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Revue Internationale no 15 - 4e trimestre 1978

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Le cours historique (1978)

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Comment le CCI peut-il  parler d'intensifica­tion des antagonismes inter-impérialistes au­jourd'hui, tout en affirmant par ailleurs que la société bourgeoise est entrée dans une pé­riode de montée des luttes de classe depuis la fin des années 60 ? N'y a-t-il  pas une contradiction entre les mises en garde contre un danger de guerre en Afrique, au Moyen-Orient, et l'analyse selon laquelle un nouveau cours vers la lutte prolétarienne et vers une confrontation décisive entre les classes s'est ouvert avec la crise économique ? Vivons-nous une nouvelle version des années 30 avec à l'ho­rizon inéluctablement la guerre généralisée, ou sommes-nous devant la perspective révolution­naire ?

Cette question revêt une importance capitale. Tout au contraire de la pensée paresseuse, molle, des spectateurs sociaux, la pensée ré­volutionnaire, dynamique, ne peut pas se con­tenter d'"un peu de ceci" et "un peu de cela" mélangés dans une sauce sociologique sans li­gnes directrices. Si le marxisme ne nous ap­portait qu'une analyse du passé pour nous of­frir pour aujourd'hui un simple "on verra bien", nous n'en aurions pas besoin.

L'action sociale, la lutte, exige la compré­hension des forces en présence, exige une perspective. L'action du prolétariat diffère selon sa conscience de la réalité sociale à laquelle il  s'affronte et selon les possibili­tés offertes par le rapport des forces. L'in­tervention organisée des révolutionnaires dans ce processus de prise de conscience de la classe s'oriente différemment également, sinon dans son contenu profond, du moins dans son expression, selon la réponse donnée à la question "allons-nous vers la guerre, ou al­lons-nous vers une confrontation révolution­naire ?".

La théorie marxiste n'est pas la lettre morte des bourreaux staliniens ou des académiciens mais reste l'effort le plus cohérent d'expri­mer théoriquement l'existence et l'expérience du prolétariat dans la société bourgeoise. C'est dans le cadre du marxisme, et non seule­ment de sa réappropriation mais aussi de son actualisation, que les révolutionnaires peu­vent et doivent répondre à la question du rap­port de forces entre la bourgeoisie et le pro­létariat aujourd'hui, entre la guerre et la révolution.

 

La Période Historique de la Société Bourgeoise

 

En premier lieu, la perspective pour les lut­tes n'est pas une simple question immédiate de jours ou d'années, mais suppose tout un dé­veloppement historique. Le mode de production capitaliste, au cours de son développement, en détruisant les bases matérielles, économi­ques du féodalisme et d'autres sociétés pré­capitalistes, a étendu ses rapports de production et le marché capitaliste à toute la planè­te. Bien que le capitalisme aspire à être un système universel, il se heurte à des contradic­tions économiques internes à son propre fonction­nement basé sur l'exploitation et la concurrence. A partir de la création effective du marché mon­dial et du développement des forces productives, le capitalisme ne peut plus surmonter ses crises cycliques par une extension de son champ d'accu­mulation, il entre dans une période de déchire­ment interne, une période de déclin en tant que système historique, ne répondant plus aux be­soins de la reproduction sociale. Le système le plus dynamique de l'histoire jusqu'à nos jours déchaîne dans sa décadence un véritable cannibalisme.

La décadence du capitalisme est marquée par l'épanouissement des contradictions inhérentes à sa nature, par une crise permanente. La crise trouve deux forces sociales antagoniques en pré­sence, la bourgeoisie, classe du capital, vivant de la plus-value, et le prolétariat dont les in­térêts de classe exploitée, en le poussant à s'opposer à son exploitation, mènent à la seule possibilité historique de dépassement de l'exploi­tation, de la concurrence, de la production de marchandises : une société de producteurs libre­ment associés.

La crise agit sur ces deux forces historiquement antagoniques de façon différente : elle pousse la bourgeoisie vers la guerre et le prolétariat vers la lutte contre la dégradation de ses con­ditions d'existence. Avec la crise, la bourgeoi­sie est obligée de se retrancher derrière la force concertée des Etats nationaux pour pouvoir se défendre dans la concurrence effrénée d'un marché mondial  déjà divisé entre puissances im­périalistes et qui  ne peut s'étendre davantage. La guerre impérialiste mondiale est le seul aboutissement de la concurrence reportée au ni­veau international. Pour pouvoir survivre, le capitalisme subit les déformations de son der­nier stade : l'impérialisme généralisé. La tendance universelle du capitalisme décadent vers le capitalisme d'Etat n'est rien d'autre que l'expression "organisationnelle" des exigences des antagonismes impérialistes. Le mouvement vers la concentration du capital  qui  s'exprime déjà à la fin du XIXème siècle par des trusts, cartels et ensuite des multinationales se voit contrecarré et dépassé par la tendance vers l'étatisation qui ne répond pas à une "ratio­nalisation" du capital mais aux besoins de ren­forcer et mobiliser le capital national dans une économie de guerre quasi  permanente, un totalitarisme étatique dans tous les domaines de la société. La décadence du capitalisme, c'est la guerre, le massacre constant, la guerre de tous contre tous.

Contrairement au   siècle    passé où la bourgeoi­sie se renforçait en développant sa domination sur la société, elle est aujourd'hui une clas­se déclinante, affaiblie par la crise de son système, assurant seulement guerres et destructions comme conséquences de ses contradictions économiques.

A défaut d'une intervention prolétarienne victo­rieuse dans une révolution mondiale, la bourgeoisie n'a pas une "stabilité", une attente pa­tiente à nous offrir mais au contraire un cycle de destructions chaque fois plus étendu. La clas­se capitaliste n'a pas d'unité ni de paix en son sein, mais l'antagonisme et la concurrence issus des rapports marchands d'une société d'exploita­tion. Déjà, dans la période ascendante du déve­loppement capitaliste, les révolutionnaires se sont opposés à l'idée réformiste de Kautsky, de Hilferding, selon laquelle le capitalisme pour­rait évoluer vers une unité supra-nationale. La gauche socialiste et Lénine dans "L'impérialisme, Stade Suprême du Capitalisme", ont dénoncé cette chimère d'une unification mondiale du capital. Bien que les forces productives tendent à pous­ser dans le sens d'un dépassement du cadre natio­nal  étriqué, elles n'y parviennent jamais parce que soumises au carcan des rapports capitalistes.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une nouvelle variante de cette théorie de supra-natio­nalité a été développée par Socialisme ou Barbarie pour qui une "nouvelle société bureaucratique" tendrait à créer cette unification mondiale. Mais la "société bureaucratique" n'existe pas ; la tendance générale vers l'étatisation du capital n'est ni un nouveau mode de production, ni un pas progressif vers le socialisme comme ont pu le croire certains éléments du mouvement ouvrier en la voyant se développer dans la première guer­re mondiale. Etant l'expression de 1'exacerbation des rivalités entre fractions nationales du capi­tal, le capitalisme d'Etat ne réalise aucune uni­té, au contraire. Le capital  national est obligé de se regrouper autour des grandes puissances dans des blocs impérialistes mais ceci non seu­lement n'élimine pas les rivalités au sein d'un bloc, mais surtout reporte     et accentue davan­tage les antagonismes au niveau international dans la confrontation et la guerre entre les blocs. Ce n'est que pour faire face à son ennemi mortel, le prolétariat en lutte, que la classe capitaliste peut réaliser une quelconque unité internationale provisoire.

Face à la menace du prolétariat, dans l'incapa­cité de répondre aux exploités par une réelle amélioration de leurs conditions de vie, mais au contraire contrainte d'exiger une exploitation plus féroce et une mobilisation pour la guerre économique et ensuite militaire, face à l'usure de ses capacités de mystification, la bourgeoi­sie développe un Etat policier hypertrophié, met en place tout un appareil de répression allant des syndicats jusqu'aux camps de concentration, pour pouvoir dominer une société en décomposi­tion. Mais tout comme les guerres mondiales ex­priment la décomposition du système économique, le renforcement de l'appareil répressif de l'Etat montre la faiblesse réelle de la bourgeoisie face aux échéances de l'histoire. La crise du système sape les bases matérielles et idéologiques du pouvoir de la classe dominante et ne lui laisse que l'acharnement du massacre.

Contrairement à l'effondrement de la bourgeoisie dans la barbarie sanglante de son déclin, le pro­létariat à l'époque de la décadence, représente la seule force dynamique de la société. L'ini­tiative historique est avec le prolétariat; c'est lui seul qui  porte la solution historique qui peut faire avancer la société. Par sa lutte de classe, il  peut freiner et enfin arrêter la barbarie constante de la décadence capitaliste. En posant la question de la révolution, en "transformant la guerre impérialiste en guerre civile", le prolétariat oblige la bourgeoisie à répondre sur le terrain de la guerre des clas­ses.

 

Quelle Perspective   aujourd'hui?

 

Si  nous avons posé la question de savoir si au cours d'une période de montée des luttes il peut y avoir l'expression et même l'aggravation des antagonismes impérialistes, nous sommes alors en mesure de répondre. Le propre de la bourgeoi­sie est la tendance vers la guerre, qu'elle en soit consciente ou non. Même quand elle se pré­pare pour affronter le prolétariat, les antago­nismes impérialistes existent toujours; ils dé­pendent de l'approfondissement de la crise et ne trouvent pas    leur source dans l'action de 1a classe ouvrière. Mais le capitalisme ne peut aller jusqu'au bout, à la guerre généralisée, qu'à la condition d'avoir au préalable maté le prolétariat et l'avoir embrigadé dans la mobili­sation. Sans cela, l'impérialisme ne peut pas aboutir à sa fin logique.

En effet, entre l'éclatement de la crise en 29 et la seconde guerre mondiale, il  a fallu dix ans, non seulement pour remettre en place une économie de guerre suffisante pour les besoins de destruction, mais pour achever l'écrasement physique et le désarmement idéologique de la classe ouvrière embrigadée dans les partis "ou­vriers", staliniens et social-démocrates, der­rière la bannière de 1'antifascisme ou dans les rangs du fascisme, dans l'union sacrée. De même, avant août 14, c'est tout un processus de dégénérescence de la deuxième Internationale et de collaboration des classes qui a préparé le ter­rain de la trahison des organisations ouvrières. La guerre mondiale n'éclate pas tel  l'éclair dans un ciel  bleu, mais à la suite de l'élimina­tion effective de la résistance prolétarienne.

Si la lutte de classe est suffisamment forte, l'aboutissement dans la guerre généralisée n'est pas possible; si la lutte s'affaiblit à travers1a défaite physique ou idéologique du proléta­riat, alors la voie est ouverte à l'expression de la tendance inhérente au capitalisme décadent  : la guerre mondiale. Par la suite, ce n'est qu'au cours même de la guerre, comme réponse aux con­ditions de vie insoutenables, que le prolétariat peut reprendre le chemin de sa conscience et resurgir dans la lutte.  Il  ne faut pas se leurrer: on ne peut pas prétendre "faire la révolution contre la guerre", faire la grève générale au jour "J", face à l'ordre de mobilisation. Si la guerre est sur le point d'éclater, c'est jus­tement parce que la lutte de classe a été trop faible pour freiner la bourgeoisie, et alors il ne s'agit pas de bercer le prolétariat d'illusions.

Aujourd'hui, les ouvriers ne sauraient négliger la gravité des manifestations des rivalités impé­rialistes et de l'enjeu du rapport de forces en­tre bourgeoisie et prolétariat. Si la  deuxième guerre mondiale n'est qu'une continuité de la première et si la troisième est la continuité de la deuxième, si  le capitalisme, tel  un match de boxe, ne vit les périodes de "reconstruction" que comme intervalles entre les guerres, la ca­pacité destructive actuelle nous laisse peu d'espoir d'une quelconque possibilité de sur­gissement du prolétariat au cours d'un troisièime holocauste. Il est fort probable que la destruction serait telle que la nécessité et la possibilité du socialisme seraient écartées avec la destruction de la majeure partie du globe. L'enjeu se joue donc aujourd'hui et non pas demain ; c'est face à une période de crise éco­nomique que surgira la classe ouvrière et non face à une guerre. Seul le prolétariat peut freiner, par sa lutte sur son terrain de classe contre la crise et la dégradation de ses condi­tions de vie, la tendance constante de la bour­geoisie vers la guerre. C'est aujourd'hui seu­lement que le rapport prolétariat/bourgeoisie décidera entre le socialisme ou la chute défi­nitive dans la barbarie.

Si nous signalons donc la gravité des affronte­ments entre les blocs aujourd'hui, c'est pour mieux démasquer la réalité hideuse du système capitaliste que 60 années de souffrances nous ont enseignées. Mais cette mise en garde géné­rale et nécessaire ne signifie nullement qu'au­jourd'hui la perspective est vers la guerre mon­diale ou que nous vivions une période de contre-révolution triomphante. Au contraire, les rap­ports de forces ont basculé en faveur du prolé­tariat. Les nouvelles générations ouvrières n'ont pas subi les défaites des précédentes. La dislocation du bloc "socialiste" ainsi que les insurrections ouvrières dans le bloc de l'Est ont énormément affaibli le pouvoir mystificateur de l'idéologie bourgeoise stalinienne. Fascisme et anti-fascisme sont bien trop usés pour servir et l'idéologie des "droits de l'hom­me" sous le capitalisme, démentie du Nicaragua à l'Iran, ne suffit pas pour les remplacer. La crise, fin de la prospérité trompeuse de la re­construction d'après-guerre, a provoqué un ré­veil général du prolétariat. La vague de 1968 à 1974 a été une puissante riposte aux débuts de la crise et la combativité ouvrière n'a épargné aucun pays. C'est cette renaissance de la com­bativité ouvrière qui marque la fin de la contre-révolution et qui constitue la pierre angulaire de la perspective révolutionnaire aujourd'hui.

Il n'y a jamais de situation sociale unilatérale simpliste ; les antagonismes inter-impérialistes ne disparaissent pas tant que le système capita­liste est en vie. Mais la combativité ouvrière est un obstacle, le seul aujourd'hui, à la ten­dance vers la guerre. Quand il y a un creux dans les luttes, le frein n'agit pas suffisamment sur la vitesse et les antagonismes inter-impérialis­tes s'aggravent.    C'est pour cela que les révo­lutionnaires insistent tant sur les développe­ments de la lutte autonome de la classe ouvriè­re, sur les grèves sauvages qui tendent à dépas­ser le carcan syndical, sur la tendance vers l'auto-organisation de la classe, sur la comba­tivité face à l'austérité et contre les sacrifi­ces qu'exige la bourgeoisie.

La crise, en une ligne droite toujours descendante, amène la classe capitaliste en décomposition à la guerre. Par contre, elle pousse en des explosions sporadiques, en dents de scie, la classe révolutionnaire à la lutte. Le cours historique est la résultante de ces deux ten­dances antagoniques  : guerre ou révolution.

Bien que le socialisme soit une nécessité historique face à la décadence de la société bourgeoise, la révolution socialiste n'est pas à chaque moment une possibilité concrète. Pen­dant les longues années de la contre-révolution, le prolétariat était défait, sa conscien­ce et son organisation trop faibles pour être une force autonome dans la société en face de la destruction.

Aujourd'hui, par contre, le cours historique est à la montée des luttes prolétariennes. Mais le temps joue ; il n'y a jamais de fata­lité dans l'histoire. Un cours historique n'est pas "stable", acquis pour toujours ; le cours vers la révolution prolétarienne est une possibilité qui s'ouvre, un mûrissement des conditions qui mène à la confrontation des classes. Mais si le prolétariat ne développe pas sa combativité, ne s'arme pas à travers la conscience forgée dans les luttes et par la contribution des révolutionnaires en son sein, il ne pourra pas répondre à ce mûrisse­ment par son activité créatrice et révolution­naire. Si le prolétariat est battu, s'il retom­be dans la passivité à la suite d'un écrasement, alors le cours sera renversé et le potentiel de guerre généralisée toujours présent se réa­lisera.

Aujourd'hui le cours est vers la montée. Par­ce que la classe ouvrière n'est pas battue, parce qu'elle résiste à la dégradation de ses conditions de vie partout dans le monde, par­ce que la crise économique internationale aggrave l'usure de l'idéologie bourgeoise et donc son poids sur la classe, parce que la classe ouvrière est la force de la vie contre le "viva la muerte" de la contre-révolution sanglante, pour toutes ces raisons, nous fai­sons un "salut à la crise" qui ouvre pour une deuxième fois dans la période de décadence la porte de l'histoire.

J.A.

 

« Les contradictions du régime capitaliste se sont transformées pour l'humanité, par suite de la guerre,  en souffrances inhu­maines : faim,  froid,  épidémies, barbarie morale. La vieille querelle académi­que des socialistes sur la théorie de la paupérisation et le passage progressif du capitalisme au socialisme a été ainsi définitivement tranchée. Les statisticiens et les pédants de la théorie de l'aplanissement des contradictions se sont efforcés pendant des années de rechercher dans tous les coins du monde,  des faits réels ou ima­ginaires permettant de prouver l'améliora­tion de certains groupes ou catégories de la classe ouvrière.  On admit que la théo­rie de la paupérisation était enterrée sous les sifflements méprisants des eunuques qui occupent les chaires universitaires bourgeoises et des bonzes de l'opportunisme socialiste. Aujourd'hui,  ce n'est pas seu­lement la paupérisation sociale, mais aussi la paupérisation physiologique, biologique dans toute sa réalité hideuse, qui se présente à nous.

La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé toutes les conquêtes de la lutte syndicale et parlementaire.  Et pourtant, cette guerre est née des tendances internes du capitalisme tout comme ces marchandages économiques et ces compromis parlementai­res qu'elle a noyés dans le sang et la boue.

Le capital financier, qui a précipité l'hu­manité dans l'abîme de la guerre, a lui-mê­me subi des modifications catastrophiques au cours de la guerre. Les liens de dépen­dance où se trouvait le papier-monnaie par rapport aux fondements matériels de la pro­duction ont été complètement rompus.   (...) Si la subordination totale du pouvoir d'Etat à la puissance du capital financier a conduit l'humanité à la boucherie impé­rialiste,  cette boucherie a permis au capi­tal financier, non seulement de militariser complètement l'Etat, mais aussi de se mili­tariser lui-même,  si bien qu'il ne peut plus remplir ses fonctions économiques essentielles que par le fer et le sang. Les opportunistes qui, avant la guerre,  inci­taient les ouvriers à modérer leurs reven­dications au nom du passage progressif au socialisme, qui exigèrent pendant la guerre l'humiliation de classe et la soumission de classe du prolétariat au nom de l'union sacrée et de la défense de la patrie, de­mandent encore au prolétariat de nouveaux sacrifices et abnégations afin de surmon­ter les effroyables conséquences de la guerre. Si de tels prêches trouvaient au­dience au sein de la classe ouvrière,  le développement capitaliste poursuivrait son redressement sur les cadavres de plusieurs générations avec des formes nouvelles en­core plus concentrées et plus monstrueuses, avec la perspective d'une nouvelle et iné­vitable guerre mondiale. »

 

Manifeste de l'Internationale Communiste aux prolétaires du monde entier

Premier Congrès : 6 mars 1919

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [1]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur le cours historique [2]

Questions théoriques: 

  • Le cours historique [3]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [4]

L'État dans la période de transition

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La "Revue Internationale" du CCI a abordé à plusieurs reprises la question de la période de transi­tion du capitalisme au communisme. Elle a publié plus d'une dizaine de textes dans lesquels est évoqué en particulier le problème posé par les rapports entre la dictature du prolétariat et l'Etat dans la période de transition. L'idée d'une non-identité entre ces deux notions,  telle qu'elle apparaît dans les textes suivants : "Problèmes de la période de transition" et "La ré­volution prolétarienne" (n°1), "La période de transition" et "Contribution à l'étude de la ques­tion de l'Etat" (n°6), "Présentation des projets de résolution du 2ème Congrès de R.I." et "La Gauche Communiste en Russie" (n°8) "Les confusions politiques de la C.W.O." (n°10) "Projet de résolution sur la période de transition au 2ème Congrès du CCI." et  "L'Etat et la dictature du prolétariat" (n°11) y cette idée donc a souvent été considérée comme scandaleuse et "absolument étrangère au marxisme" par nombre d'éléments révolutionnaires qui s'empressent de brandir la ci­tation célèbre de Marx,  tirée de sa "Critique du Programme de Gotha", suivant laquelle, durant la période de transition "l'Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat".

Le texte qui suit est une nouvelle contribution sur cette question. Il se propose en particulier d'établir que cette non-identité entre Etat et dictature du prolétariat n'est en rien "anti-marxiste" mais qu'au contraire,  au delà de sa réfutation de certaines formules de Marx et Engels, elle s'ins­crit parfaitement dans toute la démarche du marxisme.

NATURE ET FONCTION DE L'ETAT

Au cœur de la théorie de l'Etat de Marx, se trouve la notion du dépérissement de l'Etat.

Dans sa critique de la philosophie de l'Etat de Hegel, avec laquelle débute sa vie de penseur et militant révolutionnaire, Marx combat non seu­lement l'idéalisme de Hegel selon lequel le point de départ de tout le mouvement serait l'Idée (faisant partout "de l'Idée le sujet, et du sujet réel proprement dit, le prédicat") (), mais dénonce avec véhémence les conclusions de cette philosophie, qui fait de l'Etat le média­teur entre l'homme social et l'homme universel politique, le réconciliateur du déchirement en­tre l'homme privé et l'homme universel. Hegel constatant l'opposition conflictuelle croissan­te entre la société civile et l'Etat, veut que la solution à cette contradiction soit trouvée dans l'auto limitation de la société civile et son intégration volontaire dans l'Etat, car di­sait-il  "c'est seulement dans l'Etat que l'hom­me a une existence conforme à la raison" et "tout ce que l'homme est, il le doit à l'Etat, c'est là que son être réside. Toute sa valeur, toute sa réalité spirituelle, il ne les a que par l'Etat". () A cette délirante valorisa­tion de l'Etat qui fait de Hegel son plus grand apologiste, Marx oppose : "L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque l'homme a reconnu et organisé ses forces propres comme force sociale et ne sépare donc plus de lui la force sociale sous la forme de la force politique" (), c'est à dire de l'Etat.

D'emblée, la finalité, c'est-à-dire la prise de position face et contre l'Etat, produit, manifes­tation et facteur actif de l'aliénation de l'hu­manité sera présente dans l'oeuvre d'élaboration théorique de Marx. Au renforcement de l'Etat et de son absorption de la société civile de Hegel, Marx opposera résolument le dépérissement de l'Etat comme synonyme de la marche vers l'éman­cipation de l'humanité, et cette notion fondamen­tale sera reprise, enrichie, développée tout au long de sa vie et de son oeuvre.

