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Revue Internationale no 46 - 3e trimestre 1986

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Grèves massives en Norvège, en Finlande, en Belgique : de la dispersion, vers l'unification

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Les luttes ouvrières qui, ce printemps 1986, en Scandinavie et surtout en Belgique, ont pris un carac­tère massif, au point de quasiment paralyser l'activité de ces pays, annoncent l'ouverture d'une nou­velle période de la lutte de classe. Une période où se conjugueront de plus en plus, d'une part la contrainte pour la bourgeoisie de se livrer à des attaques de plus en plus frontales et massives, et d'autre part, au niveau de la conscience ouvrière, les concrétisations des leçons apprises au cours des combats, nombreux mais dispersés, qui ont caractérisé, surtout en Europe occidentale, la période précé­dente.

Plus s'avance la décomposition d'une société décaden­te, et plus la vérité, la réalité sociale quotidienne, devient contradictoire avec l'idéologie dominante. L'idéologie qui défend et justifie l'existence d'un or­dre social et économique qui pourrit sur pied, provo­quant les plus grandes famines de l'histoire de l'hu­manité, la menace d'auto-destruction de l'espèce, la barbarie et le manque d'avenir partout, avec l'étreinte du plus insidieux totalitarisme politique, une telle idéologie ne peut plus que reposer sur le mensonge, car la vérité est sa négation.

Les luttes ouvrières sont les porteuses de cette vérité simple qui dit que le mode de production -capitaliste' doit et peut être détruit si l'humanité veut survivre et poursuivre son développement.

C'est pourquoi, avec une minutie scientifiquement pla­nifiée, la bourgeoisie internationale organise le silence sur les luttes ouvrières, en particulier sur le plan international.

Combien de prolétaires dans le monde savent-ils que dans la mythique Scandinavie, cette "patrie" du "socia­lisme à l'occidentale", la classe ouvrière connaît une attaque économique sans précédent, et que, en répon­se, les prolétaires du Danemark (printemps 85), de Suède (hiver 85-86), puis ceux de Finlande et de Nor­vège (printemps 86) viennent de déployer leurs com­bats les plus importants depuis le 2ème guerre mon­diale ? Combien de travailleurs savent que la Belgique connaît aux mois d'avril et mai 86 le développement d'une effervescence des luttes ouvrières qui a, à plu­sieurs reprises, pratiquement bloqué la vie économi­que du pays ? Que dans ce petit pays au coeur de l'Europe la plus industrialisée, au milieu de la plus grande concentration ouvrière du monde, les travail­leurs ont multiplié les grèves spontanées, éclatant hors des consignes syndicales, pour répondre à l'accélération et aux menaces de nouvelles attaques écono­miques du gouvernement ; qu'ils ont commencé à chercher l'unification des luttes en agissant collective­ment, sans attendre les syndicats, en envoyant des délégations massives - tels les 300 mineurs du Limbourg venus aux assemblées de travailleurs des services publics à Bruxelles - pour proposer l'unification des combats.

Les journaux, les médias n'en disent mot en dehors des pays concernés ; ils déversent à la place, à grands flots, les nauséabondes campagnes idéologiques orches­trées internationalement sur "l'anti-terrorisme", sur le besoin de "renforcement de l'ordre" (appelé pour la circonstance "sécurité") ou sur l'impuissance des pau­vres êtres humains devant la "fatalité de la crise éco­nomique". Sur la lutte ouvrière internationale, c'est le silence ([1] [1]) organisé. Tout au plus quelque entrefilet ici et là, surtout pour annoncer la fin de telle ou telle grève. La bourgeoisie a peur de la réalité, et ses fanfaronna­des de matamore reaganien traduisent plus une sourde et croissante inquiétude que la sérénité d'une classe sûre de son pouvoir et de son avenir. Et pour cause.

DES LUTTES QUI MONTRENT LE CHEMIN

La caractéristique majeure des luttes de ce printemps 1986, c'est leur caractère massif : en Norvège, il y a eu jusqu'à 120 000 travailleurs touchés par les grèves, y compris les lock-outés (10 % de la population acti­ve) ; en Finlande, ce sont 250 000 grévistes qui, en­semble, ont affronté l'Etat ; en Belgique, c'est aussi par centaines de milliers qu'il faut compter le nombre de travailleurs qui, au moment où nous écrivons, ont déjà pris part aux luttes contre l'accélération de l'at­taque économique du capital.

Il ne s'agit plus ici d'une série de luttes isolées, éparpillées, enfermées dans des usines en faillite. Ce sont des mobilisations massives qui parviennent à paralyser en grande partie l'économie. Des plateformes pétrolières de la Mer du Nord en Norvège, aux mines du Limbourg, des postes finlan­daises aux transports ferroviaires et urbains en Bel­gique, le prolétariat vient de déployer en quelques se­maines, dans des pays hautement industrialisés, une puissance et une force qui annoncent que les politi­ques bourgeoises de dispersion des luttes commencent à atteindre les limites de leur efficacité. La situation en Belgique est plus particulièrement significative pour dégager les caractéristiques de la période qui s'ouvre. D'une part parce qu'il s'agit d'un des pays industrialisés qui a été depuis longtemps parmi les plus frappés par la crise, d'autre part du fait de ses caractéristiques historiques. Le capitalisme belge, situé entre l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, est un des plus anciens du monde. Le pro­létariat y est un des plus expérimentés et possède une longue tradition de luttes contre une bourgeoisie qui dispose d'un vieil et très expérimenté arsenal d'enca­drement politique et syndical des ouvriers. Aussi les luttes ouvrières actuelles y possèdent une puissance d'exemple particulièrement importante -plus que celles de Norvège ou Finlande- quant aux moyens de la lutte de classe. Et cela d'autant plus que c'est en Belgique, a l'automne de" 1983, que les grèves massives des travailleurs du secteur public ont marqué la fin du recul qui suivit la défaite en Pologne et le début d'une nouvelle reprise de luttes ouvrières au niveau international.

Mais que ce soit par les conditions objectives écono­miques qui ont fait surgir ces luttes (obligation pour la bourgeoisie de porter des attaques de plus en plus massives et frontales), ou que ce soit par les conditions subjectives qui les ont caractérisées surtout en Belgique (maturation de la conscience ouvrière, ten­dance à l'unification), elles traduisent le début d'une nouvelle accélération de la lutte de classes : l'ouver­ture d'une nouvelle phase du combat historique du prolétariat mondial pour  son émancipation.

I - LES CONDITIONS OBJECTIVES : LA BOURGEOI­SIE PEUT DE MOINS EN MOINS DISPERSER SON ATTAQUE ECONOMIQUE

Dans le numéro précédent de la Revue Internationale, nous avons montré comment, au cours de l'année 1985 la bourgeoisie des pays industrialisés du bloc occiden­tal avait mené une politique consciente de dispersion de son attaque économique (licenciements planifies dans le temps, attaques secteur par secteur, etc.) afin d'empêcher des réactions frontales, unifiées, de la part des travailleurs.

Nous insistions sur le fait que la bourgeoisie tirait les leçons d'expériences telles celle de la Pologne en 1980 ou des combats qui ont marqué l'ouverture de ce que nous appelons "la troisième vague internationale de luttes" depuis 1968 (après celles de 1968-74 et de 1978-80), à savoir les grèves du secteur public en Belgique et Hollande à l'automne 1983. Mais nous soulignions aussi que cette politique menée en étroite coopération par gouvernements, partis poli­tiques et syndicats, reposait en grande partie sur la marge de manoeuvre économique qu'a donnée à l'Europe la mini-reprise américaine.

Or, cette "marge se réduit aujourd'hui de façon ac­célérée sous la pression du ralentissement de l'éco­nomie américaine, et sous la pression de l'affaiblis­sement de la compétitivité des produits d'exportation européens face aux produits nord-américains (voir la page 6 : "Où en est la crise économique ?") La "nouvelle politique" américaine dont la forte baisse du dollar n'est que l'aspect le plus spectaculaire, n'est pas un cadeau pour l'Europe, mais une déclara­tion de guerre commerciale à l'échelle de la planète. Quelles que soient les économies que peuvent faire les pays européens sur la "facture pétrolière" dans l'immédiat, ils sont plus que jamais contraints de baisser leurs dépenses et leurs coûts de production, ce qui veut dire en premier lieu s'attaquer plus vio­lemment aux revenus des exploités.

Qui plus est, cette attaque implique -surtout en Europe- des réductions drastiques de dépenses "sociales" de l'Etat (en Europe occidentale, surtout dans les pays du Nord, les dépenses des administrations publiques équivalent à plus de la moitié du produit natio­nal !) Cela veut dire prendre des mesures qui tou­chent immédiatement et simultanément l'ensemble des prolétaires :

-     les chômeurs car leur seule source de revenus, quand ils en  ont,  ce  sont  les allocations gouvernementales ;

-     l'ensemble des salariés car c'est la part du salaire dite "sociale" qui se trouve attaquée (sécurité sociale, allocations familiales, éducation, etc.)

-     les employés de l'Etat parce que ce sont des mil­liers d'emplois qui sont supprimés.

C'est cette réalité qui est la toile de fond des agres­sions économiques globales qui ont provoqué les luttes en Scandinavie et en Belgique. Les faiblesses économiques spécifiques de ces pays n'en font pas des "cas exceptionnels" ; ces faiblesses expliquent seule­ment pourquoi les gouvernements y ont été parmi les premiers en Europe à porter de telles attaques ([2] [2]). L'impossibilité de continuer à organiser la dispersion des attaques économiques, le recours à des attaques de plus en plus frontales et massives contre la classe ouvrière, tel est l'avenir pour l'ensemble des gouver­nements européens.

II - LES CONDITIONS SUBJECTIVES : LA   MATURATION   DE   LA   CONSCIENCE  DE  CLASSE

De même que les politiques gouvernementales qui ont déclenché les luttes de ce printemps sont une indica­tion de l'avenir pour tous les gouvernements capitalis­tes, de même les pas en avant réalisés par le proléta­riat dans ces luttes, en particulier en Belgique, mon­trent le chemin au reste du prolétariat mondial.

La volonté de se battre

L'ensemble de ces luttes confirme la tendance au dé­veloppement d'une simultanéité internationale des combats de classe.

La Suède, la Grande-Bretagne, l'Espagne, pour ne par­ler que de l'Europe, connaissent au même moment un développement des luttes ouvrières. Et l'on a pu voir des travailleurs des plateformes pétrolières britanni­ques se joindre à la grève de leurs collègues norvé­giens ([3] [3]). C'est internationalement qu'existe un ras-le-bol profond, non résigné, une combativité qui dément quotidiennement les propagandes officielles d'après lesquelles les ouvriers auraient enfin - avec la crise -compris que leurs intérêts sont les mêmes que ceux de "leur" capital national.

Dans la pratique, ces luttes sont la négation vivante des lots économiques basées sur le profit marchand du capital, où l'on répond au développement de la misère par plus de misère (baisse des salaires, des alloca­tions ; chômage, etc.) et par la destruction des moyens de combattre la misère (fermetures d'usines, destruction de stocks d'invendus, production d'arme­ment et frais militaires, etc.), toujours aux dépens des exploités.

Cette volonté de se battre montre que pour les ou­vriers, il est de plus en plus clair que la question de leurs moyens de subsistance est posée en termes sim­ples : ou la vie du capital ou la leur. Il n'y a pas de conciliation possible entre les intérêts du capi­tal décadent et ceux des exploités. C'est d'abord en cela que les luttes de ce printemps annoncent l'avenir en montrant le chemin.

Les moyens de se battre

Ne pas attendre les consignes syndicales pour faire démarrer les luttes

Une des principales armes dont dispose l'Etat à tra­vers son appareil syndical contre les luttes ouvrières, c'est le pouvoir de décider du moment du combat. La force de la classe ouvrière repose en premier lieu sur son unité, sa capacité à frapper ensemble. Les syn­dicats, en décidant de faire partir des luttes de façon dispersée, échelonnée dans le temps, évitant la simul­tanéité source d'unité, en empêchant que le combat n'éclate au moment où la colère est la plus généra­lisée ont un grand pouvoir de division et d'affai­blissement du mouvement. Pouvoir dont ils hésitent rarement à se servir.

En Belgique les syndicats n'ont cessé de tenter de le faire. C'est ainsi que, parmi tant d'autres exemples, ils ont appelé les travailleurs des services publics à faire grève le 6 mai ; les enseignants le 7 mai ; les ouvriers des chantiers navals trois jours après, etc. Systématiquement, minutieusement, ils tentent d'or­ganiser...la dispersion du mouvement. La réponse des ouvriers a été -comme c'est de plus en plus le cas dans tous les pays- les grèves "spon­tanées", c'est-à-dire en dehors des consignes syn­dicales.

C'est ainsi que la grève des 16 000 mineurs du Limbourg, qui marque le début de toute la période de grèves qui allait suivre, éclata à la mi-avril, spontanément, contre l'avis des syndicats qui considéraient toute grève "prématurée". Il en est de même de la plupart des mouvements qui depuis lors, dans les che­mins de fer, les postes, les télécommunications, l'en­seignement, les transports urbains, les ministères, les hôpitaux, les chantiers navals, certaines parties du secteur privé, etc., ont démarré ou se sont arrêtées pour redémarrer peu de temps après, spontanément, en dehors - parfois contre- les consignes syndicales.

A partir du mois de mai, les syndicats ont organisé, sous la pression ouvrière, des journées de "grève géné­rale" (le 6, le 16 puis le 21 mai) en vue de reprendre un contrôle plus efficace sur les événements. Mais ces journées pour importante qu'ait été la mobili­sation qu'elles ont connue, restent comme des mo­ments particuliers au  milieu d'une effervescence géné­rale qui cherche souvent de façon maladroite et heurtée à gagner la maîtrise d'elle-même. La bourgeoisie belge ne se trompe pas sur les risques que de telles formes de l'action ouvrière impliquent pour son pouvoir. Et, par la bouche d'un responsable syndical de la FGTB (J.C. Wardermeeren) elle déclarait le 23 mai au journal "Le Soir" "Le gouvernement pourra  imposer sa volonté par la force jusqu'au  moment où le ras-le-bol provoquera des   explosions qui ne seront plus contrôlées par le mouvement syndical. Et qui seront de plus en plus difficiles à rattraper par la concertation. Voyez toute la différence entre des négociations précises, menées sur un cahier de revendications, et celles qui suivent des actions spontanées. Et calculez les risques." (Souligné par nous) Les syndicats connaissent mieux que quiconque "les risques" de laisser la force de vie prolétarienne échapper au carcan syndicaliste professionnel de l'encadrement et du sabotage, ils sont maîtres dans l'art de "prendre le train en marche". Face aux explosions spontanées, ils savent parfaitement "radicaliser" autant que nécessaire leur langage, pour reprendre le plus ra­pidement possible la direction et l'organisation du mouvement. Ils sont puissamment aidés en cela par le "syndicalisme de base" dont les critiques aux centrales constituent un dernier filet pour retenir les prolétai­res dans la logique syndicaliste.

Le prolétariat en Belgique n'est pas encore parvenu à se débarrasser suffisamment de toutes les entraves syndicalistes (nous y reviendrons plus loin). Mais la "dynamique des actions qu'il a entreprises s'oriente clairement dans le bon sens.

La nécessité et la possibilité de développer la capaci­té à engager le combat sans attendre le feu vert des centrales syndicales, tel est un premier enseignement sur les moyens de se battre que confirment les luttes en Belgique. Nous disons "confirme" parce que la ten­dance à la multiplication des grèves spontanées n'a cessé de se confirmer, depuis 3 ans, depuis le début de la troisième vague.

Rechercher  l'extension et  l'unité

Mais probablement les enseignements principaux qui, resteront des luttes de ce printemps en Belgique, se situent au niveau des moyens de construire pratique­ment l'unité des prolétaires. Les luttes en Belgique montrent clairement :

1°) que cette unité ne peut se faire qu'à travers la lutte. Le capital divise les ouvriers, son ap­pareil politique et syndical organise la dispersion des forces ouvrières. L'unité, les prolétaires ne peuvent la bâtir qu'en combattant ce qui les divise, en combat­tant le capital et ceux qui le représentent;

2°) que cette unité ne tombe pas du ciel, ni des syndicats qui  en sont les principaux saboteurs. Elle doit être bâtie pratiquement, volontairement, consciemment La recherche de cette unité doit constituer un objectif permanent. L'envoi de délégations massives pour re­chercher la solidarité active, celle de l'extension et l'unification des luttes brisant les divisions catégoriel­les, linguistiques ou professionnelles, comme l'ont fait les mineurs du Limbourg qui ont, des le début de la lutte envoyé des délégations massives, d'une à plu­sieurs centaines de grévistes vers d'autres secteurs de la classe : la grande usine de Ford-Genk (10 000 ou­vriers), vers les travailleurs des Postes, vers les che­minots de la SNCB, vers les lycéens en tant que fu­turs chômeurs pour les appeler à la grève ; comme l'ont fait les ouvriers des chantiers navals de Boel , près d'Anvers , qui ont envoyé des délégations vers les mineurs en se joignant à la lutte. Après l'explosion de la lutte elle-même, c'est le premier pas pratique pour répondre à la nécessité de la constitution des prolétaires en classe, en force unie capable d'agir sur le cours de la société ;

3°) que "la rue", les manifestations, les meetings, jouent un rôle essentiel dans la constitution de l'unité de classe. Il ne suffit pas que les luttes démarrent ; il ne suffit pas que par le moyen de délégations massives, les secteurs en lutte se rencontrent, il faut aussi que l'ensemble des forces au combat se reconnaissent dans l'action commune, qu'elles puissent se compter, mesurer et sentir l'am­pleur de leur puissance. En Belgique, dans la rue, les chômeurs ont rencontré leur classe ; dans la rue, les mineurs et les enseignants, les sidérurgistes et les con­ducteurs de transports publics ont cherché à agir com­me ce qu'ils sont, comme une seule classe. Dans la rue se rencontrent les énergies qui naissent dans les combats de mille lieux de travail. Si la dynamique de fond du mouvement est suffisante, si elle parvient à neutraliser les forces de division et de dispersion des appareils syndicaux et politiques de la bourgeoisie, ces énergies  reviennent  sur  les lieux de travail, décuplées. ([4] [4])

A travers la recherche de l'unité, les luttes de Bel­gique tirent les leçons des défaites passées, de celle des mineurs britanniques en 84-85, comme de toutes celles, petites ou grandes, mortes dans l'isolement. Il existe une mémoire collective dans les classes qui ont une mission historique. Il y a un progrès de la cons­cience collective, une maturation, tantôt explicite tantôt souterraine, qui fait le lien entre les principaux moments d'action collective de la classe. "Ne pas se faire avoir comme en 83 !" Par cette phrase, si sou­vent entendue dans les discussions entre grévistes en Belgique (référence à l'isolement des grèves du servi­ce public en septembre 83), était posé explicitement le problème de la recherche de l'extension et de l'unité comme une priorité qu'il fallait assumer consciemment si on voulait aller plus loin que par le passé.

C'est ainsi que progresse l'expérience, la conscience collective de la classe révolutionnaire. Les réponses pratiques apportées par les prolétaires de Belgique concernent les problèmes de toute la classe ouvrière mondiale ; leurs luttes actuelles auront des consé­quences aussi en dehors de Belgique. Car ici encore, elles montrent l'avenir.

Rechercher l'auto-organisation : la lutte pour la maîtrise de sa propre force.

