“La France n’est pas menacée”, selon la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. “La France n’est pas dans la même catégorie que l’Irlande ou le Portugal”, affirme l’Elysée.
Ouf, nous voilà soulagés… Un instant, nous avions eu la douloureuse impression que le capitalisme était plongé tout entier dans une crise économique mondiale effroyable, que dans tous les pays, la misère se répandait comme la peste, qu’aucun de nous, travailleurs, ne serait épargné… mais si les Autorités nous assurent que tout ce fléau va s’arrêter aux frontières de l’hexagone… alors… nous sommes rassurés.
En cette fin d’année 2010, la bourgeoisie française veut nous faire croire au Père Noël. Très bien, il existe peut être. Mais en ce cas, c’est vraiment une ordure !
Après la Grèce en mai, l’Irlande a sombré à son tour. Fin novembre, le “Tigre Celtique” a perdu ses griffes, ses crocs et sa queue. Le krach ! La faillite ! La banqueroute !
Durant les 20 dernières années, l’Irlande était pourtant sans cesse citée en exemple. Sa croissance était “époustouflante”, à l’image de celle des tigres asiatiques des années 1980-1990. D’où son surnom de Celtic Tiger. Un vrai petit modèle pour tous les gouvernements du monde. Mais, exactement comme ses cousins d’Orient, sa croissance était financée par… l’endettement. Et exactement comme ses cousins d’Orient qui se sont effondrés en 1997, le miracle s’est révélé être un mirage. L’Etat, les banques, les entreprises, les ménages, croulent tous aujourd’hui sous une montagne de dettes. Les familles ouvrières ont, en moyenne, un taux d’endettement de 190% ! En 2010, la totalité des engagements des banques irlandaises a atteint 1 342 milliards d’euros, soit plus de huit fois le PIB du pays (164 milliards d’euros en 2009) ! Or, ces créances que détiennent les banques ont perdu une grande partie de leur valeur avec la crise économique et l’explosion de la bulle immobilière. Les banques irlandaises se retrouvent donc aujourd’hui au bord du gouffre. Nombre de prêts qu’elles ont accordés ne pourront pas être honorés. La première d’entre elles, Anglo Irish Bank, a ainsi perdu 12,9 milliards d’euros en 2009 et presque autant rien qu’au premier semestre 2010.
Face au danger de faillites en cascade, l’Etat irlandais a déjà injecté 46 milliards de fonds propres dans ses banques mais au prix d’un déficit abyssal de 32 % du PIB (quand les critères européens fixent un maximum à 3 %). Et aujourd’hui, évidemment, c’est l’Etat lui-même qui sombre à son tour.
Cette situation économique catastrophique a donc contraint les pays de l’Union Européenne à se porter au chevet du malade. Ils ont débloqué 85 milliards d’euros d’aide. Cela ne soigne pas, certes, mais ça permet de gagner du temps, de prolonger l’agonie.
La bourgeoisie irlandaise n’a, dans toute cette histoire, qu’une seule consolation, elle n’est pas seule à sombrer. Le Portugal la suit de près, de très près. « Le Portugal devrait être le prochain sur la liste. Je ne sais pas si ce sera avant Noël, mais ce sera de toute façon inévitable l’année prochaine », a ainsi estimé Filipe Garcia, conseiller financier portugais au cabinet Informação de Mercados Financeiros. Là aussi, les dettes sont comme un boulet attaché aux pieds du pays qui l’entraîne inexorablement vers le fond. Et les gesticulations de la classe dominante portugaise n’y changeront rien. La dette publique ne cesse de gonfler et devrait, de l’aveu même du gouvernement, atteindre 82 % du PIB à la fin de l’année 2010.
Mais, à en croire José Socrates, le Premier ministre socialiste portugais les travailleurs peuvent être rassurés, “il n’y a aucun rapport entre le Portugal et l’Irlande” . Néanmoins, pour ceux qui auraient un doute envers la profonde honnêteté des grands dirigeants de la planète, continuons de voyager dans ce monde en crise.
Si des sueurs d’effroi coulent le long des tempes des dirigeants des pays européens, ce n’est ni pour l’Irlande, ni pour le Portugal… mais pour l’Espagne “L’Espagne est trop grande pour s’effondrer, et trop grande pour être renflouée”, a résumé l’économiste américain Nouriel Roubini, devenu l’une des voix les plus écoutées depuis qu’il a été le premier économiste, en 2007, à prédire la crise mondiale.
Selon le FMI, une bonne partie des banques espagnoles (plus d’une cinquantaine d’établissements) “souffrent” fortement de l’explosion de la bulle immobilière. “Un effondrement du système bancaire ne serait donc pas exclu”. Quand le FMI, cette grande institution internationale bourgeoise dont l’un des rôles est d’afficher les perspectives les plus optimistes possibles, commence à utiliser de tels euphémismes, “il n’est pas à exclure que…”, cela signifie que le pire est inévitable !
Le hic, c’est que la péninsule ibérique pèse 10 % du PNB européen. Le sauvetage de l’Espagne en cas de défaillance est ainsi estimé à 800 milliards d’euros, soit 10 fois l’aide apportée à la Grèce ! Inutile de dire qu’une telle débâcle serait synonyme d’une véritable tempête économique sur toute la zone euro.
Mais là encore, aucune crainte à avoir, les Autorités affirment quils ont tout sous contrôle. La preuve, le chef du gouvernement socialiste espagnol José Luis Rodriguez Zapatero a écarté “absolument” l’éventualité d’un plan de sauvetage financier à la grecque ou à l’irlandaise. Convaincant ? Non, n’est-ce pas ? Cette insistance pour dire, contre toute vraisemblance, que “tout va bien” est même plutôt inquiétante. Et la liste des pays en perdition est loin d’être terminée.
L’Italie croule tout simplement sous l’une des dettes publiques les plus élevées du monde, représentant près de 120 % de son PIB. Pour l’économiste canadien Robert Mundell, Prix Nobel d’économie, l’Italie constitue ainsi “la plus grande menace” qui soit pour la monnaie unique européenne.
Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne (Spain en anglais), ce quinté n’est pas une surprise, cela fait deux ans que tous les économistes pointent ces Etats du doigt comme des survivants en sursis. Le sigle qu’ils forment, PIIGS, est devenu un label pour “pays en faillite”. Mais aujourd’hui, fait nouveau, d’autres pays de la zone Euro sont ouvertement menacés par la banqueroute.
Si des doutes sur la solidité des Pays-Bas grandissent peu à peu, la Belgique est, elle, d’ores et déjà sur le sellette. Selon un article du journal britannique The Guardian, le plat pays serait en effet le prochain sur la liste des pays connaissant la plus forte crise économique.
Et la France, cette nation qui « n’est pas menacée”, où en est-elle vraiment ? Comme souvent, le coup le plus meurtrier est porté involontairement par ceux là-même qui s’efforcent le plus de soutenir et rassurer. Le président de l’agence de notation Standard & Poor’s, Deven Sharma, a ainsi affirmé “A l’heure actuelle, la France mérite son ‘rating’ AAA”1. Notez bien… “A l’heure actuelle”. Et voici le coup de grâce, “D’autres pays seront dégradés avant que la France ne le soit”. Les propos de Nouriel Roubini, “La France, par certains aspects essentiels, n’a pas l’air en bien meilleur état que la périphérie2”, sont finalement presque moins cruels.
Ces difficultés économiques profondes de l’Etat français se concrétisent déjà à travers des difficultés pour payer les fonctionnaires et les contractuels. Huit ministères (dont l’Education nationale) ont été contraints de contracter un prêt pour verser les payes de leurs agents en décembre. Et des milliers d’employés précaires (en CCD) en fin de contrat n’ont pas encore touchés leur prime de départ (10% du salaire) depuis le printemps !
Reste LE pillier de la Zone Euro, l’Allemagne. Avec près de 3 % de croissance, et un endettement étatique relativement limité, le pays d’outre-Rhin semble être actuellement le seul pays européen à tenir le coup. C’est en tout cas ce que disent les experts… Mais à y regarder de plus prêt, les fondations sont tout aussi pourries. L’Allemagne est le pays qui, après l’Irlande, a injecté, en 2008, le plus d’argent dans ces banques en difficulté avec 180,94 milliards d’euros. Le Financial Times a estimé, en septembre, que le système bancaire le plus menacé n’était ni portugais ni espagnol mais bel et bien allemand. « Il est dans son ensemble presque insolvable et le gouvernement doit se résoudre à sacrifier plusieurs établissements, sous peine de faire face à de graves problèmes », écrit le célèbre quotidien économique britannique. La chute de la maison irlandaise rend le problème d’autant plus urgent que les banques allemandes détiennent 205 milliards de dollars d’actifs irlandais… Un record au sein de la zone euro. De surcroit, l’appareil industriel est totalement dépendant des exportations alors que les débouchés extérieurs vont certainement se réduire fortement dans les mois et années à venir.
Bref, toute l’Union Européenne est mal en point. Mme Merkel, la chancelière allemande, a ainsi avoué, avant de se rétracter, que la zone euro était “dans une situation extrêmement sérieuse”. Avec Nicolas Sarkozy, ils ont commencé à annoncer la mise en place progressive de structure palliative permettant la mise en faillite officielle d’Etats européens avec, à la clef, une « restructuration de la dette ». Angela Merkel s’est alors empressée d’ajouter “Mais je ne vois pas d’Etat qui soit dans cette situation aujourd’hui”. « Aujourd’hui »… mais demain ?
Hors de la Zone Euro, il n’y a pas non plus de salut.
En Grande-Bretagne, la dette publique est de 100%, bien plus que la moyenne de ses voisins européens. Et les différents plans d’austérité censés réduire les déficits n’y changent rien.
Le Japon est plongé depuis plus d’une décennie dans la récession et les dernières nouvelles montrent que son cas s’aggrave. Sa dette publique frôle les 200% !
La première puissance mondiale, les Etats-Unis, est sans aucun doute le malade le plus atteint. Un seul chiffre. Le taux de chômage réel est de 22% (lors de la Grande dépression des années 1930, ce taux était de 25%). Cela signifie que 33 millions de citoyens américains se retrouvent aujourd’hui sans emploi.
Heureusement, il y a pour les économistes un espoir auquel s’accrocher, il se nomme la Chine. La Chine, c’est le Japon des années 1970/1980, les tigres asiatiques des années 1980/1990, l’Islande et l’Irlande des années 2000 : un dynamisme incroyable, une croissance époustouflante, un paradis pour golden boys, un Eldorado pour jeunes investisseurs… en un mot, une bulle qui finira comme les autres… par exploser ! Le boom chinois prendra alors un tout autre sens.
D’ailleurs, s’annoncent déjà les premiers signes de ce dénuement inévitable. L’empire du milieu a une immense bulle immobilière qui ne cesse de gonfler. L’inflation est en train de devenir galopante, 4,4% officiellement, le double officieusement. Les tensions entre yuans et dollars deviennent peu à peu insoutenables. Et la croissance s’avère au fil du temps de moins en moins élevé.
Comparer les tigres asiatiques et la Chine est abusif, nous rétorqueront les sceptiques. C’est vrai, sa chute va faire bien plus de bruit et de dégâts.
« D’un pays à l’autre, les potions utilisées sont différentes – pour ne pas dire opposées – mais elles ont en commun d’être inefficaces. Essayant toutes les combinaisons de remèdes – panachant des interventions des banques centrales et des plans de relance, ou les proscrivant au contraire – les gouvernements tirent dans tous les sens […]. Une ère est en train de se clore, dans laquelle le crédit était facile, aussi bien pour les ménages que pour les Etats. L’ensemble dopait une croissance dont on ne se souciait pas trop de savoir de quoi elle était faite, tant qu’elle se poursuivait allégrement. » (François Leclerc, économiste français).
Tout est là. Le capitalisme a vécu à crédit. Et cette « ère est en train de se clore ».
Depuis les années 1960, ce système survit effectivement par l’injection de plus en plus massives de crédits. La paye des ouvriers ne pouvant suffire à tout absorber, le marché mondial est saturé de marchandises. Pour ne pas être paralysé par la surproduction, pour écouler les produits fabriqués, le capitalisme a dû ouvrir à chaque crise de plus en plus grand les vannes de l’endettement, en 1967, 1973, 1986, 1993, 1997, 2001, 2007…
Après des décennies d’une telle fuite en avant, le résultat était inévitable : les ménages, les entreprises, les banques et les Etats sont tous pris à la gorge par leurs gigantesques dettes.
Il n’y a aujourd’hui plus aucune bonne solution pour le capitalisme. La planche à billets des Etats-Unis, du Japon ou de la Grande-Bretagne, les plans d’austérité européens, les tricheries chinoises avec la valeur de leur monnaie… tous ces pays prennent des chemins différents mais tous se dirigent inexorablement vers le même gouffre.
Il y a aujourd’hui deux symboles à cette absence totale de perspective pour l’économie capitaliste : la montée du protectionnisme et la « guerre des monnaies ».
Depuis le krach de 1929 et la Grande dépression des années 1930, toutes les nations avaient retenu une leçon essentielle : le protectionnisme engendre un chaos mondial indescriptible. Et depuis lors, son interdiction était plus ou moins respectée. Aujourd’hui, toutes les grandes puissances se livrent un véritable bras de fer économique, et elles sont prêtes à tout. Pourtant, au dernier G20 de Séoul, Merkel a demandé un ferme engagement de tous :”Nous devons tout faire pour éviter le protectionnisme ». Mais si elle a dû rappeler cette loi d’airain, c’est que les pressions internationales pour limiter les exportations allemandes et chinoises de par le monde, Etats-Unis en tête, sont de plus en plus importantes. « Exporter ou mourir » est en train de redevenir le cri de guerre économique de toutes les les bourgeoisies nationales concurrentes !
