Depuis des semaines, les joutes verbales des politiciens patentés occupent le devant de la scène médiatique. Les journaux reprennent en chœur les derniers propos provocateurs de tel homme politique fustigeant tel autre. Et puis les sondages, les sondages et encore les sondages. Bref, l’appareil électoral est en branle dans sa marche grotesque vers la grande mascarade démocratique.
Comme de coutume, toute l’attention est portée sur les propos de tel ou tel personnage politique, sur son style vestimentaire, sur sa stratégie de campagne électorale, sur les restaurants qu’il fréquente, etc. C’est la façon que la bourgeoisie a de toucher… oh pardon… de traiter le fond. Toute cette gesticulation n’a pour but que de masquer l’absence totale de propositions réelles pour améliorer la situation. La bourgeoisie, qu’elle soit de gauche comme de droite, n’a en réalité aucune alternative à proposer à l’enfoncement de cette société vers la misère et la barbarie. Gauche et droite mènent partout la même politique, attaquent partout violemment les conditions de vie. Il suffit de demander aux travailleurs vivant en Grèce, en Espagne et au Portugal ce qu’ils pensent des “socialistes”. Et à ceux qui croient que le PS français est différent, qu’ils se remémorent ce qu’ont été sous Mitterrand les années 1980 et 1990 et sa politique anti-ouvrière.
Le seul argument de poids de Hollande auprès des travailleurs, des chômeurs, des précaires, des retraités…, ce n’est pas sa politique (qui sera faite d’une sévère cure d’austérité comme chacun sait), mais la nature horripilante de son concurrent nommé Sarkozy. Ce président sortant, complètement imbu de sa personne, n’hésitant pas à user de ce langage particulièrement grossier qui lui est propre, a cette incroyable capacité à concentrer dans un si petit corps autant d’aspects insupportables. Le “style Sarko” est si stérile et prétentieux qu’il représente même une menace pour la crédibilité de la bourgeoisie française dans son ensemble aux yeux de la communauté internationale. Il n’est donc pas surprenant que de nombreuses critiques viennent remplir les pages de la presse et des médias, y compris de droite.
Mais ce “nabot”, comme certains se plaisent à le nommer, est-il pire que les autres membres de sa classe ? Plus insupportable, certainement. Mais son remplaçant, si remplaçant il y a, ne mènera-t-il pas exactement la même politique anti-ouvrière ?
Les principales réformes menées depuis ces 40 dernières années sont le fruit du travail commun de la gauche et de la droite. En 1991, le fameux “livre blanc” sur les retraites de Rocard1 a constitué les prémices d’une attaque majeure contre le système des retraites. C’est sur cette base qu’a été menée la réforme de Woerth en 2010. L’actuelle loi sur la législation du travail et son fameux article 40 qui impose sans l’accord des travailleurs des conditions de travail nécessaires au patronat est une extension de la loi Aubry sur les 35 heures qui permet à l’Etat et aux patrons de rendre corvéables à merci tous les ouvriers. Ce sont les mêmes paroles de Felipe Gonzales du Parti socialiste ouvrier espagnol qui, en 2003, justifiait une réforme visant à précariser plus le travail sous prétexte que le travail n’est pas la propriété du travailleur (2).
Autrement dit, l’anti-sakozysme mis en avant pour pousser dans les isoloirs est un piège car il entretient une illusion, celle que les autres représentants politiques peuvent mener une politique différente, plus humaine et, ce faisant, elle détourne de la seule riposte possible contre les attaques : la lutte !
Cette réalité que droite et gauche sont comme la peste et le choléra est comprise par une partie toujours croissante de la population. Pourtant, nombreux sont ceux pour qui il est impensable de ne pas voter. Ne pas se rendre dans l’isoloir à chaque grande messe électorale est même une chose honteuse pour la société, ceux qui avouent cette “faute” à un repas de famille ou à leurs collègues sont aussitôt montrés du doigt. Et la même phrase sentencieuse revient alors presque toujours : “Mais tu te rends compte que des gens sont morts pour qu’on ait le droit de vote ?” Qui est mort ? Quand ? Pourquoi ? Où ? Lors de quelle lutte ? Personne ne le sait mais tout le monde est persuadé que le droit de vote a été arraché au prix du sang. Quelle est la réalité ?
Au xixe siècle, la lutte ouvrière contre l’exploitation et l’oppression de la bourgeoisie passait nécessairement par une lutte pour des réformes, par d’âpres batailles revendicatives pour conquérir et arracher des améliorations possibles, réelles et durables des conditions de travail et d’existence sur le terrain économique et politique. A cette époque, le parlement pouvait être utilisé comme une tribune grâce à laquelle la classe ouvrière pouvait faire entendre sa voix, s’affirmer comme une force sociale dans un capitalisme encore florissant. De ce fait, tout en combattant les illusions sur la possibilité de parvenir au socialisme par des voies démocratiques, pacifiques, réformistes, les révolutionnaires étaient néanmoins partie prenante du combat pour l’obtention du suffrage universel. Ils appelaient les ouvriers dans certaines circonstances à participer aux élections et au parlement bourgeois pour favoriser l’obtention de telles réformes en jouant sur les oppositions entre fractions progressistes et réactionnaires de la classe dominante qui s’y affrontaient. A cette époque donc, effectivement, il y a avait des manifestations pour le suffrage universel qui étaient réprimées, souvent violemment.
Mais au xxe siècle, l’attitude de la bourgeoisie change. En France et en Belgique par exemple, les femmes accèdent au suffrage universel après la Seconde Guerre mondiale sans qu’il y ait même besoin de descendre dans la rue pour le réclamer. Dans certains pays, les travailleurs sont obligés par la loi d’aller voter, sous peine d’amende. En France, très régulièrement, cette “obligation citoyenne” est avancée par tel ou tel politique, telle que Ségolène Royal en 2007. Et lors de chaque campagne électorale, l’Etat, celui-là même qui tirait dans la foule manifestant pour le droit de vote au xixe siècle, ce même Etat paye aujourd’hui des spots publicitaires pour nous pousser tous, jeunes et vieux, chômeurs ou retraités, à aller poser notre petit bulletin dans l’urne. Pourquoi ? Pourquoi, de gauche comme de droite, tiennent-ils tous tant à nous faire voter ? La raison est simple, c’est eux qui y gagnent, à tous les coups, et non plus nous.
Depuis des décennies, le capitalisme s’enfonce dans la crise, plus aucune réforme progressiste n’est possible. Nos conditions de vie ne cessent de se dégrader. Les fractions bourgeoises n’ont plus rien à nous proposer, nous n’avons plus rien à leur réclamer. Nous n’avons qu’une seule chose à faire, faire face ensemble, collectivement, nous les exploités, aux attaques du capital et, par ce combat, découvrir que nous pouvons construire un autre monde. C’est de ce cheminement de pensée que la bourgeoisie tente en permanence de nous détourner en essayant de nous faire croire qu’il n’y a pas besoin de faire la révolution, qu’un autre capitalisme, plus humain, est possible, “il suffit de bien voter”.
Comme le proclamait un slogan des Indignés : “Nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes ceux d’en bas contre ceux d’en haut !” Ce combat, il faudra le développer, non pas derrière les représentants patentés de la “démocratie” bourgeoise mais en prenant nos luttes en main, internationalement.
Maxime (23 février)
1) Il fut Premier ministre socialiste de François Mitterrand et est un ardent défenseur depuis toujours de la” nécessaire réforme des retraites” (entre autres) : “Michel Rocard note que la réforme menée par Eric Woerth est “non négligeable et courageuse” estimant que “le gouvernement a eu raison de la faire” mais regrettant “que le gouvernement n’ait pas suivi la voie de la négociation”. Il insiste sur le fait que de nombreux problèmes n’ont pas été tranchés, comme ceux des régimes spéciaux” (Sur le site du journal le Monde, page du 24 juin 2010).
2) Le PSOE a même poussé jusqu’à présenter cette réforme comme un concept marxiste contre la propriété privée !
Ces dernières semaines, les candidats à l’élection présidentielle ont eu une sévère tendance à confondre les usines avec le salon de l’agriculture, serrant les paluches ouvrières et multipliant les tapes sur l’épaule comme ils caressent le cul des vaches. A ce grand bal des hypocrites, pas un n’a manqué à l’appel !
A l’extrême-gauche, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud (respectivement candidat du NPA et de LO) peuvent bien s’agiter, multiplier les déplacements de terrain, rien n’y fait, la star du moment, celle qui, devant les portes des usines, soulève les foules de micros et de caméras s’appelle Jean-Luc Mélenchon. Au chevet des salariés de Fralib (Thé Eléphant), d’Arcelor Mittal, de la Fonderie du Poitou, d’Arkéma dans le Rhône, de Petroplus et de M-Real en Normandie, de Peugeot Scooters près de Sochaux, d’Alstom à Belfort…, il est partout où une usine se meurt, prônant tout à la fois l’“interdiction des licenciements boursiers”, le remboursement des subventions publiques pour une entreprise restant moins de cinq ans en France, un “droit de préemption” de l’entreprise par les salariés en cas de fermeture… Bref, plus radical, tu meurs !
