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Revue Internationale no 52 - 1e trimestre 1988

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Editorial : la crise économique, la guerre et la révolution

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Effondrement boursier, nouvelle aggravation de la crise économique; mobilisation des armées des principaux pays industrialisés occidentaux dans la guerre du Golfe Persique. L'histoire s'accélère. Les forces contradictoires qui minent les rapports sociaux capitalistes s'exacerbent. Le système enfonce de plus en plus rapidement la société mondiale dans la barbarie de la misère et de la guerre.

Mais la crise économique n'est pas que cela. La crise dans laquelle se débat l'économie mondiale depuis près de 20 ans a aussi développé les contradictions entre les classes; elle crée les conditions pour l'unification de la seule force capable d'imposer une issue: la classe ouvrière mondiale.

La crise boursière annonce un enfoncement de l'économie dans la récession, c'est-à-dire dans le chômage, les bas salaires, la surexploitation, la misère, la répres­sion, l'insécurité, et enfin les tensions guerrières. Tout le monde le sait ou le sent plus ou moins confusément. Mais, toute la pression de la classe dominante, avec la répression, avec les médias et la propagande idéologique omniprésente, s'emploie à entretenir le sentiment d'impuissance face à l'ordre régnant.

Pourtant, pour la classe exploitée l'heure n'est ni aux lamentations, ni à la résignation, ni aux politiques "de l'autruche" préconisées par la classe dominante. Plus que jamais son combat contre le capitalisme est à l'ordre du jour. Plus que jamais s'impose à elle la né­cessité d'unifier ses combats épars de résistance immé­diate, pour les porter jusqu'au bout, jusqu'au combat non plus contre les conséquences de l'exploitation, mais contre l'exploitation elle-même. La crise écono­mique mondiale, développe les conditions d'un tel pro­cessus. Et c'est surtout cela que la classe ouvrière doit avoir à l'esprit devant les appels à la résigna­tion de tous les défenseurs de "l'économie nationale".

LA CRISE ECONOMIQUE AFFAIBLIT LE POUVOIR DE LA BOURGEOISIE MONDIALE

La crise économique se traduit inévitablement par des attaques féroces contre les conditions d'existence des prolétaires. Mais cela ne traduit pas pour autant un renforcement de la bourgeoisie mondiale. Devant la crise de son système, la classe dominante ne connaît d'autre mode de vie que celui de la guerre de tous contre tous. La concurrence exacerbée sur le plan com­mercial et sur le plan militaire. Ceux qui gagnent dans ces combats ne créent plus de nouvelles richesses, ils ne s'enrichissent que des cadavres de leurs concurrents vaincus. La bourgeoisie ne parvient plus à assurer la seule fonction sociale qui lui permet de fonder son pouvoir autrement que sur la violence: la fonction d'organisateur de la production sociale des moyens de subsistance. La bourgeoisie ne peut plus produire: elle ne survit qu'en détruisant. Détruisant économiquement: chômage massif, fermetures d'entreprises, destruction de récoltes et de "surplus invendables"; détruisant militairement: production d'armement, guerres. De ce fait son pouvoir repose de plus en plus uniquement sur la répression et le mensonge idéologique. Et l'histoire montre que pour une classe dominante c'est une situa­tion de faiblesse. "On peut tout faire avec des baïon­nettes, sauf s'asseoir dessus", disait Talleyrand à l'époque où la bourgeoisie avait encore un rôle révolu­tionnaire et était sûre de son "utilité sociale".

Ce que doivent voir les prolétaires dans l'actuelle aggravation de la crise économique, c'est qu'en même temps que celle-ci érode les fondements du pouvoir de la bourgeoisie, elle développe des conditions objec­tives pour l'unification de la classe ouvrière mon­diale, pour un développement de sa conscience de classe révolutionnaire et de ses combats contre le capita­lisme.

LA CRISE CREE DES CONDITIONS POUR L'UNIFICATION PROLETARIENNE

La crise tend à unifier le prolétariat international parce que la crise unifie les conditions d'existence des exploités, parce que l'attaque tend à être de plus en plus simultanée sur tous les secteurs de la classe ouvrière, dans tous les pays. Ce ne sont plus surtout les pays les moins développés qui connaissent cette austérité. L'Allemagne occidentale, le Japon, tout comme les petits "miracles" d'Extrême-Orient (Singapour, Hong-Kong, Corée du Sud, Taiwan) ou l'Amérique Latine (Brésil, Mexique, Argentine, Venezuela), tout comme les pays pétroliers, tous ces pays qui, à un mo­ment ou à un autre, apparaissaient dans les dernières années comme des zones épargnées par la crise, connaissent le développement du chômage et de la misère à l'égal des autres pays frappés plus tôt.

Lorsque le développement de la crise est relativement lent, la bourgeoisie parvient à disperser son attaque, géographiquement et dans le temps, cherchant consciem­ment à éviter des réactions brusques et surtout unifiées. Le fameux "Plan Davignon" réalisé par les gou­vernements de la Communauté européenne, pour licencier des centaines de milliers de travailleurs dans la sidé­rurgie, sur tout le continent, en prenant soin de dis­perser les attaques au cours des années et en passant d'un pays à l'autre, est une illustration de ce genre de tactique. L'aggravation de la crise économique in­terdit de plus en plus ce genre de planification de la dispersion de l'attaque. Poussée par ses propres impé­ratifs de concurrence et de rentabilité capitaliste, la bourgeoisie est contrainte de frapper de plus en plus simultanément et rapidement (donc violemment) toute la  classe travailleuse. Les attaques massives de la bour­geoisie créent les bases pour les réponses massives du  prolétariat. La bourgeoisie polonaise a appris à ses dépens, en 1970 comme en 1980, ce que coûtent au main­tien de son ordre des mesures violentes telles que le doublement des prix de la viande et du lait du jour au lendemain. Les politiques de "privatisation", de "déré­gulation", tout comme la "perestroïka" de Gorbatchev ou le "libéralisme" de Teng Shiao Ping ont aussi comme ob­jectif d'éviter de telles secousses. Malheureusement. pour ces bourgeois attardés, il est trop tard et la crise économique mondiale est trop profonde pour réus­sir à masquer la massivité des attaques.

