Publié sur Courant Communiste International (https://fr.internationalism.org)

Accueil > Revue Internationale, les années 2000: n°100 - 139 > Revue Int. 2007 - 128 à 131 > Revue Internationale n° 129 - 2e trimestre 2007

Revue Internationale n° 129 - 2e trimestre 2007

  • 2935 lectures
 

Editorial - chaos impérialiste, désastre écologique : le capitalisme en perdition

  • 2732 lectures

Il y a plus d'un siècle, Friedrich Engels prédisait que, laissée à elle-même, la société capitaliste plongerait l'humanité dans la barbarie. Et effectivement, durant ces cent dernières années, la guerre impérialiste n'a cessé d'apporter son lot croissant d'épisodes chaque fois plus abominables venant illustrer la façon dont cette prévision se réalisait. Aujourd'hui, le monde capitaliste a ouvert une autre voie vers l'apocalypse qui vient compléter celle de la guerre impérialiste : celle d'une catastrophe écologique "man-made" -"fabriquée par l'homme"- qui, en l'espace de quelques générations, pourrait transformer la terre en une planète aussi inhospitalière pour la vie humaine que la planète Mars. Bien que les défenseurs de l'ordre capitaliste soient conscients de cette perspective, ils n'y peuvent absolument rien, car c'est la perpétuation contre nature elle-même de leur mode de production agonisant qui provoque la guerre impérialiste tout comme la catastrophe écologique.

Guerre impérialiste = barbarie

Le fiasco sanglant auquel a abouti l'invasion de l'Irak par la "coalition" dirigée par les États-Unis en 2003, marque un moment fatidique dans le développement de la guerre impérialiste vers la destruction même de la société. Quatre ans après l'invasion, bien loin d'être "libéré", l'Irak s'est transformé en ce que les journalistes bourgeois appellent pudiquement "une société en panne", où la population, après avoir subi les massacres de la Guerre du Golfe de 1991, puis avoir été saignée à blanc pendant une décennie de sanctions économiques[1], est soumise quotidiennement aux attentats suicides, aux pogromes de divers "insurgés", aux assassinats des escadrons de la mort du Ministère de l'Intérieur ou à l'élimination arbitraire par les forces d'occupation. Et la situation en Irak n'est que l'épicentre d'un processus de désintégration et de chaos militarisés qui s'étend en Palestine, en Somalie, au Soudan, au Liban, en Afghanistan et menace sans cesse d'engloutir de nouvelles régions du globe dont ne sont pas exclues les métropoles capitalistes centrales comme l'ont montré les attentats terroristes à New York, Madrid et Londres pendant la première décennie de ce siècle. Loin de construire un nouvel ordre au Moyen Orient, le pouvoir militaire américain n'a fait que répandre un chaos militaire croissant.

En un sens, il n'y a rien de nouveau dans ce carnage militaire de masse. La Première Guerre mondiale de 1914-18 constituait déjà un premier pas majeur vers un "avenir" barbare. Le massacre mutuel de millions de jeunes ouvriers envoyés dans les tranchées par leurs maîtres impérialistes respectifs, fut suivi d'une pandémie, la "grippe espagnole", qui a emporté la vie de millions d'autres, tandis que les nations industrielles européennes les plus puissantes du capitalisme se retrouvaient économiquement à genoux. Après l'échec de la révolution d'Octobre 1917 et des révolutions ouvrières qu'elle avait inspirées dans le reste du monde au cours des années 1920, la voie était ouverte vers un épisode de guerre totale encore plus catastrophique, la Seconde Guerre mondiale de 1939-45. Ce sont alors les populations civiles sans défense qui devinrent la cible principale d'un massacre de masse systématique par les forces aériennes et qu'un génocide de plusieurs millions d'êtres humains fut perpétré au cœur de la civilisation européenne.

Puis la "Guerre froide" de 1947 à 1989 a produit toute une série de carnages aussi destructeurs, en Corée, au Vietnam, au Cambodge et à travers l'Afrique, tandis que l'antagonisme entre les États-Unis et l'URSS contenait la menace permanente d'un holocauste nucléaire global.

Ce qui est nouveau dans la guerre impérialiste aujourd'hui, ce n'est pas le niveau absolu de destruction, puisque les récents conflits militaires, tout en étant menés avec une puissance de feu bien plus mortelle qu'auparavant, au moins de la part des États-Unis, n'ont pas encore emporté dans l'abîme les principales concentrations de populations au cœur du capitalisme, comme ce fut le cas pendant les Première et Deuxième Guerres mondiales. Ce qui est différent, c'est que l'anéantissement de toute la société humaine qu'apporterait une telle guerre, apparaît aujourd'hui bien plus clairement. En 1918, Rosa Luxemburg comparait la barbarie de la Première Guerre mondiale au déclin de la Rome antique et aux années sombres qui ont suivi. Aujourd'hui, même cette comparaison dramatique semble inadéquate pour exprimer l'horreur sans fin que la barbarie capitaliste nous réserve. Malgré toute la brutalité et le chaos destructeur des deux guerres mondiales du siècle dernier, il existait toujours une perspective - même si elle était en fin de compte illusoire - de reconstruire un ordre social dans l'intérêt des puissances impérialistes dominantes. Les foyers de tension de l'époque contemporaine au contraire n'offrent aux protagonistes en guerre aucune autre perspective que de descendre encore plus dans la fragmentation sociale à tous les niveaux, dans la décomposition de l'ordre social, dans un chaos sans fin.

L'impasse de l'impérialisme américain est celle du capitalisme

La plus grande partie de la bourgeoisie américaine a été forcée de reconnaître que sa stratégie impérialiste d'imposition unilatérale de son hégémonie mondiale, que ce soit sur le plan diplomatique, militaire ou idéologique, a mal tourné. Le rapport du Groupe d'Étude sur l'Irak (Irak Study Group) présenté au Congrès américain ne cache pas ce fait évident. Au lieu de renforcer le prestige de l'impérialisme américain, l'occupation de l'Irak l'a affaibli quasiment à tous les niveaux. Mais quelle alternative à la politique de Bush proposent les plus sévères critiques au sein de la classe dominante américaine ? Le retrait est impossible sans affaiblir encore plus l'hégémonie américaine et accélérer le chaos. Une partition de l'Irak en fonction de groupes ethniques aurait aussi le même résultat. Certains proposent même de revenir à une politique d'endiguement comme pendant la Guerre froide. Mais il est clair qu'il ne peut y avoir de retour à l'ordre mondial des deux blocs impérialistes. Aussi le fiasco en Irak est-il bien pire que celui du Vietnam puisque, contrairement à cette dernière guerre, c'est le monde entier que les États-Unis essaient maintenant d'endiguer et pas seulement leur bloc rival, l'URSS.

Aussi, malgré les critiques acerbes du ISG et le contrôle du Congrès américain par le parti démocrate, le président Bush a été autorisé à augmenter d'au moins 20 000 le nombre des soldats en Irak et se lance dans une nouvelle politique de menaces militaire et diplomatique vis-à-vis de l'Iran. Quelles que soient les stratégies alternatives qu'étudie la classe dominante américaine, elle sera, tôt ou tard, contrainte de donner une nouvelle preuve sanglante de son statut de superpuissance avec des conséquences encore plus abominables pour les populations du monde, ce qui accélérera encore l'extension de la barbarie.

Cela n'est le résultat ni de l'incompétence ni de l'arrogance de l'administration républicaine de Bush et des néo conservateurs comme les bourgeoisies des autres puissances impérialistes ne cessent de nous le répéter. S'en remettre aux Nations Unies et au multilatéralisme ne constitue pas une option de paix comme ces bourgeoisies le proclament ainsi que les pacifistes de toutes sortes. Depuis 1989, Washington l'a très bien compris : les Nations Unies sont devenues une tribune pour contrecarrer les projets américains : un lieu où ses rivaux moins puissants peuvent retarder, délayer et même mettre leur veto à la politique américaine afin d'empêcher que leurs propres positions soient affaiblies. En présentant les États-Unis comme les seuls responsables de la guerre et du chaos, la France, l'Allemagne et les autres ne font que révéler la part pleine et entière qu'elles prennent à la logique destructrice actuelle de l'impérialisme : une logique où chacun joue pour soi et doit s'opposer à tous les autres.

Il n'est pas surprenant que les manifestations régulières sur le thème "Stop the War" - "Arrêtez la guerre" - dans les grandes villes des principales puissances apportent en général un soutien bruyant à de petits gangsters impérialistes du Moyen-Orient, comme les insurgés d'Irak ou le Hezbollah du Liban qui combattent les États-Unis. Ce que cela révèle, c'est que l'impérialisme est un processus dont aucune nation ne peut se tenir à l'écart et que la guerre n'est pas seulement le résultat de l'agression des plus grandes puissances.

D'autres proclament toujours, contre toute évidence, que l'aventure américaine en Irak est une "guerre pour le pétrole", obscurcissant ainsi complètement le danger posé par ses objectifs géostratégiques fondamentaux. C'est là une sous-estimation considérable de la gravité de la situation actuelle. En réalité, l'impasse dans laquelle se trouve aujourd'hui l'impérialisme américain en Irak n'est que la manifestation de l'impasse globale dans laquelle se trouve la société capitaliste. George Bush père avait annoncé qu'avec la disparition du bloc russe s'était ouverte une ère nouvelle de paix et de stabilité, un "nouvel ordre mondial". Rapidement, notamment avec la première guerre du Golfe puis avec le conflit barbare en Yougoslavie, au cœur de l'Europe, la réalité s'était chargée de démentir cette prévision. Les années 1991 n'ont pas été celles de l'ordre mondial mais celles d'un chaos militaire croissant. Ironiquement, il est revenu à George Bush fils d'être un acteur de premier plan dans un nouveau pas décisif de ce chaos irréversible.

La détérioration de la biosphère

En même temps que le capitalisme en décomposition attise son cours impérialiste vers une barbarie plus clairement perceptible, il a également accéléré un assaut contre la biosphère d'une telle férocité qu'un holocauste climatique artificiellement créé pourrait lui aussi balayer la civilisation et la vie humaines. Selon le consensus auquel sont arrivés les scientifiques en écologie du monde, dans le rapport de février 2007 du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC), il est clair que la théorie selon laquelle le réchauffement de la planète par l'accumulation de hauts taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère serait dû à la combustion à grande échelle d'énergies fossiles, n'est plus une simple hypothèse mais est considérée comme "très probable". Le dioxyde de carbone de l'atmosphère retient la chaleur du soleil réfléchie par la surface de la terre et l'irradie dans l'air environnant, menant à "l'effet de serre". Ce processus a commencé vers 1750, au début de la révolution capitaliste industrielle et, depuis, l'augmentation des émissions de dioxyde de carbone et le réchauffement de la planète n'ont cessé de croître. Depuis 1950, cette double augmentation s'est accélérée avec une pente beaucoup plus raide de la courbe de croissance, et de nouveaux records planétaires de température ont été atteints quasiment chaque année durant la dernière décennie. Les conséquences de ce réchauffement de la planète ont déjà commencé à apparaître à une échelle alarmante : une modification du climat conduisant à la fois à des sécheresses répétées et à des inondations à grande échelle, des vagues de chaleur mortelles en Europe du Nord et des conditions climatiques extrêmes d'une grande puissance destructrice qui, à leur tour, sont déjà responsables du développement de famines et de maladies dans le Tiers Monde et de la ruine de villes entières comme la Nouvelle Orléans après le cyclone Katrina.

On ne saurait bien sûr blâmer le capitalisme pour avoir commencé à brûler des énergies fossiles ou à agir sur l'environnement avec des conséquences imprévues et dangereuses. En fait, ceci a lieu depuis l'aube de la civilisation humaine :

"Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s'attendre à jeter par là les bases de l'actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d'accumulation et de conservation de l'humidité. Les Italiens qui, sur le versant sud des Alpes, saccageaient les forêts de sapins, conservées avec tant de soins sur le versant nord, n'avaient pas idée qu'ils sapaient par là l'élevage de haute montagne sur leur territoire; ils soupçonnaient moins encore que, ce faisant, ils privaient d'eau leurs sources de montagne pendant la plus grande partie de l'année et que celles ci, à la saison des pluies, allaient déverser sur la plaine des torrents d'autant plus furieux. Ceux qui répandirent la pomme de terre en Europe ne savaient pas qu'avec les tubercules farineux ils répandaient aussi la scrofule. Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein, et que toute notre domination sur elle réside dans l'avantage que nous avons sur l'ensemble des autres créatures, de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement." (Friedrich Engels, Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme)

Le capitalisme est néanmoins responsable de l'énorme accélération de ce processus de détérioration de l'environnement. Non à cause de l'industrialisation en soi mais comme résultat de sa recherche d'un profit maximal et de l'indifférence qui en découle vis-à-vis des besoins écologiques et humains sauf lorsqu'ils coïncident avec le but d'accumuler des richesses. De plus, le mode de production capitaliste a d'autres caractéristiques qui contribuent à la destruction effrénée de l'environnement. La concurrence intrinsèque entre capitalistes, en particulier entre chaque État national, empêche, en dernière instance au moins, toute coopération véritable à l'échelle mondiale. Et, en lien avec cette caractéristique, la tendance du capitalisme à la surproduction dans sa recherche insatiable de profit.

Dans le capitalisme décadent, dans sa période de crise permanente, cette tendance à la surproduction devient chronique. C'est apparu de façon particulièrement claire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale quand l'expansion des économies capitalistes a eu lieu artificiellement, en partie à travers la politique de financement des déficits, par une énorme extension de toutes sortes d'endettement dans l'économie. Ceci n'a pas mené à la satisfaction des besoins de la masse de la population ouvrière qui est restée embourbée dans la pauvreté, mais à un énorme gaspillage : à des montagnes de marchandises invendues, au dumping de millions de tonnes de nourriture, à l'obsolescence planifiée dès leur production d'une immense quantité de produits, depuis les voitures jusqu'aux ordinateurs qu'il faut rapidement mettre au rebut, à une masse énorme de marchandises identiques produites par des concurrents sans nombre pour le même marché.

De plus, tandis que le rythme du changement et de la sophistication technologiques s'accroît dans la décadence, les innovations qui en résultent, contrairement à la situation de la période d'ascendance du capitalisme, tendent à être stimulées principalement par le secteur militaire. En même temps, sur le plan des infrastructures : construction, système sanitaire, production d'énergie, systèmes de transport, nous assistons à très peu de développements révolutionnaires à une échelle comparable à celle qui a caractérisé l'émergence de l'économie capitaliste. Dans la période de décomposition capitaliste, la phase finale de la décadence, il y a une accélération de la tendance opposée, une tentative de réduire le coût de la maintenance, même des vieilles infrastructures, dans la recherche de profits immédiats. On voit la caricature de ce processus dans l'expansion actuelle de la production en Chine et en Inde où est largement absente toute infrastructure industrielle. Au lieu de donner un nouvel élan de vie au capitalisme, cette expansion donne lieu à des niveaux de pollution faramineux : la destruction de l'ensemble des systèmes fluviaux, d'énormes couches de smog qui recouvrent plusieurs pays, etc.

Ce long processus de déclin et de décomposition du mode de production capitaliste peut permettre d'expliquer pourquoi il y a eu une telle accélération dramatique des émissions de dioxyde de carbone et du réchauffement de la planète durant les dernières décennies. Il permet aussi d'expliquer pourquoi, face à une telle évolution économique et climatique, le capitalisme et ses "décideurs" seront incapables de renverser les effets catastrophiques du réchauffement climatique.

Ces deux scénarios apocalyptiques qui peuvent détruire la civilisation humaine elle-même, sont dans une certaine mesure reconnus et rendus publics par les porte-parole et les médias des dirigeants de toutes les nations capitalistes. Le fait qu'ils recommandent d'innombrables remèdes pour éviter ces issues fatales, ne veut pas dire qu'un seul d'entre eux ait une alternative réaliste aux perspectives barbares que nous avons esquissées. Au contraire. Face au désastre écologique qu'il génère comme face à la barbarie impérialiste, le capitalisme est également impuissant.

"Beaucoup de vent" autour du réchauffement climatique

Les gouvernements du monde ont généreusement financé à travers les Nations Unies la recherche du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) depuis 1990, et leurs médias ont largement divulgué ses conclusions récentes les plus affligeantes.

A leur tour, les principaux partis politiques de la bourgeoisie de tous les pays se parent de diverses nuances de vert. Mais à y regarder de plus près, la politique écologique de ces partis, aussi radicale qu'elle puisse paraître, obscurcit délibérément la gravité du problème parce que la seule solution à y apporter mettrait en cause le système même dont ils chantent les louanges. Le dénominateur commun de toutes ces campagnes "vertes" est d'empêcher le développement d'une conscience révolutionnaire dans une population horrifiée à juste titre par le réchauffement climatique. Le message écologique permanent des gouvernements, c'est que "sauver la planète est la responsabilité de chacun" alors que la vaste majorité est privée de tout pouvoir économique ou politique, de contrôle sur la production et sur la consommation, sur ce qui est produit et comment. Et la bourgeoisie qui, elle, a ce pouvoir de décision, a moins que jamais l'intention de satisfaire les besoins écologiques et humains aux dépens de ses profits.

Al Gore qui a manqué de peu devenir président démocrate des États-Unis en 2000, s'est porté à la tête d'une campagne internationale contre les émissions de carbone avec son film "Une vérité qui dérange" qui a gagné un Oscar à Hollywood pour la façon vivante dont il traite le danger de la montée des températures planétaires, de la fonte des glaces polaires, de la montée des mers et de toutes les dévastations qui en découlent. Mais le film est aussi une plateforme électorale pour Al Gore lui-même. Il n'est pas le seul vieux politicien à prendre conscience que la peur justifiée de la population vis-à-vis d'une crise écologique peut être exploitée dans la ruée pour le pouvoir qui caractérise le jeu démocratique des grands pays capitalistes. En France, les candidats à la présidence ont tous signé le "pacte écologique" du journaliste Nicolas Hulot. En Grande-Bretagne, les principaux partis politiques rivalisent pour être plus "verts" que les autres. Le rapport Stern commandé par Gordon Brown du New Labour a été suivi par plusieurs initiatives gouvernementales pour réduire les émissions de carbone. David Cameron, chef de l'opposition conservatrice, va en vélo au Parlement (pendant que son entourage arrive derrière en Mercedes).

Il suffit d'examiner les résultats des précédentes politiques gouvernementales pour réduire les émissions de carbone pour constater l'incapacité des États à faire preuve d'une quelconque efficacité. Au lieu de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990 en l'an 2000, ce à quoi les signataires du protocole de Kyoto s'étaient modestement engagés en 1997, il y a eu une augmentation de 10,1% des émissions dans les principaux pays industrialisés à la fin du siècle et il est prévu que cette pollution aura encore augmenté de 25,3% en 2010 ! (Deutsche Umwelthilfe)

Il suffit aussi de constater la totale négligence des États capitalistes envers les calamités qui se sont déjà abattues à cause du changement climatique pour juger de la sincérité des interminables déclarations de bonnes intentions.

Il y a ceux qui, reconnaissant que le mobile du profit constitue un facteur puissant de démotivation dans la limitation efficace de la pollution, croient qu'on peut résoudre le problème en remplaçant les politiques libérales par des solutions organisées par l'État. Mais il est clair, surtout à l'échelle internationale, que les États capitalistes, même s'ils s'organisent chez eux, sont incapables de coopérer entre eux sur cette question car chacun devrait faire des sacrifices économiques de son côté. Le capitalisme, c'est la concurrence, et aujourd'hui plus que jamais, il est dominé par le chacun pour soi.

Le monde capitaliste est incapable de s'unir autour d'un projet commun aussi massif et coûteux qu'une transformation complète de l'industrie et des transports afin de parvenir à une réduction drastique de la production d'énergie brûlant du carbone. Au contraire, la principale préoccupation de toutes les nations capitalistes est de chercher à utiliser ce problème pour promouvoir leurs propres ambitions sordides. Comme sur le plan impérialiste et militaire, sur le plan écologique le capitalisme est traversé par des divisions nationales insurmontables et ne peut donc pas répondre de façon significative aux besoins les plus pressants de l'humanité.

Tout n'est pas perdu pour les prolétaires, ils ont toujours un monde à gagner

Mais il serait tout à fait erroné d'adopter une attitude de résignation et de penser que la société humaine sombrera inévitablement à cause de ces puissantes tendances - l'impérialisme et la destruction écologique - à la barbarie. Face à la fatuité de toutes les demi-mesures que le capitalisme nous propose pour apporter la paix et l'harmonie avec la nature, le fatalisme est une attitude aussi erronée que la croyance naïve en ces cures cosmétiques.

En même temps qu'il sacrifie tout à la course au profit et à la concurrence, le capitalisme a aussi, malgré lui, produit les éléments de son dépassement comme mode d'exploitation. Il a produit les moyens potentiels technologiques et culturels pour créer un système de production mondial, unifié et planifié, en harmonie avec les besoins de l'humanité et de la nature. Il a produit une classe, le prolétariat, qui n'a pas besoin de préjugés nationaux ou concurrents, et qui a tout intérêt au développement de la solidarité internationale. La classe ouvrière n'a aucun intérêt dans le désir rapace de profit. En d'autres termes, le capitalisme a jeté les bases pour un ordre supérieur de la société, pour son dépassement par le socialisme. Le capitalisme a développé les moyens de détruire la société humaine mais il a aussi créé son propre fossoyeur, la classe ouvrière, qui peut préserver cette société humaine et lui faire accomplir un pas décisif dans son épanouissement.

Le capitalisme a permis la création d'une culture scientifique qui est capable d'identifier et de mesurer les gaz invisibles comme le dioxyde de carbone tant dans l'atmosphère d'aujourd'hui que dans celle d'il y a 10 000 ans. Les scientifiques savent identifier les isotopes de dioxyde de carbone spécifiques produits par la combustion des énergies fossiles. La communauté scientifique a été capable de tester et de vérifier l'hypothèse de "l'effet de serre". Pourtant, elle est loin l'époque où le capitalisme en tant que système social était capable d'utiliser la méthode scientifique et ses résultats dans l'intérêt du progrès de l'humanité. La plus grande partie des recherches et des découvertes scientifiques d'aujourd'hui est dédiée à la destruction, au développement de méthodes toujours plus sophistiquées de mort massive. Seul un nouvel ordre social, une société communiste, peut mettre la science au service de l'humanité.

Malgré les cent dernières années de déclin et de pourrissement du capitalisme et les sévères défaites qu'a subies la classe ouvrière, le soubassement nécessaire pour créer une nouvelle société est toujours intact.

Le resurgissement du prolétariat mondial depuis 1968 en est la preuve. Le développement de sa lutte de classe contre la pression constante sur le niveau de vie des prolétaires durant les décennies qui ont suivi, a empêché l'issue barbare promise par la Guerre froide : une confrontation totale entre les blocs impérialistes. Depuis 1989 cependant et la disparition des blocs, la position défensive de la classe ouvrière n'a pas permis d'empêcher la succession d'horribles guerres locales qui menacent de s'accélérer hors de tout contrôle et d'impliquer de plus en plus de régions de la planète. Dans cette période de décomposition capitaliste, le prolétariat n'a plus le temps pour lui, d'autant plus qu'une catastrophe écologique pressante doit maintenant être ajoutée à l'équation historique.

Mais nous ne pouvons pas dire encore que le déclin et la décomposition du capitalisme ont atteint "un point de non retour" - un point où sa barbarie ne pourrait plus être renversée.

Depuis 2003, la classe ouvrière a commencé à reprendre la lutte avec une vigueur renouvelée, après que l'effondrement du bloc de l'Est a mis momentanément un terme à son resurgissement depuis 1968.

Dans ces conditions de développement de la confiance de la classe, les dangers croissants représentés par la guerre impérialiste et la catastrophe écologique, au lieu d'induire des sentiments d'impuissance et de fatalisme, peuvent conduire à une plus grande réflexion politique et à une plus grande conscience des enjeux de la situation mondiale, à une conscience de la nécessité du renversement révolutionnaire de la société capitaliste. C'est la responsabilité des révolutionnaires de participer activement à cette prise de conscience.

 

Como, 3/04/2007.



[1] La mortalité infantile en Irak est passée de 40 pour 1000 en 1990 à 102 pour 1000 en 2005, The Times, 26 mars 2007.

 

courrier d'un lecteur : les revendications nationales et démocratiques, hier et aujourd'hui

  • 3065 lectures

Nous avons échangé récemment une correspondance avec un lecteur de Montreal (Canada) qui nous a conduits à présenter une nouvelle fois notre vision sur les luttes de "libération nationale" que nous avons largement traitée dans nos publications mais également celle, plus générale, des "revendications démocratiques" qui n'avait pas fait l'objet, jusqu'à présent, de texte développé spécifique de notre part. Dans la mesure où les arguments que nous présentons à notre lecteur ont une portée générale et répondent à un questionnement réel existant au sein de la classe ouvrière, notamment du fait de l'influence auprès de celle-ci des partis de gauche et d'extrême gauche, nous avons estimé utile de publier de larges extraits de cette correspondance.

Dans un de ses premiers courriers, notre lecteur nous demandait ce que le CCI pensait de la question nationale québécoise.

Voici ce que fut notre première réponse :

Quant à la question nationale québécoise, elle n'est pas différente de celle posée par tout mouvement d'indépendance nationale depuis plus d'un siècle maintenant, signifiant un renforcement des illusions nationalistes pour le prolétariat et un affaiblissement de ses luttes. Nous considérons que toute organisation qui, au Québec, soutient la revendication de l'indépendance de la "Belle Province" participe, qu'elle en soit consciente ou non, à l'affaiblissement du prolétariat québécois, canadien et nord-américain.

Les dangers du nationalisme québécois

Dans un deuxième courrier sur cette question nous précisions notre position :

Pour ce qui concerne la question spécifique du Québec et de l'attitude à adopter face au mouvement indépendantiste tu écris dans ton message du 1er janvier : "Concernant le Québec, je comprends votre opposition à l'indépendance du Québec et au nationalisme québécois, mais je ne crois pas que le nationalisme canadien soit plus "progressiste" loin de là. Je crois qu'il faut s'opposer résolument à toutes les campagnes pour la défense de l'État canadien et pour le maintien de l"unité nationale" du Canada. Le Canada est un État impérialiste et oppresseur qui doit être détruit de fond en comble. Je ne veux pas dire qu'il faille appuyer l'indépendance du Québec et des peuples autochtones, mais il faut aussi rejeter tout appui au chauvinisme canadien-anglais qui est dominant au sein de l'État canadien."

Il est clair qu'il est hors de question pour des communistes d'apporter le moindre soutien au chauvinisme canadien-anglais, comme à tout chauvinisme d'ailleurs. Cependant tu parles de "chauvinisme canadien-anglais" et de "nationalisme québécois". A quoi correspond cette différence de qualification ? Penses-tu que le nationalisme québécois soit moins nocif pour la classe ouvrière que le nationalisme canadien-anglais ? Ce n'est certainement pas notre avis. Et pour illustrer cela on peut envisager une situation hypothétique mais qui n'est pas absurde, celle d'un puissant mouvement de la classe ouvrière au Québec qui, dans un premier temps, ne toucherait pas les provinces anglophones. Il est clair que la bourgeoisie canadienne (y compris celle du Québec) fera tout son possible pour qu'il ne s'étende pas dans ces provinces et un des meilleurs moyens pour que ce ne soit pas le cas, c'est que les ouvriers du Québec mêlent à leurs revendications de classe prolétariennes des revendications indépendantistes ou autonomistes. Ainsi, le nationalisme québécois se présente comme un des pires poisons pour le prolétariat du Québec et de l'ensemble du Canada, probablement plus dangereux encore que le nationalisme canadien-anglais puisqu'il paraît peu probable qu'un mouvement de classe des ouvriers anglophones soit inspiré par la condamnation de l'indépendance du Québec.

