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Révolution Internationale n° 356 - Avril 2005

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Oui ou Non au référendum : TOUJOURS LA MÊME EXPLOITATION

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La montée d’un "ras-le-bol" en France au cours des dernières semaines et des derniers mois est évidente.

Cela s'est exprimé à travers la mobilisation importante dans les journées d'action syndicales. Le 10 mars, les manifestations ont rassemblé près d'un million de salariés du secteur privé comme du secteur public en France. A Paris, entre 50 000 et 100 000 personnes ont participé à la manifestation malgré la quasi-paralysie des transports en communs (en particulier du métro) soigneusement organisée par les syndicats pour limiter l'ampleur de la mobilisation.

La remontée de la combativité ouvrière…

D'autres indices permettent de cerner une lente mutation du climat social. Sont présents une exaspération, une volonté de ne plus se laisser faire, de réagir, de faire quelque chose. Cependant, les mots d'ordre clamés à tue-tête par les sonos des syndicats ne sont guère repris par les manifestants. L'apathie n'est qu'apparente. La mise en doute de l'efficacité des mobilisations syndicales et une réticence à suivre aveuglément leurs directives envers lesquelles les prolétaires ont de moins en moins d'illusions dénotent de fait un sentiment diffus de méfiance envers les syndicats.

Dans les entreprises ou les manifestations, des minorités de plus en plus significatives d'ouvriers expriment un besoin de se regrouper, recherchent la discussion et sont avides de comprendre. L'angoisse d'un futur incertain pousse un nombre croissant de prolétaires à réfléchir et à s’interroger sur l’évolution de leurs conditions de vie, sur les perspectives d'avenir de la société dans son ensemble avec la conviction que le monde ne tourne plus très rond. Et les mêmes préoccupations se retrouvent chez les jeunes générations, au coeur des manifestations lycéennes (voir article en page 3).

Dans certains secteurs, la combativité s'exprime ouvertement, de façon sporadique, à travers des luttes qui restent encore très isolées et dispersées. A l'usine Citroën-PSA-Gefco d'Aulnay, 400 ouvriers ont fait grève pendant 10 jours pour réclamer le paiement des jours de mise en chômage technique et des jours de grève, contraignant la direction à céder momentanément à ces revendications ; près de 400 employés de l'hypermarché Carrefour de Liévin dans le Pas-de-Calais ont arrêté le travail pendant trois jours pour exiger une hausse de leurs salaires ; les éboueurs de la région de Montpellier ont arrêté le travail depuis le 17 mars pour réclamer une augmentation salariale ; les chauffeurs de bus et de tram d'Orléans ont fait de même depuis le 8 mars; un tiers des postiers des Bouches-du-Rhône se sont mis en grève contre la précarisation et la détérioration de leurs conditions de travail ; les guichetiers de la gare Montparnasse sont en grève depuis le 10 mars face au projet de supprimer 2 330 postes dans les deux prochains mois ; les conducteurs de train des réseaux Ile-de-France de Paris-Est et Paris-Nord ont déclenché des arrêts de travail à répétition contre l'instauration d'un salaire au mérite.

Et dans ces luttes, s'ébauchent peu à peu les contours d'une solidarité ouvrière. Après la réaction spontanée à la SNCF fin janvier suite au viol d'une contrôleuse et après la grève du personnel des aéroports en février en réaction à la chute mortelle d'une hôtesse de l'air et à la mise en cause de la responsabilité du personnel au sol, d'autres expressions embryonnaires d'une solidarité de classe s'infiltrent et s'ancrent peu à peu dans le tissu social même à une échelle plus réduite et modeste : à Cergy en banlieue parisienne, dans une usine de sous-traitance spécialisée dans l'équipement de sécurité des piscines, une centaine d'ouvriers dont l'emploi est menacé par la délocalisation de la production ont été soutenus par d'autres ouvriers travaillant dans la même zone industrielle.

Ces expressions, encore très confuses, d'un besoin de riposte et de solidarité face aux attaques incessantes de la bourgeoisie sont autant d'expressions d'une lente mais profonde remontée de la combativité ouvrière, bien qu'encore complètement encadrée et contrôlée par les syndicats.

… freinée par les initiatives de la bourgeoisie et de ses syndicats

La bourgeoisie ne s'y trompe pas. Elle a déjà pris les devants pour occuper et investir le terrain social. Et elle cherche aujourd'hui à gagner du temps et à freiner la montée de cette combativité. Dès le soir du 10 mars, alors que les médias en parlant du "succès" de la mobilisation syndicale, mettaient en avant que les hausses de salaire et le pouvoir d'achat étaient au cœur des revendications exprimées dans la rue, le gouvernement faisait mine de faire "un geste" envers les salariés. Un des objectifs de cette manœuvre était de redonner du crédit aux syndicats en cherchant à faire croire que c’est grâce à eux et à leurs journées d’action que le gouvernement aurait reculé. En réalité, il n’y a aucun recul de la bourgeoisie. Raffarin promettait derechef … la réouverture de négociations dans la fonction publique le 22 mars, reconduites le 29 mars. Cette carotte sur l’augmentation des salaires des fonctionnaires masque surtout une attaque encore plus forte dans les prochains mois. Elle s'accompagne en effet d'un chantage à la "modernisation de la fonction publique", ce qui signifie une poursuite et une accélération des suppressions de postes, une sélectivité plus grande des primes et un avancement de carrière au "mérite". Une éventuelle augmentation de 1% en termes de "masse salariale" équivaut à 0,5 % sur la fiche de paie car l'autre moitié est automatiquement liée à des changements d'échelons. Cela représenterait en moyenne, pour la plupart des fonctionnaires, une augmentation variant entre 5 et 20 euros par mois. Enfin, ce soi-disant "coup de pouce" est d'ores et déjà reporté sur la fin de l'année.

La "recette" utilisée pour le secteur privé est également une arnaque. L’autorisation donnée par le gouvernement d'utiliser à tout moment le compte d'épargne acquis par les salariés de certaines grandes entreprises au titre de la participation (compte jusqu'ici bloqué pendant 5 ans) ou l’incitation à une augmentation de l'intéressement aux bénéfices de l'entreprise (dont le montant est plafonné à 200 euros… par an et par salarié) non seulement ne coûte rien à l’Etat mais il est tout bénéfice pour lui. Ce qui est donné aux salariés d’une main est immédiatement repris de l’autre, puisque les fonds retirés se retrouvent fortement imposables. Ces ficelles sont un peu grosses mais cela permet à l'ensemble de la bourgeoisie de gagner du temps et de passer à la vitesse supérieure pour tenter de pourrir le mécontentement social et l'amener dans une impasse.

En effet, en même temps qu'elle lanterne les ouvriers sur le pouvoir d’achat, elle utilise l’échéance du référendum sur la Constitution européenne pour pousser les ouvriers à abandonner les luttes au profit du bulletin de vote, vers la mystification de "l'expression citoyenne". En polarisant l'attention des ouvriers sur le débat au sein de la bourgeoisie par rapport à la Constitution européenne, la classe dominante, ses partis et ses syndicats s'emploient à polluer et à saper l'effort de réflexion qui se mène au sein de la classe qu'elle exploite (voir article ci-dessous). La bourgeoisie cherche à faire croire aux ouvriers que les attaques qu'ils subissent seraient non pas le produit du système capitaliste en crise qui exerce les mêmes ravages sociaux partout dans le monde mais le résultat d'une orientation politique particulière, "ultra-libérale" de l'Europe. On les pousse à manifester contre cette pseudo-dérive libérale en orientant toutes les manifestations, tous les rassemblements, toutes les mobilisations sur cette question. Déjà très présente dans la manifestation du 10 mars, la question du refus de la Constitution européenne se retrouve désormais en première ligne dans toutes les journées d'action syndicales. Ainsi, la manifestation des enseignants du 15 a été orientée "contre la casse du service public". Il en a été de même pour les dernières manifestations lycéennes appelées par les syndicats de la FIDL et de l'UNL. Lors de la manifestation syndicale européenne à Bruxelles le 19 mars, les syndicats français comme la CGT ont donné le ton et ont lancé le coup d'envoi d'une campagne sur la Constitution et sur la directive Bolkestein, désormais orchestrée à l'échelle européenne.

Le référendum sur la Constitution européenne n’est nullement un enjeu pour la classe ouvrière, contrairement au matraquage idéologique que lui assène la bourgeoisie pour la persuader du contraire et pour l’amener à se laisser mystifier une fois encore sur le terrain électoral. Elle n’a pas de camp à choisir dans ce qui relève d’une querelle interne à la bourgeoisie pour assurer la meilleure défense de l’intérêt national. Les prolétaires ne doivent pas tomber dans ce piège qui ne peut représenter pour eux qu’une manœuvre de diversion et de division.

Quelles perspectives ?

La classe ouvrière ne doit pas se laisser détourner de ses luttes et de la réflexion qu’elle a commencées à développer et qui constituent un encouragement pour ses prochains combats. Les attaques de la bourgeoisie qui vont s'intensifier, révélant de plus en plus crûment la faillite ouverte du capitalisme, sont aussi le ferment de prise de conscience de l'impasse totale dans laquelle le capitalisme plonge l'humanité. Le prolétariat ne peut que perdre de plus en plus ses illusions sur les possibilités de réformer ce système. Afin de défendre ses conditions de vie au quotidien, la classe ouvrière est poussée à se battre. Elle n'a pas d'autre choix que de développer ses luttes pour des revendications et des intérêts totalement antagoniques à ceux de la bourgeoisie Elle est amenée à se frayer laborieusement un chemin vers d'inévitables luttes massives en développant peu à peu le sentiment d'appartenir à une même classe, d'être confrontée aux mêmes attaques dans tous les secteurs, dans tous les pays. C'est dans ce sens et avec ce potentiel que ses luttes futures doivent aller. C’est la seule voie possible, le seul moyen de développer sa conscience des enjeux historiques réels et actuels, pour forger son unité, sa solidarité et prendre confiance en ses propres forces, en comprenant qu’elle est la seule force sociale, la seule classe capable de renverser ce système d'exploitation et d’ouvrir ainsi une perspective d’avenir à l’humanité.

