Publié sur Courant Communiste International (https://fr.internationalism.org)

Accueil > Révolution Internationale - les années 2000 > Révolution Internationale - 2002 - n° 319 à 329 > Révolution Internationale n° 327 - Octobre 2002

Révolution Internationale n° 327 - Octobre 2002

  • 2509 lectures

Révolution Internationale n° 327 - Editorial

  • 2058 lectures


Les bruits de bottes guerrières de la bourgeoisie des pays développés résonnent de plus en plus brutalement sur la planète. La fameuse promesse de 1990 faite par Bush père, et relayée par les médias bourgeois, d'un "nouvel ordre mondial" s'est révélée n'être qu'un cynique mensonge masquant l'ouverture d'une période où c'est la guerre qui est plus que jamais devenue permanente et menaçante pour toute l'humanité. Ce sont ceux qui n'ont dans la bouche que les mots de "paix", "d'humanitaire", de "lutte contre le terrorisme international" et autres vocables lénifiants pour justifier leurs exactions guerrières qui sont en réalité les dignes défenseurs d'un système résolument dirigé vers la destruction de masse d'êtres humains, un système pris dans une fuite en avant inexorable vers la barbarie sans fin. Chaque "règlement" d'un conflit en amène un autre, à une vitesse sans cesse accélérée. Ainsi, la terrible démonstration de force américaine en Afghanistan a eu pour résultat immédiat la déstabilisation aggravée des pays alentour, avec la menace permanente d'un conflit entre deux puissances nucléaires, l'Inde et le Pakistan. A peine cette intervention meurtrière, à laquelle se seraient jointes volontiers les autres puissances occidentales si les Etats-Unis leur en avaient laissées le loisir, est-elle terminée que c'est l'Irak qui est visé, ouvrant la voie à de nouveaux massacres. Car si les grandes puissances sont pour l'instant divisées sur la nécessité de cette intervention, ce n'est nullement de leur part par souci de préserver des vies humaines, mais parce que les intérêts de ces vautours sont de plus en plus aiguisés, irréconciliables et porteurs de nouveaux champs de bataille, même si c'est par puissances secondaires interposées.

Ce sont tous des barbares !

Barbares sont les Bush et Blair qui appellent une nouvelle fois à la croisade anti-Saddam Hussein, onze ans après les massacres en Irak qui ont vraisemblablement fait un demi-million de morts (plus de 200 000 sont officiellement reconnus) dans la population irakienne. Mais tout aussi barbares sont les Etats qui, au sein de l'ONU, n'ont à la bouche, comme la France, que le prétendu respect de la "légalité internationale" pour s'opposer à l'intervention militaire américaine en Irak. Il n'y a dans cette opposition aucune volonté d'éviter à la population irakienne une nouvelle plongée dans l'horreur, mais l'expression des luttes intestines auxquelles se livrent tous ces rapaces. Rappelons-nous qu'à l'époque, avant de participer pleinement et sans réserve à la boucherie, la France, par la voix de Mitterrand, avait été récalcitrante à se plier aux plans américains. De même que, afin de mieux légitimer a posteriori la guerre contre le "sanguinaire tyran" de Bagdad, tous les alliés de la coalition se sont retrouvés d'accord et sans état d'âme pour précipiter les minorités chiite et kurde dans une rébellion qui sera écrasée dans le sang par les troupes d'élite de Saddam Hussein, soigneusement épargnées par les "alliés". Ce dernier n'a en effet rien à leur envier comme massacreur mais son régime de terreur et d'exactions de tous ordres sur la population sert d'autant mieux de justification à l'offensive et aux pressions de l'Amérique en vue d'une intervention "préventive".

Moins de six mois après la fin des bombardements sur l'Irak en mars 1991, ce sont les mêmes requins que l'on a retrouvé aux prises dans le conflit instigué en ex-Yougoslavie par les appétits impérialistes grandissants de l'Allemagne réunifiée qui appelait la Croatie (après la Slovénie) à proclamer son indépendance vis-à-vis du pouvoir de Belgrade. C'est au nom du "droit d'ingérence" et de "l'humanitaire" qu'on pouvait voir France, Grande-Bretagne, Etats-Unis, et Allemagne en catimini, armer et avancer leurs pions locaux respectifs, pendant que se déroulait un génocide dont ces infâmes hypocrites se moquaient éperdument mais sur lequel tous s'appuyaient pour "justifier" leur présence militaire. Pendant huit ans, ils n'ont fait que semer la désolation, la misère et provoquer la mort de centaines de milliers de personnes pour achever leur "œuvre" dans la guerre au Kosovo et en Serbie en 1999, destinée à "sauver" les populations albanaises d'un autre "tyran" tout trouvé, Milosevic, que les Etats-Unis eux-mêmes et surtout la France avaient activement soutenu pendant la "purification ethnique" contre la population bosniaque.

Le Proche-Orient est une autre région mise à feu et à sang. On nous parle du conflit irréductible entre Juifs et Arabes, de la folie aventurière de Sharon et de celle des fractions islamistes radicales comme les "martyrs" d'Al Aqsa, le Hamas ou le Djihad. Bien sûr, autant les uns que les autres sont des crapules cyniques qui embrigadent et fanatisent des prolétaires pour les envoyer au massacre : soldats de Tsahal terrorisés, abreuvés de discours nationalistes, qui tirent même sur des enfants ; kamikazes palestiniens qui se font exploser au milieu de la foule. Mais une fois encore, les premiers responsables du déchaînement de cette horreur quotidienne qui a fait 2500 morts depuis le déclenchement de la deuxième Intifada en septembre 2000, ne sont autres que ceux qui composent le "quartet" (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, ONU) censé servir d'interlocuteur diplomatique entre les différentes fractions en présence pour "trouver une issue" au conflit.