Dans une situation qui peut avoir des ressemblances avec celle du Québec au sein de l'État canadien, Lénine écrivait à propos de la question de l'indépendance de la Pologne [1]:

"La situation est sans contredit très embrouillée mais il y a une issue qui permettrait à tous les participants de rester des internationalistes : les social-démocrates russes et allemands exigeant "la liberté de séparation" inconditionnelle de la Pologne ; les social-démocrates polonais s'attachant à réaliser l'unité de la lutte prolétarienne dans un petit et dans les grands pays sans lancer pour le moment le mot d'ordre de l'indépendance de la Pologne." (Bilan d'une discussion sur le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, 1916)

Ainsi, si on veut vraiment être fidèle à la position de Lénine, il faudrait que les communistes défendent l'indépendance du Québec dans les provinces anglophones mais se refusent à une telle attitude au Québec même. (...)

Pour notre part, nous ne partageons pas la position de Lénine : nous pensons qu'il faut tenir le même langage à tous les ouvriers quelle que soit leur nationalité ou leur langue. C'est ce que nous faisons par exemple en Belgique où notre journal Internationalisme publie exactement les mêmes articles en français et en flamand. Cela dit, il faut reconnaître que la position, même erronée, de Lénine était inspirée par un internationalisme sans faille ce qui n'est certainement pas le cas si, au Québec, on ne dénonce pas vigoureusement le nationalisme et les revendications indépendantistes.

La réponse de notre lecteur à ce courrier avait été assez vive :

"Je crois que vous avez une vision profondément erronée du rapport entre le nationalisme québécois et le chauvinisme canadien-anglais. Ce dernier est DOMINANT au sein de l'État canadien et nourrit le racisme anti-québécois et anti-francophone. L'existence de ce chauvinisme et son enracinement dans la classe ouvrière anglo-canadienne empêche toute unité de la classe ouvrière pancanadienne. Il encourage le développement de tendances nationalistes chez les travailleurs québécois. Un de ses aspects est le refus du bilinguisme, qui de toute façon est davantage un mythe qu'une réalité au Canada. La plupart des francophones sont obligés de parler anglais et la plupart des anglophones ne parlent ou refusent de parler français.

Contrairement à ce que vous dites le mouvement ouvrier au Canada anglais est basé sur la défense de l'unité canadienne et de l"intégrité" de l'État canadien et ce au détriment des Québécois et des Premières Nations. Il n'y aura JAMAIS d'unité de la classe ouvrière au Canada tant que durera l'oppression des minorités nationales et le racisme anglo-chauvin. (...)

C'est une chose de rejeter le nationalisme québécois et de considérer l'indépendance du Québec comme une impasse et même une tromperie pour la classe ouvrière mais de là à prétendre qu'il est plus "dangereux" que le chauvinisme anglophone, qui s'apparente à l'orangisme protestant en Irlande du Nord, il y a une marge gigantesque!

Le gouvernement canadien fait tout en son pouvoir pour garder le Québec de force dans la Confédération, allant jusqu'à menacer de ne pas reconnaître un résultat positif lors du référendum de 1995 et même de dépecer un éventuel Québec indépendant selon des lignes ethniques, ce que l'on a appelé la partition du Québec. Ensuite ce fut la loi sur la Clarté référendaire où le gouvernement fédéral s'arrogeait le droit de décider des règles d'un prochain référendum sur la souveraineté au niveau de la question et du seuil de majorité nécessaire pour réaliser l'indépendance du Québec.

Ne venez surtout pas me dire que le chauvinisme anglo-canadien est moins nocif pour l'unité de la classe ouvrière. Je vous invite fortement à vous renseigner et vous documenter sur la question nationale québécoise."

A ce courrier nous répondions ainsi :

Au vu de tes messages, ce qui t'a fait réagir très vivement c'est que nous puissions écrire que, par certains côtés, le nationalisme québécois puisse être "plus dangereux que le nationalisme canadien-anglais".

Nous ne contestons pas les faits que tu donnes pour appuyer ta critique de notre position, notamment que : "le chauvinisme canadien-anglais soit DOMINANT au sein de l'État canadien, qu'il nourrit le racisme anti-québécois et anti-francophone" et que "il encourage le développement de tendances nationalistes chez les travailleurs québécois". De même, nous sommes prêts à admettre que "le chauvinisme anglophone s'apparente à l'orangisme protestant en Irlande du Nord".

Et c'est d'ailleurs à partir de ce dernier argument que nous allons baser notre réponse.

En effet, il nous semble qu'il y a de ta part une interprétation fausse de notre analyse. Lorsque nous écrivons que le nationalisme québécois peut s'avérer plus dangereux pour la classe ouvrière que le nationalisme anglophone, cela ne signifie nullement qu'on puisse considérer ce dernier comme une sorte de "moindre mal" ou qu'il soit moins odieux que le premier. En fait, c'est vrai que, dans la mesure où la population francophone subit de la part de l'État canadien une forme d'oppression nationale, les revendications indépendantistes peuvent se présenter comme une sorte de lutte contre l'oppression. Et c'est vrai que la lutte de classe du prolétariat est aussi une lutte contre l'oppression. Et c'est justement là que réside le plus grand danger.

Lorsque les ouvriers anglophones entrent dans la lutte, notamment face aux attaques portées contre la classe ouvrière par le gouvernement fédéral, il y a peu de chances que leur combat puisse se donner comme revendication le maintien de l'oppression nationale sur les ouvriers francophones puisque ce derniers sont aussi victimes de la politique de ce gouvernement. Même si les ouvriers anglophones n'ont pas de sympathie particulière pour les francophones en temps normal, il serait surprenant que lors d'un affrontement avec leur bourgeoisie, ils prennent pour boucs émissaires ces derniers. En effet, l'histoire nous montre que lorsque les ouvriers entrent dans la lutte (une lutte véritable s'entend et non des "actions" comme ont l'habitude de les organiser les syndicats dont la fonction est justement de saboter et dévoyer la combativité ouvrière), il existe une forte tendance chez eux à exprimer une forme de solidarité à l'égard des autres travailleurs avec qui ils ont un ennemi en commun.

Encore une fois, nous ne connaissons pas bien la situation au Canada, mais nous avons de multiples expériences de ce type en Europe. Par exemple, malgré tous les battages nationalistes dont sont la cible les ouvriers flamands et francophones en Belgique, malgré le fait que les partis politiques et les syndicats soient organisés sur un plan communautaire, nous avons constaté lors des luttes importantes dans ce pays qu'à cette occasion les ouvriers se souciaient bien peu de leur origine linguiste et géographique et qu'ils éprouvaient même une réelle satisfaction à se retrouver au coude à coude, alors qu'en "temps normal" on ne cesse de les opposer. Un autre exemple nous a été donné il y a juste un an dans un des pays où le nationalisme a pesé avec le plus de force, l'Irlande du Nord. En effet, c'est au coude à coude que les postiers catholiques et protestants de Belfast ont fait la grève en février 2006 et ont manifesté dans les quartiers protestants et catholiques contre leur ennemi commun (voir notre article https://fr.internationalism.org/ri367/greves.htm [1]).

Tu écris : "Il n'y aura JAMAIS d'unité de la classe ouvrière au Canada tant que durera l'oppression des minorités nationales et le racisme anglo-chauvin." Tu sembles dire, par conséquent, que le rejet par les ouvriers anglophones de leur propre chauvinisme constitue une sorte de préalable avant que puissent s'engager des combats unitaires contre la bourgeoisie canadienne. En fait, l'ensemble des expériences historiques dément un tel schéma : c'est au cours du développement des combats de classe, et non comme préalable, que les ouvriers sont amenés à dépasser les mystifications de tous ordres, y compris les mystifications nationalistes, utilisées par la bourgeoisie pour maintenir sa domination sur la société.

En fin de compte, si nous disons que le nationalisme québécois peut s'avérer plus dangereux que le nationalisme anglophone, c'est JUSTEMENT parce qu'il existe une forme d'oppression nationale des ouvriers francophones. Lorsque ces derniers engagent la lutte contre l'État fédéral, ils risquent d'être plus réceptifs aux discours qui présentent la lutte de classe et la lutte contre l'oppression nationale comme deux luttes complémentaires.

Il en est de cette question comme de la question de la démocratie et du fascisme. Ce sont deux formes de la domination de classe de la bourgeoisie, de la dictature de cette classe. La deuxième se distingue par une plus grande brutalité dans l'exercice de cette dictature mais cela ne veut pas dire que les communistes aient à choisir le "moindre mal" entre les deux. En fait, l'histoire de la révolution russe et allemande entre 1917 et 1923 nous enseigne que le plus grand danger pour la classe ouvrière était représenté non pas par les partis ouvertement réactionnaires ou "liberticides" mais par les "social-démocrates", ceux qui bénéficiaient de la plus grande confiance de la part des ouvriers.

Un dernier exemple à propos du danger du nationalisme des nations opprimées : celui de la Pologne.

L'indépendance de la Pologne contre l'oppression tsariste était une des revendications centrales des 1ère et 2e Internationales. Cependant, dès la fin du 19e siècle, Rosa Luxemburg et ses camarades polonais ont remis en cause cette revendication en indiquant, notamment, que la revendication par les socialistes de l'indépendance de la Pologne risquait d'affaiblir le prolétariat de ce pays. En 1905, le prolétariat de Pologne a été à l'avant-garde de la révolution contre le régime tsariste. Par contre, en 1917 et par la suite, il n'a pas poursuivi sur cette lancée. Au contraire : un des moyens les plus importants qu'a trouvé la bourgeoisie anglo-française pour paralyser et défaire le prolétariat polonais a été d'accorder l'indépendance de la Pologne. Les ouvriers de ce pays ont été alors emportés par un tourbillon nationaliste qui leur a fait tourner le dos à la révolution qui se déroulait de l'autre côté de leur frontière orientale et même à s'enrôler, pour certains, dans les troupes qui ont combattu cette révolution.

Finalement quel est le nationalisme qui s'est révélé le plus dangereux : l'odieux chauvinisme "grand-russien" que dénonçait Lénine, plein de mépris pour les polonais et autres nationalités mais qui a été dépassé par les ouvriers russes au moment de la révolution, ou bien le nationalisme des ouvriers de la nation opprimée par excellence, la Pologne ?

La réponse va de soi. Mais il faut ajouter que le fait que les ouvriers polonais aient majoritairement suivi les sirènes nationalistes après 1917 a eu des conséquences tragiques. Leur non participation à la révolution, leur hostilité même à son égard, ont empêché la révolution russe et la révolution allemande de se rejoindre géographiquement. Et si cette jonction avait pu se faire, il est probable que la révolution mondiale aurait pu l'emporter épargnant à l'humanité toute la barbarie du 20e siècle et qui se poursuit aujourd'hui.

Suite à ce courrier, notre lecteur nous écrivait :

"Concernant la question nationale, je peux comprendre que vous êtes opposés aux revendications nationalistes, mais je ne crois pas que ceci doit conduire à fermer les yeux sur l'oppression nationale. Par exemple dans les années 60 et 70 une des revendications principales des travailleurs québécois était le droit de travailler en français, car un grand nombre d'entreprises et de commerces surtout dans la région de Montréal fonctionnaient uniquement en anglais. De grands progrès ont été accomplis à ce niveau, mais il en reste encore à faire. Selon moi il est indispensable de soutenir ce genre de revendications démocratiques. Il ne faut pas dire aux travailleurs "attendez l'avènement du socialisme pour régler ça" même si le capitalisme est incapable, de par sa nature, de mettre fin à l'oppression nationale. (...)

... je ne pense pas que ce genre de revendications [démocratiques], tout en n'étant pas révolutionnaires, puissent nuire à l'unité du prolétariat. Bien au contraire ! Le droit de travailler dans sa langue, même s'il ne met pas fin à l'exploitation, est un droit indispensable pour les travailleurs. Dans les années 60, les travailleurs québécois n'avaient même pas le droit de s'adresser en français aux contremaîtres dans plusieurs entreprises de la région de Montréal. Certains restaurants de l'ouest de Montréal avaient des menus unilingues anglais et les grands commerces de ce secteur ne fonctionnaient qu'en anglais.

Comme j'ai mentionné dans mon message, la situation s'est beaucoup améliorée depuis ce temps, mais il y a encore du progrès à faire, surtout pour les petites entreprises de moins de 50 employés. Au niveau pancanadien le bilinguisme est loin d'être une réalité malgré les beaux discours officiels.

Concernant la question nationale québécoise, vous m'avez demandé pourquoi j'emploie le terme chauvinisme pour le nationalisme canadien-anglais et que je ne fais pas la même chose pour le nationalisme québécois. Généralement les organisations de gauche utilisent le mot chauvinisme pour désigner le nationalisme canadien-anglais, car c'est la nation dominante au sein de l'État canadien. Ça ne veut pas dire que le nationalisme québécois soit plus "progressiste" que sa contrepartie canadienne-anglaise. (...)

Le mouvement ouvrier canadien-anglais a déjà levé l'étendard de l'unité canadienne lors de la grève générale de 1972 au Québec. En effet le NPD (Nouveau Parti Démocratique) et le CTC (Congrès du Travail du Canada) ont dénoncé cette grève comme étant "séparatiste" et "nuisible pour l'unité canadienne" ! Selon moi une position internationaliste doit s'opposer résolument et sans compromis aux deux camps bourgeois et aux deux nationalismes (canadien-anglais et québécois). Même si aujourd'hui un mouvement de la classe ouvrière au Canada Anglais a peu de chances de se baser sur la défense de l'oppression des Québécois, le chauvinisme anglophone est encore bien présent partout au Canada et est nuisible à l'unité de la classe ouvrière. Toute défense de l'État canadien et de sa soi-disant "unité" est au moins aussi réactionnaire que la promotion de l'indépendance du Québec".

Aux différents courriers du camarade qui revenaient sur cette question des revendications contre l'oppression linguistique nous avons apporté une longue réponse :

Cher camarade,

Avec cette lettre, nous poursuivons avec toi la discussion sur la question nationale, et notamment sur la question québécoise.

En premier lieu, nous tenons à souligner que nous sommes absolument d'accord avec toi lorsque tu affirmes que :

"... il faut être clair que l'opposition au mouvement indépendantiste québécois n'a rien à voir avec la défense de l'État impérialiste canadien et qu'elle rejette complètement le nationalisme canadien. Le camp fédéraliste canadien ne mérite pas plus d'appui que le camp indépendantiste québécois."

Et aussi :

"... une position internationaliste doit s'opposer résolument et sans compromis aux deux camps bourgeois et aux deux nationalismes (canadien-anglais et québécois)"

Effectivement, l'internationalisme aujourd'hui signifie qu'on ne peut apporter son appui à AUCUN État national. Il faut préciser aujourd'hui car il n'en a pas toujours été ainsi. En effet, au 19e siècle, il était tout à fait possible pour des internationalistes de soutenir non seulement certaines luttes d'indépendance nationale (classiquement, la lutte d'indépendance de la Pologne par exemple), mais également certains États nationaux. C'est ainsi que dans les différentes guerres qui ont affecté l'Europe au milieu du 19e siècle, Marx et Engels prenaient souvent parti pour l'un ou l'autre camp dans la mesure où ils considéraient que la victoire de telle nation ou la défaite de telle autre favorisait l'avancée de la bourgeoisie contre la réaction féodale (symbolisée par le tsarisme). De même, Marx, au nom du Conseil général de l'AIT, a envoyé au Président américain Lincoln, en décembre 1864, un message de félicitations pour sa réélection et de soutien à sa politique contre la tentative de sécession des États du Sud (dans ce cas, Marx et Engels se sont donc opposés, et avec la plus grande vigueur, à une revendication d'indépendance nationale !).

En fait, nous sommes là au cœur de la question des "revendications démocratiques" que tu soulèves :

"... dans les années 60 et 70 une des revendications principales des travailleurs québécois était le droit de travailler en français... Selon moi il est indispensable de soutenir ce genre de revendications démocratiques. Il ne faut pas dire aux travailleurs "attendez l'avènement du socialisme pour régler ça" même si le capitalisme est incapable, de part sa nature, de mettre fin à l'oppression nationale.

... je ne pense pas que ce genre de revendications, tout en n'étant pas révolutionnaires, puissent nuire à l'unité du prolétariat"

Les revendications démocratiques au 19e siècle

Pour pouvoir aborder correctement le cas spécifique des revendications d'ordre "linguistique" (et notamment celles de l'ostracisme des autorités canadiennes envers les locuteurs français), il est nécessaire de revenir sur la question générale des "revendications démocratiques".

La formule elle-même est significative :

- revendication : c'est une demande exprimée (y compris par le moyen de la violence) auprès d'une autorité qui est censée la satisfaire, de gré ou de force ; cela suppose donc que le pouvoir de décision n'appartient pas à ceux qui expriment la revendication, même s'ils peuvent évidemment "forcer la main" aux détenteurs de ce pouvoir grâce à un rapport de forces favorable (exemple : augmentation salariale ou retrait d'une mesure anti-ouvrière obtenue grâce à une mobilisation massive des travailleurs obligeant le patron à reculer, ce qui ne veut pas dire qu'il soit désormais privé de son pouvoir de décision dans l'entreprise).

- démocratie : étymologiquement "pouvoir du peuple" ; c'est Athènes qui a inventé la "démocratie" (très limitée d'ailleurs puisque les esclaves, les "métèques" et les femmes en étaient exclus) mais c'est la bourgeoisie qui lui a apporté ses "lettres de noblesse", si l'on peut dire.

En effet, l'ascension de la bourgeoisie dans la société s'accompagne du développement des différents attributs de la "démocratie". Ce n'est évidemment pas le fait du hasard mais correspond à la nécessité pour la classe bourgeoise d'abolir les privilèges politiques, économiques et sociaux de la noblesse. Pour cette dernière, et particulièrement pour son représentant suprême, le Roi, le pouvoir est d'essence divine. Elle n'a de compte à rendre, en principe, qu'au Tout Puissant, même si, en France, par exemple, se sont réunis 21 fois, entre 1302 et 1789, les états généraux, représentant la noblesse, le clergé et le "tiers état", pour donner leur avis sur des questions financières ou de mode de gouvernement. C'est justement lors de la dernière réunion des états généraux que ceux-ci, sous la pression des révoltes paysannes et urbaines et devant la faillite financière de la monarchie, enclenchent le processus de la révolution française (notamment en abolissant les privilèges de la noblesse et du clergé et en limitant les pouvoirs du Roi). Dès lors, à l'image de ce qu'avait fait la bourgeoisie anglaise un siècle et demi plus tôt, la bourgeoisie française va établir son pouvoir politique qui, d'ailleurs, n'est pas encore très "démocratique" (notamment si on pense au pouvoir autocratique de Napoléon 1er, pourtant héritier de la Révolution de 1789).

Le suffrage universel

Effectivement, si elle considère que la noblesse ne doit plus avoir voix au chapitre, la bourgeoisie ne conçoit la "démocratie" que pour son propre compte. Sa devise est "Liberté, Égalité, Fraternité" et elle proclame que "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits" (Déclaration des droits de l'homme). Cependant, bien que le suffrage universel fût inscrit dans la Constitution de 1793, celui-ci ne deviendra effectif en France que le 2 mars 1848, dans la foulée de la révolution de février. Et ce n'est que bien plus tard que le suffrage universel sera instauré dans les autres pays "avancés" : Allemagne : 1871, Pays-Bas : 1896, Autriche : 1906, Suède : 1909, Italie : 1912, Belgique : 1919 juste après... la très "démocratique" Angleterre en 1918. En fait, dans la plupart des pays d'Europe, c'est le suffrage censitaire qui constitue, au 19e siècle, la base de la démocratie bourgeoise : dans la mesure où seuls peuvent voter ceux qui payent un certain niveau d'impôt (dans certains cas, un impôt élevé donne même droit à plusieurs voix), les ouvriers et les autres pauvres, c'est-à-dire la grande masse de la population, sont exclus du processus électoral. C'est pour cela que le suffrage universel constitue une des revendications principales du mouvement ouvrier à cette époque. C'est notamment le cas en Angleterre où le premier mouvement de masse de la classe ouvrière mondiale, le Chartisme, s'est constitué autour de la question du suffrage universel. Si la bourgeoisie a fait opposition pendant de nombreuses années à ce dernier, c'est évidemment qu'elle craignait que les ouvriers n'utilisent les bulletins de vote pour contester son pouvoir au sein de l'État. Cette crainte était plus particulièrement portée par les secteurs les plus archaïques de la bourgeoisie, notamment ceux qui étaient restés proches de l'aristocratie (laquelle, dans certains pays, avait abandonné ses privilèges économiques, comme l'exemption de l'impôt, mais avait conservé des positions fortes au sein de l'État, notamment dans l'appareil militaire ou le corps diplomatique). C'est pour cela qu'à cette époque, on a pu assister à des alliances entre la classe ouvrière et certains secteurs de la bourgeoisie. Ce fut le cas notamment à Paris en février 1848 où la révolution reçut le soutien des ouvriers, des artisans, de la bourgeoisie "libérale" (exemple du poète Lamartine), et même des monarchistes "légitimistes" qui avaient vu dans le Roi Louis-Philippe un usurpateur. Cela dit, l'antagonisme de classe entre bourgeoisie et prolétariat allait rapidement apparaître au grand jour avec les "journées de juin" 1848 où, après le soulèvement des ouvriers contre la fermeture des ateliers nationaux, 1500 d'entre eux furent assassinés et 15 000 déportés en Algérie. En fait, c'est à partir de cette époque que certains secteurs de la bourgeoisie, les plus dynamiques, ont compris qu'ils pouvaient tirer parti du suffrage universel pour contrer les secteurs archaïques qui faisaient obstacle au progrès économique. D'ailleurs, durant la période suivante, la bourgeoisie française s'est accommodée d'un système politique qui combinait une forme d'autocratie (Napoléon III) avec le suffrage universel, grâce notamment au poids de la paysannerie réactionnaire. C'est en fait une assemblée élue au suffrage universel où dominent les élus des campagnes (les "ruraux") qui décide la répression de la Commune de Paris en 1871 et donne les pleins pouvoirs à Thiers pour diriger le massacre de 30 000 ouvriers au cours de la "semaine sanglante" de la fin mai.

Ainsi, deux décennies de suffrage universel en France ont fait la preuve que la classe dominante pouvait fort bien s'accommoder de ce mode d'organisation de ses institutions. Pourtant, dans toute la période qui suit, bien qu'ils mettent en garde contre le "crétinisme parlementaire" et que, tirant les leçons de la Commune, ils soulignent la nécessité de détruire l'État bourgeois, Marx et Engels, avec l'ensemble du mouvement ouvrier (à l'exception des anarchistes), continuent de considérer le suffrage universel comme une des revendications principales de la lutte du prolétariat.

A cette époque, malgré les dangers qu'il contenait, le soutien à cette "revendication démocratique" se justifiait totalement :

- permettre aux partis ouvriers, en présentant leurs propres candidats, de se distinguer clairement des partis bourgeois sur le terrain même des institutions bourgeoises ;

- faire des campagnes électorales des moments de la propagande pour les idées socialistes ;

- utiliser éventuellement l'action au sein du Parlement (discours, propositions de lois) comme une tribune pour cette même propagande ;

- apporter un soutien aux partis bourgeois progressistes contre les partis réactionnaires afin de favoriser les conditions politiques du développement du capitalisme moderne.

La liberté de la presse et d'association

En lien avec la revendication du suffrage universel, clé de voûte de la démocratie bourgeoise, la classe ouvrière revendiquait aussi d'autres droits tels que la liberté de la presse et la liberté d'association. En fait, ce sont là des revendications que la classe ouvrière mettait en avant en même temps que les secteurs progressistes de la bourgeoisie. Par exemple, le premier texte politique publié par Marx traite de la censure exercée par la monarchie prussienne (Remarques sur la récente réglementation de la censure prussienne, 1842). En tant que responsable de la Gazette Rhénane (1842-43) qui était encore d'inspiration bourgeoise radicale aussi bien qu'en tant que responsable de la Nouvelle Gazette Rhénane (1848-49) qui était d'inspiration communiste, il n'a pas cessé de vilipender la censure des autorités : c'est une sorte de résumé du fait qu'à cette époque il y avait une convergence à propos des revendications démocratiques entre le mouvement ouvrier et la bourgeoisie qui était encore une classe révolutionnaire devant se débarrasser des vestiges de l'ordre féodal.

Pour ce qui concerne la liberté d'association, on retrouve le même type de convergence entre les intérêts du prolétariat et ceux de la bourgeoisie progressiste. D'ailleurs, la liberté d'association, au même titre que la liberté de la presse évidemment, est une des conditions fondamentales du fonctionnement de la démocratie bourgeoise fondée sur le suffrage universel puisque les partis politiques sont un élément essentiel de ce mécanisme. Cela dit, ce qui s'applique au droit d'association sur le plan politique ne s'appliquait nullement sur le plan de l'organisation des ouvriers pour la défense de leurs intérêts économiques. Même la bourgeoisie la plus révolutionnaire qui fut, celle qui a conduit la révolution française de 1789, s'est opposée farouchement à ce droit malgré ses grands principes de "Liberté, Égalité, Fraternité". C'est ainsi que, par une loi organique du 14 juin 1791, les coalitions entre travailleurs étaient interdites en tant que "attentat contre la liberté et la Déclaration des Droits de l'Homme" et il a fallu attendre la révolution de 1848 pour que cette loi soit modifiée (avec toutefois des réserves puisque, dans la nouvelle formulation, étaient encore stigmatisées les "atteintes au libre exercice de l'industrie et de la liberté du travail"). Finalement, ce n'est qu'en 1884 que les syndicats ont pu se constituer librement. Quant à la "Patrie de la Liberté", la Grande-Bretagne, elle n'a reconnu légalement les "Trade Unions" qu'en juin 1871 (il faut dire que leurs dirigeants, et notamment ceux qui siégeaient au sein du Conseil Général de l'AIT, ont pris position contre la Commune de Paris).

Les revendications nationales

Les revendications nationales qui occupent une place très importante à partir du milieu du 19e siècle (et qui sont au cœur de la révolution de 1848 à travers l'Europe) font partie intégrante des "revendications démocratiques" dans la mesure, notamment, où il existe une convergence entre les anciens empires (l'empire russe et l'empire autrichien) et la domination de l'aristocratie. Une des raisons fondamentales de l'appui du mouvement ouvrier à certaines de ces revendications c'est qu'elles affaiblissent ces empires et donc la réaction féodale tout en ouvrant la voie à la constitution d'États-nations viables. A cette époque, le soutien à ces revendications nationales était d'ailleurs une question de tout premier plan pour la classe ouvrière. Une des meilleures illustrations en est que l'AIT a été constituée en 1864 à Londres par des ouvriers anglais et français lors d'un rassemblement de soutien à l'indépendance de la Pologne. Mais ce soutien du mouvement ouvrier ne s'applique pas à toutes les revendications nationales. Ainsi, Marx et Engels condamnent les revendications nationales des petits peuple slaves (Serbes, Croates, Slovènes, Tchèques, Moraves, Slovaques...) car elles ne peuvent conduire à la constitution d'un État national viable et qu'elles sont un obstacle aux progrès du capitalisme moderne en faisant le jeu de l'Empire russe et en entravant le développement de la bourgeoisie allemande (voir à ce propos l'article d'Engels de 1849 Le panslavisme démocratique,).

Les revendications démocratiques au 20e siècle

L'attitude de soutien du mouvement ouvrier aux revendications démocratiques se fondait essentiellement sur une situation historique où le capitalisme était encore progressif. Dans cette situation, certains secteurs de la bourgeoisie pouvaient encore agir de façon "révolutionnaire" ou "progressiste". Mais la situation change radicalement au début du 20e siècle et particulièrement avec la Première Guerre mondiale. Désormais, tous les secteurs de la bourgeoisie sont devenus réactionnaires puisque le capitalisme a achevé sa tâche historique fondamentale en soumettant l'ensemble de la planète à ses lois économiques et en développant à une échelle sans précédent les forces productives de la société (à commencer par la principale d'entre elles, la classe ouvrière). Ce système n'est plus une condition du progrès de l'humanité mais au contraire un obstacle à celui-ci. Nous sommes entrés, comme l'a dit l'Internationale communiste en 1919, dans "l'Ère des guerres et des révolutions". Et si on passe en revue les principales revendications démocratiques signalées plus haut, et qui ont été au centre des luttes ouvrières au cours du 19e siècle, on peut voir comment elles cessent de constituer un terrain pour la lutte du prolétariat.

