Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
Une fois de plus, les missiles israéliens ont frappé Gaza. En 2008, l’opération « plomb durci » avait tué presque 1500 personnes, souvent des civils, malgré les déclarations prétendant que seuls les terroristes faisaient l’objet de « frappes chirurgicales ». La bande de Gaza est une des régions les plus pauvres et les plus densément peuplées du monde. Il est ainsi absolument impossible de distinguer les « terroristes » des zones résidentielles qui les entourent. Malgré les armes sophistiquées dont Israël dispose, la majorité des dommages de la campagne militaire actuelle touche aussi les femmes, les enfants et les vieillards.
Gaza est une fois de plus punie, comme ce fut le cas non seulement lors du massacre précédent, mais également à travers le blocus qui a paralysé son économie, affamé les populations et brisé les efforts de reconstruction après les ravages de 2008.
Par rapport à la puissance de frappe de l’Etat israélien, les capacités militaires du Hamas et des autres groupes djihadistes radicaux de Gaza sont dérisoires. Cependant, à cause du chaos en Libye, le Hamas a mis la main sur des missiles de longue portée plus efficace. En plus d’Ashdod au Sud (où trois habitants d’un immeuble résidentiel ont été tués par une roquette tirée depuis la bande de Gaza), Tel-Aviv et Jérusalem sont à présent à leur portée. La menace de paralysie qui saisit Gaza commence aussi à se faire sentir dans les principales villes israéliennes.
En clair, les populations des deux côtés de la frontière sont les otages des logiques militaristes adverses qui dominent Israël et la Palestine – avec une aide discrète de l’armée égyptienne qui patrouille aux frontières de Gaza pour empêcher les incursions ou les évasions indésirables. Les deux populations sont victimes d’une guerre permanente – sous la forme de roquettes et de bombes, mais aussi en portant le poids grandissant d’une économie plombée par les besoins de la guerre. De plus, la crise économique mondiale contraint aujourd’hui la classe dominante en Israël comme en Palestine à adopter de nouvelles mesures de restrictions du niveau de vie, à augmenter les prix des produits de première nécessité.
En Israël, l’an dernier, l’augmentation du prix des logements fut à l’origine du mouvement de protestation qui a pris la forme de manifestations massives et d’assemblées – mouvement directement inspiré des révoltes du monde arabe et qui avait pour mots d’ordre « Netanyahou, Assad, Moubarak sont tous les mêmes » et « Arabes et Juifs veulent des logements accessibles et décents ». Pendant ce bref mais stimulant mouvement de lutte, tout dans la société israélienne était ouvert à la critique et au débat – y compris le « problème palestinien », l’avenir des colonies et des territoires occupés.
Une des plus grandes peurs des protestataires était que le gouvernement ne réponde à ce défi en appelant à « l’unité nationale » et en se lançant dans une nouvelle aventure militaire.
De même, l'été dernier, dans les territoires occupés de la Bande de Gaza et de Cisjordanie, l’augmentation du prix du carburant et de la nourriture a provoqué une série de manifestations de colère, des barrages routiers et des grèves. Les ouvriers du transport, de la santé et de l’éducation, les étudiants et les écoliers, ainsi que des chômeurs, se sont retrouvés dans la rue face à la police de l’Autorité palestinienne pour exiger des hausses de salaires, du travail, la baisse des prix et la fin de la corruption. Des manifestations contre le coût de la vie ont même été organisées dans le royaume voisin de Jordanie.
Malgré les différences de niveau de vie entre les populations israélienne et palestinienne, en dépit du fait que cette dernière subit en plus l’oppression et l’humiliation militaire, les racines de ces deux révoltes sociales sont exactement les mêmes : l’impossibilité grandissante de vivre dans un système capitaliste en crise.
Les motifs de la dernière escalade militaire ont fait l’objet de nombreuses spéculations. Netanyahou essaye-t-il d’attiser la haine nationaliste pour améliorer ses chances de réélection ? Le Hamas a-t-il provoqué ces attaques à la roquette pour prouver sa détermination face aux bandes islamistes plus radicales ? Quel rôle sera appelé à jouer dans le conflit le nouveau régime en Égypte ? Comment ces événements vont-ils affecter la guerre civile en Syrie ?
Toutes ces questions sont pertinentes mais ne permettent pas de répondre au problème de fond qui les relie. La réalité, c'est qu'il s'agit d'une escalade guerrière impérialiste, aux antipodes des intérêts et des besoins des populations israéliennes, palestiniennes et plus largement du Moyen-Orient.
Lorsque les révoltes sociales permettent aux exploités de se battre pour leurs intérêts matériels contre les capitalistes et l’État qui les exploitent, la guerre impérialiste crée une fausse unité entre les exploités et leurs exploiteurs, accentuant leur division. Lorsque les avions d’Israël bombardent Gaza, cela offre des nouvelles recrues au Hamas et aux djihadistes dont tout Juif qui se respecte est censé être l’ennemi. Lorsque les roquettes des djihadistes s’abattent sur Ashdod ou Tel-Aviv, encore plus d’Israéliens se tournent vers la protection et les appels à la vengeance de « leur » État contre les « Arabes ». Les problèmes sociaux pressants qui animent les révoltes sont engloutis sous une avalanche de haine et d’hystérie nationalistes.
Petites ou grandes, toutes les nations sont impérialistes ; petites ou grandes, toutes les fractions bourgeoises n’ont jamais aucun scrupule à utiliser la population comme chair à canon au nom des intérêts de la « patrie ». D’ailleurs, devant l’actuelle escalade de la violence à Gaza, quand les gouvernements « responsables » et démocratiques comme ceux des États-Unis et de la Grande-Bretagne appellent à « l’apaisement », au retour vers « le processus de paix », l’hypocrisie atteint des sommets. Car ce sont ces mêmes gouvernements qui font la guerre en Afghanistan, au Pakistan, en Irak. Les États-Unis sont également le principal soutien financier et militaire d’Israël. Les grandes puissances impérialistes n’ont aucune solution « pacifique » pas plus que les États comme l’Iran qui arme ouvertement le Hamas et le Hezbollah. Le réel espoir d’une paix mondiale ne se trouve pas chez « nos » dirigeants, mais dans la résistance des exploités, dans leur compréhension grandissante qu’ils ont les mêmes intérêts dans tous les pays, le même besoin de lutter et de s’unir contre un système qui ne peut rien offrir d’autre que la crise, la guerre et la destruction.
Amos (20 novembre)
Après son élection, François Hollande déclarait : “Une alternance change le pouvoir mais elle ne change pas la réalité”. Ces propos illustrent pleinement combien, depuis plusieurs décennies déjà, les illusions autour des partis de gauche, socialistes en tête, se sont définitivement évanouies, au point que les principaux intéressés ne cherchent désormais même plus à se fendre, la mine compassée et la main tremblante, des traditionnelles postures de défenseurs des opprimés.
Aujourd’hui, la gauche est “responsable” et “moderne” – entendez : prête à toutes les attaques, à toutes les manœuvres pour la défense de son système.
Néanmoins, les règnes de François Mitterrand et de Lionel Jospin n’ont pas complètement écorné l’idée selon laquelle la gauche serait moins brutale et plus protectrice que la droite. L’élection sans enthousiasme de François Hollande est à ce titre significative : aucune illusion sur des lendemains plus heureux ne s’est manifestée autre que le faible espoir de “normaliser” l’exercice du pouvoir et de donner aux inévitables plans de rigueur une coloration plus “juste”.
Pourtant, après sept mois de “hollandisme”, rien ne laisse à penser que la gauche est “moins pire” que la droite : mêmes esbroufes autour des usines en faillite érigées en point de fixation médiatique et destinées à camoufler le défilé sans fin des licenciements ; mêmes ignominies envers les prolétaires immigrés que l’Etat pourchasse avec acharnement ; mêmes plans de rigueur à travers lesquels la classe ouvrière est sacrifiée sur l’autel des “objectifs budgétaires” que le gouvernement n’atteindra vraisemblablement pas... Tout est comme avant, en pire…
Depuis juillet, le gouvernement multiplie, en effet, les mesures d’austérité en augmentant les impôts et en diminuant les dépenses de l’Etat dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’aide sociale, etc. Ainsi, le budget de 2013 en cours d’élaboration prévoit une économie historique de trente-sept milliards d’euros. Cet “effort historique”, “le plus important depuis 1945”, selon les mots du gouvernement, a même poussé l’OCDE à recommander au gouvernement français de ne pas adopter de nouvelles mesures de rigueur afin de ne pas tomber dans une récession irréversible.
Malgré les déclarations du gouvernement décrivant ces attaques comme un “effort juste”, prétendant même que “les nouvelles hausses d’impôts épargneront neuf français sur dix”, la plupart des mesures concernent évidemment les travailleurs. L’exemple le plus stupéfiant est le rétablissement de la “TVA sociale” 1 en 2014, dispositif imaginé par le gouvernement précédent que le candidat Hollande avait tant décrié, ensuite supprimé une fois élu... puis rétabli six mois plus tard !
C’est au nom de la “compétitivité nationale” que droite et gauche font payer la crise à la classe ouvrière. Selon la bourgeoisie, la cause de tous les maux de “la nation” est le coût trop élevé du travail par rapport à celui des pays “vertueux” comme l’Allemagne ou la Chine. Afin de faciliter la vente des marchandises nationales face à la concurrence étrangère, les travailleurs devraient patriotiquement accepter la misère croissante.
En fait, les motifs idéologiques pour justifier les plans de rigueur au nom de la compétitivité sont de grossiers mensonges. Les pays dans lesquels les ouvriers ont “courageusement accepté les sacrifices”, tels l’Irlande, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, ont tous été emportés par le raz-de-marée de la crise économique. La vérité, la voici : la bourgeoisie n’a plus aucune solution à la crise du capitalisme. Pourquoi ? Parce que les électeurs font toujours le “mauvais choix” ? Parce que les politiciens sont méchants ? Parce que des “lobbies” tiennent en secret les “rênes du pouvoir” ? Rien de tout cela ! Le capitalisme est arrivé au bout de ses propres contradictions économiques et sociales. L’Etat n’a aucune solution parce qu’il n’y a plus de solution à la surproduction généralisée de marchandises face à laquelle la restriction des coûts salariaux est foncièrement impuissante, tout comme les “coups de pouce” et la “relance” préconisés par l’extrême-gauche.
Partout dans le monde, la classe ouvrière paye chèrement l’effondrement du capitalisme. De droite ou de gauche, libéraux, keynésiens, “pragmatiques” ou “socialistes”, les gouvernements du monde entier n’ont rien d’autre à offrir que la misère et le chômage.