Cette opposition radicale à l'Etat et l'annonce de son dépérissement possible et inévitable ne sont pas un produit du génie personnel de Marx, encore qu'elles trouvent chez lui une analyse rigoureuse et une démonstration des plus cohéren­tes. C'est dans la réalité de l'époque que ces problématiques sont présentes et c'est dans cet­te même réalité que les premiers germes de la réponse commencent à s'ébaucher dans l'appari­tion et la lutte d'une classe historique nouvel­le : le prolétariat. Aussi grands qu'aient pu être sa contribution et son mérite, Marx ne fai­sait que rendre théoriquement saisissable le mouvement du prolétariat qui se déroulait dans la réalité.

En même temps qu'il combattait l'idéalisme et l'apologie de l'Etat de Hegel, Marx rejetait également toutes les théories "rationalistes" qui cherchaient à fonder l'Etat sur la "raison critique" ou encore celles qui, de Stirner à Bakounine, le condamnaient au nom d'un principe moral.

Produit historique du développement des forces productives et de la division du travail -qui font éclater l'ancienne société communiste pri­mitive- la nouvelle société fondée sur la pro­priété privée et sa division en classes antago­niques fait nécessairement surgir cette institu­tion super-structurelle qu'est l'Etat.

Manifestation d'une situation historique où la société est entrée dans un état de contradictions et d'antagonismes irréductibles (), l'Etat est en même temps l'institution indispensable pour maintenir une certaine cohésion, un ordre social, pour empêcher la société de se détruire complète­ment dans des luttes stériles et pour imposer par la force aux classes exploitées la soumission à cet ordre. Cet ordre, c'est la domination écono­mique d'une classe exploiteuse dans la société dont l'Etat est le gardien, et c'est à travers lui que la classe exploiteuse économiquement do­minante accède à la domination politique de la société. L'Etat, est donc toujours l'émanation des classes exploiteuses et, en règle générale, de la classe économiquement et immédiatement pré­dominante, dont il tire son origine et dont une fraction se spécialise dans la fonction étatique.

De ce que nous venons de dire découle que la fonction fondamentale de L’Etat est d'être le gardien de l'ordre économique établi.

Quand de nouvelles classes exploiteuses surgis­sent représentant les nouvelles forces produc­tives qui se sont développées au sein de la so­ciété au point d'entrer en contradiction avec les rapports de production existants et exi­gent leur changement, c'est à l'Etat qu'elles se heurtent, à l'Etat représentant le dernier rempart de l'ancienne société. La dynamique révolutionnaire se trouve toujours dans la so­ciété civile, dans les nouvelles classes qui ont surgi, mais jamais dans l'Etat comme tel. Il est donc principalement un instrument de conservation sociale. Dire que l'Etat est tan­tôt conservateur, tantôt révolutionnaire selon l'état de la classe qui le domine, mettre sur le même plan ces deux moments, en faire un pa­rallèle, c'est escamoter le problème de ce qui constitue le caractère fondamental de l'Etat, sa fonction essentielle. Même quand la classe révolutionnaire a conquis par la force l'Etat et, en le reconstruisant, l'adapte à ses be­soins et intérêts, cela ne change pas la natu­re essentiellement conservatrice de L’Etat, ni ne lui donne une nouvelle nature révolutionnai­re. Et cela pour la double raison :

  • que le nouvel Etat n'est que le résultat, l'aboutissement d'un bouleversement qui a déjà eu lieu ailleurs dans la structure économique de la société et dont le nouvel Etat ne fait qu'enregistrer et consacrer le fait ;
  • que, sitôt surgi, le nouvel Etat a pour fonc­tion fondamentale, non pas tant de se débarrasser des vestiges des anciennes classes déjà défaites, mais surtout de défendre le nouvel ordre social contre la menace des nouvelles classes exploitées, et pour leur sujétion. Il importe de ne pas prendre les lueurs apparentes de L’Etat pour la réalité de sa nature profonde.

D'aucuns, se référant à tel ou tel acte ou évènement sporadique, qui s'est produit sur­tout durant les moments de crises sociales et de révolutions, croient pouvoir affirmer une double nature de L’Etat, conservatrice et ré­volutionnaire à la fois. On a cité ainsi en exemple les actes de la Convention et la Ter­reur dirigés contre l'aristocratie féodale, la guerre intérieure et extérieure durant les années de la Révolution Française, l'appui ap­porté à certains moments à la bourgeoisie par la monarchie en France et également la politi­que de Pierre le Grand en Russie, etc. A ces objections, on veut opposer plusieurs remar­ques :

1) "Les exceptions ne font que confirmer la règle".

2) On ne peut voir et comprendre le cours de l'histoire et ses lois fondamentales avec des lunettes événementielles - comme on ne me­sure pas les distances entre les galaxies avec un centimètre.

3) Il n'est pas dans notre propos d'étudier et de donner une explication détaillée de cha­que événement pris à part, (cela serait de la phénoménologie) mais d'expliquer leur enchaîne­ment global, de dégager de celui-ci les lois et le sens général.

4)   Nous étudions ici l’Etat dans l'histoire, et non l'histoire de l’Etat. Nous n'étudions pas chaque moment, chaque jour de son existence, mais son existence même qui correspond à une ère historique bien déterminée et limitée : l'ère de la société divisée en classes. Pendant toute cette ère historique, L’Etat a pour fonction fondamentale de maintenir l’ordre social existant. Maintenir, entretenir, garder sont autant d'ex-pressions pour dire conserver en opposition à celle de créer. C'est le sens passif opposé au sens actif, le statique opposé au dynamique.

5)   Contre qui L’Etat doit-il assurer la défense de l'ordre existant ? Qui, quelles forces menacent cet ordre social ? () Réponse possi­ble : les anciennes classes dominantes.

Ces anciennes classes ont été déchues et vaincues avant tout dans le domaine économique. La révolution ne fait que consacrer et non dé­terminer cette déchéance. C'est pourquoi les marxistes pouvaient parler des révolutions poli­tiques dans cette ère, comme des "révolutions de palais", la véritable transformation s'étant déjà opérée dans les entrailles de la société, dans sa profonde réalité et structure économi­que.

Autre constatation importante : ce n'est ja­mais à partir de L’Etat existant que se déclen­che le mouvement de la révolution, mais la ré­volution, même politique, se déclenche de la so­ciété civile contre L’Etat. Et cela, parce que ce n'est pas L’Etat qui révolutionne la socié­té mais la société révolutionnée qui modifie et adapte l'Etat.

Le nouvel Etat surgi après l'événement qu'est la révolution, peut se livrer à quelques actes spectaculaires contre les membres de l'an­cienne classe dominante, mais cela ne va jamais très loin, ni longtemps. L'ancienne classe con­tinue à subsister et ses membres continuent I occuper longtemps une place importante dans l'appareil de L’Etat et souvent une place pré­pondérante. C'est la preuve que l'ancienne classe dominante ne présente pas cette menace que l’on prétend décisive et contre laquelle s'opérerait le renforcement du nouvel Etat, ce qui ferait de lui une nature révolutionnaire. Ceci est une énorme surestimation largement dé­mentie par l'histoire.
La menace fondamentale de l'ordre existant ne vient pas des classes déchues mais des classes opprimées et des nouvelles classes historiques montantes. Ce sont elles qui, les premières de façon constante, les secondes potentiellement, présentent cette menace mortelle contre laquel­le l'ordre existant a besoin de L’Etat, cette force concentrée de coercition et de répression pour sa défense.
L'Etat n'est pas tant un barrage contre le pas­sé qu'un barrage contre l'avenir. C'est cela qui fait de sa défense du présent (conservatis­me) un parent plus proche du passé (réactionnai­re) que de l'avenir (révolutionnaire). Dans ce sens, on peut dire que si les classes sont re­présentantes des forces productives en dévelop­pement, L’Etat, lui, est le défenseur des rapports de production. La dynamique historique vient toujours des premières, les entraves des seconds.

6) Pour ce qui est des exemples du rôle prétendument progressif, voire révolutionnaire, joué par la Monarchie française, Pierre le Grand, etc., il est évident que l'Etat est amené à accomplir des actes progressifs, non parce que c'est inhérent à sa nature progressive, mais malgré sa nature conservatrice, sous la pression des nouvelles forces progressives, car il ne peut se soustraire complètement aux pressions venues des la société civile.

C'est un fait que la suppression du servage et le développement de l'industrialisation capita­liste en Russie se sont faits sous le régime des tsars, de même que l'industrialisation en Alle­magne sous celui des Junkers prussiens et en France sous le Bonapartisme. Cela ne fait pas de ces régimes et Etats des forces révolution­naires ; les deux derniers, celui d'Allemagne et de France, étaient même directement issus de la contre-révolution de 1848-52.

7) Quant à l'argument de la double nature de l'Etat -contre-révolutionnaire et révolutionnai­re à la fois- il n'est guère plus sérieux que celui avancé pour la défense des syndicats qui, à côté de leur nature bourgeoise auraient aussi une nature ouvrière du fait qu'en telle ou telle occasion ils prennent la défense de tel ou tel ouvrier. A ce titre, on pourrait aussi bien par­ler de la double nature des CRS, puisque de temps en temps, ils sauvent quelques personnes de la noyade. A croire que chaque fois que l'on essaie de raisonner et qu'on ne sait pas raison­ner, on a naturellement recours à l'argument de la "double nature".

Ces quelques remarques n'ajoutent rien de subs­tantiel , mais s'imposent pour montrer l'inanité des objections et rendent peut-être plus précise notre pensée sur la nature et fonction   conser­vatrice de l'Etat.

Il importe ici de prendre garde et de ne pas -en se complaisant dans la confusion et l'éclec­tisme : l'Etat est aussi conservateur que révo­lutionnaire- renverser les données et ouvrir la porte qui mène directement à l'erreur de Hegel faisant de l'Etat le Sujet du mouvement de la société.

La thèse de la nature conservatrice de l'Etat, et avant tout de sa propre conservation, est dialectiquement et étroitement liée à cette au­tre thèse qui lui fait face, celle que l'éman­cipation de l'humanité s'identifie au dépérisse­ment de l'Etat. L'une met en lumière l'autre. En escamotant ou en mettant en sourdine la pre­mière, c'est la théorie et la réalisation du né­cessaire dépérissement de l'Etat que l'on obscur­cit et que l'on atteint gravement.

La non-compréhension de la notion de la nature conservatrice de l'Etat doit inévitablement trou­ver son pendant dans la non-insistance sur la no­tion marxiste fondamentale du dépérissement de l'Etat. Ses implications ne manqueront pas de s'avérer d'autant plus dangereuses.

Ce qui est encore plus important et qui nous in­téresse au premier chef est de faire ressortir que l'Etat -pas plus le nouveau que l'ancien n'est jamais et ne peut jamais être par défini­tion le porteur du mouvement de dépérissement de l'Etat. Or nous avons vu que la théorie de l'E­tat de Marx identifie les mouvements de dépéris­sement de l'Etat à celui de l'émancipation de l'humanité et, puisque l'Etat ne porte pas en lui son propre dépérissement, il s'ensuit que de par sa nature même, il ne saurait jamais être le moteur ni même l'instrument de l'émancipation humaine.

La théorie de l'Etat de Marx met encore en évi­dence la tendance inhérente de l'Etat et "de la fraction de la classe dominante qu'il groupe et qui se constitue en un corps à part de se "li­bérer" (Je la société civile, de s'en séparer, de se hisser au-dessus de la société" (Engels). Sans jamais y parvenir complètement et tout en continuant de défendre les intérêts généraux de la classe dominante, cette tendance est cepen­dant une réalité et ouvre la voie à de nouvelles contradictions, antagonismes et aliénations que Hegel avait déjà vus et signalés et que Marx a repris : avant tout l'opposition croissante entre l'Etat et la société civile avec toutes ses implications. Cette tendance explique à son tour les multiples perturbations sociales, les convulsions dans la classe dominante elle-même, les différentes variétés de formes d'Etat exis­tant dans une même société donnée et leurs rap­ports particuliers avec l'ensemble de la socié­té. Cette tendance à se rendre indépendant de la société fait de l'autoconservation une préoc­cupation majeure de l'Etat et vient renforcer encore sa nature conservatrice.

Avec le développement, au travers de la succession des sociétés, de la division de la société en classes, se renforce et se développe l'Etat, poussant ses tentacules dans toutes les sphères de la vie sociale. Sa masse numérique croît proportionnellement. L'entretien de cette énorme masse parasitaire se fait par un prélèvement croissant sur la production sociale. Par le tru­chement des impôts directs ou indirects -qu'il prélève non seulement des revenus des masses tra­vailleuses mais également sur les profits des ca­pitalistes- l'Etat entre en conflit d'intérêt même avec sa propre classe qui réclame bien un Etat fort, mais qui soit en même temps bon marché. Pour les hommes de l'appareil d'Etat, cette hos­tilité extérieure et leurs intérêts aidant déter­minent un réflexe de défense et de solidarité, un esprit de corps qui les soudent en une vérita­ble caste à part.

De tous les champs d'activité de l'Etat, la coer­cition et l'oppression lui appartiennent en pro­pre. Il dispose pour cela en exclusivité de la force armée. La coercition et l'oppression sont la raison d'être de l'Etat, son être même. Il en est le produit spécifique et les reproduit sans cesse en les amplifiant et en les perfectionnant. La complicité dans les massacres et la terreur constituent ainsi le plus solide ciment de son unité.

Avec le capitalisme est atteint le point culmi­nant de toute la longue histoire des socié­tés divisées en classes. Si ce long parcours his­torique imprégné de sang et de souffrances fut le tribut inévitable que l'humanité eut à payer pour développer ses forces productives, ces dernières ont atteint aujourd'hui un développement tel qu'elles rendent caduque ce type de société mais que sa survivance même est devenue la plus grande entrave à leur développement ultérieur et va jusqu'à mettre en danger l'existence même de l'humanité.

Avec le capitalisme, l'exploitation et l'oppres­sion ont été poussées au paroxysme car le capitalisme est le résumé condensé de toutes les so­ciétés d'exploitation de l'homme par l'homme qui se sont succédées. L'Etat, dans le capita­lisme a enfin achevé sa destinée en devenant ce monstre hideux et sanglant que nous connaissons aujourd'hui. Avec le capitalisme d'Etat, il a réalisé l'absorption de la société civile, il est devenu le gérant de l'économie, le patron de la production, le maître absolu et incontes­té de tous les membres de la société, de leur vie et de leurs activités déchaînant la terreur, semant la mort et présidant à la barbarie géné­ralisée.

LA REVOLUTION  PROLETARIENNE

La révolution prolétarienne diffère radicale­ment de toutes les révolutions antérieures dans l'histoire. Si toutes les révolutions ont eu en commun d'être déterminées et d'exprimer la ré­volte des forces productives contre les rapports de production de l'ordre existant, celles qui sous-tendent la révolution prolétarienne expri­ment non simplement un développement quantita­tif, mais posent la nécessité d'un changement qualitatif fondamental du cours de l'histoire. Toutes les anciennes modifications intervenues dans le développement des forces productives demeurent contenues dans l'ère historique de la pénurie qui pose l'inéluctabilité de l'ex­ploitation de la force de travail. Les chan­gements qu'elles opèrent ne sont pas en vue d'une diminution mais au contraire en vue d'u­ne plus grande exploitation, d'une exploita­tion plus rationnelle, plus efficace des mas­ses toujours plus nombreuses de la popula­tion. Elles assurent une expropriation plus poussée de celles-ci d'avec les instruments de travail et du produit de leur travail.

Dans le mouvement dialectique de l'histoire humaine, ces modifications appartiennent en­semble à une seule et même période, celle de la négation de la communauté humaine, celle de l'anti-thèse. Cette unité fondamentale fait que les différentes sociétés qui se succèdent dans cette ère, se présentent quelles que puissent être leurs différences, comme une progression dans la continuité. Sans cette continuité on ne saurait comprendre ni expliquer des événements aus­si contradictoires qu'incompréhensibles à pre­mière vue comme :

  • la longue survivance sociale des anciennes classes et le rôle actif qu'elles continuent à jouer dans la nouvelle société.
  •  la possibilité qu'a la nouvelle classe triom­phante d'incorporer l'ancienne classe vaincue et de collaborer avec elle.
  •  la possibilité pour les nouvelles classes do­minantes de maintenir ou de reprendre des modes d'exploitation contre lesquels elles ont depuis longtemps combattu et triomphé : par exemple, le trafic d'esclaves assuré et défendu par l'Angleterre capitaliste jusque dans la deu­xième moitié du I9ème siècle.
  •  les alliances de fractions de la bourgeoisie avec la noblesse et contre sa propre classe.
  •  le soutien militaire de l'Angleterre bourgeoise à la Vendée féodale contre la révolution bourgeoise en France. L'alliance militaire de l'Angleterre bourgeoise avec tous les pays féo­daux contre la bourgeoisie dominante en France. La longue alliance de la même Angleterre avec le régime ultraréactionnaire du tsarisme et le soutien à ce régime. L’appui apporté par ce pre­mier et plus développé pays capitaliste au Sud esclavagiste dans la guerre de Sécession aux USA contre le Nord de la bourgeoisie industriel­le et progressiste.

C'est ce qui explique que les révolutions dans cette ère se présentent comme de simples trans­ferts de la machine d'Etat d'une classe exploi­teuse à une autre classe exploiteuse et que très souvent les transformations sociales s'opèrent même sans révolution politique.

Il en est tout autrement en ce qui concerne la révolution prolétarienne. En effet, elle n'est pas en continuité des solutions aux problèmes posés par la pénurie, mais la fin de la pénurie des forces productives : à elle ne se pose pas le problème de comment rendre plus efficaces l'exploitation mais celui de la supprimer, non pas de comment assurer le renforcement de l'op­pression mais de la détruire à jamais. Elle n'est pas la continuité de la Négation mais la négation de la négation et la restauration de la communauté humaine sur un nouveau plan plus élevé. La révolution prolétarienne ne saurait reproduire les caractéristiques des révolutions antérieures comme celles dont nous venons de ci­ter quelques exemples, parce qu'elle est en rup­ture totale, en opposition radicale avec elles et cela aussi bien dans son contenu que dans ses formes et moyens.

Une des caractéristiques fondamentales de la ré­volution prolétarienne est - en opposition avec les révolutions antérieures et compte-tenu du degré atteint par le développement des forces productives - que les transformations nécessai­res ne peuvent plus s'opérer avec un long déca­lage de pays à pays mais exigent d'emblée comme théâtre d'opération le monde entier. La révolu­tion prolétarienne est internationale ou n'est pas. Commencée dans un pays, elle n'a de cesse que de s'étendre à tous les pays ou de succom­ber à plus ou moins brève échéance. Les autres révolutions étaient l'oeuvre des classes mino­ritaires et exploiteuses contre la majorité des classes travailleuses, la révolution proléta­rienne est celle de l'immense majorité des ex­ploités contre une minorité. Etant l'émancipa­tion de l'immense majorité dans l'intérêt de l'immense majorité, elle ne peut se réaliser que par la participation active et constante de l'immense majorité. Elle ne peut en aucune façon prendre les anciennes révolutions pour modèle puisqu'elle est en tout point l'opposé.

Elle est appelée à bouleverser de fond en com­ble toutes les structures, tous les rapports existants en commençant par la destruction tota­le des superstructures de l'Etat. A l'encontre des révolutions antérieures qui ne viennent qu' achever la domination économique de la nouvel­le classe, la Révolution du prolétariat - une classe qui n'a aucune assise économique - est le premier acte politique ouvrant et assurant par la violence révolutionnaire, le processus de la totale transformation sociale.

LA DICTATURE du PROLETARIAT

Comme il est mis en évidence dans le "Manifeste Communiste", la bourgeoisie n'a pas seulement créé les conditions matérielles de la révolution mais elle a également engendré la classe qui se­ra son fossoyeur, le sujet de la révolution : le prolétariat. Le prolétariat est le porteur de cette révolution radicale, parce qu'il cons­titue "une classe avec des chaînes radicales", une classe qui est "la négation de la société", qui selon les termes de Marx, incarne toutes les souffrances de la société, à qui on n'a pas fait un tort particulier mais "un tort en soi", une classe qui n'a rien à perdre que ses chaînes et qui ne saurait s'émanciper sans émanciper l'humanité entière. C'est la classe productive et du travail associé par excellence. C'est pourquoi le prolétariat est la seule classe porteuse de la solution aux contradictions dé­sormais insurmontables et insupportables des sociétés divisées en classes. La solution his­torique que porte le prolétariat est le commu­nisme. La profondeur de ce changement histori­que et l'impossibilité de toute mesure dans ce sens au sein du capitalisme qui font de la ré­volution sa première condition, rendent égale­ment indispensable la substitution de la domi­nation de classe capitaliste par celle du pro­létariat pour assurer la marche vers le commu­nisme. La dictature est incontestablement liée au fait de la domination mais elle est bien plus que cela. "La dictature, écrit Lénine, si­gnifie un pouvoir illimité s'appuyant non pas sur la loi mais sur la force" (). L'idée de la force liée à la dictature n'est pas nouvel­le, ce qui nous paraît plus intéressant est la première partie de cette phrase qui contient l'idée d'un "pouvoir illimité". Lénine insis­tera beaucoup.".Ce pouvoir ne reconnaît aucun autre pouvoir, aucune loi, aucune norme d'où qu'ils viennent".() Particulièrement intéres­sant est cet autre passage où il fait ressortir l'idée de la dictature du prolétariat, dans un sens plus large que la simple force -."Cette question est posée habituellement par ceux qui rencontrent pour la première fois le mot dic­tature dans une acceptation nouvelle pour eux. Les gens sont habitués à ne voir que le pouvoir policier et la dictature policière. Il leur sem­ble étrange qu'il puisse exister un pouvoir sans aucune police, qu'il puisse y avoir une dictature qui ne soit pas policière".() C'est le pouvoir des soviets tant exalté par Lénine et qui a créé "... de nouveaux organes du pou­voir révolutionnaire : soviets d'ouvriers, de soldats, de cheminots, de paysans; nouvelles autorités à la ville et à la campagne, "et qui ne s'appuyaient ni sur la "force des baïonnettes" ni sur celle du "commissariat de police" et n'avait rien de commun avec les vieux instru­ments de la force."() Cette dictature n'est-el­le pas également fondée sur la force et la coer­cition ? Bien sûr que oui, mais ce qui importe est de savoir distinguer sa qualité nouvelle. Alors que la dictature des anciennes classes est essentiellement dirigée contre l'avenir, contre l'émancipation humaine, la dictature du prolé­tariat est "celle du peuple à l'égard de l'oppres­sion exercée par les organes policiers et autres de l'ancien pouvoir". C'est pourquoi elle peut et doit s'appuyer sur autre chose que la simple force :

"Le nouveau pouvoir, dictature de l'immense majo­rité, pouvait se maintenir et se maintient exclusivement à l'aide de la confiance des larges masses, exclusivement en invitant de la façon la plus libre, la plus large et la plus forte toute la masse à participer au pouvoir. Rien de caché, rien de secret, aucun règlement, aucune formalité... c'est un pouvoir qui s'offre à la vue de tous, qui fait tout sous les yeux des mas­ses, accessible à la masse, issu directement de la masse, c'est l'organe direct et sans inter­médiaire de la masse populaire et de sa volonté". ()

Nous avons ici, non pas la description de la so­ciété communiste, dans laquelle n'existe plus aucun problème de pouvoir, mais de la période ré­volutionnaire où la question du pouvoir occupe une place centrale. C'est de ce pouvoir de la dictature du prolétariat dont il est question. Nous trouvons là, sous la plume de Lénine ce qu'est et doit être la dictature du prolétariat et nous retrouvons là l'essence même de la notion marxiste du dépérissement de l'Etat. C'est dans le même sens qu'Engels pouvait écrire : "Vous voulez savoir, Messieurs ce qu'est la dictature du prolétariat, regardez la Commune".