Evidemment, il était hors de question pour François Bayrou de ne pas essayer de se placer au centre (1) de cette agitation pro-ouvrière. Armé de son slogan incroyablement innovant “Produire en France” (seuls les mauvais esprits y verront une vague ressemblance avec l’appel chauvin du PCF des années 1970 : “Produire français”), le président du Modem a lui aussi visité les centres industriels comme la fonderie de Conty, dans la Somme, pour plaider en faveur d’un étiquetage systématique d’un logo “Produit en France” ce qui devrait selon ses dires susciter “une vraie mobilisation nationale”. Nous n’en doutons pas.
Eva Joly, pour une fois, a refusé de se mettre au vert et de passer son tour. Elle a multiplié elle aussi les déplacements, ciblant les PME de pointe, image de marque oblige. Nul n’ayant compris ses propositions, nous ne pouvons ici vous en faire part.
Plus mouvementées sont les visites de la fille de son père, Marine Le Pen, qui est chaque fois attendue par un comité d’accueil scandant tout le bien qu’il pense de son idéologie encore plus xénophobe et nauséabonde que celle des autres partis de droite. Elle a même été quelque peu chahutée à la porte de l’usine PSA de Sochaux le 18 janvier. Pour autant, elle y retourne car elle joue là sa carte de candidate “du peuple contre les élites”.
Mais à ce petit jeu de celui qui sera le plus fidèle ami des ouvriers, les meilleurs sont indéniablement François Hollande et Nicolas Sarkozy. Ces deux jumeaux politiques, qui sur des talonnettes pourraient jouer à “grand benêt et benêt grand”, rivalisent en effet de promesses et de soudaines déclarations d’amour empathique pour “ceux qui travaillent et qui souffrent”. Et c’est fou comme ça sonne vrai :
“Perché sur le toit d’une camionnette bleue, entre trois drapeaux de la CFDT, François Hollande tend la main au délégué CGT pour l’aider à grimper. Devant l’usine sidérurgique ArcelorMittal de Florange (Moselle), toute l’intersyndicale rejoint le candidat socialiste à l’Elysée” (2). Et devant ces quelques centaines d’ouvriers, Hollande lance : “Si Arcelor ne veut plus de vous, ce qui serait un grand tort, je suis prêt à ce que nous déposions une proposition de loi pour que, quand une grande firme ne veut plus d’un outil de production, nous lui faisions obligation de le céder.” Et il continue : “Quel que soit mon avenir, soit comme président soit comme député, je reprendrai ce texte parce que je vous le dois.”
Le 20 février, Nicolas Sarkozy a mangé à la cantine de l’usine Alstom à Aytre (Charente-Maritime). Sur les photos, il affiche un air réjoui avec une petite serviette blanche à la main. Oublié le Fouquet’s et les vacances sur le yacht privé du patron Bolloré ! Il l’affirme et il le prouve, il a changé. Il a même pris soudainement conscience qu’en tant que président de la République il devait et il pouvait sauver des emplois. Il a ainsi demandé à son ami Henri Proglio, PDG d’EDF, de reprendre Photowatt (3) et à son ami et témoin de mariage (celui avec son ex femme Cécilia) Bernard Arnault, PDG de LVMH, de reprendre la très médiatique usine de fabrication de soutiens-gorges Lejaby à Yssingeaux (Haute-Loire).
UMP et PS se livrent une vraie bataille, c’est à celui qui sauvera le plus d’usines d’ici les élections : “l’annonce par Laurent Wauquiez d’un rachat par le sous-traitant de LVMH s’est faite juste après la proposition rendue publique par Montebourg d’une éventuelle reprise par l’ex-directrice de collection de la marque Princesse Tam Tam. Rarement un atelier de textile du fin fond de l’Auvergne (4)n’aura intéressé tant de repreneurs…” (5)
Ce grotesque cirque pré-électoral serait comique si, une fois les projecteurs médiatiques éteints, des milliers de familles ouvrières n’allaient pas se retrouver licenciées et démunies. Car tel est l’avenir, le vrai, celui qui va s’abattre sur notre classe. Si, en dix ans, 750 000 emplois industriels ont été détruits en France, la décennie devant nous sera plus impitoyable encore. La crise économique mondiale va ravager les bassins d’emplois, le chômage va battre record sur record. Des plans de licenciements massifs, des fermetures d’usines sont d’ailleurs déjà dans les tiroirs ministériels ; la bourgeoisie française ne fait qu’attendre que les élections passent pour redoubler ses attaques, mais elle n’attendra pas un jour de plus, que ce soit la droite ou à la gauche au pouvoir. Par exemple, tous, de la droite à la gauche en passant par les syndicats, taisent les 32 000 suppressions d’emplois qui attendent les salariés d’Orange et de SFR pour le début de l’été. Et ces mêmes syndicats discutent sans publicité depuis le 17 février avec le patronat et le gouvernement pour savoir comment faire passer sans trop de réaction une nouvelle réduction du coût du travail.
De droite ou de gauche, d’extrême-droite ou d’extrêmegauche, tous les candidats à la présidentielle sont des ennemis de notre classe et des défenseurs acharnés de ce système d’exploitation. Leurs promesses et leurs visites courtoises dans nos usines n’y changent rien. Face aux attaques qui ne manqueront pas de tomber dru sur nos têtes dès le nouveau président élu, quel qu’il soit, nous ne devons compter ni sur les partis politiques ni sur les syndicats mais sur nous-mêmes, sur notre unité et notre solidarité dans la lutte.
Pawel (3 mars)
1) Bayrou est LE candidat centriste, chouchou des médias depuis une décennie.
2) Site de Libération (http ://www.liberation.fr/politiques/01012392182-francois-hollande-a-florange-notre-messie [2]).
3) Rappelons en passant que ces dernières années, 14 000 emplois ont disparu dans la filière photovoltaïque.
4) Surtout quand on sait ce que pensent les éminents membres de l’UMP des Auvergnats…
5) Site de Libération (http ://www.liberation.fr/politiques/01012392179-la-campagne-decouvre-l-industrie [3]).
L’explosion sociale a eu lieu alors que la majeure partie de la population de l’île de La Réunion déjà exposée à des conditions de vie dramatiques, a été confrontée à une intolérable hausse des prix. Dans ce département de plus de 800 000 habitants, le taux de chômage officiel frise les 30 % et atteint 59 % chez les jeunes de 18-25 ans ! Plus d’un habitant sur deux (52 %) vit sous le seuil de pauvreté. La nouvelle augmentation du prix des carburants dans ce département d’outremer depuis le 1er février a été le détonateur, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La colère de la population a alors éclaté dans la soirée du 21 février au Port et dans le quartier populaire du Chaudron du chef-lieu Saint-Denis à l’issue d’une journée de grève et de manifestations, virant à l’émeute et à des affrontements de plus en plus violents avec les forces de police appelées en renfort (600 policiers et gendarmes ont été déployés). Ces émeutes et affrontements qui ont culminé dans la nuit du 23 au 24 se sont rapidement propagés, comme une traînée de poudre, à plusieurs communes de l’est et du sud du département. Plusieurs commerces et bâtiments publics ont été saccagés, des poubelles et quelques voitures ont été brûlées, souvent par des bandes de gamins entre 12 et 16 ans. Il y a eu une dizaine de blessés mais plus de 200 personnes, surtout des jeunes, ont été arrêtées et pour la plupart assignées à comparution immédiate devant les tribunaux. Les jeunes émeutiers se sont vus infliger de très lourdes peines “pour l’exemple”, allant de 6 mois à 2 ans de prison.