Le suffrage universel

Le suffrage universel (qui pourtant n'a pas encore été accordé dans la totalité des pays développés, comme on l'a vu) devient un des moyens privilégiés utilisés par la bourgeoisie pour préserver sa domination. On peut prendre deux exemples qui concernent les deux pays où la révolution est allée le plus loin : la Russie et l'Allemagne.

En Russie, après la prise du pouvoir par les soviets en Octobre 1917, sont organisées des élections au suffrage universel pour une assemblée constituante (les bolcheviks en avaient fait une revendication avant octobre afin de démasquer le gouvernement provisoire et les partis bourgeois qui s'opposaient à l'élection d'une Constituante). Ces élections donnent une majorité aux partis, notamment aux socialistes-révolutionnaires, qui avaient constitué avec le Gouvernement provisoire le dernier rempart de l'ordre bourgeois. Cette Constituante soulève de grands espoirs dans les rangs de la bourgeoisie russe et internationale qui y voit le moyen de priver la classe ouvrière de sa victoire et de reprendre le pouvoir. C'est pour cette raison que, dès la première réunion de cette assemblée, le pouvoir soviétique la dissout.

Un an plus tard, en Allemagne, la guerre, comme en Russie, a accouché de la révolution. Début novembre, des conseils d'ouvriers et de soldats sont constitués dans tout le pays mais ils sont dominés (comme au début de la révolution russe) par les sociaux-démocrates majoritaires, ceux qui avaient participé à l'Union nationale dans la guerre impérialiste. Ces conseils remettent le pouvoir à un "Conseil des Commissaires du Peuple" entre les mains du SPD (mais où participent aussi des "indépendants" de l'USPD qui servent de caution aux véritables "patrons"). Tout de suite, le SPD en appelle à l'élection d'une assemblée constituante (prévue pour le 15 février 1919) :

"Qui veut le pain, doit vouloir la paix. Qui veut la paix, doit vouloir la Constituante, la représentation librement élue de l'ensemble du peuple allemand. Qui contrecarre la Constituante ou bien tergiverse, vous ôte la paix, la liberté et le pain, vous dérobe les fruits immédiats de la victoire de la révolution : c'est un contre-révolutionnaire." [Ainsi, les Spartakistes sont des "contre-révolutionnaires". Les staliniens n'ont rien inventé lorsque, plus tard, ils ont désigné ainsi ceux qui restaient fidèles à la révolution.]

"La socialisation aura lieu et devra avoir lieu (...) de par la volonté du peuple du travail qui, fondamentalement, veut abolir cette économie animée par l'aspiration des particuliers au profit. Mais cela sera mille fois plus facile à imposer si c'est la Constituante qui le décrète, que si c'est la dictature d'un quelconque comité révolutionnaire qui l'ordonne (...)." (Tract du SPD, voir notre série d'articles sur la révolution allemande dans la Revue Internationale)

C'est évidemment un moyen de désarmer la classe ouvrière et de l'entraîner sur un terrain qui n'est pas le sien, de vider de toute utilité les conseils ouvriers (qu'on présente comme une institution provisoire jusqu'à la prochaine Constituante) et d'empêcher que ces derniers ne connaissent une évolution semblable à celle des soviets en Russie où les révolutionnaires ont progressivement conquis la majorité en leur sein.

En même temps qu'ils font de grandes proclamations "démocratiques" pour endormir la classe ouvrière, les dirigeants socialistes planifient avec l'état major de l'armée le "nettoyage des bolcheviks", c'est-à-dire la répression sanglante contre les ouvriers insurgés et la liquidation des révolutionnaires. C'est ce qu'ils réalisent à la mi-janvier suite à une provocation qui pousse les ouvriers de Berlin dans une insurrection prématurée. Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht (taxés de "contre-révolutionnaires" puisqu'ils dénonçaient par avance l'assemblée constituante) sont assassinés, en même temps que des centaines d'ouvriers, le 15 janvier. Le 19 janvier se tiennent des élections anticipées à l'Assemble constituante. C'est le triomphe du suffrage universel... contre la classe ouvrière.

La liberté de la presse

Concernant la liberté de la presse, elle a été, dans la plupart des pays d'Europe, progressivement conquise pour les journaux ouvriers à la fin de 19e siècle. En Allemagne, par exemple, les lois anti-socialistes qui entravaient la presse sociale-démocrate (qui est publiée en Suisse) sont levées en 1890. Cependant, si à la veille de la Première Guerre mondiale le mouvement ouvrier peut s'exprimer avec une liberté presque complète dans les pays les plus avancés, cette conquête est abolie du jour au lendemain dès le déclenchement de la guerre. La seule position qui peut librement s'exprimer dans les journaux est celle de soutien à l'Union nationale et à l'effort de guerre. Dans les pays qui participent à la guerre, c'est de façon illégale et clandestine, comme dans la Russie tsariste, que les révolutionnaires publient et diffusent leur presse. A tel point que la Russie d'après la révolution de février 1917 devient le pays "le plus libre du monde". Cette abolition soudaine de la liberté de la presse pour le mouvement ouvrier, cette remise en cause du jour au lendemain des acquis de décennies de luttes, prise en charge non par des secteurs archaïques de la classe dominante mais par la bourgeoisie la plus "avancée", est un des signes que nous sommes entrés dans une nouvelle période où, désormais, il ne peut exister le moindre intérêt commun entre le prolétariat et quelque secteur bourgeois que ce soit. Ce que révèle cette atteinte à la liberté d'expression des organisations ouvrières, ce n'est pas une plus grande force de la bourgeoisie mais au contraire une plus grande faiblesse, une faiblesse qui résulte du fait que la domination de la bourgeoisie sur la société n'est plus en adéquation avec les besoins historiques de celle-ci mais constitue, au contraire, l'antithèse criante et définitive de ces besoins.

Évidemment, après la Première Guerre mondiale, la liberté de la presse a été rétablie pour les organisations ouvrières dans les pays avancés. Mais cette liberté de la presse retrouvée n'était plus le résultat des combats de la classe ouvrière coïncidant avec les intérêts des secteurs les plus dynamiques de la bourgeoisie, comme cela avait été le cas au cours du 19e siècle. Bien au contraire, elle correspondait au fait que la bourgeoisie avait réussi à prendre le dessus sur le prolétariat au cours de la vague révolutionnaire des années 1917-23 ce qui la mettait en position de force face à ce dernier. Un des éléments majeurs de cette force de la bourgeoisie c'est qu'elle avait réussi à prendre le contrôle des anciennes organisations de la classe ouvrière, les partis socialistes et les syndicats. Ces organisations continuaient, évidemment, à se présenter comme les défenseurs de la classe ouvrière utilisant, pour cela, un langage "anticapitaliste" ce qui obligeait la classe dominante à "organiser" la liberté de la presse pour qu'elle permette le "débat démocratique". Il ne faut d'ailleurs pas oublier qu'au lendemain de la révolution russe, c'est au nom de la "démocratie" que la bourgeoisie a établi un cordon sanitaire autour de celle-ci accusée d'être "liberticide". Cependant, on a pu voir rapidement que cet amour des "libertés démocratiques" pouvait parfaitement être mis entre parenthèses par la bourgeoisie, non pas par ses secteurs les plus archaïques mais bien par ses secteurs les plus modernes. C'est ce qui est arrivé avec la montée du fascisme au début des années 20 en Italie et au début des années 30 en Allemagne. En effet, contrairement à ce que pensait l'Internationale communiste, critiquée en cela par la Gauche communiste italienne, le fascisme ne représentait nullement une sorte de "réaction féodale" (même si certains aristocrates amoureux de "l'ordre" ont pu le soutenir). Au contraire, c'était une orientation politique soutenue par les secteurs les plus modernes de la bourgeoisie qui y voyaient le moyen d'impulser la politique impérialiste du pays. Cela s'est d'ailleurs parfaitement confirmé dans le cas de l'Allemagne où Hitler, avant même son accession au pouvoir, a reçu un soutien massif des secteurs dominants et les plus modernes de l'industrie, particulièrement la sidérurgie (Krupp, Thyssen) et la chimie (BASF).

La liberté d'association

Pour ce qui concerne la question de la "liberté d'association", elle est évidemment en lien avec celle de la "liberté de la presse" et du suffrage universel. Dans la plupart des pays avancés, les organisations de la classe ouvrière ont droit de cité. Mais il faut insister encore une fois sur le fait que cette "liberté" est la contrepartie de l'intégration dans l'appareil d'État des anciens partis ouvriers[2]. D'ailleurs, après la Première Guerre mondiale, suite à la démonstration de l'efficacité de l'action de ces partis contre la classe ouvrière, la bourgeoisie leur fait de plus en plus confiance et leur confie le pouvoir dans plusieurs pays d'Europe au cours des années 30 dans le cadre des politiques de "Front populaire". Elle s'appuie d'ailleurs non seulement sur les partis socialistes mais également sur les partis "communistes" qui ont à leur tour trahi le prolétariat. Ces derniers joueront d'ailleurs le rôle de fer de lance de la contre-révolution, notamment en Espagne où ils se distingueront dans l'assassinat des ouvriers les plus combatifs. Mais dans plusieurs autres pays d'Europe, ils sont les sergents recruteurs de la Seconde Guerre mondiale et les principaux protagonistes de la "Résistance", particulièrement en France et en Italie. Il faut d'ailleurs noter que la défense des idées internationalistes et révolutionnaires est devenue particulièrement difficile au cours de cette période. C'est ainsi que Trotsky se voit interdire l'asile politique dans la plupart des pays du monde (qui devient pour lui une "planète sans visa" comme il l'écrit dans son autobiographie), qu'il est soumis, en même temps que ses camarades, à une surveillance et des persécutions policières permanentes. Les difficultés pour les révolutionnaires seront encore plus grandes à la fin de la Seconde Guerre mondiale où ceux qui sont restés fidèles aux principes internationalistes seront traités, en premier lieu par les staliniens, de "collabos", persécutés et même assassinés pour certains d'entre eux (comme en Italie).

Concernant la liberté d'association, il faut faire une mention spéciale à propos des syndicats. Eux aussi ont bénéficié, après la Première Guerre mondiale, d'une sollicitude toute particulière de la part de la bourgeoisie. Au cours des années 30, ils participent à leur place dans le sabotage des luttes et surtout à la canalisation du mécontentement ouvrier vers le soutien des partis bourgeois les plus en pointe dans la préparation de la guerre impérialiste (soutien à Roosevelt aux États-Unis, soutien en Europe aux "fronts populaires" pourvoyeurs en chair à canon au nom de "l'antifascisme"). Il faut d'ailleurs noter qu'il n'y a pas que les secteurs "démocratiques" de la bourgeoisie qui s'appuient sur les syndicats, le fascisme lui-même fait appel à eux ayant compris la nécessité d'un encadrement "à la base" de la classe ouvrière. Évidemment, dans les régimes fascistes, comme dans les régimes staliniens, le rôle d'organes de l'État et d'auxiliaires de la police des syndicats est beaucoup plus clair que dans les régimes démocratiques. Cela dit, même dans ces derniers, c'est de façon ouverte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que les syndicats se présentent comme les meilleurs défenseurs de l'économie nationale et font la police dans les entreprises pour inciter les ouvriers aux sacrifices au nom de la reconstruction.

Le "droit" de participer aux élections pour lequel se sont battus les travailleurs au 19e siècle est devenu, au cours du 20e siècle le "devoir électoral" orchestré à grands renforts médiatiques par la bourgeoisie (quand le vote ne devient pas obligatoire sous peine de sanctions, comme en Belgique). De la même façon, le "droit" à se syndiquer pour lequel ils se sont battus à la même période est devenu "l'obligation" de se syndiquer (puisque dans certains secteurs l'appartenance au syndicat est indispensable pour trouver un travail) ou de s'en remettre au syndicat pour la mise en avant des revendications ou pour se mettre en grève.

Les revendications nationales

Une des grandes forces de la bourgeoisie au cours du 20e siècle, et qui s'est affirmée clairement dès la Première Guerre mondiale, est d'avoir réussi à retourner contre la classe ouvrière les "acquis" démocratiques pour lesquelles cette dernière s'était battue farouchement, quelquefois en versant son sang, au cours du siècle précédent.

Et cela est particulièrement valable pour cette "revendication démocratique" particulière que constituait l'autodétermination nationale ou la défense des minorités nationales opprimées. On a vu plus haut que cette revendication n'avait rien de prolétarien en soi mais qu'elle pouvait, et devait, être soutenue (bien que de façon sélective) par la classe ouvrière et son avant-garde. Contrairement à ce qui advenu avec les syndicats, les revendications "nationales" n'ont pas acquis leur caractère bourgeois avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence. Elles étaient bourgeoises dès l'origine. Mais du fait que la bourgeoisie a cessé d'être une classe révolutionnaire ou même progressiste, ces revendications ont acquis un caractère totalement réactionnaire et contre-révolutionnaire et sont devenues un poison pour le prolétariat.

Les exemples ne manquent pas. Ainsi, un des thèmes majeurs invoqués par les bourgeoisies européennes pour justifier la guerre impérialiste a été la défense des nationalités opprimées. Et comme la guerre opposait des empires qui, nécessairement, opprimaient des peuples divers, les "arguments" ne manquaient pas : Alsace et Lorraine sous la coupe, contre le gré de leur population, de l'Empire allemand ; slaves du Sud dominés par l'Empire autrichien, peuples des Balkans opprimés par l'Empire Ottoman, Pays baltes et Finlande (sans compter des dizaines de nationalités dans le Caucase ou en Asie centrale) enfermés dans la "prison des peuples" (comme on désignait l'empire tsariste), etc. A cette liste de peuples opprimés par les principaux protagonistes de la guerre mondiale, il faut évidemment ajouter la multitude des populations colonisées d'Afrique, d'Asie et d'Océanie

De même, on a déjà vu dans notre courrier précédent comment l'indépendance de la Pologne constitua une arme de guerre décisive contre la révolution mondiale à la suite de la guerre mondiale. On peut ajouter que le mot d'ordre de "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" ne trouva pas de meilleur défenseur à cette époque que le président américain Woodrow Wilson. Si la bourgeoisie qui venait de prendre la première place mondiale manifestait une telle sollicitude envers les peuples opprimés ce n'est évidemment pas par "humanisme" (quels qu'aient pu être les sentiments personnels de Wilson) mais bien parce qu'elle y trouvait un intérêt. Et ce n'est pas difficile à comprendre : la plus grande partie du monde étant encore sous la domination coloniale des puissances européennes qui avaient gagné la guerre (ou qui s'en étaient tenues à l'écart comme les Pays-Bas, l'Espagne et le Portugal), une décolonisation de ces contrées ouvrait la voie de leur prise de contrôle (avec des moyens moins voyants que la simple administration coloniale) par l'impérialisme américain qui était singulièrement dépourvu de colonies.

Dernier point là-dessus : alors que l'émancipation nationale du 19e siècle était associée aux conquêtes démocratiques contre les empires féodaux, les nations européennes qui obtiennent leur "indépendance" au lendemain de la Première Guerre mondiale sont, pour la plupart dirigées par des dictatures de type fasciste. C'est notamment le cas de la Pologne (avec le régime de Pilsudski) mais également des trois pays baltes et de la Hongrie.

La Seconde Guerre mondiale, de même que sa préparation, n'échappent pas à l'utilisation des revendications nationales. Ainsi, par exemple, c'est au nom des "droits" de la minorité allemande des Sudètes que le régime nazi s'empare d'une partie de la Tchécoslovaquie en 1938 (accords de Munich). De même, c'est au nom de l'indépendance de la Croatie que les armées nazies envahissent la Yougoslavie en 1941, opération qui reçoit le soutien de la Hongrie venue au secours des "droits nationaux" de la minorité hongroise de Voïvodine.

En fait, ce qui s'est passé dans le monde depuis la Première Guerre mondiale confirme totalement l'analyse faite par Rosa Luxemburg dès la fin du 19e siècle : la revendication de l'indépendance nationale avait cessé de jouer le rôle progressiste qu'elle avait, dans un certain nombre de cas, joué auparavant. Non seulement elle était devenue une revendication particulièrement néfaste pour la classe ouvrière mais elle s'intégrait efficacement dans les visées impérialistes des différents États en même temps qu'elle servait souvent de drapeau aux cliques les plus réactionnaires et xénophobes de la classe dominante.

"Droits démocratiques" et lutte du prolétariat aujourd'hui

Pour ce qui est de la situation d'aujourd'hui, il est clair que le prolétariat doit se défendre contre toutes les attaques qu'il subit au sein du capitalisme et que ce n'est pas le rôle des révolutionnaires de dire aux ouvriers : "laissez-là vos luttes, elles ne servent à rien, ne pensez qu'à la révolution". De même, les luttes ouvrières ne peuvent se limiter au seul plan des intérêts économiques. Par exemple, la mobilisation pour défendre des travailleurs victimes de la répression ou de discriminations racistes ou xénophobes fait partie intégrante de la solidarité de classe qui est au cœur de l'être même du prolétariat combattant.

Cela dit, faut-il en conclure que la classe ouvrière peut encore aujourd'hui appuyer des "revendications démocratiques" ?

On a vu ce que sont devenus les "droits démocratiques" conquis par les luttes ouvrières du 19e siècle :

- Le suffrage universel constitue un des moyens majeurs pour masquer la dictature du capital derrière le paravent de l'idée que le "peuple est souverain" ; c'est un des instruments de choix pour canaliser et stériliser le mécontentement et les espoirs de la classe ouvrière.

- La "liberté de la presse" s'accommode parfaitement du contrôle totalitaire de l'information à travers les grands médias aux ordres, chargés de dispenser les vérités officielles. En "Démocratie", il peut y en avoir plusieurs mais elles convergent toutes autour de l'idée qu'il n'y a pas d'autre système possible que le capitalisme sous l'une ou l'autre de ses variantes. Et quand c'est nécessaire, la "liberté de la presse" est mise officiellement en veilleuse au nom des contraintes de la guerre (comme ce fut le cas lors des guerres du Golfe de 1991 et 2003).

- La "liberté d'association" (au même titre que la liberté de la presse) n'est tolérée, y compris dans les plus grandes démocraties, que pour autant qu'elle ne puisse pas porter atteinte au pouvoir bourgeois et à ses objectifs impérialistes. Les exemples ne manquent pas de violations flagrantes de cette liberté. Pour ne citer que le champion mondial de la "démocratie" et la "patrie des droits de l'homme" nous avons aux États-Unis les persécutions des sympathisants de la gauche lors du Maccarthisme et, en France, la dissolution des groupes d'extrême gauche et l'arrestation de leurs dirigeants après l'immense grève de mai 68 (sans oublier les persécutions et même les assassinats des opposants à la guerre d'Algérie au cours des années 50). Depuis sa formation en 1975, notre propre organisation elle-même, malgré sa très petite taille et sa très faible influence, n'a pas été épargnée : perquisitions, filatures, intimidations des militants...

- Quant au "droit syndical", nous avons vu que c'est le moyen le plus efficace pour l'État capitaliste d'exercer son contrôle "à la base" sur les exploités et de saboter leurs luttes. Il vaut d'ailleurs la peine, à ce sujet, d'évoquer ce qui advenu en Pologne en 1980-81. En août 80, les ouvriers, sans organisation syndicale préalable (les syndicats officiels étant complètement discrédités), organisés en assemblées générales et comités de grève, sont capables d'empêcher l'État stalinien de les réprimer (comme cela avait été le cas en 1970 et 1976) et réussissent à le faire reculer. Leur première revendication[3], la constitution d'un syndicat "indépendant", ouvre la voie à la formation de "Solidarnosc". Dans les mois qui suivent, les dirigeants de celui-ci, ceux-là même qui peu auparavant étaient encore emprisonnés ou victimes de toutes sortes de persécutions, se mobilisent dans tout le pays pour faire arrêter de nombreuses grèves si bien que, peu à peu, la classe ouvrière se démobilise. C'est lorsque ce travail est terminé que l'État stalinien peut reprendre les choses en main en instaurant l'état de guerre, le 13 décembre 1981. La répression est particulièrement brutale (des dizaines de morts, 10 000 arrestations) et les poches de résistance des ouvriers sont isolées. En août 1980, le gouvernement n'aurait jamais pu exercer une telle répression sans provoquer un embrasement généralisé : 15 mois de travail de Solidarnosc l'a permise...

En fait, les "droits démocratiques", et plus généralement les "droits de l'homme", sont devenus aujourd'hui le thème majeur des campagnes politiques de la plupart des secteurs de la bourgeoisie.

C'est au nom de la défense de ces "droits" que le bloc occidental a mené la guerre froide pendant plus de 40 ans contre le bloc russe. C'est toujours pour la défense des "droits démocratiques" contre la "barbarie du terrorisme et du fondamentalisme musulman" ou "la dictature de Saddam Hussein" que le gouvernement américain s'est lancé dans les guerres dévastatrices du Moyen-Orient. Nous passons sur de nombreux autres exemples, mais il vaut aussi la peine de rappeler que la défense de la "démocratie", avant qu'elle ne soit le drapeau de l'impérialisme américain et de ses alliés après 1947, leur avait déjà servi de thème de mobilisation pour l'embrigadement des ouvriers comme chair à canon dans le plus grand massacre de l'histoire, la Seconde Guerre mondiale. A ce propos, il est intéressant de relever que, tant qu'il était leur allié contre l'Allemagne, le régime stalinien, qui pourtant valait bien les régimes fascistes en termes de terreur policière et de massacres de populations (et qui les avait précédés dans ce domaine) ne provoquait pas beaucoup d'objections de la part des gouvernements occidentaux croisés de la "démocratie".

Pour ce qui concerne les partis de gauche, c'est-à-dire les partis bourgeois qui ont le plus d'impact sur la classe ouvrière, la revendication des "droits démocratiques" est, en règle générale, un excellent moyen de noyer les revendications de classe des ouvriers et de faire obstacle à l'identité de classe du prolétariat. En fait, il en est des "revendications démocratiques" comme du pacifisme : face à la guerre, on assiste régulièrement à des mobilisations orchestrées par toutes sortes de secteurs politiques allant de l'extrême gauche à certains éléments de la droite et chauvins estimant que telle ou telle guerre n'est pas opportune pour les "intérêts de la nation" (c'est assez fréquent aujourd'hui en France où même la droite est majoritairement contre la politique américaine). Derrière la banderole "Non à la guerre", les ouvriers, et surtout leurs intérêts de classe, sont complètement noyés au milieu d'une marée de bonne conscience pacifique et démocratique (quand ce n'est pas de chauvinisme : il n'est pas rare de voir dans les manifestations contre la guerre au Moyen-Orient des musulmans barbus en costume traditionnel et des femmes voilées).

La position des révolutionnaires face au pacifisme a toujours été, depuis la Première Guerre mondiale, de combattre résolument les illusions petites-bourgeoises qu'il véhiculait. Les révolutionnaires ont toujours été au premier rang pour dénoncer la guerre impérialiste mais cette dénonciation ne s'est jamais basée sur des considérations simplement morales. Ils ont mis en évidence que c'est le capitalisme comme un tout qui est responsable des guerres, qu'elles sont inévitables tant que survivra ce système et que la seule force de la société en mesure de lutter réellement contre la guerre était la classe ouvrière qui devait préserver son indépendance de classe face à tous les discours pacifistes, humanistes et démocratiques.

Les revendications "démocratiques" concernant le droit d'utiliser sa langue maternelle

Une première chose qu'il faut dire, c'est que le mouvement ouvrier n'a jamais considéré comme "progressiste" ou "démocratique" la persistance des langues autochtones et donc les revendications en faveur d'une telle persistance. En fait, une des caractéristiques de la bourgeoisie révolutionnaire a été de réaliser l'unification de nations viables ce qui passait par le dépassement des particularismes provinciaux et locaux liés à la période féodale. L'imposition d'une langue nationale unique a constitué, dans bien des cas, un des instruments de cette unification nationale (au même titre que l'unification des systèmes de poids et mesures, par exemple). Cette unification de la langue s'est faite la plupart du temps par la force, la répression, voire par des bains de sang : en fait, les méthodes classiques avec lesquelles le capitalisme a étendu son emprise sur le monde. Tout au long de leur vie, Marx et Engels ont évidemment dénoncé les méthodes barbares avec lesquelles le capitalisme avait établi son hégémonie sur la planète, que ce soit lors de son accumulation primitive (voir à ce sujet les pages admirables de la dernière section du livre I du Capital traitant de l'accumulation primitive)[4] ou lors des conquêtes coloniales. En même temps, ils ont toujours expliqué que, malgré sa barbarie, la bourgeoisie s'était faite l'agent inconscient du progrès historique en créant un marché mondial, en libérant le développement des forces productives de la société, en généralisant le travail associé en même temps que le salariat, bref en préparant les conditions matérielles de l'avènement du socialisme.[5]

Beaucoup plus encore que tous les autres systèmes sociaux réunis, le capitalisme a semé autour de lui la destruction des civilisations et des cultures, et donc des langues. Il ne sert à rien de le déplorer ou de vouloir revenir en arrière : c'est un fait historique accompli et irréversible. On ne peut faire tourner à l'envers la roue de l'histoire. C'est comme si l'on voulait revenir à l'artisanat ou à la petite exploitation agricole autosuffisante du Moyen-Âge.[6]

Cette marche irrésistible du capitalisme a sélectionné un certain nombre de langues dominantes, non pas sur la base d'une quelconque supériorité linguistique, mais tout simplement sur la base d'une supériorité militaire et économique des peuples et des États qui les utilisaient. Certaines de ces langues nationales sont devenues des langues internationales, parlées par les habitants de plusieurs pays. Elles ne sont pas très nombreuses dans ce cas : aujourd'hui, il ne reste essentiellement que l'Anglais, l'Espagnol, le Français[7] et l'Allemand. Concernant cette dernière langue, qui pourtant est d'une grande richesse et d'une grande rigueur, et qui a été le support initial d'ouvrages fondamentaux de la culture mondiale (les œuvres philosophiques de Kant, Fichte, Hegel, etc. ; les œuvres de Freud, la théorie de la relativité d'Einstein et... les œuvres de Marx) elle n'est utilisée qu'en Europe et son avenir est derrière elle.

En fait, comme véritables langues internationales utilisées en tant que langue principale par plus d'une centaine de millions de locuteurs, il n'y a que l'espagnol et, évidemment, l'anglais. Cette dernière langue est aujourd'hui la véritable langue internationale. C'est la conséquence inévitable du fait que les deux nations qui ont successivement dominé le capitalisme étaient l'Angleterre puis les États-Unis. Quiconque aujourd'hui ne connaît pas l'anglais se trouve handicapé tant pour voyager que pour naviguer sur Internet, de même que pour faire des études scientifiques sérieuses, notamment dans les domaines les plus en pointe comme l'informatique. Ce qui n'est évidemment pas le cas du français (qui était pourtant, par le passé, la langue internationale des cours européennes et de la diplomatie, ce qui ne concernait finalement que bien peu de monde).

C'est pour cela, pour en revenir à une remarque que tu fais dans tes messages, que même s'il était promu de façon active par l'État fédéral canadien, le bilinguisme ne serait jamais une réalité au Canada. On a aujourd'hui un exemple édifiant dans le cas de la Belgique. Historiquement, ce pays a été dominé par la bourgeoisie francophone. A Anvers ou à Gand, les ouvriers flamands avaient souvent affaire à un patron qui parlait français. Cela avait d'ailleurs provoqué parmi beaucoup d'entre eux le sentiment qu'en refusant de parler français, ils résistaient à leur patron et à la bourgeoisie. Néanmoins, s'il n'a jamais existé de façon intégrale pour l'une ou l'autre des communautés, le bilinguisme était beaucoup plus répandu parmi les flamands que parmi les wallons francophones. Depuis plusieurs décennies, la Wallonie, berceau de la grande industrie en Belgique, est en perte de vitesse sur le plan économique par rapport à la Flandre. Un des thèmes des nationalistes flamands actuels est que cette région, avec son taux de chômage plus élevé et ses industries vieillies, est un fardeau pour la Flandre. Aux ouvriers flamands on essaye de raconter qu'ils doivent travailler et payer des impôts pour subvenir aux besoins des ouvriers wallons : c'est une des thématiques du parti d'extrême droite indépendantiste Vlaams Belang.