A propos de guerre, celle des monnaies fait la Une des médias depuis plusieurs mois. De quoi s’agit-il ? En fait, sur le marché monétaire, ce ne sont pas les devises qui s’affrontent, comme on aimerait nous le faire croire, mais les nations. Un seul exemple. En faisant tourner leur planche à billets et en créant ainsi des quantités inimaginables de dollars afin de soutenir artificiellement leur économie, les Etats-Unis font baisser la valeur même de cette monnaie. Ils exportent d’ailleurs ainsi plus facilement. Mais les pays qui détiennent des milliers de milliards de la devise américaine, comme la Chine, voit leur trésor fondre comme neige au soleil. La livre anglaise, le yuan chinois, le yen japonais comme l’Euro, toutes ces monnaies sont elles-aussi des armes aux mains de chaque Etat pour soutenir la demande intérieure et essayer de favoriser leurs propres exportations. Seulement, une telle « guerre des monnaies » implique aussi des risques de déstabilisation internationale incontrôlable : dévaluation massive, inflation galopante, explosion de l’euro…
Faillites de banques, de caisses d’épargne, de multinationales, de régions ou d’Etats, éclatement de la bulle chinoise, montée du protectionnisme, fin de l’euro, dévaluation massive du dollar ou de la livre sterling… personne ne peut savoir quelle planche pourrie va craquer la première sous nos pieds, ni quand. Une seule chose est certaine : dans tous les pays, l’avenir nous réserve des secousses économiques dévastatrices. Le capitalisme est un système moribond. Il entraîne progressivement, mais inexorablement, toute l’humanité vers les affres de la misère et de la guerre.
Aujourd’hui, comme hier, les gouvernements de tous les pays, quelle que soit leur couleur politique, de gauche comme de droite, appellent les travailleurs à « se serrer la ceinture », à « accepter des sacrifices » pour « relancer l’économie et renouer avec la croissance ». Mensonges ! Les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer… les sacrifices plus lourds encore de demain.
Seule la lutte de classe peut permettre de ralentir les attaques. Et seule la révolution prolétarienne internationale mettra fin au supplice qu’inflige ce système d’exploitation à une partie toujours plus importante de l’humanité.
Pawel (9 décembre)
1) La note AAA est la plus élevée, elle signifie que l’agence estime que cette économie nationale a les reins solides.
2) C’est à dire les PIIGS.
“La France n’est pas menacée”, selon la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. “La France n’est pas dans la même catégorie que l’Irlande ou le Portugal”, affirme l’Elysée.
Ouf, nous voilà soulagés… Un instant, nous avions eu la douloureuse impression que le capitalisme était plongé tout entier dans une crise économique mondiale effroyable, que dans tous les pays, la misère se répandait comme la peste, qu’aucun de nous, travailleurs, ne serait épargné… mais si les Autorités nous assurent que tout ce fléau va s’arrêter aux frontières de l’hexagone… alors… nous sommes rassurés.
En cette fin d’année 2010, la bourgeoisie française veut nous faire croire au Père Noël. Très bien, il existe peut être. Mais en ce cas, c’est vraiment une ordure !
Après la Grèce en mai, l’Irlande a sombré à son tour. Fin novembre, le “Tigre Celtique” a perdu ses griffes, ses crocs et sa queue. Le krach ! La faillite ! La banqueroute !
Durant les 20 dernières années, l’Irlande était pourtant sans cesse citée en exemple. Sa croissance était “époustouflante”, à l’image de celle des tigres asiatiques des années 1980-1990. D’où son surnom de Celtic Tiger. Un vrai petit modèle pour tous les gouvernements du monde. Mais, exactement comme ses cousins d’Orient, sa croissance était financée par… l’endettement. Et exactement comme ses cousins d’Orient qui se sont effondrés en 1997, le miracle s’est révélé être un mirage. L’Etat, les banques, les entreprises, les ménages, croulent tous aujourd’hui sous une montagne de dettes. Les familles ouvrières ont, en moyenne, un taux d’endettement de 190% ! En 2010, la totalité des engagements des banques irlandaises a atteint 1 342 milliards d’euros, soit plus de huit fois le PIB du pays (164 milliards d’euros en 2009) ! Or, ces créances que détiennent les banques ont perdu une grande partie de leur valeur avec la crise économique et l’explosion de la bulle immobilière. Les banques irlandaises se retrouvent donc aujourd’hui au bord du gouffre. Nombre de prêts qu’elles ont accordés ne pourront pas être honorés. La première d’entre elles, Anglo Irish Bank, a ainsi perdu 12,9 milliards d’euros en 2009 et presque autant rien qu’au premier semestre 2010.
Face au danger de faillites en cascade, l’Etat irlandais a déjà injecté 46 milliards de fonds propres dans ses banques mais au prix d’un déficit abyssal de 32 % du PIB (quand les critères européens fixent un maximum à 3 %). Et aujourd’hui, évidemment, c’est l’Etat lui-même qui sombre à son tour.
Cette situation économique catastrophique a donc contraint les pays de l’Union Européenne à se porter au chevet du malade. Ils ont débloqué 85 milliards d’euros d’aide. Cela ne soigne pas, certes, mais ça permet de gagner du temps, de prolonger l’agonie.
La bourgeoisie irlandaise n’a, dans toute cette histoire, qu’une seule consolation, elle n’est pas seule à sombrer. Le Portugal la suit de près, de très près. « Le Portugal devrait être le prochain sur la liste. Je ne sais pas si ce sera avant Noël, mais ce sera de toute façon inévitable l’année prochaine », a ainsi estimé Filipe Garcia, conseiller financier portugais au cabinet Informação de Mercados Financeiros. Là aussi, les dettes sont comme un boulet attaché aux pieds du pays qui l’entraîne inexorablement vers le fond. Et les gesticulations de la classe dominante portugaise n’y changeront rien. La dette publique ne cesse de gonfler et devrait, de l’aveu même du gouvernement, atteindre 82 % du PIB à la fin de l’année 2010.
Mais, à en croire José Socrates, le Premier ministre socialiste portugais les travailleurs peuvent être rassurés, “il n’y a aucun rapport entre le Portugal et l’Irlande” . Néanmoins, pour ceux qui auraient un doute envers la profonde honnêteté des grands dirigeants de la planète, continuons de voyager dans ce monde en crise.
Si des sueurs d’effroi coulent le long des tempes des dirigeants des pays européens, ce n’est ni pour l’Irlande, ni pour le Portugal… mais pour l’Espagne “L’Espagne est trop grande pour s’effondrer, et trop grande pour être renflouée”, a résumé l’économiste américain Nouriel Roubini, devenu l’une des voix les plus écoutées depuis qu’il a été le premier économiste, en 2007, à prédire la crise mondiale.
Selon le FMI, une bonne partie des banques espagnoles (plus d’une cinquantaine d’établissements) “souffrent” fortement de l’explosion de la bulle immobilière. “Un effondrement du système bancaire ne serait donc pas exclu”. Quand le FMI, cette grande institution internationale bourgeoise dont l’un des rôles est d’afficher les perspectives les plus optimistes possibles, commence à utiliser de tels euphémismes, “il n’est pas à exclure que…”, cela signifie que le pire est inévitable !
Le hic, c’est que la péninsule ibérique pèse 10 % du PNB européen. Le sauvetage de l’Espagne en cas de défaillance est ainsi estimé à 800 milliards d’euros, soit 10 fois l’aide apportée à la Grèce ! Inutile de dire qu’une telle débâcle serait synonyme d’une véritable tempête économique sur toute la zone euro.
Mais là encore, aucune crainte à avoir, les Autorités affirment quils ont tout sous contrôle. La preuve, le chef du gouvernement socialiste espagnol José Luis Rodriguez Zapatero a écarté “absolument” l’éventualité d’un plan de sauvetage financier à la grecque ou à l’irlandaise. Convaincant ? Non, n’est-ce pas ? Cette insistance pour dire, contre toute vraisemblance, que “tout va bien” est même plutôt inquiétante. Et la liste des pays en perdition est loin d’être terminée.
L’Italie croule tout simplement sous l’une des dettes publiques les plus élevées du monde, représentant près de 120 % de son PIB. Pour l’économiste canadien Robert Mundell, Prix Nobel d’économie, l’Italie constitue ainsi “la plus grande menace” qui soit pour la monnaie unique européenne.
Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne (Spain en anglais), ce quinté n’est pas une surprise, cela fait deux ans que tous les économistes pointent ces Etats du doigt comme des survivants en sursis. Le sigle qu’ils forment, PIIGS, est devenu un label pour “pays en faillite”. Mais aujourd’hui, fait nouveau, d’autres pays de la zone Euro sont ouvertement menacés par la banqueroute.
Si des doutes sur la solidité des Pays-Bas grandissent peu à peu, la Belgique est, elle, d’ores et déjà sur le sellette. Selon un article du journal britannique The Guardian, le plat pays serait en effet le prochain sur la liste des pays connaissant la plus forte crise économique.
Et la France, cette nation qui « n’est pas menacée”, où en est-elle vraiment ? Comme souvent, le coup le plus meurtrier est porté involontairement par ceux là-même qui s’efforcent le plus de soutenir et rassurer. Le président de l’agence de notation Standard & Poor’s, Deven Sharma, a ainsi affirmé “A l’heure actuelle, la France mérite son ‘rating’ AAA”[1]. Notez bien… “A l’heure actuelle”. Et voici le coup de grâce, “D’autres pays seront dégradés avant que la France ne le soit”. Les propos de Nouriel Roubini, “La France, par certains aspects essentiels, n’a pas l’air en bien meilleur état que la périphérie[2]”, sont finalement presque moins cruels.
Ces difficultés économiques profondes de l’Etat français se concrétisent déjà à travers des difficultés pour payer les fonctionnaires et les contractuels. Huit ministères (dont l’Education nationale) ont été contraints de contracter un prêt pour verser les payes de leurs agents en décembre. Et des milliers d’employés précaires (en CCD) en fin de contrat n’ont pas encore touchés leur prime de départ (10% du salaire) depuis le printemps !
Reste LE pillier de la Zone Euro, l’Allemagne. Avec près de 3 % de croissance, et un endettement étatique relativement limité, le pays d’outre-Rhin semble être actuellement le seul pays européen à tenir le coup. C’est en tout cas ce que disent les experts… Mais à y regarder de plus prêt, les fondations sont tout aussi pourries. L’Allemagne est le pays qui, après l’Irlande, a injecté, en 2008, le plus d’argent dans ces banques en difficulté avec 180,94 milliards d’euros. Le Financial Times a estimé, en septembre, que le système bancaire le plus menacé n’était ni portugais ni espagnol mais bel et bien allemand. « Il est dans son ensemble presque insolvable et le gouvernement doit se résoudre à sacrifier plusieurs établissements, sous peine de faire face à de graves problèmes », écrit le célèbre quotidien économique britannique. La chute de la maison irlandaise rend le problème d’autant plus urgent que les banques allemandes détiennent 205 milliards de dollars d’actifs irlandais… Un record au sein de la zone euro. De surcroit, l’appareil industriel est totalement dépendant des exportations alors que les débouchés extérieurs vont certainement se réduire fortement dans les mois et années à venir.
Bref, toute l’Union Européenne est mal en point. Mme Merkel, la chancelière allemande, a ainsi avoué, avant de se rétracter, que la zone euro était “dans une situation extrêmement sérieuse”. Avec Nicolas Sarkozy, ils ont commencé à annoncer la mise en place progressive de structure palliative permettant la mise en faillite officielle d’Etats européens avec, à la clef, une « restructuration de la dette ». Angela Merkel s’est alors empressée d’ajouter “Mais je ne vois pas d’Etat qui soit dans cette situation aujourd’hui”. « Aujourd’hui »… mais demain ?
Hors de la Zone Euro, il n’y a pas non plus de salut.
En Grande-Bretagne, la dette publique est de 100%, bien plus que la moyenne de ses voisins européens. Et les différents plans d’austérité censés réduire les déficits n’y changent rien.
Le Japon est plongé depuis plus d’une décennie dans la récession et les dernières nouvelles montrent que son cas s’aggrave. Sa dette publique frôle les 200% !
La première puissance mondiale, les Etats-Unis, est sans aucun doute le malade le plus atteint. Un seul chiffre. Le taux de chômage réel est de 22% (lors de la Grande dépression des années 1930, ce taux était de 25%). Cela signifie que 33 millions de citoyens américains se retrouvent aujourd’hui sans emploi.
Heureusement, il y a pour les économistes un espoir auquel s’accrocher, il se nomme la Chine. La Chine, c’est le Japon des années 1970/1980, les tigres asiatiques des années 1980/1990, l’Islande et l’Irlande des années 2000 : un dynamisme incroyable, une croissance époustouflante, un paradis pour golden boys, un Eldorado pour jeunes investisseurs… en un mot, une bulle qui finira comme les autres… par exploser ! Le boom chinois prendra alors un tout autre sens.
D’ailleurs, s’annoncent déjà les premiers signes de ce dénuement inévitable. L’empire du milieu a une immense bulle immobilière qui ne cesse de gonfler. L’inflation est en train de devenir galopante, 4,4% officiellement, le double officieusement. Les tensions entre yuans et dollars deviennent peu à peu insoutenables. Et la croissance s’avère au fil du temps de moins en moins élevé.