En Afrique, les monstrueux massacres de 1994 au Rwanda, perpétrés sous la houlette de l'Etat français aux prises avec l'avancée des Etats-Unis via le Burundi dans la région des Grands Lacs, ont été le signe indubitable de la plongée définitive de ce continent dans une décomposition irrémédiable. La barbarie sous toutes ses formes constitue le lot commun de tous les pays, comme viennent encore l'illustrer les récents affrontements en Côte d'Ivoire. L'avenir de ce pays c'est la RDC (ex-Zaïre) qui l'indique, la désagrégation totale de toute la société.
Sur toute la planète s'étend le "war game" capitaliste, décadent, décomposé. Massacres innombrables d'êtres humains, déchaînement de la fureur guerrière, montée des pires fanatismes religieux et des haines raciales, misère galopante sur tous les continents, voilà la seule perspective que le capitalisme et sa bourgeoisie qui le défend bec et ongles peuvent offrir aux six milliards d'êtres humains qui peuplent le monde.

Et seul le prolétariat international peut y mettre fin. C'est lui qui a pu mettre fin à la Première Guerre mondiale par le développement de luttes révolutionnaires de même que c'est l'ouverture de ses combats de classe qui, depuis 1968, a empêché le déclenchement d'une troisième guerre mondiale entre les blocs de l'Est et de l'Ouest. C'est la classe ouvrière qui, plus que toute autre partie de la population, paie dans sa chair le prix de la guerre. Des prolétaires sont embrigadés de gré ou de force dans les boucheries auxquelles se livrent les nations capitalistes. Tous subissent l'aggravation de l'austérité et la dégradation des conditions de travail qui sont le prix à payer pour le renforcement des budgets militaires.

C'est en luttant pied à pied contre les attaques de la bourgeoisie, pour la défense de ses conditions de vie et de travail, sur son terrain de classe, celui de la défense de ses revendications en tant que classe exploitée, que le prolétariat prendra conscience de sa force. Et ce n'est qu'en développant son unité internationale et la conscience de sa responsabilité historique face à la guerre et à la barbarie capitaliste qu'il pourra préparer la seule réelle solution aux maux actuels de l'humanité : la destruction du capitalisme par la révolution communiste mondiale.

Mulan (28 septembre)

Récent et en cours: 

  • Guerre en Irak [1]

Questions théoriques: 

  • Guerre [2]

35 heures : une loi qui sert les intérêts de la bourgeoisie

  • 3426 lectures


"Le gouvernement ouvre la voie à un retour aux 39 heures" titre la presse bourgeoise après l'annonce, le 6 septembre, d'un projet de loi du ministre Fillon qui "assouplirait les 35 heures" en augmentant le contingent annuel d'heures supplémentaires. En écho, la CGT, par la voix de son secrétaire général, Bernard Thibault, dénonce "la mise à mort des 35 heures" alors que Seillère, le patron aristocrate, critique la timidité d'un tel projet. Depuis sa mise en place, en 1997, on nous a présenté cette loi Aubry comme un enjeu entre droite et gauche, entre syndicats et patronat. Maintenant que la droite est revenue au pouvoir, contrairement à ce qu'on aurait pu croire, il n'y a aucune intention de la part du gouvernement de remettre en cause la loi Aubry car : "Contrairement aux discours fréquemment repris par les patrons disant que passer aux 35 heures n'est pas possible, ils y arrivent très bien" observe une étude récente de la BNP-Paribas. Alors finalement, cette loi de "réduction de temps de travail", que l'on dit favorable aux travailleurs... arrange bien les patrons, et le patron des patrons, l'Etat. Dans un article de notre précédent numéro de RI, nous avions dénoncé le bilan des mesures sociales de la gauche au gouvernement comme "un bilan globalement positif... pour le capitalisme".

 