Le fait que les ouvriers flamands d'aujourd'hui aient de plus en plus l'occasion de parler flamand avec leur patron ne change évidemment pas leur condition d'exploités. Cela dit, la population de la Flandre est de plus en plus bilingue mais la deuxième langue qui se développe n'est pas le français, qui permettrait une meilleure communication avec les populations francophones du pays, mais l'anglais. C'est d'ailleurs aussi le cas pour ce qui concerne les populations francophones. Et le fait que, dans leurs discours, le Roi et le chef du gouvernement s'expriment, de façon très équitable, en français et en flamand n'y change rien.

On peut prendre un autre exemple, celui du catalan.

La Catalogne est, historiquement, la principale région industrielle d'Espagne et la plus avancée sur beaucoup de plans comme le niveau de vie, le niveau culturel et d'éducation. La classe ouvrière de Catalogne a représenté, depuis le 19e siècle, le secteur le plus combatif et conscient du prolétariat d'Espagne. Dans cette région, la question des revendications linguistiques s'est posée aussi depuis longtemps puisque la langue officielle de toutes les régions d'Espagne était le castillan alors que la langue courante, celle qu'on parle en famille, avec ses amis comme dans la rue, est le catalan. Cette question a évidemment été soulevée au sein du mouvement ouvrier. D'ailleurs, parmi les anarcho-syndicalistes qui ont dominé ce dernier pendant longtemps, c'était souvent une question qui fâchait puisque certains, au nom du "fédéralisme" cher aux anarchistes, préconisaient la prééminence du catalan dans la presse ouvrière alors que d'autres faisaient valoir, avec raison, que si le patron de l'entreprise était catalan, beaucoup d'ouvriers ne l'étaient pas et parlaient le castillan (langue qui était aussi parlée par les ouvriers catalans). L'emploi du catalan était un excellent moyen pour le patron pour diviser les ouvriers.

Pendant la période franquiste, où le catalan n'avait pas droit de cité ni dans les médias, ni à l'école, ni encore moins dans les administrations, son usage est apparu pour une grande partie de la population de Catalogne comme une forme de résistance contre la dictature. Loin d'affaiblir l'utilisation du catalan, la politique de Franco a réussi fondamentalement le contraire à tel point que les immigrés des autres régions apprenaient cette langue, tant pour se faire accepter par les autochtones[8] que pour participer, eux aussi, à cette "résistance".

Avec la fin du franquisme et l'instauration de la "démocratie" en Espagne, le mouvement autonomiste a pu s'épanouir. Les régions, et particulièrement la région catalane, ont obtenu des prérogatives qu'elles avaient perdues dans le passé. Une de ces prérogatives est de faire du catalan la langue officielle de la région, c'est-à-dire que les administrations ne doivent plus fonctionner qu'en catalan et que cette langue est enseignée de façon exclusive pour les petites classes des écoles, le castillan ne figurant au programme que comme langue "étrangère".

Parallèlement, dans les universités de Catalogne, de plus en plus de cours ont lieu en catalan ce qui, évidemment, pénalise les étudiants provenant d'autres régions ou de l'étranger (qui, s'ils apprennent dans leurs études l'espagnol, langue internationale, n'ont pas l'idée d'apprendre une langue régionale). Résultat : alors que la qualité des enseignements des universités catalanes est réputée, et particulièrement celle de Barcelone, et que de ce fait elles attiraient les meilleurs étudiants espagnols, européens ou sud-américains, ces derniers tendent de plus en plus à choisir les universités où ils ne risquent pas de buter sur une langue qu'ils ne connaissent pas. L'ouverture sur l'Europe et le monde dont s'enorgueillit la Catalogne ne peut que souffrir de l'hégémonie croissante du catalan et dans la concurrence ancestrale entre Barcelone et Madrid, cette dernière ville risque de prendre un avantage décisif non, comme au temps du franquisme, à cause d'une centralisation forcée, mais au contraire du fait des "conquêtes démocratiques" de la Catalogne. Cela dit, si la bourgeoisie et la petite bourgeoisie catalanes sont en train de mener une politique qui revient à se tirer une balle dans le pied, cela ne consterne pas particulièrement les révolutionnaires internationalistes. En revanche, la scolarisation en catalan a des conséquences beaucoup plus graves. Les nouvelles générations de prolétaires de Catalogne auront plus de difficultés qu'auparavant à communiquer avec leurs frères de classe du reste du pays et ils n'auront plus l'aisance de leurs parents dans cette langue internationale qu'est l'espagnol, même s'ils maîtrisent beaucoup mieux qu'eux la grammaire catalane.

Pour en revenir aux brimades linguistiques qui existaient au Québec par le passé et que tu signales dans tes messages (et qui ressemblent un peu à ce qui existait en Flandre auparavant au détriment des ouvriers flamands), elles sont typiques des comportements de toutes les bourgeoisies et constituent un moyen supplémentaire d'affirmer leur force par rapport aux ouvriers à qui il s'agit de faire comprendre "qui est le maître". En même temps, c'est un excellent moyen de diviser les ouvriers entre ceux qui parlent la langue du patron (à qui on veut faire croire qu'ils sont "privilégiés") et ceux qui ne la parlent pas ou mal. C'est enfin un moyen de canaliser le mécontentement des ouvriers contre leur exploitation vers un terrain qui n'est pas celui de la classe ouvrière et qui ne peut que saper l'unité de classe. Même si tous les bourgeois ne sont pas assez intelligents pour faire ce calcul machiavélique, l'existence de situations où, en plus de l'exploitation classique, les ouvriers doivent subir des brimades supplémentaires, est un excellent moyen de se ménager une soupape lorsque la pression sociale devient trop forte. Les bourgeois, même s'ils sont stupides et aveuglés par le chauvinisme, ont la faculté de comprendre où sont leurs véritables intérêts. Plutôt que de céder sur des questions essentielles, tant pour les ouvriers que pour les profits capitalistes, comme le niveau des salaires ou les conditions de travail, les bourgeois sont prêts à "céder" sur ce qui "ne coûte rien", notamment la question linguistique. En cela, ils seront aidés par les forces politiques, et notamment par celles de gauche et d'extrême gauche, qui ont inscrit dans leur programme les revendications linguistiques et qui présenteront la satisfaction de ces revendications comme une "victoire", même si les autres n'ont pas été satisfaites (surtout si ces revendications sont considérées comme "principales", comme tu le signales dans ton message du 18 février). En réalité, si au cours des dernières décennies, les situations de brimade linguistique pour les ouvriers ont tendu à reculer au Québec, ce n'est pas seulement une conséquence des politiques des partis nationalistes. C'est aussi une conséquence des luttes ouvrières qui se sont développées partout dans le monde, et aussi au Canada, à partir de la fin des années 60.

Face à une situation de ce type, quel doit être le discours des révolutionnaires ? Eh bien de dire la vérité aux ouvriers, de leur dire ce qui vient d'être présenté ci-dessus. Ils doivent encourager les luttes des ouvriers pour la défense de leurs conditions d'existence et, en cela, ils ne se contentent pas de parler de la révolution qui abolira toute forme d'oppression. Mais leur rôle est aussi de mettre en garde les ouvriers contre tous les pièges qui leur sont tendus, toutes les manœuvres qui visent à saper la solidarité de l'ensemble de la classe ouvrière et ils ne doivent pas avoir peur de critiquer des revendications lorsqu'ils estiment qu'elles ne vont pas dans ce sens.[9] Sinon, ils ne jouent pas leur rôle en tant que révolutionnaires :

"1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat.

2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité." (Manifeste Communiste)

Dans l'attente de tes commentaires sur cette lettre, reçois, cher camarade, nos meilleures salutations communistes.

Pour le CCI,



[1] Avec une différence de taille cependant : l'oppression que faisait subir le régime tsariste aux différentes nationalités de l'empire russe est sans commune mesure avec l'attitude du gouvernement d'Ottawa vis-à-vis des différentes nationalités du Canada.

[2] Dans un de tes messages tu écris que : "Le mouvement ouvrier canadien-anglais a déjà levé l'étendard de l'unité canadienne lors de la grève générale de 1972 au Québec. En effet le NPD (Nouveau Parti Démocratique) et le CTC (Congrès du Travail du Canada) ont dénoncé cette grève comme étant 'séparatiste' et 'nuisible pour l'unité canadienne' !". En fait, ce n'est pas "le mouvement ouvrier canadien-anglais" qui a adopté cette attitude mais les partis bourgeois à langage ouvrier et les syndicats au service du capital.

[3] En fait, dans un premier temps, cette revendication ne figurait pas en première position, les revendications économiques et touchant à la répression se trouvaient devant. Mais ce sont les "experts" politiques du mouvement, issus de la "mouvance démocratique" (Kuron, Modzelewski, Michnik, Geremek...), qui ont insisté pour qu'elle se trouve à cette place.

[4] "Ce régime industriel de petits producteurs indépendants, travaillant à leur compte, présuppose le morcellement du sol et l'éparpillement des autres moyens de production. Comme il en exclut la concentration, il exclut aussi la coopération sur une grande échelle, la subdivision de la besogne dans l'atelier et aux champs, le machinisme, la domination savante de l'homme sur la nature, le libre développement des puissances sociales du travail, le concert et l'unité dans les fins, les moyens et les efforts de l'activité collective. Il n'est compatible qu'avec un état de la production et de la société étroitement borné. L'éterniser, ce serait, comme le dit pertinemment Pecqueur, 'décréter la médiocrité en tout'. Mais, arrivé à un certain degré, il engendre de lui-même les agents matériels de sa dissolution. A partir de ce moment, des forces et des passions qu'il comprime commencent à s'agiter au sein de la société. Il doit être, il est anéanti. Son mouvement d'élimination transformant les moyens de production individuels et épars en moyens de production socialement concentrés, faisant de la propriété naine du grand nombre la propriété colossale de quelques-uns, cette douloureuse, cette épouvantable expropriation du peuple travailleur, voilà les origines, voilà la genèse du capital. Elle embrasse toute une série de procédés violents, dont nous n'avons passé en revue que les plus marquants sous le titre de méthodes d'accumulation primitive." (Chapitre XXXII : Tendance historique de l'accumulation capitaliste)

"Dans le même temps que l'industrie cotonnière introduisait en Angleterre l'esclavage des enfants, aux États-Unis elle transformait le traitement plus ou moins patriarcal des noirs en un système d'exploitation mercantile. En somme, il fallait pour piédestal à l'esclavage dissimulé des salariés en Europe, l'esclavage sans phrase dans le nouveau monde.

Tantœ molis erat ! Voilà de quel prix nous avons payé nos conquêtes ; voilà ce qu'il en a coûté pour dégager les 'lois éternelles et naturelles' de la production capitaliste, pour consommer le divorce du travailleur d'avec les conditions du travail, pour transformer celles-ci en capital, et la masse du peuple en salariés, en pauvres industrieux (labouring poor), chef-d'œuvre de l'art, création sublime de l'histoire moderne. Si, d'après Augier, c'est "avec des taches naturelles de sang, sur une de ses faces" que "l'argent est venu au monde", le capital y arrive suant le sang et la boue par tous les pores." (Chapitre XXXI : Genèse du capitaliste industriel)

[5] "Or, aussi triste qu'il soit du point de vue des sentiments humains de voir ces myriades d'organisations sociales patriarcales, inoffensives et laborieuses se dissoudre, se désagréger en éléments constitutifs et être réduites à la détresse, et leurs membres perdre en même temps leur ancienne forme de civilisation et leurs moyens de subsistance traditionnels, nous ne devons pas oublier que ces communautés villageoises idylliques, malgré leur aspect inoffensif, ont toujours été une base solide du despotisme oriental, qu'elles enfermaient la maison humaine dans un cadre extrêmement étroit, en en faisant un instrument docile de la superstition et l'esclave des règles admises, en la dépouillant de toute grandeur et de toute force historique... Il est vrai que l'Angleterre, en provoquant une révolution sociale en Hindoustan, était guidée par les intérêts les plus abjects et agissait d'une façon stupide pour atteindre ses buts. Mais la question n'est pas là. Il s'agit de savoir si l'humanité peut accomplir sa destinée sans une révolution fondamentale dans l'état social de l'Asie. Sinon, quels que fussent les crimes de l'Angleterre, elle fut un instrument inconscient de l'histoire en provoquant cette révolution. Dans ce cas, quelque tristesse que nous puissions ressentir au spectacle de l'effondrement d'un monde ancien, nous avons le droit de nous exclamer avec Goethe :

"Doit-elle nous affliger

La peine qui de la joie est grosse ?

Le règne de Timour n'a-t-il pas fauché

Les âmes par myriades ?""

(Marx, "La domination britannique en Inde", New York Daily Tribune, 25 juin 1853)

[6] Il faut noter que c'était le rêve d'un certain nombre d'éléments révoltés après les événements de mai 1968 en France. Voulant échapper au capitalisme et à l'aliénation qu'il engendre, ils sont allés fonder des communautés en Ardèche, dans des villages désertés par leurs habitants, pour vivre du tissage et de l'élevage de chèvres. Ce fut, pour la plupart, une catastrophe : obligés de produire au plus bas prix pour vendre leur production, ils ont vécu dans la misère, ce qui a provoqué rapidement des conflits entre "associés", ranimant la chasse aux "fainéants qui vivaient sur le dos des autres", suscitant la réapparition de "petits chefs" soucieux de la "bonne marche des affaires", pour finir par s'intégrer, pour les plus avisés, dans les circuits commerciaux du capitalisme.

[7] Il faut noter que le français s'est imposé en réduisant à l'état de dialectes folkloriques d'autres langues comme le breton, le picard, l'occitan, le provençal, le catalan, et bien d'autres...

[8] Il faut noter que même sous l'ère franquiste, lorsqu'on était perdu dans Barcelone, il n'était pas bien vu de demander son chemin en castillan. Paradoxalement, la personne à qui l'on demandait de l'aide comprenait beaucoup mieux cette langue lorsqu'elle était parlée avec un fort accent français ou anglais que lorsqu'elle était parlée sans accent.

[9] Les révolutionnaires ne doivent pas hésiter à reprendre l'idée fondamentale de Marx : l'oppression et même la barbarie dont le capitalisme est responsable, et qu'il faut dénoncer, n'ont pas que des côtés négatifs : elles créent les conditions pour l'émancipation future de la classe ouvrière et même du succès de ses luttes présentes. S'ils sont obligés d'apprendre l'anglais ou de progresser dans cette langue pour pouvoir trouver du travail ou simplement aller faire des achats, les ouvriers québécois doivent aussi y trouver un avantage : cela ne peut que faciliter leur communication avec leurs frères de classe anglophones dans le pays même et dans le grand voisin nord-américain. Il ne s'agit pas pour les révolutionnaires de dédouaner les comportements xénophobes et odieux des bourgeois anglophones mais bien d'expliquer aux ouvriers francophones qu'ils ont la possibilité de retourner contre la bourgeoisie elle-même les armes qu'elle emploie contre eux. La grande révolutionnaire Rosa Luxemburg, née dans la partie de la Pologne dominée par la Russie, a été contrainte d'apprendre la langue de ce pays. Elle ne s'en est jamais plainte, au contraire. C'était pour elle une facilité pour communiquer avec ses camarades de Russie (par exemple Lénine avec qui elle a eu de longues discussions après la révolution de 1905 ce qui a permis aux deux révolutionnaires de mieux se connaître, se comprendre et s'apprécier). Cela a été aussi pour elle l'occasion de connaître et d'apprécier la littérature russe dont elle a traduit certains ouvrages en Allemand afin de les faire connaître aux lecteurs de cette langue.

 

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question nationale [2]

Rapport sur la conférence en Corée - octobre 2006

  • 4333 lectures

En Juin 2006, le CCI a reçu une invitation de la part de la Socialist Political Alliance (SPA), un groupe de Corée du Sud qui se réclame de la tradition de la Gauche communiste, pour participer à une "Conférence internationale de Marxistes révolutionnaires" ; cette Conférence allait se tenir dans les villes de Séoul et de Ulsan, dans le courant du mois d'octobre de cette même année. Nous avions été en contact avec la SPA pendant environ un an et, malgré les inévitables difficultés de langue, nous avions pu entamer des discussions, en particulier sur les questions de la décadence du capitalisme et des perspectives pour le développement des organisations communistes dans la période actuelle.

La déclaration préliminaire de la SPA souligne avec force l'état d'esprit qui animait l'appel à la Conférence : "Nous connaissons très bien les différentes conférences ou réunions de Marxistes qui se tiennent régulièrement en différents endroits de la planète. Mais nous savons aussi très bien que ces conférences focalisent leurs discussions sur une théorie abstraite de type universitaire et la solidarité rituelle entre tous ceux qui se disent être à la "gauche" du capitalisme. Au-delà de ça, nous reconnaissons profondément la vision de la nécessité d'une véritable révolution prolétarienne contre la barbarie et la guerre, dans la phase de décadence du capitalisme.

Bien que les ouvriers coréens expriment leurs difficultés sur leur lieu de travail et que les forces politiques révolutionnaires en Corée soient très confuses sur la perspective d'une société communiste, nous devons réaliser la solidarité du prolétariat mondial au-delà d'une usine, d'un pays et d'une nation et réfléchir à la base sur les lourdes défaites qui ont négligé les principes de l'internationalisme dans le mouvement révolutionnaire passé."

Même l'examen le plus bref de l'histoire de l'Extrême Orient suffit à révéler l'immense importance de cette initiative. Nous l'avons mis en évidence dans notre "Salut à la Conférence" : "En 1927, le massacre des ouvriers de Shanghai a été l'épisode final d'un combat révolutionnaire qui a ébranlé le monde pendant dix ans, à partir de la Révolution d'Octobre en Russie en 1917. Dans les années qui ont suivi, la classe ouvrière mondiale et l'ensemble de l'humanité ont subi les pires horreurs de la plus terrible des contre-révolutions que l'histoire ait jamais connue. En Orient, la population a dû supporter les prémisses de la Deuxième Guerre mondiale avec l'invasion de la Mandchourie par le Japon, ensuite la Guerre mondiale elle-même qui a culminé dans la destruction de Hiroshima et de Nagasaki, ensuite, la guerre civile en Chine et la guerre de Corée ; puis la terrible famine en Chine pendant le prétendu "Grand bond en avant" sous Mao Zedong, la guerre du Vietnam...

Tous ces événements terrifiants, qui ont ébranlé le monde, ont submergé un prolétariat qui, en Orient, était encore jeune et inexpérimenté et très peu en contact avec le développement de la théorie communiste en Occident. Pour autant que nous le sachions, aucune expression de la Gauche communiste n'a pu survivre, ni même n'est apparue chez les ouvriers d'Orient.

En conséquence, le fait qu'aujourd'hui, en Orient, une conférence de communistes internationalistes ait été initiée par une organisation qui s'identifie explicitement à la Gauche communiste est un événement d'importance historique pour la classe ouvrière. Elle contient la promesse - peut-être pour la première fois dans l'histoire - de l'élaboration d'une véritable unité entre les ouvriers d'Orient et ceux d'Occident. Ce n'est pas non plus un événement isolé : celui-ci fait partie d'un lent éveil de la conscience du prolétariat mondial et de ses minorités politiques". La délégation du CCI a donc assisté à la Conférence avec pour objectif, non seulement de contribuer au mieux de ses capacités à l'émergence d'une voix internationaliste de la Gauche communiste en Extrême Orient, mais aussi d'apprendre : quelles sont les questions les plus importantes pour les ouvriers et les révolutionnaires en Corée ? Quelles formes prennent dans ce pays les questions qui touchent l'ensemble des ouvriers ? Quelles leçons l'expérience des ouvriers coréens peut-elle offrir aux ouvriers ailleurs, spécialement en Extrême Orient mais, aussi de manière plus générale, dans l'ensemble du monde ? Et enfin, quelles leçons le prolétariat coréen peut-il tirer de l'expérience de ses frères de classe du reste du monde ?

La Conférence se proposait au départ de discuter des sujets suivants : la décadence du capitalisme, la situation de la lutte de classe et la stratégie que doivent adopter les révolutionnaires dans la situation actuelle. Cependant, dans les jours qui ont précédé la Conférence, l'importance politique à long terme des objectifs qu'elle s'était fixés a été éclipsée par l'exacerbation dramatique des tensions impérialistes dans la région causée par l'explosion de la première bombe nucléaire de la Corée du Nord et par les manœuvres qui ont suivi, en particulier de la part des différents pouvoirs présents dans la région (Etats-Unis, Chine, Japon, Russie, Corée du Sud). Lors d'une réunion qui a précédé la Conférence, la délégation du CCI et le groupe de la SPA de Séoul ont été d'accord pour estimer qu'il était de la plus grande importance, pour des internationalistes, de prendre publiquement position sur cette situation et ont décidé de présenter conjointement à la Conférence une Déclaration internationaliste contre la menace de guerre. Comme nous le verrons, la discussion que cette Déclaration a provoquée a constitué une partie importante des débats pendant la Conférence elle-même.

Dans ce Rapport, nous nous proposons d'examiner quelques uns des thèmes principaux qui ont été débattus à la Conférence, dans l'espoir non seulement de donner son expression la plus large à la discussion elle-même, mais aussi de contribuer à la réflexion des camarades coréens en offrant une perspective internationale aux questions auxquelles ils sont aujourd'hui confrontés.

Le contexte historique

Avant d'en venir à la Conférence elle-même, il est toutefois nécessaire de placer brièvement la situation en Corée dans son contexte historique. Au cours des siècles qui ont précédé l'expansion du capitalisme en Extrême Orient, la Corée a à la fois bénéficié et souffert de sa position géographique en tant que petit pays coincé entre deux grandes puissances historiques : la Chine et le Japon. D'un côté, celle-ci a servi de pont et de catalyseur culturel pour les deux pays : il ne fait par exemple aucun doute que l'art de la céramique en Chine et spécialement au Japon doit beaucoup aux artisans potiers de Corée qui ont développé les techniques aujourd'hui disparues du vernissage des porcelaines céladon.[1] D'un autre côté, le pays a été victime d'invasions fréquentes et brutales de la part de ses deux puissants voisins, et pour la plus grande partie de son histoire récente, l'idéologie dominante a été sous le contrôle d'une caste d'érudits confucéens qui travaillait en langue chinoise et résistait à l'influence des idées nouvelles qui ont accompagné l'arrivée des puissances européennes dans la région. Pendant le 19e siècle, la rivalité acharnée et croissante entre la Chine, le Japon et la Russie - cette puissance coloniale étendait maintenant son influence jusqu'aux frontières de la Chine et sur l'Océan Pacifique - a conduit à une compétition intense pour développer leur influence en Corée même. Toutefois, l'influence que recherchaient ces puissances était essentiellement d'ordre stratégique : du point de vue du retour sur investissement, les possibilités qu'offraient la Chine et le Japon étaient beaucoup plus importantes que celles dont disposait la Corée, surtout compte tenu de l'instabilité politique causée par les luttes intestines entre les différentes factions des classes dirigeantes coréennes qui étaient divisées à la fois sur les bénéfices de la "modernisation", et par les tentatives de chacune d'utiliser l'influence des voisins impérialistes de la Corée pour renforcer leur propre pouvoir. Au début du 20e siècle, la Russie a intensifié ses tentatives d'établir une base navale en Corée, ce qui ne pouvait être perçu par le Japon que comme une menace mortelle envers sa propre indépendance : cette rivalité devait mener en 1905 à l'éclatement de la guerre russo-japonaise au cours de laquelle le Japon a anéanti la flotte russe. En 1910, le Japon a envahi la Corée et y a établi un régime colonial qui allait durer jusqu'à la défaite du Japon en 1945.

Le développement industriel, avant l'invasion des Japonais, était donc extrêmement timide et l'industrialisation qui suivit fut largement dépendante des besoins de l'économie de guerre du Japon : vers 1945, il y avait environ deux millions d'ouvriers de l'industrie en Corée, largement concentrés dans le Nord. Le Sud du pays restait essentiellement rural et souffrait d'une grande pauvreté. Et, comme si la population ouvrière de Corée n'avait pas suffisamment souffert de la domination coloniale, de l'industrialisation forcée et de la guerre,[2] elle se trouvait maintenant sur la zone frontière du nouveau conflit impérialiste qui allait dominer le monde jusqu'en 1989 : la division de la planète entre les deux grands blocs impérialistes des Etats-Unis et de l'URSS. L'URSS avait décidé de soutenir l'insurrection déclenchée par le "Parti ouvrier coréen", stalinien, pour sonder les nouvelles frontières de la domination impérialiste américaine, tout comme elle l'avait fait en Grèce après 1945. Le résultat y fut le même, quoique d'une bien plus grande importance, à une échelle plus destructrice : une guerre civile cruelle entre le Nord et le Sud de la Corée, dans laquelle les autorités coréennes de chaque camp - même si elles se battaient pour défendre leurs propres intérêts de bourgeoisie - n'étaient rien d'autre que des pions entre les mains de puissances bien plus grandes s'affrontant pour la domination du monde. La guerre a duré trois ans (1950-53). Au cours de celle-ci, toute la péninsule a été ravagée d'un bout à l'autre par les avancées et les reculs successifs des deux armées rivales. La guerre s'est terminée sur la partition définitive en deux pays séparés : la Corée du Nord et la Corée du Sud. Les Etats-Unis ont, jusqu'à aujourd'hui, maintenu une présence militaire en Corée du Sud, avec plus de 30.000 hommes de troupes stationnés dans le pays.