En Espagne, par exemple, l’année 2013 ne s’annonce pas moins brutale que les précédentes : à lui seul, l’Etat central prévoit d’économiser quatorze milliards d’euros en coupes budgétaires et en hausses d’impôts ; les communautés et les provinces, qui assurent la gestion de budgets colossaux devraient naturellement ajouter leur pierre à l’édifice. En Italie, au Royaume-Uni, au Portugal, en Grèce, on observe partout les mêmes attaques, partout les mêmes sacrifices. Et le plus souvent, aux cures drastiques d’austérité s’ajoute l’inflation qui ronge le “pouvoir d’achat” des travailleurs et les pousse vers la misère, comme aux Pays-Bas où, en plus de la “discipline budgétaire”, le taux d’inflation n’a pas cessé d’augmenter depuis 2009 pour atteindre 3.2 % au mois d’octobre 2012.
Les prévisions mondiales de croissance s’annonçant déjà catastrophiques, nul doute que la bourgeoisie poursuivra ses attaques avec frénésie. Le prolétariat a néanmoins en lui les ressources pour résister par ses mobilisations où se forgent son unité et la conscience qu’il est la seule force sociale en mesure d’abattre le capitalisme.
El Generico (5 décembre)
1) Le taux normal de TVA est actuellement de 19,6 % et la France compte deux taux réduits de 7 % et 5,5 %. A partir de 2014, ces taux seront respectivement portés à 20, 10 et 5 %, soit une augmentation de presque sept milliards d’euros.
Nous publions, ci-dessous, la “Résolution sur la situation en France” que le XXe Congrès de Révolution internationale, section du CCI en France, a récemment adoptée.
Se trouve déjà confirmée, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, la poursuite de l’austérité. Contrairement aux mensonges de la campagne électorale, il n’existe aucune “sortie du tunnel” et la “croissance” promise n’est que celle du chômage et de la pauvreté ! Dans ce contexte de faillite généralisée, une cynique guerre des chefs déchire le principal parti de droite. Ce symbole d’une société qui pourrit sur pied illustre à quel point le seul avenir réside définitivement dans les futurs combats de la classe ouvrière.
Comme l’ensemble des grands pays européens, la France, subit l’impact de la très violente aggravation de la crise que connaît le capitalisme mondial depuis 2008. Cette aggravation est en train de franchir une nouvelle étape depuis la fin 2011 qui provoque une chute de la production dans la plupart des pays européens, notamment en France puisque depuis le quatrième trimestre 2011, les chiffres officiels annoncent que la croissance économique de ce pays est nulle.
Le fait que le taux de croissance en France ait moins baissé que dans les autres pays entre la fin 2009 et la fin 2011 devait déboucher sur une aggravation ultérieure plus importante : les amortisseurs sociaux et la faiblesse des plans d’austérité menés de 2008 à 2012 par l’équipe Sarkozy ont certes permis un plus faible impact immédiat de la crise sur la population, et notamment sur la classe ouvrière, mais ils ont été un facteur de détérioration accrue de la situation pour le capital français. Ainsi, la dette publique sera de 91 % fin 2012 alors qu’elle n’était que de 77,6 % en 2009 et cette évolution a, dès à présent, abouti à la suppression par l’agence Standard and Poor’s de la note AAA de la dette publique française signifiant que la signature de l’Etat français n’était plus tout à fait crédible.
Mais, surtout, cette dégradation de la situation du capital français par rapport à ses concurrents se traduit par un déficit commercial et une diminution des parts du marché mondial de la France qui sont passés de 5 % en l’an 2000 à 3,5 % en 2011 ce qui fait dire à l’économiste P. Artus que “La France détient le record du monde des pertes de parts de marché” 1.
L’affaiblissement de la compétitivité du capital français est amplifié par l’aggravation de la crise économique, mais elle a des causes plus anciennes. Elles proviennent de certaines caractéristiques propres à la bourgeoisie française : elle craint, depuis l’immense mouvement de mai 68, l’éventualité de luttes massives de la classe ouvrière si elle mène de trop fortes attaques de ses conditions de vie. C’est pour cela que la “politique de rigueur” prévue par la présidence Sarkozy n’étaient que de 29 milliards d’euros en 2012, c’est-à-dire un niveau bien inférieur à ce qu’ont réalisé des pays comme le Royaume-Uni et l’Italie, ou l’Allemagne il y a 10 ans.
Le poids de la petite bourgeoisie est encore important sur les partis de la droite française dont certaines fractions (ce fut le cas en particulier de J. Chirac) ne comprennent pas l’importance de la recherche-développement pour le capital des pays développés. C’est la raison pour laquelle cette dernière a baissé en pourcentage du PIB à partir de 2003.
Même si la bourgeoisie française a rattrapé partiellement ces handicaps en renforçant l’intensité du travail ce qui permet une productivité horaire très forte (dont un des résultats est un taux de suicide au travail en France parmi les plus élevés au monde), ce rattrapage n’est que partiel. Les entreprises, pour rester compétitives sont obligées de rogner sur leur taux de profit ce qui handicape leur possibilité d’investissement et accroît d’autant plus les pertes de compétitivité.
Dans ces conditions, dans le cadre d’une crise économique qui ne cesse de s’approfondir, le capital français n’a pas d’autre solution que de tenter de mener des attaques économiques de bien plus grande ampleur contre la classe ouvrière. C’est ce qu’est en train de faire le gouvernement Ayrault avec le dernier plan d’austérité de 37 milliards d’euros, soit plus de 1,7 % du PIB. Ce plan va représenter l’attaque la plus violente contre la classe ouvrière depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et comme nous le montre la situation de l’Espagne ou de la Grèce, de tels plans d’austérité ne peuvent que diminuer la demande et aggraver la situation du capital national, ce qui oblige à de nouveaux plans d’austérité. Contrairement à ce que les hommes politiques nous ont répété depuis quarante ans, le “bout du tunnel” n’est pas en vue ; le capitalisme est dans une impasse et la crise précipite la classe ouvrière de tous les pays vers une dégradation sans fin de ses conditions de vie, dégradation qui s’est accélérée de façon considérable ces dernières années.
En France, un des impacts les plus significatifs de l’aggravation de la crise depuis 2008 est une augmentation massive du chômage. Entre janvier 2008 et septembre 2012, le nombre de chômeurs à temps complet a augmenté d’un million pour dépasser aujourd’hui 3 millions. Et si l’on compte les chômeurs à temps partiel ce sont plus de 5 millions de personnes qui sont touchées.
Cette explosion du chômage n’est qu’une des raisons expliquant l’appauvrissement rapide d’une grande partie de la classe ouvrière ; le développement de la précarité, la baisse des salaires et l’exclusion de tous les régimes sociaux en sont les autres causes. Aujourd’hui, 9 millions de personnes (parmi lesquelles un tiers de familles monoparentales) vivent sous le seuil de pauvreté et 3,7 millions vivent avec moins de 600 euros par mois 2, et ce alors que le prix du logement engouffre une grande partie de leur revenu.
En fait, les mesures fiscales et de réduction des dépenses de santé du plan Ayrault rendent encore plus évident un phénomène partout à l’œuvre ces dernières années : ce sont les conditions de vie de l’ensemble de la classe ouvrière qui sont tirées vers le bas par l’aggravation de la crise et cela met toujours plus clairement en évidence que la situation de la classe ouvrière en Espagne et en Grèce montre l’avenir de la classe ouvrière en France.
Comme pour beaucoup d’autres pays, les conséquences de l’approfondissement de la crise sur la vie de la très grande majorité de la population ont provoqué en France une alternance politique. A cette tendance générale s’est ajouté le fait qu’une grande partie de la bourgeoisie ne souhaitait pas que N. Sarkozy garde le pouvoir, et ce pour plusieurs raisons :
– les initiatives brouillonnes et contradictoires qu’il a prises pendant son quinquennat ont globalement provoqué une dégradation de la position du capital français tant sur le terrain économique qu’au plan impérialiste ;
– du fait de l’agressivité et du rejet des couches ouvrières les plus déshéritées (chômeurs, immigrés), dont N. Sarkozy a fait un des thèmes majeurs de sa propagande, sa réélection aurait été ressentie par une partie importante de la classe ouvrière comme une provocation inutile ou même dangereuse.
Mais, en même temps, cette agressivité a permis à la bourgeoisie de faire de l’anti-sarkozysme un thème important en vue de mobiliser pour une campagne électorale dans laquelle le candidat socialiste – sachant la gravité de la situation du capital français – a tenté de ne promettre que le moins possible.
Le thème majeur de la campagne du candidat F. Hollande a été qu’il mènerait une politique de croissance, c’est-à-dire de relance, prenant le contre-pied de la politique de son prédécesseur. A l’encontre de cette promesse, c’est un plan d’austérité qui a été décidé et qui, de plus, n’est qu’une amplification de celui mené par le gouvernement Fillon-Sarkozy. Quant à la promesse d’une renégociation du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en zone Euro (TSCG), elle s’est envolée dès le candidat élu. Seul a été sauvegardée, lors du sommet de l’Euro du 19 juin, l’idée d’une “relance européenne” (permettant que ne soient pas reniées en quelques semaines toutes les promesses du candidat) mais les 100 milliards de dépenses supplémentaires décidées devront être, il va de soi, financées ce qui ne peut qu’ajouter à la montagne de dettes qui menace en permanence la finance et l’économie mondiales. D’autre part, si, à l’occasion de ce sommet, Hollande paraît s’être plus rapproché des pays de la zone euro en difficulté (Italie et Espagne) que ne l’avait fait Sarkozy, c’est d’abord parce que l’Allemagne ne peut plus maintenir, comme elle le faisait, la défense d’une politique d’austérité rigide car il est chaque jour plus évident qu’une telle politique ne peut que provoquer l’éclatement de la zone Euro.
Si la nouvelle équipe au pouvoir ne retombe pas dans la politique faite d’improvisations et de coups de menton qui était celle de Sarkozy, le contenu de la politique impérialiste des deux équipes est fondamentalement la même.