Le mouvement avait démarré avec la revendication très corporatiste des transporteurs routiers organisant des barrages pour obtenir une réduction de 25 centimes le litre des prix à la pompe. Devant l’échec des négociations, à partir du 17, les routiers ont bloqué l’unique dépôt de carburant de l’île. Puis les chauffeurs routiers ont désavoué le président de leur syndicat, la FNTR quand celui-ci a annoncé la signature d’un accord pour une nouvelle table ronde avec l’Etat et les pétroliers et ils ont lancé un appel à la mobilisation de la population “contre la vie chère”. Cet appel a eu un très large écho car pour beaucoup de familles, la voiture est l’unique moyen de transport (il y a 400 000 véhicules, soit une voiture pour 2 habitants) car le réseau de transports publics est quasiment inexistant : pas de réseau ferré, et des bus non fiables. Ainsi, entre l’assurance, l’entretien et le prix du carburant, la voiture absorbe entre 30 et 50 % du budget des familles. Par ailleurs, dans les grandes surfaces, la nourriture est plus chère qu’en métropole alors que le salaire médian est de 950 € (contre 1600 € en France métropolitaine) ; les légumes sont à des prix exorbitants : les champignons de Paris à 13,95 € le kilo, l’artichaut est vendu 2.35 € pièce, le kilo de la viande de bœuf atteint 24 € et la simple cuisse de lapin est à 7,35 €. Certaines denrées de consommation courante voient leur prix littéralement exploser, comme par exemple le produit vaisselle qui a grimpé jusqu’à 6,70 € le litre. La semaine suivante, le préfet, pour calmer la pression, a promis une baisse de prix des carburants, du gaz et de 60 produits de première nécessité (dont 48 alimentaires), garantis stables jusqu’à… la fin de l’année alors que les salaires seront bloqués pour une période de 3 ans au minimum… ce qui laisse la population très sceptique : “C’est rien du tout ! En 2009, on avait arraché à la grande distribution des diminutions sur 250 produits” (1) déclarait le président de l’Alliance des Réunionnais contre la pauvreté et les effets de cette baisse se sont évaporés en quelques mois. D’ailleurs l’Observatoire des prix et des revenus réunissant associations de consommateurs, syndicats, administrations, représentants de l’Etat, des patrons et de la grande distribution qui publie officiellement la liste des produits qui doivent baisser n’est pas crédible et attire cette réflexion : “C’est du bidon ! L’observatoire n’a jamais permis la moindre avancée sur la transparence des prix” (2). Pour beaucoup, la baisse de prix est un leurre. Il y a de bonnes raisons qui justifient cette méfiance généralisée : la baisse des prix des carburants et du gaz est financée par les collectivités, donc ponctionnée sur les impôts. Un habitant déclarait que c’était une vulgaire arnaque pour faire diversion, la baisse promise concerne surtout des produits qui venaient de subir une très forte augmentation début février : “Ils ont augmenté les prix il y a quinze jours. Je le sais. Je fais tous les supermarchés” (3). Un autre surenchérissait dans le même sens : “les prix ont même monté pendant les grèves. Ca va être des conneries, la baisse !” (4). Déjà touchée par des émeutes récurrentes notamment en 1991 puis en 2009 et alors que les conditions de vie se sont encore dégradées, un mouvement de résistance “démocratique” pour éviter les débordements a déjà été mis en place depuis les précédentes émeutes il y a 3 ans sur le modèle du mouvement en Guadeloupe du LKP et de son collectif contre la “profitation” : le COSPAR (Collectif des organisations syndicales politiques et associatives de La Réunion) dans lequel grenouillent tous les notables politiques et syndicaux pour encadrer ceux qui se nomment eux-mêmes “les indignés du pays” ou les “gouttes d’eau”. Parmi ceux-ci qui se rassemblent devant les mairies en signes de protestation, filtre l’idée exprimée par cette manifestante : “Nous, on reste pacifiques ; mais on comprend les jeunes qui cassent, il n’y a que ça qui marche !” (5). En réalité, les émeutes comme les illusions “démocratiques et citoyennes” conduisent vers le même sentiment d’impuissance alors même que l’Etat, les politiques et les syndicats attisent la division entre prolétaires en prenant comme boucs-émissaires les fonctionnaires qui bénéficient d’une prime de vie chère représentant entre 30 et 53 % du salaire de base, alors qu’un fonctionnaire faisait ce constat désabusé : “On sait bien que tôt ou tard, ce privilège va sauter” (6). La division entre privé et public permet de dévoyer le combat en prenant pour cible précisément ceux qui seront les victimes de la prochaine attaque d’ores et déjà annoncée. Tout cela ne peut qu’entraîner une masse croissante de prolétaires vers le bas.
Pour que ces luttes ne sombrent pas dans des émeutes désespérées et que les prolétaires ne soient pas condamnés à subir la misère toujours plus grande et la répression toujours plus forte, il est nécessaire que ces luttes s’inscrivent dans une toute autre perspective d’un combat non pas localiste mais international et qu’elles soient reliées au combat de leurs frères de classe pour sortir de l’ornière de l’isolement insulaire. Ce n’est que le développement du combat au cœur des métropoles du monde capitaliste qui pourra porter un avenir et ouvrir une perspective, là où sont aussi à l’ordre du jour la même lutte et la même nécessité de résister contre la vie chère et contre l’ensemble des attaques de la bourgeoisie.
W (2 mars)
1) Libération du 27 février 2012.
2) Idem.
3) Le Monde daté du 1er mars 2012.
4) Idem.
5) Libération du 27 février 2012.
6) Le Monde du 1er mars 2012.
Le 2 février dernier, le match de foot qui opposait les équipes de Port-Saïd et du Caire s’est terminé dans un bain de sang : 73 morts et un millier de blessés ! La fin du match était tout juste sifflée par l’arbitre que des supporters locaux, ou prétendus tels, dont l’équipe était pourtant gagnante, ont envahi le terrain et les gradins, agressant avec une violence inouïe joueurs et supporters de l’équipe adverse. Tandis que cette folle mêlée se déroulait, à coups de pierres, de bouteilles, de fusées de feux d’artifice dirigées directement contre les gens dont le plus grand nombre est mort étouffé ou écrasé par le mouvement de foule devenu délirant, la police n’est pas intervenue. Alors que les matches de football sont l’occasion de nombreux et brutaux accrochages entre supporters et, de ce fait, surveillés comme le lait sur le feu par les forces de l’ordre, de nombreuses questions se posent sur leur attitude le 2 février. De l’avis de nombreux observateurs et de témoins, la police a largement laissé faire ce déferlement de haine. Curieusement, on voit des photos de policiers totalement passifs, tournant le dos à l’agitation générale, comme si de rien n’était ; et la question se pose clairement de savoir s’il ne s’est pas agi carrément d’une provocation bien orchestrée, avec des flics infiltrés chez les supporters de Port-Saïd pour “agiter l’ambiance” et pousser au massacre. “Il s’agit d’une guerre programmée”, a accusé le docteur Ehab Ali, médecin de l’équipe de Port-Saïd, devant la passivité des forces de sécurité qui a duré une heure entière (1).
Une première chose est évidente, c’est que le nouveau gouvernement voulait adresser un message aux opposants du nouveau régime composé de l’armée et des Frères musulmans, à travers cette attaque visiblement programmée contre les supporters du club du Caire (Ahly). Ces derniers, dont la plupart sont fils d’ouvriers, ont été des acteurs de premier plan, entre autres, de la lutte contre Moubarak et très présents dans les affrontements avec la police de la place Tahrir. Ils se considèrent eux-mêmes comme faisant partie des “ultras”, c’est-à-dire des plus radicaux d’une jeunesse rebelle qui aspire à un changement réel en Egypte. Un de leur mots d’ordre favoris est : “A bas le régime militaire”, et un de leurs hymnes préférés : “All Cops Are Bastards” s’exprime dans de nombreux tags par l’acronyme “ACAB”. Ils diffusent même un pamphlet intitulé : “Les crimes contre les forces révolutionnaires n’arrêteront ni n’effrayeront les révolutionnaires”.
Lors du match du 2 février, les supporters de Port-Saïd criaient des slogans opposés à ceux du Caire mais en soutien au Conseil militaire des Forces Armées (CSFA) au pouvoir, et ce qui aurait pu être un épisode tragique de plus de la folie nationaliste ou localiste qui gangrène le sport et ses supporters, copieusement alimentée par les médias (2), s’est révélé être une véritable “leçon” pour les opposants au régime en place.
Car elle n’était pas destinée qu’à cette jeunesse qui compose les supporters de foot auto-proclamés “ultras”, et chez lesquels nombre d’entre eux avaient décidé de “faire l’unité” entre différents clubs pour se rassembler autour de l’opposition au régime de l’après-Moubarak, mais voulait être également et surtout un message pour toute la population égyptienne (3).
Cette dernière ne s’y d’ailleurs pas trompée car, au lendemain de ces évènements, Le Caire et d’autres villes ont été le théâtre d’affrontements très violents au cours desquels la police était mise en cause et a tiré à balles réelles et à coups de chevrotines, et qui ont duré deux jours. Dans la capitale, le ministère de l’Intérieur a été assiégé de longues heures et même attaqué par la foule, dans les rangs de laquelle il y a eu officiellement trois morts et des centaines de blessés. La colère était particulièrement grande parmi la population. “Ils savent protéger un ministère, mais pas un stade !”, lançaient des manifestants. Ou encore : “Le peuple veut l’exécution du maréchal Tantaoui ! Dégage !”
Cependant, cette réaction tout à fait légitime de la population est une impasse et tombe dans le piège de la réponse à la répression par l’émeute, même si elle peut largement se comprendre. D’ailleurs, immédiatement après le macabre match de Port-Saïd, la ville était quadrillée par l’armée, et déployée dans la plupart des villes principales du pays, preuve que le pouvoir savait ce qu’il faisait, qu’il s’attendait à des émeutes et les avait prévues.
Il ne faut pas rêver. Ce n’est pas par le combat populaire dans les rues, aussi “ultra” soit-il que nous pourrons changer cette société, et il ne suffira pas à réaliser des “révolutions”. Rappelons que ce qui a changé la donne en Egypte et fait partir Moubarak l’an dernier est lié à la révolte populaire mais aussi et surtout aux grèves ouvrières qui ont progressivement gagné le pays et fait naître une peur réelle au sein de la bourgeoisie égyptienne et internationale, celle de la lutte de la classe ouvrière. C’est la bourgeoisie égyptienne et américaine qui a accéléré le départ du vieux dictateur égyptien, pour qu’elle ne prenne pas le pas sur les mouvements seulement “démocratiques” dans le pays et qu’elle ne serve pas d’exemple à suivre pour les prolétaires du monde entier comme seule vraie perspective pour le renversement du capitalisme.
Wilma (17 février)
1) Henri Michel, qui a entraîné l’équipe égyptienne de Zamalek en 2007 et 2009, déclarait sur RTL : “Je n’ai jamais senti ce danger-là, je ne l’ai jamais senti autour d’aucun terrain en Egypte. La passion est exacerbée, il peut y avoir des accidents mais de là à arriver à ce drame-là, jamais on n’aurait pu y penser.”