Le pire piège pour la classe ouvrière serait de "ne voir dans la misère que la misère" et ne pas saisir les moyens de son unification que lui offre l'effondrement du système économique. La classe ouvrière ne peut s'unifier que dans et pour le combat contre ce qui la divise: le capitalisme. C'est ce que confirme tous les jours la lutte ouvrière aux quatre coins de la planète. Le fait qu'en un peu plus d'un an la classe ouvrière ait développé des luttes massives comme en Belgique en 1986 ou en Corée du Sud pendant l'été 1987, qu'elle livre des combats importants simultanément en Yougosla­vie et en Roumanie, en Italie et au Bangladesh, le montre sans ambiguïtés.

LA CRISE MET A NU LE VERITABLE ENJEU DES LUTTES OUVRIERES

La crise économique capitaliste fait éclater au grand jour cette vérité simple mais fondamentale que ce qui conduit à la situation d'impasse dans laquelle s'enfonce la société, ce ne sont pas des problèmes techniques ou de manque de moyens matériels, mais d'organisation sociale de la production. La bourgeoisie répond à la crise de son système en détruisant et en menaçant d'aller vers une nouvelle destruction mon­diale, comme elle le fit à la suite de la crise des années 30. Les besoins économiques non satisfaits se dé­veloppent à une vitesse vertigineuse en même temps que la société dispose des techniques les plus puissantes qui permettraient à l'humanité de vivre comme des "maîtres sans esclaves", avec comme seul objectif pour -l'activité productrice: satisfaire sans limites les be­soins humains.

Plus la crise s'approfondit et plus ce contraste, entre ce qui est matériellement possible et ce qui existe dans la réalité capitaliste, apparaît clairement, mon­trant au prolétariat la justesse et l'ampleur histo­rique de ses luttes si elles sont menées jusqu'à leurs ultimes conséquences.

LE TRIOMPHE DU MARXISME

La réalité de la dynamique capitaliste vérifie de façon éclatante l'analyse marxiste de l'inéluctabilité de la crise capitaliste et du fait que cette crise crée les conditions matérielles, objectives, nécessaires -même si non suffisantes- pour l'unification et l'action ré­volutionnaires de la classe ouvrière.

Cependant, les classes dominantes ne croient jamais à la possibilité de leur propre disparition... sauf peut-être dans un chaos sans retour. Elles ne voient de la réalité que ce que leurs lunettes de classe leur per­mettent de voir. La bourgeoisie mondiale ne comprend pas plus les raisons profondes de la crise violente qui secoue son système qu'elle ne voit dans les grèves ou­vrières la possibilité d'une société communiste. Elle craint les luttes ouvrières qui se généralisent, par dessus tout, parce qu'elle craint de perdre le contrôle de la situation et donc ses privilèges, non parce qu'elle entreverrait une société sans misère ni exploi­tation.

Que la bourgeoisie ne voit pas comment la crise du ca­pitalisme peut conduire à la transformation des luttes revendicatives ouvrières en luttes offensives révolu­tionnaires est en fait "normal". Ce qui est plus sur­prenant ce sont les objections aux fondements du marxisme de la part de courants se réclamant de la ré­volution communiste, voire de Marx.

Trois arguments, basés sur une observation -superfi­cielle- de l'histoire sont souvent cités contre les analyses marxistes:

1. Au cours des années 80 la crise a été plus profonde et a plus frappé la classe ouvrière que pendant les an­nées 70. Cependant il y eu moins de grèves.

2. La grande crise économique de 1929 n'a pas conduit à des luttes révolutionnaires mais à l'embrigadement des prolétaires derrière leurs bourgeoisies nationales pour s'entre-tuer dans une boucherie mondiale qui laissa 50 millions de morts.

3. Les luttes ouvrières du passé qui sont arrivées à remettre en question de façon révolutionnaire le pouvoir de la bourgeoisie, ne se sont pas produites pendant des périodes de crise économique "pure" mais pendant ou à la suite de guerres entre nations.

Nous avons souvent répondu à ce type d'arguments dans notre presse et plus particulièrement dans cette revue ([1] [1]). Cependant, à l'heure où les échéances historiques s'approchent de façon accélérée sous la pression de la crise économique, il nous semble important de rappeler quelques éléments importants pour la perspective ac­tuelle des luttes ouvrières.

Et pourtant...

"IL Y A MOINS DE GREVES DANS LES ANNEES 80"

Il est vrai que de façon générale il y a eu moins de grèves, moins de journées "perdues pour fait de grève" ; comme disent les statistiques, au cours des dernières années que pendant la vague de luttes de la fin des an­nées 60 ou au cours des années 70. Il est aussi vrai que la crise économique, si on en mesure les effets à l'ampleur du chômage par exemple, est plus profonde et plus étendue au cours des années 80. Mais en déduire qu'il v a là la preuve que la crise économique ne crée pas des conditions pour l'unification du prolétariat c'est tout ignorer de ce qu'est le processus d'unification de la classe ouvrière mondiale.

Ce processus ne se mesure pas mécaniquement au nombre de journées de grève dans tel ou tel pays. Le processus d'unification des luttes ouvrières se mesure tout au­tant à des critères tels que la conscience qui soutient la lutte ou l'ampleur internationale des combats.

Les grèves des années 80 sont moins nombreuses que celles de la décennie précédente mais elles sont beau­coup plus significatives. Partir en grève aujourd'hui, affrontant la menace du chômage, cette répression insi­dieuse qui est comme un fusil derrière le dos de chaque travailleur, cela implique beaucoup plus de volonté et de décision de combat que de participer à dix journées d'action syndicale bidon comme il y en eut tant pendant les années 70. Et pourtant cela comptabilisera bien moins d'heures de grève.