Tout d’abord, l’arrivée de Sarkozy au pouvoir a impliqué un rapprochement avec les Etats-Unis, et donc une rupture avec la politique d’opposition à cette puissance que la France pratiquait depuis l’effondrement de l’URSS. Le fait le plus marquant de cette politique est le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. La déstabilisation du monde arabe a accru le besoin de ce rapprochement car les deux pays y ont des positions à défendre alors que cette déstabilisation peut être utilisée par l’Iran, la Chine et la Russie pour avancer leurs propres positions. Malgré toutes les proclamations de F. Hollande sur le retrait des troupes françaises d’Afghanistan qui n’est intervenu que quelques mois avant la date prévue par N. Sarkozy, la nouvelle équipe au pouvoir pratique par rapport aux Etats-Unis la même politique ; elle est d’ailleurs célébrée, non sans prétention, par F. Hollande : “Quand les Etats-Unis et la France sont d’accord, le monde avance”. Ainsi, la nouvelle place de la France dans l’OTAN n’a pas été remise en cause et les deux pays sont conjointement en train d’organiser une force d’intervention au Mali et ont la même position par rapport à la Syrie.
En Europe, l’affaiblissement économique de la France par rapport à l’Allemagne la pousse à défendre toujours plus l’existence de l’Union européenne et de la zone Euro car les institutions européennes sont un tremplin important pour que l’impérialisme français puisse avoir un certain poids dans l’arène mondiale. C’est pour cela que la défense des institutions européennes, malgré les désaccords qui existent entre la France et l’Allemagne sur la gestion économique de la zone euro, ont été et sont un élément important de la politique impérialiste tant de la présidence de N. Sarkozy que de celle de F. Hollande.
Sur le continent africain, F. Hollande, comme N. Sarkozy l’avait fait avant lui, fait tout pour maintenir une influence importante de l’impérialisme français dans les zones qui étaient ses chasses gardées et qui sont aujourd’hui les cibles d’autres grandes puissances comme les Etats-Unis et la Chine. La puissance américaine a déjà pris le dessus dans la région des Grands Lacs alors qu’elle s’implante de plus en plus au Sahel (bases militaires américaines en Mauritanie et au Burkina Faso) et au Maghreb (“facilités militaires” en Algérie) et qu’elle porte une responsabilité dans le présent chaos malien pour être proche tant du responsable du récent coup d’Etat, le capitaine Sanago, que du président destitué Amadou Toumani Touré. En même temps, la Chine a supplanté la France et les Etats-Unis en termes d’échanges commerciaux avec le continent africain et on voit s’accroître son influence diplomatique dans plusieurs pays francophones (Côte d’Ivoire, Gabon, Niger, RDC, etc.). C’est ce qui permet de comprendre que le rapprochement franco-américain s’applique aussi à l’Afrique malgré les croupières que la puissance américaine a taillées dans les intérêts français et c’est dans cette logique que l’on a vu la France et les Etats-Unis coopérer dans les guerres civiles en Côte d’Ivoire et en Lybie. Même si elle n’a plus les moyens de ses ambitions, la bourgeoisie française n’est pas disposée à renoncer de son plein gré à ses positions en Afrique. La politique de la France au Mali, les relations entretenues avec le président F. Ouattara de Côte d’Ivoire, la réunion à Malte du sommet 5+5 qui a créé une force de police commune pour lutter contre l’immigration clandestine dans les pays européens, l’organisation à Kinshasa du sommet de la francophonie montrent l’importance que l’impérialisme français continue d’accorder à sa présence en Afrique et le mensonge que représente la proclamation par le candidat socialiste de la fin de la Françafrique.
Comme toujours depuis 1914, le Parti socialiste reste un défenseur déterminé des intérêts impérialistes de la bourgeoisie française.
Cette défense déterminée des intérêts bourgeois, on la retrouve évidemment dans la politique menée par le gouvernement socialiste pour faire passer les attaques toujours plus violentes contre le niveau de vie de la classe ouvrière imposées par l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme. Plusieurs méthodes sont utilisées à cet effet.
La première méthode est le mensonge pur et simple. Ainsi, on donne l’illusion à chaque travailleur que si, individuellement, son revenu diminue, ce n’est pas vrai pour les autres exploités et qu’il est donc vain d’en attendre une mobilisation. De même, à l’encontre de la propagande sur le soutien de la croissance économique par le gouvernement, ce dernier est en train de retarder ou d’annuler une série de grands travaux prévus dans le ferroviaire et le fluvial. De même aussi, derrière la propagande gouvernementale affirmant que l’augmentation des impôts ne frappera que les riches, il y a la réalité d’une augmentation qui frappera même des revenus inférieurs de 16 % à celui du salarié qui gagne le SMIC à plein temps. Dans le même sens, l’agitation très médiatisée du ministre du Redressement Productif A. Montebourg est faite pour donner l’illusion que le gouvernement agit pour sauver usines et emplois alors que les fermetures d’usines se succèdent et que le chômage augmente à une vitesse record.
Ce règne général du mensonge éhonté a pour but de donner un peu plus d’efficacité à l’utilisation que la bourgeoisie française a faite de la victoire du candidat de “gauche” : gagner du temps par rapport aux probables expressions de combativité du prolétariat en France.
Le PS au pouvoir utilise une arme plus redoutable encore que le mensonge ouvert ; il s’agit, de façon pernicieuse, de renforcer les handicaps que rencontre la classe ouvrière dans le développement de sa conscience. Dans la mesure où les grandes masses ouvrières ne sont pas encore parvenues à comprendre la nécessité et, surtout, la possibilité d’une autre société, toute la propagande gouvernementale martelant que la seule possibilité est dans la mise en œuvre d’une “rigueur” de manière juste, c’est-à-dire en favorisant les “pauvres” au détriment des “riches” vise à répandre un rideau de fumée devant la réalité des attaques capitalistes et aussi à renforcer l’idée que vouloir en finir avec le capitalisme et instaurer le communisme est un rêve chimérique.
Si les expressions de combativité se sont caractérisées, comme dans les autre pays, par un éparpillement des luttes, la violence des attaques contre le niveau de vie de la classe ouvrière que provoque la crise économique va pousser les ouvriers vers des expressions de combativité d’une ampleur croissante. Ceci est vrai pour la classe ouvrière de tous les pays et c’est aussi, et surtout, vrai pour la France, car justement, la classe ouvrière de ce pays a une tradition de mobilisations massives.
Cette tradition explique pourquoi, contrairement à des pays comme l’Espagne et le Royaume-Uni, des mouvements analogues à celui des Indignés ou d’Occupy Wall Street n’ont pas réellement eu lieu en France. La cause réside dans le fait que, contrairement aux autres pays, la combativité de la classe ouvrière de ce pays s’était déjà concrétisée par des mobilisations massives comme la lutte contre le CPE en 2006 et, plus récemment, contre la réforme des retraites. De ce fait, le besoin de tels mouvements pour exprimer son mécontentement était moins ressenti au sein de la classe ouvrière ce qui veut dire que l’absence de mouvement analogue à celui des Indignés en France ne signifie pas que la classe ouvrière de ce pays aurait un retard particulier par rapport à celle des autres pays développés tant au plan de sa combativité que de sa prise de conscience. En particulier, les éléments de cette prise de conscience qu’on a pu observer au sein des jeunes générations de la classe ouvrière lors de la lutte contre le CPE en 2006 étaient très similaires à ceux qu’on a pu constater dans le mouvement des Indignés en 2011, par exemple en Espagne, sachant que l’aggravation considérable de la crise entre ces deux dates ne pouvait que renforcer la compréhension de l’impasse politique dans laquelle s’enfonce le capitalisme.
Malgré les gros handicaps qui entravent la classe ouvrière (perte de son identité de classe et absence de perspectives) autant en France que dans les autres pays, la vitesse avec laquelle la dégradation des conditions de vie va se poursuivre va pousser les exploités à tenter d’exprimer leur combativité comme on le voit en ce moment avec les manifestations massives qui ont lieu au Portugal, en Espagne et en Grèce. Même si l’habillage idéologique avec lequel la bourgeoisie tente de faire passer ces attaques va retarder et rendre plus difficiles l’explosion de luttes, il n’est pas suffisant pour l’empêcher.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu en France et dans les autres pays, depuis quelques années, l’aggravation de la crise et les difficultés de la classe ouvrière ne peuvent que pousser des minorités à se rassembler soit pour impulser la lutte, soit pour tenter de comprendre les enjeux de la période. Le phénomène d’apparition de ces minorités, même s’il est peu visible est important car il est une manifestation du fait que la classe ouvrière garde toutes ses potentialités ; ces minorités seront un des moteurs pour le déclenchement des luttes à venir et leur développement.
à l’image de l’ancien ministre A. Madelin qui proclame que “le pays est au bord de la rupture sociale”, les médias spécialisés sur les questions économiques ne laissent pas de doute sur le fait que la bourgeoisie a bien conscience tant de la poursuite de l’aggravation de la crise que de la probabilité de mouvement sociaux importants qu’elle qualifie déjà de “chaos social”.
Pour faire face à ce risque, la bourgeoisie compte principalement sur les syndicats comme elle l’a fait en 2010 lors de la réforme des retraites pour laquelle Sarkozy avait donné la gestion de l’encadrement de la lutte à l’intersyndicale et, au premier chef, à la CGT. C’est d’ailleurs en bonne partie pour tenter de renouveler la crédibilité des syndicats face au questionnement qui existe sur le thème “comment lutter” qu’un changement de leurs dirigeants est en cours.
A l’image de ce qui se passe dans les autres pays européens, les manœuvres syndicales se développent ou vont se développer dans deux directions. D’abord en polarisant l’attention, main dans la main avec le gouvernement, sur des attaques particulières très médiatisées comme la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois ou celle de l’aciérie de Florange. Cela permet de développer au maximum l’idée que le problème n’est pas celui de la classe ouvrière en général mais des ouvriers de telle ou telle usine et, en stigmatisant tel ou tel patron, d’empêcher de comprendre que c’est le capitalisme qui est en cause. Le deuxième axe que les syndicats préparent est celui de journées d’action qui auront, pour le moment, la fonction, de défouler le mécontentement, tout en cherchant à démontrer qu’il est inefficace de vouloir une extension de la lutte au-delà de l’entreprise. Enfin, on ne peut pas avoir de doute qu’à un moment où le mécontentement et l’envie de se battre deviendront plus grands au sein d’une partie de la classe ouvrière, la violence minoritaire et stérile sera aussi utilisée pour renforcer l’idée de l’inutilité de la lutte.
Alors qu’il existe une réelle réflexion chez une minorité significative d’ouvriers sur les perspectives, la bourgeoisie a besoin d’un relais politique à l’action des syndicats. Les élections présidentielles lui ont permis la mise en avant du leader du Front de gauche J.-L. Mélenchon du fait de ses capacités tribunitiennes, et aussi du soutien de l’appareil du PCF. La bourgeoisie a bien compris que, pour garder sa crédibilité, le Front de gauche ne devait pas entrer dans le gouvernement socialiste, même si cela a fait grincer les dents d’un certain nombre de caciques du PCF qui étaient habitués aux bénéfices que permet d’obtenir le fait d’être dans l’équipe dirigeante d’un parti de gouvernement. Le rôle de relais politique des syndicats s’appuie aussi sur l’idéologie nationaliste que la bourgeoisie, de manière unanime, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, développe pour empêcher que la classe ouvrière ne parvienne à réfléchir à la seule perspective possible, c’est-à-dire au renversement du capitalisme à l’échelle mondiale et à la nécessaire solidarité des prolétaires de tous les pays.