W (25 mars)




Géographique: 

  • France [1]

Situations territoriales: 

  • France [2]

Troubles au Liban, déstabilisation des territoires de l'ex-URSS : Une nouvelle étape des tensions guerrières

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Aujourd’hui, les médias occidentaux nous claironnent qu’un vent de changement démocratique souffle dans le monde. De l’Irak au Liban, en passant par les pays de l’ancien glacis «soviétique» jusqu’aux républiques du Caucase et d’Asie centrale, la poussée impérieuse vers un monde «libre» connaîtrait un essor inédit.

Des élections qui ont eu lieu ou vont avoir lieu, en Afghanistan, en Irak, en Arabie Saoudite, en Asie centrale ; les «révolutions» démocratiques de Géorgie, d’Ukraine et maintenant du Kirghizistan ; les manifestations du peuple libanais contre la présence syrienne ; la relance du processus de paix israélo-palestinien… Tout cela serait l’expression d’une volonté des peuples d’accéder au paradis démocratique. Les promoteurs de ce monde idyllique annoncé, ce sont les grandes puissances occidentales et, en particulier, les Etats-Unis qui affirment que «le dégel a commencé» dans les pays du «Grand Moyen-Orient» et que «l’espoir et la liberté gagnent l’ensemble de la planète». Cette vision d’un optimisme sans bornes du monde capitaliste à venir est une grossière illusion qui a pour but de cacher au prolétariat mondial que la situation que connaît aujourd’hui l’humanité n’a jamais été aussi grave. Car, derrière les effets de manche de la bourgeoisie mondiale, à commencer par celle des pays développés, c’est une aggravation très nette des tensions impérialistes qui est à l’œuvre. Et ce sont précisément les pays salués pour leurs efforts dans la «lutte pour la démocratie» qui se trouvent au centre des enjeux guerriers entre les grandes puissances et de l’offensive menée par les Etats-Unis depuis la réélection de Bush.

L’anniversaire de la deuxième année d’occupation de l’Irak par l’armée américaine se passe de tout commentaire : plus de 100 000 morts irakiens, dont une grande partie de civils innocents, 1520 soldats américains tués et 11 300 blessés, des dizaines de villes et de villages détruits, et avec eux les infrastructures qui acheminent l’eau, l’électricité et une partie des hydrocarbures. 200 milliards de dollars ont déjà été dépensés pour cette barbarie. Et c’est bien parce que l’administration Bush a conscience de son enlisement dans le bourbier irakien et des conséquences néfastes de cette situation pour sa position de première puissance mondiale qu’elle déploie une contre-offensive tous azimuts.

Le Liban, un foyer d’affrontements impérialistes réactivé au Moyen-Orient

Quels que soient les responsables de l’attentat qui a fait 19 morts dont Hariri le leader de l’opposition, il faut se poser la question : à qui profite le crime ? Certainement pas à la Syrie. Non seulement elle est mise au ban des accusés par l’ensemble des pays développés, mais elle est aussi montrée du doigt par des pays de la Ligue arabe comme l’Arabie saoudite et l’Egypte. De plus, la pression internationale l’a contrainte à abandonner des positions militaires durement acquises au Liban dans les années 1980 et à lâcher du mou dans son emprise sur le contrôle de la vie politique libanaise, laissant ainsi la voie libre aux ingérences françaises et américaines.

Cet attentat apparaît donc plutôt une «opportunité» pour Bush et Chirac, ceux-là mêmes qui avaient été à l’initiative du vote, en septembre 2004, de la résolution 1559 exigeant le retrait de l’armée syrienne du Liban. L’objectif réel du soutien bruyant apporté par la France et les Etats-Unis aux gigantesques manifestations de l’opposition libanaise réclamant le changement du gouvernement à la solde de Damas et la tenue d’élections le plus rapidement possible, était en réalité d’investir le champ de la vie politique au Liban en y défendant leurs prérogatives propres.

La France, en ce qui la concerne, vise à retrouver l’influence qu’elle avait par le passé au Liban, à l’époque de la Guerre froide où elle œuvrait pour les intérêts du bloc occidental. Cette influence avait par la suite périclité progressivement jusqu’à être réduite à néant avec l’éviction du général chrétien Michel Aoun, homme de main de Paris. A la faveur de la nouvelle situation, Chirac envisage le retour de ce dernier au Liban. Cependant ce n’est pas gagné pour la France à qui fait encore plus défaut, depuis l’élimination de Hariri, l’existence de points d’appui. Et c’est bien pour évaluer la nouvelle situation que Chirac s’était empressé de courir à Beyrouth au lendemain de la mort de cet «ami» de la France. De plus, l’Etat français est contraint de se livrer à l’exercice périlleux consistant à manger à tous les râteliers. Ainsi, contrairement aux Etats-Unis, il évite soigneusement de condamner le Hezbollah en tant que groupe terroriste, de manière à ne pas se mettre à dos non seulement la Syrie à laquelle il apporte son soutien, mais également l’Iran. Parallèlement, il s’efforce de soutenir différentes composantes de l’opposition libanaise, comme les milices chrétiennes. Et pour finir, il est contraint de limiter ses critiques à la Maison Blanche alors qu’il affiche une certaine convergence avec elle concernant le problème libanais. Quant à l’administration Bush, il y a fort à parier qu’elle ne manquera pas de pointer ces grands écarts de la diplomatie française lorsque, le moment venu, il s’agira pour elle de limiter les prétentions de la France à un retour dans la région.

Aussi, c’est bien aux Etats-Unis et à leurs alliés israéliens que profitent avant tout la mort de Hariri. Celle-ci a ouvert une situation pouvant déboucher sur un avantage décisif de l’administration Bush face à «l’axe du mal» au Moyen-Orient, à savoir : la Syrie, le Hezbollah et l’Iran. Depuis le printemps dernier, la Syrie est menacée ouvertement par l’Oncle Sam sous le prétexte qu’elle abrite des terroristes d’Al-Quaida et sert de base arrière aux anciens fidèles de Saddam Hussein. Dans le même sens, les responsables israéliens ont lancé une campagne de diabolisation du Hezbollah pro-iranien soutenu par la Syrie. Pour Washington, la Syrie doit quitter le Liban. Mais l’objectif ultime est de déstabiliser le régime en place à Damas pour y imposer un gouvernement plutôt d’obédience sunnite en vue d’isoler le Hezbollah et l’Iran chiites. Ainsi, derrière la Syrie, c’est l’Iran qui est visé par les Etats-Unis, alors qu’il tend de plus en plus à devenir une puissance régionale prépondérante, notamment en s’opposant à la première puissance mondiale, et en passe de se doter de l’arme nucléaire.

Ainsi, la pression de l’administration Bush sur la Syrie fait partie du même plan d’ensemble que les discours musclés en direction de l’Iran. Et si l’offensive américaine contre l’Iran passe aujourd’hui par la Syrie, c’est à cause des difficultés énormes que représenterait une intervention militaire en Iran, autrement plus importantes qu’en Irak. Ainsi, malgré la divulgation de plans de guerre israéliens pour bombarder les installations iraniennes si Téhéran ne renonce pas à acquérir l’arme nucléaire, il est peu probable dans l’immédiat, du fait du bourbier irakien, que l’armée américaine soit en mesure d’ouvrir un nouveau front militaire. Néanmoins, cela n’est pas pour autant synonyme d’accalmie dans la région. Au Liban, des affrontements meurtriers entre les différentes communautés, excitées par les diverses cliques en présence elles-mêmes à la solde de puissances voisines ou majeures, vont probablement se développer. Les déclarations de Nasrallah, leader du Hezbollah, pour qui le retrait de Damas entraînera la guerre civile, ne sont pas du bluff comme le montrent déjà les attentats qui commencent à se succéder au Liban. Par ailleurs, la pression américaine sur la Syrie ne peut que conduire celle-ci à renforcer ses liens avec l’Iran et à soutenir encore plus activement la résistance contre la présence des Etats-Unis en Irak. En clair, on assiste à une nouvelle étape vers l’élargissement du chaos à d’autres zones géographiques et à de nouveaux bains de sang.

Les Etats-Unis poursuivent leur offensive militaire dans le Caucase et en Asie centrale

La diplomatie américaine est aussi à l’œuvre dans l’ex-empire soviétique, dans les républiques du Caucase et de l’Asie centrale. Au nom de la démocratie et de la liberté, la Maison Blanche finance et encourage les mouvements d’opposition aux gouvernements-liges de l’Etat russe. Après la «révolution des roses» en Géorgie en 2003, puis la «révolution orange» en Ukraine, la toute récente «révolution des tulipes» au Kirghizistan constitue un nouveau pavé des Etats-Unis dans le dispositif de défense impérialiste russe.

Washington s’en vante d’ailleurs ouvertement. L’ambassadeur américain à Bichkek, la capitale kirghize, déclarait ainsi à CNN, au lendemain de la fuite du président Akaïev : «Ce qui se passe concerne le peuple kirghize et ses décisions, et les Etats-Unis sont fiers d’avoir un rôle de soutien dans cela.» On ne peut être plus clair.

C’est par le biais d’organisations gouvernementales et d’associations spécialisées dans la promotion de la démocratie à travers le globe, comme la fondation Soros ou la NED que les Etats-Unis financent tous ces mouvements d’opposition. Soulignons qu’outre leur participation active aux «révolutions» anti-russes, ces derniers ont une influence réelle en Moldavie et que le sénat américain vient d’adopter une motion sur la démocratie comme objectif à mettre en œuvre en Biélorussie.

On assiste ainsi à un encerclement en règle de toute la Russie, qu’il s’agisse de ses frontières de l’Ouest, de l’Est et du Sud, encerclement qui fait suite à l’invasion militaire de l’Afghanistan.

Comme nous l’avons déjà développé dans notre presse (voir RI n°354), la Russie est confrontée depuis l’effondrement du bloc de l’Est, à la perte progressive de son influence en Europe centrale et orientale. Celle-ci se traduit par le fait que l’ensemble des pays qui étaient membres du pacte de Varsovie ont aujourd’hui adhéré à l’OTAN et à l’Europe. Et c’est l’ensemble des pays de la CEI, placée sous contrôle de la Russie en 1991, qui est aujourd’hui dans la tourmente et s’effiloche irrémédiablement.

Si l’ours russe voit disparaître à présent les uns après les autres les restes de son empire, c’est parce que les Etats-Unis tenaient à l’affaiblir, en particulier depuis qu’il a refusé de marcher avec eux lors de la dernière intervention en Irak. En effet, un tel positionnement de la Russie avait grandement contribué à la détermination de la France et de l’Allemagne à faire face aux Etats-Unis. A présent, la Russie récolte les dividendes de son non-alignement sur Washington.

