de discipliner la Syrie et l’Iran, mais son potentiel pour semer la panique dans l’équilibre mondial des puissances, accélérant ainsi la chute dans le chaos, reste dans une large mesure inexploité. Cela nous donne une preuve supplémentaire que le démarrage économique d’une ancienne colonie comme la Chine n’est plus désormais un facteur de progrès humain, mais apporte avec lui de nouvelles menaces de destructions, tant militaires qu’écologiques.

Nous avons commencé par étudier la nature réactionnaire de l’État-nation, autrefois expression du progrès, qui est maintenant devenue non seulement une entrave à l’avancée de l’humanité mais aussi une menace pour son existence même. L’éclatement virtuel des nations syrienne et irakienne, obligeant des millions de personnes à fuir la guerre et à éviter de se faire enrôler d’un côté ou d’un autre, la naissance de l’État islamique, le projet national de Jahbat al-Nusra, la défense patriotique du peuple kurde, tout cela sont des expressions de la décadence, de l’impérialisme qui n’a rien d’autre à offrir aux populations de ces régions que la misère et la mort. Il n’y a pas de solution à la décomposition du Moyen-Orient au sein du capitalisme. Face à cela, il est vital que le prolétariat maintienne et développe ses propres intérêts contre ceux de l’État-nation. La classe ouvrière dans les pays centraux du capitalisme détient les clés de la situation, compte-tenu de l’extrême faiblesse du prolétariat dans les zones en guerre. Et, bien que la bourgeoisie soumette la classe ouvrière des pays du cœur du capitalisme à un battage idéologique permanent autour des thèmes des réfugiés et du terrorisme, elle n’ose pas encore la mobiliser directement pour la guerre. Potentiellement, la classe ouvrière demeure la plus grande menace contre l’ordre capitaliste. Mais elle doit transformer ce potentiel en réalité si nous voulons éviter le désastre vers lequel nous courrons. Comprendre que les intérêts prolétariens sont internationaux, que l’État-nation n’est plus un cadre viable pour la vie humaine, sera une part essentielle de cette transformation.

Boxer, sympathisant du CCI (13 janvier 2016)

 

1 Brochure de Junius, la crise de la social-démocratie, 1915, Rosa Luxemburg. Ed. Les Amis de Spartacus, 1994, ch. VII, p. 127.

2 Idem, ch. VII, p. 128.

[3] Bilan de 70 années de luttes de libération nationales, 3

3 2ème partie : les nouvelles nations, Revue Internationale n° 69, pp. 20-21.

4 Voir les Notes sur le conflit impérialiste au Moyen-Orient 1ère partie, Revue Internationale n° 115, p. 21.

5 Voir les Notes sur le conflit impérialiste au Moyen-Orient 3ème partie, Revue Internationale n° 118, été 2004.

6 Nous reviendrons sur ce sujet dans un prochain article.

 

Géographique: 

  • Moyen Orient [7]

Rubrique: 

Conflits impérialistes

Podemos: des habits neufs au service de l’empereur capitaliste

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A en croire le bombardement médiatique que l’on nous assène ces derniers mois, nous serions à la veille d’un tremblement de terre qui chamboulerait de haut en bas le scénario traditionnel des trente dernières années selon lequel le Parti Populaire de droite (PP) et le parti socialiste (PSOE) se succèdent alternativement au pouvoir sans que personne n’y trouve à redire. Cet échiquier politique se verrait aujourd’hui perturbé par l’irruption de “forces émergentes”, et en particulier par la plus récente d’entre elles : Podemos. Mais Podemos ne représente rien de nouveau.

Son programme politique et son idéologie sont des classiques des régimes staliniens 1 défendus par les partis soi-disant communistes (en réalité furieusement anticommunistes) et leurs acolytes gauchistes de tout poil (trotskistes, syndicalistes de base, mouvements altermondialistes) 2 qui sont les principaux soutiens de cette pantomime de “politique nouvelle”. La spécificité de Podemos qui justifie le coup de pub que lui fait le capitalisme espagnol est que les troupes d’Iglesias (son leader) remplissent une mission spéciale, très importante pour la bourgeoisie aussi bien espagnole que mondiale, qui est celle d’effacer les empreintes du mouvement du 15 mai qui ont fait trembler les rues il y a quatre ans et demi.