Comparer les tigres asiatiques et la Chine est abusif, nous rétorqueront les sceptiques. C’est vrai, sa chute va faire bien plus de bruit et de dégâts.
« D’un pays à l’autre, les potions utilisées sont différentes – pour ne pas dire opposées – mais elles ont en commun d’être inefficaces. Essayant toutes les combinaisons de remèdes – panachant des interventions des banques centrales et des plans de relance, ou les proscrivant au contraire – les gouvernements tirent dans tous les sens […]. Une ère est en train de se clore, dans laquelle le crédit était facile, aussi bien pour les ménages que pour les Etats. L’ensemble dopait une croissance dont on ne se souciait pas trop de savoir de quoi elle était faite, tant qu’elle se poursuivait allégrement. » (François Leclerc, économiste français).
Tout est là. Le capitalisme a vécu à crédit. Et cette « ère est en train de se clore ».
Depuis les années 1960, ce système survit effectivement par l’injection de plus en plus massives de crédits. La paye des ouvriers ne pouvant suffire à tout absorber, le marché mondial est saturé de marchandises. Pour ne pas être paralysé par la surproduction, pour écouler les produits fabriqués, le capitalisme a dû ouvrir à chaque crise de plus en plus grand les vannes de l’endettement, en 1967, 1973, 1986, 1993, 1997, 2001, 2007…
Après des décennies d’une telle fuite en avant, le résultat était inévitable : les ménages, les entreprises, les banques et les Etats sont tous pris à la gorge par leurs gigantesques dettes.
Il n’y a aujourd’hui plus aucune bonne solution pour le capitalisme. La planche à billets des Etats-Unis, du Japon ou de la Grande-Bretagne, les plans d’austérité européens, les tricheries chinoises avec la valeur de leur monnaie… tous ces pays prennent des chemins différents mais tous se dirigent inexorablement vers le même gouffre.
Il y a aujourd’hui deux symboles à cette absence totale de perspective pour l’économie capitaliste : la montée du protectionnisme et la « guerre des monnaies ».
Depuis le krach de 1929 et la Grande dépression des années 1930, toutes les nations avaient retenu une leçon essentielle : le protectionnisme engendre un chaos mondial indescriptible. Et depuis lors, son interdiction était plus ou moins respectée. Aujourd’hui, toutes les grandes puissances se livrent un véritable bras de fer économique, et elles sont prêtes à tout. Pourtant, au dernier G20 de Séoul, Merkel a demandé un ferme engagement de tous :”Nous devons tout faire pour éviter le protectionnisme ». Mais si elle a dû rappeler cette loi d’airain, c’est que les pressions internationales pour limiter les exportations allemandes et chinoises de par le monde, Etats-Unis en tête, sont de plus en plus importantes. « Exporter ou mourir » est en train de redevenir le cri de guerre économique de toutes les les bourgeoisies nationales concurrentes !
A propos de guerre, celle des monnaies fait la Une des médias depuis plusieurs mois. De quoi s’agit-il ? En fait, sur le marché monétaire, ce ne sont pas les devises qui s’affrontent, comme on aimerait nous le faire croire, mais les nations. Un seul exemple. En faisant tourner leur planche à billets et en créant ainsi des quantités inimaginables de dollars afin de soutenir artificiellement leur économie, les Etats-Unis font baisser la valeur même de cette monnaie. Ils exportent d’ailleurs ainsi plus facilement. Mais les pays qui détiennent des milliers de milliards de la devise américaine, comme la Chine, voit leur trésor fondre comme neige au soleil. La livre anglaise, le yuan chinois, le yen japonais comme l’Euro, toutes ces monnaies sont elles-aussi des armes aux mains de chaque Etat pour soutenir la demande intérieure et essayer de favoriser leurs propres exportations. Seulement, une telle « guerre des monnaies » implique aussi des risques de déstabilisation internationale incontrôlable : dévaluation massive, inflation galopante, explosion de l’euro…
Faillites de banques, de caisses d’épargne, de multinationales, de régions ou d’Etats, éclatement de la bulle chinoise, montée du protectionnisme, fin de l’euro, dévaluation massive du dollar ou de la livre sterling… personne ne peut savoir quelle planche pourrie va craquer la première sous nos pieds, ni quand. Une seule chose est certaine : dans tous les pays, l’avenir nous réserve des secousses économiques dévastatrices. Le capitalisme est un système moribond. Il entraîne progressivement, mais inexorablement, toute l’humanité vers les affres de la misère et de la guerre.
Aujourd’hui, comme hier, les gouvernements de tous les pays, quelle que soit leur couleur politique, de gauche comme de droite, appellent les travailleurs à « se serrer la ceinture », à « accepter des sacrifices » pour « relancer l’économie et renouer avec la croissance ». Mensonges ! Les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer… les sacrifices plus lourds encore de demain.
Seule la lutte de classe peut permettre de ralentir les attaques. Et seule la révolution prolétarienne internationale mettra fin au supplice qu’inflige ce système d’exploitation à une partie toujours plus importante de l’humanité.
Pawel (9 décembre)
1. La note AAA est la plus élevée, elle signifie que l’agence estime que cette économie nationale a les reins solides.
2. C’est à dire les PIIGS.
Les grèves et les manifestations d’octobre-novembre en France qui se sont déroulées à l’occasion de la réforme des retraites ont témoigné d’une forte combativité dans les rangs des prolétaires (même si elles n’ont pas réussi à faire reculer la bourgeoisie). Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique internationale de notre classe qui retrouve progressivement le chemin de la lutte. Ainsi, d’autres combats de classe sont en cours dans de nombreux autres pays. La crise économique et la bourgeoisie portent leur coups de boutoir partout dans le monde. Et partout, de l’Europe aux Etats-Unis, les travailleurs commencent peu à peu à réagir et à refuser la paupérisation, l’austérité et les sacrifices « salutaires » (sic !) imposés.
Pour l’instant, cette riposte est en deçà des attaques que nous subissons. C’est incontestable. Mais une dynamique est enclenchée, la réflexion ouvrière et la combativité vont continuer de se développer. Pour preuve, ce fait nouveau : des minorités cherchent aujourd’hui à s’auto-organiser, à contribuer au développement de luttes massives et à se dégager de l’emprise syndicale.
Nous publions dans ce journal (page 5), deux courts articles sur les mouvement qui ont eu lieu récemment en Grande-Bretagne et en Espagne. Un état des lieux plus complet des luttes à travers le monde (Irlande, Etats-Unis, Portugal, France, Pays-Bas… sera très prochainement publié dans notre Revue Internationale et sur ce site).
Le premier samedi après l’annonce du plan de rigueur gouvernemental de réduction drastique des dépenses publiques, le 23 octobre, se sont déroulées un certain nombre de manifestations contre les coupes budgétaires, partout dans le pays, appelées par divers syndicats. Le nombre de participants, variant de 300 à Cardiff à 15 000 à Belfast ou 25 000 à Edimbourg, révèle le profondeur de la colère.
Une autre démonstration de ce ras le bol généralisé est la rébellion des étudiants contre la hausse de 300 % des frais d’inscription dans les universités. Déjà ces frais les contraignaient à s’endetter lourdement pour rembourser après leurs études des sommes astronomiques (pouvant aller jusqu’à 95 000 euros !). Ces nouvelles hausses ont donc provoqué toute une série de manifestations du Nord au Sud du pays (5 mobilisations en moins d’un mois : les 10, 24 et 30 novembre, les 4 et 9 décembre). Cette hausse a tout de même été définitivement votée à la chambre des Communes le 8 décembre.
Grèves des universitaires, dans la formation continue, des étudiants des écoles supérieures et des lycées, occupations d’une longue liste d’universités, de nombreuses réunions pour discuter de la voie à suivre... les étudiants ont reçu le soutien et la solidarité de la part de nombreux enseignants, notamment en fermant les yeux devant les absences des grévistes en classe (l’assiduité au cours est ici strictement réglementée) comme en allant rendre visite aux étudiants et en discutant avec eux.
La révolte des étudiants et élèves contre la hausse des frais de scolarité est toujours en marche. Les précédentes se sont terminées par des affrontements violents avec la police anti-émeutes pratiquant une stratégie d’encerclement, n’hésitant pas à matraquer les manifestants, ce qui s’est traduit par de nombreux blessés et de nombreuses arrestations, surtout à Londres, alors que des occupations se déroulaient dans une quinzaine d’universités avec le soutien d’enseignants. Le 10 novembre, les étudiants avaient envahi le siège du parti conservateur et le 8 décembre, ils ont tenté de pénétrer dans le ministère des finances et à la Cour suprême, tandis que les manifestants ont tenté de s’en prendre à la Rolls-Royce transportant le prince Charles et son épouse Camilla. Les étudiants et ceux qui les soutiennent sont venus aux manifestations de bonne humeur, fabriquant leurs propres bannières et leurs propres slogans, certains d’entre eux rejoignant pour la première fois un mouvement de protestation. Les grèves, manifestations et occupations ont été tout sauf ces sages événements que les syndicats et les ‘officiels’ de la gauche ont habituellement pour mission d’organiser. Les débrayages spontanés, l’investissement du QG du Parti conservateur à Millbank, le défi face aux barrages de police, ou leur contournement inventif, l’invasion des mairies et autres lieux publics, ne sont que quelques expressions de cette attitude ouvertement rebelle. Et le dégoût devant la condamnation des manifestants à Millbank de Porter Aaron, le président du NUS (Syndicat National des Etudiants), était si répandu qu’il a dû ensuite présenter ses plus plates excuses.
Cet élan de résistance à peine contrôlé a inquiété les gouvernants. Un signe clair de cette inquiétude est le niveau de la répression policière utilisée contre les manifestations. Le 24 novembre à Londres, des milliers de manifestants ont été encerclés par la police quelques minutes après leur départ de Trafalgar Square, et malgré quelques tentatives réussies pour percer les lignes de police, les forces de l’ordre ont bloqué des milliers d’entre eux pendant des heures dans le froid. A un moment, la police montée est passée directement à travers la foule. A Manchester, à Lewisham Town Hall et ailleurs, mêmes scènes de déploiement de la force brutale. Après l’irruption au siège du parti conservateur à Millbank, les journaux ont tenu leur partition habituelle en affichant des photos de présumés ‘casseurs’, faisant courir des histoires effrayantes sur les groupes révolutionnaires qui prennent pour cible les jeunes de la nation avec leur propagande maléfique. Tout cela montre la vraie nature de la ‘démocratie’ sous laquelle nous vivons.
La révolte étudiante au Royaume-Uni est la meilleure réponse à l’idée que la classe ouvrière dans ce pays reste passive devant le torrent d’attaques lancées par le gouvernement sur tous les aspects de notre niveau de vie : emplois, salaires, santé, chômage, prestations d’invalidité ainsi que l’éducation. Elle est un avertissement pour les dirigeants que toute une nouvelle génération de la classe exploitée n’accepte pas leur logique de sacrifices et d’austérité.
W. (12 décembre)
Le 3 décembre, le gouvernement du “socaliste José Zapatero s’est livré à une véritable provocation prenant pour cible les aiguilleurs du ciel : l’approbation en Conseil des ministres d’une semi-privatisation de l’Autorité de gestion des aéroports (AENA) , dans le cadre de nouvelles mesures anti-crise prises par le gouvernement socialiste. Cette mesure inclut un dispositif portant à 1670 heures par an le temps maximum légal que pourront travailler les contrôleurs, diminuant leur paiement en heures supplémentaires, reculant l’âge de leur départ en retraite et surtout abaissant leur salaire de 40% en moyenne (alors que les fonctionnaires du pays s’étaient vus récemment imposer une amputation entre 5 et 10 % de leur salaire). La riposte a été immédiate : les contrôleurs aériens ont quitté leurs postes de travail dans les heures qui suivaient, entraînant la fermeture de la majeure partie de l’espace aérien espagnol (sauf en Andalousie), en plein début du plus long “pont” de l’année (5 jours) en Espagne. Une gigantesque campagne idéologique a été orchestrée contre les grévistes présentés comme des “privilégiés” qui “gagnent plus que le chef du gouvernement!.””Il n’est pas tolérable qu’une entreprise publique donne des salaires de millionnaires à ses employés”, avait affirmé le ministre des Transports, Blanco. La presse, elle aussi, s’est déchaînée contre les grévistes : “avec cette attitude, les contrôleurs perdent la raison et la bataille de l’opinion publique”, écrivait El Pais (centre-gauche). La Vanguardia (centre-droit) parlait d’une “prise d’otages intolérable” et ABC (droite) se moquait de ces “malades imaginaires”. Sur Internet, la radio Cadena Ser montrait une photo d’un repas samedi entre plusieurs contrôleurs, avec ce titre rageur : “les responsables du chaos boivent un coup à Madrid”, tandis que sur Facebook, un blog réclamait leur renvoi. Plusieurs contrôleurs, interrogés par El Pais, ont tenté de se défendre : “nous voulons seulement défendre nos droits”, a dit l’un d’eux. “Nous aussi nous sommes des victimes”, ajoutait un autre, “on nous montre comme les méchants dans les films (mais) la faute revient au gouvernement”. Immédiatement après, “l’état d’urgence” a été décrété pendant quinze jours. Cela a permis de soumettre les aiguilleurs du ciel à l’autorité du Ministère de la Défense en les faisant passer du statut civil à celui de militaires mobilisés. les contrôleurs ont alors repris le travail sous 24 heures. Cette clause de la constitution espagnole n’avait jamais été invoquée jusqu’à aujourd’hui. Elle est destinée à aider le gouvernement à faire face à des catastrophes naturelles telles que des séismes et des inondations ou, dans ce cas précis, au blocage d’un service public essentiel au fonctionnement du pays comme le trafic aérien. Loin d’être une catastrophe naturelle, cette grève s’inscrivait, tout simplement, dans la lutte engagée contre le plan d’austérité édicté par le gouvernement socialiste en réduisant les dépenses publiques et les dépenses sociales, en rendant plus facile les licenciements dans un pays qui compte déjà 20 % de chômeurs.