En déclenchant des grèves, en unifiant les luttes, en prenant la rue ensemble, le prolétariat crée une force gigantesque, redoutable. Mais à quoi peut-elle lui ser­vir s'il n'en a pas la maîtrise ? Sans un minimum de maîtrise sur elle-même, sur le cours des événements, cette force ne tarde pas à s'effriter, d'abord et avant tout sous l'impact du torpillage systématique et dé­moralisateur des manoeuvres syndicales. Si les prolétaires en Belgique ont pu déployer une telle force, ce n'est pas grâce aux syndicats mais malgré ou contre eux. Ce  n'est  pas la une interpréta­tion exagérée des faits. Le principal responsable des forces d'encadrement politique et syndical en Belgique le leader du Parti Socialiste (qui contrôle le plus grand syndicat du pays, la FGTB) le reconnaît le 30 mai clairement, dans un interview au journal "Le Soir" ""le mouvement part des gens et non des appareils syndicaux. Chez nous, les gens veulent la peau de Martens. Ceux qui croient que les organisations syndicales ont prémédité des plans ou ceux qui croient que les partis contrôlent les actions commettent une erreur  monumentale. En beaucoup d'en­ droits, les travailleurs ne suivent pas les mots d'ordre syndicaux. Ils ne veulent pas reprendre le travail." C'est clair.

Cependant, s'il est vrai qu'"en beaucoup d'endroits les travailleurs (en lutte) ne suivent pas les mots d'ordre syndicaux", il n'en a pas découlé pour autant, du moins jusqu'au moment où nous écrivons, la création par les ouvriers d'une forme d'organisation centralisée regroupant des délégués de comités de grève élus par les assemblées, capable de donner des orientations pour l'ensemble des forces en lutte, capable de per­mettre au mouvement de devenir effectivement maî­tre de sa force.

Les travailleurs en Belgique ne sont pas encore parve­nus à ce stade de la lutte. Mais ils ont avancé dans ce sens. Ils ont développé leur capacité à déjouer les manoeuvres démobilisatrices des syndicats : par la ca­pacité à démarrer les luttes sans attendre les consi­gnes syndicales, ils ont su limiter les dégâts que pro­voque l'effort permanent des syndicats pour disperser les luttes dans le temps ; en prenant en main eux-mêmes l'organisation de l'extension par des déléga­tions sans se reposer, sur les structures syndicales, ils limitent l'effet de l'action des syndicats pour disper­ser les luttes dans l'espace. En faisant des assemblées de vrais centres de décision de la lutte, ils déjouent les manoeuvres des syndicats pour ramener les ou­vriers au travail ([5] [5]).

Et c'est là encore une source de riches enseignements pour les luttes à venir du prolétariat mondial.

L'AFFRONTEMENT AVEC L'ETAT, C'EST AUSSI L'AFFRONTEMENT AVEC LES SYNDICATS.

Les travailleurs belges affrontent une bourgeoisie qui s'est longuement préparée à cette attaque, qui se pré­sente en rangs de bataille, avec ses forces de gauche, les forces "ouvrières" de la bourgeoisie, non pas au gouvernement (où l'obligation de prendre de violentes mesures anti-ouvrières les dévoilerait dangereusement) mais dans l'opposition, au milieu des ouvriers en lutte, pour mieux saboter de l'intérieur. Les "socialistes" n'ont aucune intention pour le moment d'abandonner leurs responsabilités étatiques de policiers dans les rangs ouvriers. Cela se voit clairement dans leur pra­tique dans la rue :

"L'imposant cortège a défilé dans le calme et "là sérénité" écrit un article du "Soir" racontant, le 23 mai, une manifestation de 10 000 personnes à Charle­roi (les syndicats s'attendaient à 5000 personnes seulement). "Parmi   les  manifestants proches des milieux socialistes, on s'inquiétait pourtant de voir la 'tiédeur' des discours ou  l'absence des chefs de 1'état-major du PS. Beaucoup voyaient là le signe d'un  'renoncement au pouvoir'."

La bourgeoisie a besoin d'une gauche dans l'opposition et continuera de s'en donner les moyens. La politique de dispersion des luttes -telle que nous l'analysions dans le numéro précédent de cette revue- repose d'une part sur l'action concertée de l'Etat et du patronat privé qui dispersent les attaques, d'autre part sur l'action de division des forces politiques et syndicales de la gauche du capital. L'impossibilité croissante dans laquelle se trouvent Etat et patronat de continuer à disperser l'attaque économique conduit à ce que ce soit de plus en plus essentiellement sur l'action des syndicats et partis de gauche que repose­ra l'action de la bourgeoisie pour empêcher l'unifica­tion et le renforcement de la résistance prolétarienne.

Les ouvriers belges ont trouvé devant eux, tout au long de leur lutte, dans leurs propres rangs, le syn­dicalisme, avec ses trois volets : le "modéré" syndi­cat chrétien), le "combatif" (socialistes), celui "de base" (les maoïstes -en particulier dans les mines du Limbourg).

En cela aussi les luttes en Belgique annoncent l'avenir.

Les ouvriers de Belgique comme ceux du monde entier ont encore un long processus de combat à mener pour se débarrasser véritablement des entraves syndicalis­tes et avoir une entière maîtrise de leur force. Mais cette maîtrise sera le résultat des combats actuels.

Le mouvement de classe en Belgique est un mouve­ment politique, non parce qu'il nierait ses objectifs économiques mais parce qu'il assume les aspects po­litiques de ce combat : ce n'est pas contre le pro­priétaire d'une petite entreprise de province que com­battent les travailleurs ; c'est contre l'Etat et à tra­ders lui, contre toute la classe dominante. C'est la politique économique de la classe exploiteuse que combat le prolétariat. Le mouvement est politique parce qu'il affronte l'Etat sous toutes ses formes : le gouvernement, la police dans les nombreux affronte­ments de rue et enfin les syndicats.

"La lutte économique est l'élément qui conduit perpétuellement d'un noeud politique à l'autre, la lutte politique est la fécondation périodique pour la lutte économique. Cause et effet permutent à tous instants de place, et ainsi l'élément écono­mique et l'élément politique, dans la période de grèves en masse, bien loin de se distinguer nettement ou même de s'exclure comme le veut le pédantisme schématique,   ne constituent, au contraire, que deux faces entremêlées de la lutte de classe prolétarienne" (Rosa Luxemburg "Grève de masses, parti et syndicats", chap. 4)

C'est là un trait des luttes prolétariennes particu­lièrement renforcé dans le capitalisme décadent où la classe ouvrière doit affronter un capitalisme étatisé à l'extrême.

L'Etat belge a entrepris une attaque particulièrement forte sur la classe ouvrière pendant ces dernières années. Il a imposé des sacrifices économiques tout en organisant un gigantesque renforcement de la répression sous prétexte d"'anti-terrorisme". La bourgeoisie a suivi de près le déroulement de cette attaque : certains journaux parlaient même de "test belge" ; comment réagirait la classe ouvrière ? Celle-ci vient de leur répondre et, ce faisant, elle a indiqué  la voie au reste de ses frères de classe.

Au moment où nous terminons cet article la vague de luttes en Belgique semble encore loin d'être épuisée. Mais dès à présent, et quel que soit le développement ultérieur des événements, on peut affirmer que les combats de classe qui secouent ce pays depuis plu­sieurs semaines sont les plus importants en Europe depuis la Pologne 80.

Leur signification est cruciale. Ils confirment, après les luttes ouvrières qui viennent d'ébranler la Norvège et la Finlande, qu'en Europe occidentale et dans le monde, la lutte de classe entre dans une nouvelle phase.

R.V., le 30 mai 86.



[1] [6] Revue Internationale n°46, 2ème trim.86, "La lutte ouvrière en 1985 : bilan et  perspectives".

[2] [7] Le capital norvégien, qui tire une grande part de ses profits de l'exportation du pétrole, a vio­lemment subi les conséquences de la surproduction et de la chute des cours mondiaux de l'or noir (chute de 70 % de ses revenus pétroliers). La bourgeoisie n'a pas tardé à répercuter ces pertes à travers une attaque sans précédent sur la classe ouvrière. Quant à l'économie belge (certainement une des plus sen­sibles à la conjoncture économique internationale puisqu'elle importe de l'étranger 70 % de ce qu'elle consomme et exporte 70 % de ce qu'elle produit !), c'est une des plus frappées par la crise mondiale, et cela depuis le début des années 80 : les secteurs industriels qui avaient fait la force de la Belgi­que (sidérurgie, textile, charbon) sont parmi les plus frappés par la surproduction mondiale ; le taux de chômage (14 %) est un des plus élevés d'Europe ; le déficit des Administrations publiques atteint en 1985 10 % du PNB, taux qui n'est dépassé en Europe que par  l'Italie (13,4%), l'Irlande(12,3  %) et la Grèce (11,6 %). Le capital belge est aussi un des plus endettés internationalement, puisque sa dette équivaut à 100 % du PNB annuel ! Le gouvernement Martens s'est fait voter par 1'Assemblée des "Pouvoirs spéciaux" pour décréter un nouveau plan d'austérité draconien, afin de mieux rentabiliser l'exploita­tion de la force de travail : licenciements massifs, en particulier dans la Fonction publique, les mi­nes, les chantiers navals ; réduction drastique de toutes les allocations sociales, en particulier sup­pression de  1'allocation chômage pour  les moins de 21  ans,   etc.

[3] [8] La bourgeoisie suédoise, certainement consciente du danger de contagion, a appliqué au niveau national un black-out quasi total sur les informations concernant les grèves en Norvège et en Finlande, pays limitrophes. Lorsque le besoin s'en fait ressentir, les très "modernes" gouvernements démocra­tiques européens   savent  se comporter comme n'importe quel  Duvalier.

Se donner les moyens d'informer internationalement le reste du prolétariat mondial est un objectif que les  prochains  mouvements de masses devront se fixer dès les  premiers moments.

[4] [9] Les syndicats savent ce qu'ils font lorsqu'ils organisent dans chaque manifestation -avec une minu­tie et des moyens matériels dignes d'une meilleure cause- un quadrillage serré séparant les manifestants par paquets (par usine, ville, région, secteur, organisation syndicale, tout et n'importe quoi qui permette de diviser en catégories).

[5] [10] C'est l'assemblée de cheminots de Charleroi qui le soir du 22 mai fut capable de dire non aux appels du syndicat chrétien à l'arrêt de la grève ; non à la proposition de la FGTB d'organiser un vote car, d'après elle le "lâchage" du compère syndical était un terrible affaiblissement pour le mouvement. Quelques jours après,  à La Louviere, près de Charleroi, un local du syndicat chrétien subit les dégâts de la colère d'une manifestation ouvrière qui passait par là. Ce ne fut pas le seul cas d'affrontement brutal  entre ouvriers et  forces syndicales en Belgique.

Géographique: 

  • Belgique [11]
  • Europe [12]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [13]

Où en est la crise économique ? : L’Europe en première ligne.

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La bourgeoisie n'a pas de solution à la crise de son système et ses remèdes ne sont que des palliatifs provisoires qui répercutent les effets de la crise à un niveau toujours plus grave et plus dramatique. La fin de la "reprise" américaine implique une nouvelle plongée dans la récession de l'économie mon­diale. Et l'Europe, moins bien placée que les Etats-Unis et le Japon, va se retrouver en première ligne.

Cette nouvelle aggravation de la crise, conjuguée avec le développement de la vague de lutte de classe commencée en 1983, qui manifeste la combativité intacte du prolétariat, est un facteur déterminant de l'évolution future de la situation internationale, et va tendre à se traduire par une perte des illu­sions au coeur même des métropoles industrielles, et notamment en Europe, où se trouve la plus forte concentration  du prolétariat mondial.

Avec la perspective d'une nouvelle plongée accélérée dans la récession, c'est une rupture qui est en train de s'opérer dans la situation mondiale, où même les pays les plus développés n'arrivent plus à se préserver des effets les plus graves de la crise, et la tragédie du tiers-monde montre sur quel chemin économique ils  sont  engagés.

Depuis le début des années 80, et sous l'im­pulsion de Reagan qui donne le ton, la classe dominante ne cesse de proclamer par tous ses médias que la situation de l'économie mondiale s'assainit, que tout va bien, et que les sacrifices imposés sont nécessaires pour sortir définitivement de la crise. L'économie est devenue une star des médias. Un brouhaha permanent de chiffres divers annoncés pêle-mêle jusqu'à saturation, des émissions didac­tiques programmées régulièrement, des décla­rations contradictoires de "responsables" poli­tiques et économiques commentées à satiété, des reportages sur le bon exemple de l'en­treprise "modèle" et "performante à l'exporta­tion", etc., tout cela sert à masquer l'essen­tiel : la crise ne cesse de s'aggraver et la bourgeoisie est impuissante à la juguler. Le capitalisme, en .tant que système économique, est en train de faire faillite, et il entraîne l'humanité dans son effondrement. Les déclarations optimistes actuelles des diri­geants capitalistes sur la durée de la "reprise" de l'économie américaine, sur le déploiement de ses effets bénéfiques à l'Europe, sur les effets positifs de la chute du cours du dollar et du pétrole, tout cela n'est que pur men­songe.

LE MYTHE DE LA REPRISE

Avec une chute de la croissance aux USA à 3 %, après avoir atteint 6,8 % l'année précédente, 1983 marque la fin de la "reprise américaine". Mais sur le plan mondial, cette "reprise" n'a pu que compenser, essentiellement par la création d'un imposant déficit commercial, la chute des marchés du tiers-monde du­rement secoués par la baisse des matières premières. La courbe des échanges mondiaux est restée désespé­rément stagnante depuis le début des années, 80, montrant par là que l'économie mondiale n'est en fait pas sortie de la récession depuis la fin des années 70.


 

L'EUROPE ET LE JAPON SOUS LES COUPS DE LA CRISE

Même les USA qui sont la première puissance écono­mique mondiale n'ont plus les moyens, par les déficits budgétaires et commerciaux qu'ils ont accumulés, de soutenir l'activité de l'économie mondiale. La chute des cours du dollar de 35 % par rapport aux monnaies de ses principaux concurrents européens et japonais va redonner une compétitivité recouvrée aux produits américains qui s'étaient retrouvés pénalisés par le cours élevé du dollar, ce qui avait permis aux Euro­péens et aux Japonais de développer leurs exporta­tions. Cette situation signifie à terme une fermeture du marché américain aux exportations européennes et japonaises, fermeture accentuée par les mesures pro­tectionnistes.

De la même manière, la chute des cours du pétrole (principale matière première dans le commerce mon­dial) de moitié, en quelques mois, si dans un premier temps, conjuguée à la chute du dollar, elle permit aux pays industriels importateurs de réaliser de sub­stantielles économies, dans un second temps, cela si­gnifie une réduction du marché à l'exportation que constituent les pays producteurs, et notamment de l'OPEP et du COMECON dont c'est la principale ex­portation.

Cela signifie que 1/5ème des exportations euro­péennes et près de la moitié des exportations ja­ponaises vont être directement touchées par la réduction des marchés consécutive à la chute du dollar et du prix du pétrole.


 

Ce qui commence c'est un nouveau pas en avant dans la récession ; la chute inéluctable des exportations ne peut se traduire que par un ralentissement de la pro­duction et donc des fermetures d'usines, des faillites, des licenciements.

UNE CONCURRENCE EXACERBEE

Dans ces conditions, la concurrence va être acharnée pour préserver "sa" part de marché, et les pays les moins bien lotis vont subir de plein fouet les effets de la crise, et notamment en Europe. Parce qu'ils sont la puissance dominante, les Etats-Unis sont évi­demment les plus à même de défendre les intérêts de leur capital national face à leurs rivaux. En imposant la baisse du dollar, en recourant à des mesures pro­tectionnistes pour protéger leur marché intérieur, et en recourant à toute la panoplie de moyens à leur disposition pour placer leurs exportations (subventions, pressions économiques et militaires, etc.), les USA af­fichent leur ambition : rétablir leur balance commer­ciale, et cela ne peut se faire qu'aux dépens de leurs rivaux européens et  japonais.

La guerre commerciale bat d'ores et déjà son plein, et dans cet exercice difficile, c'est le Japon qui s'est particulièrement illustré ces dernières années tandis que l'Europe est restée en arrière. Dans la perspective d'une concurrence renforcée, c'est l'Europe qui est la plus fragile, c'est elle qui déjà a le moins profité des effets de la "reprise" de 1983, son indice de produc­tion est resté quasiment stagnant depuis la fin de 1979.


 

UNE ATTAOUE RENFORCEE CONTRE LA CLASSE OUVRIERE

La bourgeoisie, tout au moins dans ses cliques diri­geantes, n'est certainement pas dupe de ses bonnes paroles optimistes. Chaque fraction nationale de la classe dominante met en place de manière accélérée de nouveaux programmes d'austérité afin de faire baisser les coûts de la main-d'oeuvre pour rester con­currentiels face à une accélération prévisible du ré­trécissement des marchés d'exportation. C'est toujours au nom de la défense de la compétiti­vité de l'économie nationale que les sacrifices sont exigés de la part de la classe ouvrière. Comme la même chose se passe dans tous les pays, les mêmes sacrifices sont exigés et partout le pouvoir d'achat baisse, si bien que la baisse du niveau de vie de la classe ouvrière, loin d'être une solution à la crise, si­gnifie en fait une nouvelle réduction du marché. C'est la contradiction même que l'économie capitaliste ne peut surmonter. C'est la surproduction qui entraîne la récession.

Le chômage qui atteint déjà des proportions dramati­ques ne peut que croître encore plus, comme il n'a cessé de le faire depuis le début des années 80 en Europe. Le chiffre de 10,8 % de la population active au chômage dans la CEE en 1983 va être largement dépassé dans la période qui vient.


 

Développement du chômage, gel des salaires, augmen­tation des prélèvements sociaux, depuis quelques mois, les attaques s'accentuent en Europe contre la classe ouvrière, toujours justifiées au nom de la santé de l'économie mondiale. Les résultats ne seront pas dif­férents des programmes d'austérité précédents; ils seront pires pour la classe ouvrière et sans effet sur la crise qui continue de s'approfondir.

Jusqu'à présent, la classe dominante a su utiliser au mieux la stagnation économique pour essayer de ré­partir son attaque contre le prolétariat, et ainsi per­mettre la dispersion des luttes, empêcher leur unifi­cation. Une nouvelle chute des échanges mondiaux, et donc de la production, va réduire drastiquement la marge de manoeuvre de la bourgeoisie qui va être obligée d'attaquer frontalement la classe ouvrière. L'évolution même de la crise économique détermine les formes que prend l'attaque de la bourgeoisie et donc la dynamique de la lutte de classe.

L'évidence du fait que le capitalisme n'a plus rien à offrir va déchirer l'écran de la propagande capitaliste. Dans la période qui vient, partout dans le monde, le prolétariat va être durement attaqué, poussé à expri­mer ses réserves de combativité. Mais c'est en Europe, première et plus ancienne concentration prolétarienne de la planète, que la situation est particulièrement si­gnificative. De la capacité du prolétariat le plus an­cien et expérimenté du monde à tirer les leçons de la faillite économique du capital, à résister à l'attaque redoublée de la classe dominante, à traduire la perte de confiance dan? L’économie capitaliste en une prise de conscience de la nécessité ce détruire ce système économique et politique dépend l'avenir. La fin des années 80, marquée par l'accélération dramatique de la crise, sera décisive.

28/5/86.

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Polémique avec le BIPR : TACHES DES REVOLUTIONNAIRES DANS LES PAYS DE LA PERIPHERIE

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Battaglia Comunista a publié dans le n° 9 de sa revue théorique Prometeo un "Projet de thèses sur la tactique communiste dans les pays périphériques", qui devrait bientôt paraître dans les versions anglaise et française de la Revue communiste, organe du Bureau International pour le Parti Révolution­naire  (BIPR), dans  le but de  les faire adopter par  celui-ci ([1] [15]).