Mais la principale motivation des Etats-Unis dans leur politique visant à soumettre à leur influence les pays de feu la CEI est d’éviter que ceux-ci ne tombent dans l’orbite de puissances européennes, au premier chef l’Allemagne dont un axe traditionnel de son extension impérialiste se situe à l’Est. En fait, cet objectif essentiel de l’offensive américaine participe de la poursuite d’une stratégie d’encerclement de cette même Europe et dont l’invasion de l’Afghanistan en 2003 avait constitué la première pierre.

Les enjeux sont tels que la tension entre toutes ces puissances ne peut que s’exacerber. Par ailleurs, la donne se complique et la situation devient encore plus instable du fait des intérêts marqués de puissances régionales de second ordre, comme la Turquie ou l’Iran, pour certains territoires de l’ex-URSS. Celles-ci estiment avoir une carte à jouer, à proximité de leurs propres frontières, en revendiquant tel ou tel territoire.

Par ailleurs, pour la Russie, il est hors de question de se laisser passivement réduire au statut de puissance régionale de deuxième ordre. A ce propos, il faut souligner que la perte par la Russie de certains ses ex-satellites de la CEI implique un affaiblissement considérable de son potentiel nucléaire. L’exemple de l’Ukraine, qui possède des bases russes importantes sur son territoire, est significatif de cette situation.

Ainsi, loin de stabiliser la région, le vent de «démocratisation» qui souffle sur les anciennes républiques soviétiques ne peut que pousser la Russie dans une fuite en avant dans la guerre. L’assassinat par les forces de sécurité russes du leader indépendantiste tchétchène Maskhadov, seule personne disposant de suffisamment de légitimité pour rendre possible un processus de règlement politique du conflit dans ce pays, va clairement dans ce sens. En effet, en éliminant Maskhadov, la Russie empêche les Etats-Unis d’utiliser celui-ci pour tenter un autre «processus démocratique» en Tchétchénie.

La pression grandissante des Etats-Unis, à la fois contre la Russie et certaines puissances d’Europe, ne peut qu’engendrer en retour une opposition croissante de la part de ces dernières aux plans américains. Ainsi loin de se «soumettre», la France, l’Allemagne et la Russie, auxquelles s’est adjointe l’Espagne de Zapatero, ont marqué lors de leur récent «sommet» un durcissement de leurs positions contre l’Amérique, en particulier à travers l’appel au retrait militaire de l’Irak.

Une telle dynamique n’est pas sans implication sur l’engagement militaire dans le monde de la première puissance mondiale qui, lui aussi, prend la forme d’une véritable fuite en avant.

Il y a quinze ans, suite à l’effondrement du bloc de l’Est, la bourgeoisie occidentale nous promettait une «ère de paix dans un nouvel ordre mondial». De l’Irak à l’ex-Yougoslavie en passant par le Rwanda, la Somalie, le Moyen- et Proche-Orient, l’Asie occidentale et centrale, la planète a été le théâtre d’un redoublement de violences et d’atrocités. Aujourd’hui, toute la propagande bourgeoise sur «le vent de la démocratie et de la liberté» n’a rien d’un air vivifiant. C’est un air plus que jamais vicié, tout comme le système capitaliste porte en lui l’odeur de la mort et de la barbarie.

Donald (25 mars)




Géographique: 

  • Russie, Caucase, Asie Centrale [3]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [4]
  • Guerre [5]
  • Impérialisme [6]

Battage idéologique sur le référendum : "libéral" ou de gauche, l'Etat est toujours au service du capital

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C’est à un véritable travail au corps auquel se livrent les partisans du Oui et du Non pour persuader les prolétaires, à coups d’arguments les plus mensongers, que l’adoption de la Constitution européenne représente un enjeu pour leur avenir et pour les convaincre de prendre leurs responsabilités de citoyens dans ce "moment historique".

Pour les uns, il faut voter pour car "le texte consolide l’œuvre de paix, de liberté et de démocratie de cinquante ans de construction européenne. Il affirme un modèle de développement économique et social fondé sur la solidarité et encourage l’initiative et la croissance". En ce qui concerne les opposants au projet de Constitution, la bourgeoisie présente au prolétariat un front du Non allant d’une partie du PS à LO en passant par le PCF et la LCR, les syndicats, CGT en tête, les altermondialistes (ATTAC) essayant de persuader le prolétariat qu’il doit se mobiliser pour le Non afin de refuser que soient "scellées dans le marbre des orientations politiques ultra-libérales responsables de la dégradation sociale, de la casse des statuts."

Tous visent en fait le même objectif : rabattre, attirer un maximum d’ouvriers sur le terrain électoral tout en ravivant les illusions réformistes selon lesquelles la lutte pour la défense de ses conditions de vie passe par la lutte contre le libéralisme. Il s’agit en même temps d’une opération de division qui invite chaque prolétaire à se ranger derrière un camp : celui du Oui ou celui du Non au référendum.

La mystification de l’anti-libéralisme

A écouter ces pseudo-défenseurs de la condition ouvrière, c’est l’orientation "libérale" de la Constitution européenne et des gouvernements européens qui serait responsable de la politique "antisociale" et qui pousserait à déréglementer les législations sociales et à abandonner de soi-disant "acquis ouvriers". Leur point commun, c’est de rendre responsable de la dégradation des conditions de vie du prolétariat une politique, l’ultralibéralisme, qu’il y aurait urgence à combattre.

Partis de gauche et syndicats, dans toute l’Europe, multiplient les mobilisations contre la directive Bolkestein, qui envisage la libéralisation des services selon le "principe qui prévoit que les prestataires européens offrant leur services dans un autre pays de l’Union ne seraient soumis qu’aux lois de leur propre pays" (1 [7]). L’exemple d’une entreprise lettone, faisant travailler ses ouvriers lettons à des salaires lettons (les plus bas en Europe) pour construire une école en Suède est utilisé comme épouvantail destiné à effrayer la classe ouvrière face à l’afflux d’ouvriers venus de l’Europe de l’Est proposer leur force de travail à l’Ouest à des prix défiant toute concurrence. La bourgeoisie soumet le prolétariat au chantage de la concurrence venue de l'Est pour lui faire accepter les baisse des salaires. C'est un chantage identique à celui qu’elle exerce, dans le monde et sans avoir attendu la directive Bolkestein, à travers la menace des délocalisations.

En France, c’est le même haro de tous (les tenants du Oui comme ceux du Non, mais surtout ces derniers) contre la directive Bolkestein qui ferait planer la "destruction programmée du code du travail" et le risque de privatisation des services publics. Là aussi, est-ce qu’il a fallu attendre l’existence de cette directive pour voir se développer la remise en cause de l’Etat providence, et les attaques contre les différents statuts du public comme du privé ? Voici plus de trente ans que s’enchaînent remises en cause et précarisation des conditions d’embauche et de statut, y compris dans la fonction publique.

La crise économique n’a pas attendu le Traité de Maastricht en 1992, ni le projet de Constitution européenne pour faire sentir ses effets dans tous les pays du monde.

Quel but visent réellement les moyens de lutte proposés par les tenants de l’antilibéralisme ?

Les PS, PCF, LCR ainsi que les syndicats et les altermondialistes d’ATTAC se retrouvent aux avant-postes d'un battage pour promouvoir "un mouvement de résistance collectif contre le démantèlement des services publics contraire à l’intérêt général".

La gauche, PS et PC en tête, tente de gommer de nos mémoires qu’elle fut elle-même à l’origine de nombre de ces attaques lorsque elle se trouvait au gouvernement !

Il s’agit de faire passer des mesures de dégradation des conditions de vie et de travail passées ou encore à venir pour une affaire de détournement de l’Etat démocratique et de déficit de la démocratie locale. Il s’agit aussi d’appeler à la lutte contre "la remise en cause des droits de chaque citoyen et chaque citoyenne à avoir accès à la Poste, à l’énergie et peut-être demain à la santé et à l’école." (2 [8]) Tout cela ne sert qu’à pousser la classe ouvrière à chercher une protection et des garanties pour ses conditions de vie auprès de l’Etat alors qu'il est le garant des intérêts de la classe dominante et le promoteur de toutes les attaques antiouvrières !

Une campagne antiouvrière au service de la défense du capital national

Voilà le grand rempart contre les mesures anti-sociales et les prétendues dérives de l’ultralibéralisme qu’on présente aux ouvriers : la défense de l’Etat et du service public ! Quand Besancenot de la LCR et ses amis d’ATTAC se proposent de "faire converger les luttes et pratiquer la désobéissance civile face aux attaques contre les services publics." (3 [9]), ils mettent en avant que "la défense des services publics, c’est un mouvement d’ensemble de la population qui associe les salariés des différents secteurs publics, les usagers et les élus." (4 [10]) Il est difficile de trouver une recette plus démagogique pour tenter d'éluder la nécessité de la lutte de classe et de dévoyer leurs luttes sur un terrain interclassiste où est propagée l’illusion que toute la population, exploiteurs et exploités confondus, pourrait se retrouver ensemble derrière la défense d’un Etat plus démocratique "au service des citoyens".

Tous ces bonimenteurs s’emploient à faire croire que les attaques gouvernementales proviennent du fait que le patronat privé ou des multinationales auraient la mainmise sur l’Etat (alors que c'est l'inverse qui est vrai). Ils ne visent qu’à détourner le mécontentement ouvrier engendré par les fermetures systématiques des postes, maternités, gares etc. dans l’impasse nationaliste "du refus pour la France d’une société à la Tony Blair".

La réalité met à nu le système capitaliste et le mensonge de la propagande entretenue pendant des décennies, depuis la Seconde Guerre mondiale, selon laquelle les minimums sociaux garantis, la Sécurité sociale, les services publics qui ont constitué les piliers de l’Etat-providence permettaient de concilier les intérêts respectifs des deux classes antagoniques au service de la défense du capital national.

Là, le PS révèle toute son efficacité anti-ouvrière. Ses divisions mêmes sont utilisées, pour le plus grand bénéfice de la bourgeoisie, tout à la fois pour défendre les intérêts globaux du capital français (en tant que parti "responsable" dont la majorité milite pour le Oui) et mystifier le prolétariat (à travers l’appel à voter Non par la fraction Emmanuelli et consorts).