Les groupes trotskistes n’ont joué qu’un faible rôle dans un passé récent pour les raisons suivantes :
– ils ont eu une attitude très suiviste à l’égard des grands syndicats lors du mouvement contre les réformes des retraites ;
– la bourgeoisie a mis Mélenchon sous les feux des médias pendant les élections présidentielles, ce qui a mis au second plan les candidats trotskistes qui, d’ailleurs manquaient d’envergure.
Cela ne veut pas dire que ces organisations ne seront pas amenées à jouer un rôle important dans l’avenir. Le slogan de la campagne de la candidate de Lutte ouvrière “Nathalie Arthaud, une candidate communiste à l’élection présidentielle” est significatif à cet égard : il s’agit de prendre date pour le moment où un nombre significatif d’ouvriers comprendront que la seule perspective est le communisme ; à ce moment-là, l’organisation Lutte ouvrière fera ce qu’elle a toujours fait : dévoyer et discréditer le communisme en le faisant passer pour le capitalisme d’Etat.
Des mobilisations massives de la classe ouvrière sont probables, en France comme dans les autres pays, dans les années à venir. A l’image de ce que le CCI a fait par rapport aux révoltes arabes, et au mouvement des “Indignés” et des “OWS”, les révolutionnaires auront comme responsabilités :
– de comprendre le sens de ces mouvements ;
– de montrer comment ils font partie et annoncent les mouvements par lesquels le prolétariat retrouvera son identité de classe ;
– de dénoncer toutes les manœuvres des forces de la bourgeoisie pour en bloquer ou dévoyer le développement ;
– de défendre au sein de la classe ouvrière les voies par lesquelles ces mouvements pourront se développer.
Enfin, il appartiendra aux révolutionnaires de mettre à profit les interrogations de plus en plus répandues que ces mouvements feront surgir parmi les travailleurs, les chômeurs, les étudiants-futurs chômeurs ou exploités pour mettre clairement en avant la seule perspective “réaliste” face à l’effondrement de l’économie capitaliste et à la barbarie croissante qu’il provoque : le renversement de ce système par la classe exploitée dont les luttes présentes ne constituent que les préparatifs.
RI (9 décembre)
() Le Monde, 6 février 2012.
() Martin Hirsch à l’adresse http ://www.expression-publique.com/interview_reaction.php [3] ?type=iv&id=33
“Le problème des hauts fourneaux de Florange, ce n’est pas les hauts fourneaux de Florange, c’est Mittal”. “Nous ne voulons plus de Mittal en France parce qu’ils n’ont pas respecté la France” (1. Le ministre du Redressement productif, excusez du peu, a dernièrement bombé le torse face à la famille indienne Mittal, propriétaire du site sidérurgique ArcelorMittal de Florange, où près de 500 salariés risquent d’être bientôt jetés à la rue. Arnaud Montebourg a même été jusqu’à “menacer” ces “patrons-voyous” de nationaliser l’usine.
Disons-le tout net : il s’agit là d’une véritable arnaque contre la classe ouvrière ! D’abord, en braquant les projecteurs sur le seul site de Florange, une ombre gigantesque est jetée sur les plans de licenciements incessants qui tombent partout ailleurs, comme le prouve la hausse continuelle et spectaculaire du chômage. Ensuite, les 500 salariés d’ArcelorMittal sont aujourd’hui baladés de promesses en promesses pour mieux être abandonnés à leur triste sort demain. Enfin, leur défaite sera d’autant plus cuisante qu’ils seront isolés face à la propagande gouvernementale qui en aura fait un cas spécifique, coupé de leurs frères de classe pourtant victimes, hier, aujourd’hui ou demain, des mêmes attaques.
“Ministre du Redressement productif” ! Ce titre fait penser aux noms donnés par George Orwell aux ministères dans son magnifique roman d’anticipation, 1984. Dans cet ouvrage, le “ministère de la Paix” s’occupe en fait de la guerre ; le “ministère de la Vérité” est celui de la propagande et du mensonge ; le “ministère de l’Amour” s’occupe de la torture et le “ministère de l’Abondance” organise la famine. Dans le monde réel, le “ministère du Redressement productif” orchestre les vagues de licenciements massifs afin que ce fléau engendre le moins de résistance ouvrière possible.
Et il ne s’agit pas là de mettre en cause Arnaud Montebourg ou qui que ce soit d’autre. Les ministres, de gauche ou de droite, d’extrême-gauche ou d’extrême-droite, dans tous les pays, font toujours ce que leur fonction exige : défendre l’Etat et la nation… capitalistes ! Là est le cœur du problème, là est le plus grand mensonge de toute la propagande actuelle. A travers tout ce bruit médiatico-politique sur la “menace” de nationalisation, la bourgeoisie aimerait nous faire croire que l’Etat peut protéger les salariés. Mensonges ! L’Etat est le pire des patrons ! Qui, sous le nom de “réformes”, mène sans cesse des attaques générales contre nos conditions de vie ? Qui réduit continuellement l’accès aux soins, augmente l’âge de départ à la retraite et diminue les pensions ? Qui a rendu impossible la vie aux chômeurs en les culpabilisant, en les radiant massivement des statistiques officielles et en restreignant drastiquement leurs droits ? Et qui s’apprête à cogner encore plus dur sur nos têtes ? L’Etat, toujours l’Etat et encore l’Etat !
Quant aux nationalisations pour le bien-être des ouvriers, parlons-en ! Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’importante vague de nationalisations avait pour objectif de remettre sur pied l’appareil productif détruit en augmentant les cadences de travail. Rappelons-nous les paroles de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti “communiste” français, alors vice-président du gouvernement dirigé par Charles De Gaulle : “Si des mineurs doivent mourir à la tâche, leurs femmes les remplaceront”, “Retroussez vos manches pour la reconstruction nationale !” “La grève est l’arme des trusts”. Bienvenue dans le monde merveilleux des entreprises nationalisées !
“L’Etat moderne, quelle qu’en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l’Etat des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble” (F. Engels en 1878). L’Etat, ce Moloch capitaliste, est viscéralement anti-prolétarien ; l’émancipation de l’humanité passe par sa destruction.
Pawel (3 décembre)
1) Les Échos du lundi 26 novembre.
Nous publions ci-dessous un texte largement inspiré d’un article que nos camarades des Etats-Unis ont publié après l’élection d’Obama. L’intégralité de cet article est disponible sur notre site en anglais (en.internationalism.org [5]).
L’élection présidentielle de 2012 s’est conclue par un résultat positif pour les fractions les plus conséquentes de la bourgeoisie américaine. En battant son rival républicain, Mitt Romney, le président Obama a offert au Parti démocrate de diriger l’Etat quatre années supplémentaires.
Après l’élection, les médias ont fait un tapage assourdissant : Obama a remporté une victoire écrasante avec 332 voix du Collège électoral contre 206 pour Romney, nous dit-on. Il a battu son rival avec plus de 3 millions de votes populaires d’avance. Les scénarios apocalyptiques d’une nouvelle élection contestée, comme celle de 2000, sont réduits à néant. […] Les Républicains lèchent encore les blessures d’une raclée électorale qui les a même vus perdre plusieurs de leurs sièges au Sénat. […] Finalement, après quatre ans d’obstructionnisme obstiné, le GOP 1 va être contraint d’adopter un discours plus rationnel et revenir sur les grandes négociations autour de la réduction du déficit que la bourgeoisie américaine n’a pu traiter durant le premier mandat d’Obama.
Certains experts s’attendent même à ce que les résultats de l’élection marquent la fin de l’influence grandissante du Tea Party au sein du Parti républicain et soulignent que les éléments les plus rationnels pourront à présent s’affirmer et reprendre en main le parti. D’autres prévoient encore une véritable guerre au sein du GOP car ses positions racistes actuelles, sa politique sexuelle rétrograde, ses théories conspiratrices, sa défense des thèses créationnistes comme anti-scientifiques et sa haine des immigrés sont de plus en plus incompatibles avec l’exercice sérieux de la présidence et constituent une entrave réelle au retour de ce parti au gouvernement.
Mais, en dépit de ces diverses interprétations, le résultat de l’élection, et la campagne qui l’a précédée, confirment notre analyse selon laquelle nous assistons au développement d’une “crise politique” profonde au sein de la bourgeoisie américaine 2.
Le poids de la décomposition sociale au sein de la bourgeoisie américaine
Nous pouvons examiner les caractéristiques principales de cette crise selon plusieurs axes.
Les effets de la décomposition sociale exercent plus que jamais une force centrifuge au sein de la bourgeoisie elle-même menant à une incapacité croissante de certaines fractions de celle-ci d’agir dans l’intérêt global du capital national. Toutefois, ce processus n’a pas affecté de la même manière toutes les fractions de la bourgeoisie. Le Parti républicain est particulièrement touché par une dégénérescence idéologique, remettant en cause sa capacité à agir comme parti de gouvernement bourgeois crédible.
L’incapacité de la bourgeoisie à trouver une solution à la crise économique persistante a renforcé les tendances vers des luttes intestines au sein de la bourgeoisie. La décomposition idéologique du Parti républicain signifie qu’il tend à abandonner toute aptitude à gérer la crise économique d’une manière rationnelle, en retombant dans un dogmatisme économique conservateur complètement discrédité et en gaspillant son énergie dans des politiques antisyndicales qui menacent de dépouiller l’Etat de son meilleur rempart contre la classe ouvrière.
Compte-tenu de la situation actuelle, il était trop risqué pour les fractions de la bourgeoisie les plus responsables de remettre à nouveau au Parti républicain la charge du gouvernement national. Et cela, malgré le poids de la crise économique et la nécessité d’adopter une brutale politique d’austérité, alors même que ce contexte devrait pousser la bourgeoisie à ménager dans l’opposition la gauche de son appareil politique afin de mieux préparer les conditions permettant d’encadrer les futurs expressions de la colère ouvrière.