Avant même la fin de la guerre, les Etats-Unis étaient déjà parvenus à la conclusion que l'occupation militaire ne stabiliserait pas, par elle-même, la région[3] et avaient décidé de mettre en œuvre l'équivalent d'un plan Marshall pour l'Asie du Sud-Est et l'Extrême Orient. "Sachant que la misère économique et sociale est le principal argument sur lequel s'appuient les fractions nationalistes pro-soviétiques pour arriver au pouvoir dans certains pays d'Asie, les Etats-Unis vont faire des zones qui se situent au voisinage immédiat de la Chine (Taiwan, Hongkong, Corée du Sud et Japon), les avant-postes de la "prospérité occidentale". La priorité pour les Etats-Unis sera d'établir un cordon sanitaire par rapport à l'avancée du bloc soviétique en Asie".[4] Cette politique eut des implications importantes pour la Corée du Sud : "Dépourvu de matières premières et dont l'essentiel de l'appareil industriel se localisait au Nord, ce pays se retrouvait exsangue au lendemain de la guerre : la baisse de la production atteint 44 % et celle de l'emploi 59 %, les capitaux, les moyens de production intermédiaires, les compétences techniques et les capacités de gestion étaient quasi inexistants. (...) De 1945 à 1978, la Corée du Sud a reçu quelques 13 milliards de dollars, soit 600 par tête, et Taiwan 5,6 milliards, soit 425 par tête. Entre 1953 et 1960, l'aide étrangère contribue pour environ 90 % à la formation du capital fixe de la Corée du Sud. L'aide fournie par les Etats-Unis atteignait 14 % du PNB en 1957. (...) Mais les Etats-Unis ne se sont pas bornés à fournir aide et soutien militaires, aide financière et assistance technique ; ils ont en fait pris en charge dans les différents pays toute la direction de l'Etat et de l'économie. En l'absence de véritables bourgeoisies nationales, le seul corps social pouvant prendre la tête de l'entreprise de modernisation voulue par les Etats-Unis était représenté par les armées. Un capitalisme d'Etat particulièrement efficace sera instauré dans chacun de ces pays. La croissance économique sera aiguillonnée par un système qui alliera étroitement le secteur public et privé, par une centralisation quasi militaire mais avec la sanction du marché. Contrairement à la variante est européenne de capitalisme d'Etat qui engendrera des caricatures de dérives bureaucratiques, ces pays ont allié la centralisation et la puissance étatique avec la sanction de la loi de la valeur. De nombreuses politiques interventionnistes ont été mises en place : la formation de conglomérats industriels, le vote de lois de protection du marché intérieur, le contrôle commercial aux frontières, la mise en place d'une planification tantôt impérative, tantôt incitative, une gestion étatique de l'attribution des crédits, une orientation des capitaux et ressources des différents pays vers les secteurs porteurs, l'octroi de licences exclusives, de monopoles de gestion, etc. Ainsi en Corée du Sud, c'est grâce à la relation unique tissée avec les "chaebols" (équivalents des "zaibatsus" japonais), grands conglomérats industriels souvent fondés à l'initiative ou avec l'aide de l'Etat, que les pouvoirs publics sud-coréens ont orienté le développement économique".[5]

La classe ouvrière de la Corée du Sud était donc confrontée à une politique d'exploitation féroce et à une industrialisation forcenée, exécutées par une succession de régimes militaires instables, à demi démocratiques et à demi autoritaires, qui maintenaient leur pouvoir par la répression brutale des grèves et des révoltes ouvrières, notamment le soulèvement massif de Kwangju, au début des années 1980.[6] A la suite des événements de Kwangju, la classe dirigeante coréenne a essayé de stabiliser la situation sous la présidence du général Chun Doo-hwan (précédemment à la tête de la CIA coréenne), en donnant un vernis démocratique à ce qui demeurait essentiellement un régime militaire autoritaire. Cette tentative échoua lamentablement : l'année 1986 a vu le rassemblement d'une opposition de masse à Séoul, Inch'on, Kwangju, Taegu et Pusan, alors qu'en 1987, "Plus de 3 300 conflits mobilisèrent des travailleurs de l'industrie qui réclamaient des salaires plus élevés, de meilleurs traitements et de meilleures conditions de travail, forçant le gouvernement à faire des concessions en accédant à certaines de leurs revendications."[7] L'incapacité du régime militaire corrompu du général Chun d'imposer la paix sociale par la force conduisit à un changement de direction ; le régime Chun adopta le "programme de démocratisation" proposé par le général Roh Tae-woo, leader du Democratic Justice Party, parti gouvernemental, qui gagna les élections présidentielles de décembre 1987. Les élections présidentielles de 1992 portèrent au pouvoir un leader de longue date de l'opposition démocratique, Kim Young-Sam, et la transition de la Corée vers la démocratie fut achevée. Ou bien, comme nous l'ont dit les camarades de la SPA, la bourgeoisie coréenne a finalement réussi à édifier une façade démocratique suffisante pour cacher la poursuite de la domination de l'alliance entre l'appareil militaire, les "chaebols", et l'appareil de sûreté.

Conséquences du contexte historique

En ce qui concerne l'expérience récente de ses minorités politiques, le contexte historique de la Corée présente des analogies avec celui d'autres pays de la périphérie, en Asie mais aussi en Amérique latine.[8] Il a eu des conséquences importantes pour l'émergence d'un mouvement internationaliste en Corée même.

Au niveau de ce que nous pourrions appeler "la mémoire collective" de la classe, il est clair qu'il existe une différence importante entre l'expérience politique et organisationnelle accumulée par la classe ouvrière en Europe - qui commençait déjà en 1848 à s'affirmer comme force indépendante dans la société (la fraction "force physique" du mouvement chartiste en Grande-Bretagne) - et celle de la classe en Corée. Si nous nous souvenons que les vagues de la lutte de classe en Europe dans les années 1980 ont vu le lent développement d'une méfiance générale à l'égard des syndicats et la tendance des ouvriers à prendre leurs luttes entre leurs propres mains, il est particulièrement frappant de constater que, pendant la même période, les mouvements en Corée étaient marqués par une tendance à fondre les luttes ouvrières pour les revendications propres à leur classe dans les revendications du "mouvement démocratique", pour une réorganisation de l'appareil d'Etat. En conséquence, l'opposition fondamentale entre les intérêts de la classe ouvrière et ceux des fractions démocratiques n'était pas immédiatement évidente pour les militants qui entraient dans une activité politique dans cette période.

Nous ne voudrions pas non plus sous-estimer les difficultés créées par les barrières de langue. La "mémoire collective" de la classe ouvrière est plus forte lorsqu'elle prend une forme écrite et théorique. Alors que les minorités politiques qui ont surgi en Europe dans les années 1970 ont eu accès, dans le texte original ou dans leur traduction, aux écrits de la gauche de la Deuxième Internationale (Lénine, Luxemburg), puis de la gauche de la Troisième Internationale et de la Gauche communiste qui en a émergé (Bordiga, Pannekoek, Gorter, le groupe de la Gauche italienne autour de Bilan et la Gauche communiste de France), en Corée, le travail de Pannekoek (Les Conseils ouvriers) et celui de Luxemburg (L'Accumulation du Capital) commencent à peine à être publiés grâce aux efforts conjoints du Seoul Group for Workers'Councils (SGWC) et de la SPA auquel le SGWC est étroitement associé.[9]

Plus spécifique à la situation coréenne, a été l'effet de la partition du pays entre le Nord et le Sud imposée par le conflit impérialiste entre les blocs américain et russe, la présence militaire américaine en Corée du Sud et le soutien qu'ont apporté les Etats-Unis aux régimes militaires successifs qui ont disparu en 1988. La combinaison de l'inexpérience générale de la classe ouvrière en Corée et de l'absence en son sein d'une voix clairement internationaliste, à laquelle il faut ajouter la confusion entre le mouvement ouvrier et l'opposition démocratique bourgeoise que nous avons citée plus haut, tout ceci a conduit à ce que la société est globalement contaminée par un nationalisme coréen insidieux, souvent déguisé en "anti-impérialisme" où ce sont seulement les Etats-Unis et leurs alliés qui apparaissent comme une force impérialiste. L'opposition au régime militaire, voire même au capitalisme, tend à être identifiée à l'opposition aux Etats-Unis.

Enfin, une caractéristique importante des débats au sein du milieu politique coréen est la question des syndicats. Pour la génération actuelle de militants en particulier, l'expérience des syndicats remonte aux luttes des années 1980 et du début des années 1990, au cours desquelles les syndicats étaient en grande partie clandestins, pas encore "bureaucratisés" et certainement animés et dirigés par des militants profondément dévoués (incluant des camarades qui, aujourd'hui, font partie de la SPA et du SGWC). A cause des conditions de clandestinité et de répression, les militants impliqués à cette époque ne voyaient pas clairement que le "programme" des syndicats non seulement n'était pas révolutionnaire, mais ne pouvait pas non plus défendre les intérêts des ouvriers. Pendant les années 1980, les syndicats étaient étroitement liés à l'opposition démocratique au régime militaire dont l'ambition n'était pas de renverser le capitalisme, mais tout à fait l'inverse : renverser le régime militaire et s'approprier comme tel l'appareil de capitalisme d'Etat. En revanche, la "démocratisation" de la société coréenne, depuis les années 1990, a mis en évidence l'intégration des syndicats dans l'appareil d'Etat, et cela a provoqué un désarroi profond parmi les militants sur la façon de réagir à cette situation nouvelle : comme l'a déclaré un camarade, "les syndicats se sont transformés au point de devenir les meilleurs défenseurs de l'Etat démocratique". Il en résulte une impression générale de "déception" par rapport aux syndicats et la recherche d'une autre méthode pour l'activité militante au sein de la classe ouvrière. C'est à maintes reprises que nous avons pu sentir, dans les interventions au cours de la Conférence et dans des discussions informelles, à quel point il est urgent pour les camarades coréens d'avoir accès à la réflexion sur la nature des syndicats dans la décadence du capitalisme qui a constitué une partie tellement importante de la réflexion dans le mouvement ouvrier européen depuis la révolution russe et, en particulier, depuis l'échec de la révolution en Allemagne.

Le nouveau millénaire est donc témoin du développement d'un effort réel chez de nombreux militants coréens pour remettre en question les bases de leur activité passée qui avait été, comme nous l'avons vu, fortement influencée à la fois par l'idéologie stalinienne et par celle de la démocratie bourgeoise. Dans le but de préserver une certaine unité et de fournir un espace de discussion pour ceux qui sont engagés dans ce processus, un certain nombre de groupes et d'éléments ont pris l'initiative de créer un "Réseau de révolutionnaires marxistes", plus ou moins formel.[10] Il est inévitable que la rupture avec le passé soit extrêmement difficile et il y a une grande hétérogénéité parmi les différents groupes du Réseau. Les conditions historiques que nous avons décrites brièvement plus haut impliquent que la différenciation entre les principes de l'internationalisme prolétarien et la perspective bourgeoise, essentiellement nationaliste, qui caractérise le stalinisme et le trotskisme, a juste commencé à se faire ces toutes dernières années, sur la base de l'expérience pratique des années 1990 et, pour une large part, grâce aux efforts de la SPA pour introduire les idées et les positions de la gauche communiste au sein du Réseau.

Dans ce contexte, il y a, à notre avis, deux aspects absolument fondamentaux dans l'introduction qu'a faite la SPA de la Conférence :

- D'abord, la déclaration explicite selon laquelle il est nécessaire pour les révolutionnaires en Corée de placer l'expérience des ouvriers coréens dans le cadre historique et théorique plus large de la classe ouvrière internationale : "Le but de la Conférence internationale est d'ouvrir largement l'horizon de la reconnaissance par la théorie et par la pratique des perspectives de la révolution mondiale. Nous espérons qu'au cours de cette Conférence importante, les révolutionnaires marxistes marcheront main dans la main, dans le sens de la solidarité, de l'unité et de l'accomplissement de la tâche historique de cristallisation de la révolution mondiale avec le prolétariat mondial."

- Deuxièmement, ceci ne peut être réalisé que sur la base des principes de la Gauche communiste : "La Conférence internationale des marxistes révolutionnaires en Corée constitue la réunion précieuse, le champ de discussions entre les communistes de gauche du monde et les révolutionnaires marxistes de Corée, et la première manifestation pour exposer les positions politiques [c'est-à-dire, des communistes de gauche] au sein du milieu révolutionnaire."

Les débats et la Conférence

Il n'y a pas la place dans cet article pour faire un compte-rendu exhaustif des discussions de la Conférence. Nous chercherons plutôt à souligner ce qui nous a semblé être les points les plus importants qu'elles ont fait apparaître, dans l'espoir de contribuer à la poursuite des débats commencés à la Conférence, à la fois entre les camarades coréens eux-mêmes et, plus généralement, au sein du mouvement internationaliste du monde entier.

Sur la décadence du capitalisme

C'était le premier sujet soumis à la discussion. Avant d'examiner le débat, nous devons d'abord affirmer que nous soutenons totalement la préoccupation qui sous-tend la démarche de la SPA : commencer la Conférence en donnant une base théorique solide aux autres questions en débat, c'est-à-dire la situation de la lutte de classe et la stratégie des révolutionnaires. De plus, nous saluons les efforts héroïques des camarades de la SPA pour présenter une brève synthèse des différents points de vue qui existent sur cette question au sein de la Gauche communiste. Etant donné la complexité de la question - qui a été objet de débat au sein du mouvement ouvrier depuis le début du 20e siècle et sur laquelle se sont penchés ses plus grands théoriciens - cette initiative est extrêmement hardie.

Avec du recul, on peut cependant estimer que c'était un peu trop audacieux ! Alors qu'il était particulièrement frappant de voir comment le concept de la décadence du capitalisme recevait "instinctivement" un accueil favorable (si on peut l'exprimer ainsi), il est apparu tout aussi clairement, d'après les questions posées tant dans la discussion formelle qu'en dehors de celle-ci, que la plupart des participants manquaient de bases théoriques pour s'attaquer en profondeur à la question.[11] Dire cela n'est nullement une critique : de nombreux textes de base ne sont pas disponibles en Corée, ce qui en soi est une expression, comme nous l'avons dit plus haut, de l'inexpérience objective du mouvement ouvrier coréen. Nous espérons en tous cas que les questions soulevées, et aussi les textes introductifs présentés en particulier par la SPA et par le CCI, permettront aux camarades de commencer à se situer dans le débat et aussi, de façon tout aussi importante, de comprendre pourquoi cette question théorique ne se pose pas en dehors de la réalité et des préoccupations concrètes de la lutte, mais qu'elle est le facteur déterminant fondamental de la situation dans laquelle nous vivons aujourd'hui.[12]

Cela vaut la peine de reprendre une question d'un jeune étudiant qui a exprimé, en peu de mots, la contradiction flagrante entre l'apparence et la réalité dans le capitalisme d'aujourd'hui : "De nombreuses personnes ressentent la décadence, nous - les étudiants sans diplôme - sommes soumis à l'idéologie bourgeoise, nous avons le sentiment qu'il existe une société opulente, comment pouvons-nous exprimer la décadence avec des mots plus concrets ?". Il est vrai qu'un aspect de l'idéologie bourgeoise (au moins dans les pays industrialisés) est la prétention que nous vivons dans un monde de "consommation abondante" - et il est vrai que dans les rues de Séoul, les magasins croulant sous les matériels électroniques paraissent donner un semblant de réalité à cette idéologie. Cependant, il est d'une évidence flagrante que la jeunesse coréenne rencontre aujourd'hui les mêmes problèmes que les jeunes prolétaires de partout ailleurs : chômage, contrats de travail précaires, difficulté générale à trouver du travail, prix élevé du logement. Cela fait partie de la tâche des communistes de montrer clairement à la classe ouvrière d'aujourd'hui le lien entre le chômage de masse dont elle est la victime et la guerre permanente et généralisée qui est l'autre aspect fondamental de la décadence du capitalisme, comme nous avons essayé de le mettre en évidence dans notre brève réponse à cette question.

Sur la lutte de classe

Certainement l'une des questions parmi les plus importantes en discussion, non seulement à la Conférence mais dans le mouvement en Corée en général, est celle de la lutte de classe et de ses méthodes. Comme nous l'avons compris, d'après les interventions au cours de la Conférence et aussi dans les discussions informelles à l'extérieur, la question syndicale pose un réel problème aux militants qui ont pris part aux luttes de la fin des années 1980. D'une certaine façon, la situation en Corée est analogue à celle de la Pologne, à la suite de la création du syndicat Solidarnosc et elle constitue, jusqu'à aujourd'hui, une autre démonstration de la profonde vérité des principes de la Gauche communiste : dans la décadence du capitalisme, il n'est plus possible de créer des organisations de masse permanentes de la classe ouvrière. Même les syndicats formés dans le feu de la lutte, comme ce fut le cas en Corée, ne peuvent que devenir des accessoires de l'Etat, des moyens non de renforcer la lutte ouvrière mais de renforcer l'emprise de l'Etat sur celle-ci. Pourquoi en est-il ainsi ? La raison fondamentale est qu'il est impossible pour la classe ouvrière d'obtenir du capitalisme dans sa période de décadence, des réformes durables. Les syndicats perdent la fonction qu'ils avaient à l'origine et restent attachés à la préservation du capitalisme. Ils ont acquis un point de vue national, souvent en outre restreint à un seul corps de métier ou d'industrie, et non un point de vue international commun à tous les travailleurs : ils sont inévitablement soumis à la logique du capitalisme et de ses questions comme "qu'est-ce que le pays peut se permettre ?", ou "qu'est-ce qui est bon pour l'économie nationale ?". C'est en fait un reproche que nous avons entendu adresser aux syndicats en Corée - ces derniers en étaient même arrivés à pousser les ouvriers à limiter leurs revendications à ce que les patrons étaient prêts à payer, plutôt que de se baser sur les besoins des ouvriers eux-mêmes.[13]

Face à cette inévitable trahison des syndicats et à leur intégration à l'appareil d'Etat démocratique, les camarades coréens ont cherché une réponse dans les idées de la Gauche communiste. En conséquence, la notion de "conseils ouvriers" a soulevé parmi eux un grand intérêt. Le problème est qu'il y a une tendance générale à voir les conseils ouvriers non comme l'organe du pouvoir ouvrier dans une situation révolutionnaire, mais comme une nouvelle sorte de syndicat, capable d'exister en permanence au sein du capitalisme. En fait, cette idée a même été théorisée sur un plan historique dans une présentation sur "La stratégie du mouvement des conseils dans la période actuelle en Corée du Sud, et comment la mettre en pratique", par le Militants Group for Revolutionary Workers' Party. Nous devons dire que cette présentation met l'histoire complètement sur la tête quand elle proclame que les conseils ouvriers créés en 1919, pendant la révolution allemande, se sont développés à partir des syndicats ![14] A notre avis, il ne s'agit pas ici d'une simple inexactitude historique qui pourrait être corrigée par un débat universitaire. Plus profondément le problème vient du fait qu'il est extrêmement difficile d'accepter qu'en dehors d'une période révolutionnaire, il est simplement impossible aux ouvriers d'être en lutte de manière permanente. Les militants qui sont pris dans cette logique, indépendamment de la sincérité de leur désir de travailler pour la classe ouvrière, et même indépendamment des positions politiques prolétariennes qu'ils peuvent défendre de manière authentique, courent le risque de tomber dans le piège de l'immédiatisme, de courir sans cesse après une activité "pratique" qui n'a rien à voir avec ce qui est concrètement possible dans la situation historique telle qu'elle existe.

Selon la vision prolétarienne du monde, poser la question de cette façon rend la réponse impossible. Comme l'a dit un délégué du CCI : "Si les ouvriers ne sont pas en lutte, il est alors impossible de leur mettre un pistolet sur la tempe et de leur dire ‘Vous devez combattre !' ". Il n'est pas possible non plus pour les révolutionnaires de lutter "au nom de la classe ouvrière". Les révolutionnaires ne peuvent pas provoquer la lutte de classe : ce n'est pas un principe, c'est un simple fait historique. Ce qu'ils peuvent faire, c'est contribuer au développement de la prise de conscience par la classe ouvrière de son identité de classe, de sa place dans la société en tant que classe ayant ses intérêts propres et surtout des objectifs révolutionnaires qui vont au-delà de la lutte immédiate, au-delà de la situation immédiate des ouvriers dans les usines, dans les bureaux ou dans les files d'attente pour l'allocation chômage. C'est l'une des clés pour comprendre des soulèvements en apparence "spontanés", tel celui de 1905 en Russie : malgré le fait que les révolutionnaires de cette époque n'ont pas joué un grand rôle dans l'explosion soudaine de la lutte, le terrain avait été préparé depuis des années par l'intervention systématique de la Social-Démocratie (les révolutionnaires de l'époque), qui a joué un rôle décisif en développant la conscience de l'identité de classe des ouvriers.[15] En quelques mots, en dehors des périodes de luttes ouvrières ouvertes, une des tâches essentielles des révolutionnaires est de faire la propagande pour le développement des idées qui renforceront la lutte à venir.

Il y a une autre question, soulevée dans la présentation faite par Loren Goldner et par le délégué de Perspective Internationaliste, qui ne doit pas rester sans réponse : l'idée que la "recomposition" de la classe ouvrière - en d'autres termes, d'un côté, la tendance vers la disparition des usines géantes caractéristiques de la fin du 19e et du 20e siècles en faveur d'unités de production géographiquement dispersées et, d'un autre côté, le développement croissant des conditions de travail précaires pour les ouvriers, spécialement pour les jeunes travailleurs (contrats à court terme, chômage, travail à temps partiel, etc.) - a conduit à la découverte de "nouvelles méthodes de lutte" qui vont "au-delà du lieu de travail". Les exemples les plus notables de ces "nouvelles méthodes de lutte" sont les "piquets volants", prétendument inventés en 2001 par le mouvement des piqueteros en Argentine et par les émeutiers des banlieues françaises en 2005. Nous ne nous proposons pas dans cet article de répondre à l'enthousiasme des camarades pour les émeutes françaises et pour le mouvement des piqueteros et qui, à notre avis, est profondément erroné.[16] Cependant nous pensons vraiment nécessaire de nous attaquer à une erreur politique plus générale qui est exprimée dans ces positions et selon laquelle la conscience révolutionnaire des ouvriers dépend de leur expérience immédiate, au jour le jour, sur leur lieu de travail.

En fait, non seulement les conditions de travail précaires et les "piquets volants" ne sont pas une nouveauté historique,[17] mais les supposées "nouvelles formes de luttes" qui sont en général offertes à notre admiration ne sont rien d'autre que l'expression de l'impuissance des ouvriers dans une situation donnée : les émeutes des gamins des banlieues françaises en 2005 en sont un exemple classique. La réalité, c'est que (dans la période de décadence du capitalisme) à chaque fois que la lutte ouvrière acquiert une certaine indépendance, elle tend à s'organiser non dans des syndicats mais dans des assemblées de masse avec élection de délégués ; en d'autres termes, dans une forme organisée qui, à la fois, vient des soviets et les préfigure. L'exemple historique récent le plus frappant est sans doute celui des luttes en Pologne en 1980 ; une autre expérience, elle aussi dans les années 1980, a été celle des COBAS (des comités de base) formés pendant les luttes massives des enseignants en Italie (pas vraiment un secteur industriel "traditionnel" !). Plus proche de nous dans le temps, nous pouvons signaler les grèves à Vigo (Espagne) en 2006.[18] Ici, les ouvriers des constructions mécaniques qui ont commencé la grève, travaillaient avec des contrats précaires dans de petits ateliers industriels. Puisqu'il n'y avait pas une seule grande usine sur laquelle la lutte pouvait se focaliser, ils ont tenu des assemblées massives, non sur les lieux de travail, mais sur les places de la ville. Ces assemblées massives se rapportaient à une forme d'organisation qui avait déjà été utilisée en 1972, dans cette même ville.

La question est donc celle-ci : pourquoi, à la fin du 19e siècle, le développement d'une force de travail massive et précaire a-t-il conduit à la formation des premiers syndicats de masse d'ouvriers non spécialisés, alors qu'au 21e siècle ce n'est plus le cas ?

Pourquoi les ouvriers de Russie ont-ils, en 1905, inventé les conseils ouvriers - les soviets - que Lénine a appelés "La forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat" ? Pourquoi les assemblées massives sont-elles devenues la forme d'organisation ouvrière typique pour la lutte, chaque fois que les ouvriers réussissent à développer leur autonomie et leur force ?

A notre avis, comme nous l'avions dit lors de la Conférence, la réponse se trouve non dans des comparaisons sociologiques, mais dans une compréhension politique beaucoup plus profonde du changement dans la période historique qui a eu lieu au début du 20e siècle, changement qui a été décrit par la Troisième Internationale comme l'ouverture d'une "époque de guerres et de révolutions".

En outre, la vision sociologique de la classe ouvrière défendue par PI et par Loren Goldner est frappante dans le fait qu'elle révèle une sous-estimation totale des capacités théoriques et politiques du prolétariat : c'est presque comme si les ouvriers n'étaient pas capables de penser au-delà de ce qui peut leur arriver sur leur lieu de travail, comme si leur cerveau s'éteignait sitôt qu'ils quittaient leur travail, comme s'ils ne se sentaient pas concernés par l'avenir de leurs enfants (problèmes d'école, éducation, décomposition de la société), par la solidarité avec ceux qui sont âgés ou malades, avec les générations à venir (problèmes par rapport au déclin des services de santé, des régimes de retraites), comme s'ils étaient incapables d'avoir un regard critique sur les problèmes d'environnement ou la barbarie sans fin de la guerre et de faire le lien entre ce qu'ils apprennent sur ce qui se passe dans le monde et leur expérience directe propre par rapport à l'exploitation capitaliste sur le lieu de travail.

Cette compréhension politique et historique large du monde n'est pas nécessaire seulement pour la lutte immédiate. Si le prolétariat mondial réussit à renverser le capitalisme, il devra bâtir à sa place une société entièrement nouvelle, une société telle qu'elle n'a jamais existé dans l'histoire de l'humanité. Pour accomplir une telle tâche, il doit pouvoir développer la compréhension la plus profonde de l'histoire de l'humanité, il doit pouvoir se revendiquer comme étant l'héritier des plus grandes réalisations de l'humanité en matière d'art, de science et de philosophie. C'est ce pourquoi précisément sont faites les organisations politiques de la classe ouvrière : elles sont un moyen par lequel les ouvriers accèdent à une pensée plus générale sur leur condition et sur les perspectives qui leur sont ouvertes.[19]

La Déclaration contre la menace de guerre

Nous avons déjà publié le texte de la Déclaration sur notre site Web et dans notre presse, et nous ne répéterons pas ici son contenu.[20] Le débat autour de cette Déclaration s'est concentré sur la proposition, mise en avant par un membre du Ulsan Labour Education Committee, d'attribuer la responsabilité majeure des tensions croissantes dans la région à la présence américaine et, par conséquent, de présenter la Corée du Nord comme une "victime" de la politique américaine d' "endiguement". Nous pensons que cette proposition, ainsi que le soutien qu'elle a reçu de la part de quelques uns des membres de la Conférence les plus influencés par le trotskisme, était significative de la difficulté que rencontrent de nombreux camarades coréens pour rompre avec l'idéologie "anti-impérialiste" des années 1980 (c'est-à-dire essentiellement anti-américaine) et d'un attachement persistant à la défense de la Corée du Nord et donc au nationalisme coréen, malgré leur rejet indubitablement sincère du stalinisme.

Le CCI et plusieurs membres de la SPA ont vigoureusement argumenté contre le fait de vouloir altérer ce qui constituait la force principale de la Déclaration. Comme nous l'avons souligné dans le débat sur cette Déclaration, à la fois à Séoul et à Ulsan, l'idée que, dans un conflit impérialiste, un pays est plus à "blâmer" qu'un autre est exactement la même que celle qui a permis aux traîtres de la Social-Démocratie d'appeler les ouvriers à soutenir "leur" nation en 1914 : les ouvriers allemands contre la "barbarie tsariste", les ouvriers français contre le "militarisme prussien", les ouvriers britanniques en soutien à la "courageuse petite Belgique" et ainsi de suite. Pour nous, la période de décadence du capitalisme a démontré toute la profondeur de la compréhension de Rosa Luxemburg du fait que l'impérialisme n'est pas la faute de tel ou tel pays, mais que c'est une caractéristique fondamentale du capitalisme lui-même : dans cette période, tous les Etats sont impérialistes. La seule différence entre le géant américain et le nain nord coréen est la dimension de leurs appétits impérialistes et leur capacité à les satisfaire.

Deux autres objections qui, à notre avis valent la peine d'être mentionnées, sont apparues au cours de la discussion. La première a été la proposition d'un camarade du groupe Solidarity for Workers' Liberation d'inclure un point dénonçant le fait que le gouvernement de la Corée du Sud a pris prétexte de la situation de tension pour renforcer les mesures de répression. Cette suggestion pleinement justifiée a été formulée pendant la discussion à Séoul, et la version finale qui a été débattue à Ulsan le jour suivant (et depuis publiée) a été modifiée en conséquence.

La deuxième objection, de la part d'un camarade du groupe Sahoejueo Nodongja,[21] était que la situation présente n'était pas si grave et que si on la dénonçait maintenant, cela accréditerait l'idée d'une guerre épouvantable orchestrée par la bourgeoisie pour poursuivre ses objectifs propres. A notre avis, cette objection n'est pas déraisonnable, mais elle est néanmoins erronée. Qu'elle soit ou non imminente, cette menace de guerre en Extrême Orient est bel et bien suspendue au dessus de cette région et il ne fait aussi aucun doute que les tensions entre les principaux acteurs sur la scène impérialistes (Chine, Taiwan, Japon, Etats-Unis, Russie) sont en train de s'aggraver. Nous considérons que, dans cette situation, il est d'une grande importance que les internationalistes soient capables de dénoncer la responsabilité de tous les camps impérialistes : en agissant ainsi, nous suivons les pas de Lénine, de Luxemburg et de la Gauche de la Seconde Internationale qui ont combattu pour que la résolution internationaliste soit votée par le Congrès de Stuttgart en 1907. C'est une responsabilité primordiale des organisations révolutionnaires que de prendre position, au sein du prolétariat, sur les événements cruciaux des conflits impérialistes ou de la lutte de classe.[22]

Pour conclure sur ce point, nous voulons saluer le soutien internationaliste fraternel apporté à la Déclaration par la délégation de PI et par d' autres camarades en tant qu'individus présents à la Conférence.