L’état d’urgence permet au gouvernement d’arrêter le personnel des « industries stratégiques » qui refusent de travailler. Le ministre de l’Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba a ainsi menacé : « L’état d’urgence suppose la mobilisation de tous les contrôleurs et la mise à disposition de la justice de tous ceux qui ne se présenteront pas à leurs postes, tombant ainsi sous le coup d’un délit pouvant entraîner de sévères peines de prison pouvant aller de 8 à 10 ans. » Le ministre des Travaux publics et des Transports a en outre demandé qu’une sanction « appropriée » soit appliquée à ce « comportement irresponsable » dont de lourdes amendes et des licenciements contre les grévistes. Un aiguilleur du ciel a déclaré : “On se croirait à nouveau revenu à l’époque de Franco”. C’est en effet la première fois depuis la fin du franquisme que l’article 116-2 de la Constitution est utilisé (les lois permettant l’imposition de tels pouvoirs avaient été laissés dans la constitution « démocratique » rédigée en 1978). Le gouvernement a justifié cette mesure par le caractère exceptionnel du conflit qui l’oppose aux contrôleurs aériens depuis un an. Ces derniers n’ont, en effet, jamais accepté les modifications de leurs conditions de travail en termes de retraite, de temps de travail et de salaire. Outre le soutien massif de la population et des médias, Zapatero a obtenu le renfort du Parti Populaire, PP, qui est sorti de la « contestation systématique » pour appuyer la décision gouvernementale. Loin de s’opposer à cette attaque contre la classe ouvrière, les syndicats espagnols et l’IU (la Gauche unie) conduite par le Parti communiste ont soutenu le gouvernement et ont eux aussi calomnier les grévistes en répétant à satiété qu’il s’agissait là d’une élite privilégiée prenant l’Espagne en otage.
La vérité est évidemment toute autre comme en témoigne ces propos d’un aiguilleur du ciel : « J’ai la tristesse de vous dire que nous nous sentons mal depuis février dernier. On n’arrive pas à dormir correctement. On n’arrive pas à se reposer correctement. On nous change nos vacances et nos jours de congé et on nous réquisitionne pour travailler n’importe quel jour et dans n’importe quelle équipe. On nous force, ce n’est pas du volontariat. […] On est fatigué, épuisé, brisé. […] On veut en finir avec cette situation, mais on ne sait pas comment... De nouveaux décrets sont inventés jour après jour. »
Cette véritable provocation pour discréditer les aiguilleurs du ciel a évidemment pour but de préparer le terrain à d’autres “sacrifices” encore plus gros et à des attaques d’envergure contre d’autres groupes de travailleurs se mettant en grève pour protester contre les mesures d’austérité du gouvernement. Les travailleurs vivant en Espagne ont d’ailleurs vite pris conscience de cette tactique de division, la propagande haineuse du gouvernement socialiste et des syndicats contre cette corporation n’a pas eu un grand succès dans les rangs ouvriers. Il faut dire qu’avec l’impact de la crise le sentiment d’être tous dans la même galère fait son chemin dans toutes les têtes des exploités.
Wim (12 décembre)
Éric Cantona a l’habitude d’être moqué. L’ancien footballeur a connu ses heures de gloire en la matière avec sa marionnette des « Guignols de l’info » qui le représentait en peintre philosophe à l’inspiration obscure.
Mais jusqu’à maintenant, la moquerie était plutôt tendre, face à un personnage dont la réflexion critique, l’honnêteté et le « bon sens » lui conférait un caractère sympathique évident.. Mais cette fois-ci, ce n’est plus le même registre. On est passé dans les médias de la raillerie, au mépris et à l’insulte.
C’est que Cantona a, cette fois, osé faire publiquement la critique du système. Dans une interview vidéo accordée à un journal local1, vouée par nature à une certaine confidentialité, il a émis l’idée que « s’il y a vingt millions de gens qui retirent leur argent [des banques], le système s’écroule ». Diffusée sur internet, l’interview a donné naissance à un mouvement collectif qui a organisé la mise en œuvre pratique de cette idée pour le mardi 7 décembre.
Derrière cette idée candide, il y a une vérité incontestable : l’argent de la masse des anonymes participe à faire tourner le système et génère le profit dont une minorité profite. Et c’est cette vérité qui a le plus gêné la bourgeoisie dans cette affaire. Bien sûr, les banquiers, en bon professionnels quelque peu échaudés ces derniers temps par les turpitudes de la finance internationale, ont mis en avant le danger d’un « bank run », en référence aux mouvements de panique des années 1930 aux États-Unis qui poussaient les épargnants à réclamer en masse leurs liquidités, ce à quoi les banques ne pouvaient pas répondre2. Mais la bourgeoisie sait bien qu’un « bank run » ne se décrète pas, qu’il est lié justement à une panique qui se diffuse de façon incontrôlable et que c’est justement ce caractère incontrôlable – et donc incontrôlé – qui en constitue tout le danger. Bref, la classe dominante savait parfaitement que l’idée de Cantona ferait le même effet, au mieux, qu’une piqûre de moustique sur la peau d’un rhinocéros.
Par contre, la bourgeoisie n’aime pas qu’on pointe les risques d’effondrement de son système et qu’on ose associer à tout ça l’idée de « révolution ». Même si l’idée d’Eric Cantona restait une utopie (dont la réalisation n’a d’ailleurs pas eu lieu le jour dit), même si elle manifestait une vision simpliste du fonctionnement du capitalisme, elle comportait une dimension fondamentale, celle de proclamer tout haut la nécessité que « le système s’écroule », et que cet écroulement proviendra d’une action massive des « petites gens », qui sont au centre de la production de valeur.
C’est pourquoi la bourgeoisie n’a pas tardé à réagir, de façon en général agressive et méprisante ; Christine Lagarde et François Baroin invitant Cantona à « se cantonner au football»3, que cela dit, il a quitté depuis un certain temps, Roselyne Bachelot rappelant que la femme de l’ex-footballeur a tourné une publicité pour une banque4… En tout cas, la classe dominante a sorti l’artillerie lourde pour dénigrer cette initiative vouée fatalement à l’échec. Même les syndicats s’y sont mis, comme FO qui a prévenu qu’en cas de mise en péril du monde de la finance, « des centaines de milliers d’emplois pourraient être mis en danger plus ou moins directement »5 .
Le fait est cependant que si la critique du système qu’elle contient est juste et légitime, la solution proposée n’en est pas une. Eric Cantona a raison de dire que c’est une action massive qui aura raison du système capitaliste, mais il a tort quand il dit que la révolution ne se fait pas dans la rue, mais dans les banques. Car si un « bank run » mettrait sans aucun doute les banques sollicitées dans une situation périlleuse, cette situation ne le serait pas plus que celle dans laquelle elles étaient en 2008, quand tous les grands États du monde sont venus à leur secours à renfort de centaines de milliards de dollars ou d’euros ! Par contre, si ces vingt millions de clients des banques, qui sont aussi la force économique centrale du capitalisme par leur travail, descendent dans la rue, se mettent en grève et réclament des comptes à leur classe dominante sur l’aggravation constante de leurs conditions de travail et de vie, sur la baisse de leurs revenus, sur la destruction de la « protection sociale », cette fois les comptes à rendre ne se chiffreront plus en dollars ou en euros, mais en nombre de travailleurs unis, conscients et combatifs.
Le rapport de force s’établira directement avec le pouvoir politique, l’État, et l’écroulement du système ne proviendra plus d’un manque de liquidités, toujours rattrapable, mais d’un manque de réponse de la part de la bourgeoisie aux aspirations des masses.
Retenons donc de cet épisode la grande gêne qu’il a provoqué dans la classe dominante, et l’idée essentielle (qu’on ne répandra jamais trop et que même un « footballeur » a le droit de répandre), qu’il ne dépend que de nous de continuer ou non à subir la misère et la détresse que le capitalisme nous impose depuis trop longtemps.
GD (8 décembre)
1) Presse océan
2) C’est aussi ce qui s’est passé par exemple plus récemment en 2008 en Grande-Bretagne où des milliers de gens se sont rués aux portes de la Northern Bank menacée de faillite pour vider précipitamment leur compte.
3) 20 minutes, 6 décembre 2010
4) 20 minutes, 7 décembre 2010
5) Rue89.com
En avril 2009, Marion Bergeron, jeune graphiste de 24 ans, sans emploi et en fin de droits, est employée par Pôle Emploi lors de la fusion entre les ex-Assedic et l’ex-ANPE. Affectée à une agence de la banlieue parisienne, semblable à bien d’autres, son CDD de 183 jours se révèlera être un véritable calvaire qu’elle décrit dans son livre-témoignage intitulé : « 183 jours dans la barbarie ordinaire, en CDD chez Pôle Emploi ». Atmosphère pesante, magouilles de chiffres et de statistiques, plannings intenables, agressivité des demandeurs à bout de nerfs, impuissance des conseillers, tout est décrit avec une remarquable précision et un vécu d’un réalisme saisissant. Nous tenons à saluer cette jeune travailleuse, jetée dans la précarité depuis la fin de sa formation, pour avoir mis en lumière la situation qui règne aujourd’hui chez Pôle Emploi. L’agence, sensée améliorer les conditions d’accès à l’emploi et orienter les demandeurs vers des filières qui leur correspondent, n’est autre qu’un organisme de gestion d’une situation de crise. D’un côté, le marché de l’emploi se réduit de jour en jour, et de l’autre immanquablement, le nombre de chômeurs ne cesse de croître. Entre les deux, tel un dernier rempart avant l’explosion sociale, les employés de Pôle Emploi jouent les conciliateurs entre un Etat qui va cyniquement de plans d’austérité en plans d’austérité et une masse croissante de laissés pour compte, dont les allocations s’amenuisent et pour qui l’avenir devient obscur, très obscur ! Ne nous racontons pas d’histoire : aujourd’hui, suivant les directives d’un Etat qui tente de sauver ses derniers Euros, le Pôle Emploi mène une politique de radiation massive. Les ouvriers de Pôle Emploi, n’ont d’autre choix que de se plier à cette politique et de laisser une partie de leur humanité au vestiaire pour supporter leur labeur. « D’un côté, je passe mon temps à demander des justificatifs qui ne sont manifestement pas nécessaires. De l’autre, un demandeur qui aurait eu une vrai tuile est immédiatement catalogué bonimenteur et peut se retrouver radié, car il faut bien en radier quelques-uns. Sur des critères qui relèvent entièrement du hasard. (…) C’est sur ce château de cartes que notre vigilant ministre du budget, Eric Woerth, organise sa grande « journée spéciale de lutte contre la fraude ». Il en profite pour exprimer, la cravate bien droite, tout le mal qu’il pense des vilains qui fournissent des fausses déclarations dans le but de percevoir de maigres aides sociales. Et ne manque pas de conclure sur l’intensification des contrôles. »1 Voilà ce qui se cache derrière la prétendue « stabilisation du chômage » dont les médias bourgeois nous rebattent les oreilles depuis de nombreux mois2. Effectivement, le nombre officiel de chômeurs tend à se stabiliser. Le nombre de personnes ayant droit à des allocations, RSA ou autre, cesse d’augmenter. Cela ne veut pas dire que le marché de l’emploi est en meilleure forme que les années précédentes. Non ! Cela signifie simplement que l’Etat est aujourd’hui tellement endetté qu’il doit par tous les moyens tenter de réduire ses dépenses. En première ligne, ce sont les chômeurs qui trinquent, c’est-à-dire la partie improductive du capital humain. Il faut réduire le montant des allocations et radier à tour de bras les ayants droit. C’est dans cette logique que s’inscrit le célèbre « Suivi Mensuel Personnalisé », proposé en juillet 2005 par Dominique de Villepin alors Premier ministre. Marion Bergeron ne manque d’ailleurs pas de dénoncer cette supercherie : « Si le principe du suivi mensuel peut paraître louable, apporter une aide plus régulière semble aller dans le bon sens, il n’en est pas moins une vaste fumisterie. La logique est toute mathématique. Les convocations génèrent des absences. Les absences, des radiations. Plus de convocations entraînent plus d’absences. Donc plus de radiations. Donc moins de chômeurs au compteur. Et Dominique a la joie d’annoncer une baisse du chômage à Noël. »3 Voici un bel exemple de la manière dont l’Etat capitaliste « gère » la situation invivable créée par la faillite de son propre système que nous subissions au quotidien. Dans cette situation abjecte, les conseillers débordés font avec les moyens du bord comme cette collègue de Marion Bergeron cherchant à joindre une autre agence du Pôle pour répondre à une annonce : « Cécilia n’a pas de solution. Elle me montre donc sa petite magouille personnelle. Faire appel à Actu-chômage. Une association de défense des droits des demandeurs qui, en réponse à la généralisation du 3949, met en ligne sur son site les lignes directes des agences. C’est un comble. Je travaille pour Pôle Emploi, et pour contacter mon collègue de l’agence à Trifouillis-sur-Poisse, le moyen le plus simple dont je dispose est d’utiliser les ressources d’une association qui dénonce les méthodes de mon employeur. »4 L’impuissance de Pôle-Emploi pour réellement aider les demandeurs, ou plutôt les « clients », pour reprendre le terme d’usage, est à l’image de l’incapacité de l’Etat de gérer sa propre crise économique. A propos d’une longue journée d’entretiens fleuves, Marion Bergeron raconte : « Ils ne laissent pour trace de leur passage qu’un entretien informatique plein de phrases creuses et d’espoirs bancals. Et seuls quelques rares élus resteront dans ma mémoire. Ils sont le visage du chômage. La multitude de vies que la crise perpétuelle dans laquelle nous vivons peut réduire à néant d’un claquement de doigts. »5 Dans ce témoignage critique et plein de sincérité, c’est une partie du vrai visage du capitalisme que l’auteur nous révèle. Un capitalisme à bout de souffle. Incapable de venir en aide à ceux qu’il ne peut intégrer à son fonctionnement décadent. Allant même jusqu’au mépris, au cynisme et à la barbarie.