La “fierté de l’Espagne” d’Iglesias contre l’internationalisme du mouvement du 15 mai

Il y a 4 ans, de grandes foules ont occupé les rues et les places non seulement en Espagne mais également en Grèce, aux États-Unis, en Israël, etc. “Le mouvement d’indignation s’est étendu internationalement. Il a surgi en Espagne où le gouvernement socialiste avait mis en place un des premiers plans d’austérité et un des plus durs ; en Grèce, devenue le symbole de la crise économique mondiale à travers l’endettement ; aux États-Unis, temple du capitalisme mondial ; en Égypte et en Israël pays pourtant situés de chaque côté du front du pire conflit impérialiste et le plus enkysté, celui du Moyen-Orient” . Il y a eu des tentatives, encore très timides et embryonnaires, de solidarité internationale. “En Espagne, la solidarité avec les travailleurs de Grèce s’est exprimée aux cris de “Athènes tiens bon, Madrid se lève !”. Les grévistes d’Oakland (États-Unis, novembre 2011) proclamaient leur “solidarité avec les mouvements d’occupation au niveau mondial”. En Égypte, a été approuvée une Déclaration du Caire en soutien au mouvement aux États-Unis. En Israël, les Indignés ont crié “Netanyahou, Moubarak, El Assad, c’est la même chose” et ont pris contact avec des travailleurs palestiniens” 3.

L’internationalisme qui s’est exprimé spontanément même de façon embryonnaire dans les moments les plus forts du mouvement des Indignés est quelque chose de très dangereux pour la bourgeoisie qui justifie sa domination sur le prolétariat par l’existence d’une supposée communauté d’intérêts entre exploiteurs et exploités de chaque pays.

Ainsi, dès l’origine, Podemos s’est caractérisé par ce qu’ils appellent un discours “transversal”, c’est-à-dire s’adressant aussi bien aux “défavorisés” qu’aux chefs d’entreprises à qui ils n’ont cessé depuis lors d’envoyer des messages rassurants. Mais cette supposée communauté “transversale”, c’est aussi celle qu’invoque le parti frère de Podemos, le parti grec Syriza pour justifier son respect des exigences de la Communauté européenne, qui sous-tend une intensification des attaques contre les conditions de vie et de travail des travailleurs grecs. Au lieu de se solidariser envers les victimes, les Iglesias, Errejon et consorts ont été solidaires de leur bourreau Tsipras.

Dans cette escalade patriotique, les “podémistes” en sont arrivés à prendre des distances envers les propositions d’envoyer des soldats dans les zones occupées par l’État islamique en Syrie et en Irak en invoquant le fait “qu’ils pourraient se faire tuer”. Nous avons vu que, en opposition à leur appel initial d’envoyer des troupes dans les zones occupées par l’État islamique (en Syrie et en Irak), ils ont allégué ensuite que “des soldats espagnols pourraient se faire tuer”. “L’argument” de “l’homme au catogan” est massue, très efficace pour nous inoculer le poison du nationalisme, en nous proposant de nous enfermer dans le petit monde étroit et endogamique de la “nation espagnole”.

Qu’importe que des ouvriers et des paysans syriens ou irakiens se fassent massacrer ? Qu’importe que la population de Rakka, la “capitale” proclamée du bastion de l’État islamique, soit soumise à une triple terreur de ses “gouvernants islamistes”, des bombardements de la Russie, des États-Unis et de la France et aussi des milices d’El Assad ? Qu’importe que ces territoires se soient transformés en trou noir où il est devenu purement et simplement impossible de vivre ? Rien de tout cela ne devrait nous préoccuper, selon la “philosophie nationale” et patriotarde du sieur Iglesias ! La seule chose qui compte est qu’aucun “compatriote”, aucun ressortissant espagnol n’aille mourir là-bas !