Le CCI ne peut que saluer avec plaisir cette tentative de se donner une ligne d'intervention bien défi­ nie dans un secteur d'une telle importance, un secteur où l'absence de ligne claire avait conduit Battaglia Comunista (BC) à côtoyer inconsidérément des groupes bourgeois tels que l'UCM iranienne ([2] [16]) ou le RPP indien.

Le projet traite de trois types de problèmes : en premier lieu la réaffirmation des positions générales de BC sur ces pays, positions qui coïncident en général avec les nôtres (fin de la phase de développe­ment du capitalisme, nature contre-révolutionnaire des soi-disant luttes de libération nationale, etc.). En second lieu, une définition de l'approche à avoir envers les groupes qui dans ces pays se déclarent intéressés par une cohérence de classe, Nous nous sommes déjà maintes fois exprimés ([3] [17]) sur l'opportu­nisme de fond de cette approche et nous ne manquerons pas d'y revenir de manière plus systématique. En troisième lieu -et c'est là l'objet spécifique de ces thèses : quelle tactique doivent appliquer les communistes dans les pays de la périphérie du capitalisme. Notre critique porte donc sur ce point spécifique, non pas tant pour mettre en évidence telle ou telle erreur particulière, mais pour mettre en lumière la tentation opportuniste d'obtenir des succès immédiats qui parcourt et empoisonne les thèses.

En effet, beaucoup de groupes, BC y compris, se sont convertis au travail envers la périphérie du capi­talisme après la faillite, au début des années 80, des Conférences internationales de la Gauche commu­niste ([4] [18]). Considérant que c'était "perdre son temps" que de poursuivre les "éternelles discussions" au sein de la Gauche communiste, ils ont trouvé plus gratifiant et excitant de cultiver en paix leur "propre" petit jardin de contacts avec des groupes qui se vantaient d'avoir des centaines, voire des milliers d'adhérents. A cette époque on a assisté, plutôt qu'à une diffusion des idées communistes dans les pays périphériques, à une pénétration au sein du milieu révolutionnaire des métropoles, des idées de groupes bourgeois de  la périphérie,   tels  l'UCM-KOMALA ([5] [19]).

Mais la classe ouvrière est mondiale, de même que la reprise de ses luttes et cette reprise à la longue fait sentir ses effets même dans les lieux où le prolétariat est dispersé et peu nombreux. Il ne nous vient plus des pays périphériques seulement des versions améliorées des sirènes nationalistes et tiers-mondistes, mais aussi la jeune voix de petits groupes qui, à travers mille difficultés, s'approchent d'une cohérence de classe. Et cette voix est une voix critique, qui demande avant tout aux organisa­tions communistes des métropoles de la clarté, de la clarté sur leurs propres positions et sur les divergences effectives qui les séparent  des autres groupes.

Le débat entre groupes révolutionnaires, interrompu depuis des années en Europe, revient aujourd'hui avec force à l'ordre du jour, justement par l'intermédiaire de ces camarades de la périphérie, au nom desquels on avait précipitamment déclaré mort et enterré le débat entre les groupes de la Gauche commu­niste  ( [6] [20]).

Les communistes internationalistes des métropoles, loin de se satisfaire de l'avantage que 1'histoire et l'expérience des prolétariats dont ils sont l'expression leur octroient par rapport aux camarades de la périphérie, devraient réfléchir sur le retard qu'ils ont accumulé dans la construction d'un pôle commun de clarification qui serve de point de référence pour les camarades de tous les pays. C'est celui-là le but (tant pis s'iln'est pas réalisable tout de suite) que nous nous assignons à nous-mêmes,  aux camarades du BIPR et  à  tout  le milieu politique prolétarien.

LA  NECESSAIRE  UNITE  ENTRE  "PROGRAMME" ET "TACTIQUE"

« Les "objectifs" partiels, contingents, justement tactiques, ne peuvent en aucun cas être assimilés à des objectifs programmatiques du Parti Commu­niste. Cela revient à dire qu'ils ne peuvent et ne doivent en aucun cas faire partie du programme communiste.

Pour clarifier la thèse avec un exemple, on peut faire référence à la question des organisations de base du prolétariat. Fait partie du programme com­muniste la centralisation nationale et interna­tionale des conseils prolétariens, sur la base des unités productives et territoriales (...) Par contre, ne fait pas partie du programme commu­niste -mais bien de la tactique communiste- la li­bération  du  prolétariat des prisons syndicales dans la lutte contre le capitalisme à travers son organisation autonome dans les  assemblées géné­rales d'usine, coordonnées et centralisées à tra­vers des délégués élus et révocables." (Préambule) La raison d'une telle séparation serait que si le mou­vement prolétarien atteint cet  objectif   ["tactique"] indépendamment d'une stratégie globale d'attaque au pouvoir bourgeois, il est rapidement récupéré [par la» bourgeoisie]» (Ibid)

C'est vrai que toute victoire ouvrière partielle peut être récupérée par la bourgeoisie, mais cela, quel que soit son objectif, même celui que le projet signale comme l'essence du programme : "la dictature du prolétariat et la construction du socialisme". En effet si "la dictature du prolétariat" reste isolée dans un seul pays elle peut être et l'est même obligatoirement récupérée par le capitalisme, comme l'expé­rience de la révolution russe nous l'a démontré. Mais l'objection de fond que nous opposons aux argu­ments de BC est que, de tout temps, nous communis­tes "ne nous présentons pas au monde en doctri­naires avec un nouveau principe : voici la vérité, mets-toi à genoux! Nous ne lui disons pas : renonce à tes luttes car ce sont des  sottises) Nous ne faisons que montrer au  monde  pourquoi il lutte en réalité. " (Marx). Se limiter à écrire dans le programme la nécessité de la centralisation des conseils ouvriers cela revient à présenter aux ouvriers une sorte d'idéal qu'il serait beau d'attein­dre mais qui n'aurait  rien à voir avec les luttes dans lesquelles il est déjà engagé. Le rôle des communistes est plutôt celui indiqué par Marx : montrer que l'ob­jectif final de la centralisation mondiale des conseils ouvriers n'est autre que le point final du processus qui prend déjà forme dans les tentatives encore sporadiques aujourd'hui d'auto organisation des grèves au niveau de simples usines ou dans les tentatives d'ex­tension des luttes d'un secteur à un autre. Le fait que l'écrasante majorité des ouvriers ne soit pas encore consciente de l'enjeu réel de ses luttes ne fait que confirmer la nécessité pour les communistes de mettre en avant, face au prolétariat, avec un maximum de clarté "pourquoi il lutte en réalité, car "la conscience est quelque chose qu'il devra faire sienne, qu'il le veuille ou non". (Marx)

Le programme ne contient donc pas seulement "où nous voulons arriver" mais aussi "pourquoi c'est pos­sible et comment c'est possible d'y parvenir". Exclure du programme cette composante essentielle et la reléguer dans les limbes d'une "tactique communiste" plus élastique "fait partie des paradoxes historiques de certaines forces politiques" comme Battaglia Comunista, qui affirme avec justesse que la distinction entre "programme maximum"et "programme minimum" est dépassée, souligne la nécessité d'éliminer les ambiguï­tés laissées sur cette question par l'Internationale Communiste et puis oublie justement le plus impor­tant. C'est là que se trouve toute l'ambiguïté : BC rejette la vieille distinction périmée mais la réintro­duit ensuite, nouvelle version, sous la forme d'une insistance croissante sur la distinction entre le programme, bastion des principes, et la tactique, plus libre de "manoeuvrer" pour le triomphe final des prin­cipes.

Les différentes Gauches Communistes se sont  élevées contre cette insistance, en particulier la Gauche italienne qui a réaffirmé, par la bouche de Bordiga, que la tactique ne peut être autre chose que l'application concrète de la stratégie, c'est-à-dire du programme. En effet, le but de la direction de l'I.C, en soulignant cette distinction, était double : d'une part Se donner une certaine marge de manoeuvre dans le domaine tactique, d'autre part s'assurer que les vire- voltes tactiques momentanées ne contaminent pas l'essentiel et donc la pureté du programme. Naturelle­ment, cette distinction entre tactique et programme existait seulement, dans la tête des chefs de l'Inter­nationale : l'opportunisme, introduit par la porte de service de la tactique, s'est infiltré de plus en plus dans le programme et a fini par ouvrir grand les portes à la contre-révolution stalinienne. Il semblerait que les camarades de BC se font eux aussi des illusions en croyant qu'il suffit de déclarer que les tactiques particulières pour les pays périphé­riques n'ont pas leur place dans le programme, pour ménager la chèvre et le chou. Ils veulent croire que les "petites" concessions tactiques, nécessaires pour accrocher plus solidement des groupes et des éléments des pays périphériques, n'ont aucune influence sur le programme ; ainsi, le programme restant pur, il sera facile de corriger les éventuelles déviations au niveau tactique. L'Internationale Communiste aussi pensait que c'était facile...et on a vu comment elle a fini. Si BC -et le BIPR- ne renversent pas rapidement la vapeur, ils risquent sérieusement de prendre un che­min sans retour.

LES  ILLUSIONS  SUR  LES  "DROITS  DEMOCRATIQUES"

Voyons maintenant où mène l'application concrète de ces subtiles distinctions entre programme et tactique. "La domination du capital dans les pays périphé­riques se maintient au moyen de l'exercice de la répression violente et de la négation des libertés les plus élémentaires (de parole, de presse, d'or­ganisation [...] Les marxistes savent distinguer [...] entre des mouvements sociaux pour les liber­tés et la démocratie, et les forces politiques libérales-démocratiques qui se servent de ces mou­vements pour la conservation du capitalisme. [...] Ce n'est pas une politique communiste que. [...] de condamner, en même temps que la direction poli­tique, 1'ensemble du mouvement matériel et social et ses mêmes revendications [...] de même qu'il n'est pas communiste d'ignorer dans les pays mé­tropolitains les revendications immédiates, écono­miques du prolétariat, sous prétexte qu'en soi elles ne nient pas le mode de production capita­liste. "  (Thèse n°   11).

Les énormes différences qui existent dans les condi­tions sociales et politiques des pays périphériques par rapport à celles des métropoles sont tellement éviden­tes que personne ne peut les nier. Le problème est : qu'est-ce que "la liberté et la démocratie" viennent faire ici ? Qu'est-ce que cela signifie d'affirmer que "C'est la domination du capitalisme -libéral et démocratique dans ses métropoles- qui nie la li­berté et la démocratie dans les aires périphé­riques"? Ce que le capitalisme nie, ou plutôt, ce qu'il n'est pas capable de garantir, c'est un minimum de développement dans un sens capitaliste de ces aires, qui permette au" moins d'assurer la survivance physique de leurs populations. Le capitalisme n'est "démocratique", nulle part et encore moins dans les métropoles. Ce qu'il arrive encore à garantir dans les métropoles -mais de moins en moins- c'est un niveau de vie suffisant pour alimenter des illusions démocra­tiques au sein de la classe ouvrière. Par contre, si on veut parler du fait que dans les métropoles il existe une plus grande liberté d'organisation, de presse, etc. que dans la périphérie, il ne faut pas oublier la part que joue dans cet état de fait l'existence d'un rapport de forces plus favorable au prolétariat de par sa force et sa concentration. Lancer le mot d'ordre "droits  démocratiques"  là  où   le  prolétariat  n'a  pas  la force de les imposer et où le capitalisme n'a pas la force de les donner, cela revient à agiter devant les masses non pas une misérable carotte, mais l'illusion d'une misérable carotte.

La distinction entre les mouvements sociaux pour la démocratie et leurs directions est alors encore plus opportuniste. Comme l'admettent les thèses mêmes, les "désirs de liberté et de démocratie qui s'élè­vent de toutes les couches de la population" (thèse 11) sont partagées par la bourgeoisie aussi. Le tableau n'est donc pas celui d'un vague "mouvement social" parasité par une direction bourgeoise qui en substance, lui serait étrangère. Au contraire, le mouvement contre l'Apartheid en Afrique du Sud (pour reprendre l'exemple cité par les thèses) est un mouvement in­terclassée dans lequel les ouvriers noirs sont obligés de marcher aux côtés des bourgeois noirs, sous la di­rection de bourgeois noirs et sur des mots d'ordre qui défendent les intérêts des bourgeois noirs en particu­lier, et du capitalisme en général. Le fait que ces revendications "surgissent naturellement dans le processus de la vie sociale de ces pays" est, en termes marxistes, une banalité dénuée de sens : la re­vendication pour des "réformes de structures" surgit aussi "naturellement" en Italie et dans d'autres pays industrialisés, et ce n'est pas pour cela que les com­munistes renoncent à la combattre et la dénoncer de toutes leurs forces. Dans la tentative de rendre plus acceptable l'appui "critique" à ces mouvements, les thèses s'efforcent de souligner leur caractère "réel", "naturel", "matériel" et ainsi de suite. Un peu comme les philosophes bourgeois du 18e siècle qui pensaient que "tout ce qui est réel est rationnel" (c'est-à-dire bourgeois), BC semble penser que tout ce qui est ma­tériel est prolétarien ou, au moins, pas anti prolétarien. Nous regrettons de devoir refroidir ces enthou­siasmes faciles, mais des phénomènes comme le natio­nalisme, le syndicalisme, le racisme (ou l'anti-racisme) sont des forces réelles, qui exercent leur poids matériel dans un sens bien précis et qui surgissent tout naturellement en défense de l'existence du capitalisme. Le parallèle avec les revendications "immé­diates" ouvrières, qui est supposé attribuer le brevet de marxisme à l'appui de ces mouvements, montre seulement combien BC est obligée d'embrouiller les cartes pour tenter de retomber sur ses pieds. Une chose est la revendication immédiate ouvrière (plus de salaires, moins d'heures de travail) qui, même si elle est limitée, va dans le sens de la défense des intérêts de classe et doit donc être soutenue par les commu­nistes, tout autre chose est la revendication pour des "élections libres" ou pour plus de pouvoir pour sa pro­pre bourgeoisie "opprimée" qui, tant dans l'immédiat qu'en perspective, ne sert qu'à dévoyer les luttes ou­vrières dans une voie sans issue. Dans le premier cas les communistes sont au premier rang dans la lutte, dans le second cas, ils sont toujours au premier rang mais pour mettre en garde les travailleurs contre les pièges que lui tend la bourgeoisie.

C'est là le point central : Battaglia Comunista a la conscience tranquille en rejetant "l'inscription au programme communiste d'objectifs politiques démo­cratiques qui ajournerait le contenu réel du pro­gramme communiste"  elle utilise en  même temps ces objectifs "dans  la définition de  lignes tactiques, de mots d'ordre pour la lutte immédiate [...] en lien étroit avec des revendications, lignes tactiques et slogans agitatrices de la lutte économique, de manière à rendre matériellement praticable la pé­nétration du programme proprement  communiste au sein des masses prolétariennes et .déshéritées." L'ennui est que  les objectifs politiques démocratiques, c'est-à-dire bourgeois, ne font pas qu'"ajourner" le programme communiste ; ils le nient et le détruisent de fond en comble. Soutenir que la  pratique de ces objectifs favorise justement "la pénétration du pro­gramme communiste au sein des masses", cela revient à soutenir que pour apprendre à quelqu'un à nager, il faut d'abord commencer par lui attacher les mains avant de le jeter à l'eau.

En proclamant que ces objectifs démocratiques doivent aller de pair avec les revendications économiques, les camarades de BC tournent volontairement le dos à la réalité : l'expérience des mouvements prolétariens de la périphérie du capitalisme montre que c'est exacte­ment le contraire qui arrive, c'est-à-dire que la sou­mission aux bavardages démocratiques entraîne comme premier résultat le renoncement aux revendications économiques prolétariennes. Pour rester encore sur l'exemple de l'Afrique du Sud : au printemps 85, les mineurs noirs ont décidé de faire grève pour de fortes augmentations de salaires ; les syndicats et les partis noirs ont décidé qu'il fallait "élargir" les revendica­tions à des objectifs politiques tels que l'abolition de l'Apartheid. Puis les revendications économiques ont été éliminées "pour ne pas trop demander à la fois", tandis que la grève était repoussée de semaine en se­maine pour permettre aux patrons de se préparer. Résultat : la grève, désormais vidée de toute force prolétarienne, a échoué le jour même où elle a com­mencé, avec un lavage de cerveau des ouvriers en conséquence : "la lutte ne paie pas, seules des élec­tions  libres peuvent changer réellement les choses".

Le plus inquiétant c'est qu'avec cette insistance sur le fait que la poursuite d'objectifs démocratiques peut servir à entraîner les masses sur des positions com­munistes, on se rapproche dangereusement de la thèse réactionnaire bien connue des trotskystes, pour qui le prolétariat n'est pas mûr pour les positions de classe et doit y être porté à petits pas, à travers des objectifs intermédiaires, codifiés dans un beau manuel appelé "Programme de Transition". Certes, BC ne par­tage pas ces assertions contre-révolutionnaires et les combats au sein du prolétariat occidental, mais elle n'est pas aussi ferme sur l'exclusion de la possibilité d'une tactique semblable sur certains aspects, pour le prolétariat des pays périphériques. Une telle ambiguïté n'ouvre même pas une petite fe­nêtre aux positions communistes dans la périphérie, par contre elle risque d'ouvrir grand les portes à l'infiltration opportuniste partout.

LES CONDITIONS DE LA LUTTE ET DU PROGRAMME COMMUNISTE DANS LES PAYS PERIPHERIQUES

"...Le fait que le mode de production capitaliste dans les pays périphériques s'est imposé en bou­leversant les anciens équilibres et que sa conser­vation se fonde et se traduit par une misère croissante pour des masses de plus en plus nombreuses de prolétaires et de déshérités, 1'oppres­sion politique et la répression qui sont donc nécessaires pour que les masses subissent ces rap­ports, tout cela détermine dans les pays périphé­riques un potentiel de radicalisation des consciences plus élevé que dans les formations so­ciales des métropoles."   [...]

"Ceci, à la différence des pays métropolitains, rend possible l'existence et l'action d'organisations communistes de masse" (Thèse  5)

"La possibilité d'organisations de masse diri­gées par les communistes [...] ne doit pas se tra­duire par une massification des partis communistes eux-mêmes."

"C'est au fond le même problème qui se présente dans les pays avancés et auquel notre courant répond par ses thèses sur les 'groupes d'usine' com­munistes gui regroupent autour des cadres du parti les avant-gardes ouvrières orientées par lui et sous son influence directe. La particularité des pays périphériques réside dans le fait que cette condition existe non seulement dans les usines et dans la très restreinte (pour le moment) aire d'action de la minorité révolutionnaire, en période de paix sociale, mais bien à plus large échelle sur le territoire, dans les villes et les campagnes. Dans ces pays, pour les raisons qu'on a vues, l'organisation de forts groupes communistes territoriaux devient  donc possible."   (Thèse  6).

Comme on peut voir, BC avance deux thèses étroite­ment liées sur la "particularité" des pays périphé­riques.

La  première  thèse  est  que  la  faiblesse de l'implanta­tion capitaliste dans ces pays en met à nu les contra­dictions, facilitant "la circulation  du programme au sein des masses".

La deuxième thèse est que cette plus grande disponi­bilité envers la propagande révolutionnaire rend dès aujourd'hui possible dans ces pays la construction d'organisations de masse sous l'influence directe du parti.