En bref, pour Pôle Emploi comme partout au sein du capitalisme : « le service ne doit pas être rendu, il doit être productif. »6
Rodrigue (10 décembre)
1) 183 jours dans la barbarie ordinaire, édition Plon, page 65.
2) Voir RI n°416, « Le mensonge grossier de la baisse du chômage [6] ».
3) 183 jours..., page 76.
4) Ibidem, page 184.
5) Ibid., page 224.
6) Ibid., page 158.
Au lendemain du deuxième tour de l’élection présidentielle du 28 novembre dernier, le pays s’est réveillé avec deux « présidents » à sa tête.
L’un, Alassane Ouattara a été proclamé vainqueur par la commission électorale (la CEI) et par l’ONU avec 54% des voix ; l’autre, Laurent Gbagbo a été désigné victorieux par le Conseil constitutionnel ivoirien avec 51,4% des voix. Voilà donc deux gros « crocodiles » en lice dans le « marigot du pouvoir ivoirien » et prêts à s’entre-dévorer.
Pourtant il s’agissait, paraît-il, d’un processus électoral « normal » selon le Conseil de sécurité de l’ONU qui a « salué l’annonce des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle qui s’est tenue dans un climat démocratique (…), élections libres, justes, transparentes (sic)».
La réalité est évidemment toute autre. Cette élection n’a été qu’une sinistre farce qui a déjà fait 55 morts et 504 blessés (cf. Le Monde du 08/12/10). En effet, après le Congo, le Kenya, le Zimbabwe, le Togo, le Gabon et la Guinée tout récemment, c’est autour de la Côte d’Ivoire d’entrer dans l’arène sanglante que représente ce genre d’élections où le futur vainqueur est désigné d’avance par lui-même ou avec la complicité de ses parrains impérialistes. Et comme toujours dans pareil cas, les protagonistes règlent leurs comptes par massacres interposées.
La situation actuelle de la Côte d’Ivoire ne peut que rappeler la séquence morbide précédente, en 2002, où l’élection présidentielle s’était conclue par des tueries en masse et un coup de force militaire avec, à la clef, des années de terreur et la coupure du pays en deux, entre le Nord et le Sud. Depuis cette époque, les cliques ivoiriennes (gouvernement comme ex-rebelles) ont confisqué à leur seul profit les ressources se trouvant dans les zones sous leur contrôle respectif. Surtout, ces criminels puisent dans cette manne pour acheter massivement des armes en vue de poursuivre leur luttes concurrentielle vers le pouvoir. Il va sans dire que cela se fait au détriment de la population dont plus de 50 % vit avec moins de 2 dollars par jour. De surcroît, cette population est régulièrement la proie de rackets et de meurtres. Aujourd’hui, avec ces nouvelles élections, toutes les conditions sont réunies pour des massacres d’une ampleur encore plus dramatique.
« Le scénario que chacun redoutait s’est produit au soir du 3 décembre. Laurent Gbagbo est parvenu à se faire proclamer vainqueur de la présidentielle. Au risque de plonger son pays dans la crise, voire dans la guerre.(…) Nul doute qu’en matière de pugnacité Gbagbo soit médaille d’or. Mais lui qui, jusqu’ici, se présentait volontiers comme « un fils des élections », voire « un enfant de la démocratie », aura désormais le plus grand mal à incarner cette image d’Epinal. Coûte que coûte, il a décidé d’aller au bout d’une démarche qui n’a plus rien à avoir avec les urnes. Quitte à replonger la Côte d’Ivoire dans les affres de la crise et de la guerre. (…) La perspective d’une nouvelle partition, d’un nouvel embrasement Nord-Sud, ne l’inquiète pas : la plupart des ressources (cacao, café, pétrole) se trouvent dans le Centre ou le Sud ; et les récoltes sont exportées par le port de San Pedro. Sa Côte d’Ivoire fonctionne ainsi depuis 2002. Pourquoi ne serait- ce pas le cas à l’avenir ? (…) Le vrai Gbagbo, après ces élections finalement inutiles, est de retour. Les armes à la main, prêt à soutenir du haut de sa citadelle le siège de « l’ennemi extérieur »1 comme il aime à la répéter. La Côte d’Ivoire, elle, est revenue à la case départ.» (Jeune Afique du 5/12/10) ».
De son côté, Alassane Ouattara, se prépare aussi à en découdre et compte sur ses partisans dits « forces nouvelles » qui viennent d’annoncer qu’ils ne resteront pas longtemps bras croisés si Gbagbo reste au pouvoir. De même, Guillaume Soro, nouveau premier ministre d’Ouattara dit son intention d’aller « déloger » Gbagbo (dont il était le premier ministre jusqu’au début des élections). Bref, chaque camp actionne ses chiens sanglants, les escadrons de la mort et autres porteurs de machettes. Mais surtout, chacun compte sur ses soutiens impérialistes à commencer par les grandes puissances en quête du « butins ivoiriens », en particulier la France.
Il suffit de voir comment l’affaire ivoirienne mobilise toute la sphère de la bourgeoisie française pour se rendre compte de l’importance de l’enjeu qui se joue dans cet ancien pré-carré de l’impérialisme français. Depuis l’éclatement de sa « vitrine économique » début 2000, entraînant au passage sa perte de contrôle sur les acteurs locaux, l’impérialisme français se démène pour garder coûte que coûte son influence dans ce pays incarnées par les grandes sociétés comme Bouygues, Total, Bolloré, etc. Ce sont ces sociétés qui constituent la colonne vertébrale de la « Françafrique » en Côte d’Ivoire où les intérêts privés et intérêts étatiques fusionnent comme le montre plus particulièrement la relation incestueuse entre Bolloré et l’Etat français.
« Difficile de démêler les connexions multiples qui existent entre le groupe (Bolloré), digne héritier des trusts coloniaux et des réseaux françafricains, et les responsables politiques français. Comme d’autres conglomérats, il bénéficie de l’appui des pouvoirs publics dans sa conquête des marchés du continent., le président de la République ou les ministres se transportent volontiers en Afrique pour jouer les lobbyistes auprès de leurs homologues. Si les amitiés de Bolloré à droite sont connues, on note que le député socialiste Jean Glavany2 fait partie, aux côtés de M. Alain Minc, du comité stratégique du groupe. (…) Quand la France envoie - ou rapatrie - des troupes en Afrique, comme pour l’opération « Licorne » en Côte d’Ivoire, les nombreuses filiales du groupe Bolloré apparaissent souvent indispensables. « Toutes les opérations sont réalisées avec la plus stricte sécurité et confidentialité », lit-on en surimpression d’images de véhicules blindés, sur un prospectus distribué par la branche « Défense » de SDV... (Manière de voir, du Monde diplomatique, déc. 2009) ».
Mais la France est mal armée, faute d’appuis sûrs sur place. C’est pourquoi, formellement, elle affiche son soutien à Ouattara le candidat « démocratiquement élu » mais en coulisses, jusqu’à l’annonce des résultats définitifs, Sarkozy n’a pas cessé de « rassurer » Gbagbo pour que celui-ci préserve les intérêts français sur place. Et, c’est en parfaite connaissance de la fragilité du positionnement de la France que Gbagbo traditionnellement proche du PS a décidé de faire « chanter » les autorités françaises en brandissant ses appuis chinois devant leurs yeux. Et effectivement, la France a dû finalement déclarer publiquement sa « neutralité », disant qu’elle n’avait pas de « candidat » parmi les postulants. En somme, il s’agit pour elle de miser sur les deux tableaux, mais sans aucune garantie de succès pour autant.
En effet, derrière ces titres de presse ou d’ouvrages, il y a le fait que la France est réellement menacée dans ses positions en Afrique où elle fait face à une redoutables concurrence sur place, bourgeoisies américaine et chinoise en tête.
Déjà, la bataille fait rage au Conseil de sécurité de l’ONU entre les partisans de Gbagbo et ceux d’Ouattara, le premier est défendu par la Chine et la Russie et le second par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. On notera le comble de l’hypocrisie de ce repaire de brigands qui, tous, appellent à la « retenue » pour la « paix », mais fournissent en coulisses conseils et munitions à leurs bras armés sur place.
En France, Alassane Ouattara était qualifié de « pro-américain » durant un bon moment, mais depuis quelques temps il a pu tisser des liens avec l’Elysée où il prend assez régulièrement le café ou « l’apéro » avec Sarkozy. En même temps, il a gardé de solides amitiés avec les milieux américains notamment au sein du FMI dont il fut un vice- président. Sans doute finira-t-il par choisir le parrain le plus « offrant », surtout dans la perspective des prévisibles affrontements en Côte d’Ivoire. Et au niveau continental, Ouattara peut compter (formellement) sur de nombreux soutiens en Afrique de l’Ouest et sur l’Union Africaine.
Quant à Laurent Gbagbo, l’Angola demeure son plus grand fournisseur d’armements et, sur le plan diplomatique, il peut s’appuyer sur l’Afrique du Sud qui fut son soutien notamment lors de sa confrontation armée avec la France en 2004.
En fin de compte, derrière ces manœuvres et les appels au « respect des résultats des urnes », on voit en réalité des charognards criminels qui poussent à l’implosion du pays et aux massacres de masse de la population, avec comme conséquence l’extension d’un chaos sanglant dans toute la région.
Amina (8 décembre)
1) Dans la campagne nationaliste sur « l’ivoirité » déchaînée par l’ ancien président Bédié en 2000 et reprise par Gbagbo dans la guerre civile de 2002 , le musulman originaire du Nord du pays Ouattara a été désigné comme un agent étranger lié au Burkina Faso.
2) Membre de l’Internationale Socialiste, Gbagbo est retsté « l’ami » aujourd’hui bien encombrant de plusieurs ténors du PS en France.
Le bombardement du 23 novembre par le régime de la Corée du Nord de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong, tuant deux marines et deux civils, tout en détruisant de nombreuses maisons, s’inscrit dans une lignée de représailles suite à la mort de 46 marins nord-coréens en mars dernier, dont le navire avait été sans nul doute torpillé par un sous-marin sud-coréen. Ce dernier incident suit également le récent étalage public par le Nord qualifié « d’Etat-voyou » de la production avancée de plutonium à des fins militaires. Il existe aujourd’hui un dangereux engrenage de tensions à travers l’échiquier stratégique de l’Asie du Sud-Est, impliquant non seulement les Corées du Nord et du Sud, mais aussi le Japon, la Chine et les Etats-Unis. Personne ne veut la guerre totale pour le moment, et certainement pas les principaux parrains respectifs de chaque partie de la Corée, la Chine et les Etats-Unis, mais la situation connaît sa propre dynamique vers l’abîme et l’irrationalité qui menace potentiellement de devenir hors de contrôle.
La guerre de Corée de 1950-1953, où la Russie et la Chine soutinrent le Nord contre le régime pro-américain du Sud, avait vu un déluge de 13 000 tonnes de bombes par mois lâchées par les Etats-Unis.
Au Nord, la guerre n’a jamais été officiellement considérée comme terminée et les tensions resurgissent périodiquement. Ces dernières sont devenues plus dangereuses dans la période actuelle de militarisme montant, avec une plus grande affirmation de l’impérialisme chinois et une situation dans laquelle les Etats-Unis, seul grand parrain mondial, sont conduits en permanence à marquer leur présence.
Après l’attaque du 23 novembre, le président Obama a considéré la Corée du Nord comme une « menace sérieuse et constante avec laquelle il faut traiter » (BBC News du 23 novembre). Avant cela, les Etats-Unis l’avaient estampillé « Etat-voyou » et Bush l’avait mis dans un « axe du mal ». Des dizaines de milliers de soldats américains basés en permanence à la fois en Corée du Sud et au Japon, et les Etats-Unis sont constamment engagés dans des exercices militaires à l’intérieur et autour des eaux disputées par les deux Corées. L’envoi d’une escadre autour du porte-avions USS George-Washington (devant arriver sur zone le 29 novembre) ne peut qu’attiser encore plus vivement les tensions. L’éviction du ministre de la défense sud-coréen pour ne pas avoir répondu assez vite au tir de barrage – le feu a duré 13 minutes – est une autre source de tension. Le gouvernement a décidé qu’il « redéfinirait les règles de l’engagement » qui permettait jusqu’ici d’éviter l’escalade (The Guardian du 26 novembre). Il y a environ cinq ans, le Pentagone avait discuté des possibilités de frappes nucléaires contre des « cibles » nord-coréennes et, aujourd’hui, au moins deux sites nucléaires américains ont été remplis de missiles armés pointés en permanence sur le régime de Pyongyang. Son plan de « patience stratégique », c’est-à-dire de faire pression sur la Corée du Nord à coup de sanctions renforcées et de provocations militaires, tout en exigeant une dénucléarisation immédiate, est largement celle que les Etats-Unis emploient contre l’Iran – le bâton et encore le bâton.