Une attaque mise en place par la gauche

Et, s'il y a une loi dont le gouvernement de gauche peut se féliciter, c'est bien celle de la mise en place des 35 heures censées réduire le temps de travail, avec à la clé des promesses du style lutte contre le chômage, création d'emplois et enfin plus de temps libre pour les travailleurs pour se reposer, se détendre et se cultiver. Paroles trompeuses de ces hypocrites, car ce qui les motive ce n'est pas l'intérêt des travailleurs, mais bien l'intérêt du système capitaliste. Dans RI n° 275, nous avions publié la déclaration de l'instigatrice de cette loi, la ministre Aubry, devant un parterre de chefs d'entreprises lors d'un déplacement en Alsace : "Nous n'avons jamais dit 35 heures payées 39. C'est justement ça qu'il ne faut pas faire. Il faut plus de souplesse. Cette réduction du temps de travail doit être l'occasion, comme pour la loi Robien, de réorganiser le travail, de retrouver de la souplesse, d'être plus réactif". Et elle rajoute en parlant des 35 heures : "durée légale ne veut pas dire durée réelle". A l'attention de la classe ouvrière, il s'agit de tenir un autre discours, celui du mensonge, relayé par toutes les forces de gauche et d'extrême gauche du capital. Et pour donner plus de poids à ce mensonge, à cette vaste entreprise de mystification anti ouvrière, les patrons, de leur côté, crient au scandale, décidés à se battre. Au-delà de toute cette mise en scène orchestrée par toutes les forces de la bourgeoisie, cette loi vise à donner un cadre pour appliquer la flexibilité et l'annualisation du temps de travail, déjà mises en place dans de nombreux pays. D'ailleurs certains patrons en France n'avaient pas attendu la loi , comme le témoigne la déclaration du PDG de l'entreprise Colas, leader mondial de la construction de route : "Nous n'avons pas attendu la loi Aubry pour réduire le temps de travail. Bien avant 1998, l'adoption progressive d'une organisation du travail basée sur l'annualisation nous a permis de baisser, dans bon nombre de nos entreprises, après négociations, les volumes des heures de travail. La mise en place de cette organisation annuelle du temps de travail est particulièrement adaptée aux spécificités de nos métiers de travaux publics (saisonalité de l'activité liée aux conditions climatiques et aux carnets de commandes)". Cela montre à quel point il est nécessaire d'adapter la main d'oeuvre aux nécessités économiques du capitalisme, dont la crise exacerbe la concurrence. C'est un ministre de droite, de Robien, en 1996, qui va jeter les bases d'une telle loi, et c'est un gouvernement de gauche qui va l'appliquer en utilisant des armes idéologiques puantes sous le vocable "réduction du temps de travail" ; pourquoi alors la droite irait-elle remettre en cause une telle loi ? Le discours idéologique s'accompagne d'une stratégie sur le terrain pour faire passer une des mesures les plus féroces contre la classe ouvrière. Quelle méthode la bourgeoisie va-t-elle employer ? Car il ne s'agit pas d'attaquer de front l'ensemble de la classe ouvrière, ceci risquerait d'unir les revendications derrière des intérêts généraux partagés par tous les secteurs. Tout d'abord il y a distribution des rôles pour obtenir un dispositif bien huilé afin de tromper les ouvriers : le gouvernement, auteur de la loi et arbitre dans les négociations, leurs complices syndicaux "défenseurs des ouvriers et des 35 heures", le méchant patronat qui ne veut pas entendre parler de réduction de temps de travail. Tout doit se jouer alors dans les négociations, le résultat va dépendre du rapport de force local, à savoir au niveau de la branche, du secteur, de l'entreprise. Car il s'agit d'enfermer l'attaque dans le cadre le plus restreint possible. Les ouvriers ne sont plus confrontés à la même offensive de toute la bourgeoisie, mais uniquement à la mauvaise volonté de leur patron. Les intérêts de l'entreprise A ne sont plus forcément les mêmes que ceux de l'entreprise B. La classe ouvrière est divisée et enfermée dans le corporatisme. Tous les ouvriers touchés subissent la même attaque contre leurs conditions de travail et sur les salaires, mais alors que tout vient d'une seule et même loi, la bourgeoisie maquille son offensive en la saucissonnant avec des milliers de négociations, donnant l'impression que chaque entreprise met en place un dispositif différent. C'est le même scénario lorsqu'il s'agit de passer aux 35 heures dans la Fonction Publique dont l'Etat est le patron. Ce sont les ministres qui jouent le rôle du méchant patron, et Allègre, ministre de l'Education Nationale il y a deux ans, s'est particulièrement bien illustré. C'est après une campagne médiatique particulièrement répugnante, où les 5 millions de fonctionnaires étaient accusés de ne pas travailler plus de 30 heures, ce qui est une façon de dresser les ouvriers les uns contre les autres, que l'Etat patron de gauche a pu ouvrir les négociations sur les 35 heures. Et le gouvernement de gauche, comme n'importe quel patron, va utiliser les critères de rentabilité, d'efficacité, de qualité des services, ce qui est loin du langage démagogique et mensonger qu'il avait utilisé lorsque, avec son relais syndical, il déclarait que la loi est bonne, mais ce sont les patrons qui l'utilisent pour leur intérêt. Et là aussi, les négociations se feront atelier par atelier, établissement par établissement, bureau par bureau. Et là aussi les ouvriers seront confrontés au blocage des salaires, aux suppressions de postes, à des horaires de plus en plus contraignants, à une augmentation de la productivité. Et lorsque des ouvriers tenteront de riposter comme à la Poste ou à la SNCF, ils seront incapables de briser le cordon sanitaire établi par les syndicats afin d'éviter toute extension. La bourgeoisie a bien manoeuvré ! Les ouvriers dans leur ensemble n'ont pas perçu une telle attaque comme une attaque frontale, les empêchant donc d'agir de manière massive.