La dictature du prolétariat c'est le pouvoir illi­mité de la classe d'exercer librement et pleinement ses activités créatrices, c'est sa prise en charge "sans intermédiaire" de sa destinée et ce celle de la société toute entière, entraînant derrière lui les autres classes et couches tra­vailleuses. Ce pouvoir, le prolétariat ne peut le déléguer â aucune formation particulière sans se saborder et renoncer à son émancipation car "l'émancipation du prolétariat ne peut être que l'oeuvre du prolétariat lui-même".

La classe capitaliste ainsi que les autres clas­ses exploiteuses dans l'histoire, unies dans le but de l'exploitation, sont elles-mêmes divisées en fractions hostiles les unes aux autres, avec des intérêts divergents, et ne peuvent trouver leur unité que dans le règne d'une fraction par­ticulière, celle qui assume la fonction de l'Etat. Le prolétariat ne connait pas en son sein d'inté­rêts divergents et hostiles. Son unité, il la trouve dans son but : le communisme et dans son organisation unitaire de classe : les conseils ouvriers. C'est de lui-même et en lui-même qu'il tire son unité et sa force. Sa conscience lui est dictée par son existence. Il n'y a aucune mé­diation entre son être et sa conscience. Le pro­cessus de sa prise de conscience se manifeste par l'apparition, en son sein, de courants de pensées et d'organisations politiques. Ceux-ci peuvent être parfois les porteurs d'idéologie de classes étrangères à lui ou bien les manifesta­tions extrêmement importantes et précieuses d'une véritable prise de conscience de ses intérêts historiques. Le Parti communiste représente assurément la fraction la plus consciente de la classe, mais ne peut jamais prétendre être la classe elle-même, ni la remplacer dans l'accom­plissement de ses tâches historiques. Aucun par­ti, ni même le Parti communiste ne peut récla­mer un "droit" de direction, ni un pouvoir par­ticulier de décision dans la classe. Le pouvoir de décision est l'attribut exclusif de l'organi­sation unitaire de la classe et de ses organes élus et révocables, un pouvoir qui ne peut ja­mais être aliéné à aucun autre organisme, sous le risque d'altérer gravement le fonctionnement de l'organisation de la classe et l'accomplisse­ment de ses tâches. C'est pourquoi, il est in­concevable que les organes de direction soient confiés, même par un vote à tel ou tel groupe­ment particulier. Cela serait reproduire au sein du prolétariat le mode de fonctionnement et de pratique propre aux classes non prolétariennes.

Toutes les formations politiques qui se situent dans le cadre de la reconnaissance de l'autono­mie de la classe par rapport aux autres classes et son pouvoir illimité à l'hégémonie dans la société, doivent avoir la pleine liberté d'ac­tion et de propagande au sein de la classe et de la société, car "une des conditions de la pri­se de conscience de la classe est la libre cir­culation et confrontation des idées en son sein." (Marx)

Des esprits chagrins croient déceler dans cette conception de la dictature du prolétariat, un relent de "démocratisme". De même qu'ils pren­nent la révolution bourgeoise comme modèle de la révolution prolétarienne, ils prennent la dictature de la bourgeoisie pour modèle de la dictature du prolétariat. Parce que la dictatu­re de la bourgeoisie, c'est l'Etat et rien que l'Etat, ils prennent l'Etat qui surgit inévi­tablement dans la période de transition, après la victoire de la révolution prolétarienne pour la dictature du prolétariat, ne faisant aucune distinction   entre l'un et l'autre. Leur attention ne s'arrête pas un instant sur le simple fait suivant : alors que la bourgeoisie n'a pas d'autre organisation unitaire de sa classe que l'Etat, le prolétariat, lui, crée cette organi­sation unitaire groupant l'ensemble de sa clas­se : les Conseils, pour faire sa révolution et la maintenir après, sans la dissoudre dans l'E­tat. Le pouvoir illimité de ces Conseils, voilà la Dictature du Prolétariat qui s'exerce sur toute la vie de la société y compris sur le se­mi Etat de la période de transition. La notion marxiste de semi-Etat ou d'Etat-Commune leur échappe complètement et ils ne retiennent, de la dictature du prolétariat, que le mot générique de Dictature, qu'ils identifient à l'Etat fort, à l'Etat terreur. Par ailleurs, ils identifient la Dictature de la classe à la dictature du Par­ti, ce dernier dictant sa loi, par la force, à la première. Cette vision peut se résumer ain­si: un parti unique s'emparant de l'Etat, exer­çant la terreur pour soumettre l'organisation unitaire du prolétariat : les Conseils et tout le système soviétique de la société de la pé­riode de transition. Une telle dictature du pro­létariat ressemble comme deux gouttes d'eau au type achevé de l'Etat capitaliste totalitaire : l'Etat stalinien et l'Etat fasciste.

Les prétendus arguments sur le rejet de toute référence à majorité-minorité, ramenés à une ridicule question de 49 et 51%, sont des jon­gleries sophistiques, une phraséologie creu­se, un radicalisme de façade qui estompent le vrai problème. La question n'est pas que la ma­jorité ne porte pas forcément la vérité, parce que majorité, mais de comprendre que la Révolu­tion prolétarienne ne peut être l'oeuvre d'une minorité de la classe. Ce n'est pas ici une question de formalisme, mais de l'essence, du contenu même de la Révolution, à savoir que la classe "organise ses propres forces comme for­ce sociale" (Marx) et ne les sépare plus comme force extérieure, indépendante d'elle. L'accom­plissement de la révolution est donc insépara­ble de la participation effective et illimitée des immenses masses de la classe, de leur acti­vité et organisation. C'est en cela que consiste avant tout la dictature du prolétariat. Ceci ne s'accorde donc pas avec le renforcement d'un Etat tout puissant, mais avec son affaiblisse­ment, un Etat amputé dès sa naissance par la vo­lonté et le pouvoir illimité du prolétariat.

La dictature du prolétariat est corrélative avec le concept du dépérissement de l'Etat, tel que le marxisme, de Marx à Lénine de 'l'Etat et la Révolution" l'ont toujours défendu. Ce n'est pas l'Etat qui fait et exerce la dictature, mais c'est la Dictature du Prolétariat qui supporte l'e­xistence encore inévitable d'un semi-Etat et as­sure le processus de son dépérissement.

L'ETAT DANS LA PERIODE DE TRANSITION

La différence entre les marxistes et les anar­chistes ne réside pas dans ce que les premiers concevraient un socialisme avec un Etat et les seconds une société sans Etat. Sur ce point, il y accord total. C'est plutôt avec les pseudo­ marxistes de la Social-démocratie, héritiers de Lassai le qui conjuguaient le Socialisme avec l'Etat, que cette différence existe, et elle est fondamentale, (cf. La "Critique du Programme de Gotha" de Marx et l'"Etat et la Révolution" de Lénine). Le débat avec les anarchistes portait sur leur méconnaissance totale d'une période de transition inévitable et sur le fait qu'en bons idéologues, ils dictaient à l'histoire un saut à pieds joints, immédiat et direct, du Capitalis­me à la société communiste. ()

Il est absolument impossible d'aborder le pro­blème de l'Etat après la Révolution si on n'a pas compris auparavant qu"entre la société capi­taliste et la société communiste se place la pé­riode de transformation révolutionnaire de la première en la seconde" (), si on n'a pas com­pris pourquoi cette période se situe non avant mais après la révolution victorieuse, ni en quoi consiste son caractère radical par rapport aux périodes analogues dans le passé, ni le fait qu'après avoir détruit la domination de la classe capitaliste, subsistent dans la société des classes avec d'immenses masses travailleuses qui sont profondément anti-capitalistes sans être pour autant pro-communistes et qu'il ne saurait être question de les tenir à l'écart de la vie politique et de la participation active à l'or­ganisation de la société.

Ce n'est qu'en partant de ces données objecti­ves des exigences de la réalité historique et non en partant de l'Etat en soi qu'on peut com­prendre :

1)    son resurgissement   inévitable

2)    sa différence fondamentale avec les autres types d'Etat

3)    la nécessité d'une attitude active de la part du prolétariat pour la limitation progressive de ses fonctions et en vue de son dépérissement.

Examinons de plus près ces points :

)1 son surgissement inévitable

a) Plus que dans les autres révolutions, le pro­létariat se heurtera à la plus féroce et opiniâtre résistance de la part de la classe capitaliste vaincue.  Il est à souligner que pour l'acte de la révolution, c'est-à-dire chasser la classe capitaliste de sa position dominante et brise son appareil d'Etat, le prolétariat y parvient en s'appuyant strictement sur son pouvoir de classe, c'est-à-dire ses organisations, sans avoir besoin d'aucun type d'Etat. Le souffle brûlant de la révolution démoralise et désorga­nise l'armée permanente composée en majorité d'ouvriers et de paysans dont une grande partie passe du côté de la révolution. Mais une fois vaincue, la bourgeoisie dans sa rage effrénée de revanche, décuple sa résistance, regroupe ses forces, reconstitue une armée sélectionnée de volontaires forcenés et de mercenaires, et dans la terreur déchaîne une guerre contre-ré­volutionnaire sans merci. Face à une telle guer­re rangée menée selon toutes les règles de l'art militaire, le prolétariat ne peut se con­tenter d'opposer ses masses en armes mais se trouve obligé de construire à son tour une ar­mée régulière, avec une incorporation non seule­ment des ouvriers mais de l'ensemble de la popu­lation. Guerre, représailles, coercition systé­matique contre les menées de la contre-révolu­tion, voilà les premières déterminations du surgissement de l'institution étatique.

Pour si importantes que soient les raisons de la lutte militaire et les nécessités de la coerci­tion contre les menées contre-révolutionnaires de la classe capitaliste, même au point d'occu­per pendant la guerre civile une place de premier plan, ce serait cependant une erreur simpliste de les prendre pour la raison essentielle, en­core moins unique, du surgissement de l'Etat. Le simple fait que l'Etat se maintienne et dure bien au-delà de la période de guerre civile en est une preuve suffisante.

Dans le même sens, il est important de retenir cette différence existant  entre les autres Etats dans le passé, pour lesquels la coercition était essentiellement dirigée contre les classes montantes -donc durables- alors qu'ils s'accommodaient avec les anciennes classes dominantes, et l'Etat de la période de transition pour le­quel c'est exactement le contraire : aucune coer­cition ne s'impose contre des classes montantes qui n'existent pas, mais uniquement contre les anciennes classes avec qui aucune collaboration ne saurait exister.

b) La société dans la période de transition est encore une société divisée en classes. Le marxisme et l'histoire enseignent qu'aucune société divisée en classes ne saurait subsister sans un Etat, non pas comme médiateur mais comme institution indispensable pour maintenir la cohésion nécessaire, pour empêcher la société de succomber et de se détruire.

De plus, il est indispensable et possible pour le prolétariat d'enlever tout droit politique aux membres de l'ancienne classe -classe très minoritaire-, il serait un pur non sens et hau­tement préjudiciable et d'ailleurs impossible d'exclure les grandes masses des classes non prolétariennes mais non exploiteuses de la vie politique et sociale. Ces masses sont vivement intéressées et concernées par tous les problè­mes économiques, politiques, culturels de la vie immédiate de la société. Le prolétariat ne peut ignorer leur existence ni exercer à leur égard, dans ses transformations révolutionnai­res, une coercition systématique. A l'égard de ces masses, le prolétariat ne peut mener qu'une politique de réformes, de propagande et d'in­corporation à la vie sociale, sans pour autant se dissoudre lui-même ni abdiquer à l'égard de sa mission et de son hégémonie qu'est la dicta­ture du prolétariat.

Cette incorporation nécessaire de ces masses prend la forme de cette institution particulière qu'est l'Etat-Commune et qui est encore un Etat. C'est essentiellement l'existence de ces clas­ses, leur lente dissolution et la nécessité im­périeuse de leur incorporation qui rendent iné­vitable le surgissement de l'Etat dans la période de transition au socialisme.

c) Aux deux raisons citées plus haut s'ajoutent les besoins de centralisation et d'organisation de la production, de la distribution, des rapports avec le monde environnant etc., en un mot toute l'administration des choses et de la vie publique complètement bouleversée par la révolution et que la société n'a pas encore appris et n'est pas encore à même de séparer du gouvernement des hommes.

Ces trois raisons se conjuguent pour agir puissamment comme facteurs déterminants pour le surgis­sement de l'Etat après la révolution.

2) La différence fondamentale de cet Etat avec les autres types d'Etat

Engels disait, analysant la Commune de Paris, que ce n'était plus proprement un Etat. Voulant mettre en évidence les différences profondes avec l'Etat classique, Marx, Engels, Lénine lui ont donné des noms différents: Etat-Commune, semi-Etat, Etat populaire, Dictature démocratique, Dictature révolutionnaire, etc. Tous ces noms se réfèrent, en les mettant en relief, aux carac­tères spécifiques qui le différencient avec 1'Etat dans le passé.

  • Cet Etat se distingue avant tout par le fait que pour la première fois, c'est celui des clas­ses exploitées et non des classes exploiteuses. Il est l'Etat d'une majorité dans l'intérêt de la majorité contre une minorité.  Il existe non en vue de la défense de nouveaux privilèges mais pour détruire les privilèges. Il exerce la vio­lence non pour l'oppression mais pour empêcher l'oppression. Il n'est pas un corps s'élevant au-dessus de la société mais à son service. Ses membres et ses fonctionnaires ne sont pas nommés mais élus et révocables, son armée permanente est remplacée par l'armement général du peuple, il remplace l'oppression par un maximum de démo­cratie, c'est-à-dire de libertés d'opinion, de critique et d'expression, et par-dessus tout, il est un Etat en dépérissement. Mais il  reste un Etat, c'est-à-dire un gouvernement des hommes parce que c'est une institution d'une société encore divisée en classes même s'il est sa der­nière forme.
  • Cet Etat de la période de transition ne sera pas, selon Lénine, un Etat comme un autre "tel que l'a créé partout la bourgeoisie, depuis les monarchies constitutionnelles jusqu'aux républi­ques les plus démocratiques" mais conforme aux "enseignements de la Commune de Paris et l'ana­lyse qu'en ont donnée Marx et Engels". "Voilà le type d'Etat dont nous avons besoin voilà le chemin que nous devons suivre pour qu'il soit impossible de rétablir une police ou une armée séparée du peuple".

Lénine ne confond pas cet Etat avec la Dictature du prolétariat car cet Etat est seulement "la dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et des paysans pauvres". "Certes, disait Lénine, la démocratie est aussi une forme d'Etat qui devra disparaître quand celui-ci dis­paraîtra lui-même, mais cela n'arrivera que lors du passage au socialisme définitivement victo­rieux et affermi, au communisme intégral".

Et Lénine de préciser le rôle du prolétariat après qu'il ait "démoli" l'Etat bourgeois : "le prolétariat doit organiser tous les éléments ex­ploités de la population afin qu'eux-mêmes pren­nent directement en mains les organes du pouvoir d'Etat en formant eux-mêmes les institutions de ce pouvoir".

Ces lignes furent écrites au début mars 1917, un mois à peine après la révolution de Février. Ce thème, de la prise de l'Etat "aux mains de tous les éléments exploités de la population", nous le trouverons développe dans des dizaines d'ar­ticles de Lénine, et particulièrement dans "L'Etat et la Révolution". Et nous pouvons répéter avec lui "voilà le type d'Etat dont nous avons besoin" et que la révolution fait surgir.

3) La nécessité d'une attitude active de la part du prolétariat pour la limitation progres­sive des fonctions et en vue du dépérissement de l'Etat

Nous venons de voir l'énorme distance qui sépare l'Etat de la période de transition -qui n'est plus d'après Engels, à proprement parler un Etat-de tous les autres. Et pourtant d'après le même Engels "il est un fléau" dont hérite le prolétariat et Engels se charge de mettre en garde ce dernier contre ce "fléau". Comment le comprendre ?

Marx et Engels ont mis en relief les mesures que la Commune de Paris a immédiatement ressenti le besoin de prendre contre ce semi-Etat, notamment en rendant révocable à tout moment toute élec­tion et en limitant la rémunération de ses élus et fonctionnaires au salaire moyen d'un ouvrier, afin de limiter ses tendances nocives. Lénine ne cessait de rappeler et de se référer à ces mesu­res, montrant ainsi l'importance qu'il accordait aux graves dangers de bureaucratisation que com­portait même ce type d'Etat-Commune.

La Commune de Paris, limitée à une seule ville, et d'une courte durée de deux mois, avait eu à peine l'occasion de manifester les côtés dange­reux de ce semi-Etat. On ne peut que rester enco­re plus admiratif devant l'étonnante perspicacité politique d'Engels, parvenant dans ces conditions à déceler et mettre en garde contre ce caractère de fléau de l'Etat post-révolutionnaire.

La révolution d'Octobre dans un pays immense, avec une population de plus de cent millions d'habitants et une durée de plusieurs années, devait servir autrement comme terrain d'expérience. Cette expé­rience devait confirmer tragiquement et au-delà de tout ce que l'on pouvait imaginer même dans le pire des cauchemars, les mises en garde d'Engels contre ce fléau.

Quand nous énumérions, après Marx, Engels et Léni­ne les caractères distinctifs de cet Etat, c'est plutôt ce qu'il devrait être que ce qu'il est de lui-même. De lui-même, il porte une lourde char­ge de toutes les tares héritées de tous les Etats qui l'on précédé. Il appartient au prolétariat d'être extrêmement vigilant à son égard. Le prolétariat ne peut éviter son surgissement, ni se soustraire à l'obligation de son utilisa­tion, mais pour cela il devra , dès l'appari­tion de cet Etat, amputer ses aspects les plus nocifs afin de pouvoir le rendre utilisable pour ses propres fins.

L'Etat n'est pas le porteur ni l'agent actif du communisme. Il est plutôt son entrave. Il reflè­te l'état présent de la société et comme tout Etat, il a tendance à maintenir, conserver le statu quo. Le prolétariat, porteur du mouvement de la transformation sociale, oblige l'Etat à agir dans ce sens. Il ne peut l'obliger à cela qu'en le contrôlant de l'intérieur et en le do­minant de l'extérieur, en lui ôtant, en le dé­pouillant, autant que les conditions le permet­tent, de ses fonctions, assurant ainsi active­ment le processus de son dépérissement.

L'Etat tend toujours à s'accroître démesurément. Il offre pour cela un terrain de prédilection à toute la fange d'arrivistes et autres parasi­tes et recrute facilement ses cadres parmi les éléments résidus et vestiges de l'ancienne clas­se dominante en décomposition. C'est ce qu'a pu constater Lénine quand il parle de l'Etat comme la reconstitution de l'ancien appareil d'Etat tsariste. Cette machine d'Etat, comme le consta­tait encore Lénine, "tend à échapper à notre contrôle et tourne dans le sens contraire à ce que nous voulons". C'est encore Lénine qui, in­digné, ne trouvait pas de mots assez durs pour stigmatiser les énormes abus et vexations de toutes sortes auxquels se livraient les repré­sentants de l'Etat contre la population. Cela n'était pas seulement le fait de la vieille ca­naille tsariste qui Infestait l'appareil de l'Etat, mais également le personnel recruté par­mi les communistes pour qui Lénine avait créé le nom de komtchvanstva (voyous communistes).

On ne peut combattre de telles manifestations si on les considère simplement comme acciden­telles. Pour les combattre .efficacement, il faut aller au fond des choses, reconnaître qu'elles plongent leurs racines dans ce fléau qu'est l'inévitable survivance de cette superstructu­re qu'est l'Etat. Il ne s'agit pas de se lamenter, de lever les bras au ciel et de s'incliner impuissants devant une "fatalité". Le détermi­nisme n'est pas une philosophie du fatalisme; il ne s'agit pas davantage de prétendre que, par notre simple volonté, la société peut échapper à la nécessité du surgissement de l'Etat. Cela serait tomber dans l'idéalisme. Mais, si nous devons reconnaître que l'Etat s'impose à nous comme une "exigence de la situation" (Lénine), comme une nécessité, il importe de ne pas faire ce cette nécessité vertu, de se met­tre à faire l'apologie de l'Etat et de chanter ses louanges. Le marxisme reconnait l'Etat comme une nécessité mais aussi comme un fléau et pose devant le prolétariat le problème des mesures à prendre pour assurer son dépérissement.

Il ne sert à rien d'accoupler de trente-six fa­çons les mots Etat et prolétariat et ouvrier. On ne résout pas le problème en changeant de nom, on ne fait que l'esquiver en l'aggravant encore par la confusion. L'Etat prolétarien est un my­the. Lénine le rejetait, rappelant que c'était "un gouvernement des ouvriers et des paysans avec une déformation bureaucratique". C'est une contradiction dans les termes et c'est une contradiction dans la réalité. La grande expérien­ce de la révolution russe est là pour en té­moigner. Chaque fatigue, chaque défaillance, chaque erreur du prolétariat a Immédiatement pour conséquence le renforcement de l'Etat, et inversement, chaque victoire, chaque renforce­ment de l'Etat se fait en évinçant un peu plus le prolétariat. L'Etat se nourrit de l'affai­blissement du prolétariat et de sa dictature de classe. La victoire de l'un est la défaite de l'autre.

Il ne sert à rien de vouloir faire de l'organisa­tion unitaire du prolétariat : les conseils ouvriers, l'Etat. Proclamer le Comité Central des conseils ouvriers, l'Etat, tient chez les promoteurs d'une telle idée autant de l'astuce que de l'ignorance des vrais problèmes posés par la réalité. A quoi bon affubler le conseil du nom d'Etat, s'ils sont synonymes et recou­vrent la même chose ? Est-ce par amour du joli nom d'Etat ? Ces malins, à la phrase radicale, ont-ils jamais entendu parler des conseils ouvriers comme d'un fléau ou de la nécessité de leur dépérissement ? En proclamant que le conseil est l'Etat, ils excluent et interdisent toute participation des classes travailleuses non prolétariennes à la vie de la société, par­ticipation qui est comme nous l'avons vu, la principale raison du surgissement de l'Etat, ce qui est une impossibilité et une absurdité à la fois (). Et si, pour échapper à cette absurdi­té, on entend faire participer ces classes et ces couches dans les conseils ouvriers, ce sont ces derniers qu'on altère et on leur fait per­dre leur nature d'organisation unitaire autonome du prolétariat.