Le dispositif de la bourgeoisie n’aurait pas été complet si LO n’était pas là pour faire entendre sa différence, soi-disant ouvrière et "lutte des classes" : "Nous voterons non" tout en dénonçant que "ce n’est pas le "oui" ou le "non" à ce référendum qui va améliorer le sort des travailleurs." (5 [11]) LO a le culot de tenter de faire oublier sous ses phrases ronflantes qu’en participant au référendum, elle apporte, elle aussi, sa contribution au maintien de l’illusion que la classe ouvrière peut changer sa situation grâce au bulletin de vote ! En affirmant que les "ennemis véritables, ici, à portée de main (…) Ce n’est pas Bruxelles, ce sont nos propres capitalistes, notre propre gouvernement qui nous attaquent !" (6 [12]), l’illusionniste LO escamote la véritable origine des attaques pour l’attribuer au SEUL gouvernement Raffarin et au SEUL patronat.


C’est parce que les attaques actuelles mettent à nu la réalité des antagonismes de classe et parce que l’aggravation permanente de la situation du prolétariat dans la société suscite une réflexion en son sein que les organisations prétendument "amies de la classe ouvrière", la gauche et les gauchistes, s’emploient sans relâche à étouffer dans l’œuf cet embryon de prise de conscience et à enfermer dans des impasses la volonté d’action des prolétaires.

Le recours par la classe dominante à l’épouvantail de "l’ultralibéralisme" constitue un puissant moyen pour brouiller les cartes et la conscience du prolétariat, aux yeux duquel il est indispensable de masquer l’état réel de l’économie capitaliste ainsi que la véritable cause de la situation qui lui est faite : la crise de surproduction permanente, expression de la faillite irrémédiable du système capitaliste comme un tout.

C’est l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme qui impose dans tous les pays le démantèlement accéléré de l’Etat-Providence, la réduction drastique du coût de la force de travail, aussi bien en baissant les salaires de ceux qui ont un emploi qu’en économisant la charge de l’entretien de la force de travail devenue excédentaire (les chômeurs) ou pas assez productifs (les vieux ouvriers). C’est la même logique imposée par la crise économique à laquelle sont soumis les secteurs de la santé, de l’éducation, etc. Prise dans les convulsions des contradictions de la crise mortelle de son système, la bourgeoisie n’a qu’une SEULE politique à offrir : celle de la surexploitation, de l’accroissement sans bornes de la misère et de l’extension de la barbarie guerrière. Dans le monde entier, gouvernements de droite et de gauche appliquent le même type de mesures. Mesures, qu’au gré de leurs passages successifs aux affaires, gouvernements de droite et de gauche ne font que pérenniser et aggraver.

Pour la bourgeoisie, cacher la réalité de son système lui sert à cacher qu’il n’est pas éternel, que la seule alternative véritable, c’est le soulèvement révolutionnaire du prolétariat. C’est pourquoi, face à l’aggravation de la crise, il lui est absolument nécessaire de faire croire, en utilisant le repoussoir de "l’ultra-libéralisme", qu’il existe d’autres options pour une meilleure gestion du système capitaliste, d’autres solutions possibles ou à "imaginer" pour le réformer, lui permettre de dépasser ses contradictions.

La classe ouvrière ne doit pas se laisser prendre avec l’illusion qu’il existe une alternative au sein du capitalisme, qu’elle pourrait remédier à sa situation par le bulletin de vote ou en faisant confiance à ceux qui lui promettent un avenir meilleur au sein du système. La classe ouvrière ne doit pas se laisser détourner de la nécessité d’engager la lutte contre toutes les attaques qu’elle subit de la manière la plus unie et solidaire possible.

La construction de l’Europe n’est pas un enjeu pour le prolétariat, c’en est un pour nos exploiteurs, pour la bourgeoisie. Ce qui se joue pour elle c’est la place que doivent occuper la France et le capital national français sur la scène de l’Europe, aussi bien sur le plan économique que sur le plan de son rang impérialiste face aux autres puissances du continent. Ses intérêts ne sont certainement pas ceux du prolétariat. C’est d’une affaire entre bourgeois dont il s’agit. Tout ce barouf ne sert qu’à diviser et, finalement, à ligoter la classe ouvrière à la défense de l’intérêt national et de l’Etat, c’est-à-dire sur le terrain de l’ordre bourgeois, là où ses propres intérêts sont et seront toujours sacrifiés.

Scott (24 mars)

1 [13] Libération du 15 mars.

2 [14] Déclaration de Marie-George Buffet, secrétaire générale du PCF

3 [15] Tous à Guéret !, appel de lcr-rouge.org, du 3 mars

4 [16] Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, cité par dépêche AFP le du 5 mars.

5 [17] Discours de Lille de A. Laguiller, cité sur le « forum des Amis de LO » sur Internet.

6 [18] Idem




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  • La mystification parlementaire [19]

Manifestations lycéennes : Pourquoi et comment la bourgeoisie a étouffé le mouvement des lycéens

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Après deux mois de mobilisation dont l’ampleur ne cessait de croître, la protestation lycéenne a subi un coup d’arrêt brutal lors de la manifestation du 8 mars. Entachée de violences, cette journée a créé une crainte de se mobiliser chez les lycéens, déclenchant ainsi logiquement la perte de vitesse du mouvement. Pour ces jeunes qui pensaient obtenir le retrait du plan Fillon sous leur pression, la désillusion est amère. Mais cette expérience doit servir de leçon. Et pour cela, il faut se pencher avec lucidité sur la signification de ce mouvement.

Ces luttes lycéennes s’inscrivent dans un contexte particulier. Depuis l’année 2000 environ, il se développe lentement une réflexion de fond au sein de la classe ouvrière. Face aux déchaînements guerriers (Irak, Afghanistan…), aux attaques incessantes du capital (Sécurité sociale, retraite, allocations chômage et RMI, salaire…), la faillite de ce système d’exploitation devient à la fois de plus en plus criante et de moins en moins supportable. Partout sur la planète, le prolétariat retrouve petit à petit le chemin de sa lutte, de son unité et de sa conscience. C’est dans cette ambiance, dans cette dynamique qu’il faut comprendre le mouvement lycéen et les craintes de la bourgeoisie.

Un spectre hante les rues : le spectre de la classe ouvrière

Avec l’approfondissement de la crise, la plus grande partie de la jeunesse lycéenne voit s’assombrir son avenir. Eviter le chômage ou un boulot aux conditions inhumaines devient peu à peu mission impossible. Ici, la majorité des jeunes rejoignent donc les inquiétudes de l’ensemble de la classe ouvrière. Cette unité d’intérêt fut d’ailleurs maintes fois exprimée consciemment : "On ne peut pas se limiter à manifester seuls. On se bat aussi pour les profs, ils doivent être avec nous. Ils ne cassent pas seulement l’Education nationale : le gouvernement a attaqué les retraites, la Sécu. On est conscients qu’on ne se bat pas juste pour notre cause", "Le 10, nous serons avec les salariés, nous feront converger nos mobilisations et nos mots d’ordre contre le plan Fillon, contre la casse des retraites…" (Rouge du 10 mars 2005). Et l’un des slogans les plus répandus au sein des manifestations de ce début d’année était "Y’en a ras le bol de ces guignols qui ferment les usines, qui ferment les écoles" !

Dans ce contexte, la réforme Fillon ne fut qu’un détonateur. Comme l’affirme l’éditorial de Libération du 9 mars : "L’agitation lycéenne cristallise une inquiétude qui préexistait à la réforme". Ainsi, sans constituer l’avant-garde révolutionnaire et malgré toutes ses faiblesses interclassistes, le mouvement lycéen est révélateur du malaise ambiant. Beaucoup de jeunes liés, de par leur origine, à la classe ouvrière mettent en évidence à travers leurs slogans le fait que le capitalisme n’attaque pas tel ou tel secteur mais l’ensemble de la classe, sous tous les aspects de sa vie : à la retraite, au travail, à l’école. Ce qui alimente inévitablement la réflexion sur la nécessité d’unité et de solidarité dans la lutte. Ce n’est donc pas par hasard si l’Etat a choisi d’envoyer des casseurs le 8 mars, deux jours avant la manif des salariés ‘public-privé’ à laquelle les lycéens promettaient de venir nombreux.

L’Etat terrorise les lycéens

Il ne fait aucun doute que l’Etat a délibérément instauré un climat de peur au sein des cortèges lycéens lors de la manifestation de 8 mars.

Ce jour-là, à Paris, mais aussi à Lyon, à Toulouse, et même à Rouen, des individus organisés en bandes sont venus "casser" du lycéen. Ces voyous sont clairement le produit de cette société nauséabonde. Sans perspective, ces jeunes désœuvrés sont aspirés dans une spirale de haine et de destruction ; leurs seuls liens sociaux sont des rapports de violence et d’affrontement. Cette couche de la société formant le lumpen est depuis toujours un vivier pour la bourgeoisie dans son combat contre la classe ouvrière. L’Etat a donc encore une fois utilisé et instrumentalisé ces bandes.

D’abord, dans les jours qui ont précédé la manifestation, la presse s’est répandue en faits divers, soulignant chaque agression, chaque vol, et pointant du doigt les ‘racailles’. Tout a été fait pour préparer le terrain, exciter les délinquants.

Ensuite, un véritable "permis d’agresser" a été délivré par les forces de l’ordre en laissant faire, sous leurs yeux, vols, rackets, tabassages… Les témoignages de cette passivité policière fourmillent : "Des bandes fondent sur les lycéens, les plaquent contre un mur et les dépouillent. Ou se glissent à l’intérieur du cortège et tabassent. Un agent des renseignements généraux voit tout : "c’est trop compliqué d’intervenir" (Libération du 9 mars) ; "c’était affreux, raconte une lycéenne (…). Deux copains se sont fait dépouiller à cinq mètres des CRS. J’ai couru les chercher. Ils m’ont répondu qu’ils n’avaient pas d’ordre du ministre pour intervenir" (Libération du 11 mars).

Enfin, pour "parfaire le travail", les rares interventions policières ont été des agressions brutales à l’encontre… des lycéens manifestants : "un lycéen remonte du métro choqué : "en bas, les CRS frappent sans distinction." (Libération du 9 mars).

Cette manœuvre a été particulièrement efficace puisque la manifestation lycéenne fut un véritable fiasco, se déroulant sous la marque de la démobilisation et du découragement.