Mais il n’y a aucun signe de chute imminente du régime nord-coréen comme l’espérait Washington, qui semble plus fort et brutal que jamais. Tout comme les liens entre la Corée du Nord et la Chine sont également aussi resserrés, cette dernière applaudissant avec ostentation l’accession au pouvoir du fils du « Grand Leader », Kim Jong Eun, et offrant son soutien au long terme. La Corée du Nord joue un rôle stratégique vital de zone tampon pour la Chine et celle-ci l’appuie également pour empêcher que des millions de réfugiés ne viennent se déverser au-delà des frontières.
Toutes ces « va-t-en guerre » prétendent vouloir la « stabilité » mais ils jouent un jeu dangereux dont l’avenir est rendu encore plus incertain à travers un « ordre » mondial impérialiste qui est devenu de plus en plus chaotique ces vingt dernières années.
Baboon (26 novembre)
Nous avons reçu sur notre site en espagnol, en provenance de camarades de différents endroits, des informations sur le meurtre d’un jeune ouvrier qui participait à la lutte des chemins de fer, meurtre perpétré par une bande armée appartenant aux syndicats, de mèche avec le gouvernement de Cristina Kirchner, lequel a adopté la tactique, soulignée par l’un des textes publiés ci-dessous, de donner en sous-traitance la répression aux bandes syndicales, ce qu’en Argentite on a appelé les « patotas sindicales ».
Aujourd’hui, alors que Kirchner, ancien président et « co-président » jusqu'à son récent décès, est élevé par toutes les forces politiques de la bourgeoisie à la catégorie de « grand homme d’État », ces faits nous donnent des enseignements particulièrement éclairants :
1º Le cynisme et l’hypocrisie sans limites des politiciens, ces démocrates qui n’hésitent pas à mettre en arrière-plan les « forces de l’ordre » officielles de l’État dans leur exercice de répression contre les luttes de la classe ouvrière en la sous-traitant aux bandes armées syndicales. Il convient de rappeler que ceci n’est pas du tout une nouveauté. Dans la Russie tsariste, la police « déléguait » les tâches répressives contre les ouvriers et les militants révolutionnaires aux Cent-Noir, des bandes criminelles qui regroupaient la lie de la société. Egalement, en janvier 1919, face à l’insurrection des ouvriers de Berlin, le Parti social-démocrate allemand, ne pouvant pas compter sur les soldats et même pas sur une partie de la police, organisa les Corps-francs, bandes armées chargées de mater les ouvriers. Beaucoup de futurs hiérarques hauts placés du régime nazi militèrent dans ce corps spécialisé… en sales besognes.
2º La collaboration des syndicats, aux côtés du parti au pouvoir, à la répression des luttes.
3º La nécessité de la solidarité avec les victimes de la répression capitaliste. Ce sont des camarades qui, au-delà de leur appartenance à telle ou telle organisation, ont été assassinés par les forces du capital au moment où ils étaient engagés dans une lutte pour les intérêts de notre classe.
Nous publions donc ci-dessous 3 documents sur ces événements :
Le premier émane d’un camarade sympathisant du CCI qui est en processus de réflexion sur le trotskisme.
Le deuxième d’un groupe anarchiste de Rosario (Argentine).
Et le troisième est un document auquel fait référence ce groupe.
Au-delà des réflexions qu’on pourrait faire sur certaines visions politiques, le plus important, c’est de publier ces documents pour les informations qu’ils fournissent et l’engagement dans la lutte de classe qu’ils expriment.
Mercredi 20 octobre à midi, l’embuscade criminelle menée par une bande syndicale a coûté la vie à Mariano Ferreyra, militant trotskiste du Parti Ouvrier.
Une autre camarade du PO, Elsa Rodríguez, ainsi que quelques autres camarades cheminots ont été hospitalisés dans un état grave.
Les balles assassines ont été tirées par les cosignataires de l’infâme négociation de sous-traitance qui unit les patrons amis du gouvernement des Kirchner et le syndicat de l’Union Ferroviaire.
Avec l’argent des subventions de l'Etat, les concessionnaires du chemin de fer payent des contrats à coups de millions à des « entreprises » qui leur appartiennent.
Le syndicat du dirigeant Pedraza est le négociateur de cette affaire.
« Il faudra trouver les responsables », a proclamé la Présidente Kirchner, lors d’une exposition au Parc Nord après un discours consacré « au manque de goût des grosses fraises », sept heures après ces assassinats.
Mais les témoignages et les vidéos accusent la patota ferroviaire sans la moindre ombre de doute possible.
Ces mêmes vidéos témoignent du fait que la police s’est retirée de la zone où la bande ferroviaire réalisa son embuscade.
« Il faudra enquêter », dit le gouvernement qui revendique comme sienne la Jeunesse Syndicale Péroniste, le bras armé syndical [du Péronisme] des années 1970.
Le gouvernement a répété qu’il « ne réprimait pas » ; n’est-on pas face à la sous-traitance de la répression par le biais des patotas, tel que c’est déjà arrivé à l’Hôpital Français et ce qui arrive encore au métro de Buenos-Aires sous la coupe du syndicat de l’UTA (Union des Traminots) ?
Mariano militait depuis l’âge de 14 ans ; il voulait sa place au sein de la classe ouvrière avec sa profession de tourneur mais, surtout, dans le cadre d'organisations de jeunesse, il s’est mis à lutter avec d'autres ouvriers sur des bases de classe dans la ville d’Avellaneda.
Mariano est l’un de ces meilleurs exemples humains de cette jeunesse qui se met debout dans le monde entier.
Mariano, c’est nous tous, les combattants conscients.
Assassins !
Comme si ce n’était pas suffisant pour eux de vivre de la sueur et du sang des travailleurs, un mort et des blessés graves est la conséquence des agissements d’une bande de nervis syndicaux, cette fois-ci celle de l’Union Ferroviaire, aidée aussi par des clubs de supporters de foot violents. Mariano Ferreyra a été tué d’une balle, Elsa Rodríguez, avec une balle dans la tête, se débat entre la vie et la mort, et il y a bien d’autres manifestants blessés.
Tous ces gens-là ont agi protégés par la Police Fédérale et le gouvernement du moment, qui sans doute vont nous raconter qu’ils vont mettre le paquet « pour retrouver le coupable », autrement dit quelque bouc-émissaire pour en sortir disculpés et propres et que tout puisse continuer comme avant. Cela a été toujours leur politique, c’est, en fait, la politique !
Mercredi 20 octobre 2010 à Buenos Aires, on a pu voir encore une fois ce que représente ce réseau assassin qu'ils appellent la bonne société ; ils sont bien de la même engeance ceux qui ont « la gâchette facile » dans les quartiers pauvres, ceux qui encouragent et alimentent la traite d'êtres humains, ceux qui tuent en nous faisant mourir de faim et en nous poussant au désespoir, comme ceux qui nous tuent à la tâche, rapidement ou à petit feu.
Ces événements ne sont pas extraordinaires, et ne sont pas la conséquence de la démence de quelque personnage syndical, politicard ou policier, mais sont la conséquence logique de ce système qui porte atteinte à la vie humaine : en assassinant Mariano, ou, voici quelques années, Carlos Fuentealba et tous les « sans nom » qui meurent jour après jour, comme ce maçon écrasé par un mur dans le sud de Rosario ce même mercredi.
Nous sommes de plus en plus poussés à choisir entre continuer à subir la loi de cette lie de la société ou lutter pour tout changer.
Grupo Anarquistas Rosario, Octobre 2010.
www.grupoanarquistasrosario.blogspot.com [9]
Les balles de la patota de l’Union Ferroviaire ont été dirigées contre les cheminots précaires (en sous-traitance, justement), mobilisés pour exiger leur intégration en CDI. La police s’est retirée de la zone de la manifestation pour que les troupes de choc de la bureaucratie syndicale puissent « travailler » en toute tranquillité et avec ses arrières bien protégées.
Plusieurs camarades ont été blessés. Mariano Ferreyra, étudiant de 23 ans et militant du Parti Ouvrier, a reçu une balle à l’abdomen et est décédé. Un autre projectile a atteint la nuque de Elsa Rodriguez, 56 ans, militante, elle aussi, du PO. Cette camarade se trouve très gravement blessée à l’Hôpital Argerich.
De la même manière que les patrons utilisent la sous-traitance au travail pour accroître l’exploitation, le gouvernement sous-traite la répression, pour la rendre plus efficace et à moindre coût politique que quand il envoie directement ses flics et ses gendarmes.
Depuis 2003, on a pu voir comment, de plus en plus couramment, le gouvernement péroniste des Kirchner délègue la répression aux bandes de la bureaucratie syndicale pour effrayer les travailleurs. Avec les enseignants, les étudiants, les travailleurs du métro, des hôpitaux français et Garrahan, voilà quelques exemples de cette méthode répressive qui permet au gouvernement de rester « les mains propres », parce que ce n’est pas l’appareil répressif officiel qui attaque les travailleurs ; cela sert aussi à discréditer les luttes grâce aux médias qui parlent d’une « lutte interne entre corporations syndicales ».
C’est ainsi, avec l’intervention coordonnée entre entreprises, bureaucratie syndicale et gouvernement, qu’ils veulent continuer à mettre sous leur discipline les travailleurs organisés.
Avec le meurtre de Mariano, il y a déjà eu sept morts à cause de la répression lors des marches et des manifestations sous le gouvernement des Kirchner. Mariano Ferreyra vient ajouter son nom à cette liste sanglante qui débuta à Jujuy, lors d’une mobilisation contre la torture, avec Luis Cuéllar, en 2003, qui continua avec Carlos Fuentealba (enseignant, Neuquén, 2007), Juan Carlos Erazo (ouvrier agricole, Mendoza, 2008), Facundo Vargas (Talar de Pacheco, 2010), Nicolás Carrasco y Sergio Cárdenas (Bariloche, 2010), ces trois derniers tués par la « gâchette facile » de la police.
Sans oublier qu’il y a un de nos jeunes tué par jour à cause d’une autre variante répressive, celle qui s’acharne de façon préventive sur la classe ouvrière non organisée, à travers les coups de pistolet et la torture….
CORREPI vous appelle à une mobilisation pour réprouver ce nouveau meurtre abominable, une manifestation est prévue depuis l’avenue Corrientes et Callao jusqu’à la Plaza de Mayo aujourd’hui à 17h.
CONTRE LA REPRESSIÓN, ORGANISONS-NOUS ET LUTTONS !
Le 28 novembre, malgré le risque évident de rassembler la population alors qu’une épidémie de choléra sévit, les Haïtiens ont été convoqués aux urnes pour renouveler le parlement local et élire un président. La validation par la “communauté internationale” d’élections abondamment truquées n’a pas suffi à crédibiliser cette farce tragique. Le représentant de la mission d’observateurs, Colin Granderson, a d’ailleurs déclaré sans sourciller : “La mission [...] ne pense pas que ces irrégularités, aussi sérieuses soient-elles, n’invalident les élections.” Ces propos en disent long sur les intentions de la bourgeoisie. Dans ce pays dévasté, où le palais présidentiel repose encore sur son toit, l’État haïtien n’existe plus et semble, au mieux, ne gouverner que lui-même : l’ensemble de ses administrations, déjà presque réduites aux forces de répression, se sont effondrées après le tremblement de terre du 12 janvier. Personne n’ignore que l’État haïtien est un pantin dérisoire entre les mains des puissances impérialistes présentent dans le pays. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le dénoncer dans notre presse, après le tremblement de terre, l’hypocrite élan humanitaire avait pour seul objectif d’établir une véritable occupation d’Haïti. Mais le pays n’est pas un protectorat, c’est un champ de bataille où chaque bourgeoisie, rangée en ordre de bataille derrière ses souriantes ONG et leurs milliers de soldats, essaye d’y arracher des “occasions d’affaires,” une influence politique, etc. L’enjeu réel du cirque électoral organisé par l’ensemble des démocraties apparaît ainsi dans toute sa nudité en Haïti : persuader la population de se déplacer dans l’isoloir afin d’anesthésier les antagonismes de classe sur l’inoffensif terrain d’un choix fictif entre telle ou telle faction politique de la bourgeoisie.
Et la colère des Haïtiens a toute les raisons d’être forte. Presque un an après le séisme, alors que des millions de personnes vivent encore dans des conditions de vie effroyables, entassées dans des camps de fortune surpeuplés et insalubres, la reconstruction est au point mort. Les autorités estiment ainsi qu’à ce jour seulement 3% des gravats ont été déblayés. Même le “camp modèle” de Torbech, la vitrine de la reconstruction à long terme, est constitué de quelques cabanes en “matériaux locaux,” c’est-à-dire en bois et en tôle ; les familles de trois personnes sont parquées dans des abris de 13m², celles de sept personnes bénéficient de tous les égards avec un abri de 27m². Et pour faire bonne mesure, une épidémie de choléra particulièrement virulente, une maladie directement liée aux conditions d’existence insalubres dont sont victimes les Haïtiens, frappe la population.1
Comme pour chaque catastrophe spectaculaire, beaucoup de puissances promettent une aide financière afin de « faciliter » leurs ambitions impérialistes que la brèche ouverte par l’événement ne manque pas d’aiguiser. En réalité, l’aide versée est systématiquement ridicule et consiste, le plus souvent, à « arroser » la bourgeoisie locale. Ainsi, contrairement à ce que nous avions annoncé dans nos précédents numéros, à l‘heure actuelle, il semble qu’à peine plus de 2,5% (et non 10%) des 10 milliards promis aient été effectivement injectés dans le pays.