Bilan

A la réunion finale, avant le départ de notre délégation, le CCI et la SPA se sont trouvés totalement d'accord sur l'évaluation générale de la Conférence. Les points soulevés les plus significatifs ont été les suivants :

1. Le fait que cette Conférence ait pu avoir lieu constitue en lui-même un événement d'importance historique, puisque pour la première fois, les positions de la Gauche communiste sont défendues et commencent à prendre racine dans un pays hautement industrialisé d'Extrême Orient.

2. La SPA a considéré que les discussions qui ont eu lieu pendant la Conférence ont été d'une importance particulière puisqu'elles ont mis en évidence de manière concrète la différence fondamentale entre la Gauche communiste et le Trotskisme. En agissant ainsi, la Conférence a renforcé la détermination de la SPA de développer sa propre compréhension des principes de la Gauche communiste et de les rendre plus largement disponibles pour le mouvement ouvrier coréen.

3. La Déclaration sur les essais nucléaires de la Corée du Nord a été l'expression des positions internationalistes de la Gauche communiste, en particulier de la SPA et du CCI. Le débat sur la Déclaration a révélé le problème des tendances nationalistes qui subsistent dans le mouvement ouvrier coréen. Dans le "Réseau", il y a des divergences sur cette question qui demeurent non résolues dans le milieu et la SPA est déterminée à œuvrer pour, à terme, les surmonter.

4. L'une des questions les plus importantes pour les débats à venir est celle des syndicats. Il sera nécessaire pour les camarades en Corée d'analyser leur histoire là-bas, notamment depuis les années 1980, à la lumière de l'expérience historique du prolétariat mondial telle qu'on la trouve concentrée dans les positions défendues par la Gauche communiste.

Perspectives

En même temps que toute l'importance qu'elle revêt, nous sommes bien conscients que cette Conférence ne représente qu'un premier pas dans le développement de la présence des principes de la Gauche communiste en Extrême Orient et d'un travail commun entre les révolutionnaires de l'Est et de l'Ouest. Ceci dit, nous considérons que le fait que la Conférence ait eu lieu, ainsi que les débats en son sein, ont confirmé deux points sur lesquels le CCI a toujours insisté et qui seront fondamentaux pour la construction du futur parti communiste mondial de la classe ouvrière.

Le premier des deux est le fondement politique sur lequel une telle organisation sera construite. Sur toutes les questions fondamentales - la question syndicale, la question parlementaire, la question du nationalisme et des luttes de libération nationale - le développement d'un mouvement internationaliste nouveau ne peut s'accomplir qu'à partir des bases établies par les petits groupes de la Gauche communiste entre les années 1920 et 50 (notamment par Bilan, le KAPD, le GIK, la GCF), d'où le CCI tire sa filiation.[23]

Pour le second, la conférence en Corée et l'appel explicite de la SPA à "réaliser la solidarité du prolétariat mondial" constitue déjà une nouvelle confirmation que le mouvement internationaliste ne se développe pas sur les bases d'une fédération de partis nationaux existants, mais directement à un niveau international [24]. Ceci représente une avancée historique par rapport à la situation dans laquelle la Troisième Internationale s'est créée, en pleine révolution et sur la base des fractions de gauche qui sont sorties des partis nationaux de la Seconde Internationale. Ceci est aussi le reflet de la nature de la classe ouvrière aujourd'hui : une classe qui, plus que jamais dans l'histoire, est unie dans un processus de production mondial et dans une société capitaliste globale dont les contradictions ne peuvent être surmontées que par son renversement à l'échelle mondiale, pour être remplacée par une communauté humaine mondiale.


John Donne / Heinrich Schiller

 

 


 

[1] Nous devrions aussi mentionner l'invention, au 15e siècle, de l'alphabet hangeul (han-gûl), peut-être la première tentative de transcription d'une langue sur la base d'une étude scientifique de sa phonologie.

 

[2] Ceci inclut la prostitution imposée à des milliers de femmes coréennes dans les bordels de l'armée japonaise et la destruction de l'ancienne économie agraire, dans la mesure où la production coréenne était de plus en plus dépendante des exigences du Japon lui-même.

 

[3] "Les Etats-Unis sont intéressés par la création de barrières militaires entre les régions non communistes et les régions communistes. Pour que cette barrière soit efficace, les régions séparées doivent être stables (...). Les Etats-Unis doivent déterminer les causes particulières de l'instabilité et contribuer, de manière intelligente et audacieuse, à sa suppression. Notre expérience en Chine a montré qu'il est inutile de temporiser avec les causes de l'instabilité, qu'une politique qui cherche une stabilisation temporaire est condamnée à l'échec quand le désir général est à un changement permanent." Melvin Conant Jnr, "JCCR : an object lesson", dans Far Eastern Survey, 2 Mai 1951.

 

[4] "Les dragons asiatiques s'essoufflent" [3] , Revue Internationale n°89 (1997)

 

[5] "La première et la plus importante source de financement a été l'acquisition par les "chaebols" des biens assignés, à des prix nettement sous-évalués. Au lendemain de la guerre ils représentaient 30 % du patrimoine sud-coréen anciennement détenu par les japonais. Initialement placés sous la tutelle de l'Office américain des biens assignés, ils ont été distribués par l'Office lui-même et par le gouvernement ensuite." Ibid., Revue Internationale n°89.

 

[6] Nous ne proposons pas, dans cet article, de traiter de la situation de la classe ouvrière en Corée du Nord, qui a eu à souffrir toutes les horreurs d'un régime stalinien ultra militariste.

 

[7] Andrew Nahm, A history of the Korean people.

 

[8] Les cas des Philippines et du Brésil sont des exemples qui viennent immédiatement à l'esprit.

 

[9] Quelques camarades du SGWC ont pris part à la Conférence de façon individuelle.

 

[10] En plus de la SPA, les groupes coréens suivants appartenant au "Réseau" ont donné des présentations à la Conférence : Solidarity for Workers' Liberation, Ulsan Labour Education Committee, Militants group for Revolutionary Workers' Party. Une présentation sur la lutte de classe a aussi été faite, à titre individuel, par Loren Goldner.

 

[11] Ceci a été particulièrement vrai de la discussion sur la décadence qui s'est tenue à Séoul : cette partie de la Conférence était ouverte au public et incluait la présence d'un certain nombre de jeunes étudiants ayant peu ou même aucune expérience politique.

 

[12] Nous ne nous proposons pas d'examiner ici la position du groupe Perspective Internationaliste sur "la domination formelle et réelle du capital". Nous avons déjà assez longuement traité de ce sujet dans la Revue Internationale n°60 [4] , publiée en 1990, à une époque où PI continuait encore à s'appeler la "Fraction Externe du CCI". Il est néanmoins intéressant de mentionner que les premiers efforts de PI pour démontrer dans la pratique la supériorité de sa "nouvelle" compréhension théorique ont peu convaincu, puisque PI continuait à affirmer, deux ans après la chute du Mur de Berlin, que les événements d'Europe de l'Est représentaient un véritable renforcement de la Russie !

 

[13] Ce compte-rendu reste inévitablement extrêmement schématique et susceptible d'être corrigé et précisé. Nous pouvons seulement regretter que la présentation du camarade de ULEC (Ulsan Labour Education Committee) sur l'histoire du mouvement ouvrier coréen ait été beaucoup trop longue pour être traduite en anglais et nous soit donc inaccessible. Nous espérons qu'il sera possible aux camarades de préparer et de traduire une version plus brève de leur texte qui en résumerait les points principaux.

 

[14] En fait, les syndicats ont été, pendant la révolution allemande, les pires ennemis des soviets. Pour un compte-rendu de la révolution allemande, voir les articles publiés dans la Revue Internationale n° 80 à 82 [5] .

 

[15] Voir notre série sur la révolution de 1905 [6] publiée dans les n° 120,122,123,125 de la Revue Internationale.

 

[16] Pour plus de détails sur ces sujets, voir, par exemple, "Emeutes dans les banlieues françaises : face au désespoir, seule la classe ouvrière est porteuse d'avenir" [7] et "Argentine : la mystification des piqueteros" [8] , publié dans la Revue Internationale n° 119.

Nous devons dire aussi que le fait de mettre en avant l'idée de la "disparition" de l'industrie à main d'œuvre massive, est apparu comme quelque chose de surréaliste dans la ville de Ulsan où l'usine Hyundai emploie à elle seule 20.000 ouvriers !

[17] Si nous prenons pour exemple l'idée que le "travail précaire" a conduit à l'invention des "piquets volants" comme "nouvelle forme de lutte", nous pouvons voir que cette idée est simplement dépourvue de fondement historique. Le piquet volant (c'est-à-dire une délégation d'ouvriers en lutte allant dans d'autres lieux de travail pour entraîner les autres ouvriers dans le mouvement) est quelque chose qui existe depuis longtemps : pour prendre le seul exemple de la Grande-Bretagne, le piquet volant a été très utilisé dans deux luttes importantes des années 1970 : les grèves des mineurs en 1972 et en 1974, lorsque les mineurs ont envoyé des piquets aux centrales électriques, ou la grève des ouvriers du bâtiment en 1972, à l'occasion de laquelle ils envoyèrent des piquets pour répandre la grève sur différents chantiers. L'existence d'une force de travail "précaire" n'a elle non plus rien de nouveau. C'est précisément l'apparition d'une force de travail non qualifiée et précaire (spécialement dans les docks) qui a conduit à la formation du "General Labourers' Union" par le syndicaliste révolutionnaire Tom Mann, en 1889 (Engels et Eleonor, la fille de Marx, ont aussi été impliqués dans le développement de ce syndicat).

 

[18] Voir l'article [9] publié dans Internationalisme.

 

[19] Les communistes "n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité. Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien." Le Manifeste communiste.

 

[20] La Déclaration peut-être lue ici [10]

 

[21] "Ouvrier socialiste". Malgré son nom, ce groupe n'a rien à voir avec le Socialist Workers' Party de Grande-Bretagne. Nous présentons par avance nos excuses au camarade si nous nous sommes mépris sur sa ligne de pensée. La barrière de la langue a pu nous amener à une erreur d'interprétation.

 

[22] Le fait que, dans cette Conférence, les internationalistes ne soient pas demeurés sans voix face à la menace de guerre constitue, à notre avis, un vrai pas en avant, si on le compare aux Conférences de la Gauche communiste de la fin des années 1970 où les participants - et notamment Battaglia Comunista et de la CWO - ont refusé toute déclaration commune sur l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS.

 

[23] D'après PI, nous devons aller "au-delà de la Gauche communiste". Aucun des groupes que nous avons cités n'aurait prétendu avoir le dernier mot sur ces questions : l'histoire va de l'avant et nous parvenons à une meilleure compréhension de l'expérience historique. Mais il est impossible de construire une maison sans en avoir au préalable posé les fondations et, à notre avis, les seules fondations sur lesquelles il est possible de construire sont celles posées par nos prédécesseurs de la Gauche communiste. La logique de la position de PI est de jeter par-dessus bord l'histoire d'où nous provenons - et de déclarer que "l'histoire commence avec nous". Aussi détestable que cette idée puisse paraître à PI, elle n'est rien d'autre qu'une variante de la position bordiguiste selon laquelle "le Parti" (ou, pour le BIPR, le "Bureau") est l'unique source de sagesse et n'a rien à apprendre de qui que ce soit.

 

[24] Cet aspect du développement de la future organisation internationale a été matière à polémique entre le CCI et le BIPR dans les années 1980, le BIPR soutenant qu'une organisation internationale ne peut être construite que sur la base d'organisations politiques préexistant dans les différents pays. La pratique réelle du mouvement internationaliste d'aujourd'hui invalide totalement cette théorie du BIPR.

 

Vie du CCI: 

  • Prises de position du CCI [11]

Géographique: 

  • Corée du Sud [12]

Le communisme : l'entrée de l'humanité dans sa véritable histoire (V) - les problèmes de la période de transition

  • 2968 lectures

Dans ce numéro de la Revue internationale, nous republions le deuxième article de Bilan n° 31 (mai-juin 1936) de la série Les problèmes de la période de transition, écrite par Mitchell. Après avoir exposé, dans le premier article de cette série [13] (republié dans la Revue Internationale n° 128), les conditions historiques générales de la révolution prolétarienne, Mitchell retrace l'évolution de la théorie marxiste de l'Etat, en lien étroit avec les moments les plus importants de la lutte de la classe ouvrière contre le capitalisme - 1848, la Commune de Paris et la Révolution russe. Suivant les traces de L'Etat et la Révolution (1917) de Lénine, il montre comment le prolétariat a progressivement clarifié la question de ses relations à l'Etat au cours de ces expériences fondamentales : depuis le concept général selon lequel l'Etat, en tant qu'instrument d'oppression d'une classe par l'autre, devait nécessairement disparaître dans la société communiste, jusqu'aux étapes les plus concrètes de la compréhension de la manière dont le prolétariat atteindrait ce but, en détruisant l'ordre bourgeois et en érigeant à sa place une nouvelle forme d'Etat destinée à dépérir après une période de transition plus ou moins longue. Les études de Mitchell vont plus loin que le niveau de compréhension atteint par le livre de Lénine en étant capables de prendre en compte les leçons cruciales de la révolution d'Octobre et les terribles difficultés auxquelles elle a fait face du fait de son isolement international : avant tout, la nécessité d'éviter toute identification entre le prolétariat, ses organes de classe spécifiques (que Mitchell définissait comme étant les soviets, le parti et les syndicats) et l'appareil d'ensemble de l'Etat de transition qui constitue, par nature, un fléau hérité de la vielle société et qui est inévitablement plus vulnérable au danger de corruption et dégénérescence. De ce point de vue, le parti bolchevique s'était complètement trompé à la fois en identifiant la dictature du prolétariat avec l'Etat de transition, et en s'identifiant lui-même de façon croissante avec ce dernier.

Produit d'un processus intense de réflexion et de clarification, le texte de Mitchell contient certaines faiblesses de la Gauche communiste italienne et belge des années 1930, mais aussi recèle ce qui en fait la force : ainsi, alors qu'il argumente que le parti ne devrait pas se fondre dans l'Etat, le texte continue à soutenir que la tâche du parti est d'exercer la dictature du prolétariat ; ou encore, alors qu'il débute en posant clairement que la collectivisation des moyens de production n'est pas identique au socialisme, il se termine en continuant à défendre que, l'économie de l'URSS étant collectivisée, celle-ci n'était pas à cette époque un Etat capitaliste, cependant tout en reconnaissant bien sûr que le prolétariat russe était soumis à l'exploitation capitaliste. Nous avons plus amplement examiné ces contradictions dans des articles précédents (voir "L'énigme russe et la Gauche communiste d'Italie" [14], 1933-1946 dans la Revue internationale n° 106 et "Les années 1930 - le débat sur la période de transition" [13], dans la Revue internationale n° 128), mais ces faiblesses ne compromettent pas la clarté d'ensemble de ce texte qui demeure une contribution fondamentale à la théorie marxiste de l'Etat.

Dans notre exposé introductif nous pensons avoir dégagé l'idée essentielle qu'il n'existe et ne peut exister aucun synchronisme entre la maturité historique de la Révolution prolétarienne et sa maturité matérielle aussi bien que culturelle. Nous vivons dans l'ère des révolutions prolétariennes parce que le progrès social ne peut se poursuivre qu'à la condition que disparaisse l'antagonisme de classe qui, jusqu'ici, fut le fondement de ce même progrès à une époque considérée comme la préhistoire du genre humain.

Mais la réappropriation collective des richesses développées par la société bourgeoise supprime seulement la contradiction entre la forme sociale des forces productives et leur appropriation privée. Elle n'est rien de plus que la condition "sine qua non" du développement ultérieur de la société. Elle ne comporte aucun automatisme pour l'épanouissement social. Elle ne contient en soi aucune des solutions constructives du Socialisme tout comme elle ne peut faire d'emblée table rase de toutes les inégalités sociales.

Point de départ, la collectivisation des moyens de production et d'échange n'est pas le socialisme, mais sa condition fondamentale. Elle n'est encore qu'une solution juridique aux contradictions sociales et, par elle-même, ne comble nullement les déficiences matérielles et spirituelles dont le prolétariat hérite du capitalisme. L'Histoire "surprend" le prolétariat et l'oblige à réaliser sa mission dans un état d'impréparation que le plus ferme idéalisme et le plus grand dynamisme révolutionnaires ne peuvent transformer d'emblée en une pleine capacité pour lui de résoudre tous les redoutables et complexes problèmes qui surgissent.

Tant après qu'avant la conquête du pouvoir, le prolétariat doit suppléer à l'immaturité historique de sa conscience en s'appuyant sur son parti - qui reste son guide et son éducateur dans la période de transition entre le capitalisme et le communisme. De même le prolétariat ne peut parer à l'insuffisance temporaire des forces productives que le capitalisme lui lègue qu'en recourant à l'Etat, organisme de contrainte, "fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe mais dont il devra, comme l'a fait la Commune, et dans la mesure du possible atténuer les plus fâcheux effets, jusqu'au jour où une génération élevée dans une société d'hommes libres et égaux, pourra se débarrasser de tout fatras gouvernemental." (Engels).

La nécessité de "tolérer" l'Etat pendant la phase transitoire s'échelonnant entre le capitalisme et le communisme, résulte du caractère spécifique de cette période définie par Marx dans sa Critique de Gotha : "Nous avons affaire à une société communiste non pas telle qu'elle s'est développée sur les bases qui lui sont propres, mais telle qu'elle vient, au contraire, de sortir de la société capitaliste ; par conséquent une société qui, sous tous les rapports : économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l'ancienne société des flancs de laquelle elle sort."

Nous examinerons quels sont ces stigmates lorsque nous analyserons les catégories économiques et sociales que l'économie prolétarienne hérite du capitalisme mais qui sont appelées à "dépérir" en même temps que l'Etat prolétarien.

Evidemment, il serait vain de se dissimuler le danger mortel qu'offre, pour la révolution prolétarienne, la survivance de cette servitude que constitue l'Etat, même ouvrier. Mais partir de l'existence en soi de cet Etat pour conclure à l'inévitable dégénérescence de la Révolution équivaudrait à faire fi de la dialectique historique comme à renoncer à la Révolution elle-même.

D'autre part, subordonner le déclenchement de la Révolution à la capacité pleinement réalisée par les masses d'exercer le pouvoir, reviendrait à renverser les données du problème historique tel qu'il se pose, à nier en somme la nécessité de l'Etat transitoire tout comme celle du parti. En définitive, ce postulat rejoint logiquement celui qui fonde la Révolution sur la "maturité" des conditions matérielles, et que nous avons examiné dans la première partie de cette étude

Nous reviendrons par la suite sur le problème de la capacité de gestion des masses prolétariennes.

L'Etat, instrument de la classe dominante

Si le prolétariat victorieux se trouve donc amené, de par les conditions historiques à devoir subir un Etat pendant une période plus ou moins prolongée, il lui importe cependant de savoir de quel Etat il s'agira.

La méthode marxiste permit, d'une part, de découvrir la signification de l'Etat dans les sociétés divisées en classes, d'en définir la nature, d'autre part, par une analyse des expériences révolutionnaires vécues dans le cours du siècle dernier par le prolétariat, de déterminer le comportement de celui-ci vis-à-vis de l'Etat bourgeois.

Marx et surtout Engels dégagèrent la notion de l'Etat de tout son fatras idéaliste. Mettant à nu la véritable nature de l'Etat, ils découvrirent qu'il n'était qu'un instrument d'asservissement aux mains de la classe dominante, dans une société déterminée, qu'il ne servait qu'à sauvegarder les privilèges économiques et politiques de cette classe et à imposer, par la contrainte et la violence, les règles juridiques correspondant au mode de propriété et de production sur lequel ces privilèges étaient fondés ; qu'enfin, l'Etat n'était que l'expression de la domination d'une minorité sur la majorité de la population. La charpente de l'Etat, en même temps aspect concret de la scission en classes de la société, c'était sa force armée et ses organes coercitifs, placés au-dessus de la masse du peuple, s'opposant à elle et excluant toute possibilité, pour la classe opprimée, de maintenir sa propre organisation "spontanée" de défense armée. La classe dominante ne pouvait tolérer la coexistence de ses propres instruments répressifs avec une force armée du peuple.

Pour ne prendre que des exemples tirés de l'Histoire de la société bourgeoise : en France, la révolution de février 1848 arma les ouvriers "qui se constituèrent en force dans l'Etat" (Engels) ; la bourgeoisie n'eut qu'une préoccupation : désarmer les ouvriers ; elle les provoqua en liquidant les ateliers nationaux et elle les écrasa au cours du soulèvement de juin. En France encore, après septembre 1870, fut formée, en vue de la défense du pays, une garde nationale, composée en majorité d'ouvriers : "L'antagonisme entre le gouvernement où il n'y avait, ou presque, que des bourgeois et le prolétariat en armes, éclata aussitôt... Armer Paris, c'était armer la Révolution. Pour Thiers, la domination des classes possédantes serait menacée tant que les ouvriers parisiens resteraient en armes. Les désarmer fut son premier souci." (Engels). D'où le 18 mars et la Commune.

Mais ayant pénétré le "secret" de l'Etat bourgeois (qu'il fût monarchique ou républicain, autoritaire ou démocratique), le prolétariat avait à définir à son égard sa propre politique. La méthode expérimentale du marxisme lui en donna les moyens.

A l'époque du Manifeste Communiste (1847), Marx avait bien marqué la nécessité pour le prolétariat de conquérir le pouvoir politique, de s'organiser en classe dominante, mais sans pouvoir préciser qu'il s'agissait pour lui de fonder son propre Etat. Il avait déjà prévu la disparition de tout Etat avec l'abolition des classes, mais il n'avait pu dépasser une formulation générale, encore abstraite. L'expérience française de 1848-1851 fournit à Marx la substance historique qui allait renforcer en lui l'idée de la destruction de l'Etat bourgeois, sans lui permettre cependant de délimiter les contours de l'Etat prolétarien appelé à le remplacer. Le prolétariat apparaît comme la première classe révolutionnaire dans l'histoire, à qui incombe la nécessité d'anéantir la machine bureaucratique et policière, de plus en plus centralisée, dont toutes les classes exploiteuses s'étaient servies jusqu'ici pour écraser les masses exploitées. Dans son 18 Brumaire, Marx souligna que "toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine au lieu de la briser." Le pouvoir centralisé de l'Etat, avec ses organes répressifs, remontait à la monarchie absolue ; la Bourgeoisie naissante s'en servit pour lutter contre la féodalité, la Révolution française ne fit que le débarrasser des dernières entraves féodales et le Premier Empire paracheva l'Etat moderne. La société bourgeoise développée transforma le pouvoir central en une machine d'oppression du prolétariat. Pourquoi l'Etat ne fut jamais détruit par aucune des classes révolutionnaires, mais conquis, Marx en donna l'explication fondamentale dans Le Manifeste : "les moyens de production et d'échange, sur la base desquels s'est édifiée la bourgeoisie, furent créés à l'intérieur de la société féodale". La Bourgeoisie, sur la base de positions économiques conquises graduellement, n'eut pas à détruire une organisation politique dans laquelle elle était parvenue à s'installer. Elle n'eut à supprimer ni la bureaucratie, ni la police, ni la force armée, mais à subordonner ces instruments d'oppression à ses fins propres, parce que la révolution politique ne faisait que substituer juridiquement une forme d'exploitation à une autre forme d'exploitation.

Etat prolétarien et Etat bourgeois

Par contre, le prolétariat était une classe exprimant les intérêts de l'Humanité et non des intérêts particuliers pouvant s'encastrer dans un Etat fondé sur l'exploitation : "Les prolétaires n'avaient rien à sauvegarder qui leur appartenait ; ils avaient à détruire toute garantie privée, toute sécurité privée existante" (Le Manifeste). La Commune de Paris fut la première réponse historique, encore bien imparfaite, à la question de savoir en quoi l'Etat prolétarien se différencierait de l'Etat bourgeois : la domination de la majorité sur la minorité dépossédée de ses privilèges, rendait inutile le maintien d'une machine bureaucratique et militaire, spécialement au service d'intérêts particuliers, à laquelle le prolétariat substituait, et son propre armement - pour briser toute résistance bourgeoise - et une forme politique lui permettant d'accéder progressivement à la gestion sociale. C'est en cela que "la Commune ne fut déjà plus un Etat au sens propre du mot". (Engels). Lénine souligna "qu'elle arrivait ainsi - œuvre gigantesque - à remplacer certaines institutions par des institutions de principe essentiellement différent".

Mais l'Etat prolétarien n'en conservait pas moins le caractère foncier de tout Etat : il restait un organe de coercition qui, bien qu'assurant la domination de la majorité sur la minorité, ne pouvait toujours qu'exprimer l'impuissance à supprimer temporairement le droit bourgeois ; il était, suivant l'expression de Lénine "un Etat bourgeois sans bourgeoisie" qui, sous peine de se retourner contre le prolétariat, devait être maintenu sous le contrôle direct de celui-ci et de son parti.

La théorie de la dictature du prolétariat, ébauchée dans Le Manifeste, mais qui puisa dans la Commune de 1871 ses premiers matériaux historiques - juxtaposa à la notion de destruction de l'Etat bourgeois, celle du dépérissement de l'Etat prolétarien. L'idée de la disparition de tout Etat, on la trouve déjà chez Marx, à l'état embryonnaire, dans sa Misère de la Philosophie ; mais ce fut surtout Engels qui la développa dans L'origine de la Propriété et L'Anti-Dühring tandis que par après, Lénine la commenta lumineusement dans L'Etat et la Révolution. Quant à la distinction fondamentale entre destruction de l'Etat bourgeois et extinction de l'Etat prolétarien, elle a été faite avec suffisamment de vigueur par Lénine pour que nous n'ayons pas à y insister ici, d'autant plus que nos considérations antérieures ne permettent aucune équivoque à ce sujet.

Ce qui doit retenir notre attention, c'est que le postulat du dépérissement de l'Etat prolétarien est appelé à devenir en quelque sorte la pierre de touche du contenu des révolutions prolétariennes. Nous avons déjà indiqué que celles-ci surgissaient dans un milieu historique obligeant le prolétariat victorieux à supporter encore un Etat, bien que ce ne pût être "qu'un Etat en dépérissement, c'est-à-dire constitué de telle sorte qu'il commence sans délai à dépérir et qu'il ne puisse pas ne point dépérir".(Lénine).

Le grand mérite du marxisme fut d'avoir démontré irréfutablement que jamais l'Etat ne fut un facteur autonome de l'Histoire, mais qu'il n'était qu'un produit de la société divisée en classes - la classe précédant l'Etat - tandis qu'il disparaîtrait avec les classes elles-mêmes. Si après la dissolution du communisme primitif, l'Etat avait toujours existé sous une forme plus ou moins évoluée, parce qu'il se superposait nécessairement à une forme d'exploitation de l'homme par l'homme, il n'en était pas moins vrai qu'il devait tout aussi nécessairement mourir au terme d'une évolution historique qui rendrait superflues toute oppression et toute contrainte, parce qu'elle aurait éliminé le "droit bourgeois" et que, suivant l'expression de Saint-Simon "la politique se serait résorbée toute entière dans l'économie".

Mais la science marxiste n'avait pas encore élaboré la solution au problème de savoir comment et par quel processus l'Etat disparaîtrait, problème qui était lui-même conditionné par celui du rapport entre le prolétariat et "son" Etat.

La Commune - ébauche de la dictature du prolétariat, expérience gigantesque qui n'évita ni la défaite, ni la confusion parce que. d'une part, elle naquit dans une période d'immaturité historique et que d'autre part, il lui manqua le guide théorique, le parti - n'apporta que quelques éléments premiers esquissant encore vaguement les rapports entre Etat et Prolétariat.