Si la bourgeoisie a employé une telle méthode afin de briser la dynamique, ce n’est absolument pas qu’elle craignait en soi les lycéens. Pour elle, peu importe que dix, vingt ou cent milles élèves ne soient pas en cours mais dans la rue. Ce sont plutôt les préoccupations ouvrières d’une partie de ces lycéens, parce qu’elles correspondent au questionnement de l’ensemble de la classe, qui ont retenu toute l’attention de la bourgeoisie. Pour comprendre ainsi la signification profonde de ce mouvement et ne pas se laisser impressionner par sa seule apparence spectaculaire, il nous faut nous débarrasser de toutes les illusions et mystifications répandues par les forces de gauche.

Le mouvement lycéen, un mouvement interclassiste

Les lycéens, comme les étudiants, ne constituent pas une classe dans la société. Une classe est définie par sa place au sein des rapports de production. Dans la mesure où la jeunesse scolarisée n’est pas encore insérée dans ces rapports, les seuls critères permettant d’établir la classe d’appartenance de ses éléments sont leur origine et leur devenir social (qui en général sont équivalents). Or, au même titre que d’autres catégories sociologiques telles que les femmes, les gens de couleur, les consommateurs, etc… on trouve dans la jeunesse scolarisée des éléments appartenant à toutes les classes et couches de la société. Ainsi, lors de ces manifestations lycéennes, on a retrouvé ‘unis’ des enfants de bourgeois, de petits-bourgeois de toutes sortes (professions libérales, cadres, petits commerçants, paysans) et d’ouvriers, autrement dit, des éléments qui sont en passe de s’insérer activement dans la classe exploiteuse et des éléments qui vont prendre place dans la masse des exploités et des chômeurs !

Alors que la classe ouvrière constitue ou tend vers une unité tant au plan de ses revendications et luttes dans la société capitaliste qu’au plan de ses objectifs historiques, la jeunesse ne peut avoir de revendications spécifiques et encore moins de perspective historique propre. C’est pourquoi, les explosions de mécontentement qui peuvent agiter ce milieu demeurent généralement impuissantes. Cette essence interclassiste de tout mouvement lycéen est donc déterminante pour comprendre ses limites et sa perméabilité à l’idéologie dominante.

Le mythe de mai 68 et son mouvement estudiantin radical

"Cette nature interclassiste est totalement secondaire", nous répondrons les gauchistes de tout poil. Leur argument est bien connu : les lycéens et étudiants, de par leur jeunesse, sont impertinents et radicaux. Et la preuve apportée à cette fougue qui terroriserait la bourgeoisie est le mouvement étudiant de 68. Il nous faut ici rétablir la vérité.

Mai 68 est une expérience capitale de la classe ouvrière ; il constitue l’un des événements majeurs de la lutte de classe des cinquante dernières années. Et à ce titre, la bourgeoisie est particulièrement intéressée à le déformer, à le travestir. Ainsi, cette reprise du combat prolétarien après quarante ans de contre-révolution, est effectivement régulièrement présentée comme une révolte radicale des étudiants, faisant ainsi fi de la grève de millions d’ouvriers ou les présentant comme à la remorque de la jeunesse insurgée.

En réalité, même si les étudiants d’alors ont "tant aimé la révolution", ils ne pouvaient constituer comme tels ni des troupes pour celle-ci, et encore moins son avant-garde. D’ailleurs, les événements de 68 en ont constitué une illustration rapide : dès lors que la classe ouvrière s’est mise en marche, le mouvement des étudiants "radicalisés" n’a pu apparaître que comme la queue de celui de la classe et il n’a dû sa survie jusqu’aux vacances d’été qu’à l’ampleur et à la durée de la grève ouvrière qui constitue de très loin l’événement historique fondamental de cette période. Et, si une petite frange des étudiants "radicalisés" a pu parvenir à des positions réellement révolutionnaires, c’est avant tout parce qu’à partir de 68, justement, s’est développée la reprise historique des combats prolétariens qui est venue donner une perspective de classe à leur révolte contre la société. Mais pour la grande majorité d’entre eux, par contre, les préoccupations ont trouvé à s’employer dans la participation aux structures d’une université "rénovée", de même que dans des mouvements parfaitement étrangers à la classe ouvrière comme le féminisme, l’écologie ou le pacifisme.

En fin de compte, si les mouvements étudiants des années 1960 ont pu être présentés comme une "avant-garde" du mouvement de la classe, ou comme le détonateur de celui-ci, c’est uniquement dû à une illusion d’optique dans la lecture des faits historiques. La succession dans le temps de l’agitation étudiante et des grèves ouvrières ne traduit nullement l’existence d’un lien de cause à effet entre ces deux phénomènes. Elle s’explique par le fait que leur origine commune, la fin de la reconstruction de l’après-guerre et les premiers symptômes de la crise capitaliste, a d’abord affecté le milieu étudiant par une fermeture croissante de ses perspectives d’avenir avant que la classe ouvrière ne soit elle-même directement frappée par les effets de la crise (ralentissement des hausses salariales, croissance de l’inflation, développement du chômage).

Le travail de sape idéologique de la gauche et des syndicats

Puisque ce n’est pas l’ampleur de l’agitation ou le nombre de jeunes dans la rue qui a inquiété la classe dominante, mais la profondeur et la nature du questionnement, c’est surtout cet embryon de conscience ouvrière qu’elle tente de démolir. L’instrumentalisation des bandes de voyous pour effrayer les lycéens n’est ainsi qu’un aspect, et en réalité assez secondaire, de l’attaque de la bourgeoisie.

Après avoir favorisé l’éclatement de la violence le 8 mars, les forces de l’ordre ont tout fait pour que la manifestation lycéenne suivante se déroule sans incident. Cette fois-ci, dès qu’un individu suspect (c’est-à-dire au look de banlieusard) approchait du cortège, il était aussitôt interpellé. Pourquoi ? Il n’y a qu’à lire les comptes-rendus de la presse du lendemain vantant l’absence de toute agression grâce à la présence des syndicats : "Les gros bras de la CGT devant, de SUD à droite, de FO à gauche, ont fait œuvre de dissuasion, dans un rare mouvement d’unité syndicale" (Le Monde du 16 mars). La leçon est claire. La bourgeoisie veut mettre dans la tête de ces futures générations d’ouvriers qui réfléchissent trop à son goût qu’il n’y a pas de lutte constructive en dehors des syndicats. Cette manœuvre est une véritable publicité en faveur des chiens de garde du capital.

Les gauchistes, et particulièrement les trotskistes, ont aussi pesé de tout leur poids depuis les premiers jours du mouvement afin de polluer la tête des lycéens de foutaises démocratiques et républicaines. Agissant comme un véritable cheval de Troie au sein du mouvement, la LCR, par exemple, n’a cessé de pousser les revendications vers une illusoire éducation égalitaire, impossible dans le système d’exploitation capitaliste (lire l’article "La jeunesse refuse un avenir de misère", RI n° 355). Aujourd’hui, l’extrême gauche s’attaque aux lycéens les plus combatifs en les enfermant dans une impasse : l’occupation des lycées. A contre-courant, alors que le mouvement s’essouffle, les lycéens qui vont cadenasser leur bahut ne pourront que se mettre à dos leurs camarades non grévistes et les enseignants. Les gauchistes, en proposant de tels moyens de lutte, savent très bien ce qu’ils font ; ils isolent les lycéens encore combatifs et les conduisent tout droit au découragement et à l’épuisement.


L’avenir passe par la classe ouvrière.

Ce n’est pas le mouvement lycéen qui est, malgré son côté spectaculaire, le facteur déterminant dans la prise de conscience des jeunes, mais bien le mouvement de la classe ouvrière qui soude, autour de sa perspective historique l’ensemble de ces éléments. En ce sens, les jeunes qui s’inquiètent pour leur avenir ne doivent pas être découragés par la défaite immédiate. Ils doivent poursuivre leur réflexion, entretenir les discussions sur les questions de fond : pourquoi le capitalisme ne cesse d’entraîner l’humanité vers la misère ? Quels moyens de luttes et quelles revendications permettent à l’ensemble du prolétariat de combattre en tant que classe ? Ce processus ne peut pas aboutir immédiatement car, contrairement aux agitations lycéennes, le mouvement du prolétariat n’est pas un feu de paille. S’il ne s’enflamme que progressivement, c’est justement parce qu’il s’attaque à la tâche la plus considérable qu’il ait été donné à l’humanité de réaliser : abolir la société d’exploitation et instaurer le communisme.

Pawel (25 mars)



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République démocratique du Congo, Soudan, Côte d'Ivoire : L'Afrique dévastée par les rivalités impérialistes

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Depuis une quinzaine d’années, l’Afrique, en permanence à feu et à sang, paie un lourd tribu à l'impasse mondiale du capitalisme. Destruction des vies et de l’environnement, maladies terribles, misère absolue de la population et du prolétariat sont la conséquence de guerres impliquant directement les grandes puissances et dont elles sont responsables au premier chef. Bien qu'il n'existe aucun havre de paix sur ce continent, la situation est actuellement particulièrement dramatique en RDC, au Soudan, en Côte d’Ivoire, au Togo.

La paix impossible en RDC (Congo ex-Zaïre)

Suite aux massacres en masse de l’été dernier à l’est de la RDC (ex-Zaïre) perpétrés par les bandes sanguinaires qui chassaient des populations d’origine tutsie, les tueries s’intensifient et impliquent même les forces de l’ONU. En effet, dans cette région, depuis août dernier, la guerre a déjà fait des milliers de morts venant s’ajouter aux 60 000 victimes et 500 000 déplacés de 2003.

Dans ce contexte, sous prétexte de "venger" leurs collègues tués par des bandes armées, les militaires de l’ONU, qui s'impliquent de plus en plus directement dans la guerre en RDC, ont mis à leur actif ce mois-ci la mort d'une centaine de miliciens congolais.

De leur côté, les autorités criminelles rwandaises et congolaises, qui encadrent les diverses bandes, s’apprêtent à en découdre en envoyant leurs troupes respectives dans les zones de combats. Une fois encore, le chaos sanglant de la RDC est sur le point d’embraser toute la région des Grands Lacs, alors que les grandes puissances et l’ONU tentent de dissimuler leurs propres responsabilités criminelles dans les massacres.

Dix ans de destruction massive du pays, de massacres et de mutilations par millions, n’ont pas suffi aux charognards impérialistes. Pourtant officiellement, ces gens-là ne sont présents sur le terrain que pour assurer la "paix", la "réconciliation", la "démocratie"…

Mais qu’en est-il en réalité ?