Deux thèses, deux erreurs. D'abord, la thèse selon laquelle, les pays périphériques, de par les contradic­tions particulièrement aiguës qu'ils vivent, offrent de meilleures conditions pour l'activité révolutionnaire, n'est pas une idée nouvelle de BC ; elle dérive d'une idée défendue par Lénine connue comme la théorie "du maillon faible du capitalisme", dont à voulu géné­raliser la validité après la victoire de la révolution dans ce pays périphérique qu'était la Russie tsariste. Le CCI a soumis à une critique approfondie cette théorie, critique qu'il n'y a pas lieu de reprendre ici en entier ([7] [21]). Il suffira simplement de rappeler que le système mondial de domination bourgeoise n'est pas composé d'autant, de maillons indépendants pouvant être pris séparément ; quand un des maillons les plus faibles est en difficulté (par exemple la Pologne en 1980) c'est toute la bourgeoisie mondiale qui intervient pour soutenir cette bourgeoisie nationale contre le prolétariat. Dans ces pays le processus d'une révol­te prolétarienne, confronté à "sa propre" bourgeoisie seulement, aurait certainement de grandes possibilités d'extension et de radicalisation ; mais face au front uni que la bourgeoisie mondiale oppose de fait, ses possibilités sont très rapidement réduites. En conséquence, la circulation du programme commu­niste dans ces pays n'est pas du tout plus facile, malgré le haut niveau de radicalité et de violence souvent atteint par les luttes. Quiconque a eu des contacts avec des camarades de ces pays peut en témoigner, et peuvent en témoigner surtout les camarades mêmes qui travaillent dans ces pays. La réalité quotidienne à laquelle on a affaire dans un pays comme l'Iran par exemple, c'est l'énorme influence du radicalisme islamique sur les masses semi-prolétaires et déshéritées. La réalité à laquelle on se heurte chaque jour en Inde c'est la subsistance, au sein du prolétariat lui-même, du sectarisme tribal qui existe entre les milliers de communautés ethniques présentes dans le pays, la réalité de la séparation des individus en fonction du système des castes. Parler de la facilité avec laquelle circule le pro­gramme communiste dans des pays où une journée de salaire ouvrier ne suffit pas à payer un seul numéro d'un journal révolutionnaire, des pays où les ouvriers ne peuvent pas lire le soir après dix heures d'usine parce que le courant électrique n'est fourni que pendant quelques heures par jour, c'est faire de l'huma­nisme bon marché ou, plus simplement, n'y avoir jamais mis les pieds.

La réalité est exactement le contraire : de très petits noyaux de camarades commencent à travailler dans les pays de la périphérie du capitalisme et doi­vent conquérir la rue centimètre par centimètre, lut­tant à coups de griffes et à coups de dents contre des difficultés inouïes. Pour ne pas plier sous les dif­ficultés ambiantes, ces camarades ont besoin de tout l'appui et de toute la force des organisations commu­nistes des métropoles, et non de paroles sur la faci­lité de leur travail.

La conclusion pratique que BC fait découler de la soi-disant facilité pour la propagande communiste est la possibilité de construire des organisations de masse dirigées par les communistes. Il faut voir là un cas typique de pénétration de l'idéologie bourgeoise à tra­vers les interstices laissés par une faiblesse persis­tante dans les positions révolutionnaires. En l'occurrence, il s'agit de la rencontre des menson­ges éhontés des nationalistes du PC d'Iran quant à l'existence d'"organisations communistes de masse" sur les montagnes du Kurdistan et dans tout l'Iran, et de la volonté désespérée de BC de croire ces mensonges qui semblent redonner du souffle à sa vieille fixation Sur les "groupes communistes d'usine". Cela fait des années que le CCI polémique avec BC sur sa préten­tion de construire sur les lieux de travail des groupes d'usine, regroupant aussi bien des militants du parti que  des prolétaires  influencés  politiquement  par  lui.

LA CHIMERE DE B.C. : LES "GROUPES COMMUNISTES D'USINE"

Pour répondre à nos critiques et mises en garde sur le danger de glissements opportunistes, les camarades de BC ont toujours insisté sur le fait que les "groupes communistes d'usine" ne s'écartent pas de la ligne du parti et donc leur existence n'est en fait pas basée sur une dilution du programme.

Or, la question est justement celle-là. Tant que les groupes d'usine sont ce qu'ils sont aujourd'hui, c'est-à-dire de simples copies du parti avec quelques rares sympathisants en plus et un peu de cohérence pro­grammatique en moins, il ne peut effectivement pas surgir de gros problème, au moins dans l'immédiat, car seulement ce qui a une existence réelle peut réellement entraîner des avantages ou des problèmes. La question se pose différemment dans l'hypothèse d'un élargissement de ces groupes, hypothèse qui, en fait, n'est pas irréaliste : à mesure que la crise s'ap­profondit, un nombre croissant de prolétaires sera poussé à chercher une alternative aux faux partis ouvriers et à tous les organismes soi-disant "intermé­diaires" (groupes ouvriers, groupes d'usine, etc.) et nous verrons affluer un grand nombre de ces élé­ments. Le jour où ils existeront vraiment, les groupes d'usine seront constitués d'un certain nombre de pro­létaires dégoûtés par les faux partis ouvriers, mais encore en partie liés à eux du point de vue idéolo­gique, plus quelques rares militants ayant effective­ment une cohérence programmatique. Cette perspec­tive semble être la "Terre promise" pour les militants de BC : enfin la cohérence programmatique du parti pourra influencer un plus grand nombre d'ouvriers ! Cela elle le comprend très bien. Par contre, ce qui n'arrive pas à lui rentrer dans la tête est que dans la nature tous les échanges se font dans les deux sens. Cela veut dire que si les groupes d'usine offrent un terrain organisationnel commun à la cohérence programmatique et aux illusions qui pèsent encore sur les prolétaires, alors ce ne sont pas seulement les 1’illusions qui cèdent le pas devant les positions révolutionnaires, mais aussi les positions révolutionnaires qui doivent faire quelques petites concessions aux illusions des prolétaires afin de maintenir un terrain commun d'entente.

Si on ajoute à la pression normale ambiante de l'idéo­logie dominante la pression interne des tendances activistes, localistes, ouvriéristes de dizaines d'ou­vriers à peine éveillés à la nécessité de "faire quelque chose", où iraient finir ces groupes d'usine ? Le point de rencontre entre cohérence et confusion tendrait nécessairement à se faire plus près de la confusion, contaminant les militants révolutionnaires mêmes présents dans les groupes.

La  réponse de BC à ces mises en garde peut facile­ment se réduire de l'insistance du projet de thèses sur le fait que "dans les organismes de parti se trouvent concentrées les meilleures qualités, les meilleurs cadres du prolétariat révolutionnaire et les mieux préparés." (Thèse  6)

En somme, la garantie de non déviation des groupes d'usine ou des groupes territoriaux résiderait dans l'existence d'un parti homogène et sélectionné, qui en assurerait la direction correcte. En fait BC se fait encore une fois des illusions sur la possibilité de mé­nager la chèvre et le chou en s'imaginant des séparations à cloisons étanches entre le parti et les ouvriers qui, dans  la réalité, n'existent  pas.

Nous avons déjà vu comment, au niveau des positions politiques, plus on laisse du champ libre aux "mots d'ordre agitatoires" et de la marge de manoeuvre à la "tactique communiste", plus on se fait des illusions sur la possibilité de sauver son âme en proclamant que tout cela "ne doit en aucun cas faire partie du programme communiste" (Préambule).   Il  en  va  de même au niveau organisationnel : plus on ouvre les portes de soi-disant organismes "communistes" à des masses de prolétaires convaincus seulement à moitié, plus on croit sauver son âme en proclamant qu'au parti, le vrai, n'entrent que les éléments "aptes". Que signifie cette corrélation ?

En premier lieu que ces fameux organismes territoriaux de masse ne sont pas autre chose que la concrétisation organisationnelle de la division opportuniste entre tactique et programme (dans les groupes on pratique la tactique, le parti, lui, s'occupe de main­tenir le programme).

En second lieu, cela signifie que, étant donné qu'une tactique opportuniste finit toujours par souiller le programme dont elle est censée s'inspirer, ainsi chaque oscillation de la masse d'éléments semi-conscients encadrés par les groupes a forcément des répercussions sur l'organisation révolutionnaire qui est responsable de ces groupes du point de vue politique et organisationnel.

En fin de comptes, toute cette argumentation sur la tactique et les organisations "de masse" ne conduit pas à la "pénétration du programme proprement com­muniste au sein des masses prolétariennes et dés­hérités"? Thèse 11), mais plus banalement, à la péné­tration de l'influence idéologique bourgeoise au sein des rares et précieuses organisations communistes.

LIMITES D'UN AMENDEMENT : UNE REACTION SALUTAIRE MAIS NETTEMENT INSUFFISANTE

C'est un vieil acquis de la Gauche Communiste que de savoir que toute tentative d'adapter les thèses communistes aux conditions particulières des divers pays (arriération, etc.) comporte les plus grands risques de déviation opportuniste. L'accentuation des connotations opportunistes que l'on remarque à chaque pas du projet était donc amplement prévisible, de même qu'on pouvait prévoir une réaction au sein du BIPR contre cette accentuation. À la dernière réu­nion du Bureau, un "amendement de forme" (!) a été approuvé, remplaçant "organisations communistes de masse" par "organisations de masse dirigées par les communistes".Donc,"aucune  concession, pas même formelle, aux organisations politiques com­munistes de masse, mais une étude sérieuse des différentes possibilités offertes  au travail   des communistes dans les pays périphériques." (Battaglia Comunista n°l, 1986). En fait, pour les camarades de BC "l'argumentation ultérieure ne  laissait  aucune place au doute" Changer un terme est plus que suf­fisant pour tout clarifier. C'est peut-être vrai. Mais commençons par  faire remarquer que ces groupes sont destinés à se voir attacher  un adjectif de trop : pen­dant trente ans, BC les a définis comme des "grou­pes syndicalistes d'usine" et ce n'est qu'après les pre­mières polémiques avec nous qu'elle les a rebaptisés "Groupes internationalistes d'usine". Nous avions alors commenté : "S'il suffisait d'éliminer le terme 'syndical'  pour éliminer les ambiguïtés sur le syndicat, tout serait réglé." (Revue Internatio­nale n° 39 p.16 : Polémique avec la CWO). Ceci dit, ici il ne s'agissait pas seulement d'un adjectif en trop : dans les thèses on ne se limite pas à appeler communistes ces  groupes territoriaux. On prend aussi la  peine de préciser qu'ils sont "communistes parce qu'ils sont dirigés par et en fonction des lignes communistes, parce qu'ils sont animés et guidés par les cadres et  les organismes du parti". (Thèse 6). Si on prenait au sérieux ces affirmations, on jet­terait à l'eau, en une seule phrase, toute la tradition politique-organisationnelle de la Gauche italienne, faisant passer pour une organisation communiste un organisme de masse composé de non-communistes et obligatoirement soumis aux oscillations des prolétaires qui le composent.

La logique liquidatrice du parti qui se trouve derrière ces organisations ne peut être extirpée par une simple élimination d'adjectifs. En écrivant ces formulations particulièrement opportunistes, les rédacteurs du projet des thèses n'ont fait que développer logiquement et jusqu'au bout ce que les camarades de BC ont tou­jours dit : que les groupes d'usine sont des organis­mes communistes, des organismes de parti, même s'ils encadrent des ouvriers qui n'adhèrent pas au parti. L'hypothèse actuelle d'une entrée en masse de non-communistes, de non-militants du parti au sein de ces organismes de parti, ne fait que rendre plus évidente et macroscopique une contradiction qui existait déjà. Si BC veut comme d'habitude ménager la chèvre et le chou, il faut précisément admettre qu'un organisme puisse être communiste même si l'écrasante majorité de ses militants ne l'est pas (il suffit que la direction le soit), et alors on ne comprend pas la nécessité de l'amendement approuvé, ou alors il faut admettre qu’il ne s'agit pas d'organismes de parti mais d'orga­nismes semi-politiques, intermédiaires entre classe et parti, ce que BC a toujours nie. Et même si elle l'admettait, ce né serait pas un grand pas en avant : elle abandonnerait en fait une de ses confusions par­ticulières, seulement pour s'enfoncer dans la confusion générale répandue dans le milieu prolétarien au sujet des "organismes intermédiaires" et autres "courroies de transmission".

Dans les deux cas toute la tentative de développer une proposition spécifique politique-organisationnelle pour les camarades des pays périphériques craque sur ses propres bases constitutives. Les camarades du BIPR doivent y réfléchir très sérieusement.

BEYLE



[1] [22] Le   BIPR   s'est   constitué   à   l'initiative   de   Battaglia   Comunista   et   de   la   Communist   Workers'Orga­nisation   (CWO)

[2] [23] Voir Revue  Internationale  n°36  : "A propos  de   l'adresse  aux groupes politiques prolétariens du  5e congrès  du  CCI - Réponse  aux  réponses"

[3] [24] Voir par exemple  la  2ème partie de l'article "Bluff d'un  regroupement"  dans  la Revue  Internationale n°  41.

[4] [25] Voir  les brochures contenant   les procès-verbaux de ces Conférences.

[5] [26] Voir Revue  Internationale  n°36  : "A propos  de   l'adresse  aux groupes politiques prolétariens du  5e congrès  du  CCI - Réponse  aux  réponses"

[6] [27] Voir Revue  Internationale  n°36  : "A propos  de   l'adresse  aux groupes politiques prolétariens du  5e congrès  du  CCI - Réponse  aux  réponses" 

[7] [28] Voir dans  les Revues Internationales n°31   (4ème d'Europe de  l'Ouest  au coeur de  la  lutte de classe", trim.82)  et  37  (2ème  trim.84)   :   "Le prolétariat "A propos de  la critique de  la  théorie du   'maillon faible')

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [29]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [30]
  • La lutte Proletarienne [31]

Correspondance internationale : Emancipacion Obrera, Militancia Clasista Revolucionaria (Argentine, Uruguay)

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Présentation

Nous venons de recevoir d'Argentine une "Proposition Internationale" qui s'adresse aux éléments et aux groupes révolutionnaires. Elle appelle à la discussion et au regroupement des forces révolutionnaires au­jourd'hui faibles et dispersées de par le monde. Cette proposition que nous présentons ici avec notre répon­se est clairement et sans équivoque possible prolétarienne : elle dénonce la démocratie bourgeoise, tout type de frontisme "anti-fasciste" et le nationalisme ; elle défend et affirme la nécessité de l'internatio­nalisme prolétarien face à la guerre impérialiste.

Nous saluons l'esprit et la démarche dont  les camarades font preuve dans leur document : nécessité de la discussion ouverte, de la "polémique", de la confrontation des différentes positions politiques, de la lut­te politique fraternelle en vue de constituer un pôle de référence politique international. Un pôle de ré­férence qui soit capable de regrouper et d'aider au surgissement d'éléments et de groupes révolutionnaires. Comment ne pourrions-nous pas appuyer 1'esprit et la préoccupation des camarades, nous qui affirmions, lors de la constitution du CCI, dans le premier numéro de notre Revue  Internationale d'avril  1975,  nos propres ambitions:"Concentrer les faibles forces révolutionnaires dispersées de par le monde est  aujourd'hui, dans cette période de crise générale, grosse de convulsions et de tourmentes sociales, une des tâches les plus urgentes et les plus ardues qu'affrontent les révolutionnaires. Cette tâche ne peut être entreprise qu'en se plaçant d'emblée et dès le départ sur le plan international. Ce  souci est au centre des préoccupa­tions de notre Courant. C'est à ce souci que répond également notre Revue, et en la lançant nous entendions en faire un instrument, un pôle pour le regroupement international des révolutionnaires". Même si  les ré­sultats ont été modestes jusqu'à présent, notre ambition est  toujours là et c'est dans ce sens que nous pu­blions cette "Proposition Internationale" signée par deux groupes : "Emancipacion Obrera" et "Militancia Clasista Révolueionaria" ([1] [32]).

Ce dernier groupe ne nous est pas connu. Par contre, nous savons qu'"Emancipacion Obrera" est un groupe qui a surgi après la  guerre des Malouines. Il ne se rattache à aucune organisation déjà existante. Ce grou­pe s'est constitué petit à petit au cours des terribles années 70 en Argentine. Il a dû affronter la répres­sion de 1'Etat bourgeois sous toutes ses formes :

-.1'officielle : la démocratique, la péroniste, la syndicale,  et bien sûr la policière et la militaire;

- 1'officieuse, para-étatique : d'une part, celle des  tristement célèbres commandos d'extrême droite A.A.A et, d'autre part, celle du trotskisme ([2] [33]) quand nos camarades dénonçaient l'appui et la participation de ceux-ci à la guerre des Malouines et défendaient  une politique de "défaitisme révolutionnaire".

C'est en  1978 que la répression a atteint son sommet lors de la coupe du monde de football en Argentine. C'est en  1978 que Ces camarades ont décidé "de commencer à réaliser un travail de lutte idéologique, de sortir une publication clandestine"."C'est cette activité qui, quand le gouvernement militaire a envahi les îles Malouines, a permis de sortir des  tracts dans la rue s'opposant à la guerre dès le deuxième jour de celle-ci. C'est à partir de là que de vieilles et de nouvelles connaissances se sont regroupées dans la lut­te contre le nationalisme et la guerre inter-bourgeoise. Durant ces deux mois, des petits groupes ont surgi réalisant une activité internationaliste" ("Emancipacion Obrera").Après la guerre, ces groupes se sont réunis et "ont décidé de poursuivre le processus de lutte politique et ont discuté de 1'avenir : produit de la discussion,  est sorti  un document sur les élections futures et ce document  fut signé : "Emancipacion Obre­ra".

Nous allons peut-être manquer de pudeur,  mais c'est avec émotion et joie que nous saluons ces camarades et présentons ici  leur "Proposition Internationale". Dans un pays où le prolétariat avait subi  une répres­sion féroce, l'apparition d'une voix prolétarienne est  une promesse de plus, après le Mexique, après l'In­de,  pour l'issue victorieuse des gigantesques affrontements de classe qui se préparent.

C'est aussi  la promesse de plus de travail et de responsabilité pour les groupes déjà constitués du milieu révolutionnaire international. Pour sa part, le CCI essaiera de remplir du mieux possible la tâche qu'il s'est assignée.

"Proposition internationale" aux partisans de la révolution prolétarienne mondiale

Les 22 et 23 février 1986, un groupe de. Militants que, (spécialement d'Argentine et d'Uruguay) se sont réunis en Uruguay pour discuter de la situation mondiale actuelle et des tâches du prolétariat

Entre eux, il y eut un accord général sur le fait que face aux attaques que la bourgeoisie porte mondialement contre le prolétariat et face à la situation actuelle de faiblesse, de dispersion et d'isolement des petites forces classistes et révolutionnaire il était nécessaire de travailler de manière associée pour renverser la situation en combattant le sectarisme et le nationalisme implicites dans certaines conceptions du travail inter­national. Et comme tentative pour modifier cette situation, les camarades présents donnent à connaî­tre les idées et la proposition suivantes.

QUELQUES CONSIDERATIONS ET FONDEMENTS PREALABLES.

Il peut paraître étrange que, ici, d'un seul coup, quelques groupes et militants peu nombreux, sûrement inconnus en général, lancent un appel, une proposition à tous ceux qui, en diverses parties du monde, avec plus ou moins de force, avec plus ou moins de clarté, brandissent bien haut le drapeau de l'internationalisme prolétarien, de la révolution prolétarienne mondiale.