C’est pour cette raison que les “podémistes” ont adhéré en tant qu’observateurs” au pacte anti-djihadiste signé à la fois par les parties prenantes de l’invasion de l’Irak (le Parti populaire), de l’invasion de l’Afghanistan (le PSOE) et par les aspirants à l’invasion de n’importe quel territoire qui se ferait sous la bannière du drapeau espagnol (le mouvement des citoyens). C’est pour cette raison que Podemos a promis à Rajoy tout le soutien nécessaire pour faire face aux attaques terroristes comme il l’a déjà fait pour les victimes lors du récent attentat au centre de Kaboul 4.

Si nous mettons nos rêves dans les urnes, ce sera un cauchemar !

Un des mots d’ordre les plus repris par le mouvement du 15 mai a été “nos rêves ne rentrent pas dans vos urnes !” En effet, le mouvement des Indignés a surgi avec une forte tendance au rejet de la politique bourgeoise, des élections 5, etc. Dans les mouvements de 2011 a commencé à être mis en avant, avec encore beaucoup de faiblesses et d’hésitations, un fait qui, aujourd’hui, c’est-à-dire quatre ans après, nous paraît insolite : “Ces personnes-là, les travailleurs, les exploités, tous ceux qu’on dépeint comme des ratés indolents, des gens incapables d’initiative ou de faire quelque chose en commun, sont arrivés à s’unir, à partager, à créer et à briser la passivité étouffante qui nous condamne à la sinistre normalité quotidienne de ce système. (…) On a fait les premiers pas pour que surgisse une véritable politique de la majorité, éloignée du monde des intrigues, des mensonges et des manœuvres troubles qui est la caractéristique de la politique dominante. Une politique qui aborde tous les sujets qui nous touchent, pas seulement l’économie ou la politique, mais aussi l’environnement, l’éthique, la culture, l’éducation ou la santé” 6.

La politique bourgeoise préconise au contraire le repli sur soi de chacun d’entre nous, que chacun doit se considérer absurdement comme son propre maître en face des problèmes qui ont un caractère social et doit déléguer la recherche de leur solution à travers l’acte individuel du vote en faveur de politiciens professionnels, ce qui, à la longue, se traduit par une plus grande atomisation et une plus grande résignation.

L’évolution de la trajectoire de Podemos est très significative. À ses débuts et pour renforcer l’illusion d’une continuité avec le mouvement du 15 mai, ils ont reproduit et plagié le caractère formel des assemblées et des débats publics pour comprendre les causes de nos souffrances, les possibles alternatives à offrir, etc. Mais aujourd’hui, les prétendues “assemblées” de Podemos sont devenues une bagarre à couteaux tirés non dissimulée entre les différentes tendances concurrentes sur les listes électorales 7. Par ailleurs, les débats en sont aujourd’hui réduits à une approbation de la liste de recettes défendues comme simple programme électoral à géométrie variable, en fonction des besoins électoraux d’Iglesias et ceux de sa bande.

À quoi va servir Podemos par la suite ?

L’organisation du fonctionnement “interne” de Podemos n’est pas en contradiction avec sa fonction, comme voudraient nous le faire croire les représentants de l’aile la plus critique de cette formation. Elle est en réalité pleinement en conformité avec la mission assignée à ce parti par l’ensemble de la bourgeoisie : convaincre les travailleurs que tout mouvement de protestation, que toute remise en cause des réseaux de contrôle établis par l’État démocratique pour canaliser l’indignation – même dans sa forme domestiquée, inoffensive ou réduite à un simulacre – face au futur que nous réserve le capitalisme, est fatalement voué à mourir en finissant dans leurs filets. Il s’agit finalement de convaincre qu’il est inutile de penser pouvoir lutter contre le système, parce que le système capitaliste finit toujours par récupérer cette lutte dans une forme même plus caricaturale qu’à l’origine.