On doit rejeter également une structuration de l'Etat sur la base d'une composition des diffé­rents corps sociaux (ouvriers, paysans, profes­sions libérales, artisans, etc.) organisés sépa­rément. Cela serait institutionnaliser leur existence et prendre pour modèle l'Etat corporatiste de Mussolini. C'est perdre de vue que nous ne sommes pas devant une société à mode d'existence fixe, mais dans une période de transition. C'est en tant que membres de la société que tou­te la population non exploiteuse participe à la vie sociale dans les soviets territoriaux et c'est seulement le prolétariat, parce que por­teur du devenir communiste, qui, en plus, parti­cipe hégémoniquement à la vie sociale et la diri­ge, organisé en tant que classe dans ses conseils ouvriers.

Sans entrer dans des détails de modalité, nous pouvons retenir pour principes la structure sui­vante de la société de la période de transition :

1)    Toute la population non exploiteuse est or­ganisée sur la base des soviets-Communes terri­toriaux, se centralisant de la base au sommet, donnant naissance à cet organe qu'est l'Etat-Commune.

2)    Les ouvriers participent à cette organisation soviétique, individuellement comme tous les au­tres membres de la société, et collectivement par leur organisation de classe autonome, à tous les échelons de cette organisation soviétique.

3)    Le prolétariat s'assure une prépondérance dans la représentation, à tous les échelons, mais surtout dans les échelons supérieurs.

4)    Le prolétariat garde sa pleine et entière li­berté par rapport à l'Etat. Sous aucun prétexte, le prolétariat ne saurait reconnaître la primau­té de décision des organes de l'Etat sur celle de son organisation de classe : les conseils ou­vriers, et devrait imposer le contraire.

5)    En particulier, il ne saurait tolérer l'immixtion et la pression d'aucune sorte de l'Etat dans la vie et l'activité de la classe organi­sée excluant tout droit et possibilité de ré­pression de l'Etat &' l'égard de la classe ouvrière.

6)    Le prolétariat conserve son armement en de­hors de tout contrôle de l'Etat.

Il nous reste encore à affirmer que le Parti po­litique n'est pas un organe d'Etat. Longtemps, les révolutionnaires ont vécu dans cette opti­que, marquant ainsi l'immaturité de la situation objective et leur propre manque d'expérience. L'expérience de la révolution russe a montré la caducité de cette vision. La structure de l'Etat basée sur les partis politiques, est propre à l'Etat bourgeois et plus spécifiquement à la démocratie bourgeoise. La société de la période de transition ne délègue pas son pouvoir à des partis, c'est-à-dire à des corps spécialisés. Le semi-Etat de cette période a pour structure le système des soviets, c'est-à-dire une par­ticipation constante et directe des masses à la vie et au fonctionnement de la société. C'est à cette condition que ces masses peuvent, à chaque moment, révoquer leurs représentants, les remplacer et exercer un contrôle permanent sur eux. La délégation du pouvoir à des partis quels qu'ils soient, revient à réintroduire la division entre le pouvoir et la société, et par conséquent, s'avère la plus grande entrave à son émancipation.

Par ailleurs, comme l'a montré l'expérience de la révolution d'Octobre, la prise en mains ou la participation du parti du prolétariat à l'Etat altère profondément ses fonctions. Sans entrer dans la discussion sur la fonction du parti et ses rapports avec la classe qui relève d'un autre débat- il suffit ici de mentionner simplement que les raisons contingentes et les raisons d'Etat finissent par prévaloir pour le parti, par l'identifier à l'Etat et le séparer de la classe, jusqu'à l'opposer à celle-ci.

En conclusion, une chose doit être claire une fois pour toutes. Quand nous parlons d'autonomie, il s'agit de l'autonomie de la classe à 1'égard de l'Etat et non de celle de l'Etat. L'Etat, lui doit être subordonné à la classe. La tâche du prolétariat est de veiller au dépérissement de l'Etat. La condition première en est la non-identification de la classe avec l'Etat.

M.C


Marx, "Critique de la Philosophie de l'Etat de Hegel" p.29

Hegel, "La Raison dans l'Histoire", p.136

Marx, "La Question Juive"

"... le pouvoir politique est précisément le résumé officiel de l'antagonisme dans la société civile" (Marx, "Misère de la Philosophie" Edts Pléiade, p.136)

Nous excluons volontairement les menaces extérieures, c'est-à-dire de pays à pays qui est un problème qui existe mais qui, en l'occurrence ne ferait qu'encombrer et entraver la clarté du texte et ce que nous voulons élucider ici : le rôle de l'Etat dans l'évolution des sociétés.

Lénine "La victoire des cadets et les tâches du parti ouvrier" (28/3/1906)

idem, p.250 - 251

idem, p.250 - 251

idem, p.250 - 251

idem, p.250 - 251

Comme il arrive souvent avec l'idéalisme, il n'est radical dans la spéculation abstraite que pour mieux tomber dans la pratique concrète aux pires opportunismes, ce qui n'a pas manqué d'arriver aux anarchistes. Leur farouche "anti-tout-étatisme" postrévolutionnaire, fondé sur une volontaire ignorance des exigences de la situation historique les a directement menés à s'intégrer et à défendre encore plus farouchement l'Etat bourgeois "républicain" dans la guerre d'Espagne de 1936-39.

Marx, "Critique du Programme de Gotha".

C'est dans une erreur semblable qu'est tombée l'Opposition Ouvrière, quand elle réclamait la remise de l'Etat aux mains des syndicats, et c'est avec raison que Lénine la taxait de conception anarcho-syndicaliste.

 

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [5]
  • La dictature du prolétariat [6]

Résolution sur : TERRORISME, TERREUR et VIOLENCE de CLASSE

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Dans le numéro précédent de la “Revue Internationale”, nous avons déjà publié un texte sur la question du terrorisme, de la terreur et de la violence de classe, dégageant les fondements de1’intervention du CCI au travers de ses divers organes de presse, répondant globalement d’une part à la grande offensive idéologique et policière de la bourgeoisie et d’autre part aux différentes conceptions courantes admises dans l’ensemble du milieu révolutionnaire face aux récentes actions terroristes. Le texte que nous publions ici sous forme de résolution souligne, prolonge et approfondit les différents points développés dans le texte précédent avec la préoccupation constante de toujours mieux cerner la nature de classe de la violence libératrice et émancipatrice du prolétariat.

La résolution n’a pas pour but de donner une réponse précise et détaillée à toutes les questions et problèmes concrets qui se posent et se poseront à la classe ouvrière dans son activité révolutionnaire, activité qui part de la reprise des luttes vers la période de transformation révolutionnaire de la société, en passant par la phase insurrectionnelle et la prise du pouvoir. La résolution ne traite pas non plus de l’utilisation directe que la bourgeoisie peut faire du terrorisme. Son but est de donner un cadre, une conception d’ensemble qui permette d’aborder ces problèmes d’un point de vue prolétarien autrement qu’au travers d’affirmations simplistes telles que : “la violence, c’est la violence”, “la violence, c’est la terreur”, “dire que la violence n’est pas la terreur, c’est du pacifisme”, etc., cette casuistique de “la fin justifie les moyens” comme disait le texte précédent.

  • Montrer que le pacifisme ne correspond à aucune réalité et ne peut être qu’une idéologie dans le meilleur des cas 1’expression des couches moyennes théorisant leur propre impuissance à opposer une force réelle à la bourgeoisie et son État toujours au service de la bourgeoisie dans l’exercice de sa domination sur la classe ouvrière et sur 1’ensemble de la société ;
  • Montrer comment la terreur est 1’expression des classes dominantes et exploiteuses, la nature profonde de leur violence de classe devenant, quand les bases matérielles de leur domination sont sapées, le centre de la vie sociale ;
  • Montrer pourquoi et comment le terrorisme est typiquement la manifestation impuissante de la révolte des couches moyennes et jamais un moyen ni un détonateur de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
  • Montrer que la forme et le contenu de la violence émancipatrice de la classe ouvrière ne peut en aucun cas s’apparenter à la “terreur” ;
  • Montrer enfin où se trouvent les véritables forces de la classe ouvrière ; dans la force collective, consciente et organisée de 1’immense majorité et dans sa capacité de transformation révolutionnaire des rapports sociaux ;

Tels sont les buts que se fixe la résolution publiée ci-dessous.

De plus, le texte montre que s’il y a une question où les rapports entre “buts et moyens” se trouvent particulièrement liés en se conditionnant mutuellement, c’est bien celle de la violence révolutionnaire du prolétariat. Cela implique que dans les discussions actuelles sur le terrorisme, la terreur et la violence de classe, c’est le coeur même de la conception de la révolution prolétarienne qui est abordé.

1) Il est absolument faux de présenter ce problème en termes d’un dilemme : terreur ou pacifisme. Le pacifisme n’a jamais existé dans la réalité d’une société divisée en classes, aux intérêts antagoniques. Dans une telle société, ce qui régit les rapports entre les classes ne peut être que la lutte. Aussi, le pacifisme n’a jamais été autre chose qu’une idéologie; dans le meilleur des cas, un mirage des couches impuissantes et veules d’une petite bourgeoisie sans devenir, dans le pire des cas, une mystification, un mensonge éhonté des classes dominantes pour détourner les classes exploitées de la lutte et leur faire accepter le joug de l’oppression. Raisonner en termes de terreur ou pacifisme, opposer l’un comme une alternative de l’autre, c’est se laisser prendre soi-même dans les filets d’un piège et finalement accréditer ce faux dilemme, tout couine c’est le cas d’un autre piège construit également sur un faux dilemme : guerre ou paix.
Il est indispensable de bannir des débats toute utilisation de ce faux dilemme car en ne faisant qu’opposer la fantaisie à une réalité, on ne fait que tourner le dos et escamoter le vrai problème qui se pose, celui de la nature de classe de la terreur, du terrorisme et de la violence de classe.

2) De même qu’on escamote le vrai problème de la terreur et de la violence de classe en lui substituant un faux dilemme de terreur et pacifisme, de même on escamote complètement ce problème en établissant une identification entre ces termes. Dans le premier cas, on l’escamote en lui substituant un faux dilemme, dans le deuxième cas, le problème lui-même s’évanouit et, nié, disparaît complètement. Or, il est pour le moins stupéfiant, pour des marxistes, de concevoir que des classes aussi différentes de nature que sont la bourgeoisie et le prolétariat, l’une porteuse de l’exploitation, l’autre de l’émancipation, l’une porteuse de la répression, l’autre de la libération, l’une porteuse du maintien et de la perpétuation de la division de l’humanité, l’autre de son unification dans une communauté humaine, que ces deux classes, l’une représentant le règne de la nécessité, de la pénurie et de la misère, l’autre le règne de la liberté, de l’abondance et de l’épanouissement de l’homme, que ces deux classes puissent avoir comme expression les mêmes moeurs, le même comportement, les mêmes moyens et modes d’action.
En établissant cette identification, on escamote tout ce qui distingue et oppose ces deux classes, non pas dans les nuées de la spéculation, dans l’abstrait, mais dans la réalité de leur pratique. A force d’identification de leurs pratiques, on finit par établir une identité entre les sujets eux-mêmes, entre la bourgeoisie et le prolétariat, car il est aberrant d’affirmer d’une part que nous sommes en présence de deux classes d’essence diamétralement opposée et de soutenir d’autre part que ces deux classes ont dans la réalité une pratique identique.

3) Pour cerner le fond du problème concernant la terreur, il nous faut mettre de côté ce qui n’apparaît que comme une querelle de mots, pour mettre a nu ce que les mots recouvrent. Autrement dit, le contenu et la pratique de la terreur et sa signification. Il faut commencer par rejeter la vision d’une séparation possible entre le contenu et la pratique. Le marxisme renvoie dos à dos la vision idéaliste d’un contenu éthéré existant hors de la matérialité réelle qu’est sa pratique et la vision pragmatique d’une pratique vide de contenu. Contenu et pratique, but et moyens, sans être des identités, constituent néanmoins des moments d’une unité indissoluble. Il ne saurait y avoir une pratique distincte et opposée à son contenu et on ne saurait mettre en question un contenu sans mettre en question ipso facto sa pratique. La pratique révèle nécessairement son contenu, tout comme ce dernier ne peut s’affirmer que dans sa pratique. Ceci est particulièrement évident au niveau de la vie sociale.

4) Le capitalisme est la dernière société divisée en classes de l’histoire. La classe capitaliste fonde sa domination sur l’exploitation économique de la classe ouvrière. Pour assurer cette exploitation et l’accentuer au maximum, la classe capitaliste, comme toutes les classes exploiteuses dans l’histoire recours à tous les moyens de coercition, d’oppression et de répression dont elle peut disposer. Aucun des moyens les plus inhumains, les plus sauvages, les plus sanglants ne saurait être exclu par elle pour assurer et perpétuer l’exploitation. Plus se manifestent des difficultés internes, plus se manifeste la résistance des ouvriers et plus sanglant est l’exercice de la répression. A cette fin, elle a développé tout un arsenal de moyens de répression les prisons, les déportations, les assassinats, les camps de concentration, les guerres génocides, la torture la plus raffinée et nécessairement aussi tout un corps social spécialisé dans leur mise en oeuvre -la police, la gendarmerie, l’armée, le corps juridique, les tortionnaires qualifiés, les commandos et les bandes para militaires. La classe capitaliste dépense une part de plus en plus grande de la plus-value extraite de l’exploitation de la classe ouvrière à l’entretien de cet appareil de répression, au point que ce secteur est devenu aujourd’hui le plus important et le plus florissant champ de l’activité sociale. Dans le but de maintenir sa domination, la classe capitaliste est entrain de mener la société à la pire des ruines et vouer toute l’humanité aux pires souffrances et à la mort.
Ce n’est pas là une description émotive de la barbarie capitaliste que nous entendons faire mais plus prosaïquement la description de ce qui constitue sa pratique.
Cette pratique qui imprègne toute la vie sociale, toutes les relations entre les hommes et qui pénètre dans tous les pores de la société, cette pratique, ce système de domination, nous l’appelons la terreur. La terreur n’est pas tel ou tel acte de violence épisodique et circonstanciel. La terreur est un mode particulier de la violence, inhérent aux classes exploiteuses. C’est une violence concentrée, organisée, spécialisée, entretenue et en constant développement et perfectionnement, en vue de perpétuer l’exploitation.

Ses caractères principaux sont :

  • d’être la violence d’une classe minoritaire contre la grande majorité de la société;
  • de se perpétuer et de se perfectionner au point de trouver sa raison d’être en elle-même;
  • de nécessiter un corps spécialisé et toujours plus spécialisé, toujours plus détaché de la société, fermé sur lui-même, échappant à tout contrôle, imposant avec la dernière brutalité sa férule sur l’ensemble de la population et étouffant dans un silence de mort toute velléité de critique et de contestation.

5) Le prolétariat n’est plus la seule classe à subir les rigueurs de la terreur de l’État sur la société. La terreur s’exerce également sur toutes les classes et couches petites-bourgeoises, paysans, artisans, petits producteurs et commerçants, intellectuels et professions libérales, scientifiques et jeunesse étudiante, et se prolonge jusque dans les rangs mêmes de la classe bourgeoise. Ces couches et classes n’offrant aucune alternative historique au capitalisme, excédées et exaspérées par la barbarie du système et de sa terreur, ne peuvent lui opposer que des actes de désespoir : le terrorisme.
Bien qu’il puisse être également utilisé par certains secteurs de la bourgeoisie, le terrorisme est essentiellement le mode d’action, la pratique des couches et classes désespérées et sans devenir. C’est pourquoi cette pratique qui se veut “héroïque et exemplaire” n’est en fait qu’une action de suicide. Elle n’offre aucune issue et n’a d’autre effet que de fournir des victimes à la terreur de l’État. Elle n’a aucun effet positif sur la lutte de classe du prolétariat et ne sert souvent qu’à entraver cette lutte dans la mesure où elle fait naître des illusions parmi les ouvriers sur la possibilité d’une autre voie que celle de la lutte de classe. C’est pour cela aussi que le terrorisme, pratique de la petite-bourgeoisie peut être et est souvent judicieusement exploité par l’État comme moyen de détourner les ouvriers du terrain de la lutte de classe et sert également de prétexte pour renforcer sa terreur.
Ce qui caractérise le terrorisme, pratique de la petite-bourgeoisie, c’est de rester une action de petites minorités ou d’individus isolés, de ne jamais s’élever à des actions de masses, d’être mené dans l’ombre de la petite conspiration, offrant ainsi un terrain de prédilection aux manigances des agents de la police et de l’État, et en général à toutes sortes de manipulations et d’intrigues les plus insolites. Si au départ le terrorisme est l’émanation de volontés individualistes et non de l’action généralisée d’une classe révolutionnaire, il reste également, dans son aboutissement, sur un plan individualiste. Son action n’est plus dirigée contre la société capitaliste et ses institutions, mais seulement contre des individualités représentatives de cette société. Il prend donc inévitablement l’aspect d’un règlement de comptes, d’une vengeance, d’une vendetta, de personne à personne et non celui d’un affrontement révolutionnaire de classe contre classe. D’une façon générale, le terrorisme tourne le dos à la révolution qui ne peut être que l’oeuvre d’une classe déterminée, engageant de larges masses dans une lutte ouverte et frontale contre l’ordre existant et pour la transformation sociale. Il est en outre fondamentalement substitutionniste, ne plaçant sa confiance que dans l’action volontariste des petites minorités agissantes.
En ce sens, l’idée est à proscrire d’un “terrorisme ouvrier” qui se voudrait l’oeuvre de détachements du prolétariat, “spécialistes” de l’action armée, ou bien destinés à préparer les futurs combats en donnant l’exemple de la lutte violente au reste de la classe, ou en “affaiblissant” l’État capitaliste par des”attaques préliminaires” Le prolétariat peut déléguer certains détachements pour telle ou telle action ponctuelle (piquets, patrouilles, etc.), mais sous son contrôle et dans le cadre de son mouvement d’ensemble et, si, dans ce cadre, l’action plus décidée des secteurs d’avant-garde peut servir de catalyseur à la lutte des larges masses, ce ne peut jamais être à travers les méthodes conspiratives et individualistes propres au terrorisme. Celui-ci, même s’il est pratiqué par des ouvriers ou des groupes d’ouvriers, ne peut acquérir un caractère prolétarien, de la même façon que la composition ouvrière des syndicats n’en fait pas des organes de la classe ouvrière. Cependant, il ne faut pas le confondre avec des actes de sabotage ou de violence individuelle perpétrés par des travailleurs sur des lieux de production. De tels actes sont fondamentalement des expressions du mécontentement et du désespoir surtout fréquents dans les périodes de reflux pendant lesquelles ils ne peuvent en aucune façon servir de détonateur et qui tendent, dans un moment de reprise, à s’intégrer et à être dépassés dans un mouvement collectif et plus conscient.
Si pour toutes ces raisons, le terrorisme dans le meilleur sens du terme (dans le pire, il peut être dirigé carrément contre les travailleurs), ne saurait jamais être le mode d’action du prolétariat; ce dernier ne le met jamais sur le même plan que la terreur, car il n’oublie pas que le terrorisme, aussi futile que soit son action, est une réaction, une conséquence provoquée par la terreur de son ennemi mortel, l’État capitaliste, et il en est également la victime.
Le terrorisme comme pratique reflète parfaitement son contenu : les classes petites bourgeoises dont il émane. Il est la pratique stérile des classes impuissantes et sans devenir.

6) Dernière classe exploitée dans l’histoire, le prolétariat porte avec lui la solution à tous le les déchirements, à toutes les contradictions et impasses dans lesquelles la société s’est embourbée Cette solution n’est pas seulement une réponse à son exploitation mais se rapporte à toute la société, car le prolétariat ne peut se libérer sans libérer l’humanité toute entière de la division de la société en classes et de l’exploitation de l’homme par l’homme. Cette solution, d’une communauté humaine librement associée et unifiée, c’est le communisme. Dès sa naissance, le prolétariat porte en lui les germes et certains caractères de cette humanité renaissante : classe démunie de toute propriété privée, classe la plus exploitée de la société, elle s’oppose à toute exploitation; classe unifiée par le capital dans le travail productif associé, elle est la classe la plus homogène, la plus unitaire de la société; la solidarité est une des premières de ses qualités et est ressentie comme le plus profond de ses besoins; classe la plus opprimée, elle combat toutes les oppressions; classe la plus aliénée, elle porte avec elle le mouvement de la désaliénation car sa conscience de la réalité n’est plus sujette à l’automystifi-cation dictée par les intérêts des classes exploiteuses; les autres classes sont soumises aux lois aveugles de l’économie, le prolétariat, lui, agissant consciemment, se rend maître de la production, supprime l’échange marchand et organise consciemment la vie sociale.
Portant encore les stigmates de l’ancienne société d’où il émerge, le prolétariat est appelé néanmoins à agir en fonction de son devenir. Pour son action il ne prend pas pour modèle les agissements des anciennes classes dominantes car dans sa pratique comme dans son être il est en tous points leur antithèse catégorique. Les anciennes classes dominaient, motivées qu’elles étaient pour la défense de leurs privilèges, le prolétariat n’a, lui, aucun privilège et sa domination est pour la suppression de tout privilège. Pour les mêmes raisons, les anciennes classes dominantes s’enfermaient dans des barrières sociales infranchissables de caste, le prolétariat, lui, est ouvert à l’incorporation de tous les autres membres de la société en son sein afin de créer une seule communauté humaine.
La lutte du prolétariat, comme toute lutte sociale, est nécessairement violence mais la pratique de sa violence est aussi distincte de la violence des autres classes corne sont distincts leurs pro jets et leurs buts. Sa pratique, y compris la violence, est l’action d’immenses masses et non de minorités; elle est libératrice, l’acte d’accouchement d’une société nouvelle harmonieuse, et non la perpétuation d’un état de guerre permanent, chacun contre tous et tous contre chacun. Sa pratique ne vise pas à perfectionner et perpétuer la violence mais à bannir de la société les criminels agissements de la classe capitaliste et l’immobiliser. C’est pourquoi la violence révolutionnaire du prolétariat ne pourra jamais prendre la forme monstrueuse de la terreur propre à la domination capitaliste, ou la forme du terrorisme impuissant de la petite bourgeoisie. Sa force invincible ne réside pas tant dans sa force physique et militaire et encore moins dans la répression, que dans sa capacité de mobiliser ses larges masses, d’associer la majorité des couches et classes travailleuses non prolétariennes à la lutte contre la barbarie capitaliste. Elle réside dans sa prise de conscience et dans sa capacité de s’organiser de façon autonome et unitaire, dans la fermeté de ses convictions et dans la vigueur de ses décisions. Telles sont les armes fondamentales de la pratique et de la violence de classe du prolétariat.
La littérature marxiste emploie parfois le terme de terreur à la place de violence de classe. Mais il suffit de se référer à l’ensemble de toute l’oeuvre de Marx, pour comprendre qu’il s’agit plutôt d’une imprécision de formulation que d’une véritable identification dans la pensée. Cette imprécision lui vient en outre de la profonde impression qu’a laissée sur elle l’exemple de la grande révolution bourgeoise de 1789. Quoi qu’il en soit, il est largement temps de lever ces ambiguïtés qui amènent certains groupes, corne les bordiguistes, à pousser à l’extrême caricature l’exaltation de la terreur et à faire de cette monstruosité un nouvel idéal du prolétariat.