Une énorme mystification idéologique

Alors qu'en est-il de cette fameuse "réduction du temps de travail" ? Ce terme est une vaste supercherie, le contingent d'heures supplémentaires mis en place par la gauche et repris par la droite, fait monter les heures de travail bien au-delà des 35 heures : dans la métallurgie et dans d'autres branches, les semaines s'étalent jusqu'à 39 heures, voire plus comme dans l'hôtellerie où cela peut atteindre 41 heures, et le pire c'est dans l'agro-alimentaire. Qu'on en juge : un contingent de 220 heures supplémentaires par an dans la charcuterie, 318 dans la boucherie ou 320 dans la pâtisserie ! Mais de plus, flexibilité oblige, certains salariés sont contraints de venir travailler le samedi. Et la bourgeoisie peut remercier ses syndicats qui ont signé tous ces accords de branche. Il y a bien sûr certains ouvriers qui bénéficient de jours de repos supplémentaires, mais il ne leur est possible de les prendre qu'en fonction des besoins de l'entreprise ; il arrive donc que certains les perdent. Car voilà le maître mot de la bourgeoisie de gauche et de droite, il s'agit d'aménagement du temps de travail afin que le travailleur soit pieds et poings liés aux besoins de l'entreprise. C'est ainsi qu'il s'agit de faire la chasse aux temps morts sur les lieux de production, de fliquer les horaires, d'exploiter au maximum les ouvriers. Les 35 heures étaient censées lutter contre le chômage, la gauche se vante aujourd'hui d'avoir créé près de 2 millions d'emplois. Quel mensonge quand on voit aujourd'hui le chômage grimper, les départs à la retraite dans la Fonction Publique qui ne sont pas remplacés. Ces "emplois" créés sont surtout des emplois à temps partiel (de 7,7% en 1997 à 14,7% fin 2000), des intérimaires (1997 : 330 169, fin 2001 : 605 238), sans compter les milliers de CDD, CES ou autres emplois bidons. Mais ce qui est le plus frappant du décalage entre le discours de la bourgeoisie et la réalité vécue par les ouvriers, c'est le manque d'effectifs dans les entreprises ou dans le secteur public.
En fait, un des objectifs de la flexibilité est de rendre la force de travail ouvrière moins chère et plus productive : dans de nombreuses entreprises le taux de productivité a augmenté de 48 % en 2001 et 40 % en 2002. Ce qui génère une dégradation très forte des conditions de travail multipliant les accidents de travail, les dépressions, les maladies.
Quant aux salaires, ils ont carrément baissé. Ainsi en 2000 la masse salariale a diminué de 0,2 point par rapport à 1999. Sans parler du développement de la précarité qui entraîne un développement de la pauvreté : en 2001 on recense 1,7 millions de travailleurs pauvres contre 1,3 millions en 1996, et encore ce sont les chiffres que la bourgeoisie veut bien nous donner. Et quand de "nombreux ouvriers voudraient faire des heures supplémentaires pour améliorer leur salaire", ils se font carrément escroquer : celles-ci ne sont plus majorées que de 10% au lieu de 25% jusqu'à présent, une mesure qui était déjà envisagée par la gauche.
La gauche a promis un débat sur les 35 heures cet automne afin de dénoncer le gouvernement dans la remise en cause de la loi Aubry qu'elle défendra à tout prix ! ! Elle veut continuer à instiller son poison idéologique dans la tête des ouvriers pendant que Raffarin et consorts, dans la continuité de la loi Aubry, généralisent à l'ensemble du monde ouvrier l'annualisation et la flexibilisation du temps de travail, ce qu'aurait fait la gauche si elle était restée au pouvoir.

Antoine

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [3]

Inondations : le capitalisme détruit la planète

  • 2651 lectures


Août 2002 : depuis la Russie jusqu'en Europe centrale, des pluies interminables font gonfler les fleuves. Depuis les rives de la mer Noire jusqu'aux régions de l'Allemagne de l'Est, la Bavière, la République Tchèque, l'Autriche se trouvent noyées par les eaux débordées de l'Elbe, du Danube et de leurs affluents. Les inondations ont touché les campagnes, les grandes et les petites villes. On a dû évacuer plus de 100 000 personnes à Dresde. Des quartiers entiers sont dévastés à Prague, à Vienne. En Hongrie, à Budapest, le Danube n'avait jamais atteint, de mémoire d'homme, un tel niveau et les évacuations de populations une telle ampleur. Ponts de chemins de fer détruits, complexes chimiques menacés, les pertes pourraient atteindre le chiffre pharamineux de 20 milliards d'euros. Et surtout, les morts se comptent par dizaines un peu partout.
Septembre 2002 : une gigantesque montagne d'eau descend des Cévennes, dévastant tout ce qui se trouve sur son passage dans le Sud-Est de la France. Une véritable bombe liquide a tout fait exploser sur son passage. Bilan: une quarantaine de morts, ponts effondrés, chemins de fer, autoroutes, lignes téléphoniques coupés. Toute une région couvrant trois départements transformée en marécage. Des vies perdues, des pertes énormes dans toutes les activités.
Cette catastrophe s'est produite dans une région particulièrement meurtrie par les inondations : Nîmes, Vaison-la-Romaine, l'Aude. Depuis plus de dix ans, les catastrophes se sont succédées sans relâche, à chaque fois plus meurtrières, plus destructrices. De violents orages "tout à fait exceptionnels", disent les experts, et qui en fait le deviennent de moins en moins.
 

La bourgeoisie détruit la planète

En effet, que ce soit les inondations "lentes" des plaines d'Europe centrale, que ce soit celles de la Méditerranée après celles de la Somme l'an dernier, il devient de plus en plus difficile pour les gouvernements de cacher un fait : ces catastrophes se multiplient et sont devenues, et c'est le plus inquiétant, de plus en plus meurtrières. Il y a encore quelques années, on pouvait entendre les experts nous parler de "la mémoire courte" des humains concernant le climat. En fait, depuis quelques années, les inondations se sont constamment amplifiées sur tous les continents, de la Chine à l'Amérique Latine.

La nature a bon dos. Lors des inondations de la Somme en 2001 (voir le n° 312, mai 2001 de RI), on nous a dit par exemple que la catastrophe était due à la nature du sol. Mais c'est le capitalisme, dans sa gestion totalement anarchique des resources naturelles qui en est responsable : modifications à répétition des lits des fleuves pour qu'ils deviennent des autoroutes pour le transport fluvial, crues qui ne trouvent plus d'expansion plus ou moins naturelle, mais qui deviennent obligatoirement des trombes d'eau lancées dans des lits artificiels et emportent tout ce qu'elles trouvent sur leur chemin ; haute montagne dépouillée de son manteau forestier par les activités humaines incontrôlées et les pluies acides qui envoient des quantités immenses d'eau vers les ruisseaux et les rivières, les transformant en torrents meurtriers. La terre a de moins en moins de surface perméable pour absorber les masses d'eau qui dévalent. A tout cela s'ajoute un urbanisme incontrôlé, qui pourrait apparaître comme une spécialité du Tiers-Monde: après celles de la Somme, les inondations du Sud de la France ont montré la quantité de constructions faites dans des zones inondables. Pas seulement des maisons d'habitation, mais aussi des équipements collectifs comme des écoles et même… une caserne des pompiers ! Comme on a pu le voir avec l'explosion d'AZF à Toulouse, pendant des années, on a construit en dépit du bon sens, dans les lieux qu'on savait potentiellement dangereux.