Le mouvement des Indignés en Espagne, tout comme celui qui a surgi les mois suivants aux États-Unis ou en Israël, ou encore comme d’autres expressions de la lassitude envers ce système capitaliste qui transforme les êtres humains en vulgaires marchandises, n’a pas réussi à dépasser le piège tendu par l’État bourgeois, et particulièrement par ses fractions les plus aptes au sabotage de tout mouvement de remise en cause du capitalisme. Cela ne veut pas dire que la possibilité d’une réflexion, d’une recherche pour tirer les leçons sur les causes de l’épuisement de ces mouvements, n’existe pas – même de façon latente – dans la dynamique de la situation actuelle. Les stimulants pour alimenter cette réflexion ne manquent pas. Le capitalisme s’enfonce chaque jour davantage dans l’abîme d’une misère croissante pour d’énormes masses de population, dans une multiplication de foyers de guerre et de terreur, dans un éparpillement de scénarios de catastrophes écologiques. La classe exploiteuse aura toujours besoin, et sera toujours prête à rémunérer grassement quiconque proclame à tous les coins de rue que le roi n’est pas nu, qu’il a seulement besoin de nouveaux habits, comme ceux qu’il porte déjà, que Podemos ou encore la “nouvelle gauche” en Grande-Bretagne sont prêts à lui tailler et confectionner sur mesures.

Paolo, 13 décembre 2015
(AP, organe du CCI en Espagne)

1 Comme nous l’avons déjà dénoncé dans notre précédent numéro d’Acción Proletaria. Voir notre article en espagnol [9].

2 De fait, une grande partie de la main d’œuvre de la formation “podémiste” est constituée par les militants de la dénommée “gauche anticapitaliste” formée à partir des débris des organisations gauchistes des années 1980 et de la énième scission “de gauche” du Parti “communiste” espagnol.

3 Extrait de notre tract diffusé internationalement sur le bilan des mouvements de 2011 : “De l’indignation à l’espoir”, publié sur notre site le 30 mars 2012.

http ://fr.internationalism.org/files/fr/tract_inter_2011.pdf [10]

4 Perpétré par les talibans dans le quartier diplomatique et dans lequel ont péri quatre policiers afghans et deux espagnols, à la suite duquel le gouvernement espagnol avait déclaré que c’était “une attaque contre l’Espagne”, NdT.

5 Ce n’est pas pour rien que les assemblées sur les places ont refusé avec défi de suivre l’appel à leur dissolution au cours de la “journée de réflexion” du 21 mai.

6 Extrait du tract international [10] du CCI déjà cité.

7 Des quelques 380 000 sympathisants que compte Podemos, seuls 15 % ont pris part aux primaires et à peine 4 % se sont mobilisés pour l’adoption de son programme électoral.

 

 

Récent et en cours: 

  • Podemos [11]

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Campagnes idéologiques

Scandale sanitaire à Flint (Michigan): le capitalisme est un poison

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L’eau est vitale à la vie, à l’humanité. Les deux-tiers de la planète sont recouverts par l’eau. Et pourtant… l’eau potable devient une denrée rare, précieuse, y compris dans les zones urbaines les plus développées. Vivre ou survivre en buvant un simple verre d’eau n’est plus chose aisée ! Et là, point de sécheresse ou désertification climatique comme dans beaucoup de zones arides africaines ou australiennes. Non, seules les pollutions industrielles ou agricoles sont en cause.

Le scandale de l’eau polluée de Flint, une petite ville du Michigan aux États-Unis, en est le dernier exemple en date. Les faits : en 2014, pour réduire ses coûts, la municipalité de Flint, plutôt que de continuer de l’acheter à la ville de Detroit, a décidé de puiser son eau dans la rivière locale, à la qualité douteuse. Après la découverte d’une bactérie, les autorités municipales entament un traitement chimique qui finit par ronger les conduites en plomb du réseau de distribution. Pendant un an et demi, entre avril 2014 et l’automne 2015, les habitants de cette ville de 100 000 habitants majoritairement noirs et pauvres ont utilisé et consommé cette eau contaminée au plomb. Malgré les plaintes à répétition, sans résultat, 87 cas de légionellose sont constatés dont 10 mortels, des milliers d’enfants sont contaminés avec risques de dommages irréversibles sur le système nerveux.