Mais ce n'est pas "d'ici" ni "d'un seul coup" que surgit une fois encore le cri angoissé de minorités révolutionnaires qui cherchent à rompre le cordon tendu par le capital, qui assistent impuissantes aux coups terrifiants que la bourgeoisie porte sur le prolétariat et sur elles-mêmes, qui, tant dans les périodes de montée de la lutte de classe que dans les moments de la contre-révolution la plus violente, découvrent l'une et l'autre ce que signi­fient l'isolement, la faiblesse de leurs petites for­ces ; faiblesse non seulement numérique, mais fon­damentalement politique car il est impossible loca­lement ou nationalement de résoudre les problèmes que le moment actuel impose aux révolutionnaires.

Nous sommes convaincus qu'en différents lieux, ont surgi des groupes, des militants qui, ne s'iden­tifiant pas à la gauche traditionnelle (stalinienne, trotskyste et ses variantes.), aux politiques visant à aider la bourgeoisie à résoudre ses problèmes, avec la position de changer la forme étatique de la domination bourgeoise ou de l'appuyer dans ses guerres, ont essayé d'élaborer une politique dis­tincte revendiquant l'autonomie de la classe ouvriè­re face à la bourgeoisie et la lutte pour détruire sa domination et son Etat sans admettre des phases ou des étapes préliminaires (démocratiques).

Et nous savons ce que c'est que d'aller à contre-courant, sans aucune aide sur laquelle compter, sans possibilité immédiate de réappropriation des expé­riences historiques du prolétariat révolutionnaire, sans textes théorico-politiques fondamentaux et dans une ambiance de répression et de danger.

Si, pour quelques uns, certaines définitions ou positions sont aussi évidentes que l'alphabet, au point qu'il ne leur paraît pas nécessaire d'en par­ler ou d'écrire dessus, pour d'autres, arriver à écrire la lettre "A" a signifié tout un processus de luttes, de ruptures, de peurs et d'incertitudes.

Ici, dans les écoles, on enseigne une phrase d'un homme illustre du siècle passé : "on ne peut tuer les idées". Cependant, nous avons appris qu'on tue ceux qui ont certaines idées (ou positions), et que la classe dominante peut entraver pour une longue période la réappropriation, la connaissance, le lien et le développement des expériences ; idées et positions que vit et construit le prolétariat révo­lutionnaire dans différentes aires du monde.

C'est ainsi que, paradoxalement, il a fallu une répression monstrueuse (avec l'exil qui s'en est suivi) et une guerre (les Malouines) pour savoir ici, qu'existaient dans le monde divers courants et groupes radicalisés ; pour connaître -et encore très peu- les expériences d'Allemagne et d'ailleurs après la première guerre ; pour connaître d'autres positions dans la guerre civile espagnole qui ne soient ni franquistes ni républicaines. Et qu'il y a une autre histoire plus proche (que nous ne connaissons pratiquement pas).

A partir de là, nous avons eu la confirmation qu'actuellement il existe des groupes qui ne s'ins­crivent pas dans les courants politiques tradition­nels, beaucoup que nous ne connaissons pas encore et d'autres dont nous ne savons ni quand ni comment ils ont rompu avec le capital et ses fractions, mais qui expriment à divers degrés des moments dif­férents de rupture avec la politique du capital.

Mais si aujourd'hui nous savons que cela existe, ceci ne signifie nullement que la situation actuel­le d'isolement et de faiblesse ait changé. Au con­traire, nous n'arrivons même pas encore à savoir ce qui se passe, non dans un pays lointain ou limitro­phe, mais dans une ville proche ou un quartier voi­sin. Et il ne faut pas comprendre cela comme une curiosité ou une question journalistique : en Ar­gentine, par exemple, il y a continuellement des jours où plusieurs millions d'ouvriers sont en con­flit... sans qu'il existe une quelconque coordina­tion entre eux, parfois même sans qu'on sache qu'il y a une lutte ; ce qui arrive de tous côtés. Et s'il en est ainsi des mouvements relativement massifs, c'est encore pire pour ce qui concerne les contacts et la connaissance des avant-gardes qui surgissent au cours de ces luttes ou sous leur influence.

Et nous sommes convaincus que dans les pays dans lesquels nous vivons, comme dans d'autres parties du monde, des groupes d'ouvriers ou de militants surgissent qui essaient de rompre avec les politi­ques de conciliation, de subordination à la bourgeoisie, mais qui, en l'absence de référence inter­nationale, avec la forte présence de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, finissent par succomber absorbés par quelque fraction du capital ou simple­ment désagrégés, disparus.

Peu nombreux sont ceux qui réussissent à surmonter les premiers coups, et ceux qui le font ont de­vant eux une perspective incertaine ou la solitude politique, le devoir de passer des étapes et de rebrousser chemin, de se retrouver dans des impas­ses, partir presque à zéro sur de nombreux sujets, se transformer en une réalité quotidienne épuisan­te qui mine les petites forces déjà tant frappées politiquement et économiquement. N'y a-t-il pas d'autre alternative que celle-ci ? Est-ce que la gestation d'une politique internationaliste révo­lutionnaire, ou tout au moins une ébaucha de celle-ci, se fera ainsi, étape par étape, groupe par groupe, ville par ville, nation par nation, généra­tion par génération ? Chacun doit-il repasser par les mêmes étapes, affronter les mêmes problèmes, recevoir les mêmes coups, déchiffrer les mêmes let­tres, élaborer les noues mots, pour qu'après un temps et un chemin assez longs, une fois forts et constitués en "Parti", se réunir avec d'autres "égaux" ou, en leur absence, "s'étendre à d'au­tres nations ?

Nous ne croyons pas que ce soit la seule option ; nous ne croyons même pas qu'on puisse en tirer quel­que chose de positif.

Au contraire, nous pensons que la seule alterna­tive vers laquelle nous allons est internationale. Tout comme c'est une mystification de parler de So­ciété Communiste tant qu'il existe un seul pays ca­pitaliste dans le monde, c'en est une aussi de parler d'internationalisme en ne concevant celui-là que comme la solidarité avec les luttes ouvrières dans le monde ou en l'assimilant à quelques phrases pompeuses de temps en temps contre la guerre, le militarisme ou l'impérialisme.

L'internationalisme prolétarien a pour nous une autre signification et implique de faire un effort pour dépasser la solidarité générique car les di­mensions internationales de la révolution proléta­rienne exigent d'entrelacer et d'unifier les efforts pour délimiter une stratégie unique au ni­veau mondial et son corollaire politique dans les tâches auxquelles nous nous confrontons dans les  > différentes aires et pays.

Naturellement, on ne résoudra pas ce problème par volontarisme ni du jour au lendemain ; il ne sera pas le fruit d'un travail long et prolongé d'"édu­cation" ou "scientifique" comme le concevait la 2ème Internationale (et pas seulement elle), un travail d' "accumulation de forces" ("en gagnant des militants un à un", en "élaborant LA théorie" et en "structurant LA direction qui devra être re­connue à son heure) pour un affrontement repoussé à un futur toujours plus lointain, alors que la ré­sistance et la lutte du prolétariat contre le capi­tal sont quotidiennes (pour ces courants politi­ques ces luttes quotidiennes doivent être contrôlées, cachées, isolées, afin de pouvoir s'en ser­vir, comme ils l'ont toujours fait, pour soutenir une fraction de la bourgeoisie contre une autre supposée pire).

Si le parti de la classe ouvrière n'est pas un de ces groupes politiques qui se donne un tel nom dans un ou plusieurs pays ; si ne pas être d'accord avec "le parti pour la classe ouvrière" et revendi­quer "la classe ouvrière organisée en classe, c'est-à-dire en parti" n'est pas un simple jeu de mots ; si nous rejetons les idées social-démocrates (sta­liniennes, trotskystes etc...) du parti comme étant l'appareil (intellectuels, ouvriers etc...) porteur de la Vérité et qui se constitue volontairement et au sein d'une nation , qui attend   d'être reconnu par les masses incultes, et de l'Internationale comme étant une fédération de partis (ou d'un parti qui s'étend à d'autres nations), tout ceci implique de rompre avec ces conceptions et ces pratiques to­talement opposées à l'internationalisme proléta­rien et qui ne sont qu'une manière de manifester et de défendre le nationalisme.

Parmi celles-ci, la plus évidente est celle qui conçoit le développement de son propre groupe (ou de ses propres groupes) comme une question locale ou nationale, avec pour objectif d'obtenir une for­ce déterminée afin de se dédier plus tard à prendre contact avec d'autres groupes dans d'autres pays, groupes qu'il faut absorber ou démasquer générale­ment par des discussions et des déclaration.

Les contacts internationaux sont considérés com­me une question de"propriété privée"où règne la pratique de la bilatéralité, celle qui inclut cha­que "X" année des périodes de rencontres pour se réunir dans des "Nations Unies" de "révolutionnai­res". La pratique des partis de la 2ème Internatio­nale en est un bon exemple.

Nous pensons que ce chemin ne peut conduire qu'à de nouvelles frustrations et de nouvelles mystifi­cations ; c'est la raison pour laquelle il est né­cessaire de lutter contre tous les intérêts, les conceptions et les sectarismes que produisent et reproduisent les divisions créées par la bourgeoisie dans la défense de ses marchés internes, de ses Etats, de "ses" prolétaires, c'est-à-dire de la plus-value qu'elle leur extrait.

Personne ne pense à faire un travail commun, ni mê­me un tract, avec ceux qui se situent dans le camp ennemi. Et avec l'ennemi de classe, il ne peut y avoir de conciliation ou d'entrisme. Mais il n'exis­te pas que des ennemis. Et on ne peut nier qu'entre les groupes et les personnes qui n'en sont pas, il y a très souvent des intolérances, des visions sta­tiques et du sectarisme. Il y a une pratique des différences, une dispute de la "clientèle" commune, un nationalisme ou "une défense de sa propre chapelle" vêtue d'intransigeance.

Nous ne pouvions éluder ce problème dans une proposition internationale. Il est évident que person­ne ne pense à travailler dans une perspective commune avec un groupe se réclamant de la 4ème Inter- I nationale ou avec un groupe maoïste tiers mondistes.  Mais si le caractère d'ennemi de classe est évident  dans certains cas, dans d'autre il est plus subtil  et rend difficile l'élaboration d'une ligne de démarcation, et ceci d'autant plus lorsque nous cherchons un point qui implique un pas en avant dans la situation actuelle de faiblesse, d'isolement et de dispersion

Nous pensons qu'il est impossible d'élaborer un ensemble de points "programmatiques" qui soient à l'abri des opportunistes sauf s'il est défini de telle sorte que seul le groupe lui-même puisse être en accord, et encore.

Cri ne peut prétendre non plus que, dans chaque pays du monde, des groupes ou des militants isolés aient mûrit de la même manière que dans d'autres zones et qu'ils aient telles ou telles défini­tions qui, si diffusées qu'elles soient en certains lieux, sont le produit d'une histoire non partagée et de laquelle, comme nous l'avons déjà signalé, rien ou peu n'est connu dans d'autres aires.

En contrepartie, la grève de presque un an des mineurs anglais, qui n'a suscité aucune tentative sérieuse de coordonner une réponse commune de l'en­semble des différents groupes et militants éparpil­lés dans le monde, n'indique pas seulement une faiblesse et une limitation : elle indique le sectaris­me, des conceptions sur la lutte de classe et le Parti identiques à celles de la social-démocratie. Et face à la guerre entre l'Irak et l'Iran ? Et fa­ce à l'Afrique du Sud ? Et la Bolivie et tant d'au­tres lieux où le prolétariat se bat ou reçoit les coups les plus durs ? Quelle réponse, même minime, a-t-on essayé d'intégrer au niveau international ?

Comment faire pour résoudre cela ? Comment défi­nir des critères pour nous reconnaître afin d'évi­ter que, dès le départ, la proposition pour commen­cer à dépasser la situation actuelle ne soit pas mort-née ? (parce qu'elle serait si ambiguë qu'elle serait une "auberge espagnole" ou qu'elle serait si stricte que seuls entreraient ceux qui réalisent déjà un travail ensemble ?) Pour nous, ce critère pour nous reconnaître c'est la pratique. Et c'est de celle-ci que la seconde partie de la proposition va traiter. Même si ni cet­te pratique, ni rien d'autre ne peut éluder le fondement, l'unique "garantie" : la lutte.

SUR QUELQUES PREVENTIONS

Nous ne savons pas si ce qui précède suffit pour présenter cette proposition et la fonder ou si elle requiert un plus grand développement. Cependant, nous pensons qu'il faut préciser quelques préven­tions.

Beaucoup demanderont sûrement : avec qui, jusqu' où et comment va-t-on se regrouper dans la perspec­tive internationaliste prolétarienne ? Comment la déterminer ? Qui doit le faire ? Il est évident que

PROPOSITION INTERNATIONALE

Avec l'objectif de :

-   contribuer à modifier la situation actuelle de faiblesse de petites forces révolutionnaires et classistes éparpillées de par le monde pour augmen­ter les possibilités d'action dans la lutte de clas­se ;

-   de consolider et d'élargir ce qui est aujour­d'hui des convergences sporadiques, dans la pers­pective d'organiser et de centraliser une tendance internationaliste prolétarienne qui, avec ses limites et des erreurs, existe aujourd'hui, nous propo­sons de promouvoir :

1) une réponse coordonnée face à certaines attaques du capital (exemple : dans la question des mineurs anglais, des travailleurs en Afrique du Sud, en Iran-Irak etc...) : tracts et campagnes communes, informations politiques, moments de relations effectives et d'orientations face aux questions con­crètes et graves qui touchent le prolétariat mon­dial ;

2)  une information internationale :

a- des luttes ouvrières, en faisant de la propagande en fonction des possibilités, sur les plus importantes qui se déroulent dans chaque région (ou pays) pour les répercuter ailleurs et pour ren­forcer la réalité de 1'internationalisme proléta­rien et la fraternité prolétarienne ;

b- des différents groupes politiques, non seule­ment des participants à la proposition mais aussi des ennemis, car c'est un élément nécessaire pour la lutte politique contre eux ;

c- de l'expérience historique, des textes et des documents produits dans la longue lutte du proléta­riat contre le capital et toute exploitation ;

3)  la polémique théorico-politique en vue de prises de positions communes et comme contribution au dé­veloppement d'une politique révolutionnaire.

Pour ceux qui non seulement partagent cet ensemble de points mais qui se retrouvent effectivement en accord avec une pratique qui mette en avant tous les points de cette proposition -en particulier le point (action commune)-, il est vital d'organi­ser la discussion. Et pour ceux-là uniquement nous proposons deux choses :

4) l'organisation internationale de la correspon­dance, ce qui implique la création d'un réseau fluide d'échange et de communication qui doit être une des bases matérielles pour le point 7 ;

5) une revue internationale qui ne doit pas être conçue comme un ensemble de positions politiques des différents groupes réunies sous une couverture "collective". Au contraire, elle doit être un ins­trument pour consolider l'activité réalisée en commun, pour fonder et propager les positions par­tagées et, bien sûr, pour développer la discussion publique nécessaire sur les questions vitales qui touchent aux tâches du moment, aux activités propo­sées et sur des thèmes "ouverts" considérés d'un commun accord comme étant nécessaire à inclure ;

6) dans la mesure où les accords le permettent, stimuler la participation d'autres groupes dans la presse et vice versa ainsi que la diffusion de tex­tes des groupes intervenants ;

7) tendre à créer une discussion interne commune ; c’est-à-dire ne pas se limiter à la polémique "officielle et publique" de groupe à groupe, mais aussi à la discussion des communistes face aux pro­blèmes "ouverts".

Toutes les activités et toutes les décisions que

- prendront les groupes intervenants seront prises d'un commun accord, c'est-à-dire à l'unanimité.

A QUI FAISONS-NOUS CETTE PROPOSITION ?_

1- A ceux qui, dans le monde, réalisent une lutte contre les attaques du capital, contre toutes les guerres impérialistes ou inter bourgeoisies, contre tous les Etats bourgeois (quelles que soient leur forme ou couleur) avec pour objectif la dictature de la classe ouvrière contre la bourgeoisie, son sys­tème social et contre toute forme d'exploitation ;

2- A ceux qui n'appuient aucun secteur bourgeois contre un autre, mais qui luttent contre tous, qui ne défendent pas des fronts interclassistes ni n'y adhèrent ou   participent ;

3- à ceux qui assument dans la pratique que "les ouvriers n'ont pas de patrie" ; phrase consacrée qui ne dit pas seulement que les ouvriers ne peu­vent pas défendre ce qu'ils n'ont pas, mais qu'on "peut" et qu'on "doit" intervenir dans les luttes et les tâches qui se posent dans les différents pays du monde, en dépit du fait que, du point de vue bourgeois, cette intervention puisse être con­sidérée comme une intromission et contre le "droit des nations à l'auto-détermination". Droit qui est revendiqué et défendu à chaque fois que le proléta­riat révolutionnaire ou ses avant-gardes renforcent les liens internationaux face à leur ennemi de classe, droit qui est foulé aux pieds à chaque fois qu'il s'agit de réprimer et de massacrer les mou­vements révolutionnaires ;

4- Et justement pour cela, à ceux qui luttent con­tre les politiques de "défense de l'économie na­tionale" de relance économique, de "sacrifices pour résoudre la crise", à ceux qui n'avalisent pas les politiques d'expansion de leur propre bourgeoisie même quand celle-ci subit des atta­ques économiques, politiques ou militaires ; à ceux qui luttent toujours contre toute la bour­geoisie, tant la locale comme celle étrangère.

5- A ceux qui combattent les forces et les idéo­logies qui prétendent enchaîner les prolétaires à l'économie et la politique d'un Etat national, et les désarmer sous prétexte de "réalisme" et de "moindre mal";

6- A ceux qui ne se donnent pas comme but de "ré­cupérer" ou "reconquérir" les syndicats mais, au contraire, les caractérisent comme des instruments et des institutions de la bourgeoisie et son Etat -raison pour laquelle ils ne peuvent aucunement représenter les intérêts immédiats et encore moins historiques du prolétariat, ni être perméables aux intérêts révolutionnaires de la classe.

7- A ceux qui sont d'accord qu'une des tâches sur ce terrain est de mener jusqu'au bout la bataille contre la ligne politique de collaboration de clas­ses soutenue par les syndicats et de contribuer à rendre irréversible la rupture entre la classe les syndicats.

8- A ceux qui dans la mesure de leurs possibilités contribuent à renforcer toutes les tentatives d'unification du prolétariat pour s'affronter, même partiellement, au capital, toutes les tentati­ves d'extension, de généralisation et d'approfon­dissement des luttes de résistance contre le capi­tal.

9- A ceux qui défendent la lutte contre toutes les variantes de la répression capitaliste, tant celle exercée par les forces militaires officielles (éta­tiques) de l'ordre, comme celle de collègues ci­vils de droite et de gauche du capital. A ceux qui dans la mesure de leurs possibilités, collaborent avec les groupes qui subissent des coups de la ré­pression.

10-A ces avant-gardes qui, dans la lutte contre la bourgeoisie et son Etat,combattent implacable­ment ceux qui se limitent à critiquer une des for­mes qu' assume la dictature de la bourgeoisie (la plus violente, militaire en fait) et défendent la démocratie ou luttent pour son développement.

11-Dans ce sens, dans l'optique bourgeoise fascisme-antifascisme, à ceux qui dénoncent le caractère de classe bourgeois des fronts antifascistes et de la démocratie, et posent la nécessité de lutter pour la destruction de l'Etat bourgeois, peu impor­te sous quelle forme il se présente, avec l'objec­tif d'abolir le système de travail salarié et d'éli­miner mondialement la société de classes et toute forme d'exploitation.