Si la tutelle anarchique des puissances impérialistes suffit à justifier, aux yeux de la bourgeoisie, l’organisation d’élections, la corruption, les penchants claniques et l’incurie de la bourgeoisie haïtienne les nécessitent également. Afin de retrouver un semblant de virginité, l’ensemble des partis bourgeois locaux ne se sont pas privés d’accuser la Mission des Nations Unis pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) de tous les maux. C’est bien vite oublier que les 10 000 soldats de la MINUSTAH, en place depuis 2004, sont un instrument militaire essentiel pour le maintien des factions politiques de la bourgeoisie au pouvoir, celle-là même qui s’est généreusement enrichie grâce au soutien financier et miliaire de grandes puissances impérialistes, laissant la population dans le plus terrible dénuement.
Puissantes ou pas, toutes les bourgeoisies sont donc pareillement impérialistes. Comme l’illustre Haïti, les intérêts de la classe capitaliste sont définitivement contraires à ceux de l’ensemble de la société et à la plus infime expression de la dignité humaine. Dans ce contexte, les élections en Haïti, au milieu de la barbarie et de l’horreur pour restaurer un gouvernement, apparaissent explicitement pour ce qu’elles sont : une mystification dont le seul bénéficiaire est la bourgeoisie.
V. (10 décembre)
1) Un rapport confidentiel du professeur Renaud Piarroux a établi la responsabilité directe de l’ONU dans le surgissement de l’épidémie. Les soldats de la base de Mirebalais ont déversé leurs excréments contaminés, matière par laquelle se transmet la bactérie, dans le fleuve Artibonite dont l’eau est désormais directement consommée par les habitants. Le ministère français des affaires étrangères a rapidement demandé au professeur Piarroux “de s’abstenir de tout commentaire public.” (Cf. Le Monde du 05 décembre 2010.) Avant que le scandale n’éclate au grand jour, la presse bourgeoise n’a bien sûr pas manqué de railler la « l’ingratitude » « l’ignorance » et « le racisme » des Haïtiens qui dénonçaient la responsabilité des soldats onusiens.
Nous avons reçu le courrier d’un lecteur que nous publions ci-dessous qui apporte sa propre expérience très intéressante sur le mouvement de grève des infirmiers et infirmières en 1978 en France, auquel il a participé.
Bonjour,
J’ai lu les articles de votre journal à propos du mouvement social contre la réforme des retraites et je suis d’accord avec vous sur l’analyse que le blocage est une “arme à double tranchant”1.
J’ai travaillé autrefois dans un hôpital et je voudrais vous raconter ici comment s’est passée une grève à laquelle j’ai participé en 1988.
Les infirmiers de mon hôpital se sont mis en grève pour une amélioration des conditions de travail (à l’époque on travaillait 40 heures par semaine). L’intersyndicale dirigeait les AG (avec des militants de Lutte Ouvrière) et voulait que cela reste enfermé dans l’hôpital et que ce soit seulement une grève du personnel soignant infirmier, excluant les autres catégories du personnel. Mais ça n’a pas marché : le personnel administratif (et les ouvriers d’entretien) est entré dans la lutte en soutien aux infirmiers en grève. Très vite, il y a eu beaucoup de monde qui venait au AG. Nous avons décidé dans les AG d’ouvrir les portes de l’hôpital et d’informer les autres hôpitaux de notre mouvement.
Les syndicats ont donc été obligés de contacter leurs collègues des autres hôpitaux pour qu’ils fassent circuler l’information comme quoi nous étions en grève. Ce qui a permis que des infirmiers d’autres hôpitaux viennent voir ce qui se passait “chez nous” et participent aussi à nos AG.
Dans les AG, on discutait bien sûr des actions à mener et bien sûr, la question du blocage des soins a été posée, mais majoritairement les infirmiers ont dit qu’on ne pouvait cesser le travail et abandonner les soins aux malades. Alors comment faire pour faire pression sur la direction ?
Les syndicats ont proposé la séquestration du directeur mais des grévistes ont proposé une autre action : la gratuité des soins pour les malades et le blocage administratifs des admissions. Cela voulait dire que les malades entrants étaient accueillis à l’hôpital mais le personnel administratif n’enregistrait pas leur admission.
Dans cette lutte, nous avons porté aussi des badges et avons mis une grande banderole devant la grille d’entrée de l’hôpital: “Personnel en grève. Soins assurés aux malades” pour éviter d’être sanctionnés par la direction et pour que notre grève ne soit pas impopulaire. On faisait un service minimum avec un « turn over » pour que les collègues puissent aller aux AG. Certains malades avaient aussi un badge : “Nous soutenons les infirmiers en grève”.
Malheureusement, les syndicats des autres hôpitaux n’ont pas appelé à faire des AG pour soutenir notre mouvement et les collègues des autres hôpitaux venus nous soutenir n’ont pas pu se mettre en grève eux aussi. Les syndicats ont affirmé que les conditions de travail ne concernaient que notre hôpital et donc que les autres hôpitaux n’étaient pas concernés par “nos” problèmes. Chaque hôpital devait donc se mobiliser dans son coin avec “ses” revendications particulières (conditions de travail, manque de personnel, primes, etc…).
Après plusieurs semaines de grève, nous nous sommes retrouvés seuls enfermés dans les murs de notre hôpital. Les syndicats ont pu faire abandonner le blocage des admissions et la gratuité des soins (au nom de l’inefficacité de ce type d’action) pour imposer leur action présentée comme plus radicale : la séquestration du directeur. Finalement, il y a eu une négociation entre la direction et les syndicats (dans notre dos évidemment) et la direction a cédé en ponctionnant sur l’enveloppe budgétaire pour améliorer les conditions de travail dans certains services seulement, ceux jugés plus archaïques que d’autres. Ils nous ont ainsi divisés en accordant des miettes aux uns et en laissant les autres sur le carreau.
Le personnel des hôpitaux ne peut pas utiliser l’arme “à double tranchant” du blocage de la production des soins aux malades. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas envie de se battre comme les autres et avec les autres salariés contre la réforme des retraites. Tout le monde est concerné par cette réforme et il fallait trouver des actions où toutes les catégories professionnelles peuvent participer (les manifs, les AG interpro, etc…).
Les “blocages” peuvent être un moyen de lutte, mais ils peuvent aussi être utilisés contre la lutte. C’est bien dommage que les travailleurs des raffineries n’aient pas fait pression sur les syndicats pour que leurs AG soient ouvertes à tous ceux qui sont venus les soutenir. Ils se sont laissés séquestrer par les syndicats qui ont tout fait pour bloquer les portes d’entrée de leurs AG à tous ceux qui sont venus apporter leur solidarité.
Il faut discuter maintenant dans les AG du blocage et du sabotage de la lutte par les syndicats.
Et s’il y a un blocage que je soutiendrai des deux mains, c’est le blocage des centres des impôts ! (...)
Roba
1) Note du CCI : le lecteur fait ici référence à notre article « Le blocage des raffineries : Une arme à double tranchant [13] ».
La question du blocage des raffineries a occupé, à partir de la mi-octobre, tous les esprits.
Les médias et les politiques ont braqué leurs projecteurs sur la pénurie d’essence, sur la “galère des automobilistes” et le bras de fer entre les bloqueurs et les forces de l’ordre. Dans toutes les AG (syndicales ou non), les débats n’ont tourné plus que presque exclusivement autour de “comment aider les travailleurs des raffineries ?”, “comment exprimer notre solidarité ?”, “que pouvons-nous bloquer à notre tour ?”… Et dans les faits, quelques dizaines de travailleurs de tous secteurs, de chômeurs, de précaires, de retraités se sont effectivement rendus chaque jour devant les portes des 12 raffineries paralysées, pour “faire nombre” face aux CRS, apporter des paniers-repas aux grévistes, un peu d’argent et de chaleur morale.
Cet élan de solidarité est un élément important, il révèle une nouvelle fois la nature profonde de la classe ouvrière.
Néanmoins, malgré la détermination et les bonnes intentions des grévistes et de leurs soutiens, de façon plus générale, ces blocages ont participé non au développement du mouvement de lutte mais à sa décrue. Pourquoi ?
Ces blocages ont été initiés et contrôlés entièrement, de bout en bout, par la CGT (principal syndicat français). Il n’y a pratiquement eu aucune AG permettant aux travailleurs des raffineries de discuter collectivement. Et quand une assemblée avait tout de même lieu, elle n’était pas ouverte aux autres travailleurs ; ces “étrangers” venus participer aux piquets n’étaient pas invités à venir discuter et encore moins participer aux décisions. L’entrée leur était même interdite ! La CGT voulait bien de la solidarité… platonique… point barre ! En fait, sous couvert d’une action “forte et radicale”, la CGT a organisé l’isolement des travailleurs très combatifs de ce secteur de la raffinerie. Les piquets sont d’ailleurs restés “fixes” et non pas “volants” : il aurait été pourtant bien plus efficace pour entraîner un maximum de travailleurs dans la lutte d’organiser des “piquets volants”, allant d’entreprises en entreprises, pour créer des débats, des AG spontanées… C’est exactement de ce genre d’extension que les syndicats ne voulaient pas !
“La recherche de l’extension et de la solidarité doit animer toutes méthodes de lutte”. Tel était justement le titre de l’article écrit en 2008 que nous republions ci-dessous.
Nous reviendrons le mois prochain, dans une seconde partie, sur un bilan plus détaillé du blocage des raffineries, en examinant en particulier le rôle du “blocage économique”.
Pw. (6 décembre 2010)
A l’automne 2007 au plus fort du mouvement contre la loi LRU1, 36 universités ont été « perturbées » (pour reprendre la terminologie journalistique) par des barrages filtrants, des blocages ou des occupations. Ces méthodes ont bien souvent suscité de longs débats passionnés au sein des assemblées générales (AG). Laissons de côté tous ces collectifs anti-blocages qui, aux noms de la sacro-sainte « liberté individuelle » et du « droit d’étudier », soutenaient en réalité les « réformes nécessaires » du gouvernement. Beaucoup plus intéressantes furent les discussions entre ces étudiants qui, refusant de recevoir des coups sans combattre, se sont demandés collectivement comment il fallait lutter : Bloquer la fac ? Totalement ? Par un barrage filtrant ? Devons-nous aussi occuper les locaux ?
Toutes ces questions ne concernent pas seulement les jeunes et les étudiants. Au fil du développement des luttes, des questions similaires se poseront peu à peu à toute la classe ouvrière : comment mener la grève ? Faut-il établir un piquet ? Sous quelle forme ? Faut-il occuper l’usine ?
Cet article n’a pas la prétention de répondre à toutes ces questions par une recette magique prête à l’emploi et valable en toutes circonstances car à chaque nouvelle lutte, ses conditions particulières et ses choix ! Simplement, en se penchant sur quelques expériences de blocages et d’occupations, il est possible de percevoir à quel point la volonté d’étendre la grève est absolument vitale et, a contrario, comment l’isolement est toujours un piège mortel.
Lors du mouvement contre le CPE, au printemps 2006, la question du blocage était déjà omniprésente. En fait, ce type de mouvement ne peut pas réellement exister sans une certaine « perturbation » du bon fonctionnement des universités. Qui remarquerait l’absence -même massive - des étudiants à leurs cours ? Qui se soucierait de voir les amphithéâtres vides ? Peut-être même pas les maîtres de conférence !
Mais au-delà de cette simple nécessité, en 2006 comme en 2007, en bloquant les facs, certains étudiants exprimèrent surtout un profond sentiment de solidarité et un besoin d’unité. « Nous ne bloquons pas l’université pour nous faire plaisir ou par désintérêt pour nos cours ! La grève est le meilleur moyen pour nous faire entendre. En faisant grève, on casse la logique routinière du travail et on prend le temps de s’organiser démocratiquement tous ensemble. Mais pour que la grève ne reste pas un acte isolé et le fait d’une minorité de personne, le blocage est aussi important. C’est lui qui permet à tout le monde de ne pas aller en cours et donc de dégager du temps libre pour commencer à mener une activité pour la mobilisation. En plus, le blocage permet aux étudiants qui le souhaitent de se libérer de la pression des cours ou des examens pour pouvoir participer activement au mouvement sans être pénalisés. Le blocage, c’est le moyen démocratique qui permet à tout le monde de se mobiliser ! » ( Lu sur le blog : https://antilru.canalblog.com/archives/le_blocage/index.html [15]). Arrêter les cours a permis, par exemple, aux boursiers d’aller aux AG et aux manifestations sans craindre la suppression de leurs ressources pour « absence », ce qu’exprime consciemment encore un étudiant aux journalistes de Libération le 12 novembre 2007 : « S’il n’y a pas de blocage, il n’y a pas de mouvement. Les étudiants boursiers n’iront pas manifester sinon. »
Nous sommes ici à mille lieues des accusations odieuses lancées par ces respectables présidents d’universités, et relayées par tous les médias, qualifiant les étudiants en lutte de « Khmers rouges » et de « délinquants ». La bourgeoisie peut bien cracher tout son venin, derrière les actions de blocage, il n’y avait nullement une volonté d’imposer la position minoritaire de quelques excités par la force (la force physique était d’ailleurs plutôt du côté des présidents, comme en témoigne le nombre de blessés suite aux interventions des CRS) et d’enfermer les étudiants dans « leurs » facs. Au contraire, elles traduisaient une volonté d’action consciente et collective vers l’élargissement de la lutte s’exprimant dans la volonté d’un débat le plus large et vivant possible. Ainsi, bien plus que les blocages en soi, cet état d’esprit qui les animait a conféré au mouvement contre le CPE en particulier, toute sa vitalité et sa force. Comme nous l’écrivions déjà en mai 2006 dans nos Thèses sur le mouvement des étudiants : « La grève des universités a commencé par des blocages. Les blocages étaient un moyen que se sont donnés les étudiants les plus conscients et combatifs pour manifester leur détermination et surtout pour entraîner un maximum de leurs camarades vers les assemblées générales où une proportion considérable de ceux qui n’avaient pas compris la signification des attaques du gouvernement ou la nécessité de les combattre ont été convaincus par le débat et les arguments ».