La conscience qui traverse les luttes ouvrières ac­tuelles est beaucoup plus profonde que celle de ce qu'on a souvent appelé les années d'illusion: illusions sur les "libérations nationales", sur "la gauche au pouvoir" ou sur l'autogestion des entreprises en fail­lite, par exemple. Aujourd'hui, dans les principaux centres industriels d'Europe, ainsi que dans les pays où les formes "démocratiques" de la dictature bour­geoise ont duré suffisamment, le prolétariat a énormé­ment perdu de ses illusions sur les institutions syndi­cales, sur les partis dits "ouvriers" mais appartenant à l'appareil de la classe dominante (PC, Socialistes, Démocrates, etc.), sur le rôle des élections, sur la possibilité de sortir de la crise économique en accep­tant de faire des sacrifices pour l'entreprise ou la nation, etc. La quasi-totalité des mouvements impor­tants de la classe ouvrière démarrent en dehors des syndicats, et les affrontements entre ouvriers et leurs prétendues organisations représentatives sont de plus en plus fréquents. Après les luttes de Belgique au printemps 1986 qui ont montré comment étendre un mouvement de lutte malgré les syndicats, après les grèves des cheminots pendant l'hiver 86-87 en France qui ont tenté de former des coordinations centralisées en dehors des syndicats, les luttes des travailleurs en Italie au cours de 1987 démontrent, dès le début, avec le mouvement des travailleurs de l'école puis d'autres secteurs, en particulier des transports, une farouche volonté de conduire le combat en dehors du contrôle syndical et en se donnant ses propres formes d'organisation basées sur les assemblées de base.

Il y a moins de grèves dans les années 80, mais elles traduisent une bien plus grande maturité en profondeur. Une maturité qui a été acquise et s'acquiert non malgré, la crise économique, mais sous sa pression directe.

Et pourtant...

"LA CRISE DE 1929 N'A PAS ABOUTI A L'UNIFICATION DE CLASSE OUVRIERE MAIS AU CONTRAIRE A SA NEGATION LA PLUS VIOLENTE: LA GUERRE IMPERIALISTE".

Le marxisme n'a jamais conçu la réalité sociale comme une mécanique simpliste et inconsciente. Sans conscience de classe, aucune crise capitaliste ne peut provoquer par elle même une unification effective des combats prolétariens. C'est pour cela que, comme nous l'avons dit, la crise économique est une condition né­cessaire, mais non suffisante. L'expérience historique des années 30 ne démontre pas que la crise économique ne contribue pas au processus d'unification proléta­rien, mais qu'à elle seule, la crise ne suffit pas.

En 1929, lorsque éclate le krach de Wall Street, le pro­létariat européen est encore sous les coups de la ré­pression de la vague révolutionnaire internationale qui secoua l'Europe à la fin de la première guerre mon­diale. La révolution russe, cet événement qui avait suscité tant d'espoirs, cette lutte qui avait été le phare de tous les combats ouvriers mourait étouffée après la défaite sanglante de la révolution en Alle­magne entre 1919 et 1923.

Dans ces conditions, subissant la défaite, le proléta­riat n'avait pas les moyens de répondre au nouveau défi que lui jetait le capitalisme en crise.

Il faut ajouter à cette différence au niveau de la conscience de la classe, une autre de taille au niveau du déroulement de la crise elle-même: dans les années 30 les politiques de réarmement et de grands travaux qui préparaient à la guerre ont permis de résorber puissamment le chômage et de limiter les effets de la crise (voir l'article qui suit sur la crise actuelle et sa différence avec celle de 1929: "Crise: quand il faut payer le solde").

L'actuelle génération de prolétaires n'a pas connu de défaites de cette ampleur dans ses principales concen­trations. 50 ans de décadence du capitalisme sont pas­sés par là, avec leur lot de barbarie mais aussi avec leur somme d'expériences lentement digérées, avec leur pouvoir de destruction des illusions.

Le capitalisme en crise trouve aujourd'hui devant lui un prolétariat dont la conscience se débarrasse des pires mythes qui l'enchaînaient il y a 50 ans.

Et pourtant...

"TOUTES LES LUTTES REVOLUTIONNAIRES IMPORTANTES DU PROLETARIAT DANS LE PASSE ONT ETE LE PRODUIT DE GUERRES ET NON DE CRISES ECONOMIQUES PURES"

Il est vrai que les plus grandes luttes ouvrières jusqu'à présent ont été provoquées par des situations de guerre: la Commune de Paris de 1871, liée à la guerre franco prussienne, la révolution de 1905 en Rus­sie, liée à la guerre russo-japonaise, la vague révolu­tionnaire internationale de 1917-1923 liée à la pre­mière guerre mondiale.

Mais il n'en découle nullement que la guerre crée les conditions optimales pour la révolution prolétarienne. Encore moins que la crise économique "pure" -car la guerre impérialiste n'est qu'une manifestation de la crise économique- ne favorise pas l'unification de la classe ouvrière.

Les guerres, par les souffrances extrêmes qu'elles im­posent aux classes exploitées en très peu de temps, tendent à créer des situations révolutionnaires. Mais ceci ne se produit que dans les pays ayant été défaits (la France en 1871 défaite par la Prusse, la Russie en 1905 défaite par le Japon, fa Russie en 1917 défaite par l'Allemagne, l'Allemagne en 1918 défaite par les Alliés). Dans les pays victorieux la guerre ne provoque pas les mêmes conséquences.

La crise économique a un effet beaucoup plus lent sur les conditions de vie de la classe ouvrière. Mais cet effet est aussi plus profond et plus étendu géographiquement. Dans la crise économique mondiale du capital, il n'y a pas de pays "neutre", ni de vainqueur. C'est toute la machine capitaliste qui est vaincue par ses propres lois devenues contradictoires. La misère ne connaît plus de frontières.