  • La plus grande fermeté et la plus stricte vigilance ne veulent pas dire l’instauration d’un régime policier. Si la répression physique contre les menées contre-révolutionnaires de la bourgeoisie aux abois peut s’avérer indispensable, et même si le danger existe d’une trop grande mansuétude ou faiblesse à son égard, le prolétariat veillera, comme ce fut la préoccupation des bolcheviks dans les premières années de la révolution, à se prévenir contre tout excès et abus qui risqueraient de défigurer et dénaturer sa propre lutte en lui faisant perdre la vision de son but. C’est avant tout sur, la participation de plus en plus active de larges masses, sur leur initiative créatrice qu’il fonde son pouvoir et la garantie du triomphe final du socialisme.

Questions théoriques: 

  • Terrorisme [7]

Allemagne de l'Est : l'insurrection ouvrière de juin 1953

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Le texte que nous publions sur le 17 juin 1953 n'a pas pour but de céder au goût des commémorations funèbres. Depuis bien longtemps, la bourgeoisie tente de conjurer les fantômes qui viennent la han­ter au déclin de son existence. Ces fantômes, ce sont ceux des révolutions prolétariennes, des mou­vements révolutionnaires qu'elle a écrasés et dont elle craint le retour fatidique sinon dans la réalité immédiate,  du moins dans ses pensées paisibles de classe dominante. Elle tente alors de con­jurer sa terreur superstitieuse devant les "dates fatidiques" en commémorant l'événement à sa façon, en l'enterrant une seconde fois. La 1ère fois, elle déchaîne toutes ses forces militaires et idéo­logiques contre la classe ouvrière qui menace les bases de sa domination,  la 2ème fois, elle falsi­fie le contenu de classe de la lutte en la transformant en vulgaire lutte pour la "patrie",  la "dé­mocratie",  la "liberté".

C'est ce qu'a tenté une fois de plus la bourgeoisie à l'Est comme à l'Ouest ; les uns en transformant la lutte des ouvriers est-allemands en lutte contre les "exactions staliniennes", les autres en lutte pour la "démocratie parlementaire et pluraliste". Chaque fraction de la bourgeoisie mondia­le tente une fois de plus d'assassiner le prolétariat de Berlin-Est et de Saxe en dénaturant, en ca­lomniant, en transformant son combat en son contraire, en le niant purement et simplement.

Les révolutionnaires ne font pas de la lutte du prolétariat un objet d'étude ou de culte. Pour eux, cette  lutte du passé est toujours présente. C'est pourquoi elle n'est pas un objet de commémoration de leur part, mais une arme pour le combat futur,  une incitation à l'action révolutionnaire. Les événements de 1953 sont nôtres,  car ils sont un moment de la lutte historique du prolétariat pour son émancipation.  Ils sont une preuve éclatante de la nature capitaliste des pays de l'Est, présen­tés par les trotskystes comme "socialistes". Ils sont la preuve que la dictature la plus impitoyable du capital à travers son Etat totalitaire ne met pas fin à la lutte de classe. Celle-ci se poursui­vra tant qu'il y aura division de la société en classes et donc exploitation. Le prolétariat à réa­gi aux mesures d'intensification de l'exploitation et donné une réponse cinglante au mensonge trotskyste et stalinien d'un Etat  "ouvrier et socialiste". Les ouvriers d'Allemagne de l'Est,  avant ceux de Hongrie en 1956,  de Pologne en 1970,  ont pu constater que la mitraille de la police et de  l'ar­mée était de même nature que celle qui les faucha dans les années 1918-20 de Berlin à Budapest. Avec l'insurrection des ouvriers est-allemands a commencé à s'effondrer avec fracas dans la conscience du prolétariat mondial le mythe des  "Etats socialistes".

Mais surtout, les ouvriers d'Allemagne orientale ont montré -malgré leur écrasement- qu'ils sont la seule force capable d'abattre l'exploitation capitaliste. En dépit de leurs illusions sur l'Occident "démocratique", pendant mystificateur de la dictature de fer de l'Etat capitaliste à l'Est, ils ont prouvé la possibilité future d'une révolution prolétarienne dans le bloc russe, par le surgissement en quelques jours de comités de grève et d’usine couvrant tout le pays. Seul le poids de la contre-révolution triomphante a pu permettre l'intervention de l'armée russe et l'isolement du prolétariat est-allemand de la partie occidentale de l'Allemagne et des autres pays d'Europe.

Aujourd'hui la période de contre-révolution qui a isolé, affaibli, détourné la lutte prolétarienne est close. Mai 68 a prouvé que le prolétariat d'Europe occidentale n'était pas  "intégré" ; les émeu­tes ouvrières en Pologne de décembre 1970 et janvier 1971 ont montré que la lutte de classe se pour­suivait et que les événements de 1953 n'étaient pas accidentels ou le produit de la seule  "stalinisation" de ces pays.  C'est la crise générale du capitalisme qui parallèlement à l'Est et à l'Ouest met en branle  les ouvriers de tous  les pays dans leur résistance à l'exploitation.

En dépit de toutes les sirènes qui en Pologne (KOR, comité de défense des ouvriers emprisonnés),  en Tchécoslovaquie  (Charte des 77), tentent de montrer aux ouvriers qu'ils doivent lutter pour la "nation libre",  se fondre dans le  "peuple", les ouvriers des pays de l'Est ne peuvent que s'intégrer dans la lutte internationale du prolétariat. Hier isolés,  c'est unis dans la lutte révolutionnaire que les ouvriers de tous les pays, en dépit de tous les  "rideaux de fer", monteront demain à l'assaut du ciel.

25 Ans après le sursaut du 17 juin 1953

A la fin de la seconde guerre mondiale, les gou­vernements de tous les pays ont promis aux tra­vailleurs la paix et une prospérité durable. Aujourd'hui, plus de trente ans après, nous som­mes une fois de plus plongés en plein coeur d'u­ne crise économique internationale qui, d'Est en Ouest attaque massivement le niveau de vie de la classe ouvrière. Face à la difficulté croissante à trouver des débouchés pour la production, face à l'inflation galopante, au chô­mage grandissant, aux faillites de plus en plus nombreuses des secteurs industriels, le capita­lisme aujourd'hui suit le chemin tracé par ses contradictions internes; ce chemin mène à terme et pour la troisième fois dans notre siècle, à la lutte inter-impérialiste généralisée, au mas­sacre.

En Allemagne de l'Ouest, la bourgeoisie, et spé­cialement ses fractions extrêmes tels les maoïs­tes, les trotskystes et les néo-fascistes met en avant le but d'une Allemagne unifiée, in­dépendante, démocratique et même"socialiste", comme solution à l'aspect allemand de la crise mondiale. Nous comprendrons le sens de"cette indépendance nationale et unité" quand nous nous souviendrons que le gouvernement de Bonn a fait du 17 juin et de la défaite des travail­leurs est-allemands, le jour de la célébration de l'unité allemande. En réalité, il n'y a pas de solution à la crise du capitalisme, enfermé dans le cercle vicieux de crise-guerre-recons­truction- nouvelle crise, et qui laissé à lui-même, continuera de la sorte jusqu'à ce que l'humanité soit finalement détruite. C'est précisément parce que la seule manière de sor­tir de cette barbarie est la révolution prolé­tarienne mondiale, que la tâche vitale des révolutionnaires est d'analyser les expériences passées et les luttes de notre classe, de sor­te que les défaites d'hier deviennent les vic­toires de demain.

Les pays soi-disant socialistes de l'Europe de l'Est sont le résultat de la redivision du monde après la seconde guerre mondiale. Le mot d'ordre de la"guerre sainte" contre le fascis­me n'était rien d'autre que le mensonge que les bourgeoisies de l'Ouest et de Russie ont utili­sé pour mobiliser les travailleurs dans la lutte pour le profit, la recherche de marchés, de matières premières pour leurs maîtres capi­talistes. L'amour de la démocratie qui était censé animer les alliés n'empêcha pas Staline de pactiser avec Hitler au début de la guerre, et ainsi la Russie put s'emparer de larges zones en Europe de 1'Est.

Au fur et à mesure que la victoire des "alliés" devenait imminente, le conflit d'intérêts au sein du camp "démocratique" lui-même et en par­ticulier entre la Russie d'un côté et les an­glais et les américains de l'autre, se faisait plus intense. La Russie ne reçut que le mini­mum d'aide de la part de l'Ouest et la Grande-Bretagne voulut même ouvrir un deuxième front dans les Balkans, plutôt qu'en France, afin d'empêcher les Russes d'occuper l'Europe de l'Est.

Ce qui maintint l'unité de ces gangsters, ce fut la peur que la guerre, particulièrement dans les pays vaincus, puisse, comme pour la première guerre mondiale, se terminer par une éruption de luttes de classe. Les bombarde­ments féroces des "alliés" sur les villes al­lemandes avaient pour but d'écraser la classe ouvrière allemande. Dans la plupart des vil­les, des quartiers ouvriers ont été rasés, tandis que 10 % seulement des équipements in­dustriels furent détruits.

La résistance croissante des ouvriers qui, dans quelques cas, entraîna des soulèvements dans les camps de concentration et dans les usines, et le mécontentement des soldats (comme les désertions sur le front Est, qui furent réprimées par des pendaisons massives) fut rapidement écrasée par les forces d'occu­pation. Cet exemple fut suivi partout. A l'Est, l'armée russe laissait agir les forces alle­mandes, qui écrasaient le soulèvement de Varso­vie, qui dura 63 jours et fit 240 000 morts. De la même façon, l'armée russe se rendit res­ponsable du maintien de l'ordre et de la paix sociale en Bulgarie ainsi qu1  ailleurs dans les Balkans. A l'Ouest, les PC participaient aux gouvernements d'après-guerre en France et en Italie afin de briser les mouvements de grèves perlées et l'agitation sociale. Le PC italien au pouvoir soutenait les mêmes "alliés" démocratiques qui bombardèrent sans merci  les ouvriers italiens qui occupaient les usines vers la fin de la guerre.

Les occupants "soviétiques" commencèrent à exercer un pillage organisé des territoires de l'Europe de l'Est sous leur contrôle. Dans la zone d'occupation soviétique (ZOS), de l'Allemagne de l'Est, le démantèlement de l'équipement industriel et son transport en Union Soviétique atteignit 40 % des capacités industrielles de la Z0S. la Sowjetischen Aktiengesellschaften (SAG, société soviétique par actions), qui fut fondée en 1946 emporta en Russie 200 usines clé en mains, incluant, par exemple la grande entreprise de Leuna. Dans certaines zones, à la fin de la guerre, les ou­vriers réparèrent et remirent en marche les usi­nes, et ce sont celles-là que les Russes pri­rent avec un empressement particulier. En 1950 le SAG constituait les proportions suivantes de l'économie de l'Allemagne de l'Est : "plus de la moitié d'industries chimiques, un tiers de produits métallurgiques et environ un quart de machines-outils".  (Staritz Sozialismus in einetw halben Land, p. 103).

Une grande partie de ces profits allait en Rus­sie, directement comme réparation. La RDA était condamnée à payer une réparation à l'URSS jusque vers 1953-54, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il  de­vienne clair que ces réparations étaient néfas­tes pour l'économie russe elle-même. L'économie ravagée de l'Allemagne de l'Est paya la note par une augmentation brutale de l'exploitation de la classe ouvrière. Le prolétariat y était forcé afin de participer au financement de la reconstruction et de l'expansion de l'économie de guerre soviétique. Staline n'a jamais expli­qué pourquoi la classe ouvrière et l'Etat ou­vrier" en Allemagne de l'Est devrait payer pour les crimes de ses exploiteurs. Le renforcement du pouvoir économique de l'impé­rialisme russe en RDA et en Europe de l'Est, était accompagné de l'émergence de fractions bourgeoises pro-russes au pouvoir. Dans la Z0S, les staliniens du KPD en arrivèrent à former avec les assassins sociaux-démocrates de la ré­volution allemande, la "Sozialistiche Einheits Partei" Ses buts pour l'immédiat après-guerre avaient été déjà clairement exprimés peu avant la guerre : "La nouvelle république démocratique dépossédera le fascisme de ses bases Matérielles en expropriant les trusts capitalistes fascistes et placera de réels défenseurs des libertés dé­mocratiques et des droits des peuples dans l'armée, dans /les forces de police et dans la bureau­cratie". (Staritz, p.49).

Renforcement et "démocratisation" de l'armée, de la police, de la bureaucratie telles sont les leçons que ces bons bourgeois "marxistes" ont tirées de Marx, de Lénine et de la Commune de Paris.

Et puis, les années de l'après-guerre étant finies, vint le temps de l'annonciation du début de la construction du socialisme. Un socialisme miraculeux qui pouvait être construit sur le corps d'un prolétariat défait et écrasé. Il est intéressant dénoter que, entre 1945 et 48, mê­me le SED ne prétendait pas que les mesures de capitalisme d'Etat qu'il mettait en avant avait quelque chose à voir avec le socialisme. Mais, aujourd'hui les gauchistes de toutes tendances, qui prétendent que les nationalisations, c'est le socialisme, préfèrent oublier le haut degré d'étatisation dans les pays d'Europe de l'Est, même avant la guerre, et spécialement dans ces pays renommés pour leurs gouvernements "réac­tionnaires", tels que la Pologne ou la Yougosla­vie. Cette centralisation de l'économie sous la direction de l'Etat s'est poursuivie pendant l'occupation allemande ([1] [8]).

En fait, la fameuse déclaration de "construc­tion du socialisme" alla de paire avec le resser­rement économique, politique et militaire dans l'Europe de l'Est parés 1948. Ce fut le résultat direct d'un renforcement global des conflits en­tre les blocs américain et russe. Le plan de deux ans (à dater de 1949) prévoyait une augmentation de la production de 35 %, repo­sant sur un accroissement de la productivité de 30 %, 15% d'augmentation de la masse salariale, et une baisse de 7% des tarifs publics. Le but du SED était, par ce moyen d'augmenter la produc­tivité du travail deux fois plus que les salai­res. Les moyens pour arriver à ces fins repo­saient sur l'amélioration dans l'organisation du travail, l'introduction de "normes strictes", la lutte contre l'absentéisme et le manque d'atten­tion au travail. ([2] [9])

L'augmentation des salaires en 1948, pour autant qu'elle ait eu lieu, était purement et simple­ment le résultat de l'accroissement des cadences et de "l'émulation" en d'autres termes, elles fu­rent le résultat de l'augmentation de l'exploi­tation. C'était la période du mouvement Hennecke (équivalent du stakhanovisme) et de la disci­pline de fer imposée dans les usines par les syn­dicats. Mais, même de si petites augmentations de salaire devinrent insupportables pour l'écono­mie et durent être supprimées de diverses façons. Le bloc de l'Est moins fort économiquement, de moins en moins capable de concurrencer son rival américain fut contraint pour survivre d'extrai­re des superprofits sur le dos du prolétariat et de les réinvestir dans l'industrie lourde (et plus précisément dans les industries en rapport avec l'économie de guerre) et au détriment de l'infrastructure et de la production de biens de consommation... Cette situation qui requérait un contrôle immédiat et centralisé de la part de l'Etat contraint la bourgeoisie à attaquer de front le niveau de vie de la classe ouvrière.

La réponse du prolétariat se manifesta par des vagues de lutte de classe qui secouèrent l'Eu­rope de l'Est des années 53 à 56. Le mouvement commença au début de Juin 53 avec la manifesta­tion des ouvriers de Pilsen (Tchécoslovaque) qui entraîna un affrontement avec l'armée et qui fut suivie immédiatement par une montée de luttes en RDA et par des révoltes dans les énor­mes camps de travail de Vorkuta (URSS) en Juin de la même année. Ce mouvement atteignit son apogée en 56 avec les événements en Pologne, en Hongrie où des conseils ouvriers furent formés.

On estima que les salaires réels en RDA en 1950 étaient deux fois moins élevés qu'en 1936 (Bu­reaucratie et Révolution p.80). En Juillet 1952, le SED annonça l'ouverture d'une nouvelle pério­de de "construction accélérée du socialisme", par quoi il faut entendre une nouvelle augmentation des investissements dans l'industrie lourde, un grand accroissement de la productivité et un plus grand accroissement encore des normes de productivité. Il était clair que l'on tentait d'accé­lérer la reconstruction d'après-guerre. Au prin­temps 53, au moment où les syndicats de Berlin Ouest avaient des difficultés à contrôler la com­bativité des ouvriers du bâtiment, le gouverne­ment de Berlin Est mettait sur pied une campa­gne énorme pour l'accroissement des normes de production en général, et de celles du bâtiment en particulier. Le 28 Mai, il fut annoncé que 60% des ouvriers du gigantesque site de construc­tion de Stalinallee avaient "volontairement" aug­menté leurs normes (il s'agit là du langage du réalisme socialiste !). Les effets de la campagne nationale de la production se faisaient déjà sen­tir. Le même mois, des grèves eurent lieu à Magdebourg et Karl Marx Stadt. En réponse, le gou­vernement annonça une augmentation générale de 10% des normes de production pour le 5 Juin.

Effrayé par l'esprit prévalant au sein de la classe ouvrière, un groupement anti-Ulbricht au sein de la direction du SED, et apparemment avec le soutien du Kremlin, mit en avant un train de réformes destiné à obtenir le soutien des classes moyennes. Ce groupe commença même à sug­gérer une politique plus souple en ce qui con­ cerne les normes de production ([3] [10]).

Mais il était trop tard pour éviter une érup­tion prolétarienne par de telles manoeuvres. Le 16 Juin, les ouvriers du bâtiment prirent la rue et appelèrent les autres ouvriers à s'unir à eux. La manifestation se dirigea vers les bâtiments gouvernementaux. La grève générale fut appelée pour le lendemain et paralysa Berlin-Est; elle fut suivie dans toutes les autres villes impor­tantes. La lutte était organisée par des comités de grève élus par les ouvriers dans les assemb­lées ouvertes et contrôlées par eux -indépen­damment des partis et des syndicats. En effet, la dissolution des cellules du Parti dans les usi­nes étaient souvent la première revendication des ouvriers. A Halle, Bitterfeld et Merseburg, coeur industriel de l'Allemagne de l'Est, des comités de grève pour toute la ville furent élus qui essayaient ensemble de coordonner et de diriger la lutte. Ces comités assumaient la tâ­che de centraliser la lutte et aussi d'organiser temporairement les affaires courantes de la vil­le :

" A Bitterfeld, le comité de grève central, demanda que les pompiers lavent la propagande of­ficielle. La police continuait à procéder à des arrestations, là-dessus, le comité forma des unités de combat et organisa l'occupation systé­matique des quartiers de la ville. Les prisonniers politiques de Bitterfeld furent relâchés sur ordre du comité de grève. Par contre, le co­mité ordonna l'arrestation du maire. (Sarel. "Arbeiter gegen den Kormiunismus"!).

Dans tout le pays, les quartiers généraux du parti furent occupés ou brûlés, les prisons ou­vertes et les prisonniers libérés. L'appareil répressif de l'Etat fut paralysé. Seuls, les chars russes pouvaient à présent aider le gouvernement. A Berlin Est, 25 000 soldats russes et 300 chars écrasèrent la résistance des ou­vriers armés de bâtons et de bouteilles. A Leip­zig, Magdeburg et Dresde, l'ordre fut ramené au bout de quelques heures. En d'autres endroits, cela prit plus de temps. A Berlin, des grèves avaient encore lieu trois semaines plus tard.

A cause de la vitesse avec laquelle ils prirent la rue, généralisant la lutte et l'amenant au niveau politique immédiatement mais surtout à cause de la compréhension de la nécessité d'af­fronter directement l'Etat, les ouvriers furent capables de paralyser l'appareil  répressif de la bourgeoisie Est-allemande, Cependant, de la même façon que l'extension rapide de la grève à travers le pays permit d'empêcher l'utilisation effective de la police contre les ouvriers, une extension INTERNATIONALE de la guerre civile au­rait été nécessaire pour contrer la menace   de 1'"armée rouge". En ce sens, nous pouvons dire que, prenant place, comme elle le fit, au plus profond de la contre-révolution qui suivit la vague révolutionnaire des années 17-23, la dé­faite des ouvriers est-allemands eut pour cause l'isolement d'avec leurs frères de classe des autres pays à l'Est comme à l'Ouest. En fait, le poids de la contre-révolution mit des bar­rières plus importantes que les baïonnettes de l'impérialisme russe au passage de la révolte à la révolution. Les liens de la classe à son propre passé, à ses expériences et à ses luttes ont été rompus depuis longtemps par les héros sanglants de la réaction que sont les Noske, Hitler et Staline -rompus par les camps de con­centration, les bombardements de population-par la démoralisation et la destruction de ses partis révolutionnaires (meurtre de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht et dispersion poli­tique du KAPD). Ayant souffert longtemps de la domination des Etats à parti  unique, les ou­vriers pensaient que la démocratie parlementai­re pouvait les protéger de l'exploitation bru­tale. Ils réclamèrent des élections libres et un parlement. Ils envoyèrent des délégués à Berlin-Ouest pour obtenir l'aide de l'Etat et des syndicats, mais en vain. La police de Ber­lin-Ouest et les troupes françaises et britan­niques furent postées le long de la frontière avec Berlin-Est pour empêcher tout mouvement de solidarité entre les ouvriers de l'Est et de l'Ouest. Les syndicats de l'Ouest rejetè­rent la suggestion d'appeler à une grève de solidarité et mirent les ouvriers de l'Est en garde contre les actions illégales et l'aven­turisme. Les ouvriers appelèrent l'armée rus­se à rester neutre (à ne pas intervenir dans les affaires intérieures allemandes d'après le comité de grève de Halle et Bitterfeld). Mais ils en apprirent une dure leçon : dans la guerre de classes, il  n'y a pas de neutralité. Les ouvriers voulaient être débarrassés de Ulbricht et Cie, sans réaliser qu'il  serait remplacé par un autre et que la question n'est pas de renverser tel ou tel gouvernement mais de détruire le système capitaliste mondial qui est une corde à notre cou.  Ils ne compre­naient pas le besoin de centraliser politiquement la lutte au niveau des conseils ouvriers afin de balayer l'Etat bourgeois.