2) Il n’y a qu’à voir le temps ahurissant accordé à “l’information sportive” sur les antennes de tous genres, ainsi que les qualificatifs les plus délirants et patriotiques qui accompagnent le galimatias verbal des commentateurs sportifs, que ce soit même dans la défaite.
3) Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard si ces évènements de Port-Saïd, pour mieux frapper les esprits, se sont passés alors que des manifestations massives étaient prévues devant l’assemblée du peuple en commémoration de la “bataille des chameaux” du 2 février 2011, au cours de laquelle des hommes de main du régime Moubarak avaient attaqué les manifestants place Tahrir.
Nos camarades d’Accion Proletaria (section du CCI en Espagne) diffusent depuis la mi-février le tract traduit ci-dessous.
Après les dures attaques du gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), voici le Parti populaire (PP) de droite qui lance depuis deux mois les coups les plus mauvais de ces cinquante dernières années :
– forte augmentation des impôts qui va entraîner une perte de 3 à 5 % des revenus pour les salariés, les retraités et les chômeurs ;
– avalanche de coupes dans les budgets des régions surtout dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation ;
– réforme du code du travail qui réduit l’indemnisation pour cause de licenciement à 33 jours (au lieu de 45 jours jusqu’alors) pour une année de travail, et qui laisse la porte ouverte à la généralisation des licenciements avec seulement 20 jours d’indemnités. Cette réforme permet aussi aux entreprises les licenciements sans autorisation administrative, elle consolide et élargit la loi du gouvernement (socialiste !) précédent qui permet des contrats précaires (“contrats-poubelle” comme on dit en Espagne) d’une durée allant jusqu’à 3 ans et, ce qui est encore plus grave, elle autorise les entreprises à réduire les salaires sans aucune restriction.
Par ailleurs et en tant “que hors d’oeuvre” de cette réforme du code du travail, les syndicats et le patronat ont signé un pacte à peine quelques jours plus tôt pour le gel des salaires jusqu’en 2014, en donnant la possibilité aux entreprises de sortir de ce pacte selon leur bon vouloir.
Ces agressions ont lieu en pleine montée du chômage, avec une multiplication des licenciements (1) et une prolifération des impayés et des retards dans le payement des salaires allant jusqu’à 6 mois.
Il y a une forte indignation, la combativité et les initiatives de lutte “venant d’en bas” ont tendance à augmenter. Cependant, il est nécessaire de comprendre dans quelles conditions cela se produit. Aussi, il faut se poser quelques questions : Comment le gouvernement, l’opposition et les syndicats se situent face aux travailleurs ? Quelle est la conscience de ceux-ci ? Dans quelle mesure les graines plantées par le mouvement social du 15-Mai peuvent-elles favoriser aujourd’hui leur lutte ?
La région de Valence a vécu 2 grandes manifestations : le 21 janvier (pour le secteur de l’éducation) avec 80 000 personnes à Valence et 40 000 à Alicante et le 26 janvier (pour tout le secteur public) avec 100 000 à Valence, 50 000 à Alicante et 20 000 à Castellon. À la suite de ces manifestations, la mobilisation a continué dans des collèges, des lycées, des quartiers…
Et même si la région de Valence a été temporairement la cible principale des attaques, les luttes tendent à augmenter dans les autres régions. À Madrid : manifestation des pompiers, des fonctionnaires et rassemblements contre la réforme du code du travail le jour même de son adoption ; à Bilbao manifestation du secteur public ; 100 000 manifestants à Barcelone venant de tous les secteurs ; dans cette même ville, les travailleurs des écoles primaires se rassemblent, avec des parents et des enfants, devant le gouvernement régional ; il y a eu une manifestation massive du secteur public à Tolède ; 10 000 manifestants à Vigo en solidarité avec le chantier naval ; marche des travailleurs de Ferrol vers La Corogne…
Contrairement à tout ce qu’on veut nous faire croire, nous ne sommes pas des citoyens égaux, la société est divisée entre une classe minoritaire qui possède non seulement les moyens de production mais aussi l’Etat (2), et une immense majorité qui ne peut compter qu’avec sa conscience, sa solidarité, son unité et la force du nombre.
Nous allons vers des affrontements dont l’importance est difficile à prédire, mais ce qui est évident c’est que la minorité – le Capital et son Etat – a préparé un piège politico-idéologique pour bloquer la mobilisation des travailleurs.
Les réajustements se mènent d’une manière échelonnée, région par région, paquet par paquet : en janvier 2011, c’est la région de Murcie qui a commencé ; depuis juin c’est la Catalogne ; en septembre la région de Madrid et maintenant c’est le tour de la région de Valence ; plus tard ce sera, sans doute, le tour de l’Andalousie. Autrement dit, c’est une attaque générale qui apparaît comme une succession d’attaques régionales sans rapports entre elles, en faisant en sorte que les travailleurs luttent bien enfermés chacun dans leur région (3).
Par ailleurs, on manipule la division “traditionnelle” entre les travailleurs du secteur public et du secteur privé. On présente les premiers comme des privilégiés et on essaye de leur faire gober une telle propagande, et c’est ainsi que les syndicats leurs disent, pour se faire “pardonner” en quelque sorte, qu’ils devraient renoncer aux revendications sur leurs salaires et leurs conditions de vie pour ne se concentrer que sur la défense du service public dans l’éducation ou dans la santé.
Cette différence entre travailleurs du public et ceux du privé est totalement battue en brèche par la réalité elle-même : 40 % des travailleurs du public sont des intérimaires, à telle enseigne qu’il y a davantage de précarité dans le secteur public que dans le privé. Les travailleurs du privé par le biais de la réforme du code du travail et les travailleurs du public par celui des coupes et des réductions en tout genre partagent la même réduction de salaires, la même menace généralisée de chômage (4), la même dégradation des conditions de travail. Les coupes sont comme un couteau à double tranchant : avec un coté on taillade les salaires et les conditions de travail des travailleurs du public ; avec l’autre on réduit les services indispensables en les dégradant aux niveaux les plus bas. Les coupes et la réforme du travail ne sont pas des faits reliés à des réalités différentes, mais elles font partie d’une ATTAQUE GLOBALE contre TOUS LES TRAVAILLEURS.
Lors du mouvement du 15-Mai des critiques très dures se sont exprimées vis-à-vis des syndicats, surtout contre le tandem Commissions ouvrières -Union générale des travailleurs (CO-UGT).
Ce n’est pas pour rien ! D’un coté ces syndicats signent tout ce que le patronat et le gouvernement leur mettent sur la table, mais de l’autre coté, et c’est là le pire de leur boulot, ils organisent des luttes factices qui engendrent la démobilisation et la division au sein des travailleurs, en les amenant à la défaite.
Le capital et son État emploient leurs deux mains contre les ouvriers : avec la droite, gouvernement et patronat abattent des coups de hache, tandis qu’avec la gauche, syndicats et opposition les poussent à mettre la tête sur le billot.
À Madrid, de la main droite, la présidente de la région, Aguirre, a attaqué les travailleurs de l’enseignement avec 3000 licenciements et un allongement du temps de travail, alors que de la main gauche, l’alliance entre 5 syndicats (qui va des CO-UGT jusqu’aux syndicats de droite tels que CSIF ou AMPE) a fait l’impossible pour boycotter les assemblées de base, en contrariant par tous les moyens leur coordination, et, enfin, en dévoyant et en épuisant la lutte vers la fausse dichotomie public-privé, ce qui a permis de faire passer tout ce que le gouvernement régional voulait.
Maintenant, avec les mobilisations à Valence, on nous ressert le même plat : de la main droite, le gouvernement du PP impose des coupes très dures tandis que, de la main gauche, on nous parle de corruption et de gaspillage, en occultant le fait que la crise est globale et mondiale. Avec cela, on essaye de nous isoler entre les quatre murs de chaque région, en demandant de renoncer aux revendications “égoïstes”.
Il est significatif que, face à la prétendue réforme du travail, les syndicats adoptent un profil bas, en essayant d’éviter par tous les moyens que la nécessité d’une lutte vraiment unitaire ne devienne une évidence. Leur politique consiste à échelonner leurs “réponses” pour qu’elles soient le plus fragmentées possibles, pour qu’on ne voit pas le lien entre les coupes sociales et la réforme du travail, entre tout cela et le chômage déchaîné, pour qu’on ne comprenne pas que nous nous trouvons face à des manifestations d’une même et unique crise du système.
Ils ont choisi la tactique de l’usure dans l’isolement pour les employés publics de la région de Valence (comme ça a été fait pour leurs camarades de Murcie, Madrid et Barcelone), ils misent sur leur défaite et alors ils lanceront “une mobilisation générale” contre la réforme du code du travail qui traînera comme un boulet cette défaite préalable.
Après 5 ans de crise, les souffrances sont de plus en plus grandes et la seule chose qu’on voit à l’horizon c’est encore plus de “réajustements”, encore plus de chômage, encore plus de misère... La droite promet – comme le PSOE l’avait fait auparavant – une “sortie de la crise” si on consent à de durs sacrifices, la gauche et les syndicats parlent “d’une issue possible” si l’État mettait son veto “pouvoir démesuré des financiers” et s’il “libérait des ressources budgétaires” pour les créations d’emploi, etc. Mais, est-ce qu’on peut croire en de telles “issues” quand on voit qu’après les “réajustements” arrivent les coupes et après les coupes, les coups de ciseaux dans une chaîne sans fin ? Est-ce qu’il est réaliste de rechercher des “issues” à l’intérieur d’un système qui n’en offre pas ?