Le scandale sanitaire qui suit contraint Barack Obama à décréter une situation d’urgence, le président affirmant lui-même, la main sur le cœur : “Si j’étais en charge d’une famille là-bas, je serais hors de moi à l’idée que la santé de mes enfants puisse être en danger”. La mobilisation politique alors déclenchée est presqu’un exemple d’unanimité ! Le gouverneur de l’État du Michigan et l’administration municipale de Flint sont accusés de négligence et d’avoir fermé les yeux sciemment pendant des mois. Les appels à la démission se multiplient, à l’image de celui lancé par l’une des figures de Flint, le réalisateur de cinéma Michael Moore : “Ce n’est pas seulement une crise de l’eau. C’est une crise raciale, une crise de la pauvreté”, lance le cinéaste, estimant qu’un tel scandale ne serait jamais arrivé dans une ville aisée et blanche du Michigan. Car Flint, ancien pôle industriel dans l’ombre de Détroit, a subi de plein fouet l’effondrement de l’industrie automobile, en particulier celles de General Motors (fondée à Flint en 1908). En un demi-siècle, Flint a perdu la moitié de ses habitants. Le taux de chômage y est aujourd’hui près de deux fois supérieur à la moyenne nationale et 40 % de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté.

Alors, ça y est : tout est dit ! Les responsables de la crise de l’eau sont trouvés : ils sont racistes et profitent de la misère des laissés-pour-compte pour faire des économies sur leur dos ! Voilà les coupables, les “méchants” !

Est-ce aussi simple ? Que ces autorités locales ou régionales portent une lourde responsabilité, c’est une évidence. En bons gestionnaires capitalistes qu’ils sont, toutes ces administrations se doivent de rentabiliser leurs comptes face à la crise. Et elles n’ont souvent pas d’états d’âme en la matière ! Mais l’État américain, comme tous les États capitalistes, s’est refait une virginité à bon compte : “Les coupables doivent être punis et la situation doit revenir à la “normale””, “Plus jamais ça !”. Ces mêmes phrases-type ont déjà été entendues à chaque scandale financier, sanitaire ou écologique dans le monde depuis des années et des années, ou même lors de tel ou tel épisode barbare, guerrier, terroriste sur l’ensemble de la planète. De Bhopal à Fukushima, en passant par le sang contaminé, l’Amoco Cadiz, l’usine AZF et des milliers d’autres épisodes, il faut toujours jeter des coupables à la vindicte pour tenter de calmer l’indignation et empêcher toute réflexion sur les causes profondes de tels scandales.

En l’occurrence, l’État américain, Obama en tête, se permet d’apparaître comme garant de la salubrité publique face à tous les margoulins ou politiques avides de profit ! Ils seraient donc les champions de la moralité et les chevaliers blancs de la qualité de vie ? On croit rêver… ou plutôt cauchemarder ! Ce sont les États qui, les premiers, réduisent les budgets de fonctionnement, les budgets sociaux, instaurent les programmes d’austérité, réduisent les populations au chômage de masse et les font tomber dans la précarité permanente. Qu’à cela ne tienne : il faut un coupable à sacrifier et surtout éviter que les États et le système capitaliste comme un tout n’en soient rendus responsables !

Cette logique cache en fait l’essentiel et c’est le but de la manœuvre : derrière chaque scandale ou catastrophe, il y a effectivement souvent la recherche du profit. Mais le principe du profit n’est pas l’apanage de tel ou tel bourgeois malintentionné ou corrompu : c’est la logique permanente d’un système aux abois, barbare, d’une classe bourgeoise qui ne vit que de la concurrence, du profit. Ce sont ses lois implacables, inhérentes du capitalisme.

Engels déclarait en 1845 déjà : “Je n’ai jamais vu une classe si profondément immorale, si incurablement pourrie et intérieurement rongée d’égoïsme que la bourgeoisie anglaise, et j’entends par là surtout la bourgeoisie proprement dite (…) Avec une telle rapacité et une telle cupidité il est impossible qu’il existe un sentiment, une idée humaine qui ne soient souillés (…) toutes les conditions de vie sont évaluées au critère du bénéfice et tout ce qui ne procure pas d’argent est idiot, irréalisable, utopique (…)” 1.