12-A ceux pour qui l'internationalisme prolétarien implique, en premier lieu, la lutte contre sa pro­pre bourgeoisie, le défaitisme révolutionnaire en cas de guerre qui ne soit pas la guerre de classe du prolétariat contre la bourgeoisie et pour la révolution prolétarienne mondiale.

13- A ceux qui, au-delà des différentes théorisations sur le parti, sont d'accord sur le fait qu'il sera international dès sa naissance, ou ne sera pas.

14- Enfin, à ceux qui, en accord avec leur force et leur situation, définissent leurs tâches dans la lutte contre la bourgeoisie orientées vers deux aspects fondamentaux :

a) impulser le développement de l'autonomie de classe du prolétariat ;

b) contribuer à la construction et au développement de la politique internationaliste prolétarienne et de son parti mondial.

C'est-à-dire que, si en fonction des situations particulières,les moyens, les tâches et les prio­rités peuvent revêtir des formes différentes, tou­tes doivent être en relation avec une seule pers­pective : la constitution de la classe ouvrière en force mondiale pour détruire le système capita­liste.

ECLAIRCISSEMENTS FINAUX

Nous croyons que les formulations antérieures peuvent et doivent être améliorées, corrigées, com­plétées. Nous n'allons pas défendre au pied de la lettre cette proposition, mais son sens général.

Dans les premières discussions que nous avons eues sur la situation actuelle et sur comment commencer à la changer, il y a eu des camarades qui ont mani­festé un certain pessimisme sur la réception qu'el­le recevrait et les possibilités de sa réalisation.

Nous croyons que, face aux coups terribles que la bourgeoisie porte contre le prolétariat dans sa recherche, parfois désespérée, de résoudre ses pro­blèmes, que, face aux possibilités (et aux réali­tés) de la guerre inter bourgeoisies, que face aux massacres de travailleurs, d'enfants et de vieux, qui se répètent dans diverses parties du monde, et que face à la montagne toujours croissante des tâ­ches qui s'imposent aux révolutionnaires à l'heure actuelle, la politique de secte, les mesquineries, les "laisser pour plus tard", et la défense impli­cite ou explicite de l'actuel "statu quo" ne con­viennent pas.

La reconnaissance de la situation actuelle doit se traduire dans une initiative politique capable de récupérer le terrain perdu et de dépasser les graves faiblesses. Pour cela, l'engagement commun doit être la lutte pour un changement radical dans les relations internationales entre révolutionnai­res, c'est-à-dire passer du simple échange de posi­tions (parfois même pas) à la prise de positions - communes face à 1'attaque de la bourgeoisie contre le prolétariat, aux coordinations indispensables orientant la réflexion et le débat sur des ques­tions qui consolident une perspective commune.

Parmi les "objections" qui peuvent exister par rapport à la viabilité de cette proposition, il y a celle de comment la concrétiser ?

Ici, se trouvent cinq points pour, si on est d'accord avec tous, étudier comment organiser leur réalisation. Nous ne prétendons pas ici donner une réponse à chacune des questions et à chaque pro­blème, mais manifester un engagement de lutte pour sa concrétisation.

Il est évident que, compter sur une exécution et une rapidité pour certaines choses, implique des rencontres physiques. Nous ne croyons pas que ce soit absolument nécessaire, c'est à dire qu'actuel­lement il nous parait difficile d'y arriver, au moins pour ceux d'entre nous qui vivons dans cette région du monde.

A l'heure actuelle, nous ne voyons pas comment réaliser une réunion vraiment internationale : voyager à l'étranger est pour nous (économiquement) interdit. Un voyage de plus de 8 000 kms équivaut à plus de quinze salaires mensuels (plus de vingt, si nous prenons le minimum défini par le gouverne­ment).

C'est pour cela que nous estimons que, dans un premier temps, les rapports, les discussions, au moins entre les non-européens et ceux-ci, se feront par correspondance. Cela nous retardera, rendra en­core plus difficile la tâche, mais elle n'est pas impossible, loin de là (une lettre d'Europe par exemple, si il n'y a pas de grève, met de 15 à 20 jours).

Les conditions de sécurité (celui qui a confian­ce dans la légalité n'est pas seulement un crétin ingénu, mais un danger pour les révolutionnaires) posent aussi des obstacles, mais ils peuvent et doivent être résolus.

La langue aussi présente des inconvénients. De notre côté, et jusqu'à maintenant, la seule dans laquelle nous pouvons écrire est l'espagnol. Cer­tains peuvent lire avec difficultés l'italien, le portugais et l'anglais. Avec de l'imagination, quelqu'un pourra comprendre un peu de français, mais rien à faire avec l'allemand. Les autres lan­gues "n'existent pas". En tenant compte de cela, ce qui viendra en castillan n'aura pas la même diffu­sion, ni la même rapidité que les autres langues dans l'ordre établi.

Pour terminer, l'initiative présentée est expo­sée dans sa partie fondamentale. Ceux qui se mon­trent intéressés ou sont d'accord avec, recevront une partie dite "plus organisatrice", c'est-à-dire comment nous voyons, nous, pouvoir la réaliser et la concrétiser.

A tous ceux qui nous écriront, nous garantissons qu'ils recevront une copie de toutes les réponses reçues. L'organisation postérieure de la correspon­dance, des discussions, etc. se fera avec ceux qui sont d'accord et dépendra de la manière avec laquelle ils s'entendront entre eux.

A ceux qui sont d'accord avec l'esprit de la pro­position, nous leur demandons sa diffusion et le détail des groupes (si possible avec leur adresse) à qui ils ont fait parvenir cette convocation.

Uruguay, février 1986.

Note du CCI. : Nous ne publions pas  une   "note d'éclaircissement" en post-scriptum par manque de place. Cette note a été rédigée après la réunion en mars 1986.Les camarades précisent leur pro­position quant à l'aspect "technique" et la répartition des articles. Ils proposent  une division en trois parties de la revue "une commune à tous les groupes intervenants élaborées d'un commun accord entre tous qui expliquerait et/ou fonderait les positions partagées. Une seconde partie, où le SUJET serait choisi d'un commun accord et les positions seraient individuelles. Et une troi­sième partie où le sujet serait choisi librement par chaque participant,où il pourrait impulser la discussion de thèmes qu'il  considère importants et qui -selon lui- ne sont pas pris ou consi­dérés correctement par les autres. Ou un sujet"nouveau" ou  une argumentation particulière.

Nous considérons comme fondamentale 1'inclusion des TROIS PARTIES dans cette proposition internationale.   (Emancipacion  Obrera et Militancia  Clasista Revolucionaria)

 

REPONSE DU CCI

Chers camarades

Nous venons juste de prendre connaissance de vo­tre brochure d'appel : "Proposition Internationale à tous les partisans de la révolution prolétarien­ne mondiale".

Après une première lecture et discussion, nous tenons, avant toute chose, à saluer l'esprit qui anime votre "Proposition" à laquelle nous ne pou­vons qu'adhérer avec détermination.

Nous ne pouvons que souscrire au constat que vous faites non seulement de l'extrême faiblesse dans laquelle se trouve le mouvement révolutionnaire aujourd'hui -son extrême faiblesse numérique, poli­tique, et plus encore, organisationnelle- mais surtout de l'immense dispersion et isolement des fai­bles groupes qui s'en réclament. Comme vous, nous pensons qu'une des premières tâches -voire même la première tâche aujourd'hui- de chaque groupe se si­tuant vraiment sur le terrain révolutionnaire du prolétariat consiste à oeuvrer de toutes ses forces pour mettre fin à cet état déplorable, à réagir vi­goureusement contre la dispersion et l'isolement, contre l'esprit sectaire de chapelle, pour le déve­loppement de liaisons, de contacts, de discussions, de regroupements et d'actions communes entre les groupes, à l'échelle nationale et internationale. Ceux qui, parmi ces groupes, ne ressentent pas cette nécessité -et ceux-là existent malheureusement- montrent leur incompréhension de la situation dans laquelle nous nous trouvons, et, de ce fait, leur tendance à se scléroser.

Qu'un groupe en Argentine découvre à son tour cette nécessité urgente -ce qui est tout à son hon­neur- n'est pas pour nous surprendre : 1°) parce que le fait qu'il ait ressenti cette nécessité prouve la vitalité révolutionnaire qui est la sien­ne et 2°) parce que nous avons retrouvé cette même préoccupation dans d'autres groupes qui ont surgi récemment tel le groupe Alptraum au Mexique ou en­core celui des "Communistes Internationalistes" en Inde.

A quoi est due la constatation de cette nécessité précisément aujourd'hui ? Pour le comprendre il ne suffit pas de dire que ce n'est pas "d'un coup" que surgit, une fois encore, le cri anxieux des minori­tés révolutionnaires qui cherchent à rompre le cor­don sanitaire tendu par le capital ; il ne suffit , pas de dire que tant dans les périodes de montée de la lutte de classe que dans les moments de la con­tre-révolution la plus violente ces minorités "dé­couvrent^  l'une après l'autre, ce que signifient l'isolement, la faiblesse de leurs petites forces, une faiblesse non seulement numérique, sinon fonda­mentalement politique...". S'il est vrai que c'est de tout temps que les révolutionnaires s'efforcent de rompre le "cordon sanitaire" de la bourgeoisie visant à les disperser et à les isoler de leur classe, on ne peut mettre sur le même plan "les pé­riodes de montée de la lutte de classe" et "les mo­ments de la contre-révolution la plus violente".

Sans tomber dans le fatalisme, l'expérience his­torique de la lutte de classe nous enseigne qu'une période de recul et de défaites profondes du prolé­tariat entraîne inévitablement une dispersion des forces révolutionnaires et la tendance à leur isolement. La tâche qui s'impose alors aux groupes ré­volutionnaires est celle de chercher à limiter au­tant que possible l'avalanche de l'ennemi de classe afin d'empêcher que celle-ci ne les emporte vers le néant. Dans une certaine mesure, l'isolement, dans une telle situation, est non seulement inévi­table mais nécessaire pour leur permettre de mieux résister à la violence momentanée du courant et au risque d'y être emporté. Ce fut le cas, par exem­ple, de l'attitude politique de Marx et Engels dissolvant la Ligue Communiste au lendemain des violentes défaites subies par le prolétariat durant la tourmente sociale de 1848-51, dissolvant la 1ère Internationale après l'écrasement sanglant de la Commune de Paris, de même que celle de Léni­ne et Luxembourg au moment de la faillite de la 2ème Internationale lors du déclenchement de la première guerre mondiale. On peut citer également en exemple la constitution et l'activité de la  Fraction de gauche italienne après la banqueroute de la 3ème Internationale sous la direction stali­nienne.

Toute autre se présente l'activité des groupes révolutionnaires dans une période de montée de la lutte de classe. Si, dans une période de recul, les groupes révolutionnaires nagent à contre-courant, et donc forcément sur les bords et par petits pa­quets, dans une période de montée, il est de leur devoir d'être dans le courant et le plus massive­ment, le plus internationalement organisés possi­ble. Les groupes révolutionnaires qui ne le com­prennent pas, qui n'agissent pas dans ce sens, soit parce qu'ils ne comprennent pas la situation, la période dans laquelle se trouve la lutte de classe et les perspectives de sa dynamique, soit parce que, ayant difficilement survécu à la période de recul et de dispersion, ils se sont plus ou moins sclérosés, se trouvent alors incapables d'assumer la fonction pour laquelle la classe les a fait surgir.

Le sectarisme que vous dénoncez à juste titre avec tant de force n'est, au fond, rien d'autre que la survivance de la tendance à se replier sur soi-même correspondant à une période de recul. Hisser cette tendance à la hauteur d'une théorie et d'une pratique, à un esprit de chapelle, surtout dans une période de montée, est le signe d'un processus de sclérose extrêmement dangereux et finalement mortel pour tout groupe révolutionnaire.

Seules une analyse et une compréhension justes de la période ouverte à la fin des années 60 avec l'éclatement de la crise mondiale du capitalisme décadent et le resurgissement de la lutte de clas­se d'une nouvelle génération du prolétariat n'ayant pas connu la défaite et gardant ainsi toutes ses potentialités et combativité permet de comprendre la nécessité impérieuse qui se pose aujourd'hui aux groupes révolutionnaires existant dans le monde et surgissant dans divers pays : celle de s'engager consciemment dans la voie de la recherche des con­tacts, de l'information, de la discussion, de la clarification, de la confrontation des positions politiques, de prises de position et d'actions com­munes entre les groupes s'engageant résolument dans un processus de décantation et de regroupement. Cet­te voie est la seule qui mène à la perspective de l'organisation du futur parti mondial du proléta­riat. Cette compréhension de la période et de ses exigences est aussi la condition majeure pour combattre efficacement le sectarisme et ses manifesta­tions qui sévissent aujourd'hui encore dans le mi­lieu révolutionnaire.

Nous nous sommes attardés longuement sur cette question, non pour critiquer mais pour appuyer vo­tre "Proposition" en lui apportant une argumenta­tion que nous pensons susceptible de renforcer en­core son fondement. La lutte contre la dispersion et l'isolement, la lutte contre le sectarisme ont toujours été et restent une préoccupation majeure du CCI depuis sa constitution. Retrouver cette pré­occupation aujourd'hui venant d'un groupe aussi isolé que le vôtre ne peut que nous réjouir et renfor­cer notre conviction de sa validité. C'est pourquoi nous nous proposons de traduire et de publier sans tarder votre texte dans le prochain numéro de notre Revue Internationale en français et en en anglais (et probablement ultérieurement dans les Revues Internationales en langues espagnole et italienne lors de leur parution). Nous sommes convaincus que vous ne verrez aucun inconvénient à cette publication (bien entendu, nous ne donnerons pas, pour des rai­sons de sécurité, votre adresse sans une autorisa­tion explicite de votre part).

Cette préoccupation de la nécessité de rompre avec la dispersion et l'isolement des groupes révo­lutionnaires, de même que la conviction de sa va­lidité, ont été à la base de tentatives telles que les trois conférences internationales des groupes révolutionnaires impulsées par nous et Battaglia Comunista durant les années 1977 à 1980. Ces con­férences, qui auraient pu devenir un lieu de ren­contre et un pôle de référence et de regroupement pour de nouveaux groupes surgissant dans différents pays, ont échoué en se heurtant justement au secta­risme de groupes comme Battaglia Comunista pour qui ces conférences devaient rester muettes, être un lieu uniquement de confrontation de groupes à la recherche de recrutement et de "pêche à la ligne". Sur notre insistance, les comptes rendus de ces Conférences ont été publiés en français, anglais et italien. Nous nous ferons un devoir de vous les communiquer au plus vite.

Le besoin urgent de rompre avec 1'éparpillement et l'isolement n'est certes pas une tâche facile de même qu'il ne peut se réaliser du jour au lende­main. Pour autant, cela ne constitue pas une raison pour abdiquer mais, au contraire, cette difficulté même devrait stimuler les efforts de chaque groupe révolutionnaire digne de ce nom de s'y engager ré­solument.

Nous ne pouvons, dans le cadre de cette lettre, nous livrer à un examen détaillé de chaque paragra­phe et encore moins de chaque formulation. Comme' vous le dites vous-mêmes, ce texte ne prétend ni être complet ni définitif .Nous aurons largement le temps de discuter de telle ou telle formulation, de tel ou tel argument. Pour le moment, ce qui importe c'est le principe, la démarche-même qui sous-tend votre "Proposition". C'est là-dessus que porte no­tre accord. Toutefois, il faut retenir deux questions fondamentales que soulève cette "Proposi­tion" :

1°) A qui s'adresse une telle "Proposition" ?

Pour répondre à cette question, il est évident que nous recherchons la participation la plus large possible des groupes authentiquement révolutionnaires,,  même si des divergences sur des points par­ticuliers mais secondaires existent entre ces grou­pes. Cependant, il ne s'agit pas de réunir n'impor­te qui, ce qui donnerait l'image d'un panier de crabes et constituerait une démarche négative, une entrave et non un renforcement du mouvement révolu­tionnaire. Il n'existe pas, surtout au stade actuel du mouvement -avec la dispersion et les différents degrés de maturité des groupes existants- de critè­res discriminatoires et sélectifs pouvant garantir, d'emblée, de façon absolue, une telle sélection. Mais il existe -et on doit pouvoir les formuler- un minimum de critères permettant d'établir un cadre général dans lequel les groupes qui s'y inscrivent puissent adhérer tout en maintenant des positions qui leur sont propres mais qui restent néanmoins compatibles avec ce cadre. Il nous faut rejeter tant le monolithisme que le rassemblement de forces fondamentalement hétérogènes sur la base de posi­tions politiques vagues et incohérentes.

Dans votre chapitre;"A qui faisons-nous cette proposition ?vous essayez de donner une réponse en énumérant longuement (peut-être trop longuement) certaines positions devant servir de critères. Quelles que puissent être les améliorations tou­jours possibles dans leurs formulations, ces positions erronées sont, dans leur fond politique, abso­lument juste, à notre avis.

Cependant, le manque de prise de position claire et explicite sur des questions très importantes peut inquiéter. Nous en citerons quelques-unes :

-   le rejet de toute participation aux campagnes électorales dans la période actuelle du capitalisme décadent ;

- la nécessité de se concevoir et de se situer dans la continuité de l'histoire du mouvement ouvrier, de ses acquis théoriques et politiques (non pas une continuité passive et de simple répétition, mais une continuité dynamique et de dépassement étroitement liée aux expériences et à l'évolution des exacerbations de toutes les contradictions du système capitaliste mettant désormais à l'ordre du jour la nécessité objective de sa destruction). Ceci implique la reconnaissance du marxisme comme la théorie révolutionnaire du prolétariat, le fait de se revendiquer des apports successifs des 1ère, 2ème et 3ème Internationales et des gauches commu­nistes qui en sont issues ;

-  la reconnaissance, sans ambiguïté, de la nature prolétarienne du parti bolchevik (avant sa banque­ route et son passage définitif dans le camp de la contre-révolution) et de la révolution d'octobre. ?

Il est surprenant de ne trouver, dans votre tex- i te, aucune référence à ces questions, pas plus qu'à la reconnaissance des Conseils Ouvriers, "for­me enfin trouvée" de l'organisation unitaire de la classe en vue de la réalisation concrète de la ré­volution prolétarienne. Nous nous étonnons égale­ment de ne trouver aucune mention sur la question du terrorisme, des guérillas (urbaines ou non), et sur le rejet catégorique de ce type d'actions (ar­mes propres aux couches désespérées de la petite-bourgeoisie, du nationalisme, et qui sont efficacement entretenues et manipulées par tous les Etats), non pas au nom du pacifisme qui n'est que ' l'autre face de la même médaille, mais au nom de son inefficacité et de sa prétention, , au mieux, à réveiller et, au pire, à se substituer à la seule violence de classe adéquate : celle de la lutte ou­verte, massive et généralisée des grandes masses de la classe ouvrière. Votre silence est d'autant plus étonnant que vous vivez et luttez dans un continent et un pays qui ont tristement connu ce type d'ac­tions aventuristes, les tupamaros et autres guéril­las guévaristes.