Que faire ? Les luttes, même les plus massives, ne réussissent pas à rendre plus vivable la situation. Mais ne pas lutter est encore pire parce que nous perdons notre dignité, nous sommes humiliés en permanence.
Nous devons lutter ! L’acquis principal de la lutte est la lutte elle-même. La lutte est une école où nous prenons conscience des moyens dont nous disposons, de qui sont nos ennemis et nos faux amis, des pièges qu’ils utilisent contre nous. La lutte, si elle est capable de s’auto-organiser à travers des assemblées massives et ouvertes aux autres prolétaires, permet de développer la communication, l’empathie, la discussion et une prise de décisions basée sur la responsabilité et l’engagement de tous. Face à une société qui nous inocule le poison de la concurrence entre nous, les assemblées nous fournissent l’antidote : apprendre à agir ensemble, à prendre nos affaires en mains.
La lutte fait que des foules investissent les rues et les places, nous fait découvrir la possibilité d’AGIR ENSEMBLE et si nous arrivions à le faire à une échelle internationale, nous pourrions réaliser que nous sommes une force capable de transformer le monde, qu’un autre monde différent du capitalisme est possible, parce que, même s’ils sont très puissants et disposent de moyens terrifiants, ils ne sont qu’une minorité parasite dont l’existence dépend entièrement de notre travail collectif et associé.
Avec les luttes qui se déroulent en Italie, en Grèce et ailleurs nous avons pu voir des initiatives, encore minoritaires, qui vont dans cette direction.
À Alicante, plusieurs collèges d’enseignement ont décidé de s’unir en assemblées regroupées à l’échelle géographique, d’organiser des cortèges de rue pour mobiliser tout le monde et marcher ensemble avec une pancarte commune lors des manifestations ; ça fonctionne comme une assemblée ouverte qui, périodiquement, organise des réunions où se rejoignent des travailleurs des services socio-sanitaires, de l’enseignement, du gaz, du nettoyage, etc. À Castellón, le mouvement du 15-Mai a convoqué une assemblée sur la place centrale pour lutter contre les coupes budgétaires. Des travailleurs des crèches et des écoles primaires de Valence ont fait un rassemblement avec les parents et les enfants devant le gouvernement régional. Des assemblées du 15-Mai des cités-dortoirs du sud de la ville de Valence appellent à une manifestation conjointe pour le 18 février contre les coupes et contre la montée des taxes municipales. Dans plusieurs quartiers et villes de la banlieue de Valence, des assemblées de zone se sont organisées qui coordonnent des écoles et des lycées. Appelée “lundis au soleil” (5), c’est une initiative de regroupement de chômeurs qui s’est concrétisée à Valence – et ailleurs en Espagne –, encore très minoritaire. Dans plusieurs villes d’Espagne, il y a aussi eu des rassemblements en solidarité avec les travailleurs grecs.
Lors d’une assemblée de professeurs de Valence dont le présidium était occupé par les syndicats, il y a eu une forte tension entre ceux-ci et les travailleurs. Une intervention a mis clairement en avant la nécessité de s’organiser en assemblées horizontales. Plusieurs interventions ont “mis en garde” les syndicats contre “toute trahison” et contre “toute signature comme ils en ont l’habitude”.
Pour le 20 février, ont été programmées des occupations dans les centres d’enseignement, les délégués de deux lycées ont proposé de faire “une seule occupation centrale” dans le lycée Luis-Vives (en plein centre ville de Valence) où tout le monde pouvait se rendre, autant les travailleurs de l’enseignement que ceux de la santé, les chômeurs etc. On y a proposé que ce soit une occupation pour créer un espace de débats, de rencontres et d’unité qui pourra continuer pendant quelques jours. Les syndicats ont tout fait pour freiner une telle initiative, mais elle a fini par être approuvé… après deux votes !
On voit bien comment les syndicats essayent d’occuper le terrain social, mais on voit aussi, simultanément, un élan, un développement d’initiatives de la part des travailleurs qui essayent de mener une lutte efficace, tout en essayant de la prendre en main. Il y a une forte aspiration à LUTTER ENSEMBLE. Nous avons besoin d’une même lutte contre les coupes sociales, contre le chômage et la prétendue réforme du travail ; une même lutte pour une santé, une éducation et des services sociaux vraiment humains et de qualité.
Notre mouvement est à la fois ancré dans le présent et dans le futur. Il est du présent pour résister aux coupes et autres réformes. Il est du futur pour répondre à des questions dont dépend l’avenir : de quelle société avons-nous besoin comme alternative à celle que nous subissons actuellement ? Comment pouvons-nous y arriver ? Comment pourrons nous faire fonctionner l’éducation, la santé, les services sociaux, les services culturels, etc. ?
CCI (15 février)
1) Spanair et Air Nostrum (deux compagnies aériennes low-cost) ont licencié quelques 5000 travailleurs ; les chantiers navals de Ferrol sont menacés de fermeture avec 6000 travailleurs concernés directement et 10 000 en sous-traitance.
2) L’État n’est pas “à tous”, et il n’est pas non plus neutre. C’est une machine bureaucratique et répressive au service de la minorité dominante qui prend sa légitimité tous les quatre ans par le biais de la farce électorale. Comme cela était scandé dans le mouvement du 15-Mai “on l’appelle démocratie et ce n’est pas le cas”, “c’est une dictature et on ne le voit pas”.
3) Prenons l’exemple de la Région de Valence. Il est vrai que le gouvernement régional est très corrompu, mais comme le disait un tract d’un Collectif de travailleurs de Valence “Il est plus que clair qu’une grosse partie de la classe politique est une bande grotesque de profiteurs du genre coq vaniteux comme de nouveaux riches (Gürtel, Emarsa, Brugal, Aerocas, le scandale des ERE en Andalousie...). Mais ces abus sont la conséquence d’un système social qui prend l’eau partout dans le monde. Les coupes sont générales : en Catalogne, à Madrid, en Castille-La Manche, partout en Espagne !, mais aussi au Portugal, en Grèce, aux USA, en Grande-Bretagne ! La crise de la dette a mis à nu l’échec d’un système dont le seul but est le profit, ce qui favorise la spéculation et l’investissement dans les secteurs financiers et immobiliers, ce qui a fini par créer une bulle qui au moment d’éclater nous a tous éclaboussé”.
4) En Grèce, on a déjà commencé à licencier les fonctionnaires avec un poste de travail sûr.
5) Ce nom est sans doute emprunté au titre d’un film qui racontait les luttes et la vie des chômeurs à Vigo, à la suite d’une gigantesque vague de licenciements dans les chantiers navals [NdT].
Nous traduisons ci-dessous un article publié dans Acción Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne, à propos des déclarations faites par un chef de la Police sur la répression des lycéens et des étudiants à Valence. Ces déclarations sont effectivement bien éclairantes...
Lors d’une conférence de presse, à la question sur le nombre de policiers employés pour réprimer les étudiants, le chef supérieur de la police de la Région de Valence a répondu : “Il n’est pas prudent, du point de vue de la tactique et des forces de police mises en œuvre, que je dise à l’ennemi quelles sont mes forces et mes faiblesses” (1).
Il faut remercier ce haut fonctionnaire de la police pour la grande leçon de marxisme qu’il vient de donner : un, on nous considère comme des ennemis, et deux, on est impliqués dans une guerre dans laquelle il faut avoir une tactique et où il faut cacher ses propres faiblesses.
Par contre, les politiciens de tout poil, les syndicalistes, les idéologues, les table-rondiers (2) spécialistes en tout genre, prêchent dans l’autre sens : d’après eux, on ferait partie d’une communauté de “citoyens libres et égaux” dans laquelle l’État et ses différentes institutions – dont la police – seraient au “service de tous”. Lorsque le plus hauts responsables de l’État sont obligés de prendre de mesures extrêmement dures, ce serait pour le “bien de tous”. Ainsi la réforme du code du travail serait faite pour “favoriser les chômeurs” et, avec les coupes et autres restrictions, ils essaieraient de préserver “l’État providence”.
Les déclarations du grand chef de la police démentent radicalement de tels discours fumeux. Ce qui s’en dégage c’est, d’abord, que nous ne sommes pas des citoyens libres et égaux, mais que nous sommes divisés entre une classe minoritaire qui possède tout et ne produit rien et une classe majoritaire qui n’a rien et qui produit tout. Et, deuxièmement, que l’immense toile d’araignée bureaucratique que tisse l’Etat, n’est pas au “service des citoyens”, mais qu’elle est le patrimoine exclusif et excluant de cette minorité privilégié, ce qui fait que celle-ci considère comme des ennemis les manifestants qui luttent et qu’elle conçoit ses propres agissements comme une guerre contre l’immense majorité.