La vérité, c’est qu'au lendemain de l’accomplissement de l’abominable "génocide rwandais", la France et les Etats-Unis téléguidant les cliques rwandaises qui s’entredéchiraient alors, se sont retrouvés face à face sur le sol congolais pour poursuivre leurs sanglants règlements de comptes par alliés locaux interposés. Et on connaît la suite : des tueries incessantes et des millions de morts et de blessés. A ce sujet, deux organismes, une ONG basée à New York (IRC) et un centre de recherche médical australien, ont produit un rapport rendu public en décembre dernier qui montre que la guerre en RDC a fait en réalité 3,8 millions de morts depuis 1996. Soit l’équivalent de mille morts par jour, faisant ainsi du conflit en RDC le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale. Les grandes puissances démocratiques ont pour ainsi dire passé sous silence ce génocide de près de 4 millions de victimes, qui n'a pu être exécuté sans leur complicité active.

Aujourd’hui, alors que les tueries se poursuivent et face à la menace de la généralisation du chaos sanglant, l’ONU et les grandes puissances appellent à la "retenue", tout en envoyant leurs émissaires prodiguer des "conseils" aux divers chefs de guerre.

Ces manœuvres diplomatiques ne sont qu’un habillage des agissements criminels des grandes puissances impérialistes en vue de préserver leurs sordides intérêts capitalistes. En effet, rappelons-nous que depuis le début de la guerre, il y a déjà eu des dizaines de "plans de paix" et de résolutions de l’ONU suivis d’innombrables "cessez- le feu" qui n'ont jamais arrêté la boucherie.

Aujourd’hui, face à la nouvelle vague des tueries en masse, les grandes puissances restent de marbre, ou plutôt continuent à téléguider en coulisses les cliques sanguinaires sans même faire semblant d’arrêter les assassins.

Le rôle criminel de l’ONU dans le conflit en constitue une illustration. Pas plus qu'en mai 2003, où ils assistaient passivement à l’assassinat de plus de 60 000 personnes en Ituri, les Casques bleus de l’ONU présents en RDC n’empêchent les massacres. Mais en plus, leurs membres participent directement à des exactions, comme les violences sexuelles, en compagnie des autres criminels. C'est à un point tel que le secrétariat de Kofi Annan a dû admettre publiquement que des "Casques bleus déployés au Congo ont commis des abus sexuels" ( !). Ces crimes sont encore plus odieux au regard du nombre des victimes (40 000 depuis le début de la guerre) et du fait que ce sont des enfants, filles et garçons, qui sont victimes des violences sexuelles. En clair, l’ONU ne se contente pas de tromper son monde sur le fait qu'elle serait une "force de paix", mais elle est directement impliquée dans les opérations criminelles des puissances impérialistes.

Ce sont les mêmes grandes puissances qui ont plongé ce pays dans un chaos sans fin qui tentent de dissimuler leurs responsabilités à travers une propagande mensongère. En effet, pour masquer ses menées guerrières, la bourgeoisie des grands pays capitalistes brandit systématiquement aux yeux du monde des "plans de paix" et de "réconciliation" pour cette région. En 2003, les grands parrains impérialistes des cliques congolaises avaient réussi à imposer à celles-ci un compromis débouchant sur la formation d’un "gouvernement d’union nationale".

Cet épisode a été l’occasion pour la bourgeoisie de parler de l’arrivée d’une "nouvelle ère de paix" et de "réconciliation" en RDC. Mystification grossière ! Le simulacre de gouvernement mis en place n’a pas été long à vaciller quand, en juin dernier, un de ses membres a pris les armes pour occuper la ville de Bukavu en massacrant et faisant fuir par milliers les populations civiles.

Bras armé de pays qui cherchent à contrôler la région, chaque groupe aiguise ses armes contre les autres. Tous ces gangsters qui ne vivent que de la guerre précipitent le pays dans le massacre de tous contre tous.

Autrement dit, contrairement à la propagande mensongère de la bourgeoisie, la paix est impossible dans cette zone. La perspective pour la RDC, c’est la poursuite et la généralisation de la barbarie guerrière.

Soudan (Darfour) : les puissances impérialistes encouragent les massacres

Depuis l’été 2003 les massacres se poursuivent au Darfour soudanais et le responsable onusien des "affaires humanitaires" vient d’annoncer, lui-même, le chiffre de 180 000 morts en 18 mois. Pendant toute cette période, les grandes puissances impérialistes de l’ONU se sont déclaré "préoccupées" par le "génocide" et les "crimes contre l’humanité" commis au Soudan, mais dans les faits, elles ont armé, soutenu et manipulé en sous-main les belligérants. En effet, le régime soudanais arme et protège les milices sanguinaires qui s’acharnent sur les populations accusées de soutenir les rebelles, tandis que ces derniers sont armés et financés par certains pays voisins comme le Tchad. Mais en réalité, derrière ces deux pays et les rebelles, il y a d'autres vautours impérialistes encore plus puissants, notamment français et américains qui, derrière des discussions sur des "résolutions de paix", se disputent le contrôle des cliques locales et de la région. Le masque tombe à l’ONU en révélant l’hypocrisie criminelle de ces messieurs :

"Les Américains ont intégré un deuxième volet de sanctions contre le régime de Khartoum, qui gêne les Russes, les Chinois et les Algériens. Les Européens, qui votent sans problème les sanctions, s’opposent en revanche aux Etats-Unis sur la partie du texte concernant la poursuite des responsables des exactions perpétrées au Darfour". (Le Monde du 19 mars 2005)

Voilà comment se déroulent les fameuses "négociations de paix" à l’ONU pour soi-disant arrêter le "génocide" au Darfour, le cynisme des grandes puissances impérialistes n’a d’égal que les degrés de barbarie dont ils portent la responsabilité. Non seulement ces brigands sont les complices des bandes sanguinaires qui massacrent, mais de surcroît ils ont le plus total mépris du sort des populations et des 200 000 morts de cette guerre.

Côte d’Ivoire : la guerre menace de se généraliser

La guerre entre cliques armées repart et menace de généraliser le chaos sanglant sous les yeux des 11 000 militaires de l’ONU et de l’impérialisme français. En effet une milice présidentielle de Gbagbo a attaqué ces jours–ci une position des rebelles du Nord et ceux-ci ont répliqué en décidant de mettre fin à la "médiation de paix" du président sud- africain pour mieux se préparer à une recrudescence de la guerre. Ce nouvel affrontement était prévisible car, depuis quelque temps, les soldats de l’ONU et de la France présents sur le terrain laissaient passer les conteneurs bourrés de munitions à destination des belligérants et ce alors même qu’un embargo avait été instauré officiellement, par le Conseil de sécurité, pour soi-disant empêcher l’exportation des armes. Quel cynisme !

Par ailleurs, sur fond d’affrontements militaires sur le terrain, les rivalités impérialistes s’intensifient sur le plan diplomatique. Ainsi, le président Chirac a été jusqu’à dénoncer publiquement son homologue sud-africain en l’accusant de saboter la politique française dans cette région. En coulisses, les Français soupçonnent les Sud-Africains de s’entendre avec le pouvoir ivoirien sur leur dos. Et cela révèle les appétits criminels de ces deux puissances impérialistes pour le contrôle du pouvoir ivoirien. Ce n'est pas pour autre chose que la France est toujours présente sur place avec 5000 hommes.

Togo : les menaces de chaos

La disparition subite (le 5 février dernier) du général président, Gnassingbé Eyadema risque de déboucher sur un chaos sanglant à cause des convoitises impérialistes dont le pays est l'objet. Les premiers affrontements entre les successeurs du défunt général et l’opposition ont déjà fait plusieurs morts et blessés. Là à nouveau, les diverses cliques locales qui s’affrontent deviennent, de fait, les instruments des Etats impérialistes qui les soutiennent. Ainsi, dès l’annonce du décès du président togolais, les diverses puissances locales (la Libye, le Burkina, le Ghana, etc.) en compagnie de la France se sont précipitées sur le fils, Faure (désigné par les militaires fidèles au père) pour tenter de le contrôler et de le soumettre à leurs intérêts impérialistes respectifs. L’impérialisme français est sur les dents et fait tout pour conserver son influence au Togo. En effet, les relations entre la France et le Togo ont toujours été marquées par la logique "gaullo-barbouzarde" (cette expression exprimant le fait que les réseaux du général de Gaulle en Afrique étaient constitués de barbouzes) de l’ancienne puissance coloniale. D’ailleurs, Eyadema en était l’exemple parfait, lui qui a été formé et téléguidé pendant 40 ans pour servir les intérêts de l’impérialisme français. C’est ainsi qu’il avait pu organiser des coups d’Etat militaires (en 1963, puis en 1967) contre des opposants d’alors à la politique française (l’ex-président Olimpio) grâce à la "couverture" de Foccart, ex- "grand chef" des "barbouzes gaullistes", le défunt "conseiller spécial en matière africaine" du général de Gaulle. Et ce n’est pas un hasard si, après la mort d’Eyadema, Chirac affirme publiquement "qu’avec lui disparaît un ami de la France qui était pour moi un ami personnel".

Ce propos du président français montre clairement que, pour préserver ses intérêts dans cet ancien bastion colonial, l’impérialisme français se prépare à la confrontation qui se dessine au Togo.

Ce qui se prépare dans ce pays, comme dans d'autres pays cités, c’est le processus à la congolaise. En clair, la perspective pour l’Afrique tout entière, c’est ce qui se déroule déjà en RDC, c'est-à-dire la généralisation de la barbarie sans fin.


Pour renverser une telle perspective, ce n'est évidemment pas sur une puissance de premier ou de troisième ordre qu'il faut compter, ni sur une institution internationale comme l'ONU qui n'est qu'un repaire de brigands, mais bien sur le renversement du capitalisme par la classe ouvrière.

Amina (24 mars)



Récent et en cours: 

  • Côte d'Ivoire [20]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [4]
  • Impérialisme [6]

Révolution de 1905 en Russie (2° partie) : Le prolétariat affirme sa nature révolutionnaire

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Dans la première partie de cet article, (voir RI n°355), nous avions souligné le contexte international et rappelé le cadre général de la révolution de 1905 en Russie. Nous avions alors rappelé l’importance des leçons tirées pour la classe ouvrière.