Les staliniens du DKP et les maoïstes d'Alle­magne de l'ouest sont d'avis que les événements du 17 juin étaient un complot fasciste organi­sé par Bonn et Washington.  Ils montraient par là-même leur nature anti-prolétarienne une fois de plus. La classe ouvrière aura à rejeter de tels courants (ou d'autres comme le "cama­rade" Bahro qui est si ardent à vouloir démo­cratiser l'Etat de l'Allemagne de l'Est et son Etat ouvrier" bien-aimé afin de préserver la loi et l'ordre) aux poubelles de l'histoire.

La logique de tels courants est illustrée par un tract Que le groupe maoïste KBW sortit pour le 25ème anniversaire des événements du 17 juin. Ces chiens de garde autoproclamés de la pureté stalinienne disaient ceci : "Le fait que le soulèvement fut "soutenu" par le gouver­nement ouest-allemand prouve qu'il ne peut s'a­gir que d'une tentative de putsch fasciste. En fait,  la bourgeoisie occidentale soutînt ce soulèvement exactement de la même manière que les syndicats,  par exemple, "soutiennent" un mouvement de grève : dans le but de le di­riger dans une impasse et à la défaite. Les faits montrent que les gens qui préparaient le leur sale besogne pour le 17 juin étaient en fait sans pouvoir, précisément parce qu'ils n'étaient pas des "ouvriers courageux" mais des provocateurs,  des valets de l'impérialisme, sans le soutien de la classe ouvrière et qui détalèrent comme des lapins quand l'"Armée rouge',' à cette époque une armée de la classe ouvrière s'opposa à cette tentative contre ^révolutionnaire".

Tract du KBW, 15 juin 1978

Voilà qui est bien, c'est si facile d'expliquer ainsi le problème ! Mais même ainsi, ces perro­quets de la contre-révolution jugent encore né­cessaire de radoter sur les erreurs de l'Oncle Walter (Ulbricht) et les confusions des ouvriers. Mais comment se fait-il que trois ans après cet­te première aventure fasciste, les cocktails des masses ouvrières hongroises aient eu à combattre les chars de Staline ? Et pourquoi  les ouvriers attaquèrent-ils leur "propre" armée si souvent et si violemment ? Et pourquoi encore les "bons ouvriers" ne remuèrent-ils pas le petit doigt pour sauver leur "Etat" et"leur révolution" pen­dant la fameuse contre-révolution Kroutchévienne dont on parle tant dans les milieux maoïstes ?

Les conditions de la lutte de classe dans le système capitaliste décadent firent que les ou­vriers d'Allemagne en 1953 et de Hongrie en 1956, dans leur lutte contre le système, furent immé­diatement confrontés aux forces et à l'hostilité de la bourgeoisie mondiale. Les buts frauduleux de la "démocratie" et de "l'unité allemande" mis en avant par la propagande de l'Ouest, ache­vèrent l'oeuvre de l'armée rouge dans la défaite de la classe ouvrière. Par sa manipulation de mensonges, la bourgeoisie des plus vieux pays capitalistes prouva une fois de plus sa maîtrise en la matière. Leur stratégie consista à :

-    mener les luttes ouvrières à leur fin aussi vite que possible, principalement en empêchant l'extension au-delà des frontières;

-    en déviant le mouvement sur le terrain bour­geois (démocratie, liberté...), l'Occident es­pérait étendre son influence au sein du bloc russe.

De toute façon l'idéologie de la bourgeoisie de l'Ouest était dirigée en premier lieu et surtout contre le prolétariat lui-même. Tous les discours sur les bas salaires et le manque de liberté du "peuple" à l'Est est utilisé surtout aujourd'hui pour briser la résistance ouvrière à l'austérité et à l'économie de guerre intensive. L'interven­tion idéologique du bloc de l'Ouest en 1953 était particulièrement importante à tel  point que, con­tribuant au désarmement politique du prolétariat, elle aida les staliniens à rester au pouvoir.

En 1956 en Pologne et en Hongrie, le nationalis­me fut l'arme la plus efficace pour réduire puis dissoudre la résistance ouvrière. Quelques mois seulement après le massacre des ouvriers à Pozna’n, le PC polonais pouvait armer la population de Varsovie pour défendre la patrie contre les rus­ses. Par contre le gouvernement de Berlin-Est fut lui-même menacé par le nationalisme allemand dans la mesure où ce nationalisme incarnait la menace de l'Ouest, la grande peur d'être dévoré par Bonn* Précisément pour ces raisons, l'unifica­tion de toutes les classes contre les russes et était exclue depuis le début, l'existence même de la RDA dépendant du pouvoir des russes. Inca­pable d'utiliser des moyens de mystification, le SED dut être secouru par les chars étrangers et par le baratin démocratique.

La classe ouvrière en menant ses luttes, n'a jamais été et ne peut pas être une"classe pour le capital". Face aux mensonges de la bourgeoi­sie et de ses fractions de gauche - qui repro­chent sans cesse à la classe le militarisme, l’aristocratie ouvrière, le racisme - face à cette conception qui voit la classe ouvrière résignée et défaite, les révolutionnaires met­tent en avant le fait que le coeur de la socié­té de classe réside dans la contradiction entre travail salarié et capital. Ceux-ci s'opposent sans cesse, dans une situation d'hostilité per­manente, déterminée par les conditions objecti­ves. Parce que le prolétariat n'a pas de pouvoir économique dans la société, la destruction du capitalisme ne peut être qu'un acte politique, le résultat d'une conscience et d'une volonté révolutionnaire de la part des travailleurs. Ce fut en grande partie à cause d'un manque d'expé­rience et de conscience de la part de la classe et de ses minorités révolutionnaires que la ré­volution d'octobre échoua. De la même façon, toutes les tentatives des années 40 et 50 pour résister au capitalisme n'ont pu éviter l'échec à cause de la profonde confusion et de la démo­ralisation qui suivirent la défaite de la Révo­lution d'Octobre.

Les Communistes de Conseils, comme "Daad en Gedachte" par exemple atteignent le sommet de l'idéalisme quand ils affirment que les évènements du 17 juin 1953 prouvent le pouvoir illi­mité de la spontanéité de masse du prolétariat, concept qu'ils opposent à la nécessité du Parti de classe. Toute aussi étrangère au marxisme e est la conception typique des bordiguistes qui expliquent toute défaite par l'absence du parti révolutionnaire. Parce que la nature profonde du prolétariat est celle d'une classe exploitée et révolutionnaire, il entre en lutte spontané­ment. Cependant, afin d'être capable de mener ses luttes à bien et de s'attaquer au capital, il est essentiel pour le prolétariat d'organiser et de diriger ses luttes aussi consciemment que possible. La classe forge ses armes, ses organes au feu même de la lutte de classe. Grâce à ses organes elle fait passer ses luttes immédiates sur le terrain de ses propres intérêts de clas­se, c'est-à-dire la lutte pour le communisme. Dans les affrontements révolutionnaires, les masses ouvrières s'organisent en conseils qui lancent et coordonnent les attaques et les re­traites temporaires et qui préparent l'insurrec­tion. De cette façon, la classe dépasse sa pro­pre spontanéité et devient un pouvoir révolu­tionnaire autonome, unifié et indivisible.

En fait, les Communistes de Conseils et les Bordiguistes posent la question de travers. Ce ne sont ni les Conseils seuls, ni le Parti seul qui soient indispensables pour la victoire de la révolution mais c'est L'AUTO-ORGANISATION CONSCIENTE DE LA CLASSE  !

La formation du parti et des conseils sont deux moments séparés et fondamentaux dans le p processus d'auto-organisation de la classe. Au­cune lutte ouvrière et encore moins au plus profonde de la contre-révolution ne sera victo­rieuse simplement parce que le "parti mondial" existera. Le parti mondial n'est pas simplement une collection de principes ; il est encore mo moins le produit de quelques sectes malade pre­nant ses propres rêves pour la réalité. Le par­ti mondial de demain signifie 1'auto-organisation militante et disciplinée des éléments les plus combatifs et les plus conscients de la classe qui, durant les luttes, jouent un rôle vital et dynamique dans l'effort de la classe pour s'organiser et remplir les tâches qui se présentent à elle. Le parti, produit de la lutte de classe, n'en émerge pas pour autant spontanément, au contraire son existence est préparée par de longues années de travail théo­rique et pratique. Nous devons, dès à présent nous engager dans ce travail préparatoire.

Bien que l'absence de minorités révolutionnaires dans les luttes des années 53 et 56 soit un symptôme de la faiblesse de la classe dans cette période, l'apparition et le renforcement de telles minorités depuis 1968 nous montre qu'une nouvelle période de lutte de classe est ouverte devant nous. Les grèves à Berlin-Est et Karl Marx Stadt, ainsi que les émeutes à Wittenberg et Erfurt qui eurent lieu récemment, annoncent qu'une nouvelle ère de luttes de classe et de crise sociale s'est ouverte en RDA. En Europe de l’Est, nous avons vu les premières tentatives courageuses du prolétariat pour résister à la crise (Pologne et Roumanie). Sans avoir atteint un haut degré de politisation ces luttes ont tracé des leçons essentielles pour la classe ou­vrière mondiale : donner un démenti aux théories qui proclament "l'intégration" du prolétariat dans le capitalisme d'Etat à l'Est prétendument "paradis ouvrier", la preuve de l'unité interna­tionale du combat ouvrier contre le capital sous toutes ses formes. 25 ans après la révolte des ouvriers d'Allemagne de l'Est, nous opposons à l'unité des brigands de la bourgeoisie, l'unité et la solidarité des ouvriers et révolutionnai­res de tous les pays.

Krespel



[1] [11] La situation de Tchécoslovaquie en 1945 nous montre la réalité de ce développement capitaliste d'Etat qui a été mis en place sans les staliniens et les "partis ouvriers". D'après Benes, le chef d'Etat conservateur à l'époque : "Les allemands prirent simplement le contrôle de toutes les banques. S'ils ne les ont pas nationalisées directement, ils les mirent en fin de compte entre les mains de grands trusts allemands. Dans ce sens, ils ont préparé automatiquement le capital financier et l'économie de notre pays pour les nationalisations...Remettre ces propriétés et les banques entre les mains des propriétaires tchèques ou les renforcer sans une aide considérable de l'Etat et sans de nouvelles garanties financières, était tout simplement impossible. L'Etat devait aller de l'avant." ("Bureaucracy and Révolution", p.27).

[2] [12] Staritz p.107. L'auteur oublie ici qu'un accroissement de la masse salariale de 15% ne signifie pas une augmentation de 15% du salaire individuel mais d'abord et surtout un accroissement du nombre d'ouvriers.

[3] [13] Il s'agit du groupe constitué autour de Franz Dahlem. Chaque crise politique dans l'Europe de l'Est fait naître une fraction voulant "démocratiser" ou changer ceci ou cela, afin d'éviter l'affrontement avec le prolétariat. En 1956, c'était Gomulka en Pologne et Nagy en Hongrie. En 1968, c'était Dubcek en Tchécoslovaquie. Aujourd'hui c'est exactement la même chose avec l'Opposition en Pologne, les "droits de l'homme" en Russie, la "Charte 77" en Tchécoslovaquie et Bahro, Havemann, Biermann et leurs amis en RDA.

 

Géographique: 

  • Allemagne [14]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Stalinisme, le bloc de l'est [15]

Espagne 1936 : le mythe des collectivités anarchistes

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Les collectivités espagnoles de 1936 ont été présentées par les anarchistes comme le modèle parfait de la révolution. Selon eux, elles per­mettent l'autogestion ouvrière de l'économie, elles signifient l'élimination de la bureaucra­tie, elles augmentent le rendement du travail et "merveille des merveilles" sont "l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes"..."dirigés et orientés à tout moment par les libertaires", (selon les paroles de Gaston Levai, défenseur intransigeant de l'anarchisme et de la CNT).

Mais les anarchistes ne sont pas seuls à nous offrir le "paradis" des collectivités. Heribert Barrera -républicain catalaniste en 1936, aujourd'hui député aux Cortes- en fait l'éloge comme un "exemple d'économie mixte respectueu­se de la liberté et de l'initiative humaine" (!!!) tandis que les trotskystes du POUM nous apprennent que "l'oeuvre des collectivités a donné un caractère plus profond à la révolution espagnole qu'à la révolution russe". G.Munis et les camarades du FOR (Fomento Obrero Revolucionario) se font des illusions sur le caractère "révolutionnaire" et "profond" des collectivi­tés.

Pour notre part, nous nous voyons obligés de jouer une fois de plus les rabat-joie : les collectivités de 36 n'ont pas été un instrument de la révolution prolétarienne mais un instru­ment de la contre-révolution bourgeoise; elles ne furent pas "l'organisation de la nouvelle so­ciété" mais la planche de salut de l'ancienne qui s'est maintenue avec toute sa sauvagerie.

En disant cela, nous ne voulons pas démoraliser notre classe. Au contraire : la meilleure maniè­re de la démoraliser est de la faire lutter pour de faux modèles de révolution. La condition môme pour la victoire de ses aspirations révolutionnaires est de se libérer complètement de tout faux modèle, de tout faux paradis.

Qu'ont été les collectivités

En 1936, l'Espagne, touchée de plein fouet par la crise économique qui, depuis 1929 secoue le capitalisme mondial, vit des convulsions parti­culièrement graves.

Tout capital national souffre de trois types de convulsions sociales :

-    celui issu de la contradiction fondamentale bourgeoisie-prolétariat;

-    celui provenant des conflits internes entre les différentes fractions de la bourgeoisie elle-même;

-    celui qu'occasionne l'affrontement entre blocs impérialistes qui prennent chaque pays comme scène pour leurs luttes d'influence et comme marché.

Dans l'Espagne de 1936, ces trois convulsions confluèrent avec une intensité brutale, amenant le capitalisme espagnol à une situation extrême.

En premier lieu, le prolétariat espagnol -pas en­core écrasé comme le furent ses frères européens mena une bataille énergique contre l'exploitation, jalonnée par une extraordinaire escalade de grè­ves générales, de révoltes et d'insurrection qui ont causé la plus grande alarme au sein de la classe dominante.

En second lieu, les conflits internes de celle-ci vont en s'aggravant. Une économie retardataire, déchirée par de formidables déséquilibres et dé­vorée pour cela avec plus d'intensité par la crise mondiale, est le meilleur bouillon de cul­ture pour l'éclatement de conflits entre la bour­geoisie de droite (propriétaires terriens, finan­ciers, militaires, clergé, commandés par Franco) et la bourgeoisie de gauche (industriels, classes moyennes urbaines, syndicats, etc dirigés par la République et le Front Populaire). Finalement, l'instabilité du capitalisme espagnol en fait une proie facile des convoitises impéria­listes du moment, qui, éperonnés par la crise, ont besoin de nouveaux marchés et de nouvelles positions stratégiques. L'Allemagne et l'Italie tiennent leur pion avec Franco, dissimulé derriè­re le masque de la "tradition" et de "la croisa­de contre le communisme athée", tandis que la Russie et les puissances occidentales -alors amies- trouvent dans la République et le Front Populaire, leur bastion, dissimulés derrière le voile mystificateur de "l'anti-fascisme" et de la"lutte pour la révolution". Dans ce contexte, surgit le soulèvement de Franco, le fameux 18 juillet 1936 qui signifie pour la classe ouvrière l'apogée de la surexploita­tion et de la répression commencée par la Répu­blique dès 1931. La réponse de la classe ouvriè­re est immédiate et foudroyante : grève généra­le, insurrection, armement des masses, expropria­tion et occupation des entreprises. Dès les premiers instants, toutes les forces de la bourgeoisie de gauche qui vont des partis républicains jusqu'à la CNT, essaient d'enfermer les ouvriers dans le piège de la lutte "anti­fasciste" et de transformer les expropriations d'entreprises en une fin en soi, pour faire re­tourner les ouvriers au travail avec l'illusion que les entreprises sont leurs, qu'elles sont "collectivisées".

Mais les journées insurrectionnelles de Juillet démontrent à satiété que la lutte ouvrière ne se développe pas seulement contre Franco mais aussi, à la fois, contre l'Etat républicain : les ouvriers font grève, exproprient les entre­prises, s'arment comme classe autonome pour en­tamer une offensive contre l'ensemble de l'Etat capitaliste, aussi bien le Franquiste que le Républicain. Pour réussir la grève insurrection­nelle, les ouvriers ne pouvaient se satisfaire des expropriations et de la formation de milices, mais devaient détruire en même temps que l'ar­mée franquiste toutes les forces républicaines (les Azana, Companys, le PC, la CNT, etc.) et, ensuite, détruire totalement l'Etat capitaliste, érigeant sug ses décombres le pouvoir des con­seils ouvriers.

Cependant, la clé de l'échec du prolétariat et de son enrôlement dans la barbarie de la guer­re civile, réside dans le fait que les forces républicaines -et par-dessus tous la CNT et le POUM- parvinrent à empêcher les ouvriers de franchir le pas décisif -détruire l'Etat capita­liste- et ils enfermèrent les ouvriers dans la "collectivisation de l'économie" et de la "lut­te anti-fasciste".

Les nationalistes catalans, le Front Populaire, le POUM et surtout la CNT réduisirent la lutte des ouvriers à la simple expropriation des en­treprises, les transformant en "COLLECTIVITES REVOLUTIONNAIRES", lesquelles en se maintenant au sein de 1'Etat capitaliste, le laissant in­tact, non seulement devinrent inutiles pour les ouvriers mais aussi se convertirent en un ins­trument de sa sur-exploitation et de contrôle du capital.

"Parce que le pouvoir de l'Etat restait en pla­ce, la Généralité de Catalogne pouvait légali­ser tranquillement les expropriations ouvrières et faire choeur avec tous les courants "ouvriers" qui trompaient les ouvriers avec les expropria­tions,  le contrôle ouvrier,  la répartition des terres,  les épurations, mais qui gardaient un silence criminel sur la réalité terriblement effective et peu apparente de l'existence de l'Etat capitaliste. Pour cette raison,  les expropriations ouvrières sont restées intégrées dans le marché du capitalisme d'Etat".

BILAN

 

Ainsi, nous voyons que la CNT qui, à aucun mo­ment, n'a appelé à la grève spontanée du 19 juil­let, à prendre les armes, appelle ensuite à REPRENDRE LE TRAVAIL, A TERMINER LA GREVE, ou même s'oppose à l'assaut contre l'Etat capitalis­te avec l'excuse que les entreprises sont collectivisées". Gaston Levai dans son livre "Collectivités Libertaires en Espagne" nous "raisonne" ainsi : "Quand se produisit l'attaque fasciste, la lutte et l'état d'alerte mobilisèrent la po­pulation durant cinq   ou six jours, à la fin desquels la CNT donna l'ordre de reprendre le travail. Prolonger la grève aurait été contre les intérêts des travailleurs eux-mêmes qui as­sumaient la responsabilité de la situation".

Les belles collectivités "libertaires" qui étalent "une révolution plus profonde que la révolution russe" - toujours selon le POUM- justifièrent le RETOUR AU TRAVAIL, LA FIN DE LA TENTATIVE REVO­LUTIONNAIRE, LA SOUMISSION DES OUVRIERS A LA PRO­DUCTION POUR LA GUERRE. Dans les conditions d'a­lors de convulsions et de désagrégation extrêmes de l'édifice capitaliste, la façade radicale des collectivités fut l'ultime recours pour faire travailler les ouvriers et sauver l’ordre exploiteur comme le reconnaît franchement Osorio Gallardo, politicien monarchiste et de droite :"Jugeons impartialement. Les collectivités ont été une né­cessité. Le capitalisme avait   perdu toute son autorité morale et les maîtres ne pouvaient plus ordonner et les ouvriers ne voulaient plus obéir. Dans une situation aussi angoissante, ou l'indus­trie restait abandonnée,  ou bien la Généralité s'en chargeait,  établissant un communisme sovié­tique".

AU SERVICE DE L'ECONOMIE DE GUERRE

Quand on nous dit que les collectivités furent un modèle de "communisme", de "pouvoir ouvrier", qu'elles furent "une révolution plus profonde que celle en Russie", il y a de quoi éclater de rire : la quantité de renseignements, de faits et de té­moignages qui montrent le contraire sont accablants Voyons donc :

Premièrement : un grand nombre de collectivisations se fit avec l'accord des patrons eux-mêmes. A pro­pos de la collectivisation de l'industrie chocolatière de Torrente (Valence), Gaston Levai, dans le livre précédemment cité, écrit :

"Motivés par le désir de moderniser la production (?) Comme de supprimer l'exploitation de l'homme par l'homme (sic), il y eut une assemblée le 1er septembre 1936. Les patrons furent invités à par­ticiper à la collectivité tout comme les ouvriers. Et tous acceptèrent de s'associer pour organiser la production et la vie sur des bases inédites".

Les, "bases inédites" de la vie se construisaient en respectant tous les piliers du régime capi­taliste ! Ainsi, la collectivité des tramways de Barcelone "non seulement accepta de payer aux créditeurs de la Compagnie les dettes contractées, mais aussi traita avec les actionnaires qui furent convoqués à une assemblée générale"(idem). Quelle profonde révolution que celle qui respec­te les dettes antérieures et respecte les intérêts des actionnaires ! Quelle étrange manière d'orga­niser la production et la vie sur des bases iné­dites !

Deuxièmement : les collectivités servirent aux syndicats et partis politiques bourgeois à recons­truire l'économie capitaliste : - en concentrant les entreprises :

"Nous nous sommes chargés des ateliers avec un nombre insignifiant de tra­vailleurs sans embryons syndicaux dont l'inac­tivité portait préjudice à l'économie".

Rapport du syndicat du bois de la CNT de Barcelone (1937)

- en rationalisant l'économie

"En premier, nous avons établi la solidarité financière des industries, organisant un Conseil général de l'économie* où chaque branche envo­yait deux délégués. Les ressources excédentai­res serviront pour aider les industries défici­taires afin qu'elles reçoivent les matières pre­mières et autres éléments de production".

CNT de Barcelone 1936

- en centralisant la plus-value et le crédit pour les canaliser selon les besoins de l'économie de guerre.

"Dans toutes les entreprises collectivisées, 50 % des bénéfices seront destinés à la conservation des ressources propres et les 50 % res­tants seront mis à la disposition du Conseil économique local ou régional correspondant"

Rapport de la CNT sur les collectivités Décembre 1936

Comme on le voit, pas un centime de bénéfice pour les travailleurs, mais cela ne fait rien ! Gaston Levai le justifie avec le plus grand cy­nisme: "On peut avec raison se demander pour­quoi les bénéfices ne sont pas répartis entre les travailleurs dont les efforts fournissent ces bénéfices; à cela nous répondons : parce qu'ils sont réservés à des fins de solidarité sociale".

En fait de solidarité "sociale" avec l'exploita­tion, avec l'économie de guerre, avec la misère la plus terrible !