Marx, en 1875, dans sa Critique de Gotha dut encore s'en tenir à cette interrogation : "Quelle transformation subira l'Etat, dans une société communiste ?" (Marx vise ici la période de transition. N. d. l. R.) "Quelles fonctions sociales s'y maintiendront qui soient analogues aux fonctions actuelles de l'Etat ? Cette question ne peut être résolue que par la science et ce n'est pas en accouplant de mille manières le mot Peuple au mot Etat qu'on fera avancer le problème d'un saut de puce."

Dans la Commune, Marx vit surtout une forme politique tout à fait expansive, tandis que les anciennes formes étaient essentiellement répressives ; " ...la forme politique, enfin trouvée, sous laquelle il était possible de réaliser l'émancipation du travail". (La Guerre Civile). Ce faisant, il posait seulement les données du problème capital de l'initiation et de l'éducation des masses qui auraient à se dégager de plus en plus de l'emprise de l'Etat pour enfin faire coïncider la mort de celui-ci avec la réalisation de la société sans classes. En ce sens, la Commune posait quelques jalons sur la voie de cette évolution. Elle montrait que si le prolétariat ne pouvait supprimer d'emblée le système des délégations, "il avait à prendre ses précautions contre ses propres subordonnés et ses propres fonctionnaires en les déclarant sans exception et en tout temps amovibles." (Engels). Et pour Marx, "rien ne pouvait être plus étranger à l'esprit de la Commune que de remplacer le suffrage universel (pour la désignation des mandataires N. d. l. R.) par un système de nominations hiérarchiques."

Mais l'élaboration théorique dut s'en tenir là. Et quarante ans plus tard, Lénine n'aura pas avancé en ce domaine. Dans son Etat et la Révolution, il s'en tiendra à des formulations banales et sommaires, se bornera à souligner la nécessité de "transformer les fonctions de l'Etat en des fonctions de contrôle et d'enregistrement si simples qu'elles soient à la portée de l'énorme majorité de la population et peu à peu de la population toute entière". Il ne pourra que se limiter, comme Engels, à énoncer ce à quoi correspondra la disparition de l'Etat, c'est-à-dire à l'ère de la liberté véritable en même temps qu'à la mort de la démocratie qui aura perdu toute signification sociale. Quant au processus suivant lequel s'élimineront toutes les servitudes qui seront comme l'arrière-faix du capitalisme, Lénine constatera que la "question reste ouverte du moment et des formes concrètes de cette mort de l'Etat, car nous n'avons pas de donnée qui nous permette de la trancher."

Ainsi restait non résolu le problème de la gestion d'une économie et d'un Etat prolétariens s'exerçant en fonction de la révolution internationale. Des principes régissant la solution politique de ce problème, le prolétariat russe se trouva dépourvu au moment où il s'engagea en Octobre 1917 dans la plus formidable expérience historique. Inévitablement les bolcheviks devaient sentir peser sur eux le poids écrasant de cette carence théorique au cours de leurs tentatives de délimiter les rapports entre Etat et Prolétariat.

Pouvoir du prolétariat et Etat de la période de transition

Avec le recul d'où nous pouvons aujourd'hui considérer l'expérience russe, il apparaît que très probablement, si les bolcheviks et l'Internationale avaient pu acquérir une claire vision de cette tâche capitale, le reflux révolutionnaire à l'Occident, bien qu'il eût constitué quand même une entrave considérable au développement de la Révolution d'octobre, n'en aurait pas altéré le caractère internationaliste, et n'aurait pas provoqué sa rupture avec le prolétariat mondial en la conduisant à l'impasse du "socialisme en un seul pays".

Mais l'Etat soviétique ne fut pas considéré par les bolcheviks, au travers des terribles difficultés contingentes, essentiellement comme un "fléau dont le prolétariat hérite et dont il devra atténuer les plus fâcheux effets", mais comme un organisme pouvant s'identifier complètement avec la dictature prolétarienne, c'est-à-dire le Parti.

D'où résulta cette altération principale que le fondement de la dictature du prolétariat, ce n'était pas le Parti, mais l'Etat qui, par le renversement des rapports qui s'ensuivit, se trouva placé dans des conditions d'évolution aboutissant non à son dépérissement mais au renforcement de son pouvoir coercitif et répressif. D'instrument de la révolution mondiale, l'Etat prolétarien était appelé à devenir inévitablement une arme de la contre-révolution mondiale.

Bien que Marx, Engels et surtout Lénine eussent maintes fois souligné la nécessité d'opposer à l'Etat prolétarien son antidote prolétarien, capable d'empêcher sa dégénérescence, la Révolution russe, loin d'assurer le maintien et la vitalité des organisations de classe du prolétariat, les stérilisa en les incorporant à l'appareil étatique et ainsi dévora sa propre substance.

Même dans la pensée de Lénine, la notion "Dictature de l'Etat" devint prédominante. C'est ainsi qu'à la fin de 1918, dans sa polémique avec Kautsky (Révolution prolétarienne) il ne parvint pas à dissocier les deux notions opposées : Etat et Dictature du prolétariat. Il répliqua victorieusement à Kautsky pour ce qui concernait la définition de la dictature du prolétariat, sa signification fondamentale de classe (tout le pouvoir aux Soviets) ; mais à la nécessité de la destruction de l'Etat bourgeois et de l'écrasement de la classe dominante, il lia celle de la transformation des organisations prolétariennes en organisations étatiques. Il est vrai de dire que cette affirmation n'avait rien d'absolu, parce qu'elle se rapportait à la phase de guerre civile et de renversement de la domination bourgeoise et que Lénine visait les Soviets qui se substituaient en tant qu'instrument d'oppression sur la bourgeoisie à l'appareil d'Etat de cette dernière.

La difficulté énorme d'une juste orientation dans la question des rapports entre l'Etat et le Prolétariat et que Lénine ne put vaincre, provint précisément de cette double nécessité contradictoire de maintenir un Etat, organe de contrainte économique et politique restant sous le contrôle du prolétariat (donc de son parti) pendant que d'autre part devait être assurée la participation de plus en plus élargie des masses à la gestion et à l'administration de la société prolétarienne, alors que précisément cette participation ne pouvait s'exercer transitoirement qu'au sein d'organismes étatiques, corruptibles par nature.

L'expérience de la révolution russe révéla au prolétariat combien s'affirmait complexe et difficile la tâche de produire un climat social où put s'épanouir l'activité et la culture des masses.

La controverse sur la Dictature et la Démocratie se concentra précisément sur ce problème dont la solution devait donner la clef des révolutions prolétariennes. A cet égard, il faut souligner que les considérations opposées de Lénine et Luxembourg sur la "démocratie prolétarienne", partaient de la préoccupation qui leur était commune, de créer les conditions d'une expansion incessante des capacités des masses. Mais pour Lénine, le concept de la démocratie, même prolétarienne, impliquait toujours celui de l'oppression inévitable d'une classe sur une autre classe, que ce fût la domination bourgeoise écrasant le prolétariat ou la dictature du prolétariat s'exerçant sur la bourgeoisie. Et la "démocratie" disparaissait, comme nous l'avons déjà dit, au moment où elle se trouvait entièrement réalisée avec l'extinction des classes et de l'Etat, c'est-à-dire au moment où le concept de liberté recevait sa pleine signification.

A l'idée de Lénine d'une démocratie "discriminatoire", Luxembourg (Révolution russe) opposait celle de la "démocratie sans limites" qui représentait pour elle la condition nécessaire d'une "participation sans entraves des masses populaires" à la dictature du prolétariat. Celle-ci ne pouvait se réaliser qu'au travers de l'exercice total des libertés "démocratiques" : liberté illimitée de la presse, liberté politique entière, parlementarisme (bien que, par après, dans le programme de Spartacus, le sort du parlementarisme se trouvera subordonné à celui de la Révolution).

Le souci prédominant de Luxembourg, de ne pas voir les organes de la machine étatique entraver l'épanouissement de la vie politique du prolétariat et sa participation active aux tâches de la dictature, l'empêcha d'apercevoir le rôle fondamental conféré au Parti, puisqu'elle alla jusqu'à opposer Dictature de classe et Dictature de Parti. Son énorme mérite fut cependant d'avoir opposé, comme Marx le fit pour la Commune, le contenu social de la domination bourgeoise à celui de la domination prolétarienne : "la domination de classe de la bourgeoisie n'avait pas besoin d'une instruction et d'une éducation politique de toute la masse du peuple ou du moins pas au delà de certaines limites fort étroites, tandis que pour la dictature prolétarienne, elle est l'élément vital, l'air sans lequel elle ne peut pas exister". Dans le programme de Spartacus, elle reprit les données du problème capital de l'éducation des masses (dont la solution revient au parti) en posant que "l'histoire ne nous rend pas la tâche aussi facile qu'elle l'était pour les révolutions bourgeoises ; il ne suffit pas de renverser le pouvoir officiel au centre et de le remplacer par quelques douzaines ou quelques milliers d'hommes nouveaux. Il faut que nous travaillions de bas en haut."

L'impuissance des bolcheviks à maintenir l'Etat au service de la révolution

Emporté par le processus contradictoire de la révolution russe, Lénine mettait sans cesse l'accent sur la nécessité d'opposer un "correctif" prolétarien et des organes de contrôle ouvrier, à la tendance de l'Etat transitoire à se faire corrompre.

Dans son rapport au Congrès des Soviets d'avril 1918 sur Les tâches actuelles du pouvoir soviétique, il soulignait la nécessité de surveiller constamment l'évolution des Soviets et du pouvoir soviétique : "il y a une tendance "petite bourgeoise" qui transforme les membres des Soviets en "parlementaires" ou en bureaucrates. Il faut lutter contre cela en attirant dans l'administration, tous les membres des Soviets". Dans ce but, Lénine préconisait "la participation de tous les pauvres à la pratique de l'administration, la participation gratuite de tout travailleur à l'administration de l'Etat, ses huit heures de travail productif une fois achevées. Il est bien difficile d'atteindre ce but, mais cette transition est essentielle pour le socialisme. La nouveauté des difficultés de cette tâche provoque naturellement des tâtonnements, de nombreuses fautes, des hésitations - tout cela est inévitable au cours de tout mouvement brusque en avant. L'originalité du moment présent aux yeux de beaucoup de ceux qui s'appellent socialistes, réside dans le fait qu'on s'était habitué à opposer le capitalisme au socialisme, mettant entre les deux le mot "bond" ".

Que dans le même rapport, Lénine fut amené à légitimer les pouvoirs dictatoriaux individuels, était l'expression non seulement d'une sombre situation contingente engendrant le "communisme de guerre", mais également du contraste déjà souligné entre, d'une part, un régime nécessaire de contrainte appliqué par la machine d'Etat et, d'autre part, le besoin pour la sauvegarde de la dictature prolétarienne de diluer ce régime dans l'activité grandissante des masses. "Autant, disait-il, nous devons mettre d'énergie à défendre les pouvoirs dictatoriaux des individus à de certaines fins exécutives déterminées, autant nous devons veiller à ce que les formes et les procédés de contrôle des masses soient multiples et variés afin de parer à toute ombre de déformation du pouvoir des Soviets et d'arracher sans cesse l'ivraie bureaucratique".

Mais trois ans de guerre civile et la nécessité vitale d'un redressement économique empêchèrent les bolcheviks de rechercher une ligne politique claire quant aux rapports entre les organes étatiques et le prolétariat. Non pas qu'ils n'eussent pas pressenti le péril mortel qui menaçait le cours de la Révolution. Le programme du 8e Congrès du Parti russe en mars 1919, parlait du danger de la renaissance partielle de la bureaucratie qui s'effectuait à l'intérieur du régime soviétique, et cela bien que tout l'ancien appareil bureaucratique tsariste eût été détruit de fond en comble par les Soviets. Le 9e Congrès de décembre 1920 traitait encore de la question bureaucratique. Et au 10e Congrès, celui de la NEP, Lénine en discuta longuement pour aboutir à cette conclusion : que les racines économiques de la bureaucratie soviétique ne s'implantaient pas sur des bases militaires et juridiques comme dans l'appareil bourgeois mais qu'elles partaient des services ; que la bureaucratie, si elle avait repoussé, surtout dans la période du "communisme de guerre", n'avait fait qu'exprimer le "côté négatif" de cette période, avait été en quelque sorte la rançon de la nécessité d'une centralisation dictatoriale donnant la maîtrise au fonctionnaire. Après une année de Nouvelle Politique économique, Lénine au 11e Congrès, souligna avec force la contradiction historique s'exprimant par l'obligation pour le prolétariat de prendre le pouvoir et de l'utiliser dans des conditions d'impréparation idéologique et culturelle : "Nous avons en mains un pouvoir politique absolument suffisant ; nous avons aussi des ressources économiques suffisantes ; mais l'avant-garde de la classe ouvrière qui s'est lancée en avant n'a pas assez de savoir-faire pour conduire elle-même directement ses affaires, pour fixer les bornes, pour se départager, pour subordonner elle-même et ne pas se laisser subordonner. Pour cela, il faut avant tout du savoir-faire et c'est ce qui nous fait défaut ; c'est une situation qui ne s'est jamais encore vue dans l'histoire".

A propos du Capitalisme d'Etat qu'il avait fallu accepter, Lénine exhortait le parti : "Apprenez donc, communistes, ouvriers, partie consciente du prolétariat qui s'est chargée de diriger l'Etat, apprenez à faire de la sorte que l'Etat que vous avez pris entre vos mains agisse selon votre gré... l'Etat reste entre vos mains, mais est-ce qu'en fait de politique économique nouvelle il a marché selon nos désirs ? NON!... Comment a-t-il donc marché? La machine vous glisse sous la main : on dirait qu'un autre homme la dirige, la machine court dans une autre direction que celle qu'on lui a tracée".

Lénine, en posant comme tâche de "construire le communisme avec des mains non-communistes" ne faisait que reprendre une des données du problème central à résoudre par la révolution prolétarienne. En marquant que le parti avait à diriger dans la voie tracée par lui, l'économie que "d'autres" géraient, il ne faisait qu'opposer la fonction du parti à celle, divergente, de l'appareil étatique.

La sauvegarde de la Révolution russe et son maintien sur les rails de la Révolution mondiale n'étaient donc pas conditionnés par l'absence de l'ivraie bureaucratique - excroissance accompagnant inévitablement la période transitoire - mais par la présence vigilante d'organismes prolétariens où pût s'exercer l'activité éducatrice du Parti, conservant au travers de l'Internationale la vision de ses tâches internationalistes. Ce problème capital, les Bolcheviks ne purent le résoudre par suite d'une série de circonstances historiques et parce qu'ils ne disposaient pas encore du capital expérimental et théorique indispensable. L'écrasante pression des événements contingents leur fit perdre de vue l'importance que pouvaient représenter la conservation des Soviets et Syndicats en tant qu'organisations se juxtaposant à l'Etat et le contrôlant, mais ne s'y incorporant pas.

L'expérience russe n'a pu démontrer dans quelle mesure les Soviets eussent pu constituer suivant l'expression de Lénine "l'organisation des travailleurs et des masses exploitées, auxquels ils faciliteraient la possibilité d'organiser et de gouverner l'Etat eux-mêmes" ; dans quelle mesure ils eussent pu concentrer en eux "le législatif, l'exécutif et le judiciaire", si le centrisme (c'est à dire le stalinisme NdlR) ne les avait castrés de leur puissance révolutionnaire.

En tout état de cause, les Soviets apparurent comme la forme russe de la dictature du prolétariat plutôt que comme sa forme spécifique, acquérant une valeur internationale. Ce qui est acquis, au point de vue expérimental c'est que, dans la phase de destruction de la société tsariste, les Soviets constituèrent la charpente de l'organisation armée que les ouvriers russes substituèrent à la machine bureaucratique et militaire et l'autocratie et dirigèrent ensuite contre les réactions des classes expropriées.

Quant aux syndicats, leur fonction fut altérée dans le processus même de dégénérescence de tout l'appareil de la dictature prolétarienne. Dans sa Maladie infantile (datant du début de 1920), Lénine soulignait toute l'importance des syndicats par lesquels "le parti se trouvait intimement lié avec la classe et avec la masse et par lesquels, sous la direction du parti, la dictature de classe était réalisée". Tout comme avant la conquête du pouvoir "le parti se trouvait d'autant plus obligé, et par les anciennes méthodes et par les nouvelles, à s'attacher à l'éducation des syndicats, à les diriger, sans oublier, en même temps qu'ils restaient et resteraient longtemps l'indispensable "école du communisme", l'école préparatoire des prolétaires pour la réalisation de leur dictature, l'association indispensable des ouvriers pour le passage définitif de toute l'économie du pays, d'abord aux mains de la classe ouvrière (et non de professions isolées), puis de tous les travailleurs".

La question du rôle des syndicats prit de l'ampleur à la fin de 1920. Trotsky se basant sur l'expérience qu'il avait réalisée dans le domaine des transports, considérait que les syndicats devaient être des organismes d'Etat chargés de maintenir la discipline du travail et d'assurer l'organisation de la production, il allait même jusqu'à proposer leur suppression, prétendant que dans un Etat ouvrier, ils faisaient double emploi avec les organes de l'Etat !

La discussion rebondit au 10e Congrès du Parti, en mars 1921, sous la pression des événements (Cronstadt). La conception de Trotsky s'y heurta tant à l'Opposition ouvrière, dirigée par Chliapnikov et Kollontaï, qui proposait de confier aux syndicats la gestion et la direction de la production qu'à celle de Lénine, qui considérait l'étatisation des syndicats comme prématurée et estimait que "l'Etat n'étant pas ouvrier, mais ouvrier et paysan avec de nombreuses déformations bureaucratiques", les syndicats avaient à défendre les intérêts ouvriers contre un tel Etat. Mais la thèse partagée par Lénine soulignait bien que le désaccord avec la thèse de Trotsky ne portait pas sur une question de principe, mais résultait de considérations contingentes.

Le fait que Trotsky fut battu à ce Congrès, n'indiqua nullement que la confusion se trouva dissipée quant au rôle que les syndicats avaient à jouer dans la dictature prolétarienne. En effet, les thèses du 3e Congrès de l'I.C. reproduisirent cette confusion en marquant, d'une part que : "avant, pendant et après la conquête du pouvoir, les syndicats demeurent une organisation plus vaste, plus massive, plus générale que le parti et, par rapport à ce dernier, jouent jusqu'à un certain point, le rôle de la circonférence par rapport au centre", et aussi que "les communistes et les éléments sympathisants doivent constituer à l'intérieur des syndicats des groupements communistes entièrement subordonnés au parti communiste dans son ensemble". D'autre part, "qu'après la conquête et l'affermissement du pouvoir prolétarien, l'action des syndicats se transporte surtout dans le domaine de l'organisation économique et ils consacrent presque toutes leurs forces à la construction de l'édifice économique sur les bases socialistes, devenant ainsi une véritable école pratique de communisme".

On sait que, par la suite, les syndicats, non seulement perdirent tout contrôle sur la direction des entreprises, mais qu'ils devinrent des organismes chargés de pousser la production et non de défendre les intérêts des ouvriers. En "compensation", le recrutement administratif de l'industrie s'opéra parmi les dirigeants syndicaux et le droit de grève "théorique" fut maintenu, tandis qu'en fait, les grèves se heurtaient à l'opposition des directions syndicales.

Le critère sûr servant d'appui aux marxistes pour affirmer que l'Etat soviétique est un Etat dégénéré, qui a perdu toute fonction prolétarienne, qui est passé au service du capitalisme mondial, se fonde sur cette vérification historique que l'évolution de l'Etat russe, de 1917 à 1936, loin de tendre vers le dépérissement de celui-ci, s'orienta au contraire vers son renforcement, ce qui devait conduire inévitablement à en faire un instrument de l'oppression et de l'exploitation des ouvriers russes. On assiste à un phénomène tout à fait nouveau dans l'histoire, résultant d'une situation historique sans précédent : l'existence au sein de la société capitaliste d'un Etat prolétarien basé sur la collectivisation des moyens de production, mais où se vérifie un processus social déterminant une exploitation effrénée de la force de travail, sans que cette exploitation puisse être rattachée à la domination d'une classe possédant des droits juridiques sur la production et y exerçant son initiative. Ce "paradoxe" social ne peut, d'après nous, être expliqué par l'affirmation de l'existence d'une bureaucratie érigée en classe dominante (deux notions qui s'excluent réciproquement du point de vue du matérialisme historique) ; mais il ne peut être que l'expression d'une politique qui livra l'Etat russe à l'emprise de la loi d'évolution du capitalisme mondial aboutissant à la guerre impérialiste. Au chapitre consacré à la gestion de l'économie prolétarienne, nous reviendrons sur l'aspect concret de cette caractéristique essentielle de la dégénérescence de l'Etat soviétique, en vertu de laquelle le prolétariat russe se trouve être la proie, non d'une classe exploiteuse nationale, mais de la classe capitaliste mondiale ; un tel rapport économique et politique contient évidemment toutes les prémices capables demain, dans la tourmente de la guerre impérialiste, de provoquer la restauration du capitalisme en Russie, si le prolétariat russe, avec l'aide du prolétariat international, ne parvient pas à balayer les forces qui l'auront précipité dans le massacre.

Tenant compte des considérations que nous avons énoncées quant aux conditions et à l'ambiance historique dans lesquelles naît l'Etat prolétarien, il est évident que le dépérissement de celui-ci ne peut se concevoir en tant que manifestation autonome, se limitant à des cadres nationaux, mais seulement comme le symptôme du développement de la Révolution mondiale.

L'Etat soviétique ne pouvait que dépérir dès l'instant où le parti et l'Internationale ne concevaient plus la révolution russe comme une étape et un chaînon de la révolution mondiale et lui assignaient au contraire, la tâche de construire le "Socialisme en un seul pays". Cela explique pourquoi le poids spécifique des organes étatiques et l'exploitation des ouvriers russes s'accrurent avec le développement de l'industrialisation et des forces économiques, pourquoi la "liquidation des classes" détermina non l'affaiblissement de l'Etat, mais son renforcement, s'exprimant par le rétablissement des trois forces formant la charpente de l'Etat bourgeois : la bureaucratie, la police et l'armée permanente.

Ce phénomène social n'apporte dans la moindre mesure, la démonstration que la théorie marxiste est fausse, qui fonde la révolution prolétarienne sur la collectivisation des forces productives et sur la nécessité de l'Etat transitoire et de la dictature du prolétariat. Ce phénomène est seulement le fruit amer d'une situation historique qui empêche les bolcheviks et l'Internationale d'asservir l'Etat à une politique internationaliste, qui fit d'eux, au contraire, les serviteurs de l'Etat contre le prolétariat, en les engageant dans la voie du socialisme national. Les bolcheviks ne parvinrent pas, au travers des difficultés gigantesques qui les assaillaient, à formuler une politique qui les eut prémunis contre la confusion qui s'établit entre l'appareil étatique de répression, (lequel aurait dû être dirigé seulement contre les classes dépossédées) et les organisations de classe du prolétariat qui auraient dû exercer leur contrôle sur la gestion administrative de l'économie. La disparition de ces organismes obligea l'Etat prolétarien, sur la base de la réalisation du programme national, à diriger ses organes répressifs aussi bien contre le prolétariat que contre la bourgeoisie, afin d'assurer la marche de l'appareil économique. L'Etat, "fléau inévitable" se retourna contre les ouvriers bien que le maintien nécessaire du "principe d'autorité" pendant la période transitoire n'impliquât nullement l'exercice de la contrainte bureaucratique.

Précisément, le problème consistait à ne pas approfondir le décalage existant entre l'impréparation politique et culturelle du prolétariat même et l'obligation que le cours historique lui imposa d'avoir à gérer un Etat. La solution devait tendre, au contraire, à combler cette contradiction.

Mais avec Rosa Luxembourg nous disons qu'en Russie la question de la vie de l'Etat prolétarien et de l'édification du socialisme ne pouvait être que posée et non résolue. C'est aux fractions marxistes à extraire de la Révolution russe les données essentielles qui permettront au prolétariat, dans le flux des révolutions nouvelles, de résoudre les problèmes de la Révolution mondiale et de l'instauration du communisme.

(A suivre)

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Italienne [15]
  • Courant Communiste International [16]

Questions théoriques: 

  • Communisme [17]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [18]
  • La dictature du prolétariat [19]

Histoire du mouvement ouvrier : la CNT face à la guerre et à la révolution (1914-1919)

  • 5495 lectures

Les quatorze premières années du 20e siècle marquent l'apogée du capitalisme. On les appelait "La Belle Époque". L'économie prospérait sans cesse, les inventions et les découvertes scientifiques s'enchaînaient les unes aux autres, une atmosphère d'optimisme envahissait la société. Le mouvement ouvrier a été contaminé par cette ambiance, ce qui s'exprimait par l'accentuation en son sein des tendances réformistes et des illusions selon lesquelles on pourrait arriver pacifiquement au socialisme à travers des conquêtes successives[1].

Pour toutes ces raisons, l'éclatement de la Première Guerre mondiale a constitué, pour ceux qui vivaient à cette époque, un choc brutal, une énorme décharge électrique. Les doux espoirs d'un progrès ininterrompu qui avaient émoussé les esprits, se sont transformés d'un seul coup en un terrible cauchemar. Une guerre d'une brutalité et d'une étendue inédites apportait de toutes parts ses effets dévastateurs : les hommes tombaient comme des mouches sur les champs de bataille ; le rationnement, l'état de siège, le travail militarisé s'implantaient à l'arrière. L'optimisme débordant s'est transformé en un pessimisme paralysant.

Les organisations prolétariennes se voyaient soumises à une épreuve dramatique. Les événements se sont précipités à une vitesse vertigineuse. En 1913 - malgré les gros nuages des tensions impérialistes - tout semblait rose. En 1914, la guerre éclatait. En 1915 commençaient les premières ripostes contre la guerre. En 1917 la révolution éclatait en Russie. Du point de vue historique, c'est un laps de temps extrêmement court. La conscience prolétarienne, qui n'a pas de réponses toutes faites, ni de recettes toutes prêtes pour faire face à toutes les situations mais qui se base sur une réflexion et un débat en profondeur, se trouvait face à un énorme défi. Les épreuves de la guerre et de la révolution - les deux événements décisifs de la vie contemporaine -se sont présentées successivement dans un délai de trois ans à peine.

Les organisations prolétariennes en Espagne face à l'épreuve de la guerre

Nous avons déjà mis en évidence dans le premier article sur l'histoire de la CNT[2] le retard du capitalisme espagnol et les contradictions qui le tenaillaient. L'Espagne s'est déclarée neutre face à la guerre et certains secteurs du capital national (surtout en Catalogne) ont fait des affaires florissantes en vendant aux deux camps toutes sortes de produits. Cependant, la guerre mondiale a frappé durement les ouvriers et toutes les couches travailleuses, notamment à travers une forte inflation. En même temps, le sentiment élémentaire de solidarité face aux souffrances que subissaient leurs frères des autres pays, a provoqué une forte inquiétude. Tout cela a interpellé les organisations ouvrières.

Cependant, les deux grandes organisations ouvrières qui existaient alors - le PSOE et la CNT - ont réagi de façon très différente. La majorité du PSOE a précipité son intégration définitive à l'État capitaliste. Par contre, la majorité de la CNT s'est orientée vers une position internationaliste et révolutionnaire.

Le Parti socialiste (PSOE) a accéléré sa dégénérescence qui était déjà en cours dans la période précédente[3] : il a pris clairement parti pour la gang de l'Entente (l'axe franco-britannique) et a fait de l'intérêt national sa devise[4]. Avec un cynisme indigne, le rapport du 10e Congrès (octobre 1915) déclarait : "En ce qui concerne la guerre européenne, depuis le début nous suivons le point de vue de Iglesias et des circulaires du comité national : les nations alliées défendent les principes démocratiques contre l'attaque barbare de l'impérialisme allemand et, par conséquent, sans méconnaître l'origine capitaliste et le germe de l'impérialisme et du militarisme qui existaient dans toutes les nations, nous préconisons la défense des pays alliés". Seule une toute petite minorité, assez confuse et timide, a affirmé un point de vue internationaliste. Verdes Montenegro a émis un vote particulier rappelant que "la cause de la guerre est le régime capitaliste dominant et non le militarisme ou la volonté des puissances couronnées ou non couronnées des divers pays" et exigeant que le Congrès "s'adresse aux partis socialistes de tous les peuples en lutte en leur demandant d'accomplir leurs devoirs envers l'Internationale".