On va nous dire que cette haute autorité est de droite et que la droite a une conception patrimoniale de l’Etat et qu’elle ne cache pas son égoïsme et sa vénalité. Cependant, quand on regarde la carrière politique de cet individu haut gradé, on apprend qu’il l’avait commencé au sein de la Brigade politico-sociale à la fin du franquisme et qu’en 2008 il a été nommé à son poste actuel par le ministre de l’Intérieur d’alors, le sieur Rubalcaba, lequel, aujourd’hui chef de l’opposition socialiste, utilise des tons d’une radicalité hautement incendiaire. Dans cette fonction, le chef de la police de Valence était sous le commandement d’un ancien membre du parti dit “communiste” et avocat du travail du syndicat CO, le sieur Peralta. C’est sous leur commandement qu’a eu lieu l’épisode répressif bien connu contre des manifestants dans le quartier des pêcheurs d’El Cabañal (3). Il s’agit donc de quelqu’un qui a servi l’État sous des gouvernements de toutes les couleurs. Ses agissements ne sont pas du tout le fruit d’un “réflexe fasciste de la droite”, mais c’est bien une action d’État, qui a une logique et une continuité qui va bien au-delà de l’étiquette politique du parti aux commandes aujourd’hui.
Il faut se rappeler, pour ne parler que de l’Espagne, que sur les 35 années “d’Etat démocratique”, c’est pendant 21 ans que le gouvernail a été tenu par le PSOE. Ce n’est pas la peine de parler du mandat entre 2004 et 2011 parce qu’il est toujours présent dans les mémoires. En ce qui concerne le premier gouvernement “socialiste”, celui de monsieur Gonzalez (1982-96), rappelons qu’il fut le responsable de 3 assassinats de manifestants ouvriers (Bilbao en 1984, Gijón en 1985 et Reinosa en 1987) et de la destruction d’un million d’emplois.
L’actuel ministre de l’Intérieur, Fernández Díaz, a essayé d’arranger les choses en disant qu’il s’agissait d’un… lapsus. Or, un lapsus consiste à dire involontairement ce que l’on pense… réellement !
La société capitaliste se caractérise par l’hypocrisie et le cynisme les plus repoussants et, en cela, la classe dominante est passée maître. Il n’y a qu’à voir les campagnes électorales où sont affirmées mille promesses par tous les candidats pour appliquer, une fois élu, la politique contraire. Dans le secret de leurs bureaux, les hauts mandataires de la bourgeoisie, classe qui ne représente qu’une petite minorité des populations, parlent tranquillement de tout ce qu’ils vont démentir, nier ou déformer devant les micros. Mais, de temps en temps, un lapsus malvenu, c’est comme une légère déchirure de rideau par laquelle on peut observer ce qu’ils pensent vraiment et qui traduisent leurs vrais mobiles ou leurs crapuleuses machinations contre l’immense majorité, en particulier contre leur pire ennemi, la classe ouvrière, auquel il sont contraints de livrer une guerre permanente.
CCI (23 février)
1) El País, 21 février, supplément pour la Région de Valence.
2) Par ce néologisme, nous voudrions traduire le mot “tertuliano”. Sont nommés ainsi, en espagnol, ces personnages spécialistes en tout et surtout en rien qui pullulent dans ces émissions de débat à la TV, où ils donnent leur avis ou plutôt vomissent leurs sentences de “bon sens”.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par nos camarades de Welt Revolution, organe de presse du CCI en Allemagne et en en Suisse.
En réponse à la crise économique, des gens en colère et indignés se sont, en Suisse aussi, rendus le 15 octobre 2011 à la première assemblée générale (AG) du mouvement Occupy. Les rassemblements hebdomadaires ultérieurs devant les grandes banques sur Paradeplatz (la place d’Armes) à Zurich se sont inspirés des mouvements internationaux numériquement beaucoup plus importants, tels les Indignados en Espagne ou Occupy-Wall Street aux États-Unis. Le mouvement Occupy, très hétérogène, est l’expression de l’émergence internationale d’une réflexion et d’une révolte par rapport à l’impasse de la société capitaliste. En dépit de la tendance convergente au plan international de se focaliser (de façon souvent bien trop restreinte) sur le “monde de la finance”, des expériences tout à fait diverses se déroulent dans différents pays, méritant d’être répercutées au niveau international. Et cela justement au moment où la traversée du désert et les désillusions au sein du mouvement Occupy apparaissent partout clairement. Nous voulons donc faire partager ici quelques expériences tirées de notre participation aux activités d’Occupy.
Comme à New York et dans d’autres villes aux Etats-Unis, le 15 octobre, Paradeplatz s’est transformée en village de tentes, mais au bout de deux jours, menacé d’expulsion par la police, le “village” a du se déplacer dans le Parc central Lindenhof. Le mouvement Occupy à Zurich ne s’est pas trouvé dès le départ confronté à la répression directe comme en Espagne, mais bien plus à la politique de tentative d’intégration au système classiquement utilisée par la classe dirigeante en Suisse visant, à l’aide de la “démocratie directe”, à émousser toute résistance au capitalisme. Et justement en Suisse, la classe dirigeante a tiré la leçon des événements du début des années 1980 qu’il ne lui est pas possible d’étouffer les mouvements sociaux en recourant à la seule brutalité mais qu’elle peut y parvenir bien mieux en offrant des possibilités de participation au système.
Hypocritement, les dirigeants des banques et le gouvernement ont ainsi montré leur “compréhension” envers les préoccupations du mouvement Occupy. Les militants Occupy ont immédiatement été invités à l’une des plus importantes émissions politiques à la télévision ayant pour objectif de réfléchir en concertation avec les principaux banquiers et des professeurs quant aux moyens possibles afin d’améliorer le système financier ; les dirigeants d’aujourd’hui ne pouvant exclusivement adopter l’attitude arrogante du “tout va bien”. Au cours de cette phase initiale, les attaques de la presse bourgeoise se sont principalement restreintes à l’allégation d’absence de propositions politiques concrètes de la part d’Occupy.
Lorsque le mouvement Occupy, dans son enthousiasme du départ, a accepté des offres comme celle de la télévision d’Etat, c’était dans l’espoir d’une plus grande popularité. Mais fin octobre, les AG sont parvenues, la plupart du temps, à percer à jour ce piège des “propositions concrètes” pour l’amélioration du système financier capitaliste et à déjouer le piège de s’intégrer aux mécanismes de la participation démocratique classique.
Pour la classe dirigeante, le plus rentable semblait être alors de tolérer le mouvement dans son ensemble et d’attendre son épuisement plutôt que de l’intégrer immédiatement dans le jeu démocratique ou de le faire matraquer. Outre la culture du débat solidaire quasi-inédite permettant à chacun de prendre la parole, dans la phase initiale des mois d’octobre et novembre, ce fut certainement une grande force du mouvement que de se fixer le principe : “prenons le temps de discuter et ne nous laissons pas mettre sous pression !”
Le village de tentes du Lindenhof, bien organisé et accueillant envers tous ceux qui souhaitaient y participer, devint (ainsi que les AG du samedi sur Paradeplatz) rapidement le véritable centre des discussions du mouvement-Occupy. Comme dans le mouvement des Indignados en Espagne, l’occupation collective de l’espace public a fourni un cadre permettant au mouvement de se réunir. Très vite cependant, en dépit de l’attitude ouverte des militants vivant dans le village, apparurent deux dynamiques :
1. L’émergence d’une communauté indépendante à laquelle seules les personnes ayant assez de temps et d’endurance pour passer leur vie en ce lieu pouvaient participer – alors que cela était presque impossible à la plupart des personnes chargées de famille et soumises aux obligations du travail salarié.
2. Le souci quotidien de l’entretien et de l’organisation du village de tentes prenant progressivement le pas sur la place dédiée au débat politique – qui était pourtant l’aspiration à l’origine du mouvement Occupy.
Cette situation n’a pas été librement choisie par les occupants et ne peut pas non plus leur être reprochée ; elle leur a été imposée par la difficulté objective d’assurer au village de tentes une infrastructure habitable, et surtout par la menace permanente d’être expulsés par l’appareil répressif de la police. Contrairement à Zuccotti Park à New York, le mouvement dans son ensemble à Zurich n’est pas allé aussi loin dans la dynamique de repli sur soi et dans la fétichisation du parc, il s’est engagé dans ses assemblées générales dans une intense réflexion sur la façon dont le mouvement pouvait joindre les autres “99 %” restants.
L’AG du 3 novembre au soir qui occupait la cour de l’Université pour y tenir une discussion collective tout autant que pour inviter directement les étudiants à y participer, a constitué une expression de cette aspiration à l’élargissement. Durant cinq semaines, libérées des soucis quotidiens du village de tentes, ces assemblées générales hebdomadaires ont été des moments collectifs encourageants de réflexion sur les questions de politique générale. Face à l’émergence de positions se proposant de façon absurde comme “direction” au mouvement ou se qualifiant de façon fataliste “d’illusionnaires”, les assemblées plénières ont été en mesure d’opposer leur esprit collectif auto-organisé. Mais la colère et la combativité chez les étudiants n’étaient pas assez développées pour déclencher une jonction entre les préoccupations du mouvement Occupy et les leurs propres. Même si l’espoir d’une forte participation des étudiants ne s’est pas concrétisé (en 2009, un mouvement avait éclaté à l’Université de Zurich), ces soirées, qualifiées “d’AG sur le contenu” où quelques nouvelles têtes ont fait leur apparition ont constitué un enrichissement montrant que le mouvement Occupy ne se réduisait pas au village de tentes. Occupy avait tenté de prendre des mesures concrètes pour étendre le mouvement.