2°) La deuxième question se rapporte à vos proposi­tions concrètes de réalisation de ce grand projet, notamment à la publication d'une revue commune aux groupes adhérents et au mode de fonctionnement d'une telle coordination. Commençons par ce dernier point. Vous proposez l'unanimité comme règle de toute activité et décision. Une telle règle ne nous semble par forcément la plus appropriée. Elle com­porte le risque soit de l'exigence d'un accord cons­tant -et donc, du monolithisme-, soit de la para­lysie de l'ensemble des groupes participants à cha­que fois que l'un d'entre eux se trouve en désac­cord. Le point 5 de votre "Proposition" porte sur l'éventualité d'une publication commune. Il est inutile d'ouvrir une discussion sur la structure d'une telle publication (division en 3 parties, etc...) puisque le projet-même d'une telle publica­tion immédiate nous semble, en tout état de cause, largement prématuré. Une publication commune à de nombreux groupes présuppose deux conditions :

a)  une connaissance plus approfondie de la trajectoire politique des différents groupes et de leurs positions actuelles, un constat de l'intégra­tion effective de ces positions dans le cadre des critères élaborés de même que leur tendance à con­verger à plus ou moins long terme ;

b)  et sur cette base, une avancée sérieuse de l'expérience d'une activité commune permettant à ces groupes de s'engager davantage sur le plan organisationnel avant de pouvoir affronter vraiment les difficultés inhérentes à une publication (ques­tions politiques et techniques de la nomination d'une rédaction responsable, question de langues dans lesquelles doit être publiée une telle revue et, enfin, questions d'administration et de ressour­ces financières).

Aucune de ces deux conditions n'étant actuelle­ment remplie, ce point de la "Proposition" nous semble, de ce fait, irréalisable pour le moment et, en conséquence, il serait erroné de vouloir en fai­re un point central. Il serait plus judicieux et davantage à notre portée de nous contenter, pour le moment, de la tâche réalisable consistant à assurer la circulation de textes de discussion entre les groupes adhérents sur des thèmes importants et, autant que possible, convenus en commun.

Reste  la proposition de 1'information réciproque, de l'échange de publications, de favoriser réciproquement la diffusion de la presse des différents groupes adhérents, la possibilité de publication d'articles dans la presse des autres groupes et, enfin, l'éventualité de prises de position communes sur des événements importants et, donc, l'éventualité d'une intervention publique commune. Cette partie de votre proposition générale peut être réalisée dans une échéance relativement brève, toujours dans le souci de rompre l'isolement, de resserrer les contacts entre les groupes révolution­naires existants et surgissants, de développer les discussions et de favoriser un processus de décan­tation et de regroupement des révolutionnaires.

En un mot, mieux vaut partir avec prudence et ar­river au but que de partir au galop, de s'essouf­fler et de s'arrêter à mi-chemin.

Avec nos salutations communistes.



[1] [34] Nous ne publions pas  l'adresse de ces  groupes;  pour tout contact,   les  lecteurs peuvent écrire à la boîte postale de R.I.  qui transmettra.

[2] [35] "Emancipacion Obrera" a du subir la répression et la violence du MAS, groupe trotskyste qui a appelé à participer à la  guerre des Malouines,  appuyant  les généraux

Géographique: 

  • Argentine [36]
  • Amérique Centrale et du Sud [37]

Courants politiques: 

  • Influencé par la Gauche Communiste [38]

La Gauche hollandaise (1900-1914) : naissance d'un courant révolutionnaire en Europe (1903-1907) 2ème partie

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Nous publions, dans ce numéro de la Revue Internationale, la suite de l'étude sur 1'histoire de la Gauche hollandaise. Cette partie de l'étude embrasse la période qui  va de 1903 à 1907. L'histoire de la Gauche hollandaise est  très mal connue du public et, à ce titre, l'étude que nous publions apporte  une do­cumentation qui ne pourrait qu'être fort appréciée par nos lecteurs.

L'histoire de la Gauche hollandaise comporte nécessairement beaucoup de particularités.  Néanmoins, pour bien la comprendre,  il est nécessaire de ne jamais perdre de vue qu'elle est    partie intégrante d'un mou­vement général,  celui de la classe ouvrière internationale,  de même qu'il est nécessaire de la situer dans le contexte de la période,   c'est-à-dire à un moment précis de 1 'histoire du mouvement ouvrier,

A la  lecture de cette étude,   il  se dégage deux enseignements capitaux :

1) l'extrême difficulté de la classe ouvrière à s'organiser comme classe distincte et à former ses propres organisations   ;

2) la  fragilité de ces organisations  traversées par des crises qui  les secouent périodiquement.

Le premier point se rattache à la nature-même de la classe ouvrière,  nature qui  la distingue de toutes les autres classes  qui, à certains moments de 1'histoire humaine, furent appelées à jouer un rôle révolution­naire en  vue de la  transformation de la société. Toutes les autres classes fondaient leur pouvoir politique sur la base d'un pouvoir économique préalablement conquis. Rien de tel pour le prolétariat qui n'a pas d'autre pouvoir économique que celui d'être complètement dépossédé et d'être contraint de vendre sa force de travail, de subir 1'exploitation au profit d'autrui. Classe révolutionnaire et exploitée à la fois, la classe ouvrière ne peut fonder ses organisations que sur  la base d'une prise de conscience de ses intérêts immédiats et historiques sous l'aiguillon de l'oppression qu'elle subit par la classe exploiteuse.

Le deuxième point se rattache au fait que ses organisations, reflétant l'évolution du rapport de forces entre les classes dans leur lutte, sont constamment soumises à la pression de 1'idéologie régnant dans la société,   idéologie qui est  toujours celle de la classe dominante,

La raison de l'apparition de tendances révolutionnaires de gauche dans les organisations de la classe ou­vrière trouve sa source dans la réaction à cette pénétration inévitable de 1'idéologie bourgeoise dans la classe. Chercher une organisation à jamais garantie contre cette pénétration, chercher une organisation ré­volutionnaire pure est aussi utopique que de chercher une humanité absolument invulnérable aux attaques mi­crobiennes environnantes: C'est faire la politique de l'autruche cachant sa tête dans le sable pour ne pas voir le danger qui la guette. Les révolutionnaires n'ont que faire des illusions sur les organisations par­faites et infaillibles". Ils savent que ce n'est que la lutte -et une lutte incessante, intransigeante con­tre les influences bourgeoises environnantes- qui constitue la seule garantie pour les organisations sécré­tées par la classe de rester un instrument dans la  voie de    la révolution.

Le chapitre que nous publions est un témoignage de cette lutte farouche menée par le courant révolutionnaire international du prolétariat à un moment de l'histoire et dans  un pays donnés.

LA LUTTE CONTRE L'OPPORTUNISME

Comme bien souvent dans l'histoire du mouvement ouvrier, la lutte pour la défense des principes révolutionnaires s'est d'abord placée sur un terrain pratique. La lutte contre l'opportunisme au sein du Parti hol­landais s'est centrée sur deux questions qui en appa­rence semblent aujourd'hui, avec le recul historique, anodines : la question paysanne et la question sco­laire.

L'importance de la question paysanne était évidente dans un pays comme la Hollande, où le retard indus­ triel maintenu par l'existence d'un capital commercial spéculatif investi dans les colonies s'accompagnait d'un archaïsme des structures sociales à la campagne. Bien qu'en début de mutation, l'agriculture -en dehors de l'élevage- restait arriérée, avec une masse encore considérable de petits paysans tout aussi arriérés, particulièrement en Frise, le "fief" de Troelstra. A côté de ces paysans, on trouvait une masse d'ouvriers agricoles qui ne possédaient nulle terre et vendaient leur force de travail à des paysans, propriétaires ou fermiers. Pour s'attirer les voix des paysans auxquels le SDAP  devait en grande partie ses députés, il fut proposé en 1901 de modifier le programme du Parti. Au lieu de l'abolition de l'ordre existant par la socialisation du sol et donc la suppression de la pro­priété privée, le nouveau programme proposait une régulation du "contrat de fermage".Ce qui était le pire du point de vue du programme socialiste se trouvait dans le point consacré aux ouvriers agricoles. Au lieu de rattacher leur lutte à celle des ouvriers des villes et de souligner leurs intérêts communs avec le reste du prolétariat, le programme proposait ni plus ni moins que leur transformation en paysans pro­priétaires :

"La disposition du sol et du matériel agricole contre un certain prix aux ouvriers* agricoles, pour leur assurer une existence autonome."

Cependant, sous la pression de la Gauche qui s'ap­puyait sur Kautsky, alors à gauche sur la question agraire, quatre ans plus tard, en 1905, au congrès de La Haye, les deux points furent rayés du pro­gramme agraire du partie était le premier conflit et la première victoire du marxisme. Mais aussi son unique victoire."

En effet la lutte contre le réformisme ne faisait que commencer et connut une étape nouvelle lors des débats au Parlement hollandais sur les subventions à accorder aux écoles religieuses. Le combat du marxis­me contre une telle manoeuvre de la bourgeoisie con­servatrice n'avait rien de commun avec l'anticlérica­lisme des radicaux et des socialistes français à la même époque, qui constituait surtout une diversion. Le soutien aux confessions religieuses s'expliquait essentiellement, aux Pays-Bas, par la montée de la lutte de classe, laquelle entraînait une réaction idéologique de la  bourgeoisie conservatrice au pouvoir ([1] [39]). "De  façon classique dans le mouvement ouvrier de l'époque, la Gauche constatait que : "lorsque surgit la lutte de classe du prolétariat, les libéraux comme partout, considèrent toujours plus la religion comme un rempart nécessaire au capitalisme, et ils abandonnent peu à peu leur résistance aux écoles religieuses."

Quelle ne fut pas la surprise des marxistes, groupés autour de la revue "Nieuwe Tijd", de voir le révi­sionnisme s'afficher publiquement au Parlement, en appelant à voter pour les subventions aux écoles reli­gieuses. Pire, le Congrès de Groningue de la social-démocratie (1902) abandonnait nettement tout combat marxiste contre l'emprise religieuse sur les conscien­ces. Dans un pays où le poids religieux pour des rai­sons historiques était très fort sous la  triple forme du calvinisme, du catholicisme et du judaïsme, il s'agissait d'une véritable capitulation "Le Congrès constate qu'une plus grande partie de la classe laborieuse aux Pays-Bas exige pour ses enfants un enseignement religieux, et consi­dère comme non souhaitable de s'opposer à elle, parce que la social-démocratie n'a pas à briser -pour des oppositions théologiques- l'unité écono­mique de   la classe travailleuse face aux capita­listes croyants et  incroyants. "

L'argumentation utilisée, l'unité des ouvriers croyants et incroyants, sous-tendait l'acceptation de l'ordre existant, idéologique et économique. Ainsi, «avec cette résolution, le Parti [faisait] le premier pas sur le chemin du réformisme ; elle [signi­fiait] la rupture avec le programme révolution­naire, dont la revendication, séparation de l'Eglise et de l'Etat, a certainement un tout autre sens que l'argent de l'Etat pour les écoles religieuses. " Il est intéressant de noter que la Gauche hollandaise ne se proposait nullement d'encen­ser l'école "laïque" dont elle dénonçait la prétendue "neutralité.". Elle se situait au-delà d'un faux choix, du point de vue marxiste, entre école "religieuse" et école "laïque". Son but était de se placer résolument sur le terrain de la lutte de classe ; cela signifiait un rejet de toute collaboration, sous quelque prétexte que ce soit, avec une fraction de la bourgeoisie. Les craintes des marxistes devant l'orientation révisionnis­te du Parti allaient se montrer fondées dans le feu de la lutte ouvrière.

LA GREVE DES TRANSPORTS DE  1903

Cette grève est le mouvement social le plus impor­tant qui ait agité avant la première guerre mondiale la classe ouvrière des Pays-Bas. Elle devait laisser de profondes traces dans le prolétariat qui se sentit trahi par la social-démocratie, et dont la partie la plus militante s'orienta encore plus vers le syndicalisme révolutionnaire. A partir de 1903, le processus de la scission entre le marxisme et le révisionnisme était engagé sans possibilité de retour en arrière. A ce titre, la grève de 1903 marque le vrai début du mou­vement "tribuniste", comme mouvement révolution­naire. ,

La grève des transports est d'abord une protestation contre des conditions d'exploitation qu'on a peine à imaginer aujourd'hui. Les ouvriers des chemins de fer subissaient des conditions de travail dignes de la période d'accumulation primitive du capital au début du 19e siècle ([2] [40]). Travaillant 361 jours par an ils ne disposaient vers 1900 que de k jours de congé. D'autre part, le corporatisme particulièrement fort réduisait les possibilités d'une lutte unitaire, par une division en catégories professionnelles. Ainsi, les mécaniciens, les conducteurs de locomotives, les ouvriers de l'entretien des voies avaient leur syndicat propre. Chaque syndicat pouvait déclencher des grèves sans que les autres s'unissent à la lutte. Les syndicats de métier en protégeant soigneusement leur exclusivisme se dressaient comme un obstacle à l'unité massive des ouvriers par-delà leurs différences de qualification ([3] [41]).

Contre de telles conditions, le 31 janvier 1901 sur­gissait de la base des cheminots, et non des syndi­cats corporatistes, une grève spontanée. Celle-ci se présente comme une grève de masse : non seulement elle touche toutes les catégories du personnel des transports, mais elle s'étend à tout le pays. Elle est aussi une grève de masses en partant non de revendi­cations spécifiques, mais par solidarité avec les ou­vriers du port d'Amsterdam, en grève. Refusant de servir de briseurs de grève, en continuant le tra­vail, les ouvriers des transports empêchaient les ten­tatives des patrons de faire transiter leurs marchan­dises par les chemins de fer. Ce mouvement de soli­darité, caractéristique des grèves de masse, faisait alors boule de neige : les boulangers et les métallos du matériel de transport donnaient leur appui. Mais l'originalité du mouvement -qui ne réussit pas à s'étendre aux autres couches du prolétariat néerlan­dais- se trouvait incontestablement dans la création d'un Comité de grève élu, surgi de la base et non dé­ signé par le syndicat des transports et le SDAP, même si leurs membres y participaient.

Par toutes ces caractéristiques, la grève de masse cessait d'être une simple grève catégorielle, purement économique ; elle devenait peu à peu une grève poli­ tique par une confrontation directe avec l'Etat. En effet, le 6 février, le gouvernement hollandais, par décret  du  ministre  de  la  guerre, décidait la mobilisation des soldats ; il suscitait d'autre par un organisme, dans lequel étaient actifs les syndicats catholiques et protestants, rassemblant les briseurs de grève. Cette offensive de la bourgeoisie culminait enfin le 25 février par le dépôt d'un projet de loi contre la grève : les grévistes étaient menacés d'em­prisonnement et le gouvernement décidait de mettre sur pied une compagnie de transport militaire pour briser la grève.

Mais plus que par les menaces et les mesures gouver­nementales, la grève allait être sapée de l'intérieur, par le SDAP de Troelstra. Le 20 février, au cours d'un meeting représentant 60 000» grévistes, et non ouvert -à la différence du comité de grève- Troelsra proposait la création d'un "Comité de défense" composé de différentes organisations politiques et syndicales. Ce Comité était composé de Vliegen, un révisionniste du SDAP, du chef syndicaliste des trans­ports Oudegeest, du NAS et de partisans anarchistes de Nieuwenhuis, ce dernier ayant refusé de partici­per à un tel organisme. L'orientation allait se révéler néfaste à la conduite de la grève projetée contre les mesures gouvernementales. Vliegen déclara que la grève ne pouvait être proclamée, en l'absence d'une promulgation des décrets du gouvernement Kuyper.

Dans les faits, l'attitude du "Comité de défense" autoproclamé par différentes organisations -et parti­culièrement celle du SDAP- allait vite se montrer négative. Non seulement l'opposition entre libertaires, partisans de Nieuwenhuis, et social-démocrates, paralysait le "Comité", mais le poids écrasant de Troels­tra, qui n'en était pas membre bien que l'ayant sus­cité en faisait un organisme étranger à la lutte. Troelstra, prétextant la lutte contre "l'aventurisme anarchiste", se prononçait contre la grève politique ; il prétendait que celle-ci -si elle était décidée par les ouvriers des transports en réaction aux "lois scé­lérates"- ne ferait que renforcer la dureté des lois anti-grève à la Chambre des députés. Ces propos étaient tenus par le quotidien social-démocrate sans en référer ni au Comité de défense ni aux ins­tances du Parti. De façon tangible, cet acte d'indis­cipline était la preuve que la direction révisionniste estimait n'avoir aucun compte à rendre devant les ouvriers et les militants du Parti. Elle s'était rendue autonome pour mieux se placer sur le terrain de la conciliation avec la bourgeoisie. La Gauche, par la plume de Pannekoek, critiqua vivement cet acte, qui était le début d'une longue suite d'actes de trahison de la lutte:"Votre attitude molle et hésitante ne peut que servir la classe possédante et le gou­vernement." écrivait-il  à l'adresse de Troelstra.

C'est lors de la deuxième grève des transports, en avril, que la trahison devint ouverte. Le gouvernement avait fait voter les lois anti-grève interdisant la cessation du travail dans les transports publics. Au lieu d'avoir une attitude énergique, les chefs du Comité de tendance social-démocrate -comme Ouedegeest- se prononcent contre la grève générale de tous les ouvriers aux Pays-Bas. Pourtant, au même moment, se déroulaient des grèves qui donnaient un contexte social plus favorable à la lutte de classe qu'en janvier-février : à Amsterdam, se déroulaient la grève des bateliers, des forgerons, des cantonniers et terrassiers, des métallos ; et les travailleurs com­munaux s'étaient mis en grève par solidarité.

Néanmoins, sous la pression de la base, la grève gé­nérale fut proclamée. Sa faiblesse initiale fut que les réunions des ouvriers des chemins de fer étaient secrètes et non ouvertes par conséquent aux autres catégories de travailleurs. Malgré l'occupation des gares et des voies ferrées par la troupe, ce qui aurait dû développer la généralisation de la grève, celle-ci ne fut pas générale. Elle fut malgré tout spontanée dans son mouvement d'extension : à Utrecht, Amsterdam, les métallos et les maçons se joignirent au mou­vement de solidarité. Ni la menace de cinq ans d'emprisonnement pour les "agitateurs" et de deux ans pour les grévistes,, peines prévues par les "lois scé­lérates", ni la présence de l'armée ne suffisaient à arrêter l'ardeur des ouvriers en grève, qui avaient connu dès janvier "la joie de lutter"

L'ardeur des ouvriers, leur élan furent arrêtés par les décisions prises par les dirigeants social-démocrates du "comité de défense" qui prétendait diriger la lutte. Le 9 avril, Vliegen fait décider la cessation du mouvement de grève. Devant l'incrédulité et la colère des ouvriers des transports, le "Comité" devient introuvable. Lors d'une réunion de masses, ceux-ci empêchent Vliegen de parler aux cris de : "Il nous a trahis !". Même la Gauche est privée de parole : ne faisant aucune distinction entre les révisionnistes et les marxistes, les ouvriers couvrent le discours de Roland-Holst par le cri : "Grève !". Ainsi, l'attitude des chefs révisionnistes allait entraîner pour long­temps un rejet de la social-démocratie, même marxis­te, au profit de l'anarcho-syndicalisme, de la part de la classe ouvrière hollandaise.

La grève des transports de 1903 n'a pas de racines purement "hollandaises" ; elle marque un tournant dans la lutte de classe en Europe. C'est en tant que grève de masses spontané qu'elle surgit, devenant une force consciente capable de faire reculer sur le plan politique la bourgeoisie et donnant aux ou­vriers un incontestable sentiment de victoire. Mais c'est en tant que grève générale, lancée par les syn­dicats et les partis, qu'elle échoue.