En outre, les mouvements de lutte déclenchés par le combat contre la guerre trouvent un point d'arrêt, si­non un puissant ralentissement, si la bourgeoisie est contrainte à la paix. Par contre la crise économique, sans aboutissement révolutionnaire, ne peut avoir d'autre issue que la guerre. La guerre joue ici un rôle dans la prise de conscience, mais comme menace.

Le constat du rôle de la guerre dans les révolutions passées n'infirme donc en rien le rôle unificateur que peut avoir la crise économique aujourd'hui sur la lutte ouvrière. Au contraire.

L'unification de la classe ouvrière mondiale sera un effort conscient de celle-ci ou ne sera pas. Mais cette conscience ne peut se développer et vaincre que dans les conditions objectives que crée la crise économique du mode de production capitaliste.

Ce que montre l'évolution des luttes des années 80, ce que montre l'expérience des années 30, ce que montre le rôle joué par la guerre dans les révolutions proléta­riennes passées, ce n'est pas que la crise empêche l'unification des luttes prolétariennes mais que jamais dans l'histoire les conditions objectives pour la révo­lution prolétarienne n'ont été aussi mûres.

Au prolétariat mondial de relever le défi qu'une fois encore lui jette l'histoire.

RV. 21/11/87



[1] [2] Voir entre autre les articles : « Le prolétariat dans le capitalisme décadent » (n°23, 3° trim. 1980), « les années 80 ne sont pas les années  30 » (n° 36, 1er trim. 1984), « Sur le cours historique » (n° 50, 3e trim. 1987).

 

Récent et en cours: 

  • Crise économique [3]
  • Luttes de classe [4]

Questions théoriques: 

  • Guerre [5]

Où en est la crise économique ? : Krach : quand il faut payer le solde

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Quelques semaines après le fameux "jeudi noir" en octobre 1929, Hoover, le président des USA, déclarait: "La prospé­rité nous attend au prochain coin de rue". Nous connaissons la suite, les années 30 de si sinistre mémoire, la crise jamais surmontée, finalement la guerre mondiale.

Trente huit ans après, les mêmes propos sur la santé de l'économie mondiale ne rassurent plus personne. Si la volonté de rassurer reste la préoccupation obsessionnelle des pouvoirs établis, la perspective d'une nouvelle et très grave avancée de la récession mondiale est une chose tenue pour certaine, même pour les plus optimistes. Le jour même où les USA annonçaient pour "rassurer les marchés", qu'ils étaient prêts a réduire de quelques milliards de dollars leur déficit budgétaire, une étude de la très célèbre et puissante banque américaine "la Morgan" avançait l'analyse suivant laquelle la récession à venir "sera trois à quatre fois plus destructrice que la récession de 1981-1982". 1981-82 c'était déjà la flambée du chômage dans les pays développés, le fond de la misère pour les autres. Quand on connaît cette morsure qu'a infligée dans la chair de l'humanité la récession de 81-82, une telle perspective laisse rêveur.

Qu'ici l'on ne se trompe pas; la crise boursière d'octobre 87 ne représente que l'écume des vagues, elle n'est que le signe annonciateur, précurseur d'un raz de marée d'une puissance inouïe, aux conséquences encore difficilement mesu­rables.

UNE SITUATION BIEN PLUS GRAVE QUE DANS LES ANNEES 30

Il est normal que les récentes secousses du système fi­nancier international viennent rappeler le krach boursier de 1929 et, par analogie, la crise des années 30. Mais au-delà des apparences immédiates les si­tuations historiques sont radicalement différentes et, contrairement à ce qui en est généralement dit, la com­paraison entre les deux époques fait ressortir du strict point de vue économique les impasses et la gra­vité de la situation actuelle.

Comme à la fin des années 20, la crise boursière a été précédée par une orgie et une ivresse spéculatives où l'argent et le profit semblaient s'auto engendrer dans une spirale infinie. Miracle de l’argent dégageant des profits sans emprunter le classique circuit de la pro­duction. Spéculation sans précédent attirant tous les capitaux et toute l'épargne sociale dont les appétits de profit ne pouvaient être assouvis par le marché tra­ditionnel et l'industrie.

Comme en 29 cette bulle spéculative va crever dès les premiers signes de récession et, comme en 29 encore, le coup d'envoi de la crise boursière est donné par un mouvement de retrait des capitaux européens. Retrait marqué en 1929 par le relèvement des taux d'escompte de la Banque d'Angleterre, en octobre 1987 par le relève­ment des taux d'intérêt en RFA.

La similitude entre ces deux situations s'arrête là.

Il est vrai que le krach de 1929 ne tombe pas du ciel, il a lentement mûri tout au long d'une période où les industries traditionnelles comme les chemins de fer, les mines, le charbon, le textile souffrent d'une sur­capacité chronique et où le pouvoir d'achat des ou­vriers et des paysans, de 1920 à 1929, n'a cessé de baisser. Mais à part ces secteurs, les années précédant le krach sont des années de très grande prospérité dans des secteurs nouveaux et de plus en plus puissants comme l'automobile, la TSF', l'acier, l'électricité, le gaz et le pétrole.

De fait, le krach boursier de 1929 ouvre la période de crise économique, il la précède. Aujourd'hui il la suit et dans une situation où tous les secteurs sont touchés depuis des années.

La spéculation financière à l'origine du krach ne s'était vraiment développée que depuis 1928. Du seul point de vue de la spéculation, la fuite du capital hors des sphères de la production précédant la crise boursière d'octobre 1987 n'est pas un phénomène récent. La spéculation est depuis de longues années une activité chronique du capital et en tant que telle elle traduit toutes les difficultés du capital à se valori­ser dans le processus de production. Bien qu'elle soit allée crescendo pour aboutir aux délires de l'année 1986, là spéculation se généralise depuis plus d'une décennie: spéculation par anticipation sur le prix des matières premières comme le pétrole dans les années 70, spéculation sur les monnaies comme le dollar dans le début des années 80, spéculation au travers de rachats d'entreprises depuis deux ans... Qu'après avoir fui massivement la sphère de la production industrielle, le capital se voit traqué et piégé dans les temples de la bourse où, fiévreusement réfugié dans la spéculation financière, il s'était retranché ces dernières années ne montre qu'une chose: la crise boursière est l'enfant de la crise économique et non le contraire.