La CNT face à la guerre mondiale : une courageuse réponse internationaliste

Quand éclate la guerre mondiale, la CNT est légalement dissoute. Cependant, des sociétés ouvrières de Barcelone maintiennent leur tradition et publient, en mai 1914, un Manifeste contre le militarisme. Anselmo Lorenzo, militant ouvrier survivant de la Première Internationale et fondateur de la CNT, dénonce dans un article posthume[5] la trahison de la social-démocratie allemande, de la CGT française et des Trade Unions anglaises pour "avoir sacrifié leurs idéaux sur l'autel de leurs patries respectives, en niant le caractère fondamentalement international du problème social"[6]. Face à la guerre il comprend que la solution n'est pas "une hégémonie signée par des vainqueurs et des vaincus", mais la renaissance de l'Internationale : "animés par un optimisme rationnel, les salariés qui conservent la tradition de l'Association internationale des Travailleurs, avec son programme historique et intangible, se présentent comme les sauveurs de la société humaine".

En novembre 1914, un autre Manifeste signé par des groupes anarchistes, des syndicats et des sociétés ouvrières de toute l'Espagne développe les mêmes idées : dénonciation de la guerre, dénonciation des deux gangs rivaux, nécessité d'une paix sans vainqueurs ni vaincus qui "ne pourra être garantie que par la révolution sociale" et il se termine par un appel à la constitution urgente d'une Internationale[7].

L'inquiétude et la réflexion face au problème de la guerre conduit le cercle culturel syndicaliste de El Ferrol[8] (Galice) à lancer, en février 1915, un appel "à toutes les organisations ouvrières du monde pour organiser un congrès international" contre la guerre.

Les organisateurs n'ont pas réussi à se donner les moyens de réaliser cette proposition, les autorités espagnoles ont interdit immédiatement la tenue du Congrès et ont pris des dispositions pour arrêter les délégués étrangers. De plus, le PSOE a lancé une campagne féroce contre cette initiative. Cependant, le Congrès a réussi à se réunir, malgré tout, le 29 avril 1915 avec la participation de délégués anarcho-syndicalistes en provenance du Portugal, de la France et du Brésil[9].

Une deuxième cession a pu être organisée. La discussion sur les causes et la nature de la guerre fut très pauvre : on rendait "tous les peuples" responsables de celle-ci[10] et on mentionnait formellement la méchanceté du régime capitaliste. Tout était centré sur "que faire ?". Sur ce terrain, il était proposé "comme moyen pour mettre fin à la guerre européenne l'approbation de la grève générale révolutionnaire".

On n'a pas tenté de comprendre les causes de la guerre d'un point de vue historique et mondial, il n'y a pas eu non plus d'effort pour comprendre la situation du prolétariat mondial et de quels moyens il disposait pour lutter contre la guerre. On ne faisait confiance qu'au volontarisme activiste de l'appel à la "grève générale révolutionnaire". En dépit de ces faiblesses, le Congrès est parvenu à des conclusions très concrètes. Une campagne énergique contre la guerre fut organisée qui s'est exprimée dans de nombreux meetings, des démonstrations de rue et des manifestes ; un appel a été lancé pour la constitution d'une Internationale ouvrière "dans le but d'organiser tous ceux qui luttent contre le Capital et l'État" ; et, surtout, a été pris la décision de reconstituer la CNT qui, effectivement, s'est réorganisée en Catalogne à partir d'un noyau de jeunes participants au Congrès de Ferrol qui ont décidé de reprendre la publication de la Soli (Solidaridad Obrera -"Solidarité ouvrière"- l'organe traditionnel de la Confédération). A l'été 1915, la CNT compte déjà 15 000 militants qui, par la suite, augmentent de manière spectaculaire.

Il est très significatif que la force ayant impulsé la reconstitution ait été l'opposition à la guerre. L'activité centrale de la CNT dans cette période était la lutte contre la guerre en lien avec le soutien enthousiaste aux luttes revendicatives qui se multipliaient depuis la fin de 1915.

La CNT manifeste une claire volonté de discussion et une grande ouverture face aux positions des Conférences de Zimmerwald et de Kienthal qui sont saluées avec enthousiasme. Elle discute et collabore avec les groupes socialistes minoritaires qui, en Espagne, s'opposent à la guerre. Il y a un grand effort de réflexion pour comprendre les causes de la guerre et les moyens de lutter contre celle-ci. Face aux visions idéalistes et basées sur l'idée que "tous les peuples sont coupables" qui s'étaient exprimées à Ferrol, les éditoriaux de la Soli sont beaucoup plus clairs : ils insistent sur la culpabilité du capitalisme et de ses gouvernements, ils soutiennent les positions de la Gauche de Zimmerwald (Lénine) et signalent que "les classes capitalistes alliées veulent que la paix soit due à une victoire militaire ; nous et tous les travailleurs, que la fin de la guerre soit imposée par le soulèvement du prolétariat des pays en guerre."("Sobre la paz dos criterios" ("Deux critères sur la paix"), Solidaridad Obrera , juin 1917).

Il est très important qu'ait eu lieu au sein de la CNT cette polémique très ferme contre les positions favorables à la participation à la guerre émanant du secteur de l'anarchisme dirigé par Kropotkine et Malato (auteurs du fameux Manifeste des 16 où est préconisé le soutien au gang de l'Entente) et qu'une minorité soutenait au sein même de la CNT. La Soli et Tierra y Libertad se prononcent clairement contre le Manifeste des 16 et réfutent systématiquement ses positions. La CNT rompt clairement avec la CGT française, dont la position est qualifiée d' "orientation tordue, qui n'a pas répondu aux principes internationalistes".

En 1916, un éditorial de la Soli réaffirme catégoriquement le principe internationaliste : "Quel est le nerf de l'internationalisme ? Karl Marx et Michel Bakounine nous l'ont présenté dans toute sa robustesse. Nous le défendons sans nous préoccuper des conséquences et nous comprenons qu'après la guerre, les principes de l'internationalisme redeviendront le stimulant de la Révolution Sociale (...) Nous, les ouvriers espagnols, nous avons plus d'affinité avec les ouvriers de France, d'Allemagne, de Russie, etc. qu'avec la bourgeoisie compatriote. Celle-ci est notre ennemie, pour laquelle nous ne faisons pas de quartier, et le prolétariat des autres pays, pour défendre des intérêts et des aspirations identiques aux nôtres, est notre allié, notre compatriote dans l'Internationale qui se donne pour but la disparition du régime capitaliste (...). Nous ne pouvons avoir aucune solidarité avec l'État, même pour défendre l'intégrité nationale".(cité par A. Bar, pages 433-4).

La CNT face à la révolution russe

La révolution de février 1917, bien qu'elle ait été considérée comme de nature bourgeoise, fut saluée avec joie : "Les révolutionnaires russes n'ont pas abandonné les intérêts du prolétariat qu'ils représentaient, entre les mains des capitalistes comme l'ont fait les socialistes et les syndicalistes des pays alliés" ; il a été souligné l'importance du "Soviet, c'est-à-dire, le Conseil des ouvriers et des soldats", qui a opposé son pouvoir à celui de la bourgeoisie représentée par le Gouvernement provisoire, de façon telle que celle-ci "a dû capituler, lui [au Soviet] reconnaître une personnalité propre, accepter sa participation directe et effective... La véritable force réside dans le prolétariat".[11]

Les soviets sont identifiés aux syndicats révolutionnaires : "Les Soviets représentent aujourd'hui en Russie ce qu'étaient les fédérations ouvrières en Espagne, bien que leur composition soit plus hétérogène que celles-ci, puisqu'ils ne sont pas des organismes de classe bien que la majorité de leurs composants soient ouvriers et dans lesquels ont une influence prépondérante ceux qu'on appelle maximalistes, anarchistes, pacifistes, qui suivent Lénine et Maxime Gorki" (Buenacasa dans la Soli, novembre 1917). Comme nous le verrons dans un prochain article, cette identification entre soviets et syndicats révolutionnaires eut des conséquences négatives ; cependant le plus important est que la forme soviet ait été perçue comme l'expression de la force révolutionnaire du prolétariat international. Le 5e Congrès national des Agriculteurs[12] qui se tint en mai 1917 déterminait clairement la perspective : "le capitalisme et l'État politique se précipitent vers leur ruine ; la guerre actuelle, en provoquant des mouvements révolutionnaires comme celui de Russie et d'autres qui vont lui succéder de façon inévitable, accélère leur chute".

La Révolution d'Octobre a provoqué un énorme enthousiasme. Elle était vue comme un véritable triomphe du prolétariat. Tierra y Libertad affirmait, dans son numéro du 7 novembre 1917, que "les idées anarchistes ont triomphé" et, dans celui du 21 novembre, que le régime bolchevique était "guidé par l'esprit anarchiste du maximalisme". La réception, dans cette période, du livre de Lénine L'État et la Révolution a suscité une étude très attentive qui tirait la conclusion que cette brochure "établissait un pont intégrateur entre le marxisme et l'anarchisme". La Soli affirme dans un éditorial que Octobre est "le chemin à suivre" : "Les russes nous montrent le chemin à suivre. Le peuple russe triomphe : nous apprenons de ses actes pour triompher à notre tour, en arrachant par la force ce qu'on nous refuse et ce qu'on nous a pris".

Buenacasa, un remarquable militant anarchiste de l'époque, rappelle dans son ouvrage El movimiento obrero espanol 1886-1926 ("Le mouvement ouvrier espagnol "), édité à Barcelone, 1928 : "Qui en Espagne -étant anarchiste - a dédaigné pour lui-même le qualificatif de Bolchevik ?" Dans le but de faire le bilan d'une année de révolution, la Soli publie en première page rien moins qu'un article de Lénine dont le titre est "Un an de dictature prolétarienne : 1917-1918. L'œuvre sociale et économique des Soviets russes", accompagné d'une note de la Soli dans laquelle est défendue la dictature du prolétariat, signalant l'importance du travail transformateur "que les ouvriers russes ont réalisé dans tous les domaines de la vie en un an seulement, lesquels sont les maîtres du pouvoir", et les Bolcheviks y sont également qualifiés de héros : "Idéalistes sincères, mais hommes pratiques et réalistes à la fois, le moins que nous puissions désirer c'est qu'en Espagne se produise une transformation au moins aussi profonde qu'en Russie, et pour cela il est nécessaire que les travailleurs espagnols, manuels et intellectuels, suivent l'exemple de ces héros bolcheviques" (Soli, 24 novembre 1918) ; il est ajouté, dans un article d'opinion, que "le bolchevisme représente la fin de la superstition, du dogme, de l'esclavage, de la tyrannie, du crime (...) Le bolchevisme, est la nouvelle vie à laquelle nous aspirons ; c'est la paix, l'harmonie, la justice, l'équité, c'est la vie que nous désirons et que nous imposerons dans le monde". (J. Viadiu, "Bolcheviks ! Bolcheviks !", dans Soli , 16 décembre 1918).

Tierra y Libertad, en décembre 1917, en vient même à écrire qu'une révolution, du fait de la nécessité d'une confrontation violente, exige des "dirigeants et de l'autorité".

Afin qu'il n'y ait aucun doute sur le fait qu'il s'agissait de la position officielle de la CNT, le livre de Bar cité précédemment fait référence à un Manifeste, publié par le Comité national de la CNT à l'occasion de la fin de la guerre mondiale, intitulé : "La paix et la révolution", qui avait comme sous-titre une consigne de Lénine - "Seul le prolétariat doit être maître du pouvoir" (12 novembre 1918) - dans lequel il était mis en avant que la révolution russe avait aboli la propriété privée, l'exploitation de l'homme par l'homme et avait établi les lois du communisme, la liberté et la justice (page 445).

Dès le début de la révolution, la CNT a reconnu la vague révolutionnaire internationale et a pris parti en faveur de la formation d'une Internationale qui dirigerait la révolution mondiale : "Brisée par la trahison d'une grande partie de ses représentants les plus significatifs, les Première et Seconde Internationale, il faut former la Troisième, à partir de puissantes organisations exclusivement de classe, pour mettre fin, par la révolution, au système capitaliste et à son fidèle soutien, l'État"(Soli, octobre 1918) et dans le Manifeste : "L'Internationale ouvrière, et personne d'autre, doit être celle qui a le dernier mot, celle qui donnera l'ordre et fixera la date de la poursuite de la guerre sociale sur tout le front contre le capitalisme universel, déjà triomphante en Russie et qui s'étendra aux empires centraux. Le tour de l'Espagne viendra aussi. Fatalement pour le capitalisme".

De la même façon, la CNT a suivi avec le plus grand intérêt les événements révolutionnaires en Allemagne : elle dénonçait la direction social-démocrate comme des "opportunistes, centristes et socialistes nationalistes", en même temps qu'elle saluait "l'idéologie maximaliste de Spartacus" comme "une projection de celle qui triomphait en Russie et dont l'exemple, comme celui de Russie, était quelque chose qu'il fallait imiter en Espagne". Le Manifeste de la CNT se référait effectivement aussi à la révolution en Allemagne : "Regardons la Russie, regardons l'Allemagne. imitons ces champions de la Révolution prolétarienne".

Il est important de noter les débats très intenses au Congrès de la CNT de 1919 qui a discuté séparément deux rapports, l'un sur la révolution russe et l'autre sur la participation à l'IC.

Le premier rapport affirme : "Que la révolution russe incarne, en principe, l'idéal du syndicalisme révolutionnaire. Qu'elle a aboli les privilèges de classe et de caste en donnant le pouvoir au prolétariat, afin qu'il puisse lui-même se procurer le bonheur et le bien-être auxquels il a droit indiscutablement, en instaurant la dictature prolétarienne transitoire afin d'assurer la conquête de la révolution ; (...) [Le Congrès devrait déclarer la CNT unie à celle-ci] inconditionnellement, en la soutenant dans toute la mesure de ses moyens moraux et matériels"[13]. (cité dans A. Bar, page 526).

Un des rapporteurs sur la révolution russe fut très tranchant : "La révolution russe incarne l'idéal du syndicalisme révolutionnaire qui est de donner le pouvoir, tous les éléments de la production et de la socialisation de la richesse au prolétariat ; je suis absolument d'accord avec l'action révolutionnaire russe ; les actes ont plus d'importance que les mots. Une fois que le prolétariat s'est rendu maître du pouvoir, tout ce qu'il aura décidé sera réalisé dans ses différents syndicats et assemblées". Autre intervention : "Je me propose de démontrer que la révolution russe, en adoptant dès la seconde révolution d'Octobre une réforme complète de son programme socialiste, est d'accord avec l'idéal qu'incarne la CNT espagnole".

De fait, comme le dit Bar : "Contre la révolution russe, il n'y a pas eu une seule manifestation ; absolument toutes les interventions se sont exprimées sur des tons admiratifs et laudatifs envers l'action révolutionnaire russe... La grande majorité des interventions se sont exprimées clairement en faveur de la révolution russe, soulignant l'identité existant entre les principes et les idéaux de la CNT et ceux incarnés par cette révolution ; le rapport lui-même s'était exprimé dans ce sens".

Cependant, il n'y avait pas la même unanimité sur la question de l'adhésion à l'Internationale communiste que beaucoup hésitaient à considérer comme le prolongement de la révolution russe et comme un instrument de son extension au niveau mondial et qu'ils considéraient a priori comme un organisme "autoritaire". Le rapport sur l'adhésion à l'IC lui-même préconisait une Internationale syndicaliste et considérait que l'IC "bien qu'adoptant les méthodes de lutte révolutionnaires, poursuit des buts fondamentalement opposés à l'idéal anti-autoritaire et décentralisateur dans la vie des peuples proclamé par la CNT".

Concernant l'adhésion à l'IC, le Congrès était divisé. Il y avait trois tendances fondamentales :

- la première, syndicaliste "pure", considérait l'IC comme un organe politique et bien qu'elle ne lui fût pas hostile, elle préférait organiser une "Internationale syndicaliste révolutionnaire". Segui - militant qui avait un poids très important dans la CNT de l'époque - sans s'opposer à l'entrée dans celle-ci, voyait plutôt cette entrée comme un "moyen tactique" : "nous sommes partisans de l'entrée dans la Troisième Internationale parce que cela cautionnera notre conduite dans l'appel que la CNT d'Espagne va lancer aux organisations syndicales du monde pour constituer la véritable, l'unique, l'authentique Internationale des travailleurs" (cité dans A. Bar, page 531).

- la seconde tendance se prononçait de façon décidée pour l'entrée dans l'IC et était défendue par Arlandis Buenacasa et Carbo qui considéraient l'Internationale comme le produit et l'émanation de la révolution russe[14].

- la troisième, plus anarchiste, était partisane de collaborer fraternellement mais considérait que l'IC ne partageait pas les principes anarchistes.

La motion approuvée finalement par le Congrès disait :

"Au Congrès :

Le Comité National, comme résumé des idées exposées par les différents camarades qui ont pris la parole dans la session du 17 en se référant au thème de la révolution russe, propose :

Premièrement, que la Confédération Nationale du Travail se déclare un ferme défenseur des principes de la Première Internationale, soutenus par Bakounine.

Deuxièmement, elle déclare adhérer, et provisoirement, à la Troisième Internationale pour le caractère révolutionnaire qui y préside, tandis que s'organise et se tient le Congrès international en Espagne qui doit jeter les bases devant régir la véritable Internationale des travailleurs.

Le Comité Confédéral. Madrid, 17 décembre 1919."[15]

Éléments de bilan

Ce survol nécessairement rapide de la réaction de la CNT face à la Première Guerre mondiale et à la première vague révolutionnaire mondiale démontre de façon frappante la profonde différence entre la CGT française anarcho-syndicaliste et la CNT espagnole de l'époque : alors que la CGT sombre dans la trahison en soutenant l'effort de guerre de la bourgeoisie, la CNT travaille pour la lutte internationaliste contre la guerre et se déclare partie prenante de la révolution russe.

En partie, cette différence est le résultat de la situation spécifique de l'Espagne. Le pays n'est pas impliqué directement dans la guerre, et la CNT n'est donc pas confrontée directement au besoin de prendre position face à l'invasion par exemple ; de même, la tradition nationale en Espagne est évidemment beaucoup moins forte qu'en France où même les révolutionnaires ont tendance à être obnubilés par les traditions de la Grande Révolution française. On peut comparer la situation espagnole à celle de l'Italie qui n'est pas impliquée dans la guerre dès 1914 et où le Parti socialiste reste majoritairement sur des positions de classe.

De même, et contrairement à la CGT française, la CNT n'est pas un syndicat bien établi dans la légalité qui risque de perdre ses fonds et son appareil à cause des mesures d'exception prises en temps de guerre. On peut ici faire un parallèle avec les Bolcheviks en Russie, également aguerris par des années de clandestinité et de répression.

L'internationalisme sans compromis de la CNT en 1914 est la démonstration éclatante de sa nature prolétarienne à l'époque. De même, face à la révolution en Russie et en Allemagne, ce qui la distingue est la capacité d'apprendre du processus révolutionnaire et de la pratique de la classe ouvrière elle-même, à un point qui peut étonner aujourd'hui. Ainsi la CNT prend clairement position pour la révolution sans essayer d'imposer les schémas organisationnels du syndicalisme révolutionnaire (la révolution russe "incarne, en principe, l'idéal du syndicalisme révolutionnaire") ; elle reconnaît la nécessité de la dictature du prolétariat et se range fermement et explicitement du côté des Bolcheviks. A partir de cette position, il ne fait aucun doute qu'elle a collaboré loyalement et discuté avec un esprit ouvert avec les organisations internationalistes en laissant de côté toute considération sectaire. Les militants de la CNT n'ont pas regardé la révolution russe à travers le prisme du mépris pour le "politique" ou "l'autoritaire" mais en sachant apprécier à travers elle le combat collectif du prolétariat. Ils ont exprimé cette attitude avec un esprit critique sans renoncer en aucune façon à leurs propres convictions. Le comportement prolétarien de la CNT dans la période de 1914-1919 constitue sans aucun doute un des meilleurs apports qui ont émané de la classe ouvrière en Espagne.

Néanmoins, on peut distinguer certaines faiblesses spécifiques au mouvement anarcho-syndicaliste qui pèseront sur le développement ultérieur de la CNT et sur son engagement aux côtés de la révolution en Russie. Il faut souligner que la CNT en 1914 se trouve essentiellement dans la même situation que Monatte, de l'aile internationaliste de la CGT française. Ni les anarcho-syndicalistes, ni les syndicalistes révolutionnaires n'ont réussi à bâtir une Internationale au sein de laquelle pouvait surgir une gauche révolutionnaire comparable à la gauche de la social-démocratie autour de Lénine et de Luxemburg notamment. La référence à l'AIT est une référence historique à une période révolue, qui n'est plus vraiment de mise dans la nouvelle situation. En 1919, la seule Internationale qui existe, c'est la nouvelle Internationale communiste. Le débat dans la CNT sur l'adhésion à l'IC et, notamment, la tendance à lui préférer une Internationale syndicale qui en 1919 n'existait pas (une Internationale syndicale rouge allait être créée en 1921 dans une tentative de concurrencer les syndicats qui avaient soutenu la guerre), sont indicatifs du danger du rejet doctrinaire par les anarchistes de tout ce qui ressemble à la "politique".

La CNT dans la période de 1914-1919 répondit clairement à partir d'un terrain internationaliste et d'ouverture à l'Internationale communiste (avec l'impulsion active, comme nous venons de le voir, de militants remarquables et de groupes anarchistes). Face à la barbarie de la guerre mondiale qui révélait la menace dans laquelle le capitalisme enfonce l'humanité, face au début de la réponse prolétarienne à la barbarie avec la révolution russe, la CNT a su être avec le prolétariat, avec l'humanité opprimée, avec la lutte pour la transformation révolutionnaire du monde.

L'attitude de la CNT changea radicalement à partir de la moitié des années 1920, où on a observé un net repli vers le syndicalisme, l'apolitisme, le rejet de l'action politique et une attitude fortement sectaire face au marxisme révolutionnaire. Pire encore, lorsqu'on arrive aux années 1930, la CNT n'est plus l'organisation résolument internationaliste et prolétarienne de 1914, elle est devenue l'organisation qui allait participer au gouvernement de la Catalogne et de la République espagnole et, à ce titre, participer au massacre des ouvriers, notamment lors des évènements de 1937.

Comment et pourquoi ce changement s'est opéré sera l'objet des prochains articles de cette série.

 

RR et CMir (30 mars 2007)

 



[1] La résistance face à cette marée réformiste s'exprimait d'un côté, dans l'aile révolutionnaire de la social-démocratie et, de façon plus partielle, dans le syndicalisme révolutionnaire et également dans des secteurs de l'anarchisme.

 

[2] Revue internationale n°128, "La CNT : naissance du syndicalisme révolutionnaire en Espagne (1910-1913)" [20]

 

[3] Ce n'est pas l'objet de cet article d'analyser l'évolution du PSOE. Cependant, rappelons que ce parti - comme nous l'avions déjà mis en évidence dans le premier article de cette série - était un des plus à droite de la 2e Internationale ; il souffrait d'une forte dérive opportuniste qui l'a précipité dans les bras du capital. La "Conjuncion Republicano-socialista" de 1919, une alliance électorale bancale qui a fourni un siège électoral à son leader, Pablo Iglesias, fut un des moments clef dans ce processus.

 

[4] Fabra Ribas, membre du PSOE critique vis-à-vis de la direction mais clairement belliciste, se lamentait du fait que le capital espagnol ne participerait pas à la guerre : "Si la force militaire et navale de l'Espagne avait une valeur effective, si elle pouvait contribuer avec son aide à la défaite du kaiserisme et si l'armée et la marine espagnoles étaient des institutions vraiment nationales, nous serions de fervents partisans de l'intervention armée avec les alliés". (Extrait de son livre El socialismo y el conflicto europeo ("Le socialisme et le conflit européen"), Valencia, sans date de publication, approximativement à la fin de 1914).

 

[5] Il mourut le 30 novembre 1914.

 

[6] Publié dans l'Almanach annuel de Tierra y Libertad ("Terre et Liberté"), janvier 1915. Tierra y Libertad était une revue anarchiste proche des milieux de la CNT.

 

[7] On peut noter la convergence de ces idées avec celles que défendirent Lénine, Rosa Luxemburg et d'autres militants internationalistes dès le début de la guerre.

 

[8] Ferrol est une ville industrielle, basée sur les chantiers navals et les arsenaux, avec un prolétariat ancien et combatif.

 

[9] Ceux-ci purent seulement assister à la première session car ils furent arrêtés par les autorités espagnoles et expulsés immédiatement.

 

[10]"Que cessent les critiques sur le fait que les socialistes allemands portent la responsabilité, ou les français, que Malato ou Kropotkine étaient des traîtres à l'Internationale. Belligérants et neutres, nous avons notre part de culpabilité dans le conflit pour avoir trahi les principes de l'Internationale". (Texte de convocation du Congrès publié dans Tierra y Libertad, mars 1915).

 

[11] Cité dans A. Bar, La CNT en los anos rojos ("La CNT dans les années rouges"), page 438. Ce livre, que nous avons déjà cité dans le premier article de la série sur l'histoire de la CNT, est assez bien documenté.

 

[12] En étroite relation avec la CNT.

 

[13] Livre de Bar, cité précédemment, page 526.

 

[14] La délégation du syndicat de la métallurgie de Valence déclara : "s'il existe une affinité claire et concrète entre la Troisième Internationale et la révolution russe et que la CNT appuie celle-ci, comment pouvons-nous être séparés de cette Troisième Internationale ?"

 

[15] Il convient d'ajouter que quand, l'été 1920, Kropotkine a envoyé un "Message aux travailleurs des pays d'Europe occidentale", s'opposant à la révolution russe et aux Bolcheviks, Buenacasa (remarquable militant anarchiste auquel nous avons fait référence précédemment) qui était alors l'éditeur de Solidaridad Obrera à Bilbao et un des porte-parole officiels de la CNT, a dénoncé ce "message" et a pris parti pour la révolution russe, les Bolcheviks et la dictature du prolétariat.

 

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [21]

Evènements historiques: 

  • Première guerre mondiale [22]

Courants politiques: 

  • Anarchisme officiel [23]

Approfondir: 

  • Le syndicalisme révolutionnaire [24]

URL source:https://fr.internationalism.org/rint/129

Liens
[1] https://fr.internationalism.org/ri367/greves.htm [2] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/question-nationale [3] https://fr.internationalism.org/rinte89/asiatique.htm [4] https://fr.internationalism.org/rinte60/decad.htm [5] https://fr.internationalism.org/content/revue-int-1995-80-a-83 [6] https://fr.internationalism.org/series/200 [7] https://fr.internationalism.org/icconline/2005_banlieues_emeutes.htm [8] https://fr.internationalism.org/rinte119/piqueteros.htm [9] https://fr.internationalism.org/isme/326/vigo [10] https://fr.internationalism.org/ri374/coree.html [11] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci [12] https://fr.internationalism.org/tag/5/232/coree [13] https://fr.internationalism.org/rint128/Mitchell_periode_de_transition_communisme.htm [14] https://fr.internationalism.org/rinte106/communisme.htm [15] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/gauche-italienne [16] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international [17] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/communisme [18] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/revolution-proletarienne [19] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/dictature-du-proletariat [20] https://fr.internationalism.org/rint128/CNT_anarcho_syndicalisme_syndicalisme_revolutionnaire.htm [21] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe [22] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/premiere-guerre-mondiale [23] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/anarchisme-officiel [24] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/syndicalisme-revolutionnaire