La force de la classe ouvrière se révèle au grand jour quand elle développe un profond sentiment d’unité et de solidarité. C’est pourquoi toute méthode de lutte doit être animée d’une claire volonté d’étendre la grève. En suivant cette voie, les ouvriers du grand complexe de tissage et de filage Mahalla al-Kubra’s Misr, situé au nord du Caire en Egypte, sont parvenus à mener, en 2006 et 2007, une longue lutte finalement victorieuse. Un épisode de ce mouvement éclaire particulièrement la façon dont ces ouvriers ont occupé leur usine pour se protéger de la répression féroce de l’Etat égyptien.
Le 7 décembre 2006, pour protester contre le non-versement de primes promises, 3000 ouvrières quittent leur poste de travail et se dirigent vers les sections où leurs collègues masculins n’ont pas encore arrêté les machines. Les ouvrières s’écrient en chantant : « Où sont les hommes ? Voici les femmes ! » Peu à peu, 10 000 ouvriers se retrouvent rassemblés sur le Mahalla’s Tal‘at Harb Square, la place située devant l’entrée de l’usine. La réponse de la bourgeoisie égyptienne ne se fait pas attendre : la police anti-émeutes se déploie rapidement autour de l’usine et dans la ville. Face à cette menace de répression, quelques dizaines de grévistes choisissent alors d’occuper l’usine. Voilà 70 ouvriers apparemment pris au piège. Sûr de son fait, l’Etat lâche ses ordres : le soir même, la police anti-émeutes se précipite sur les portes. A 70 contre toute une meute, le combat est évidemment perdu d’avance. Mais ces ouvriers savent qu’en réalité, ils ne sont pas seuls. Ils commencent à frapper bruyamment sur les barreaux d’acier. « Nous réveillâmes tout le monde dans le complexe et dans la ville. Nos téléphones mobiles sortirent des forfaits car nous appelions nos familles et nos amis à l’extérieur, leur demandant d’ouvrir les fenêtres et de faire savoir à la sécurité qu’ils regardaient. Nous appelâmes tous les ouvriers que nous connaissions pour leur dire de se précipiter vers l’usine [...] Plus de 20 000 ouvriers arrivèrent »2. Les enfants des écoles élémentaires et les étudiants des écoles supérieures proches prennent les rues en soutien aux grévistes. Les services de sécurité sont paralysés. Finalement, au quatrième jour de l’occupation de l’usine, les officiels du gouvernement, paniqués, offrent une prime de 45 jours de salaire et donnent l’assurance que la compagnie ne sera pas privatisée.3
En choisissant ainsi d’occuper leur usine, ces 70 ouvriers auraient très bien pu se retrouver coincés dans une véritable souricière, à la merci des forces de l’ordre. Mais cette poignée d’ouvriers qui se sont enfermés dans l’usine n’a pas tenté d’y tenir un siège, seule contre tous et « jusqu’au bout ». Ils ont au contraire utilisé cette occupation comme un point de ralliement, en appelant leurs frères de classe à rejoindre le combat. Plusieurs semaines de lutte leur avaient montré qu’une solidarité de classe se forgeait peu à peu, que des liens étaient en train de se tisser et qu’ils pouvaient donc compter sur le soutien de « 20 000 ouvriers ». C’est cette confiance progressivement engrangée qui leur a permis d’oser appeler tous les ouvriers qu’ils connaissaient « pour leur dire de se précipiter vers l’usine ». L’occupation d’usine ne fut qu’un moyen parmi les autres pour mener cette lutte, la dynamique générale d’extension du mouvement étant l’élément déterminant.
Aucune méthode de lutte ne constitue en soi une panacée. Les blocages et les occupations peuvent être, selon les circonstances, totalement inadaptés. Pire ! Aux mains des syndicats, ils sont toujours utilisés pour diviser les ouvriers et les mener à la défaite. La grève des mineurs de 1984, en Grande-Bretagne, en est une illustration tragique.
A cette époque, le prolétariat le plus vieux du monde est aussi l’un des plus combatifs. Il détient chaque année, et de loin, le record du nombre de jours de grève ! Par deux fois, l’Etat doit même retirer ses attaques. En 1969 et 1972, les mineurs parviennent en effet à créer un rapport de force favorable à la classe ouvrière en imprimant à la grève une dynamique d’extension sortant de la logique sectorielle ou corporatiste. Par dizaines ou par centaines, ils se rendent en véhicules dans les ports, les aciéries, les dépôts de charbon, les centrales, pour les bloquer et convaincre les ouvriers sur place de les rejoindre dans la lutte. Cette méthode deviendra célèbre sous le nom de flying pickets (« piquets volants ») et symbolisera la force de la solidarité et de l’unité ouvrières. Les mineurs paralysent ainsi toute l’économie en interrompant presque totalement la production, la distribution et la combustion du charbon, source d’énergie alors indispensable aux usines.
En arrivant au pouvoir en 1979, Thatcher compte bien briser les reins de cette classe ouvrière pas assez docile à son goût. Pour cela, son plan est simple : il s’agit d’isoler les éléments les plus combatifs, les mineurs, dans une grève longue et dure. Durant des mois, la bourgeoisie anglaise se prépare au bras de fer. Des stocks de charbon sont constitués pour faire face au risque de pénurie. Dans ses Mémoires, Thatcher rapporte : « Il incomba principalement à Nigel Lawson, qui était devenu ministre de l’Energie en septembre 1981, d’amasser - régulièrement et sans provocation - les stocks de charbon qui permettraient au pays de tenir. On devait beaucoup entendre le mot « tenir » au cours des mois suivants. » Quand tout est fin prêt, en mars 1984, 20 000 suppressions d’emplois sont brutalement annoncées dans le secteur du charbonnage. Comme attendu, la réaction des mineurs est fulgurante : dès le premier jour de grève, 100 puits sur 184 sont fermés. Un corset de fer syndical entoure alors immédiatement les grévistes. Tout est fait pour annihiler tout « risque » de « contamination ». Les syndicats de cheminots et de marins soutiennent platoniquement le mouvement, autrement dit, ils laissent les mineurs se débrouiller tout seuls. Le puissant syndicat des dockers se contente de deux appels à la grève tardifs, l’un en juillet quand nombre de puits sont fermés pour cause de vacances et l’autre à l’automne pour le retirer quelques jours plus tard ! Le TUC (la centrale syndicale nationale) refuse de soutenir la grève. Les syndicats des électriciens et des sidérurgistes s’y opposent. Bref, les syndicats sabotent activement toute possibilité de lutte commune. Mais surtout, le syndicat des mineurs, le NUM (National Union of Mineworkers), parachève ce sale boulot en enfermant les mineurs dans des occupations stériles et interminables (plus d’un an !) des puits de charbon. Compte-tenu des stocks amassés, la paralysie de la production de charbon ne fait cette fois-ci pas peur à la bourgeoisie, seule la possibilité d’une extension de la lutte aux différents secteurs de la classe ouvrière l’inquiète. Il lui faut donc à tout prix éviter que les mineurs envoient des piquets volants partout pour discuter et convaincre les ouvriers des autres secteurs de les rejoindre dans la lutte. Le NUM déploie toute son énergie à restreindre la grève à l’industrie minière. Afin d’éviter que des flying pickets soient envoyés aux portes des usines voisines, toute l’attention des ouvriers est focalisée sur la nécessité d’occuper les puits, tous les puits, rien que les puits, coûte que coûte. Or, le NUM a bien pris soin de ne pas appeler à la grève nationale, chaque région doit décider de rentrer en lutte ou non. Quelques puits continuent donc de tourner.. Ce même NUM désigne alors ces puits encore en activité comme des « repaires de jaunes ». De mars 1984 à mars 1985, pendant un an, la vie de milliers d’ouvriers et de leur famille va tourner autour de cette seule question d’occuper les mines et de bloquer les quelques puits encore en activité. Bloquer la production du charbon devient, sous la houlette syndicale, l’objectif central et unique, une question en soi. Les flying pickets ont du plomb dans l’aile ; au lieu de « voler » d’usine en usine, ils restent là, au même endroit, devant les mêmes puits, jour après jour, semaine après semaine, puis mois après mois. Le seul résultat est l’exacerbation des tensions entre grévistes et non-grévistes ; parfois même, des affrontements entre mineurs éclatent.
Cette fois isolés de leur classe, divisés en leur propre sein, les mineurs deviennent une proie facile. Grâce à ce sabotage syndical, à ces occupations stériles et interminables, à ces flying pickets qui n’ont plus de volants que le nom, la répression policière peut s’abattre avec d’autant plus de violence. Le bilan de la grève des mineurs de 1984 sera de 7000 blessés, 11 291 arrestations et 8392 personnes traduites en justice. Bien plus grave, cette défaite sera la défaite de toute la classe ouvrière, le gouvernement Thatcher passera alors en force toute une série d’attaques dans tous les secteurs.
Décidément, il n’existe aucune recette pour la lutte de classe. Toute méthode de lutte (blocage, piquet, occupation...) peut tantôt être au service du mouvement, tantôt facteur de division. Une seule chose est certaine : la force de la classe ouvrière réside dans son unité, sa capacité à développer sa solidarité et donc à étendre la lutte à tous les secteurs. C’est cette dynamique d’extension qui seule fait vraiment peur à la bourgeoisie et permet de dégager, dans les grandes lignes, quelques leçons essentielles des expériences de lutte du prolétariat:
- jamais les piquets ou les occupations ne doivent être la source d’un quelconque enfermement et repli, mais au contraire un outil au service de l’extension ;
- pour ce faire, l’ouverture est un élément vital. Une usine occupée doit être un lieu où les ouvriers des autres secteurs, les retraités, les chômeurs... peuvent venir débattre et participer à la lutte. Les piquets, eux aussi, doivent constituer des lieux privilégiés d’échange pour convaincre les non-grévistes de rejoindre le combat. Les piquets volants doivent avoir pour souci premier cette notion d’extension de la lutte à tous les secteurs ;
- tout mode d’action ne peut être employé à tout moment. En particulier, quand un mouvement ne s’étend pas et stagne puis qu’il s’oriente ostensiblement vers la reprise, il est presque toujours vain pour les éléments les plus combatifs et déterminés de vouloir aller « jusqu’au bout » de leurs forces (physiques et morales) par des occupations et des blocages souvent désespérés. Ce qui compte alors, c’est surtout de préparer les nouvelles luttes à venir.
- enfin, derrière les actions de blocage, de piquet et d’occupation, les syndicats ne cherchent toujours qu’à diviser et isoler. Seule la prise en mains de la lutte par les ouvriers eux-mêmes permet le développement de la lutte et de la solidarité !
Quoi qu’il en soit, au-delà du rôle que peut jouer une occupation d’usine ou un piquet à un moment donné d’une grève, c’est dans la rue que les ouvriers peuvent se rassembler massivement ! Ce n’est pas pour rien qu’en mai 2006, les métallurgistes de Vigo, en Espagne, qui occupaient leur usine et faisaient face à une répression policière violente, ont décidé d’organiser leurs assemblées générales et les manifestations dans les rues du centre-ville. Ici, dans la rue, les ouvriers de tous secteurs, les retraités, les chômeurs, les familles ouvrières... tous ont pu rejoindre les grévistes et manifester activement, par la lutte et l’unité dans la lutte, leur solidarité de classe !
Pawel (24 janvier 2008)
1 La loi LRU (Libertés et Responsabilités des Universités) a pour but la réduction des coûts étatiques pour l’enseignement supérieur en recentrant les « efforts financiers » sur quelques « facs élites », transformant ainsi toutes les autres universités en de véritables « facs poubelles ».
2 Témoignages de deux ouvriers de l’usine, Muhammed Attar et Sayyid Habib, recueillis par Joel Beinin et Hossam el-Hamalawy et publiés sous le titre « Les ouvriers du textile égyptien s’affrontent au nouvel ordre économique », sur les sites “Middle East Report Online” et libcom.org.
3 Pour plus d’informations sur cette lutte, qui dura plusieurs mois, lire notre article « Grèves en Egypte : la solidarité de classe, fer de lance de la lutte [16] ».
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_418_0.jpg
[2] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/ri_418.pdf
[3] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[5] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[6] https://fr.internationalism.org/ri416/le_mensonge_grossier_de_la_baisse_du_chomage.html
[7] https://fr.internationalism.org/tag/5/231/cote-divoire
[8] https://fr.internationalism.org/tag/5/232/coree
[9] https://grupoanarquistasrosario.blogspot.com/
[10] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[11] https://fr.internationalism.org/tag/5/55/argentine
[12] https://fr.internationalism.org/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud
[13] https://fr.internationalism.org/files/fr/supplement_octobre_2010_def.pdf
[14] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[15] https://antilru.canalblog.com/archives/le_blocage/index.html
[16] https://fr.internationalism.org/content/greves-egypte-solidarite-classe-fer-lance-lutte