A cause de la dégénérescence du Parti républicain, les Démocrates sont laissés au pouvoir pour diriger le gouvernement national et devront mener la politique d’austérité nécessaire à la défense du capital national. Cela risque de perturber la division idéologique traditionnelle du travail au sein de la bourgeoisie, rendant les Démocrates directement responsables des douloureuses coupes dans les programmes sociaux à venir, à l’inverse de la rhétorique qu’ils ont utilisé pendant la campagne électorale sur la relance de l’économie.
Les fractions les plus responsables de la bourgeoisie sont confrontées à une situation dans laquelle il est plus difficile d’imposer sa volonté sur le processus électoral. La décomposition idéologique du Parti Républicain s’est accompagnée d’un durcissement idéologique généralisé de la société elle-même et le pays se retrouve plus divisé qu’avant en deux blocs politiques – à peu près de taille égale. La présidence d’Obama, tout en fournissant une revitalisation du mythe électoral, notamment parmi les minorités victimes du racisme et stigmatisées par les huit années de la présidence Bush, a seulement suscité un durcissement encore plus marqué et beaucoup plus durable de la droite.
Que peut attendre la classe ouvrière de la réélection d’Obama ?
Nous ne devons avoir aucune illusion sur ce que le second mandat d’Obama signifie pour la classe ouvrière. On peut le résumer en un simple mot : austérité. […] La seule question est de savoir quelle sera la profondeur des attaques et à quel rythme elles seront portées.
C’est en réalité tout à fait simple. La bourgeoisie américaine, qu’elle soit démocrate ou républicaine, de gauche ou de droite, est dans son ensemble d’accord pour dire que les perspectives budgétaires des Etats-Unis sont parfaitement insoutenables. Ils partagent tous la vision que des “réformes” devront s’ajouter aux programmes “prévus” pour tenter de mettre un frein au déficit. […] Il est vrai que les positions défendues par l’ex-candidat à la vice-présidence, Paul Ryan, comme la transformation du Medicare 3 en un système de bonus, était trop draconiennes pour être raisonnablement mise en place actuellement. Il est également vrai que les principales fractions de la bourgeoisie rejettent le mensonge grossier selon lequel la sécurité sociale doit être davantage privatisée afin d’être “sauvée”. Mais cela ne signifie pas qu’ils s’efforceront de préserver ces programmes tels qu’ils sont. Au contraire, de douloureuses attaques sont à prévoir.
Le président Obama a déjà exprimé sa volonté de réduire les programmes sociaux. Il s’agit d’ailleurs d’un élément essentiel du prétendu “grand pacte” issu du processus de négociation avec John Boehner, le président républicain de la Chambre des représentants, lors de la crise de l’été 2011 autour du plafond de la dette de l’Etat. La seule vraie différence en la matière a simplement été le désir du président d’envelopper les coupes du budget de la santé par quelques augmentations d’impôts des plus riches afin de vendre sa camelote à la population avec la rhétorique politicienne bien connue du “sacrifice partagé”.
Seule l’intransigeance du Tea Party a empêché Boehner d’accepter ce “grand pacte”, contraignant le Congrès à des compromis complexes qui posent la nécessité pour la bourgeoisie américaine d’imposer par la force les augmentations automatiques de taxes et les coupes drastiques dans les dépenses budgétaires, et ceci, dès le début de l’année prochaine.
En fait, les commentateurs politiques affirment déjà qu’il s’agit du réel enjeu de l’élection. En effet, Obama a désormais le capital politique dont il a besoin pour forcer les Républicains qui sont toujours majoritaires à la Chambre des représentants à négocier un marché qui, au moins, inclura quelques augmentations d’impôts pour les riches qui pourront, le moment venu, être vendues à la population comme des “sacrifices partagés”. La gauche du Parti démocrate peut crier qu’elle veut “protéger les Big Three” 4, mais peut-on douter réellement que suite à l’accord qui sera signé, ils n’essayeront pas de nous vendre l’idée que cela aurait été pire si les Républicains contrôlaient la Maison Blanche ? Ou essayer de nous sensibiliser à nouveau sur le fait qu’au moins les milliardaires ne seront pas exclus de ce “partage plus juste des sacrifices” ? Mais que restera-t-il exactement de cette aide aux bénéficiaires de Medicare qui ont vu fondre leurs maigres avantages ou grimper leurs prélèvements ? Que restera-t-il de ces mineurs du charbon, âgés de 65 ans, qui devront désormais attendre une ou deux années de plus pour toucher leur pension de retraite ?
Le mieux que les commentateurs puissent faire sur la relance économique est de rappeler les jours glorieux où le président Clinton avait augmenté les taxes et équilibré le budget tout en se présentant comme le président de la “plus grande expansion économique de l’histoire américaine”. Cette vision à courte vue et a-historique de la bourgeoisie fait qu’elle a perdu la mémoire sur le fait que la grande partie de cette prétendue “croissance” des années Clinton était le résultat d’une explosion de la dette alimentée par la réserve monétaire et qu’elle a engendré une véritable bulle spéculative qui a conduit à l’actuelle récession !
Ils semblent croire que les recettes de l’ère Clinton peuvent être ressuscitées et appliquées aujourd’hui, sans considération du contexte économique et historique. Nous ne savons pas si l’administration Obama croit réellement dans cette campagne médiatique qui dit combien l’économie ira mieux sous sa gouvernance. Qu’importe, même si elle reconnaît la nécessité de plus de relance, elle ne pourra rien faire dans ce sens. Quel que soit le nouveau mode de coopération que le Parti républicain va adopter à la suite de sa cuisante défaite électorale, il est peu probable qu’il adhère à une nouvelle politique de relance économique. La Réserve fédérale a récemment été appelée à agir de son propre chef en achetant davantage de valeurs hypothécaires, mais les économistes les plus sérieux sont d’accord pour dire que cela ne fera pas plus d’effet sur l’économie qu’une petite piqûre d’insecte sur le dos d’un éléphant.
En dernier lieu cependant, même s’il y avait une volonté politique pour une telle tentative de relance économique, on ne sait pas d’où viendrait tout l’argent : de la planche à billets ? De plus d’emprunts à la Chine ? Tout cela contrarierait directement le besoin pressant de réduction du déficit. La bourgeoisie est vraiment prise entre deux feux. Même si elle pouvait relancer l’économie une nouvelle fois, ceci ne ferait – à la fin – qu’aboutir à rien de plus qu’un coup d’épée dans l’eau.
Il résulte de tout cela que la victoire d’Obama n’en est pas une pour la classe ouvrière. Au contraire, il sait qu’il a désormais assez de crédit politique pour renforcer les programmes d’austérité qu’il a planifiés et que le capital national exige. Bien qu’il reste un danger pour la bourgeoisie que le Parti démocrate soit perçu comme le parti qui a présidé aux coupes drastiques, ce fait est tempéré à un certain degré par le succès idéologique qu’a eu l’administration Obama à vendre à la population le fait que sous les Républicains, les mesures auraient été pires. C’est principalement pour cette raison, plus qu’avec une profonde conviction ou un soutien à la politique d’Obama, que beaucoup d’ouvriers sont allés aux urnes et ont voté pour les Démocrates. La logique du moins pire semble avoir prédominé 5.
Mais les ouvriers qui ont encore des illusions dans la présidence d’Obama, qui croient encore qu’il peut “sauver la classe moyenne” ou qu’il est une sorte de champion des “droits des ouvriers”, n’ont pas besoin de chercher plus loin que les événements survenus pendant la grève des enseignants de Chicago pour avoir une réelle compréhension du point de vue du chef de la Maison Blanche sur ces problèmes. Nous ne devons pas oublier que ce sont les copains du président qui ont porté les coups sur les enseignants 6. Peut-on sérieusement douter sur le fait que leur conception du secteur éducatif – en réalité pour toute la classe ouvrière – est intimement partagée par le président lui-même ? En effet, la personne à l’origine du plan de réforme du système scolaire de Chicago n’était autre que l’ex-conseiller à l’école de Chicago, Arne Duncan – actuel secrétaire d’Etat à l’Education d’Obama.
Nous devons affirmer contre tous les calculs électoraux possibles que les intérêts de la classe ouvrière sont ailleurs – dans ses luttes autonomes pour défendre ses conditions de vie et de travail. Il est compréhensible que les ouvriers craignent les mesures draconiennes préconisées par le Parti républicain. Il est tout à fait possible que ce parti ait en réalité perdu la tête et n’hésiterait pas à mettre en place la politique la plus rétrograde au niveau national, s’il revenait au gouvernement. Cependant, cela signifie-t-il que nous devrions nous attendre à plus de mansuétude de la part des Démocrates ? Certainement pas ! Il est clair que, à ce niveau, la seule vraie différence entre les deux partis est le rythme et la force avec lesquelles les attaques vont tomber sur nous. Au bout du compte, les deux routes conduisent au même endroit. Lorsque nous votons Démocrates, c’est nous, ouvriers, qui donnons des coups d’épée dans l’eau. La seule véritable solution pour nous défendre est de reprendre le chemin de nos luttes autonomes autour de nos problèmes de classe.
De notre point de vue, la réélection du président Obama ne prédit pas une nouvelle ère de paix, de prospérité et de coopération.
Bien qu’il y aura probablement une tentative des fractions les plus rationnelles du Parti Républicain soucieuses de se démarquer et de regagner du crédit face au Tea Party, il n’y a pas de garantie qu’elles y parviendront. De plus, ce serait une erreur de réduire les problèmes de la bourgeoisie américaine à cet aspect seulement. Les défis qu’elle connaît sont immenses et selon toutes probabilités insurmontables. Pour la classe ouvrière, la conclusion est claire : il n’y a pas de salut dans la politique électorale bourgeoise. Nous ne pouvons défendre nos intérêts que sur un terrain fondamentalement différent.
Henk (14 novembre)
1 Great Old Party, surnom du Parti républicain.
2 Voir aussi sur notre site en français la traduction de l’article “Aux Etats-Unis, scandale à propos de ‘la suppression d’électeurs’ : tromperie politique et illusion démocratique”.
() Il s’agit du système d’assurance-maladie américain
3 Ce sont les mots du tenant et porte-parole de l’aile gauche du Parti démocrate, Ed Schultz, pour parler de la Sécurité sociale, du Medicare (système d’assurance-santé) et du Medicaid (système d’assurance maladie pour les plus démunis).
4 On doit noter, cependant, que la participation électorale était de 10 % inférieure cette année à celle de 2008.
5 Voir notre tract “Solidarity with the Chicago Teachers”
en.internationalism.org/internationalismusa/201209/5162/solidarity-chicago-teachers)
Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits d’un article de notre section aux Etats-Unis sur la catastrophe provoquée par le passage de l’ouragan Sandy sur les côtes américaines.