Dans la deuxième partie de cet article, comme nous l’avions annoncé, nous allons revenir sur la nature prolétarienne de ces événements et sur la dynamique de la grève de masse qui a conduit le prolétariat à faire surgir de son combat de nouveaux organes d’organisation et de pouvoir : les soviets. Nous verrons que toute la créativité de la classe ouvrière, à l’aube du déclin du capitalisme, s’est effectuée sans aucun rôle majeur des syndicats et de la lutte parlementaire. La capacité de la classe ouvrière à prendre elle-même en main son avenir, sur la base de son expérience accumulée et de sa solidarité, préfigurait déjà de nouvelles responsabilités pour elle et son avant-garde. Ainsi, des positions décisives pour le mouvement ouvrier, dans la phase de décadence du capitalisme, étaient déjà inscrites et présentes en 1905.

Les éléments essentiels de l’histoire étant retracés, nous voulons ici souligner un premier point : la révolution de 1905 a un protagoniste fondamental, le prolétariat russe, et toute sa dynamique suit strictement la logique de cette classe.

Lénine lui même est assez clair sur cela quand il rappelle qu’à part son caractère "démocratique bourgeois" dû à son "contenu social", "La révolution russe était en même temps une révolution prolétarienne non seulement parce que le prolétariat y était la force dirigeante, l’avant-garde du mouvement, mais aussi parce que l’instrument spécifique du prolétariat, la grève, constituait le levier principal permettant de mettre en branle des masses et le fait le plus caractéristique de la vague montante des événements décisifs" (1 [21]). Mais quand Lénine parle de grève, nous ne devons pas y voir des actions de 4, 8 ou 24 heures du type de ce que nous proposent les syndicats aujourd’hui dans tous les pays du monde. En fait, avec 1905 se développe ce qu’on a appelé ensuite la grève de masse, cet "océan de phénomènes" – comme l’a caractérisé Rosa Luxemburg – c’est-à-dire l’extension et l’auto-organisation spontanées de la lutte du prolétariat qui vont caractériser tous les grands moments de lutte du 20e siècle (2 [22]). L’aile gauche dont les Bolcheviks, Rosa Luxemburg, Pannekoek, y verra la confirmation de ses positions (contre le révisionnisme à la Bernstein (3 [23]) et le crétinisme parlementaire) mais devra s’atteler à un travail théorique approfondi pour comprendre pleinement le changement des conditions de vie du capitalisme - la phase de l’impérialisme et de la décadence - qui déterminait le changement dans les buts et les moyens de la lutte de classe. Mais déjà, Luxemburg en dessinait les prémices : "La grève de masse apparaît ainsi non pas comme un produit spécifiquement russe de l’absolutisme, mais comme une forme universelle de la lutte de classe prolétarienne déterminée par le stade actuel du développement capitaliste et des rapports de classe (…) la révolution russe actuelle éclate à un point de l’évolution historique situé déjà sur l’autre versant de la montagne, au-delà de l’apogée de la société capitaliste." (4 [24])

La grève de masse n’est pas un simple mouvement des masses, un genre de révolte populaire englobant "tous les opprimés" et qui serait, par essence, positive comme les idéologies gauchistes et anarchistes aujourd’hui veulent nous le faire accroire. En 1905, Pannekoek écrivait : "Si l’on prend la masse dans son sens tout à fait général, l’ensemble du peuple, il apparaît que, dans la mesure où se neutralisent réciproquement les conceptions et volontés divergentes des uns et des autres, il ne reste apparemment rien d’autre qu’une masse sans volonté, fantasque, adonnée au désordre, versatile, passive, oscillant de ci de là entre diverses impulsions, entre des mouvements incontrôlés et une indifférence apathique - bref, comme on le sait, le tableau que les écrivains libéraux peignent le plus volontiers du peuple (…) Ils ne connaissent pas les classes. A l’opposé, c’est la force de la doctrine socialiste que d’avoir apporté un principe d’ordre et un système d’interprétation de l’infinie variété des individualités humaines, en introduisant le principe de la division de la société en classes." (5 [25])

Alors que la bourgeoisie et, avec elle, les opportunistes dans le mouvement ouvrier se détournaient avec dégoût du mouvement "incompréhensible" de 1905 en Russie, la gauche révolutionnaire allait tirer les leçons de la nouvelle situation : "…les actions de masse sont une conséquence naturelle du développement du capitalisme moderne en impérialisme, elles sont sans cesse davantage la forme de combat qui s’impose à lui." (6 [26])

La grève de masse n’est pas non plus une recette toute prête comme la "grève générale" prônée par les anarchistes (7 [27]), mais le mode d’expression de la classe ouvrière, une façon de regrouper ses forces pour développer sa lutte révolutionnaire. "En un mot : la grève de masse comme la révolution russe nous en offre le modèle, n’est pas un moyen ingénieux, inventé pour renforcer l’effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la forme de manifestation de la lutte prolétarienne dans la révolution" (8 [28]). La grève de masse est quelque chose dont aujourd’hui nous n’avons pas une idée directe et concrète sinon, pour ceux qui sont moins jeunes, à travers ce qu’a représenté la lutte des ouvriers polonais en 1980 (9 [29]). Référons-nous donc encore à Luxemburg qui en donne un cadre solide et lucide : "les grèves en masse - depuis la première grande grève revendicative des ouvriers du textile à Saint-Pétersbourg en 1896-1897 jusqu’à la dernière grande grève de décembre 1905 - sont passées insensiblement du domaine des revendications économiques à celui de la politique, si bien qu’il est presque impossible de tracer des frontières entre les unes et les autres. Mais chacune des grandes grèves de masse retrace pour ainsi dire en miniature, l’histoire générale des grèves en Russie, commençant par un conflit syndical, purement revendicatif ou du moins partiel, parcourant ensuite tous les degrés jusqu’à la manifestation politique. (…) La grève de masse de janvier 1905 a débuté par un conflit à l’intérieur des usines Poutilov, la grève d’octobre par les revendications des cheminots pour leur caisse de retraite, la grève de décembre enfin, par la lutte des employés des postes et du télégraphe pour le droit de coalition. Le progrès du mouvement ne se manifeste pas par le fait que l’élément économique disparaît, mais plutôt par la rapidité avec laquelle on parcourt toutes les étapes jusqu’à la manifestation politique, et par la position plus ou moins extrême du point final atteint par la grève en masse.(…) Le facteur économique et le facteur politique, bien loin de se distinguer complètement ou même de s’exclure réciproquement (…) constituent dans une période de grève de masse deux aspects complémentaires de la lutte de classe prolétarienne en Russie". (10 [30]) Rosa Luxemburg aborde ici un aspect central de la lutte révolutionnaire du prolétariat : l’unité inséparable de la lutte économique et de la lutte politique. A l’inverse de ceux qui, à l’époque, affirment que la lutte politique représente le dépassement, la partie noble pour ainsi dire, de la lutte du prolétariat dans ses confrontations avec la bourgeoisie, Luxemburg explique au contraire clairement comment la lutte économique se développe du terrain économique au terrain politique pour ensuite revenir avec une force accrue sur le terrain de la lutte revendicative. Tout cela est particulièrement clair quand on relit les textes sur la révolution de 1905 et concernant le printemps et l’été. De fait, on voit comment le prolétariat qui avait commencé avec une manifestation politique revendiquant des droits démocratiques lors du dimanche sanglant, à un niveau extrêmement humble, non seulement n’a pas reculé après la forte répression mais en est sorti avec une énergie renouvelée et renforcée et est monté à l’assaut pour la défense de ses conditions de vie et de travail. C’est ainsi que dans les mois qui ont suivi, il y a eu une multiplication des luttes. Cette période a été aussi d’une grande importance parce que, comme le souligne encore Rosa Luxemburg, elle a donné au prolétariat la possibilité d’intérioriser, a posteriori, tous les enseignements du prologue de janvier et de se clarifier les idées pour le futur.

Caractère spontané de la révolution et confiance dans la classe ouvrière

Un aspect qui est particulièrement important dans le processus révolutionnaire dans la Russie de 1905, c’est son caractère fortement spontané. Les luttes surgissent, se développent et se renforcent, donnant naissance à de nouveaux instruments de lutte tels que la grève de masse et les soviets, sans que les partis révolutionnaires de l’époque ne réussissent à être dans le coup ou même à comprendre complètement sur le moment les implications de ce qui se passe. La force du prolétariat dans le mouvement sur le terrain de ses propres intérêts de classe est formidable et contient en elle-même une créativité impensable. C’est Lénine lui même qui le reconnaît un an après en faisant le bilan de la révolution de 1905 : "De la grève et des manifestations, l’on passe à la construction de barricades isolées. Des barricades isolées, à la construction de barricades en masse et aux batailles de rue contre la troupe. Par dessus la tête des organisations, la lutte prolétarienne de masse est passée de la grève à l’insurrection. Là est la grande acquisition historique de la révolution russe, acquisition due aux événements de décembre 1905 et faite, comme les précédentes, au prix de sacrifices immenses. De la grève politique générale le mouvement s’est élevé à un degré supérieur. Il a forcé la réaction à aller jusqu’au bout dans sa résistance : c’est ainsi qu’il a formidablement rapproché le moment où la révolution elle aussi ira jusqu’au bout dans l’emploi de ses moyens d’offensive. La réaction ne peut aller au-delà du bombardement des barricades, des maisons et de la foule. La révolution, elle, peut aller au-delà des groupes de combat de Moscou, elle a du champ et quel champ en étendue et en profondeur ! (…) Le changement des conditions objectives de la lutte qui imposait la nécessité de passer de la grève à l’insurrection, fut ressenti par le prolétariat bien avant que par ses dirigeants. La pratique, comme toujours, a pris le pas sur la théorie." (11 [31])