Les rapports actuels entre les flux financiers et ceux des marchandises en sont un des principaux indicateurs:

"Les mouvements financiers sont devenus sans commune mesure avec ceux des marchandises: le rapport est de 50 à 1, puisque pour 5 milliards de dollars d'échanges commerciaux quotidiens, les flux monétaires à travers les frontières sont supérieurs à 200 milliards de dol­lars. " (Dossiers et documents, le Monde novembre 87)

La crise actuelle n'est pas seulement plus grave qu'en 1929 par la masse des contradictions accumulées mais aussi conjointement par le fait que toutes les recettes employées pour y faire face, ou tout au moins pour les contourner, sont aujourd'hui épuisées et usées jusqu'à la corde.

Si contrairement à 1929 la crise précède, et de loin, la tempête boursière, il en est de même des politiques économiques pour faire face à cette crise historique de surproduction. New-deal, politique de grands travaux, relance par la consommation et l'inflation, bref, tout ce que l'on recoupe sous le terme de Keynésianisme en fait l'intervention croissante de l'Etat dans l'économie, le développement du capitalisme d'Etat- ne sont plus devant nous mais derrière nous.

Les manipulations financières ont toujours été l'outil essentiel de ces politiques de fuite en avant: au­jourd'hui, à force d'avoir abusé du crédit, de l'inflation, des déficits, de la spéculation, l'édifice du système financier international est incapable d'en supporter plus, il est un véritable château de cartes dont l'édifice totalement vermoulu menace chaque jour davantage de s'effondrer et dont l'équilibre relève du miracle.

Ce tableau ne serait pas complet si l'on n'y intégrait pas les questions des déficits budgétaires et la poli­tique d'armement qui leur est liée.

Dans les années 30 la situation encore saine de la tré­sorerie des Etats, alimentée par des années de prospé­rité du capital, allait permettre l'illusion d'une re­lance de la production par une immense production d'armements. Aujourd'hui, cette production gigantesque d'armements qui aspire tout ce que la société a créé de plus productif de manière ininterrompue depuis la se­conde guerre mondiale, est une des causes majeures du déficit budgétaire des États nationaux, des USA et de l'URSS particulièrement, et s'inscrit donc dans la si­tuation historique actuelle comme un accélérateur im­portant de la crise économique mondiale (voir l'article "Guerre, militarisme..." dans ce numéro). Toute la bourgeoisie mondiale, en particulier en Europe, montre du doigt les USA et accuse leur déficit budgétaire. Pourtant, le déficit budgétaire des USA a pour cause profonde une politique de surarmement, comme en URSS d'ailleurs, que personne ne conteste mais que les bourgeoisies mondiales rechignent à payer. Pour ces raisons incontournables du point de vue capita­liste, les récriminations des bourgeoisies européennes sont condamnées à rester des gesticulations. Pour l'essentiel, elles feront comme d'habitude, elles s'aligneront.

De quelque côté qu'elle se tourne, l'économie capita­liste mondiale, de Washington à Moscou, de Pékin à Pa­ris, de Tokyo à Londres, est coincée.

LA PERSPECTIVE D'UNE ACCELERATION MAJEURE DE LA RECESSION MONDIALE

L'histoire économique de ces vingt dernières années n'est pas autre chose que l'histoire de cette course mondiale de l'économie capitaliste mondiale vers l'impasse actuelle. Dans cette période qui s'étend de la fin des années 60 jusqu'à aujourd'hui, nous pouvons distinguer plusieurs phases:

"Avec l’arrêt définitif de tous les mécanismes delà reconstruction au milieu des années 60, le capitalisme en Occident a commencé de vivre suivant des oscilla­tions déplus en plus amples et violentes. Comme une bête enragée qui se cogne la tête contre les murs de sa cage, le capitalisme occidental s'est heurté déplus en plus violemment à deux écueils: d'une part des réces­sions de plus en plus profondes, d'autre part des re­lances de moins en moins efficaces et déplus en plus inflationnistes.

On peut brièvement résumer les principales phases de la crise dans l'économie occidentale depuis 1967 de la fa­çon suivante:

-  en 1967y ralentissement de la croissance;

-  en 1968, relance;

-  de 1969 à 1971, nouvelle récession plus profonde que celle de 1967;

-  de 1972 au milieu de l'année 1973, deuxième relance faisant craquer le système monétaire international avec la dévaluation du dollar en 1971 et la mise en flotte­ ment des principales parités monétaires; les gouverne­ments financent une relance générale avec des tonnes de "monnaie de singe";

- au début de 1973, les "sept grands" connaissent le taux de croissance le plus élevé depuis dix-huit ans (8 1/3 en base annuelle au 1er semestre 1973); -fin 1973 afin 1975, nouvelle récession; la troi­sième, mais aussi la plus longue et la plus profonde; au second semestre 1973, la production n'augmente plus qu'au rythme de 2% annuel; plus d'un an plus tard, au début de 1975, elle recule de façon absolue au rythme de 4,3%par an;

-1976-1979, troisième relance; mais cette fois ci, malgré le recours à la politique keynésienne de relance par la création de déficits des budgets des Etats, mal­gré le nouveau marché constitué par les pays de l'OPEP qui grâce à la hausse du prix du pétrole ont représenté une forte demande pour les produits manufacturés de pays industrialisés, malgré enfin l'énorme déficit de la balance commerciale des Etats-Unis qui, grâce au rôle international du dollar, ont créé et entretenu un marché artificiel en important beaucoup plus qu 'ils n'exportaient, malgré tous ces moyens mis en oeuvre par les gouvernements, la croissance économique, après une brève reprise en 1976, ne cesse de s'effriter, lente­ment, mais systématiquement. (...) Comme on le voit, que ce soit le remède 'déficit budgétaire' ou que ce soit le remède 'déficit exté­rieur' des USA, tous les deux ont été administrés en doses massives à l’économie au cours des dernières an­nées. La médiocrité des résultats obtenus ne prouve qu'une chose: leur efficacité ne cesse de se réduire. Et c'est là la deuxième raison qui permet de prévoir l'ampleur exceptionnelle de la récession qui commence avec le début des années 80." (Revue Internationale N° 20,1980).