Dans le monde entier, les gens ont vu les images de destruction de villes côtières et la désolation de centaines de milliers de personnes sans toit – 40 000 dans la seule ville de New-York. Cela rappelle, entre autres, l’ouragan Katrina de 2005, la tornade à Joplin (Missouri) et l’ouragan Irène de l’année dernière. Chaque fois, la même question se pose : alors qu’avec le réchauffement climatique, l’élévation du niveau des mers et les changements dans les courants marins, il est reconnu que la fréquence des tempêtes ne va faire que croître, pourquoi rien n’est fait pour empêcher ces événements climatiques d’engendrer dégâts, catastrophes et disparitions de vies humaines ?
Après le “super-ouragan Sandy”, la plupart des blâmes face à la souffrance subie par les populations ont porté sur le choix individuel qu’ont fait certains de ne pas quitter leur maison pour rejoindre des abris. Évidemment, depuis les critiques qu’avait déclenchées la réponse à l’ouragan Katrina en 2005, la classe dominante a l’intention de redorer l’image de l’Etat. Dans une tentative de restaurer la confiance des masses, elle a besoin de propager l’idée d’un Etat capable de sauvegarder la protection de la population. En vérité, l’Etat n’est même pas capable de remplir la tâche de rendre la communication plus rapide entre les différentes agences fédérales en charge d’avertir des dangers potentiels d’une tempête. Selon les paroles de Bryan Norcross, un météorologiste respecté depuis plus de 20 ans, “elle (l’Administration nationale des océans et de l’atmosphère, NOAA) a fait des prévisions remarquables. La puissance de sa prévision était fondamentalement parfaite et sa prévision de l’arrivée de la tempête sur New-York était aussi juste qu’une prévision peut l’être de nos jours”. D’ailleurs, maintenant, les prévisions de tempêtes potentiellement destructrices peuvent se faire très précisément une semaine avant qu’elles n’arrivent sur la terre ferme. Mais le Centre national des ouragans a choisi de ne donner l’alerte à la tempête que la veille du jour où l’ouragan Sandy a frappé les terres.
De toutes les façons, fondamentalement, il semble impossible, dans les conditions actuelles de “développement” urbain sous le capitalisme, d’organiser une protection rationnelle et une évacuation de zones à risque pour plusieurs raisons :
1. le nombre énorme de gens vivant dans ces zones ;
2. le manque d’infrastructures mobilisables et adéquates pour évacuer et fournir un abri aux gens à la suite d’une tempête ;
3. la destruction de l’environnement naturel et le développement urbain continu de zones entières qui ne devraient pas être utilisées à des fins urbaines ;
4. le transfert de gigantesques ressources financières, humaines et techniques vers des objectifs militaires.
Dans le cas du New Jersey, qui a été durement frappé par la tempête, la plupart des communautés sur la barrière d’îles qui borde la côte ont été développées pour attirer les touristes et les résidents d’été. Pendant des décennies, les digues en béton, les jetées rocheuses ou les autres barrières de protection ont doublé la barrière d’îles pour impulser le développement de l’industrie touristique. Les immeubles, les maisons, les routes, encerclent les plages, ce qui contribue significativement à rendre les zones de peuplement plus vulnérables à l’élévation du niveau des mers et aux tempêtes, à la détérioration qui s’en suit de la protection naturelle assurée auparavant par les plages non exploitées. Les plages non exploitées s’avèrent utiles lors des tempêtes. Leur sable se déplace ; les îles servant de barrière peuvent même migrer vers la terre et de cette façon la protéger. Mais les exigences du profit capitaliste, plutôt que d’harmoniser les principes de la nature avec les besoins humains, sont ce qui détermine le choix de continuer à développer des plages artificielles. Dans la logique du capitalisme, les avantages économiques, même temporaires, l’emportent sur le coût de la protection des vies humaines.
La ville de New-York a subi un sort identique, mais à une beaucoup plus grande échelle. Maintenant que le “super-ouragan” Sandy est passé et que chacun réalise à quel point la ville et ses millions d’habitants sont vulnérables, la cacophonie inévitable sur ce qu’il faudrait faire à l’avenir recommence. Des propositions pour des aménagements artificiels de ce qui étaient les barrières naturelles de protection du port sont à l’étude. Certaines de ces propositions sont très intéressantes et créatives ; certaines prennent même en compte l’utilisation de tels projets pour des loisirs et leur attrait esthétique. Cela montre qu’au niveau technologique et scientifique, l’humanité a développé la capacité de mettre potentiellement la science au service des besoins de l’humanité. Des digues contre les lames dues aux tempêtes ont été construites autour de la ville de Saint-Pétersbourg en Russie, à Providence, dans le Rhode Island et aux Pays-Bas. Le savoir-faire technique existe. La situation géographique de New-York, cependant, est telle que construire un brise-lames pour protéger Manhattan et des zones de Brooklyn pourrait affecter les courants de marée de telle façon qu’une lame qui frapperait le brise-lames redoublerait de force contre des zones de Staten Island et les Rockaway, qui sont parmi les zones qui ont été les plus durement frappées par l’ouragan Sandy. Il n’est pas impossible qu’une solution technique puisse être trouvée à ce problème mais, étant donné les réalités de la crise économique, il n’est pas invraisemblable d’imaginer que la ville de New-York va plutôt revenir à ce que les ingénieurs appellent des opérations de “résilience”, un terme qui décrit des interventions à petite échelle telles que l’installation de vannes dans les stations d’épuration ou le relèvement du niveau du sol dans certains endroits du quartier de Queens. Vu que New-York est une ville de plusieurs millions d’habitants qui gère une bonne part de l’économie mondiale et dont l’infrastructure est très complexe, vieille et très étendue, de telles interventions heurtent tout bon sens !
La campagne électorale du président Obama a vu dans l’ouragan Sandy une opportunité de réanimer la controverse entre l’aile droite la plus conservatrice de la classe dominante et son aile plus libérale sur le rôle du gouvernement. Bien sûr, elle l’a fait à son propre avantage. On a affirmé que la réponse de l’administration actuelle a été beaucoup plus efficace que la réponse de l’administration Bush après l’ouragan Katrina. En réalité, des centaines de milliers de personnes vivent depuis deux semaines – au moment où nous écrivons – dans des conditions catastrophiques. De la réouverture des écoles qui ont aussi servi d’abris, aux coupures prolongées d’électricité, au rationnement en fuel et au récent plan du maire Bloomberg pour réhabiliter les quartiers les plus dévastés dans la métropole avec le programme Rapid Repair (réparation rapide) – qui promet d’être un rafistolage destiné à étouffer la colère et la frustration de la population – l’épreuve des faits montre que la classe dominante et son appareil d’Etat bureaucratique sont dans une impasse et incapables de répondre aux besoins urgents comme à long terme de la population.
A chaque épisode de “désastre naturel”, la classe dominante est particulièrement encline à empêcher que s’élabore tout un questionnement plus profond, d’une nature plus générale et qu’il y ait une réponse révolutionnaire. Quelle est la perspective pour le futur de la planète et l’espèce humaine subissant le joug d’une classe sociale qui montre qu’elle n’a aucune préoccupation pour la sécurité et le bien-être des classes qu’elle exploite ? Si l’avenir dans le capitalisme n’a rien d’autre à nous offrir que plus de destruction environnementale et des menaces toujours plus grandes pour la survie de l’espèce humaine, que doit-on faire ? Quelle alternative y a-t-il pour la construction d’un monde nouveau, différent ? Parce qu’elles n’ont pas d’intérêts économiques particuliers à défendre et aucune position de pouvoir à maintenir et à défendre dans la société capitaliste, la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires sont les seules forces sociales qui puissent donner des réponses débarrassées des mystifications idéologiques et qui visent à chercher la vérité. Ce n’est que sur la base d’une connaissance de comment les facteurs économiques, politiques et sociaux déterminent vraiment notre existence humaine que les classes exploitées peuvent trouver la confiance en elles-mêmes et démontrer leur capacité à offrir et finalement concrétiser une vision différente du monde.
Ana (10 novembre)
Le procès qui s’est tenu à l’Aquila fin octobre est à la hauteur des dernières stupidités de télé-réalité. S’agissait-il de véritables acteurs ? D’une blague de mauvais goût ? On pourrait le penser. Hélas non, on ne rêve pas ! Le tribunal de l’Aquila a bel et bien condamné les cinq scientifiques de la commission “grand risque” à six ans de réclusion pour “homicide par imprudence”. En clair, on leur reproche d’avoir tenu des propos trop rassurants dans un communiqué de presse, tout juste une semaine avant le séisme qui frappait l’Aquila, le 6 avril 2009. Il faut se souvenir que ce séisme, d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter, fit plus de 300 victimes et détruisit de nombreux édifices, en plus des quelques 1500 blessés. Mais de là à faire porter le chapeau à cette petite équipe de scientifiques, la faille est un peu grosse ! Quand on sait toute la complexité de ce type de prévisions, cela n’a pas de sens.
La communauté scientifique n’a d’ailleurs pas manqué de réagir : “On fait porter aux scientifiques la responsabilité d’une catastrophe imprédictible”, a déclaré à l’agence de presse Sipa, Jean-Paul Montagner, professeur de géophysique à l’Institut de physique du Globe de Paris (IPGP) et à l’université Paris-Diderot. “C’est l’ensemble du système qui a failli, et on fait porter le chapeau aux scientifiques.” Ou encore : “C’est assez déconcertant et déroutant”, estime Alexis Rigo, sismologue du CNRS à Toulouse. “Comment peut-on condamner des chercheurs sur quelque chose d’imprévisible ?” 1.
Pour y voir un peu plus clair, un petit retour en arrière, début 2009 s’impose.
La péninsule italienne est alors frappée par de nombreuses secousses qui inquiètent déjà la population. Hormis quelques fissures ça et là, on ne déplore aucun dégât mais la répétition du phénomène occupe les esprits tant et si bien que le président de la protection civile, Guido Bertolaso, avait appelé l’adjointe à la protection civile de la région, Daniela Stati, pour convoquer une réunion de la commission “grands risques” une semaine avant la catastrophe.
Plus récemment, la chaine italienne Repubblica TV a diffusé des écoutes téléphoniques qui nous informent sur ce mystérieux appel entre Bertolaso et son adjointe. L’objet de cet appel ne pourrait être plus clair : “De Bernardis [vice-président de la Protection civile], va t’appeler pour organiser une réunion à l’Aquila au sujet du “buzz” sismique. Comme ça, on fera taire les imbéciles, calmer les suppositions, préoccupations... Dis à tes employés que lorsqu’ils doivent préparer leurs communiqués, ils doivent passer par mon bureau de presse. C’est une opération médiatique, tu as compris ? Comme ça, ces supers experts des séismes diront : c’est une situation normale, ce sont des phénomènes qui se vérifient, mieux vaut 100 secousses de niveau 4 sur Richter que plus rien du tout car ces 100 secousses servent à libérer l’énergie et que donc il n’y aura jamais la secousse, celle qui fait mal” 2.