Rien n’a fondamentalement changé depuis. Au contraire. Avec la décadence du capitalisme depuis près d’un siècle, sa décomposition sur pied jour après jour, la recherche du profit pousse à la guerre de tous contre tous, au niveau planétaire comme au simple niveau local. Le capitalisme, est une catastrophe permanente. Et, pour survivre, il doit trouver à chaque épisode spectaculaire et désastreux, un responsable particulier, un bouc émissaire : un “mauvais choix politique”, un dirigeant pourri”, une “erreur humaine”, le “climat”, le “hasard”, la “folie”... Les États bourgeois, États-Unis en tête, se dédouanent ainsi à bon compte pour préserver leur monde en putréfaction.

Soyons clairs : il n’est pas question pour nous de défendre une analyse “fataliste” de l’histoire où tout serait écrit d’avance, où chaque catastrophe serait annoncée, inéluctable et banalisée. C’est même exactement l’inverse ! C’est la bourgeoisie elle-même, avec toutes ses variantes idéologiques, qui défend la “fatalité” de l’existence du monde capitaliste en nous poussant à nous y résigner ; il suffirait d’un peu plus de “bonne volonté” individuelle ou de faire confiance à un État “réellement démocratique” pour atténuer les effets de ces catastrophes inévitables, pour rendre ce “sort” plus tolérable.

Les partis de la gauche de l’appareil politique bourgeois se sont ainsi fait les champions de la “solution démocratique”. Le parti démocrate au pouvoir et les mouvances de gauche l’ont répétés à l’unisson : avec un État sincèrement à l’écoute des besoins du “peuple” tout irait pour le mieux : finis les scandales ! Finies les guerres ! Finie l’exploitation ! Mais la raison d’être de l’État est précisément la préservation des intérêts du capital, dont les profits sont à l’origine des scandales sanitaires en tout genre. Avec la “démocratie renouvelée”, la gauche capitaliste n’aspire qu’à anesthésier la classe ouvrière pour la rendre docile et renforcer son impuissance.

Le scandale de Flint, après bien d’autres, est l’occasion d’une nouvelle instrumentalisation politicienne de la part des démocrates bourgeois. Leur monde nous indigne toujours davantage et nous refusons la logique de mort au quotidien qu’ils défendent, celle des marchands et du système capitaliste qui est lui-même la catastrophe permanente. C’est bien ce système qui doit être renversé, radicalement, à l’échelle mondiale. Malgré les préjugés et des apparences contraires, les difficultés et le sentiment d’impuissance qui domine, la classe laborieuse, comme le disait Engels, reste la seule classe sociale apte à le faire. L’affirmation de la force collective internationale du prolétariat a en effet fait la preuve par l’histoire qu’elle pouvait renverser l’ordre établi et s’attaquer à la dictature du capital.

Stopio, 21 février 2016

1 La situation de la classe laborieuse en Angleterre.

 

 

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Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/ri457.pdf [2] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201602/9308/politique-allemande-et-probleme-des-refugies-jeu-dangereux-feu [3] https://fr.internationalism.org/files/fr/tracteurs.jpg [4] https://fr.internationalism.org/ri418/bilan_du_blocage_des_raffineries_1ere_partie.html [5] https://fr.internationalism.org/ri420/bilan_du_blocage_des_raffineries.html [6] https://en.internationalism.org/icconline/201601/13763/middle-east-historical-obsolescence-nation-state [7] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient [8] https://fr.internationalism.org/files/fr/podemos.jpg [9] https://es.internationalism.org/cci-online/201406/4033/podemos-un-poder-del-estado-capitalista [10] https://http ://fr.internationalism.org/files/fr/tract_inter_2011.pdf [11] https://fr.internationalism.org/tag/7/469/podemos [12] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis [13] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/ecologie