Elle s'inscrit dans toute une période historique mar­quée par la combinaison des grèves politiques et des grèves économiques, période qui culmine avec le mouvement révolutionnaire de 1905 en Russie. En effet, comme le souligne Rosa Luxemburg,

"Ce n'est que dans une situation révolutionnaire, avec le développement de l'action politique du prolétariat, que 1'importance et l'ampleur de la grève de masse apparaissent dans 'leur pleine di­mension." Plus qu'aucun autre -sauf Pannekoek (cf. infra)- Luxemburg a su montrer dans sa polémique contre les révisionnistes l'homogénéité de la lutte, c'est-à-dire l'identité du phénomène dans sa simul­tanéité, dans toute l'Europe, Hollande incluse, et jusque sur le continent américain, au début du siècle: "En 1900, c'est la grève de masse des mineurs de Pennsylvanie qui selon les camarades américains, a fait davantage pour la diffusion des idées socialistes que dix ans d'agitation ; en 1900 encore, c'est la grève de masse des mineurs en Autriche, en 1902 celle des mineurs en France, en 1902 encore celle qui paralyse tout l'appareil de production à Barcelone, en solidarité avec les métallurgistes en lutte, en 1902 toujours, la grève de masse démonstrative en Suède pour le suf­frage universel égalitaire, la même année en Bel­gique encore pour le suffrage universel égalitaire également ; la grève de masse des ouvriers agri­coles dans l'ensemble de la Galicie orientale (plus de 200 000 participants) en défense du. droit de coalition, en janvier et avril 1903, deux grèves de masse des employés de chemins de fer en Hol­lande, en 1904 grève de masse des employés de che­mins de fer en Hongrie, en 1904 grève démonstra­tive en Italie, pour protester contre les mas­sacres , en Sardaigne, en janvier 1905, grève de masse des mineurs dans le bassin de la Ruhr, en octobre 1905 grève démonstrative à Prague et dans la région pragoise (100 000 travailleurs) pour le suffrage universel au Parlement de Bohême, grève de masse démonstrative à Lemberg pour le suffrage universel égalitaire au Parlement régional de Galicie, en novembre 1905 grève de masse démons­trative dans toute 1 'Autriche pour le suffrage uni­versel égalitaire au Conseil d'Empire, en 1905 encore grève de masse des ouvriers agricoles en Italie, en 1905 toujours grève de masse des em­ployés des chemins de fer en Italie..."

La grève de masse, en préparant la confrontation politique avec l'Etat, mettait à l'ordre du jour la question de la révolution, non seulement elle manifes­tait "l'énergie révolutionnaire" et "l'instinct prolétarien" des masses ouvrières -comme le soulignait Gorter après la grève de 1903- mais elle signifiait un profond changement de situation au début du siècle : "Nous avons toutes les raisons de penser que nous sommes entrés maintenant dans une période de combats dont l'enjeu est les institutions et le pouvoir d'Etat ; des combats qui peuvent au fil de vicissitudes diverses, durer des décennies, dont les formes et la durée ne sont pour le moment pas encore prévisibles, mais qui, très vraisemblablement, introduiront à brève échéance des changements fondamentaux dans les rapports de for­ce en faveur du prolétariat, si ce n'est l'instau­ration de son pouvoir en Europe occidentale."

Ces remarques de Kautsky dans son livre "Le Chemin du pouvoir", la Gauche hollandaise allait les faire siennes contre Kautsky et ses partisans aux Pays-Bas tels Troelstra et Vliegen. La grève de 1903 posait en effet l'alternative "réforme ou révolution" et débou­chait dans le SDAP inévitablement sur une confronta­tion avec les réformistes qui trahissaient non seule­ment l'esprit révolutionnaire du Parti, mais la lutte immédiate.

L'OPPOSITION DANS LE PARTI (1903-1907)

L'opposition dans le parti allait être d'autant plus vive que les conséquences de l'échec de la grève, sabotée par la direction Troelstra-Vliegen, étaient catastro­phiques pour le mouvement ouvrier. Le total des ouvriers licenciés pour fait de grève était d'environ k 000. Le nombre des adhérents du NAS, qui avait pourtant pris une position militante dans la lutte et s'était opposé à Vliegen, tombait de 8 000 en 1903 à 6 000 en 1904. Le SDAP de Troelstra, traînant doré­navant une réputation de trahison, Derdart un nombre considérable d'adhérents : il comptait à la fin de 1903, 5 600 membres contre 6 500 à la fin de l'année 1902.Par  contre,  signe du  reflux voire  même de la démoralisation après l'échec de la grève, les syn­dicats religieux des transports, en particulier catho­liques, connurent un rapide essor numérique. Politiquement, le mouvement syndical le plus combatif, le NAS, qui aurait pu devenir l'organisation économique du SDAP, se raccrochait aux positions anarchistes de Nieuwenhuis. Il continua sa chute numérique jusqu'au moment où apparut le mouvement tnbuniste qui 1' in­fluença progressivement (cf. infra)... . Par contre, en 1905, les syndicats socialistes liés au SDAP créaient leur propre centrale syndicale : le NVV (Con­fédération des syndicats professionnels des Pays-Bas). Celui-ci, fortement influencé par le syndicat réformis­te des ouvriers diamantaires de H. Polak, devenait la principale confédération syndicale des Pays-Bas. Dès le départ, le NVV se refusait à contribuer à l'extension de la lutte dans le bâtiment : les années suivantes il allait avoir la même attitude de retrait et de non-solidarité avec  les ouvriers grévistes»

Face au développement du réformisme dans le Parti et à son affaiblissement comme parti ouvrier, l'atti­tude des marxistes fut d'abord modérée. Non seule­ment ils hésitaient à former une fraction résolue pour conquérir la direction du parti, mais leurs atta­ques contre Troelstra restaient encore extrêmement prudentes, bien que Troelstra ait par son action trahi la grève, ils hésitaient encore à parler de trahison. Lorsque au cours du 9ème congrès du SDAP, à la fin de 1903, fut discuté le bilan de la grève des trans­ports, Gorter parla en termes très mesurés. Tout en affirmant qu'il était "un adversaire de la direction de Troelstra, non seulement dans cette grève, mais aussi dans les grandes affaires" il hésitait à parler de trahison de la direction :

"De trahison il n'est naturellement pas question, mais bien de la faiblesse de la conception de Troelstra et de ses oscillations permanentes."

Le congrès d'Enschede de 1903 n'eut pas l'effet souhaité par les marxistes du groupe "Nieuwe Tijd". Bien que Troelstra dût abandonner -au profit de Takla rédaction en chef de "Het Volk" ("Le Peuple"), Gorter fut contraint de lui serrer la main au nom de la "solidarité" et de "l'unité" dans le parti, contre  "l'ennemi  commun"  extérieur. Il réussit à faire accroire que Gorter et ses partisans l'atta­quaient non politiquement, mais personnellement ; se plaignant qu'on voulait le priver de ses responsabilités de chef, il posa la question de confiance. Au lieu d'apparaître comme l'un des principaux responsables de l'orientation opportuniste du parti, il se présenta comme victime, et comme telle il obtint la "confian­ce" de l'ensemble du Parti. De cette façon, la direc­tion révisionniste évitait que la discussion s'engage sur les questions vitales de principes et de tactique dans la lutte de classe. Bien que complètement iso­lée, la minorité marxiste ne capitula pas et s'enga­gea avec résolution dans le combat. De 1905 à 1907, le courant marxiste se trouva confronté à une contre-offensive rigoureuse des révisionnistes.

a) les conséquences du congrès d'Utrecht de 905

En effet, la fraction parlementaire, qui dirigeait de fait le parti, alla toujours plus loin dans la collabora­tion avec la bourgeoisie. En 1905, lors des élections pour les Etats provinciaux, la question était posée par les révisionnnistes de soutenir les libéraux contre le gouvernement Kuyper, qui avait brisé la grève des ou­vriers des transports. La Gauche, comme celle des autres partis ouvriers d'Europe, ne refusait pas -lors des ballottages électoraux- de soutenir les candidats libéraux qui se prononçaient pour le suffrage universel contre le suffrage censitaire. Dans ce sens, elle fit adopter une résolution, lors du congrès de La Haye en  1905 :

"(le parti) déclare vouloir soutenir lors des ballottages uniquement les candidats qui se prononcent pour l'urgence  du suffrage  universel, "

Pour les marxistes, il ne s'agissait pas de faire de ce soutien, purement tactique et temporaire, un principe. En aucun cas, comme le souhaitait Troelstra, il ne pouvait être question d'apporter les suffrages ouvriers aux "libéraux de tout aca­ bit, fussent-ils anticléricaux. D'un point de vue de classe, le combat n'avait pas à être mené contre un parti capitaliste déterminé mais contre le capita­lisme comme totalité de façon à empêcher toute con­ fusion avec les éléments petits-bourgeois et petits- paysans. Il s'agissait d'éclairer les ouvriers sur leur identité :

"Il s'agissait que le parti à chaque occasion mette devant les yeux des ouvriers que leurs ennemis sié­geant  au Parlement  aussi  bien  au  côté gauche  qu'au côté droit."

Or, au lieu de respecter la résolution du congrès, la direction du parti, la fraction parlementaire et  le quotidien socialiste "Het Volk" laissèrent les électeurs socialistes libres de voter pourquoi leur semblerait bon parmi tous les candidats libéraux en ballottage. Bien que fermes sur des positions qui étaient classi­ques dans le mouvement ouvrier, les marxistes se trouvèrent isolés de la masse ouvrière. Troelstra joua à fond là-dessus.

Il y eut cependant des réactions dans le parti. Le parti, malgré les événements de 1903, était loin d'avoir succombé au révisionnisme ; il était encore capable de réactions prolétariennes face à la politique de la fraction parlementaire de Troelstra. Le congrès de La Haye de 1905, sans doute aussi la pression des événements révolutionnaires qui agitaient la Russie, nomma un nouveau comité directeur du parti, compo­sé cette fois d'une majorité de marxistes, dont Gorter. Il s'en suivit une opposition entre le nouveau comité et la fraction parlementaire de Troelstra. Celui-ci voulait soutenir le nouveau gouvernement libéral "pour le pousser sur la voie des réformes". Pour le comité directeur, s'appuyant sur le groupe "Nieuwe Tiid", il n'en était pas question. Il s'agissait avant tout de développer l'agitation contre les limita­tions du droit de grève, quel que fût le gouverne­ment, libéral ou clérical. Une fois de plus, Troelstra viola la discipline du parti par une prise de position qui condamnait l'agitation ouvrière. Le 9 mars 1906 ouvertement, face aux parlementaires bourgeois, il renia l'action menée par les ouvriers et soutenue par le parti ; et cela malgré son appartenance au co­mité directeur.

Ce conflit posait une question vitale dans le mouve­ment ouvrier : est-ce la fraction parlementaire ou le comité directeur, élu par le parti, qui détermine la politique de l'organisation ? Il s'agissait de savoir si le parti était au service d'un groupe incontrôlé de parlementaires menant une politique de collaboration avec la bourgeoisie, ou si ce groupe était étroitement soumis dans son action aux décisions prises par les congrès. Ce conflit d'influence et de décision n'était pas propre aux Pays-Bas. En Allemagne, par exemple, Rosa Luxemburg eut à se battre ([4] [42]) contre la di­rection parlementaire. Le problème de la réelle di­rection du parti était celui du maintien de sa nature révolutionnaire. En Russie, après 1905, lorsque les bolcheviks eurent des députés à la Douma d'empire, leur fraction parlementaire se trouva étroitement pla­cée sous le contrôle du comité central ; et ce n'est nullement un hasard si cette fraction fut l'une des rares qui en août 1914 vota contre les crédits de guerre.

Cette opposition entre Troelstra et le comité direc­teur allait poser la vraie question sous-jacente : ré­forme ou révolution. Dans une brochure qu'il fit pa­raître avant le congrès d'Utrecht -où il attaquait la nouvelle direction du parti -Troelstra, selon son habitude, prétendit qu'on l'attaquait personnellement, que la nouvelle centrale marxiste était "doctrinaire" et "dogmatique". Se présentant comme une victime "innocente" de la persécution du groupe de Gorter, il ne pouvait cependant dissimuler le fond de sa pen­sée : faire du SDAP non un parti internationaliste, mais un parti national. Le parti devait passer par des compromis avec la petite et la grande bourgeoisie non seulement il devait tenir compte des préjugés petit-bourgeois existant dans la classe ouvrière -"le caractère religieux et en partie petit-bourgeois du prolétariat" mais il devait "utiliser les oppositions des groupes bourgeois entre eux". Pour faire accepter cette orientation réformiste, Troelstra n'hé­sitait pas à afficher une démagogie anti-intellectuels: les marxistes étaient des "ultra-infantiles" vou­lant transformer le parti en un "club de propagande ". Au rêve marxiste, il fallait opposer la "solide" réa­lité du Parlement :

"Le parti flottera-t-il au-dessus des travailleurs réels, en s'enracinant dans un prolétariat de rêve ou bien, comme il l'a fait dès le début de son existence et de son action, au Parlement et dans les conseils municipaux, pénétrera-t-il toujours plus profondément dans la vie réelle de notre peu­ple  ?"

Ainsi pour Troelstra, la seule existence possible du prolétariat -qu'il confond d'ailleurs de façon volontai­re avec les autres couches "populaires"- jaillissait non plus de la lutte de classe mais du parlement.

Pour parvenir à ses fins -faire du parti, un parti pu­rement parlementaire et national hollandais- Troelstra proposait ni plus ni moins que l'élimination de la di­rection marxiste, la réorganisation du parti en donnant' pleins pouvoirs à la fraction parlementaire, qui jus­qu'alors statutairement n'avait que deux représentants dans le comité directeur. A l'exécutif du comité du parti, élu par les militants, devait se substituer "l'exécutif" de la fraction au parlement ; celle-ci -se­lon lui- "représente le parti, il est vrai non officiellement, mais de fait, au Parlement, de même dans la politique pratique". Il s'agissait en fait d'établir une véritable dictature de la fraction révisionniste ; elle ne souhaitait rien de moins que diriger tous les organes du parti pour empêcher toute liberté de cri­tique à sa gauche de la tête des marxistes, en vue d'abord de les ter­roriser et ensuite, si possible, "les faire capituler devant le révisionnisme. Troelstra, après le congrès, pouvait ouvertement menacer Gorter : "si Gorter ve­nait à parler encore une fois de "rapprochement avec la démocratie bourgeoise", la pointe de cette assertion serait extraite par la résolution".

Ce triomphe du diktat révisionniste laissait à présent la voie libre pour une révision du programme marxiste du parti. Une commission de révision du programme fut formée au mépris des règles de fonctionnement du parti : le comité du parti qui avait décidé de nom­mer la commission le faisait sans mandat du congrès, seule instance suprême à même de décider une révi­sion du programme. La commission, sous l'influence des révisionnistes, ne proposait rien moins que modi­fier les conditions d'adhésion marxistes au parti : si le parti se basait sur le système de Marx, aucune ac­ceptation de ses soubassements philosophiques maté­rialistes n'était nécessaire pour adhérer. La porte était ainsi ouverte à des éléments religieux, et même bourgeois, non marxistes.

Le congrès de Haarlem, en 1907, ne fit que confir­mer le triomphe du révisionnisme. Les quelques mar­xistes entrés dans la commission ne firent que ser­vir de caution, ne pouvant guère faire entendre leur voix. Il en sortit une déclaration du congrès situant le parti au centre, entre le marxisme et le révision­nisme : "Le programme ne peut être ni marxiste-orthodoxe ni révisionniste ni un compromis des deux orientations" ... Quant au marxisme représenté par Gorter, Pannekoek, Roland-Holst, il ne pouvait être qu'une "opinion privée".

La défaite du marxisme à ce congrès était telle que ni Pannekoek, ni Van der Goes ; ne purent diffuser leurs propres brochures contre la direction du parti. Une résolution du congrès, adoptée à l'unanimité, ne fit que durcir celle du congrès d'Utrecht : l'exercice du droit de critique était suspendu au respect de "l'unité du partie La démocratie dans le parti était ouvertement foulée au pied avec l'accord de la grande majorité de ses membres qui souhaitaient que cessent ce qu'elle considérait comme de "simples querelles personnelles".

 

Toute une habile campagne menée par Troelstra, Vliegen et Schaper  auprès des  militants leur  permit de se présenter comme les victimes d'une chasse aux sor­cières non contre le révisionnisme mais contre leur propre personne. Ils firent si bien qu'une résolution adoptée au congrès d'Utrecht se proposait de limiter la liberté de discussion et de critique dans le parti : "(considérant) que l'unité du parti est  nécessai­rement  menacée, le congrès déplore cet  abus de la liberté  de critique, qui dans notre parti est au-dessus de tout doute, "et impose à tous les camarades de maintenir la critique à l'intérieur de telles limites, que ces camarades entre eux respectent la dignité et l'union du parti."

b) le nouveau cours révisionniste (1906-1907)

Il ne faisait aucun doute que cette résolution était une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus

Pour les marxistes, très minoritaires, le choix était entre la capitulation et le combat : ils choisirent le combat pour sauver l'ancienne orientation marxiste du parti. Pour cela, ils fondèrent leur propre revue : "De Tribune" ("La Tribune"), qui allait donner son nom aux marxistes.

Chardin


[1] [43] En France, par contre, la bourgeoisie -pour lutter contre le développement du mouvement ouvrier et socialiste- joua à fond, en ce qui concerne sa fraction radical-socialiste, la carte anticléricale. Elle espérait aussi, compte tenu de la "popularité de l'anticléricalisme en milieu ouvrier entraîner le socialisme sur un  terrain  qui  n'était pas  le sien.

[2] [44] Il n'était pas rare que les ouvriers travaillent six jours par semaine plus de 14 heures par jour. Sur les conditions inhumaines des ouvriers des transports et le développement du mouvement ouvrier hol­landais à cette époque, voir : "De spoorwegstakingen van 1903 -Een spiegel der arbeidersbeweging in Nederland" ("Les grèves des chemins de fer de 1903 ; un miroir du mouvement ouvrier aux Pays-Bas"), étude de A.J.C.  Ruter Leiden, 1935.Réédition, sans date (années 70),  par SUN reprints, Nijmegen.

[3] [45] Ces syndicats de métier, héritage de la période artisanale du mouvement ouvrier, furent remplacés progressivement par les syndicats d'industrie. Ceux-ci regroupaient tous les ouvriers par branche, quel que fut le métier exercé dans celle-ci. Le développement de la grève de masse au début du siècle allait montrer cependant que -lors de la lutte ouverte contre le capital- l'organisation en branches d'industries était dépassé par l'organisation massive des ouvriers de toutes les branches. L'idée d'une"grande union" propagée par les IWW américains allait vite se révéler inadéquate, en ne voyant que la lutte économique par branche, alors que la grève de masse tendait à devenir politique par la confrontation de toute la classe,  et non de certaines de ses parties,  contre  l'Etat.

[4] [46] Rosa Luxemburg posait la véritable question sous-jacente : réforme ou révolution. Elle pouvait ainsi écrire : ". Ce qui compte avant tout, c'est l'organisation générale de notre agitation et de notre presse afin d'amener les masses laborieuses à compter de plus en plus sur leurs propres forces et sur leur action autonome et à ne plus considérer les luttes parlementaires comme 1'axe central de la vie politique." Du point de vue révolutionnaire, il était vital de "prévenir la classe ouvrière cons­ciente contre cette illusion pernicieuse selon laquelle il est possible de ranimer artificiellement la démocratie et l'opposition bourgeoise au Parlement en modérant et en émoussant la lutte de classe social-démocrate." (Sachsische Arbeiterzeitung, 5-6 décembre 1904).

Géographique: 

  • Hollande [47]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [48]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [49]

URL source:https://fr.internationalism.org/content/revue-internationale-no-46-3e-trimestre-1986

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