Voilà comment le pouvoir du capital achète la parole de scientifiques pour faire “taire les imbéciles” et pour se dédouaner de mesures de sécurité trop contraignantes. Cela n’est pas une nouveauté. On se rappelle bien de la fabuleuse histoire du nuage radioactif de Tchernobyl qui, nous disait-on en 1986, ne devait pas franchir la frontière française… Avec une telle démarche, on peut s’y attendre, c’est la catastrophe assurée. Alors, il s’agit pour le pouvoir de désigner des coupables, pour apaiser les esprits et retrouver le calme. Quoi de plus simple et de plus logique que d’inculper les scientifiques pour “négligence, imprudence et inexpérience” 3 ?
Sans enlever la part de responsabilité de ces scientifiques 4, en faire des boucs-émissaires très médiatisés permet aux autorités d’occulter une autre réalité : les raisons des effets si dévastateurs des catastrophes naturelles et les véritables responsables.
En 2000, la situation sismique de la péninsule avait fait l’objet d’un rapport très détaillé. De même qu’à la fin des années 1990, “[le rapport Barberi] 5 regroupait le travail de techniciens chargés de vérifier l’état de milliers de constructions publiques. Tous les maires en avaient obtenu une copie. Nombre de monuments de l’Aquila qui se sont écroulés étaient listés dans ce rapport.”
“Il y avait aussi cet ancien ingénieur qui avait lancé une alerte, en se basant sur la détection du radon, rappelle Jean-Paul Montagner. A plusieurs reprises dans les semaines qui ont précédé le séisme, Giampaolo Giuliani a prédit l’imminence d’un séisme à l’Aquila”. Avec de tels témoignages, la responsabilité des autorités n’est plus à démontrer. Une autre réalité que la bourgeoisie italienne espère sans doute masquer à travers la recherche effrénée de boucs-émissaires, c’est son indifférence et son incapacité à venir en aide à la population de l’Aquila. Comme conclut l’article de Rue89 : “Ici, 37 000 personnes vivent toujours grâce aux aides d’Etat, faute de mieux. Les travaux s’éternisent et l’espoir de voir un jour la ville refaite à neuf s’est envolé en fumée… Et la politique de rigueur du gouvernement Mario Monti n’a pas pour priorité l’aide aux victimes de tremblements de terre.”
Enkidu (5 décembre)
1 Citations issues du Nouvel Observateur du 23/10/12.
2 D’après Rue89, le 26/10/12.
3 Procès-verbal de l’Aquila cité dans le journal italien Fatto quotidiano.
4 On ne peut pas non plus nier qu’ils ont effectivement cédé à la pression politique pour rassurer les habitants.
5 “Le rapport Barberi, du nom de l’ancien chef de la Protection civile, était la plus grande étude jamais réalisée concernant la vulnérabilité sismique du pays”, Rue89, le 26/10/12.
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(Stade Melbourne Criketground : 100 000 places)
Dans le premier article [9], nous avons vu que le sport était un pur produit du capitalisme et qu'il avait été un véritable enjeu de la lutte de classe. Nous verrons, dans celui-ci, que dans la période de décadence de ce système il est un instrument de l'État destiné à asservir et à réprimer les exploités.
Au moment de la Première Guerre mondiale, le sport possède déjà une dimension planétaire. Il deviendra, en quelques décennies, un véritable phénomène de masse.
A partir de 1914, l’Éat prend en charge de façon totalitaire l’organisation des grandes manifestations sportives dans chaque nation, tout comme il organise la mobilisation sous les drapeaux au moment des conflits mondiaux : « Le sport mondial comme totalité est devenu une vaste organisation et une structure administrative, une affaire nationale prise en charge par les États, en fonction de leurs intérêts diplomatiques »1. Les États construisent et financent alors des infrastructures pharaoniques : les complexes sportifs, stades de 80 à 100 000 places dont les plus grands ont pu atteindre 200 000 (Maracana au Brésil), gymnases, pistes, circuits (comme le Indianapolis Motor Speedway aux États-Unis avec ses 400 000 places) etc. De véritables parcs géants, des cathédrales d'acier et de béton se dressent, remplies de supporters ou « fidèles », comme au moment des Jeux Olympiques, des coupes du monde de football, des Grands Prix automobiles, etc., avec à chaque fois l'organisation et la logistique militaire d'une véritable armée pour produire du spectacle. Les moyens de transport et de communication sous la coupe des États permettent de drainer les foules vers ces nouveaux temples modernes. Une presse sportive spécialisée s'est développée industriellement au XXe siècle pour couvrir le moindre événement. La radio, puis la télévision, deviennent les outils privilégiés de la propagande d’État qui cherche à populariser la pratique sportive, à promouvoir davantage les spectacles-marchandises et les jeux d'argent. Un des symptômes de cette réalité est également la bureaucratisation d'institutions sportives tentaculaires : « au point qu'aujourd'hui, on ne peut absolument pas parler de sport là où manque l’organisation sportive (fédérations, clubs, etc.) »2. Ce changement d'échelle vers le sport de masse, depuis les années 1920, s'opère donc dans un contexte où l’État capitaliste « est devenu cette machine monstrueuse, froide et impersonnelle, qui a fini par dévorer la substance même de la société civile »3. Tous les grands événements sportifs sont de véritables foires commerciales d'États avec, à chaque fois, une couverture médiatique hypertrophiée. C'est ce qui explique que les effectifs des sportifs et des spectateurs explosent, notamment depuis ces trente dernières années. En France, par exemple, on ne compte qu'un million de licenciés sportifs seulement en 1914. Quarante ans plus tard, ce chiffre a doublé. Il atteindra plus de 14 millions en 2000, soit sept fois plus que dans les années 1950 !4 Aujourd'hui, des manifestations comme les Jeux Olympiques peuvent mobiliser et hypnotiser plus de 4 milliards de téléspectateurs dans le monde !
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(Stade Melbourne Criketground : 100 000 places)
Les États capitalistes sont les grands prêtres de cette nouvelle religion universelle, le sport ; un véritable « opium du peuple », une drogue inoculée depuis plusieurs décennies à hautes doses. Dans l'Antiquité, le pouvoir s'affermissait par la religion, « le pain et les jeux ». Dans l'ère du capitalisme décadent et du chômage de masse, le sport-marchandise est lui-même une véritable religion destinée à consoler, distraire et contrôler les familles ouvrières paupérisées. Plus de jeux et moins de pain, voilà la réalité capitaliste contemporaine ! Pour les populations et les masses ouvrières qui ont encore la chance d'avoir un travail, soumises aux rythmes du bureau ou de l'usine, à l'enfer de l'exploitation et à la dépersonnalisation des grands centres urbains, le spectacle sportif ou la pratique du sport deviennent, grâce à la propagande et au marketing, des « loisirs indispensables ». Le sport constitue un des moyens privilégiés pour s’abandonner soi-même aux « forces invisibles du capital ». Ainsi, les activités sportives, assimilées au « temps libre », ne se limitent finalement qu'à l'étroitesse d'un simple moyen de subsistance et de conservation physiologique : « en dégradant au rang de moyen la libre activité créatrice de l'homme, le travail aliéné fait de sa vie générique un instrument de son existence physique ».5 Vécue comme une sorte de « décompression nécessaire » pour des salariés, la pratique sportive n'est en réalité qu'un moyen de reconstituer la force de travail, comme dormir, boire et manger ! Le sport permet d’ailleurs de mieux résister physiquement aux cadences infernales. Il permet donc de faire face à la brutalité des conditions d’exploitation, d'« oublier » l'espace d'un instant les tourments de la société capitaliste. Le véritable paradoxe est que le sport lui-même s’apparente à un travail pénible, chronométré, à des souffrances volontaires enchaînant davantage aux rythmes industriels et à la performance. Il devient pour un nombre croissant d'adeptes une véritable addiction. Des salariés vont même jusqu’à s'inscrire pendant leurs vacances à des activités sportives collectives dont le contenu est proche des stages commandos. Encore une fois, le sport exprime une des réalités de l’aliénation en devenant, par sa massivité, presque indispensable, générant au final une plus grande soumission au capital. Il est reconnu que le sport permet d'accroître la productivité et encourage l'esprit de concurrence ! Dans un quotidien où le travail hérité du taylorisme tend à sédentariser les salariés et à les détruire par des gestes répétitifs et la « malbouffe », une véritable entreprise de culpabilisation accompagne en plus des discours moraux sur la « santé » et la nécessaire « lutte contre l'obésité » par le sport. Il faut être « compétitif », « dynamique » et « performant ». Ces discours sont parfaitement au diapason des nécessités de compétitivité des entreprises qui favorisent et sponsorisent les clubs sportifs tout en cherchant à vendre en même temps leur camelote « amincissante », destinée au « bien être » ou toutes autres marchandises valorisées par l'image du sport. Durant l'été 2012, par exemple, au moment des Jeux Olympiques de Londres, la capitale britannique s'est métamorphosée en une méga-foire commerciale, un véritable hypermarché pour nous inonder de produits commerciaux de toutes sortes. Partout, dans les stades et autres complexes sportifs, les moindres recoins sont placardés d'affiches et d'écrans publicitaires. Les sportifs sont des hommes-sandwichs sponsorisés, avec des tenues bardées de slogans publicitaires pour des grandes marques qu'ils s'efforcent d'exhiber au mieux devant les photographes et les caméras. Cette exhibition mercantile fait d'ailleurs partie intégrante de la stratégie de préparation, au même titre que les exercices physiques à l'entraînement. Le sport est une marchandise au service d'une économie de casino, avec des droits TV, des produits dérivés, des managers, des clubs côtés en bourse, etc. L'inflation du nombre de compétitions correspond à une arène où ce sont des États et des groupes commerciaux qui s’affrontent eux-mêmes directement sur un marché saturé. Les sportifs ne sont plus des hommes, ce sont des marchandises performantes, qui s'échangent entre clubs d'une fédération à l'autre, parfois pour des sommes astronomiques, sans avoir trop leur mot à dire. Cette commercialisation de sportifs dépersonnalisés, ou transformés en stars déifiées, renforçant même les tendances au culte de la personnalité, n'est qu'une des expressions multiples du fétichisme de la marchandise. Devenu un dieu ou une simple chose, un objet à échanger et à exploiter comme capital, le sportif professionnel est soumis de façon drastique à la loi du marché et à la rentabilité, avec obligation de résultats. Il est poussé en permanence à l'exploit extrême, pressuré et contraints au dopage et à l’autodestruction planifiée (nous aborderons ces questions dans le prochain article).