Ecrits au début des années 80, ces pronostics ont été plus qu'amplement vérifiés.

Aujourd'hui, après avoir vu les capitaux du monde en­tier fuir la sphère de la production industrielle, laissant sur le carreau des millions de personnes, fi­nancer l'effort d'armement du bloc occidental en finan­çant le déficit budgétaire américain, nourrir la spécu­lation boursière, on aboutit à la situation actuelle où les déficits sont tellement colossaux, les rouages fi­nanciers et les structures monétaires tellement fragi­lisés, à la limite de la rupture, une surproduction totale dans tous les secteurs - qu'il s'agisse de l'agriculture, des matières premières, de l'industrie - qu'une nouvelle récession majeure doublée d'une nou­velle période d'inflation est inévitable.

Dans les pays de l'Est, la "libéralisation" ne fait pas illusion. A l'évidence elle couvre idéologiquement une diminution extrêmement grave des charges d'entretien de la force de travail, salaires, logements, santé, transports... Les émeutes en Roumanie sont là pour témoigner de l'insupportable paupérisation. De plus en plus, les conditions ouvrières intolérables des périodes de guerre se répandent sous la seule pression de la crise: rationnement, militarisation....

En Occident devant quel choix se retrouve la bourgeoi­sie, plus spécifiquement le chef d'orchestre américain ?

- soit maintenir le dollar par une politique de taux d'intérêt élevés. Et ces taux doivent être d'autant plus forts que le dollar est faible, pour soutenir le dollar et attirer les capitaux de toutes les places fi­nancières nécessaires au financement de là dette. Orientation qui implique immédiatement une tempête récessioniste aux USA et par contrecoup au niveau mon­dial;

- soit laisser "filer" le dollar avec une politique de taux d'intérêt bas pour soutenir l’exportation et la production. Ce qui ne peut que provoquer une vague inflationniste très forte. D'autant plus forte que les marchés, les banques sont littéralement assoiffés de de­vises, d'argent frais et particulièrement l'Etat avec sa dette colossale.

Bien que l'incertitude règne, et on peut-être sûr que cette incertitude sur l'orientation à prendre est es­sentiellement due à l'immensité et l'insolvabilité du problème plus qu'à une attitude tactique,   à l'heure actuelle il semble bien que ce soit la dernière solu­tion qui a été retenue: baisse des taux d'intérêt et du dollar. Donc dans l'immédiat politique inflationniste. Ici les commentateurs évoquent la période électorale aux USA qui dans cette situation ne veulent pas en­tendre parler de récession. Dans une certaine mesure, celle-ci joue. Mais dans le fond il faut souligner qu'aucun choix n'est donné par l'état de l'économie mondiale, la marge de manoeuvre est extrêmement réduite.

Ainsi si les USA optent dans l'immédiat pour une poli­tique inflationniste en laissant filer le dollar par des taux d'intérêt bas, l'autre alternative d'une puis­sante récession n'en est pas moins terriblement pres­sante. Comment et jusqu'où les USA peuvent-ils laisser filer le dollar en le laissant s'approcher de sa valeur réelle ?

On a déjà vu ces deux dernières années qu'une dévalua­tion de 50% de la monnaie américaine n'a pas permis de rétablir la balance commerciale US. A considérer la compétitivité de l'économie américaine, les déficits ac­cumulés (données qui fondent la valeur d'une monnaie), le dollar en termes réels ne vaut plus grand-chose et les USA ne peuvent se permettre de le laisser s'approcher de la valeur 0. Ils ne peuvent prendre le risque de provoquer avec une telle politique un effon­drement du système bancaire américain déjà extrêmement fragilisé.

Donc l'inflation et la récession sont les perspectives immédiates, conjuguées et incontournables.

Le souffle de la crise financière de ce mois d'octobre 87 a brutalement balayé le bluff colossal que représen­tait la "reprise américaine", le "retour salvateur aux sources de la loi du marché". La situation laisse constater à qui veut le voir le délabrement total dans lequel se trouve l'économie mondiale. Ce qui est vrai pour la santé de l'économie mondiale, l'est aussi en ce qui concerne la condition ouvrière. Et plus spécifiquement en ce qui concerne le chômage qui résume à lui seul l'état général de la condition ouvrière.

A côté du bluff sur la "reprise américaine", nous avons assisté ces dernières années après l'explosion sans précédent du chômage -jusqu'à 12% en moyenne de la po­pulation active des pays industriels- à un maquillage de l'état général de ce qu'il est convenu d'appeler le "marché du travail".

Aux USA, tout d'abord, où la pseudo reprise s'accompagnait d'une pseudo baisse du taux de chômage (sans jamais revenir, même officiellement, aux taux d'avant 1980). Ce que cachaient les chiffres absolus n'était en fait qu'une paupérisation sans précédent de la condition ouvrière et de pans entiers des couches moyennes. Dans ces données absolues, la création d'emplois semblait suivre le rythme de leur dispari­tion; mais là où il y avait auparavant dans l'industrie un emploi qualifié, assuré et à peu près "correctement" rémunéré, se substituait un emploi sans qualification dans "les services", instable, une rémunération corres­pondant à la moitié de ce qu'elle était auparavant.

Tel est le miracle américain.

En Europe, on a eu droit à d'inimaginables contorsions et manipulations de chiffre pour camoufler un tant soit peu "la honte" du chômage. Mieux encore on a pu voir la bourgeoisie "joindre l'utile à l'agréable" en créant des emplois dits "d'utilité publique" (dans beaucoup de pays d'Europe) pour la jeunesse, rémunérés quatre fois moins que le montant du salaire minimum garanti.