Justement, la dynamique positive de telles “AG sur le contenu” démontre qu’à l’avenir, tout mouvement devra éviter de transférer les discussions politiques fondamentales des AG plénières aux “AG sur le contenu” – de même que la vie politique ne doit pas être déléguée exclusivement à des groupes de travail. Au contraire, l’AG plénière doit prendre le temps de se réunir pour clarifier collectivement et calmement les questions politiques fondamentales du mouvement. Occupy-Zurich, fortement influencé par l’activisme, s’est de plus en plus enlisé en décembre dans le problème de ne tenir plus que des AG traitant de façon exténuante de nombreuses questions d’organisation de détail.
L’esprit pionnier présent dans les premières grandes mobilisations d’octobre et de novembre sur Paradeplatz s’était tassé. Occupy n’est pas mort, comme l’aurait souhaité la presse bourgeoise fin décembre avec le slogan “Bye Bye Occupy !”, voulant enterrer la protestation contre la crise et les institutions financières. Mais la participation aux AG a rapidement diminué courant décembre. Le village de tentes avait été à nouveau évacué par la police le 15 novembre et des militants s’étaient vu infliger des amendes démoralisantes. Lors de la première AG en 2012, celle du 4 janvier, d’une participation d’environ 70 personnes, il a été souligné par plusieurs interventions qu’“ils étaient de moins en moins nombreux”. En l’espace d’un mois, Occupy était clairement passé d’un mouvement spontané mobilisant de nombreuses personnes à un noyau de militants essayant de maintenir coûte que coûte des actions quasi-quotidiennes.
Une tout autre atmosphère affectait la culture du débat de l’ AG : la patience et l’écoute mutuelles impressionnantes du départ pâtissaient désormais de la fatigue, de l’impatience, des tensions et du sentiment d’être exclu de toute prise de décision. Il se développa une dynamique cherchant à compenser l’isolement croissant par un activisme reposant de plus en plus clairement uniquement sur les capacités et la bonne volonté des militants pris individuellement et non plus sur une perspective portée collectivement. Occupy-Zurich se cramponnait aux nombreuses actions qu’il n’était presque plus possible de réaliser avec une force déclinante, comme le montra la discussion de l’ AG sur le stand d’information installé sur une place publique, au Stauffacher. Quoique sans doute bien intentionnés, mais presque désespérés, les appels à la discipline (sur laquelle il est impossible à tout mouvement social se fixant l’objectif de l’émancipation de l’humanité de se fonder parce que cela équivaut finalement à la morale individualisée de la société capitaliste) ne font que conduire uniquement à des tensions.
C’est un phénomène bien connu dans les mouvements sociaux que les grandes envolées des débuts se transforment rapidement en frustration lorsque le mouvement reste isolé du reste de la classe ouvrière. La question de l’isolement s’est révélé être une question-clé. La fétichisation évidente de Zuccotti Park à New York n’était pas due à l’isolement naissant d’Occupy-Wall Street, mais était plutôt une expression de celui-ci. Il n’existe pas de “recettes de survie” pour un mouvement comme Occupy, parce que comme d’autres mouvements sociaux, il ne provient pas d’une “faisabilité” activiste, mais surgit de la fermentation politique au sein de la société sur la base des conditions de vie objectives.
Marquée par le déclin progressif du mouvement des Occupy-Zurich, l’AG du 4 janvier a ainsi pris la tournure d’une présentation et de l’adoption de projets d’action dans lesquels les participants s’engageaient en bonne partie de façon très individuelle. Dans un tel moment, il est plus productif de se poser les questions : “qu’est-ce que nous voulons ?”, “quelles sont nos forces communes ?”, “quelles sont les raisons du recul du mouvement ?”
Pour les personnes investies dans le mouvement Occupy-Zurich, confrontées à la fatigue et au rétrécissement à l’état de petit noyau, la nécessité de se poser des questions tout à fait fondamentales s’est manifestée clairement dans les deux premières semaines de janvier 2012 à travers la question de la fréquence des AG. Ce qu’a montré cette discussion dans le cadre d’un mouvement social en phase de déclin, c’est la contradiction insoluble entre d’une part le maintien d’AG fréquentes comme poumon du mouvement et d’autre part sa force et la participation déclinantes. Lors de l’AG du 4 janvier, cette question a été tranchée en faveur de la seule solution semblant réaliste et raisonnable (passer immédiatement à une assemblée par semaine) mais uniquement à l’aide du “thermomètre de la fatigue”. Il était absolument correct de la part de l’un des éléments les plus actifs de formuler par écrit dès le lendemain de cette assemblée la critique que “la décision de ne tenir plus qu’une AG par semaine n’était pas une décision prise à l’unanimité, mais une décision à la majorité. Dès le départ, je m’étais clairement prononcé contre la réduction de la fréquence des AG, cependant on a à peine abordé mes arguments et on a ignoré mes préoccupations. Dans le tour de parole où chacun a exprimé son opinion, il ressortait qu’il y avait une majorité pour tenir moins d’AG, ce qui a finalement abouti lorsque j’ai voulu à nouveau soutenir ma position à me faire conspuer par tous. Malheureusement, deux propositions de compromis ont été rejetées sans discussion. Je dois ici présenter mes excuses auprès de ceux qui ont les formulées ; dans cette situation, mis sous pression de toutes parts, j’ai considéré ces propositions de compromis sans contrôle sur mes émotions, ce qui m’a amené à les rejeter d’emblée. Je le regrette. Avec le recul, toutes deux avaient un potentiel si on avait pu les discuter en détails.”
Ce qu’il défend ici n’est pas le principe aveugle d’un rythme élevé des AG indépendamment de la dynamique du mouvement, mais la préservation de la culture du débat. La méthode consensuelle du mouvement Occupy, même si elle recèle la faiblesse latente de prendre souvent prématurément le seul plus petit dénominateur commun comme résultat de la discussion, empêchant aussi souvent la nécessaire polarisation, avait eu, au moins dans la phase initiale, l’avantage de permettre d’accorder une place à toutes les opinions. Il est clair que parfois des décisions concrètes doivent être prises, même si tout le monde n’est pas d’accord. Cependant, quand des décisions sont prises à la majorité, fondamentalement celles-ci ne doivent pas signifier la fin des discussions à leur propos. Lors de l’AG du 11 janvier, la préoccupation du participant engagé cité précédemment n’a justement pu trouver aucune place en raison de la quantité accablante d’informations et de points concernant les actions, bien que sa critique aborde le cœur du problème : les changements intervenus dans la mise en œuvre de la culture du débat.
Il est difficile de dire où va Occupy. Cependant l’AG du 11 janvier comportait clairement une tendance porteuse de la conception d’un “mouvement permanent”, voulant le faire évoluer et le transformer en regroupement politique. Tout comme les luttes pour les conditions de travail ou contre les baisses de salaires dans le capitalisme d’aujourd’hui ne peuvent avoir un caractère permanent sans tomber dans la recherche syndicale de compromis pourris et de la politique de la démocratie représentative, des périls similaires guettent Occupy. L’AG a clairement démontré que, dans le contexte de perte momentanée de sa force et de sa dynamique propres, des voix en faveur de l’alliance avec des groupes gauchistes tels les Jusos, Greenpeace se faisaient plus fortement entendre, sans doute dans l’espoir de regagner de la force. A titre d’exemple, l’AG s’est complètement laissé embarquer par une offre insignifiante de coopération ponctuelle avec un groupe politique spiritualiste. Au lieu de construire l’autonomie du mouvement, de discuter les questions qui sont réellement à l’ordre du jour, l’AG a été contrainte de s’astreindre à un débat pour parvenir à une décision immédiate concernant leur relation à ce groupe et aux groupes religieux en général. Une discussion qui peut être intéressante en soi, mais qu’il est impossible de mener et de clarifier dans une telle précipitation imposée de l’extérieur, et qui donne déjà un avant-goût bien connu de la politique gauchiste bourgeoise. Ce qui, au début du mouvement et dans un réflexe sain, avait été jeté par la porte, à savoir le chantage exercé par la bourgeoisie poussant à se résoudre aux “revendications concrètes” en vue d’améliorer le système financier, en d’autres termes la pression pour obtenir un positionnement dans le cadre de la politique bourgeoise, s’insinue à nouveau furtivement dans le mouvement par la fenêtre.
Si Occupy ne veut pas se disperser et s’égarer dans le soutien aux propositions parlementaires de “divulgation du financement des partis politiques” ou aux initiatives démocratiques contre la spéculation sur les produits alimentaires, que quelques uns des participants ont présenté à l’AG comme leur projet politique, il faut revenir à la question du commencement : pourquoi cette crise du capitalisme ? Le mouvement Occupy devrait se poser la question de savoir si tous les problèmes qui ont été perçus par ses participants avec une sensibilité impressionnante peuvent trouver une solution au sein du capitalisme – ou s’il est temps de dépasser ce mode de production comme un tout. Comme il est impossible que de tels mouvements sociaux se maintiennent en permanence, et qu’il y en aura d’autres, il est important de transmettre toutes les expériences positives faites aux futurs mouvements sociaux, au cas où Occupy ne trouve pas de second souffle. Car la crise du capitalisme, l’élément déclencheur du mouvement Occupy, ne va pas disparaître tant que ce système d’exploitation survivra.
Mario (16 janvier)
Nous publions ci-dessous la traduction de la seconde partie de l’article de Welt Revolution, organe de presse du CCI en Allemagne, dressant un an après un bilan provisoire de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Dans la première partie [13] de cet article, nos camarades soulignaient la gravité de l’événement et l’incurie de la classe dominante qui n’a su opposer au désastre en cours que ses mensonges et ses manipulations. Ici, il s’agit de démontrer que le pire, pour la planète et l’humanité, est encore à venir.