Ces sportifs-machines robotisés, dans un contexte où l'État planifie la dépolitisation et la soumission, alimentent des spectacles grandioses aux contenus extrêmes, pour une sorte de glorification, d'apologie de l'ordre établi et du pouvoir en place. A toutes les grandes manifestations sportives, les hommes d'Etat, sont aux premières loges pour récolter des fruits politiques de cet abrutissement programmé à grande échelle. Des grands spectacles hitlériens aux exhibitions staliniennes d'hier, en passant par les méga-shows des démocraties d’aujourd’hui, ces messes sportives fabriquent du rêve, favorisent l’idolâtrie, en faisant la promotion par le muscle de l'effort et du sacrifice. Elles servent surtout à embrumer les esprits, comme la religion, en les détournant de toute réflexion sur les conditions d'exploitation du capitalisme. Elles cherchent bien souvent à occulter la véritable actualité, ce qui touche à la critique et à la lutte de classe, voire à embrigader dans la guerre, comme ce fut le cas dans les années 1930.
Le sport est clairement un dérivatif à toute forme de « subversion », destiné prioritairement à la jeunesse, notamment dans les écoles, pour un lavage et un formatage des cerveaux. Si ceci fut caricatural dans les régimes nazi et stalinien, cela reste plus subtilement présent dans les démocraties. Après Mai 68 en France, « l'éphémère ministre des sports M. Nungesser, expliquait (…) qu'il fallait rendre le sport obligatoire à l'école » pour maintenir la paix sociale. Dans le même sens, M Cornec, président de la Fédération des parents d'élèves, déclarait en 1969 : « il y a juste un an, la France a été bouleversée par la révolte de la jeunesse. Tous ceux qui cherchent des solutions à ce problème complexe doivent savoir qu'aucun équilibre ne pourra être trouvé sans la solution préalable du sport scolaire ».6 Dans la même veine, les journaux expliquaient à longueurs de lignes qu'il valait mieux « faire du sport » que « d'affronter physiquement la police et les CRS » ! Dompter, mettre au pas par le sport, par ses symboles et son univers de superstitions, tout cela entre très bien dans l'optique de l'idéologie démocratique bourgeoise officielle pour un véritable contrôle social, avec des éducateurs qui doivent promouvoir le mythe du « self-made-man », celui du sportif qui peut « s'en sortir » individuellement par ses propres qualités grâce à une discipline militaire. Cette perspective égalitariste, où « chacun a sa chance » à condition de travail et d'ascèse, ne peut qu'endormir les sens de ceux qui cherchent une critique radicale de la société, de ceux qui cherchent à développer un esprit politique pour lutter contre l'ordre établi !
En contribuant à endormir les esprits de la sorte, le sport prépare en même temps à la répression plus directe. Les rencontres sportives sont devenues des prétextes au déploiement de forces de police toujours plus imposantes, au nom de la défense de « l'ordre public » et de la « sécurité ». Dans un contexte où les populations urbaines sont déjà soumises à un véritable quadrillage policier, à une surveillance totale avec présence de militaires qui patrouillent désormais régulièrement dans les lieux publics, comme les gares, ce renforcement des effectifs aux abords des stades paraît « normal ». Par la présence régulière des CRS et des cars de police, l'État habitue graduellement les esprits à accepter la présence massive des forces de répression dont il a le monopole. Il faut se souvenir que dans les années 1970, les États démocratiques en Europe de l'Ouest n'avaient pas de mots assez durs pour stigmatiser les « régimes fascistes » et les « dictatures d'Amérique latine », du fait justement de la présence visible des forces de l'ordre et des militaires dans les lieux publics, près des stades notamment, comme c'était le cas en Argentine, au Brésil ou au Chili à l'époque. En 1972, aux Jeux Olympiques d'Hiver de Sapporo au Japon, la présence des 4000 soldats nippons quadrillant le site ne passait déjà pas inaperçue. Aujourd'hui, ces mêmes pratiques sont non seulement surpassées depuis longtemps dans les pays démocratiques donneurs de leçons, mais renforcées toujours par des mesures encore plus draconiennes. Il n'est plus possible de se rendre actuellement dans un stade sans traverser un véritable cordon sanitaire de flics, sans être palpé et fouillé au corps, puis « accompagné » par des « stadiers » !
Les derniers Jeux Olympiques de Londres de l'été 2012 en donnent d'ailleurs une illustration, l'image d'une véritable situation de guerre. On a compté 12 000 policiers en service et 13 500 militaires disponibles, c'est- à-dire plus que les troupes anglaises déployées en Afghanistan (9500 soldats) ! Plus que les 20 000 soldats de la Wehrmacht à Munich en 1936 ! A cela, on doit ajouter encore 13 300 agents de sécurité privés ! Un dispositif ultra-rapide de missile sol-air avait carrément été installé sur un immeuble, dans une zone densément peuplée, près du principal site olympique pour parachever un bouclier antiaérien. Dans les rues, des voies spéciales avaient été aménagées pour les véhicules officiels et interdits aux gens « ordinaires » (135 livres sterling -170 euros- d’amende au cas où ils s'y glisseraient). Enfin, les contrôles de sécurité étaient dignes de la paranoïa ordinaire de tous les Etats : fouilles systématiques en entrant sur tous les sites, interdiction d'apporter de l'eau de l'autre côté des zones contrôlées, interdiction de « tweeter », de partager ou de poster des photos de l'événement de quelque manière que ce soit !7
Si on prend du recul, l’histoire nous montre que les complexes sportifs sont de véritables points névralgiques permettant de parquer une partie de la population à des fins plus répressives encore et même meurtrières. Un des épisodes les plus célèbres est naturellement la « Rafle du Vel’ d'Hiv’ » en France, organisée par la police et les milices françaises durant l'été 1942. Ce célèbre stade vélodrome a servi alors de camp retranché où les Juifs étaient acheminés et parqués avant leur déportation vers le camp d'extermination d’Auschwitz pour connaître les sommets de l'horreur. Après la Deuxième Guerre mondiale, les exemples d'enceintes sportives au service de la mort et de la répression étatique restent nombreux. En France, après le Vel’ d'Hiv’, d'autres installations sportives sont utilisées lors du massacre d'opposants algériens en octobre 1961. Environs 7000 d'entre eux étaient menés de force vers le Palais des Sports de Versailles et le stade Pierre de Coubertin à Paris, pour y être tabassés, bon nombre finissant en cadavres jetés dans la Seine ! En juin 1966, en Afrique, les opposants au régime Mobutu étaient exécutés devant la foule au « stade des Martyrs » de Kinshasa. En Amérique latine, les stades ne servaient pas uniquement d'exutoires aux populations affamées. Le Stadio nacional chilien servait aussi de lieu « d'interrogatoires » et de « centre de tri » pour les camps de concentration après le coup d'État du général Pinochet (septembre 1973). En Argentine, au moment de la coupe du monde 1978 et de la junte militaire au pouvoir, les clameurs amplifiées par les sonos des tribunes permettaient de couvrir les hurlements des nombreux torturés. Aujourd'hui encore, bon nombre de stades intègrent l'histoire macabre. En 1994, le stade Amahoro de Kigali était un des théâtres du génocide rwandais, dont la France fut largement complice. C'est ce qu'illustre le témoignage du commandant R. Dallaire : « Lorsque la guerre a commencé, le stade s’est rempli et à un moment donné, il y avait là jusqu’à 12 000 personnes, 12 000 personnes qui essayaient d’y vivre. Tout ce qu’on voit, ce sont des gens et des vêtements, et la situation semble échapper à tout contrôle. C’est devenu… comme un camp de concentration... On était là pour les protéger, mais pendant ce temps, ils étaient en train de mourir dans ce grand stade du Rwanda ».8
Plus récemment encore, le stade de football de Kaboul a connu de nombreuses horreurs : des pendaisons sur la barre transversale des buts, des mutilations pour cause de vols, des lapidations de femmes adultères sur le terrain, etc.9. En Afrique du Sud, le nouveau stade du Cap, qui avait été inauguré pour la coupe du monde de football 2010, possède carrément des cellules pour emprisonner les « supporters agités » !
Même si la pratique sportive n'est pas toujours directement impliquée, il existe bel et bien un lien étroit entre le contrôle des esprits par le sport, les infrastructures sportives et la barbarie du capitalisme décadent. L'exacerbation des contradictions entre les classes fait que les stades sont de plus en plus souvent des lieux de confrontations et de tensions, au cours même des épreuves sportives. On a vu ainsi de véritables tueries, des révoltes éclater dans des stades de football. En Argentine, des portraits des disparus ont certes pu être brandis avec calme dans les tribunes lors de rencontres. Mais assez souvent, des tensions ouvertes se sont exprimées un peu partout avec violence, particulièrement à la sortie des stades. Nombreuses sont les situations où les pires idéologies, de la xénophobie la plus primaire au nationalisme débridé, ont conduit à de véritables actes de barbarie.
Dans le prochain et dernier article de cette série, nous reviendrons sur ces aspects pour en prolonger l'analyse.
WH (8 novembre 2012)
1 J-M Brohm, Sociologie politique du sport, 1976, réédition : Nancy, P.U.N., 1992.
2 Idem.
3 Plateforme du CCI
4 C. Sobry, Socio-économie du sport, coll. De Boek.
5 K. Marx, Manuscrits de 1844, Ed. La Pléiade, T. II.
6 Cité par J-M Brohm, Sociologie politique du sport, 1976, réédition : Nancy, P.U.N., 1992
7 Voir notre article sur les JO de Londres dans notre site fr.internationalism.org
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/ri_438.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
[3] http://www.expression-publique.com/interview_reaction.php
[4] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/resolutions-congres
[5] https://en.internationalism.org
[6] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis
[7] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/barack-obama
[8] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/catastrophes
[9] https://fr.internationalism.org/content/5484/sport-phase-ascendante-du-capitalisme-1750-1914-histoire-du-sport-capitalisme-i
[10] http://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/pascal/img_4.shtml
[11] http://www.amnestyinternational.be/doc/s-informer/notre-magazine-le-fil/libertes-archives/les-anciens-numeros/385-Numero-de-Juin-Juillet-Aout/Dossier,235/Les-stades-un