La vraie catastrophe c'est le capitalisme

La bourgeoisie dit toujours qu'elle va tirer des leçons. Elle souhaite "une vraie réflexion locale et nationale pour que l'on puisse tirer les leçons" de cette catastrophe. Le maire de Sommières (bourg médiéval régulièrement inondé qui vient de connaître sa plus forte crue) demande que "l'Etat réfléchisse une bonne fois pour toutes aux équipements à mettre en place pour faire face à ces intempéries". La bourgeoisie a bien eu le temps de réfléchir, de mettre en place des normes encore plus strictes pour l'occupation des sols (POS), pour la prévention des risques, plus d'alertes météo, etc. Rien n'y fait. Il y en a même qui, comme Bush, proposent de… raser les forêts pour éviter le feu. Mais, dans toute sa sinistre stupidité, la proposition de Bush est un bon raccourci de toutes les propositions que font les différentes fractions de la bourgeoisie face aux catastrophes "naturelles": ne montrer du doigt qu'un aspect du problème pour qu'on ne voie pas le problème véritable.

Il en est ainsi du réchauffement de la planète sur lequel nombre de ces charlatans et défenseurs de la classe dominante disent ne pas pouvoir se prononcer, tout simplement pour ne pas incriminer la classe bourgeosie et son système capitaliste, pour masquer sa responsabilité dans les dérèglements climatiques, résultant de la pollution atmosphérique et des gaz à effet de serre.
Plus le capitalisme, basé sur le profit et la rentabilité et non sur la satisfaction des besoins humains, s'enfonce dans sa propre décomposition, moins il est capable de maîtriser les formidables forces technologiques qu'il a développées pour maîtriser la nature. Et si aujourd'hui la nature "reprend ses droits", c'est bien parce que le mode de production bourgeois n'est plus capable de dominer la nature, d'apporter le moindre progrès, la moindre perspective d'avenir à l'humanité. Face à toutes les balivernes de la bourgeoisie, seuls les marxistes (qui, eux ne croient ni en Dieu, ni en la "fatalité", ni au mythe de la "revanche de la nature sur la culture") sont en mesure d'apporter une explication scientifique et rationnelle permettant de dénoncer le vrai responsable des catastrophes dites "naturelles". Seul le marxisme peut donner une perspective d'avenir à l'humanité face à l'impasse du capitalisme dévoilée par l'impuissance et la perplexité des "experts" de l'Etat bourgeois devant le caractère "atypique" de telles inondations.

  • "A mesure que le capitalisme se développe puis pourrit sur pied, il prostitue de plus en plus cette technique qui pourrait être libératrice à ses besoins d'exploitation, de domination et de pillage impérialiste, au point d'en arriver à lui transmettre sa propre pourriture et à la retourner contre l'espèce (...) C'est dans tous les domaines de la vie quotidienne des phases "pacifiques" qu'il veut bien nous consentir entre deux massacres impérialistes ou deux opérations de répression que le capital, aiguillonné sans trêve par la recherche d'un meilleur taux de profit, entasse, empoisonne, asphyxie, mutile, massacre les individus humains par l'intermédiaire de la technique prostituée (...) Le capitalisme n'est pas innocent non plus des catastrophes dites "naturelles". Sans ignorer l'existence de forces de la nature qui échappent à l'action humaine, le marxisme montre que bien des catastrophes ont été indirectement provoquées ou aggravées par des causes sociales. S'il pleut sans arrêt (ou pas du tout) pendant plusieurs semaines, c'est effectivement aujourd'hui un fait "naturel" ; mais s'il en résulte une inondation (ou une sécheresse), c'est là un fait social (...) Non seulement la civilisation bourgeoise peut provoquer directement ces catastrophes par sa soif de profit et par l'influence prédominante de l'affairisme sur la machine administrative (cf. le rôle du déboisement dans les inondations ou, comme il n'y a pas si longtemps en France, la construction d'habitations dans des zones d'avalanches ou d'inondations), mais elle se révèle incapable d'organiser une protection efficace dans la mesure où la prévention n'est pas une activité rentable." (A. Bordiga, Espèce humaine et croûte terrestre)

Aussi, la lutte contre la destruction de l'environnement est au plus haut point politique, et il n'appartient qu'au prolétariat international de pouvoir trancher la question du danger mortel que porte en lui le système capitaliste et sa perpétuation pour toute l'humanité : par la révolution mondiale.

CP (27 septembre)

Géographique: 

  • Tsunami [4]

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en France [3]

Le mouvement ouvrier et la question de l'oppression de la femme

  • 3075 lectures

 


 
Nous publions ci-dessous de larges extraits d'une lettre de lectrice très préoccupée par la question de l'émancipation de la femme, suivis de notre réponse.