ESt-ce que les détenteurs du pouvoir, les responsables, sont intéressés à aller à la racine du problème du nucléaire dans le monde ? Evidemment non ! Sous le poids de la concurrence et de l’aggravation de la crise, la tendance est au contraire à la baisse drastique des investissements dans l’entretien, la sécurité et le personnel qualifié.
Il est devenu clair que, sur les 442 centrales en exploitation sur la planète, beaucoup d’entre elles ont été construites dans des zones sujettes aux séismes. Concernant le seul Japon, plus de 50 centrales ont été construites dans de telles zones. En Russie, de nombreuses centrales nucléaires ne disposent même pas d’un mécanisme automatique de mise hors-tension, en cas d’incident nucléaire. Vu leur état général, Tchernobyl n’était probablement pas une exception et une telle catastrophe peut se reproduire à tout moment. La Chine a lancé la construction de 27 nouvelles centrales nucléaires alors qu’elle est une des régions les plus actives sur le plan sismologique.
La période de fonctionnement des vieilles centrales nucléaires qui devaient être fermées est prolongée. Aux Etats-Unis, leur durée d’exploitation a été prolongée à 60 ans, en Russie à 45 ans.
Bien que les mécanismes de contrôle par les Etats, à l’échelle nationale, sur l’industrie nucléaire se soient avérés insuffisants, les Etats sont opposés aux normes de sécurité trop restrictives ou trop interventionnistes par les organisations internationales de surveillance. “La souveraineté nationale prime sur la sécurité” affirment-ils.
En Allemagne, le gouvernement a décidé, depuis l’été 2011, d’abandonner l’énergie nucléaire en 2022, puis, comme mesure immédiate, certaines centrales nucléaires ont été arrêtées peu après l’explosion de Fukushima. Est-ce que le capital allemand a agi d’une manière plus responsable ? Pas du tout ! En effet, seulement quelques mois avant Fukushima, le même gouvernement avait prolongé la durée de fonctionnement de plusieurs centrales nucléaires. Si, toutefois, il a décidé d’abandonner l’énergie nucléaire aujourd’hui, cela correspond, d’une part, à une tactique politique, parce qu’il espère améliorer ses chances d’être réélu, et bien sûr à un calcul économique, parce que l’industrie allemande est très compétitive dans la production d’énergies alternatives avec son savoir-faire en ce domaine. L’industrie allemande espère maintenant y obtenir des marchés très rentables. Cependant, la question de se débarrasser des déchets nucléaires n’est toujours pas résolue.
Pour résumer : malgré Fukushima, l’humanité se trouve toujours face à ces bombes nucléaires à retardement qui, dans de nombreux endroits, peuvent déclencher une nouvelle catastrophe, à cause d’un tremblement de terre ou d’autres points faibles.
Maintes et maintes fois, nous entendons les arguments avancés par les défenseurs de l’énergie nucléaire selon lesquels l’électricité nucléaire produite est moins chère, plus propre et qu’il n’y a pas d’autre alternative. Il est un fait que la construction d’une centrale coûte des sommes gigantesques qui, grâce à l’aide de subventions de l’Etat, sont prises en charge par les compagnies d’électricité. Mais la majeure partie des coûts de l’élimination des déchets nucléaires n’est pas prise en charge par les sociétés d’exploitation. De plus, les coûts de démolition d’une centrale nucléaire sont énormes. En Grande-Bretagne, on a estimé que le coût de démantèlement des centrales nucléaires existantes s’élèverait à 100 milliards d’euros pour le pays, soit environ 3 milliards d’euros par centrale nucléaire.
Et si jamais survient un incident ou un accident nucléaire, l’Etat doit venir à la rescousse. A Fukushima, les coûts de démolition et de suivi, dont l’importance est encore inconnue, sont estimés à environ 250 milliards d’euros. Tepco n’a pas pu réunir cette somme. L’Etat japonais a donc “promis son aide”, à la condition que les employés fassent des sacrifices : les pensions et les salaires sont abaissés, des milliers d’emplois sont supprimés ! Des charges fiscales spéciales sont prévues dans le budget japonais. Ayant tiré les leçons des accidents précédents, les entreprises opérant en France ont limité leur responsabilité à 700 millions d’euros en cas d’accident, avec la bénédiction grassement rétribuée des politicards locaux et nationaux, ce qui n’est rien en comparaison du coût économique d’une catastrophe nucléaire.
D’un point de vue économique et écologique, le coût réel du fonctionnement des centrales et la question non résolue des déchets nucléaires sont un puits sans fond. A tous égards, la puissance nucléaire est un projet irrationnel. Les sociétés d’énergie nucléaire reçoivent des quantités massives d’argent pour la production d’énergie, mais elles reportent les coûts d’entretien sur l’ensemble de la société. Les centrales nucléaires incarnent la contradiction capitaliste insurmontable entre la recherche du profit et la protection à long terme de l’homme et de la nature.
L’énergie nucléaire ne constitue pas le seul danger pour l’environnement. Le capitalisme pratique un appauvrissement permanent de la nature. Il pille en permanence toutes les ressources, sans aucun souci de l’avenir pour l’humanité, d’harmonie avec la nature, il traite cette dernière comme une gigantesque décharge.
Aujourd’hui, des pans entiers de la terre sont devenus inhabitables et de vastes zones de la mer sont irrémédiablement intoxiquées. Ce système décadent est lancé dans une dynamique irrationnelle, où de plus en plus de nouveaux moyens technologiques sont développés mais dont l’exploitation devient de plus en plus coûteuse et destructrice pour les ressources naturelles. Lorsqu’en 2010, sur les rivages de la principale puissance industrielle, les Etats-Unis, la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon a explosé, l’enquête sur l’accident a dévoilé des plaies béantes dans les règles de sécurité.
La pression découlant de la concurrence contraint les rivaux, quand ils ont à investir de grosses sommes d’argent dans la construction et l’entretien des sites de production, à économiser et à saper les normes de sécurité. L’exemple le plus récent est la pollution par les hydrocarbures, au large des côtes atlantiques du Brésil. Toutes ces négligences ne se font pas seulement dans les pays technologiquement arriérés, mais prennent des proportions encore plus incroyables précisément dans les pays les plus développés, parce que leurs moyens sont infiniment plus puissants.
L’énergie nucléaire a été développée au cours de la Seconde Guerre mondiale, comme un instrument de guerre. Le bombardement nucléaire de deux villes japonaises a inauguré un nouveau niveau de destruction dans ce système décadent. La course aux armements pendant la Guerre Froide, avec son déploiement systématique de l’arme nucléaire, a poussé la capacité militaire de destruction au point où l’humanité pourrait être anéantie d’un seul coup. Aujourd’hui, plus de deux décennies après 1989 et l’effondrement du bloc de l’Est qui devait permettre la naissance d’une nouvelle ère de “paix”, il subsiste encore quelque 20 000 têtes nucléaires pouvant anéantir de nombreuses fois l’humanité.
Non seulement concernant la question de l’énergie nucléaire, mais aussi la protection de l’environnement, la classe dirigeante est de plus en plus irresponsable, comme l’a montré le véritable fiasco du récent sommet de Durban. La destruction de l’environnement a atteint aujourd’hui une échelle supérieure et la classe dirigeante est totalement incapable de changer de cap comme de prendre les mesures appropriées. La planète et l’humanité sont sacrifiées sur l’autel du profit.
Une course contre le temps a commencé. Soit le capitalisme détruit toute la planète, soit les exploités et les opprimés, avec la classe ouvrière à leur tête, réussissent à renverser le système. Parce que le capitalisme constitue une menace pour l’humanité à différents niveaux (crise, guerre, environnement), il ne peut pas se contenter de lutter seulement contre un aspect de la réalité capitaliste, par exemple, contre l’énergie nucléaire. Il y a un lien indéfectible entre ces différentes menaces et leurs racines dans le système capitaliste. Pendant les années 1980 et 1990, il y a eu beaucoup de mouvements portant sur un seul point (tels que la lutte contre l’énergie nucléaire, contre la militarisation, contre la pénurie de logement, etc.), ce qui avait pour résultat de morceler les luttes. Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de montrer la faillite de l’ensemble du système. Il est vrai que les connexions entre les différents aspects ne sont pas faciles à comprendre, mais si nous ne prenons pas en compte le lien entre la crise, la guerre et la destruction écologique, notre lutte se retrouvera dans une impasse, en croyant à tort que nous pourrions trouver des solutions dans le système, que les choses pourraient être réformées en gardant le même mode de production. Si nous suivions cette voie, notre combat serait un échec.
Di (janvier 2012)
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/ri_430.pdf
[2] https://www.liberation.fr/politiques/01012392182-francois-hollande-a-florange-notre-messie
[3] https://www.liberation.fr/politiques/01012392179-la-campagne-decouvre-l-industrie
[4] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
[5] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[6] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[7] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/afrique
[8] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[9] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne
[10] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[11] https://www.publico.es/espana/enemigo-manifestantes.html
[12] https://fr.internationalism.org/tag/5/46/suisse
[13] https://fr.internationalism.org/ri429/fukushima_un_an_apres_une_catastrophe_planetaire.html
[14] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/catastrophes