Troisièmement : les collectivités ne touchent pas au capital étranger, "pour ne pas incommoder les pays amis"selon le POUM, ce que nous tradui­sons par : afin de s'assujettir aux puissances impérialistes qui soutiennent le gang républicain. Merveilleuse et profonde révolution que voilà !

Quatrièmement : les organismes qui géraient et dirigeaient les collectivités (syndicats, partis politiques, comités) étaient pleinement intégrés à l'Etat capitaliste :

"Les comités de fabrique et les comités de con­trôle des entreprises expropriées se transformè­rent en organes pour activer la production et pour cette raison, ils furent défigurés quant à leur signification de classe. Il ne s'agissait plus là d'organismes créés dans le cours d'une grève insurrectionnelle pour démolir l'Etat, mais d'organes orientés vers la production de guerre, condition essentielle pour permettre la survivance et le renforcement de cet Etat".

 

BILAN

 

Et quant aux partis et syndicats, ce sont non seulement les forces du Front Populaire mais aussi les organisations plus "ouvrières" et plus "radicales" qui sont intégrées à l'Etat : la CNT participa au Conseil Economique de Catalogne avec quatre délégués, au gouvernement de la Gé­néralité de Catalogne avec trois ministres et au gouvernement central de Madrid avec trois au­tres. Mais ce n'est pas seulement au sommet de l'Etat qu'ils participèrent pleinement mais aus­si à la base de cet Etat, village par village, entreprises par entreprises, quartiers par quar­tiers. L'Espagne républicaine a vu des centaines de maires, de conseillers, d'administrateurs, de chefs de police, d'officiers militaires, etc., "libertaires"...

Mais ces forces ne sont pas seulement partie in­tégrante de l'Etat par leur participation direc­te en son sein. C'est toute la politique qu'elles défendaient qui faisaient d'elles la chair et le sang de l'ordre capitaliste. Cette politique qui entravait à tout moment l'action des collec­tivités était l'unité anti-fasciste, qui justi­fia le sacrifice des ouvriers sur le front mili­taire et la sur-exploitation de l'arrière-garde. Gaston Levai nous explique clairement cette po­litique qui, parmi d'autres, mena la CNT :"il fallait défendre les libertés si relatives et pourtant si appréciables représentées par la Ré­publique". Gaston Levai  "oublie" "l'appréciable" "liberté ouvrière" qui signifie la répression de la République contre les grèves ouvrières (rappelons nous Casas Viejas, Alto Llobregart, Asturias...)  "Il ne s'agissait pas de faire une révolution sociale,  ni d'implanter le communis­me libertaire,  ni d'une offensive contre le ca­pitalisme,  l'Etat ou les partis politiques-: il fallait empêcher le triomphe du fascisme" (G.L). Pourquoi diable la CNT, les anarchistes et compa­gnie critiquent-ils donc le PCE s'ils défendaient la même chose ! si leur programme était le même : la défense du capitalisme sous le masque de 1'anti-fascisme !

Cinquièmement : le caractère "révolutionnaire", "anti-capitaliste", "libertaire" des collecti­vités fut convenablement canalisé par l'Etat ca­pitaliste qui les reconnut au travers du Décret de collectivisation (24/10/36) et les coordonna par la constitution du Conseil de l'Economie. Et savez-vous qui signa ces deux décrets ? Mr Tarradellas aujourd'hui brillant président de la Généralité de Catalogne !

Nous sommes obligés de conclure que les collec­tivités ne signifièrent pas la plus petite at­taque contre l’ordre bourgeois mais furent une forme que celui-ci adopta pour réorganiser l'éco­nomie et maintenir l'exploitation à un moment d'extrême tension sociale et d'énorme radicalisation ouvrière qui ne permettait pas d'utiliser les méthodes traditionnelles :

"Face à un incendie de classe,  le capitalisme ne peut même pas penser à recourir aux méthodes classiques de la légalité. Ce qui le menace est l'INDÉPENDANCE de la lutte ouvrière qui condition­ne la prochaine étape révolutionnaire jusqu'à l'abolition de la domination bourgeoise. Par conséquent,  le capitalisme doit retisser la mail­le de son contrôle sur les exploités. Les fils de cette maille qui avant étaient la magistra­ture,  la police,  les prisons se transforment dans la situation extrême de Barcelone en Comités de milice, en industries socialisées, en syndicats ouvriers, en patrouilles de vigilance, etc.".

 

L'IMPLANTATION DE L'ECONOMIE DE GUERRE

Une fois vue la nature d'instrument capitaliste des collectivités, nous allons voir le rôle qu'elles ont joué, et celui-ci fut d'implanter au sein du prolétariat une économie de guerre draconienne, qui permit d'affronter le énormes frais et la gigantesque saignée de ressources que supposait la guerre impérialiste qui se dé­roulait en Espagne en 1936-39.

En peu de mots, l'économie de guerre suppose trois choses :

1) La militarisation du travail

2) Le rationnement

3)    Canaliser toute la production vers une fin exclusive, totalitaire et monolithique : la GUERRE.

Le cache-sexe des collectivités servit à la bour­geoisie pour imposer aux ouvriers une discipline militaire dans le travail, l'allongement de la journée de travail, la réalisation d'heures sup­plémentaires non payées...

Un journal bourgeois chantait joyeusement "l'am­biance" régnant à l'usine Ford de Barcelone : "Il n'y avait ni commentaires ni controverses. D'abord la guerre et pour elle travailler et travailler sans cesse... Optimistes et satisfaits, cela ne leur faisait rien que leur comité -cons­titué de camarades travailleurs comme eux- éta­blisse des consignes rigides et détermine plus d'heures de travail. Ce qui était important était de vaincre le fascisme »1. Le statut des collectivités définissait claire­ment l'implantation de la militarisation du tra­vail : "Article 24 : tous travailleront obligatoi­rement sans limite de temps pour ce qui est né­cessaire au bien de la collectivité"'. "Article 25 : tout collectiviste est obligé* en plus du travail qui lui est normalement assigné, de donner son aide où que ce soit pour tous les travaux urgents ou imprévus "(Collectivité de Jatina-Valence).

Dans les "assemblées" des collectivités s'impo­saient "démocratiquement" de plus en plus de me­sures de militarisation : "On décida d'organiser un atelier où les femmes iraient travailler au lieu de perdre leur temps dans la rue... On finit par décider que chaque atelier aurait une déléguée qui se chargerait de contrôler les ap­prenties,  lesquelles si elles manquaient deux fois sans motif seraient renvoyées sans appel". (Collectivité de Tamarite-Huesca).

Quant aux rationnements, une revue catalaniste de l'époque nous explique très clairement la mé­thode "démocratique" de les imposer au proléta­riat :"Dans tous les pays, on oblige les cito­yens à tout économiser, depuis les métaux pré­cieux jusqu'aux pelures de pommes de terre. Le pouvoir public exige d'eux ce régime de rigueur. Mais ici, en Catalogne,  c'est le peuple qui spontanément complète son oeuvre, s'imposant vo­lontairement, consciemment un rationnement ri­goureux".

La première loi de 1'"ultra-révolutionnaire" Conseil d'Aragon de Durruti et autres satrapes fut :"Pour les fournitures des collectivités, on établira une carte de rationnement". Ces rationnements imposés comme des "mesures révolutionnaires" et "consciemment acceptés par les citoyens" signifièrent une misère indescripti­ble pour les ouvriers et pour toute la population. Gaston Levai reconnaît sans vergogne :

"Dans la majorité des collectivités, la viande manquait presque toujours et peu à peu il man­qua jusqu'aux pommes de terre"(opus cité).

Finalement, la discipline militaire, les ration­nements que la bourgeoisie impose derrière le masque des collectivités, avait une fin unique : sacrifier toutes les ressources économiques et humaines aux dieux sanguinaires de la guerre  impérialiste :

-  Dans la collectivité de Mas de las Matas (Barcelone) et suivant proposition de la CNT :

"On adapta les installations du cellier à la fabrication d'alcool à 96 ° indispensable aux médecins du front. On limita également l'achat de vêtements, de machines, etc., destinés à la consommation des gens de la collectivité car ces ressources ne devaient pas servir au luxe mais au front".

-  Dans les collectivités d'Alicante :"Le gouvernement reconnaissant les progrès de la collectivisation dans la province, commanda des armes aux ateliers syndicaux d'Alcoy, du tissu à l'industrie textile socialisée et des chaussures à l'industrie d'Elda également aux mains des libertaires, avec pour but d'armer, de vê­tir et de chausser les soldats". (Gaston Levai)

LES COLLECTIVITES: INSTRUMENTS DE SUREXPLOITATION

La démonstration la plus palpable du caractère anti-ouvrier des sinistres "collectivités" anarchistes est, que grâce à elles, la bourgeoi­sie républicaine réduisit jusqu'à une limite intolérable les conditions de travail et de vie des ouvriers :

- Les salaires : ceux-ci, de juillet 1936 à décembre 1938 diminuèrent nominalement de 30 %, tandis que la chute du niveau de vie fut pire encore : plus de 200 %\

-    les prix : Ils passèrent de l'indice 168,8 en 1936 (indice 100 en 1913) à celui de 564 en novembre 1937 et 687,8 en février 1938.

-    Le chômage : malgré l'énorme saignée de gens envoyés au front, laquelle diminua le chiffre des chômeurs, celui-ci grimpa de 39 % entre janvier 1936 et novembre 1937.

-    La durée du travail  : elle monta à 48 H (en 1931, elle était de 44H, en juillet 36, la Généralité, pour calmer la lutte ouvrière, dé­créta la semaine de 40H, mais quelques mois plus tard, cette mesure disparut du plan avec l'excuse de l'effort de guerre et de la "collectivisation". Le nombre d'heures supplémentaires augmenta la durée du travail de30%. Ce furent précisément les organisations "ouvrières" (PCE, UGT, P0UM et surtout la CNT) qui réclamèrent avec plus de véhémence la surexploi­tation et la dégradation de la situation des ou­vriers.

Peiro, bonze de la CNT écrivit en août 1936 : "Four les besoins nationaux,  la semaine de 40h n'est pas assez, celle-ci ne peut certainement pas être plus inopportune".

Les consignes syndicales de la CNT sont des plus "favorables" aux ouvriers : "Travailler, produire et vendre. Aucune revendication salariale ou au­tre. Tout doit rester subordonné à la guerre. Dans toute la production qui a un lien direct ou indirect avec la guerre anti-fasciste, on ne pourra exiger que soient respectées les bases le travail, que ce soit pour les salaires ou la durée du travail. Les ouvriers ne pourront deman­der des rémunérations spéciales pour les heures extra effectuées pour la guerre anti-fasciste et devront augmenter la production par rapport à la période antérieure au 9 juillet."

Le PCE quant à lui crie :"Non aux grèves dans l Espagne démocratique ! Pas un ouvrier oisif à l'arrière. !".

Naturellement, les collectivités, comme instru­ment de "pouvoir ouvrier" et de "socialisation" aux mains de l'Etat furent l'excuse qui fit avaler aux ouvriers cette brutale réduction de leurs conditions de vie.

Ainsi, dans la collectivité de Graus (Huesca) :"aux femmes on ne paiera pas de salaire pour leur travail étant donné que leurs besoins sont couverts par le salaire familial!. Dans la col­lectivité d'Hospitalet (Barcelone) "comprenant la nécessité d'un effort exceptionnel, on repous­sa l'augmentation de S % des salaires et la di­minution de la journée de travail décrétée par le gouvernement". Encore plus royaliste que le gouvernement !

CONCLUSIONS

Rappeler la douloureuse expérience historique dont souffrit le prolétariat espagnol, dénoncer la grande escroquerie des collectivités, par laquelle la bourgeoisie parvint à le tromper, ce n'est pas là une question  pour intellectuels ou érudits, c'est une nécessité vitale pour ne pas retomber dans le même piège. Pour nous vaincre et pour nous faire avaler des mesures de surex­ploitation, de chômage, de sacrifice, la bour­geoisie recourt au mensonge; elle se déguise en "ouvrière" et "populaire" (en 1936, les bour­geois se faisaient des cals aux mains et s'habil­laient en "ouvriers"); elle"socialise" et fait autogérer les usines, elle appelle à toutes les formes de solidarité inter-classiste, derrière les drapeaux de "l'anti-fascisme", de la "défense de la démocratie", de la "lutte anti-terroriste".., Elle donne aux ouvriers la fausse impression qu'ils sont "libres", qu'ils "contrôlent" l'éco­nomie, etc.. Mais derrière tant de"démocratie", "participation" et "autogestion", se cache intact, plus puissant et renforcé que jamais, 1'APPAREIL D'ETAT BOURGEOIS autour duquel les RELATIONS CAPITALISTES DE PRODUCTION se maintiennent et s'aggravent dans toute leur sauvagerie.

Aujourd'hui, alors que les lois fatales du capi­talisme sénile, le conduise vers la guerre, ce sont le "sourire", la "confiance dans les cito­yens", la "plus grande démocratie", l’"autoges­tion", qui sont le grand théâtre par lequel le capitalisme demande de plus en plus de sacrifices, de plus en plus de chômage, de plus en plus de misère, de plus en plus de sang sur les champs de bataille. Les "collectivités" de 1936 furent un des faux modèles, un des paradis, une des belles illusions de plus au travers desquelles le capitalisme amena les ouvriers à la défaite et au massacre. La leçon de ces événements doit être tirée et servir aux prolétaires d'aujour­d'hui pour déjouer les pièges que le capital leur tend, afin d'avancer vers leur libération définitive.

E.F. (Traduit de A.P n° 20)

Géographique: 

  • Espagne [16]

Evènements historiques: 

  • Espagne 1936 [17]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [1]
  • Anarchisme officiel [18]

Approfondir: 

  • Espagne 1936 [19]

Sur la question nationale : (réponse a «Solidarity »)

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Ce texte a été rédigé pour être publié dans le milieu révolutionnaire en Scandinavie. En effet, des camarades d'Oslo (Norvège) avaient l'intention de publier un texte de Solidarity qui s'intitule "Le Tiers-mondisme et le Socialisme" et ils nous ont demandé une réponse critique à ce texte. Puis­que vraisemblablement,  ce projet ne s'est pas réalisé jusqu'à présent, nous jugeons utile de publier ce texte nous-mêmes dans notre presse.

On constate que des éléments révolutionnaires en Scandinavie -comme d'autres qui surgissent en Amé­rique, en Inde ou à Hong-Kong- tombent souvent sous l'influence des idées anarchistes,  "libertaires", telles qu'elles sont véhiculées par le groupe Solidarity. Les thèmes traités dans cette critique -signification de la décadence capitaliste, des "luttes de libération nationale"; nature de classe de la révolution russe- sont particulièrement difficiles à comprendre pour les éléments révolution­naires d'aujourd'hui coupés des acquis théoriques des fractions communistes du passé. Chaque fois, on en revient aux mêmes questions comme si elles n'avaient jamais été posées dans le passé.   "Oui, Cuba ou la Chine sont des pays capitalistes mais...  il doit y avoir quand même quelque chose de pro­gressiste dans le développement de ces régimes..." ou bien "La Russie est un pays capitaliste au­jourd'hui et par conséquent...  la révolution d'Octobre 17 est une révolution bourgeoise...". Bien que débattre de ces questions soit nécessaire à la clarification politique, celle-ci est souvent bloquée par l'intervention de courants qui cherchent à donner un cadre plus élaboré à ces confusions inextricables. Tel est le rôle de Solidarity avec sa théorie du "nouveau capitalisme bureaucratique"; tel est le râle des bordiguistes avec leurs fantaisies sur les "jeunes capitalismes" du tiers-monde ou la "révolution double" (c'est-à-dire bourgeoise et prolétarienne) d'Octobre 17. Dans le texte qui suit, nous nous efforçons    de confronter ces aberrations théoriques avec la vision historique claire défendue par Rosa Luxembourg à l'époque de la première guerre mondiale et par Bilan dans les années 30 : à l'époque de la décadence capitaliste, il ne peut plus y avoir de révolution bourgeoise nulle part dans le monde; c'est la révolution prolétarienne qui est à l'ordre du jour partout,  dans tous les pays.

Le texte traite brièvement des origines de Solidarity et des idées de Cardan telies qu'elles sont présentées dans  "Modem Capitalism" et "The Cnsis of Modem Society". Rupture positive avec le trotskisme à l'origine,  Socialisme ou Barbarie, le groupe de Cardan/Chaulieu et Solidarity plus tard, tous deux imprégnés de conceptions héritées du trotskysme, ont été incapables de répondre aux événe­ments. Socialisme ou Barbarie a eu le bon goût de disparaître avant que le resurgissement de la cri­se capitaliste mondiale n'ait démystifié sa théorie d'un soi-disant capitalisme "sans crises", et avant que le groupe n'ait abandonné toute prétention à une position prolétarienne. Par contre,  l'exis­tence actuelle de Solidarity ne fait que souligner les contradictions,  les absurdités de ses idées. Ecrit avant la fusion de Solidarity avec un autre groupe libertaire,  Social Révolution (scission du groupe fossilisé The Socialist Party of Great Britain),  le texte note déjà une tendance qui semble s'accélérer depuis la fusion :  l'abandon progressif des positions de classe en faveur du point de vue de "l'individu autonome". Cette évolution vers l'individualisme ([1] [20]) et l'"alternate life-styles" (la vie quotidienne "désaliénée") s'accompagne d'une évolution rapide vers des positions purement et simplement gauchistes sur des questions cruciales telles que les syndicats et l'anti-fascisme. L'in­cohérence théorique mène toujours à l'opportunisme en pratique, vers la trahison des principes fon­damentaux.

En publiant ce texte donc,  nous espérons contribuer à l'évolution politique des courants qui surgis­sent actuellement -de la Californie à Bombay, d'Oslo à Hong-Kong. Contrairement à Socialisme ou Bar­barie et Solidarity,  la majorité de ces courants ne vient pas du marasme contre-révolutionnaire du trotskysme, mats a surgi dans une période plus favorable au développement des groupes communistes que ne liétaient les années 50 ou le début des années 60. Il y a ainsi plus de chances d'éviter de répé­ter les erreurs du passé   et de devenir partie prenante de l'avenir révolutionnaire.

La brochure de Solidarity : "Ceylan : la montée du JVP en avril  1971", contient un appendice qui s'appelle "tiers-mondisme ou socialisme ?" (paru par ailleurs dans une autre brochure de Solidarity : "Viêt-Nam : quelle victoire ?".) Le point de vue de Solidarity sur les soi-disant luttes de libération nationale apparaît par­ticulièrement clairement dans cet appendice, qui contient aussi quelques brefs commentaires sur la révolution russe. Nous tenterons de trai­ter ici des positions de Solidarity sur ces deux questions d'importance vitale, dans 1'espoir d'ouvrir une discussion dans le mouvement révo­lutionnaire actuel.

La Question des Révolutions bourgeoises dans les Sphères Arriérées du Capitalisme Mondial

L'appendice établit que "dans des conditions fa­vorables, toute bureaucratie peut "résoudre" le problème des tâches bourgeoises dans le tiers-monde". Il parle aussi  "des nouvelles classes dominantes" dans le tiers-monde qui prennent en charge la réalisation de "l'accu­mulation primitive" du capital dans le cadre de leurs frontières nationales". Les "révo­lutions bourgeoises tardives" dit aussi Solidarity, permettent d'"élever le niveau de con­sommation des masses"et de mettre en place des "programmes sociaux" pour elles.

En 1919, l'Internationale Communiste (IC) a affirmé que le capitalisme était entré dans sa phase de décadence, l'ère de la révolution prolétarienne ou de la guerre inter-impérialiste. Mais pour Solidarity, nous sommes à l'époque du "capitalisme moderne" où tout est possible, y compris "des révolutions bourgeoi­ses tardives" ainsi qu'un progrès économique sans fin pour l'ensemble du capitalisme. Le CCI défend aujourd'hui l'analyse de TIC ([2] [21]). A la lumière des 50 dernières années de contre -révolution et de guerres inter-impérialistes, il devrait être évident que la classe capita­liste, existant à l'échelle mondiale, est devenue une classe complètement réactionnaire, en même temps qu'avec la première guerre mondiale, le capitalisme entrait dans sa période de décaden­ce. L'époque des révolutions bourgeoises, l'épo­que de l'ascendance du capitalisme en tant que système progressif de reproduction humaine a pris fin avec la première guerre mondiale. Les guerres de "libération nationale" de ce siècle sont devenues des arènes pour la confrontation impérialiste mondiale, des bancs d'essai pour d'autres guerres impérialistes mondiales et des charniers pour les ouvriers et les paysans sans terres. Aujourd'hui, il n'y a plus de révolutions bourgeoises possibles et seule la révolution com­muniste peut ouvrir à l'humanité une nouvelle ère de progrès et de développement.

Aux 18ème et 19ème siècles, la révolution bour­geoise était une possibilité historique. De tel­les révolutions, comme Marx fut capable de l'ana­lyser, étaient des mouvements politiques progres­sistes qui permettaient de libérer les énormes forces productives du capitalisme ascendant. Ces révolutions ont irrésistiblement arraché les en­traves précapitalistes et féodales pour pouvoir développer le progrès social. A partir des mar­chés locaux, régionaux, nationaux, la bourgeoi­sie a étendu son système jusqu'à créer le marché mondial et le prolétariat mondial. La fonction la plus progressive qu'a en fin de compte remplie le jeune ordre bourgeois, c'est la créa­tion et la consolidation du marché mondial. Mais en 1914, ce marché était devenu complètement saturé par rapport à la capacité progressive croissante du système dans son ensemble. Dès lors, le système est entré dans sa phase de dé­clin, une période de crise permanente et de guer­re impérialiste cyclique, une période caractéri­sée par la croissance incessante de la produc­tion de gaspillage et les préparatifs de guerre.