  • "(…) Dans le pays des 'Droits de l'Homme', comme peut-être bien dans certains autres Etats, toute l'organisation sociale tourne autour du nombrilisme masculin (…) Les espaces pour femmes, style clubs féminins ou assemblées des femmes d'antan ou du temps de Rosa Luxemburg, nous ont été supprimés (…) Sous prétexte de mixité généralisée, les femmes du peuple sont données en pâture car lorsqu'elles changent de villes ou de pays et qu'elles sont en plus sans travail, les espaces pour femmes qui leur permettraient de retrouver confiance en elles-mêmes sont pratiquement inexistants. Bon nombre de femmes ont tellement dû "s'accommoder" de cet état de fait du mieux qu'elles pouvaient qu'elles ont fini par occulter leur condition (…) On peut dire que la femme reste le prolétaire de l'homme même si l'institution bourgeoise du mariage est passée de mode. On échappe au devoir conjugal synonyme de prostitution conjugale au bénéfice du libertinage où la communion entre les êtres ne peut plus exister tant que les inégalités de tous ordres n'auront pas été abolies et donc tant que les rapports humains seront des rapports de possession et d'esclavage. Pour s'en délivrer, il nous faut peut-être (…) que les femmes puissent retrouver plus d'espaces pour femmes ; sans cela nous ne parviendrons jamais à un vrai communisme. Le capitalisme serait-il d'origine masculine ? Je ne crois pas, mais certains ont eu tout intérêt à exploiter le désir de domination d'un sexe contre l'autre pour se maintenir au pouvoir."

NOTRE REPONSE

Notre lectrice aborde une question qui a préoccupé le mouvement ouvrier depuis ses origines parce qu'elle ne peut être appréhendée que comme un problème de l'humanité, et non comme une question particulière. Dans ses Manuscrits parisiens de 1844, Marx posait ainsi la question : "Le rapport immédiat de l'homme à l'homme est le rapport de l'homme à la femme (…) Il permet de juger de tout le degré du développement humain. Du caractère de ce rapport, on peut conclure jusqu'à quel point l'homme est devenu pour lui-même un être générique, humain et conscient de l'être devenu." Cette vision a été reprise et développée dans toute l'évolution de la pensée marxiste et par les révolutionnaires au 19 siècle qui se sont penchés sur la question de l'oppression de la femme dans la société capitaliste (Bebel, Engels, Clara Zetkin, Rosa Luxemburg, Alexandra Kollontaï et Lénine).

Le "féminisme" : une idéologie au service de la bourgeoisie

Près de deux siècles après que les marxistes eurent posé cette question de l'oppression de la femme, celle-ci reste toujours d'actualité. En témoignent ses formes particulièrement barbares dans les Etats islamistes, infligeant aux femmes l'obligation de porter le voile (voire l'interdiction de travailler ou de s'instruire) ou dans les nombreux pays où elles sont victimes des pires mutilations sexuelles. Et ce n'est certainement pas l'intervention des grandes démocraties occidentales qui peut résoudre ce problème, comme a pu le faire croire le déchaînement de la propagande bourgeoise au moment de la "libération" de Kaboul par les justiciers du monde civilisé après la chute du pouvoir des Talibans. Dans ces mêmes pays de l'Occident "civilisé", avec la prolifération des réseaux de prostitution, une masse croissante de jeunes filles à peine sortie de l'enfance (souvent originaires d'Afrique ou des pays de l'ancien bloc de l'Est) sont contraintes, faute de pouvoir trouver un travail, de vendre leur corps pour survivre et échapper à la misère. Bien qu'aujourd'hui, avec le développement du capitalisme, les femmes aient été intégrées dans la production, et qu'elles aient acquis le droit de participer à la gestion des affaires publiques (et même de tenir les rênes du gouvernement), l'oppression des femmes reste toujours une réalité. Mais cette réalité ne trouve pas ses sources dans la domination "naturelle" et "biologique" d'un sexe sur l'autre.

Seul le marxisme, sa méthode scientifique, matérialiste, historique et dialectique peut permettre de comprendre l'origine de cette oppression, et surtout est à même d'apporter une réponse à la résolution de ce problème.

Comme l'ont mis en évidence Marx et Engels, les institutions et les fondations de l'ordre bourgeois ont une histoire. Elles ont émergé à travers un long et tortueux processus lié à l'évolution de la société humaine. Elles trouvent leurs sources dans les fondements économiques des rapports sociaux de production et dans l'apparition de la propriété privée. Nous ne pouvons dans le cadre de cette réponse rappeler toute l'argumentation développée par le marxisme au 19e siècle. Nous renvoyons notre lectrice au livre d'Engels "L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat" qui analyse de façon très minutieuse cette évolution historique, ainsi qu'à nos articles parus dans la Revue Internationale n° 81 et 85.

Bien que notre lectrice pose une question fondamentale pour le mouvement ouvrier, la démarche qu'elle emprunte pour y répondre, avec une certaine naïveté, est identique à celle des mouvements "féministes" qui ont fleuri à la fin des années 1960, notamment aux Etats-Unis. Cette vision propre à l'idéologie féministe consistant à croire que l'oppression de la femme dans la société bourgeoise (comme d'ailleurs dans toutes les sociétés de classes) trouve son origine dans le "désir de domination d'un sexe contre l'autre" est non seulement fausse mais dangereuse. Une telle vision la conduit à y apporter une réponse tout aussi erronée : les femmes doivent revendiquer des "espaces pour femmes, sans cela nous ne parviendront jamais à un vrai communisme". Pour le marxisme, l'histoire de l'humanité, c'est l'histoire de la lutte de classe et non de la lutte des sexes. Contrairement à la vision féministe (qui n'est rien d'autre qu'une variante du gauchisme tout comme l'anti-racisme), le marxisme a toujours combattu tous les clivages que la bourgeoisie s'efforce en permanence d'opérer au sein de la seule classe capable d'édifier à l'échelle mondiale une véritable societé communiste : le prolétariat. Car ce qui constitue la force de la classe ouvrière et déterminera sa capacité à renverser l'ordre bourgeois, c'est d'abord et avant tout sa capacité à défendre son unité de classe et à combattre toutes les divisions (raciales, nationales, sexuelles) que la bourgeoisie essaie d'introduire dans ses rangs. Par ailleurs, notre lectrice évoque à juste raison l'existence d'assemblées et clubs de femmes du temps de Rosa Luxemburg. Il faut préciser tout d'abord qu'il ne s'agissait pas d'associations interclassistes regroupant indistinctement l'ouvrière et la femme de son patron, mais d'organisations de "femmes socialistes"[1] [5]. Mais ce qui était encore valable à la fin du 19e siècle, dans la période ascendante du capitalisme, ne l'est plus aujourd'hui. A l'époque où le capitalisme pouvait encore accorder des réformes significatives à la classe exploitée, il était légitime pour les révolutionnaires de mettre en avant des revendications immédiates pour les femmes, y compris le droit de vote, tout en mettant en garde contre toute illusion interclassiste[2] [6].