Avec le développement de la crise actuelle, comme le bluff de la santé de l'économie mondiale retrouvée, le bluff sur la condition des classes laborieuses va cre­ver lamentablement et laisser apparaître au grand jour la vérité sur la misère de ce monde. Et cette misère va encore faire un bond en avant sans précédent. Telle est la vérité, la vérité à laquelle plus personne ne peut se soustraire, que l'on devra soit accepter avec ses conséquences économiques et militaires, soit combattre avec acharnement. Rappelons-nous ce qu'a signifié la récession de 81-82 pour imaginer les conséquences d'une nouvelle récession sur les plaies encore vives de la vague récessioniste précédente.

Si les années 70 ont été des années d'illusions et les années 80 les années de vérité couverte par un immense bluff, les années à venir seront les années d'une vé­rité qu'on ne peut plus fuir.

UNE IMMENSE CRISE DE SURPRODUCTION

Une grande majorité de personnes interrogées, avouerait ne rien entendre à l'évolution pourtant bien concrète de la crise économique mondiale. Il est vrai, rien n'est fait dans ce sens, et pour cause. Mais dans le fond, les déterminations essentielles de cette crise mondiale qui dure et s'approfondit depuis des années sont bien plus simples à saisir que ce qui en est dit le laisse supposer. Le développement même de la crise joue lui aussi un rôle de clarification.

La cause immédiate de l'effondrement de la bourse de New York et par sympathie de toutes les autres places boursières, c'est la chute du dollar. A la racine de la chute du dollar, il y a les déficits budgétaires et commerciaux américains. A la racine de ces déficits, la surproduction mondiale. Que cet effondrement ait tant fait de vagues est essentiellement dû au gonflement de la bourse par la spéculation. Cette fièvre spéculative a principalement pour cause la fuite des capitaux de la sphère de la production, cette fuite a elle-même pour cause la surproduction mondiale. De quelque côté que l'on prenne le problème on aboutit à cette détermination essentielle: la surproduction mondiale. Et finalement la crise boursière d'octobre 87, par rapport à toute l’ampleur du problème auquel se trouve confrontée l'humanité, n'est que du pipi de chat.

C'est parce que la société produit "trop" qu'elle en­gendre la misère. Qu'exprime cette crise de surproduc­tion qui à d'autres époques aurait paru absurde ? sinon que les rapports de production actuels dits "modernes" appartiennent en fait à la préhistoire de l'humanité. Rapports de production anachroniques dominés par la production en fonction du marché et en vue du profit; caractérisés par la séparation des producteurs d'avec les forces productives, c'est-à-dire par l'exploitation du travail, et sa division entre travail intellectuel et travail manuel; rapports de production qui condi­tionnent la division du monde en nations, division où s'exprime et se concentre tout le déchirement de l'humanité comme le montrent les guerres.

Dans cette crise de surproduction où s'affrontent les nations, à l'Est où à l'Ouest, que nous demandent les classes dominantes, sinon d'être les soldats de la guerre économique avant d'être les soldats de la guerre totale, finale, définitive?

Du point de vue capitaliste la crise de surproduction c'est la guerre de tous contre tous, la guerre sous toutes ses formes, d'abord économique, ensuite par les armes; de notre point de vue, celui de l'avenir, la crise impose l'unification de l'humanité, la destruc­tion des frontières. Soit nous serons capables de mettre sur pied un grand projet mondial qui abolira toutes les séparations, soit nous emprunterons miséra­blement le chemin de la fin du monde.

Prénat. 30/11/87

Questions théoriques: 

  • L'économie [6]

Guerre, militarisme et blocs impérialistes dans la décadence du capitalisme

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La formidable armada déployée par le bloc occidental dans le Golfe persique (voir l'éditorial de la Revue Internatio­nale n° 51) est venue rappeler avec brutalité la nature profonde du système capitaliste, un système qui depuis son en­trée en décadence au début du siècle a conduit à une militarisation croissante de toute la société, a stérilisé ou dé­truit des proportions considérables du travail humain, a transformé la planète en une véritable poudrière. A l'heure où de grands discours sont prononcés par les principaux gouvernements du monde sur la limitation des armements, ou même le désarmement, les faits du Moyen-Orient viennent donc apporter un démenti cinglant aux illusions sur une "atté­nuation" des tensions militaires et illustrent en particulier de façon éclatante une des composantes majeures des en­jeux impérialistes actuels: l'offensive du bloc américain en vue de poursuivre son encerclement du bloc russe et qui passe en premier lieu par la remise au pas de l'Iran. Ces événements, par la remarquable coopération des forces na­vales des principaux pays occidentaux qu'ils mettent en évidence, soulignent également que les rivalités économiques qui s'aiguisent entre ces mêmes pays n'entravent nullement leur solidarité en tant que membres d'un même bloc impéria­liste alors qu'en même temps, le climat belliciste qui imprègne toute la planète ne se traduit pas seulement par des tensions guerrières entre les grands blocs mais se répercute également par des affrontements entre certains pays liés à un même bloc, comme c'est le cas dans le conflit entre l'Iran et l'Irak et, derrière ce dernier, les principaux pays occidentaux.

C'est de cet ensemble de questions, essentielles pour la classe ouvrière, son combat et sa prise de conscience, que se propose de traiter le présent article.

LA GUERRE ET LE MILITARISME DANS LA DECADENCE DU CAPITALISME

Le mouvement ouvrier face a la guerre

Depuis ses origines le mouvement ouvrier a porté une attention soutenue à l'égard des différentes guerres que se livraient entre elles les nations capitalistes. Pour ne citer qu'un exemple on peut rappeler les prises de position de la première organisation internationale de la classe ouvrière, l’A.I.T. à l'égard de la guerre de Sécession aux Etats-Unis en 1864 ([1] [7]) et de la guerre franco-allemande de 1870 ([2] [8]). Cependant l'attitude de la classe ouvrière à l'égard des guerres bourgeoises a évolué dans l'histoire, allant du soutien de certaines d'entre elles à un refus catégorique de toute participation. Ainsi, au siècle dernier, les révolutionnaires pouvaient appeler les ouvriers à apporter leur appui à telle ou telle nation belligérante (pour le Nord contre le Sud dans la guerre de Sécession, pour l'Allemagne contre la France du Second Empire au début de leur af­frontement en 1870), alors que la position de base de tous les révolutionnaires au cours de la première guerre mondiale était justement le rejet et la dénon­ciation de tout appui à l'un ou l'autre des camps en présence.