Ce passage de Lénine est particulièrement important aujourd’hui dans la mesure où nombre de doutes présents chez les éléments politisés et jusqu’à un certain point, à l’intérieur des organisations prolétariennes, sont liés à l’idée que le prolétariat ne réussira jamais à émerger de l’apathie dans laquelle il semble parfois être tombé. Ce qui s’est passé en 1905 en est le démenti le plus éclatant et l’émerveillement que nous éprouvons lorsque nous voyons ce caractère spontané de la lutte de classe n’est que l’expression d’une sous-estimation des processus qui se déroulent en profondeur dans la classe, de cette maturation souterraine de la conscience dont parlait déjà Marx, quand il se référait à "la vieille taupe". La confiance dans la classe ouvrière, dans sa capacité à donner une réponse politique aux problèmes qui affectent la société, est une question primordiale à l’époque actuelle. Après l’écroulement du mur de Berlin et la campagne de la bourgeoisie qui s’en est suivi sur la faillite du communisme faussement identifié à l’infâme régime stalinien, la classe ouvrière éprouve des difficultés à se reconnaître en tant que classe et, par conséquent, à se reconnaître dans un projet, dans une perspective, dans un idéal pour lequel combattre. Le manque de perspective produit automatiquement une chute de la combativité, un affaiblissement de la conviction qu’il est nécessaire de se battre, parce qu’on ne lutte pas pour rien mais seulement si on a un objectif à atteindre. C’est pour cela qu’aujourd’hui, le manque de clarté sur la perspective et le manque de confiance en elle-même de la classe ouvrière sont fortement liés entre eux. Mais c’est fondamentalement dans la pratique qu’une telle situation peut être dépassée, à travers l’expérience directe par la classe ouvrière de ses possibilités et de la nécessité de lutter pour une perspective. C’est ce qui s’est produit justement en Russie en 1905 quand "en quelques mois, les choses changèrent du tout au tout. Les centaines de sociaux-démocrates révolutionnaires furent "subitement" des milliers, et ces milliers devinrent les chefs de deux à trois millions de prolétaires. La lutte prolétarienne suscita une grande effervescence, et même en partie un mouvement révolutionnaire, au plus profond de la masse des cinquante à cent millions de paysans ; le mouvement paysan eut une répercussion dans l’armée et entraîna des révoltes militaires, des engagements armés entre les troupes." (12 [32]) Cela ne constituait pas une nécessité seulement pour le prolétariat en Russie, mais pour le prolétariat mondial, y inclus le plus développé, le prolétariat allemand :

"Dans la révolution, où la masse elle même paraît sur la scène politique, la conscience de classe devient concrète et active. Aussi une année de révolution a-t-elle donné au prolétariat russe cette "éducation" que trente ans de luttes parlementaires et syndicales ne peuvent donner artificiellement au prolétariat allemand. (…) Mais, inversement, il est non moins certain qu’en Allemagne, dans une période d’actions politiques énergiques, un instinct de classe vivant révolutionnaire, avide d’agir, s’emparera des couches les plus larges et les plus profondes du prolétariat ; cela se fera d’autant plus rapidement et avec d’autant plus de force que l’influence éducatrice de la social-démocratie aura été plus puissante". (13 [33]) On peut dire aujourd’hui, en paraphrasant Rosa Luxemburg, qu’il est tout aussi vrai qu’actuellement, dans le monde, dans une période de crise économique profonde et devant l’incapacité patente de la bourgeoisie à faire face à la faillite de tout le système capitaliste, un sentiment révolutionnaire actif et vivant s’emparera des secteurs les plus mûrs du prolétariat mondial et il le fera en particulier dans les pays à capitalisme avancé dans lesquels l’expérience de la classe a été la plus riche et la plus enracinée et dans lesquels sont plus présentes les forces révolutionnaires encore faibles. Cette confiance que nous exprimons aujourd’hui dans la classe ouvrière, n’est pas un acte de foi, ni ne correspond à une attitude de confiance aveugle, mystique, mais elle est fondée justement sur l’histoire de cette classe et sur la capacité de reprise, parfois surprenante, dans une situation de torpeur apparente, parce que, comme nous avons essayé de le montrer, s’il est vrai que les dynamiques à travers lesquelles se produisent les processus de maturation de sa conscience sont souvent obscurs et difficiles à comprendre, il est tout à fait certain que cette classe est historiquement contrainte, de par sa place dans la société de classe exploitée et de classe révolutionnaire en même temps, de se dresser contre la classe qui l’opprime, la bourgeoisie et dans l’expérience de ce combat, elle retrouvera la confiance en elle-même qui lui fait défaut aujourd’hui : "Auparavant, nous avions une masse impuissante, docile, d’une inertie de cadavre face à la force dominante qui, elle, est bien organisée et sait ce qu’elle veut, qui manipule la masse à son gré ; et voilà que cette masse se transforme en humanité organisée, capable de déterminer son propre sort en exerçant sa volonté consciente, capable de faire face crânement à la vieille puissance dominante. Elle était passive ; elle devient une masse active, un organisme doté de sa vie propre, cimentée et structurée par elle-même, dotée de sa propre conscience, de ses propres organes" (14 [34]).

De pair avec le développement de la confiance de la classe ouvrière en elle-même, apparaît nécessairement un autre élément crucial de la lutte du prolétariat : la solidarité dans ses rangs. La classe ouvrière est la seule classe qui est vraiment solidaire par essence parce qu’il n’existe en son sein aucun intérêt économique divergent - contrairement à la bourgeoisie, classe de la concurrence et dont la solidarité ne s’exprime au plus haut degré que dans les limites nationales ou bien contre son ennemi historique, le prolétariat. La concurrence au sein du prolétariat lui est imposée par le capitalisme, mais la société qu’il porte dans ses flancs et dans son être est une société qui met fin à toutes les divisions, une véritable communauté humaine. La solidarité prolétarienne est une arme fondamentale de la lutte du prolétariat ; elle était à l’origine du grandiose bouleversement de l’année 1905 en Russie : "l’étincelle qui a provoqué l’incendie a été un conflit commun entre capital et travail : la grève dans une usine. Il est intéressant de noter cependant que la grève des 12 000 ouvriers de Poutilov, déclenchée le lundi 3 janvier, a été d’abord une grève proclamée au nom de la solidarité prolétarienne. La cause en a été le licenciement de 4 ouvriers. "Quand la demande de réintégration a été rejetée – écrit un camarade de Pétersbourg le 7 janvier – l’usine s’est arrêtée d’un seul coup, à l’unanimité totale"." (15 [35])

Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui, la bourgeoisie s’efforce de galvauder la notion de solidarité qu’elle présente sous une forme "humanitaire" ou encore à la sauce de "l’économie solidaire", un des gadgets du nouveau "mouvement" altermondialiste qui s’efforce de dévoyer la prise de conscience qui s’effectue peu à peu dans les profondeurs de la société sur l’impasse que représente le capitalisme pour l’humanité. Si la classe ouvrière dans son ensemble n’est pas encore consciente aujourd’hui de la puissance de sa solidarité, la bourgeoisie, elle, n’a pas oublié les leçons que le prolétariat lui a infligées dans l’histoire.

"Dans la tempête révolutionnaire, le prolétaire, le père de famille prudent, soucieux de s’assurer un subside, se transforme en "révolutionnaire romantique" pour qui le bien suprême lui-même - la vie - et à plus forte raison le bien-être matériel n’ont que peu de valeur en comparaison de l’idéal de la lutte. S’il est donc vrai que c’est à la période révolutionnaire que revient la direction de la grève au sens de l’initiative de son déclenchement et de la prise en charge des frais, il n’en est pas moins vrai qu’en un tout autre sens la direction dans les grèves de masse revient à la social-démocratie et à ses organismes directeurs. (…) La social-démocratie est appelée, dans une période révolutionnaire, à en prendre la direction politique. La tâche la plus importante de "direction" dans la période de grève de masse, consiste à donner le mot d’ordre de la lutte, à l’orienter, à régler la tactique de la lutte politique de telle manière qu’à chaque phase et à chaque instant du combat, soit réalisée et mise en activité la totalité de la puissance du prolétariat déjà engagée et lancée dans la bataille" (16 [36]). Pendant l’année 1905, bien souvent les révolutionnaires (appelés à l’époque les sociaux-démocrates) ont été surpris, devancés, dépassés par l’impétuosité du mouvement, sa nouveauté, son imagination créative et n’ont pas toujours su donner les mots d’ordre dont parle Luxemburg, "à chaque phase, à chaque instant" et ont même commis des erreurs importantes. Cependant, le travail révolutionnaire de fond qu’ils ont mené avant et pendant le mouvement, l’agitation socialiste, la participation active à la lutte de leur classe ont été des facteurs indispensables dans la révolution de 1905 ; leur capacité, ensuite, de tirer les leçons de ces événements a préparé le terrain de la victoire de 1917.

Ezechiele

(D’après la Revue Internationale n°120, 1er trimestre 2005)




1 [37]Lénine : "Rapport sur la révolution de 1905".

2 [38]Voir notre article "Les conditions historiques de la généralisation de la lutte de la classe ouvrière" dans la Revue internationale n°26, 3e trimestre 1981.

3 [39]Bernstein était, dans la social-démocratie allemande, le promoteur de l’idée d’une transition pacifique au socialisme. Son courant est connu sous le terme de révisionnisme. Rosa Luxemburg le combat comme l’expression d’une dangereuse déviation opportuniste qui affecte le parti, dans sa brochure Réforme sociale ou révolution.

4 [40]R. Luxemburg : Grève de masse, Parti et syndicats.

5 [41]"Marxisme et téléologie", publié dans la Neue Zeit en 1905, cité dans "Action de masse et révolution" (1912).

6 [42]Pannekoek : "Action de masse et révolution", Neue Zeit en 1912.

7 [43]D’ailleurs les anarchistes n’ont joué aucun rôle en 1905. L’article dans notre Revue Internationale n° 120 sur la CGT en France souligne que 1905 ne trouve aucun écho chez les anarcho-syndicalistes. Comme le met en lumière Rosa Luxemburg, dès l’entrée, dans sa brochure Grève de masse, parti et syndicats, "l’anarchisme est absolument inexistant dans la révolution russe comme tendance politique sérieuse". "La révolution russe, cette même révolution qui constitue la première expérience historique de la grève générale, non seulement ne réhabilite pas l’anarchisme, mais encore aboutit à une liquidation historique de l’anarchisme."

8 [44]Rosa Luxemburg : Grève de masse, parti et syndicats.

9 [45]Voir notre brochure sur la Pologne 80.

10 [46]Rosa Luxemburg : Grève de masse, parti et syndicats.

11 [47]Lénine : "Les enseignements de l’insurrection de Moscou", 1906

12 [48]Lénine : "Rapport sur la révolution de 1905."

13 [49]Rosa Luxemburg : Grève de masse, parti et syndicats.

14 [50]Pannekoek : "Action de masse et révolution", Neue Zeit en 1912

15 [51]Lénine : "Grève économique et grève politique"

16 [52]Rosa Luxemburg : Grève de masse, parti et syndicats.

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Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [53]

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