C'est dans ce contexte que les partis sociaux démocrates se devaient d'appuyer les revendications spécifiques des femmes, dans la mesure où elles permettaient non pas de libérer immédiatement celles-ci de l'oppression capitaliste mais de renforcer le prolétariat en intégrant les femmes ouvrières dans sa lutte générale contre l'exploitation et pour le renversement du capitalisme. Ainsi, même à cette époque où les revendications des femmes avaient un sens du point de vue du combat prolétarien et permettaient de renforcer le mouvement ouvrier, les marxistes se sont toujours opposés au féminisme bourgeois. Car loin de contribuer à l'unification de la classe ouvrière, il ne faisait qu'aiguiser les divisions en son sein tout en favorisant l'idéologie interclassiste jusqu'à la conduire hors de son terrain de classe.

Avec l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence rendant totalement obsolète toute lutte pour des réformes, les mouvements spécifiques des femmes ne peuvent être que récupérés par la classe dominante et faire le jeu de l'Etat bourgeois. En fin de compte, les "espaces pour femmes" souhaités par notre lectrice risquent d'être un nouveau ghetto isolant les ouvrières du reste du prolétariat, tout comme les "mouvements en faveur des immigrés" tendent à couper les ouvriers immigrés du combat général de leur classe.

Seul le marxisme peut apporter une réponse au problème de l'oppression des femmes

Notre lectrice affirme également que dans la société capitaliste "la femme reste le prolétaire de l'homme même si l'institution bourgeoise du mariage est passée de mode". Cette affirmation contient une idée juste que Marx et Engels avaient d'ailleurs mise en évidence dès 1846, dans L'Idéologie allemande en levant ainsi le mythe de l'égalité des sexes : "La première division du travail est celle de l'homme et de la femme pour la procréation". Par la suite, Engels a ajouté que "la première opposition de classe qui se manifeste dans l'histoire coïncide (souligné par nous) avec le développement de l'antagonisme entre l'homme et la femme dans le mariage conjugal, et la première oppression de classe avec l'oppression du sexe féminin par le sexe masculin."

Et c'est justement à partir du constat de cette coïncidence historique qu'il a cherché à comprendre le lien qui pouvait exister entre l'antagonisme des sexes dans le mariage monogamique et l'apparition de la société divisée en classe. La découverte du rôle de la propriété privée a constitué la clef de voûte de toute la vision du marxisme qui est la seule méthode permettant de comprendre les racines matérielles, économiques de ce qui fut, et est encore, à l'origine de l'oppression de la femme. Dans son étude sur l'origine de la famille, Engels écrit : "La famille conjugale moderne est fondée sur l'esclavage domestique, avoué ou voilé, de la femme, et la société moderne est une masse qui se compose exclusivement de familles conjugales, comme d'autant de molécules. De nos jours, l'homme dans la grande majorité des cas, doit être le soutien de la famille et doit la nourrir, au moins dans les classes possédantes ; et ceci lui donne une autorité souveraine qu'aucun privilège juridique n'a besoin d'appuyer. Dans la famille, l'homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat."