Il est tout aussi faux de parler d'"accumulation primitive" dans les aires arriérées du capita­lisme aujourd'hui. Cette étape du développement du capitalisme constituait un moment progressif dans la destruction du féodalisme et la création du prolétariat à l'échelle mondiale. L'accumulation primitive est donc une composante histori­que du capitalisme ascendant. Elle ne peut avoir à nouveau lieu pendant sa phase de décadence. C'est un non-sens que de parler à la fois d'im­périalisme et d'accumulation primitive qui au­raient lieu au même moment, dans un système qui a créé le marché capitaliste mondial.  Non seu­lement les conditions objectives du socialisme existent à l'échelle mondiale, mais encore elles existent depuis 50 ans. Seule la défaite de la vague de luttes prolétariennes en 1917-23 a per­mis qu'ait lieu la contre-révolution bestiale du stalinisme et autres variantes capitalistes d'Etat comme le maoïsme, ou le castrisme. Ces mouvements contre-révolutionnaires n'ont pas li­béré les forces productives, nationalement ou internationalement. Ils n'ont pas ouvert à l'hu­manité des horizons nouveaux comme le firent la révolution française de 1789 ou les révolutions européennes de 1848.  Ils sont bien plutôt appa­rus comme des expressions de la victoire de la contre-révolution sur le prolétariat. Les plans quinquennaux de Staline et les collectivisations de Mao n'étaient pas historiquement progressifs ; ils furent inévitables une fois que l'alternative prolétarienne à la décadence capitaliste - la révolution mondiale - fut écrasée par la bour­geoisie, y compris et surtout par ses fractions de gauche comme les staliniens. Seule la révolu­tion prolétarienne est aujourd'hui progressive pour l'humanité. Toute autre sorte de "révolu­tion" n'est qu'une convulsion d'une fraction de la bourgeoisie qui répond à la crise, à la guer­re impérialiste, et à la nécessité d'étatiser l'économie. Et puisque l'ensemble de l'économie mondiale est aujourd'hui déterminé par des rap­ports de production complètement décadents, tou­te étatisation de l'économie nationale (ou ce que Solidarity appelle "l'accumulation primiti­ve") ne constitue qu'un renforcement de ces rap­ports de production dépassés, sur une échelle nationale. Pour toutes ces raisons, la Républi­que de Weimar par exemple n'était pas une révo­lution bourgeoise allemande "tardive". Au con­traire, elle représentait la destruction de la révolution prolétarienne en Allemagne, le massa­cre de plus de 20000 militants prolétariens en­tre 1918 et 1919. Les révolutionnaires ne peuvent pas confondre la victoire de la contre-révolution mondiale avec la période, à jamais finie, d'as­cendance du capitalisme.

En dépit des banalités répandues par les "ex­perts" en économie, le progrès matériel  ne se mesure pas par des augmentations de rendement, par la création de nouvelles usines, par le plein emploi ni par la croissance numérique apparente de la classe ouvrière. Aujourd'hui, de tels my­thes de technocrates ne servent qu'à cacher le gonflement de production de gaspillage. En d'au­tres termes, le développement de moyens de des­truction ne représente pas un accroissement des valeurs d'usage qui peuvent être consommées de façon productive dans le processus d'accumula­tion capitaliste. Pour le capital  global, y in­clus les secteurs arriérés de l'économie mondia­le, la production de gaspillage et les dépenses militaires constituent une stérilisation de la plus-value. Un bref examen du "progrès économique" réalisé par les "révolutions bourgeoises tardives" de Solidarity montrera qu'il n'y a pas eu de progrès matériel dans ces pays. Le déclin économique s'est poursuivi là comme ailleurs, et s'il s'est produit quelque chose c'est que les contradictions dans ces pays sont devenues plus brutales et plus intolérables. La Chine, Cuba, le Vietnam, etc. ont des dépenses d'Etat énormes, orientées vers la production de gaspillage et une économie de guerre ; la Chine dépense plus de 30% de son produit natio­nal en armements. Ces pays ne peuvent pas échapper aux lois du système, pas plus que ne le peuvent les pays européens, la Russie et les Etats-Unis.

Partout le prolétariat se trouve confronté à l'austérité, au chômage - masqué ou non -, à une exploitation croissante, à une répression policière plus grande, à l'inflation et à des réductions de salaires brutales. Partout le prolétariat se trouve face aux diktats d'un sys­tème qui s'oriente de plus en plus vers la guer­re impérialiste, vers une barbarie complète. Où sont donc les "plus hauts niveaux de consom­mation" et les "programmes sociaux" de Solida­rity ?

La Première Internationale a pu soutenir Lin­coln et le Nord contre les esclavagistes du Sud, durant la guerre civile mexicaine ; de mê­me, le mouvement ouvrier du siècle dernier a soutenu la petite-bourgeoise "jacobine" d'Ita­lie, de Pologne et d'Irlande dans sa lutte con­tre le féodalisme et la réaction absolutiste. Comment était-ce possible ? Solidarity ne le voit pas du tout. A cette époque, le prolétariat luttait encore dans un contexte social où le système était économiquement progressif. Aussi la classe ouvrière pouvait-elle soutenir certaines tendances capitalistes spécifiques sans perdre pour autant sa propre autonomie de classe. La lutte contre le féodalisme que me­nait la bourgeoisie et que soutenait le prolé­tariat, libérait les rapports de production ca­pitalistes et dans ce sens, renforçait le pro­létariat dans la préparation de sa propre révo­lution, lorsque le capitalisme aurait achevé son rôle historiquement progressif. Dans les condi­tions d'aujourd'hui, une telle stratégie ne fait que mener le prolétariat au massacre puis­que partout la bourgeoisie s'affronte directe­ment au prolétariat. Aujourd'hui le capitalisme est un système mondial. Le féodalisme a été vaincu par le développement du capitalisme dans sa période ascendante. Dans une époque d'impé­rialisme mondial, il ne peut plus y avoir de révolution bourgeoise contre le féodalisme. La libération nationale dans le tiers-monde aujour­d'hui ne veut pas dire la lutte d'un capitalis­me montant contre des modes de production pré­capitalistes ou féodaux mais veut dire lutte inter-impérialiste menée à l'échelle d'un capi­tal national particulier. Dire, comme le fait Solidarity, que des "révolutions bourgeoises" peuvent se produite aujourd'hui mais que le pro­létariat ne doit pas soutenir la bourgeoisie dans sa "lutte", est complètement absurde. Quand les révolutions bourgeoises contre le féodalis­me étaient possibles, le prolétariat les soute­nait. Aujourd'hui, si le prolétariat ne peut pas soutenir une quelconque fraction de la bour­geoisie, c'est parce que le capitalisme a termine sa mission historique. Ce qui est aujourd'hui historiquement à Tordre du jour, c'est la révolution communiste.

Cependant, puisque Solidarity défend l'idée que des "révolutions bourgeoises" sont possibles aujourd'hui dans les pays sous-développés, sur quoi se base-t-il donc pour s'opposer aux régi­mes qui surgissent de ces "révolutions" ? Après tout, Solidarity est d'accord avec les proclamations de ces gouvernements selon lesquels la "révolution" a pour résultat le développement économique. Solidarity veut même flatter ces gouvernements en les traitant de "jacobins" ou de révolutionnaires bourgeois. Mais en abandon­nant ainsi l'analyse matérialiste du développe­ment historique du capitalisme, Solidarity n'en reste qu'au moralisme lorsqu'il établit son opposition à ces régimes. C'est une opposition purement idéaliste et utopique. Voila Solidarity qui déverse son mépris quand il parle des ""Révolutionnaires bourgeois tardifs" de Ceylan, de la Chine ou du Vietnam, tout en admettant en même temps qu'ils remplissent une tâche histori­que progressiste et inévitable en développant les forces productives du capitalisme. Mais si c'était vrai, il n^ aurait alors rien de "tar­dif" à la montée de Mao, Castro ou Allende. En fait, leur montée au pouvoir serait tout à fait à propos pour le capital. De plus, toute cette période pourrait être caractérisée, de façon tout à fait justifiée, comme celle des "révolu­tions bourgeoises tardives", promettant au ca­pitalisme un développement éternel jusqu'au mo­ment où le dernier village de Patagonie se sera engagé dans la "reproduction élargie", après avoir terminé sa "propre" "accumulation primi­tive".

Dans le point de vue de Solidarity, il y a donc une étrange séparation entre la réalité écono­mique et la lutte de classe. Pour les marxistes, le capitalisme doit entrer dans sa phase de dé­cadence en tant que système social avant que le prolétariat mondial  puisse directement lut­ter pour le communisme. Si le capitalisme peut continuer à se développer économiquement, si des "révolutions bourgeoises", "tardives" ou autres, peuvent se produire aujourd'hui,alors la révolution communiste n'est pas seulement une impossibilité objective, mais est subjecti­vement impossible jusqu'au moment où le capital aura terminé son évolution progressiste. Mais pour Solidarity, cela n'a aucune importance de savoir si oui ou non le capitalisme est décadent en tant que système de reproduction économique. Ce qui est important, c'est la conscience sub­jective des "dirigés" et c'est tout. Si les "di­rigés" veulent la révolution, alors la révolu­tion aura lieu, même si cela veut dire que la révolution prolétarienne est simultanée à une révolution bourgeoise dans un autre coin du glo­be. Si Solidarity était logique, alors il défendrait la position que la révolution était possible n'importe quand, même au 19ème siècle. Si les conditions objectives de la décadence capitaliste n'ont aucune importance aujour­d'hui, pourquoi les conditions objectives du développement capitaliste dans sa phase d'ascen­dance en auraient-elles ?

Aux yeux du mouvement marxiste cependant, la révolution prolétarienne obéit à une nécessité historique. La révolution prolétarienne n'est historiquement à Tordre du jour que lorsque le capitalisme est entré mondialement dans une ère de déclin. D'après Solidarity, le capitalis­me aurait une superstructure politique complète­ment autonome, indépendante des fondements éco­nomiques. Cuba, la Chine, la Russie se sont tous développés "économiquement", mais"politiquement" les répercussions de ces "révolutions bourgeoises tardives" sont négatives et réac­tionnaires. La vérité, c'est qu'il existe une interconnexion réelle entre le déclin économi­que du système capitaliste mondial et son dé­clin politique. Le "progrès économique" de bien des nations arriérées "libérées" comme la Chine, la Corée du Nord ou le Vietnam peut bien impressionner des scribes tels que Myrdal ou Cajo Brendel, mais les révolutionnaires doivent compren­dre le contenu réel de ce "progrès". Nous avons déjà mentionné la production de gaspillage chro­nique de ces économies et le fait que ce sont des Etats policiers. La nécessité pour la bour­geoisie à notre époque et dans ces régimes en particulier, de réprimer brutalement le prolé­tariat exprime la profonde faiblesse de tels régimes, à la fois au niveau économique et po­litique. De tels régimes doivent se lancer dans la concurrence de façon militaire s'ils veulent survivre sur le marché mondial.

A l'exception de la Russie (qui est elle-même une puissance impérialiste dominante même si elle est plus faible que les Etats-Unis), de tels régimes ne peuvent qu'avoir une existence fragile et précaire, passant d'un bloc impéria­liste à l'autre. Il est complètement impossible pour ces régimes de conquérir une quelconque indépendance nationale. Chaque fois que ces ai­res ont servi comme arènes de la lutte inter­ impérialiste (comme l’héroïque" Vietnam), elles n'ont fait que renforcer la puissance impéria­liste de l'un ou 1'autre des deux grands blocs impérialistes. Les luttes de libération natio­nale (sic) n'"affaiblissent" jamais l'impéria­lisme comme les gauchistes (et Solidarity dans sa brochure sur le Vietnam) le prétendent. La bourgeoisie américaine est tout autant assurée de sa puissance impérialiste qu'elle ne l'était avant la guerre du Vietnam. C'est tout autant absurde de parler de "révolutions bourgeoises" dans le tiers-monde qui développeraient des forces productives dans ces pays. Aucun de ces capitaux nationaux "libérés" n'a atteint un niveau de productivité du travail qui soit com­parable à celui des pays développés. Au lieu de faire des comparaisons arbitraires au ni­veau local comme le font les apologistes de ces régimes, une comparaison véritable doit être faite entre la productivité économique des pays avancés par rapport à celle qu'accomplis­sent aujourd'hui les régimes de "libération na­tionale". Plutôt que de comparer la Chine de Mao à celle du Kuomintang, une vraie comparai­son serait de la mesurer aux niveaux économi­ques des secteurs avancés du capitalisme. La crise des rapports de production capitalistes que subissent les économies occidentales avan­cées (avec leurs 22 millions de chômeurs, leurs usines inutilisées et l'inflation galopante) est la même contradiction qui étrangle aujour­d'hui l'économie chinoise. C'est d'ailleurs cette caractéristique même qui fait que la pro­ductivité du travail reste extrêmement basse en Chine en comparaison avec les pays dévelop­pés, tout comme la Russie stalinienne n'a pas réussi en cinquante ans à atteindre le niveau de productivité du travail des pays capitalis­tes avancés de l'Ouest. De ce point de vue con­cret, on peut voir que le décalage entre le les secteurs plus développés et les secteurs arriérés du capital mondial s’accroît favorablement chaque année, en progression géométrique. Et les pays avancés confrontés à la décadence de l'ensemble du système s'orientent vers une au­tre guerre impérialiste généralisée et entraî­nent toutes les nations "libérées" derrière eux dans la barbarie.

La question des aires arriérées du capitalisme ne peut être posée qu'à l'échelle globale. Soli­darity, comme les mencheviks et des tendances similaires dans la Social Démocratie avant eux, base toute sa perspective sur l'exemple isolé d'une économie nationale. Selon l'analyse que fit Rosa Luxembourg au début de notre époque, l'avenir des aires arriérées du capitalisme mon­dial est indissolublement lié à la décadence de l'ensemble du système. Aujourd'hui, après deux guerres mondiales, après l'établissement d'une économie de guerre permanente, après plus de 50 années de déclin économique et social  prolongé dans le sillage d'une révolution internationale défaite, il est impossible de prendre au sérieux les fantaisies de Paul Cardan et de son "capita­lisme moderne", et la proclamation du développe­ment éternel du capitalisme. Pour le prolétariat, la question de savoir si le système se développe ou décline a été tranchée pour toujours par le cycle barbare de crise, guerre et reconstruction de ce siècle. Et alors que le prolétariat inter­national ressurgit sur l'arène politique après avoir subi la pire période contre-révolutionnai­re de son histoire, seuls les aveugles continuent à parler de "révolutions bourgeoises tardives" au moment où se font entendre les premiers bruits de la seconde vague révolutionnaire de ce siècle.

LA REVOLUTION RUSSE

L'autre confusion principale dans l'appendice publié par Solidarity réside dans les remarques que fait le groupe sur la révolution russe. Ces remarques révèlent les profondes confusions de Solidarity sur cet épisode vital du mouvement ouvrier. Nous pouvons lire :

"...la "révolution permanente" en Russie à la fois débuta et finit comme une révolution bour­geoise (malgré le fait que le prolétariat ait assumé le "rôle dirigeant" dans le déroulement du processus)".

Il est ahurissant que cette vieille thèse menchevik soit présentée par Solidarity comme une grande découverte. Malheureusement pour Solida­rity, cette grande "innovation" n'avait déjà aucune base dans la réalité à l'époque où les men­cheviks l'ont défendue. Elle n'en a pas plus aujourd'hui.

Beaucoup de tendances anarchistes, de même que les Sociaux-Démocrates, ont rejeté la révolution russe. Ce n'est pas surprenant puisqu'elles re­jettent le marxisme. En ce qui concerne Solida­rity, bien qu'il ne se soit jamais prétendu mar­xiste, il a néanmoins ressenti le besoin de re­jeter l'expérience de la révolution prolétarien­ne d'octobre 17 pour se joindre au choeur des libertaires. Le refrain de ce choeur, c'est l'af­firmation que le stalinisme égale le léninisme égale le marxisme. Avec cette formule, les libertaires commencent avec la contre-révolution et l'identifient à la pensée et à l'action de la classe ouvrière. En commençant par le rejet de la contre-révolution et ce qu'il en comprend, Solidarity finit par rejeter à la fois l'expérience pratique de l’outil théorique de la lutte de classe,. Il rejette non seulement les expériences ouvrières de la révolution russe mais encore la totalité de la période de luttes ré­volutionnaires qui va de 1917 à 1923  : le dé­veloppement du mouvement ouvrier en Europe, les surgissements ouvriers, le regroupement des ré­volutionnaires dans la Troisième Internationale et la clarification qui s'est faite dans ses premiers Congrès, et enfin la compréhension qui se fit à travers les luttes et que l'aile gauche de TIC défendit contre la dégénérescence de celle-ci alors que la révolution mondiale com­mençait à refluer. Est-ce que tout cela n'était que de l'aventurisme, simplement la conséquence de la "révolution bourgeoise" russe comme les mencheviks le proclamaient ? Est-ce que c'était une"révolution bourgeoise"russe qui était à l'or­dre du jour durant cette époque de déclin impé­rialiste, cette époque de guerres et de révolu­tions, durant cette époque de lutte à mort entre le capitalisme mondial et le prolétariat inter­national ? Les révolutionnaires qui s'étaient regroupés autour du slogan  "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile", étaient-ils des utopistes dans l'erreur ou même des ma­chiavéliques rusés qui voulaient prendre le pou­voir pour eux-mêmes aux dépens de l'effort de guerre impérialiste ? Toute l'expérience russe de la dictature du prolétariat - ce qu'elle fut historiquement, c'est-à-dire une tentative -, les conseils ouvriers, l'activité autonome de la classe ouvrière, tout cela était-ce simplement une illusion, quelque chose que le   prolétariat d'aujourd'hui ferait mieux d'oublier ?

Est-ce que l'échec final de la révolution russe était identique à l'évolution de la conscience du prolétariat en 1917, quand il  devint conscient de la nécessité de détruire l'Etat bourgeois de Kerensky - un événement qui a fait de la dicta­ture du prolétariat une réalité vivante de cet­te époque révolutionnaire ? Que la classe ouvri­ère n'ait pas été capable d'étendre son pouvoir à l'échelle internationale, est évident. Il est tout aussi évident quand on lit les documents des premières années de l'IC et les écrits des révolutionnaires russes de cette époque, que le camp prolétarien comprenait qu'un isolement con­tinu de la révolution russe se terminerait en une défaite du bastion prolétarien. Sur le plan subjectif, les confusions du prolétariat que ses minorités politiques, y compris les bolcheviks, reflétaient, ont finalement condamné la révolution russe et l'ensemble du mouvement révolutionnaire à l'échec. Mais ce serait d'une pensée stérile et d'un curieux fatalisme de dire que février et octobre 17 ont été condamnés à l'échec (en Russie et internationalement) depuis le début. Et c'est ce que dit Solidarity dans son appendice sur la révolution russe. On peut déjà voir la mort dans un bébé nouveau-né, et peut-être que sur ce plan Kierkegaard est plus profond que Marx. Mais les processus historiques dépendent de l'intervention active et consciente des for­ces de classe qui ne peuvent être analysées com­me un jeu de mystères médiéval. Ce qui a manqué au prolétariat en 17, c'était une expérience et une clarté suffisantes sur les besoins qui sur­gissaient devant lui avec l'avènement d'une nou­velle époque. Il a été catapulté dans une nouvel­le phase historique au moment où il sortait jus­te du carnage de la première guerre impérialiste mondiale.  Il a tenté de détruire le capitalisme mais il a échoué. Mais aucun révolutionnaire de l'époque n'aurait affirmé que tout était perdu d'avance! Ceux qui proclamaient alors que seu­le une "révolution bourgeoise" était à l'ordre du jour, c'étaient Plekhanov en Russie, Ebert et Noske en Allemagne qui, soit cherchaient à excuser l'exécution du prolétariat révolution­naire, soit en devinrent eux-mêmes les bour­reaux.

Solidarity va rapidement atteindre la fin de sa longue et négative évolution, et disparaître comme beaucoup d'autres groupes. Les positions incohérentes de Solidarity sont le résultat de son incapacité à rompre pleinement avec son passé gauchiste. Tout comme le groupe français Socialisme ou Barbarie qui défendait des idées similaires et s'est dissout en 1967, Solidarity vient d'une scission du trotskysme après la guerre. Se prenant pour des "innovateurs", ces tendances n'ont jamais tenté d'établir une con­tinuité avec les traditions et les leçons défen­dues par les fractions communistes de gauche (les Gauches Italienne, Allemande et Hollandaise). Elles n'ont donc jamais rompu complètement avec la contre-révolution. Elles n'ont pas vu, par exemple, que leurs "innovations" étaient des conceptions usées ou des incompréhensions qui furent réfutées il y a longtemps par le mouve­ment révolutionnaire. Toute leur vision se ba­sait sur une critique individualiste et frag­mentaire de la contre-révolution. Ainsi, Socia­lisme ou Barbarie pouvait encore défendre 1'idë d'un parti  léniniste et défendre les luttes de libération nationale et le "travail syndical de boîte". Graduellement, les conceptions anarchis­tes de Stirner, de Proudhon ont commencé à péné­trer ses activités. Solidarity et d'autres grou­pes similaires ont commence a défendre ce qu'ils appellent "l'autogestion", et de plus en plus on ne savait pas si la classe ouvrière était la classe communiste de notre époque. Ces confusions étaient rationnaiisées par la forte influence de la sociologie bourgeoise et bien vite nos "innovateurs" de S ou B et de Solidarity se sont mis à défendre les idées des renégats comme Burn-ham, Rizzi et autres académiciens bourgeois comme Marcuse et Bell  qui  proclamaient la mort du prolétariat et que la "bureaucratie" était une nouvelle classe sociale qui mettait en ques­tion le marxisme.

Bien que la rupture initiale de Solidarity avec le trotskysme révélait un véritable effort de clarification, elle a aussi montré la quasi-impossibilité d'un développement sain de la part d'une tendance qui  vient de l'appareil po­litique capitaliste. Aujourd'hui, alors que le prolétariat surgit à nouveau à l'échelle mondiale, les idées de Solidarity apparaîtront de plus en plus cyniques et anachroniques. A côté de ce resurgissement et avec lui, le mouvement révolutionnaire actuel contribuera aussi à la mort des idées de Solidarity. En fait, le mou­vement actuel doit critiquer sans merci toutes les confusions qui restent de la contre-révolu­tion. Et il est forcé de la faire par les né­cessités mêmes de la révolution communiste qui requiert la plus grande clarté et cohérence comme condition première à la pratique révolu­tionnaire. L'incapacité de dire ce qui est et ce qui n'est pas, l'incapacité de tirer les le­çons du passé, la mollesse et l'impuissance po­litiques, toutes ces caractéristiques sont cel­les d'une tendance politique mourante. Solidarity est perclus de tous ces défauts majeurs. Si le mouvement révolutionnaire actuel peut bénéfi­cier d'une dernière contribution de la part de Solidarity, ce serait la disparition rapide de sa stérile existence.

J.McIver août 77

L'auteur de cette critique a participé à la ré­daction du texte de Solidarity "Tiers-mondisme ou socialisme", il y a plusieurs années. Aujour­d'hui, dans le Courant Communiste International ce camarade peut apprécier l'attraction que les idées de Solidarity ont dans le mouvement révo­lutionnaire actuel L'espoir est donc non seule­ment que s'ouvre et se poursuive une discussion sur ces sujets, mais que les nouveaux révolution­naires acquièrent la clarté nécessaire pour con­fronter ces conceptions usées qui ne peuvent être que des obstacles à l'activité révolution­naire. Sans cette clarté nécessaire, le but qu'ils défendent ne deviendra jamais "dur com­me l'acier, clair comme le cristal" (Gorter).



[1] [22] cf. l'article "Solidarity/Social Révolution : a marri âge of confusion" dans World Révolution 19.

[2] [23] Lire la brochure du CCI "NATION OU CLASSE", pour une analyse marxiste des "luttes de libération nationale".

Courants politiques: 

  • Influencé par la Gauche Communiste [24]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question nationale [25]

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