Mais cette formulation d'Engels que notre lectrice reprend à son compte (et que l'idéologie féministe ne s'est pas privée d'extraire de son contexte et d'exploiter pour la dénaturer) n'a rien à voir avec une démarche "sexiste". Ce qu'Engels s'est efforcé de mettre en évidence, c'est essentiellement qu'avec l'apparition de la propriété privée, la famille monogamique individuelle est devenue la première entité économique de la société au sein de laquelle se trouvaient déjà contenus en germes les futurs antagonismes entre les classes du fait de la division sexuelle du travail. Ainsi, Marx pouvait-il affirmer que la famille patriarcale issue de la "grande défaite historique du sexe féminin", le renversement du droit maternel, "contient en miniature tous les antagonismes qui, par la suite, se développeront largement dans la société et dans son Etat".
Marx et Engels ont donc clairement démontré que l'oppression du sexe féminin a fait son apparition dans l'histoire de l'humanité avec le surgissement de la monogamie (et ses corollaires, l'adultère et la prostitution) qui a constitué la première forme de famille basée non sur des conditions naturelles, mais sur des conditions économiques, c'est-à-dire la victoire de la propriété privée sur la propriété commune primitive et spontanée : "Souveraineté de l'homme dans la famille et procréation d'enfants qui ne puissent être que de lui et qui étaient destinés à hériter de sa fortune, tels étaient, proclamés sans détours par les Grecs, les buts exclusifs du mariage conjugal (…) La monogamie est née de la concentration des richesses importantes dans une même main - la main d'un homme , et du désir de léguer ces richesses aux enfants de cet homme et d'aucun autre. Il fallait pour cela la monogamie de la femme, non celle de l'homme." (Engels). Ainsi, contrairement à la démarche de notre lectrice et de l'idéologie féministe, le marxisme a mis en évidence que l'inégalité des sexes que nous avons héritée de conditions sociales antérieures n'est pas la cause, mais la conséquence de l'oppression économique de la femme avec l'apparition de la propriété privée d'abord au sein des sociétés archaïques qui, avec l'accumulation des richesses et le développement des moyens de productions, ont par la suite cédé la place à la société divisée en classes. Si la femme est ainsi devenue "le prolétaire de l'homme", ce n'est pas à cause de la volonté de pouvoir du sexe masculin, mais parce que, avec la famille patriarcale (qui est apparue comme une nécessité historique permettant à l'humanité de passer de l'état sauvage à la "civilisation"), et plus encore avec la famille individuelle monogamique, la direction du ménage a perdu le caractère public qu'elle avait dans l'ancienne économie domestique du "communisme primitif". Alors que dans ces sociétés archaïques l'économie domestique était une "industrie publique de nécessité sociale" confiée aux femmes (au même titre que la fourniture des vivres était confiée aux hommes), dans la famille monogamique patriarcale, elle est devenue un "service privé". La femme a, dès lors, été écartée de la production sociale et est devenue une "première servante" (Engels). Et ce n'est qu'avec l'apparition de la grande industrie dans la société capitaliste que la voie de la production sociale a pu être de nouveau ouverte à la femme. C'est pour cela que le marxisme a toujours mis en avant que la condition de "l'émancipation" de la femme se trouve dans son intégration dans la production sociale comme prolétaire. C'est dans sa place au sein des rapports de production, et dans sa participation active, en tant que prolétaire, dans la lutte unie de toute la classe exploitée que se trouve la clef du problème. C'est uniquement en posant la question en termes de classes et d'un point de vue de classe que le prolétariat pourra y apporter une réponse.

En renversant le capitalisme et en construisant une véritable société communiste mondiale, le prolétariat aura entre autres tâches celle de rétablir la socialisation de la vie domestique en la développant à l'échelle universelle (notamment à travers la prise en charge de l'éducation des enfants par l'ensemble de la société et non par la cellule familiale conçue comme première entité économique). Seul le prolétariat mondial, en brisant le carcan de la propriété privée des moyens de production pourra faire faire un bond gigantesque aux forces productives, mettre définitivement un terme à la pénurie, et faire passer l'humanité du règne de la nécessité à celui de la liberté. Grâce à l'édification d'une nouvelle société basée sur l'abondance, le prolétariat pourra alors achever sa mission historique de fossoyeur du capitalisme en réalisant enfin le vieux rêve de l'humanité que le communisme primitif n'était pas en mesure de réaliser.

Contrairement à la vision erronée de notre lectrice, l'émancipation de la femme ne sera pas l'oeuvre de la lutte des femmes, avec leurs revendications spécifiques, mais de toute la classe ouvrière. Car cette oppression fait partie intégrante de l'exploitation et de l'oppression d'une classe sociale privée de tout moyen de production et qui ne pourra se libérer elle-même qu'en libérant l'ensemble de l'humanité du joug de l'exploitation capitaliste. Qu'il soit contraint de vendre sa force de travail ou de se prostituer pour survivre (et dans le capitalisme décadent, la prostitution n'est pas d'ailleurs le seul "apanage" des femmes), le prolétaire, homme ou femme n'est, dans un système basé sur la recherche du profit, rien d'autre qu'une marchandise.

Louise

 


[1] [7] Il faut d'ailleurs préciser que, contrairement à son amie Clara Zetkin qui était présidente du mouvement des femmes socialistes et rédactrice en chef du journal féminin socialiste Die Gleichheit (L'Egalité), Rosa Luxemburg ne s'est jamais impliquée dans cette activité. Toute son énergie a été consacrée au combat pour le marxisme révolutionnaire contre le réformisme. Quant à Clara Zetkin elle-même, son nom dans l'histoire, bien plus qu'à son activité "féministe", reste attaché à son combat, aux côtés notamment de Rosa, Karl Liebknecht et Leo Jogisches contre la guerre impérialiste dès 1914 et pour la fondation du parti communiste d'Allemagne.

[2] [8] A cette même époque, certains pays étaient le théâtre de campagnes bourgeoises pour le droit de vote des femmes. En Angleterre, pays le plus affecté par ce mouvement, la revendication avait été appuyée dès ses origines par le philosophe bourgeois John Stuart Mill et le premier ministre conservateur Disraeli. La femme de Churchill était une ancienne "suffragette" : c'est dire que la revendication, comme telle, n'avait rien de spécifiquement prolétarien !

 

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [9]

Courants politiques: 

  • Gauchisme [10]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Luttes parcellaires [11]

URL source:https://fr.internationalism.org/content/revolution-internationale-ndeg-327-octobre-2002

Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-irak [2] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre [3] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france [4] https://fr.internationalism.org/tag/5/159/tsunami [5] https://fr.internationalism.org/ri327/feminisme.htm#_ftn1 [6] https://fr.internationalism.org/ri327/feminisme.htm#_ftn2 [7] https://fr.internationalism.org/ri327/feminisme.htm#_ftnref1 [8] https://fr.internationalism.org/ri327/feminisme.htm#_ftnref2 [9] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs [10] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauchisme [11] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/luttes-parcellaires