Cette modification de la position de la classe ouvrière à l'égard des guerres, qui fut juste­ment en 1914 le point de clivage crucial dans les par­tis socialistes (et particulièrement dans la Social-dé­mocratie allemande) entre ceux qui rejetaient toute participation à la guerre, les internationalistes, et ceux qui se réclamaient des positions anciennes du mou­vement ouvrier pour mieux soutenir leur bourgeoisie na­tionale ([3] [9]), cette modification correspondait en réalité à la modification de la nature même des guerres liée pour sa part à la transformation fondamentale su­bie par le capitalisme entre sa période ascendante et sa période de décadence ([4] [10]).

Cette transformation du capitalisme et de la nature de la guerre qui en découle, a été reconnue par les révolutionnaires depuis le début du siècle et notamment lors de la première guerre mondiale. C'est sur cette analyse, en particulier, que se base l'Internationale Communiste pour affirmer l'actualité de la révolution prolétarienne. Depuis ses origines, le CCI s'est réclamé de cette analyse et en particulier des positions de la Gauche Communiste de France qui, déjà en 1945, se prononçait de façon très claire sur la nature et les caractéristiques de la guerre dans la période de déca­dence du capitalisme:

"A l’époque du capitalisme ascendant, les guerres (na­tionales, coloniales et de conquêtes impérialistes) ex­primèrent la marche ascendante de fermentation, de ren­forcement et d'élargissement du système économique ca­pitaliste. La production capitaliste trouvait dans la guerre la continuation de sa politique économique par d'autres moyens. Chaque guerre se justifiait et payait ses frais en ouvrant un nouveau champ d’une plus grande expansion, assurant le développement d'une plus grande  production capitaliste.

A l'époque du capitalisme décadent, la guerre au même titre que la paix exprime cette décadence et concourt puissamment à l'accélérer.

Il serait erroné de voir dans la guerre un phénomène propre, négatif par définition, destructeur et entrave au développement de la société, en opposition à la paix qui, elle, sera présentée comme le cours normal positif du développement continu de la production et de la so­ciété. Ce serait introduire un concept moral dans un cours objectif, économiquement déterminé.

La guerre fut le moyen indispensable au capitalisme lui ouvrant des possibilités de développement ultérieur, à l'époque où ces possibilités existaient et ne pouvaient être ouvertes que par le moyen de la violence. De même, le croulement du monde capitaliste ayant épuisé histo­riquement toutes les possibilités de développement, trouve dans la guerre moderne, la guerre impérialiste, l'expression de ce croulement qui, sans ouvrir aucune possibilité de développement ultérieur pour la produc­tion, ne fait qu’engouffrer dans l'abîme les forces productives et accumuler à un rythme accéléré ruines sur ruines.

Il n’existe pas une opposition fondamentale en régime capitaliste entre guerre et paix, mais il existe une différence entre les deux phases ascendante et déca­ dente de la société capitaliste et, partant, une diffé­rence de fonction de la guerre (dans le rapport de la guerre et de la paix) dans les deux phases respectives.

Si dans la première phase, la guerre a pour fonction d'assurer un élargissement du marché, en vue d'une plus grande production de biens de consommation, dans la se­conde phase, la production est essentiellement axée su la production de moyens de destruction, c'est-à-dire en vue de la guerre. La décadence de la société capita­liste trouve son expression éclatante dans le fait que des guerres en vue du développement économique (période ascendante), l'activité économique se restreint essen­tiellement en vue de la guerre (période décadente).

Cela ne signifie pas que la guerre soit devenue le but de la production capitaliste, le but restant toujours pour le capitalisme la production de la plus-value, mais cela signifie que la guerre, prenant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capita­lisme décadent."

(Rapport à la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France, repris dans le rapport sur le Cours Historique adopté au 3e congrès du CCI, Revue Internationale n° 18, 3e trim. 1979).

LA CONFIRMATION DE L'ANALYSE DE LA GAUCHE COMMUNISTE

Ces lignes furent écrites en juillet 1945, alors que la guerre mondiale se terminait à peine en Europe et qu'elle se poursuivait encore en Extrême-Orient. Et tout ce qui s'est passé depuis cette date n'a fait que confirmer amplement l'analyse qu'elles expriment, bien au delà même de ce qu'on avait pu connaître auparavant. En effet, alors qu'au lendemain de la le guerre mondiale on avait pu assister, jusqu'au début des années 30, à une certaine atténuation des antagonismes inter­ impérialistes, de même qu'à une réduction significative des armements dans la monde, rien de tout cela ne s'est produit au lendemain de la 2e guerre mondiale. Les quelques 150 guerres qui, depuis que la "paix" a été rétablie, se sont déroulées dans le monde ([5] [11]), avec leurs dizaines de millions de tués, ont bien fait la preuve qu'"il n'existe pas une opposition fondamentale en régime capitaliste entre guerre et paix", et que "la guerre, prenant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent". Et ce qui ca­ractérise toutes ces guerres, comme les deux guerres mondiales, c'est qu'à aucun moment, contrairement à celles du siècle dernier, elles n'ont permis un quel­conque progrès dans le développement des forces produc­tives, mais n'ont eu d'autre résultat que des destruc­tions massives laissant complètement exsangues les pays où elles se sont déroulées (sans compter les horribles massacres qu'elles ont provoqués). Parmi une multitude d'exemples de guerres survenues depuis 1945, on peut prendre celle au Vietnam qui devait permettre, aux dires de ceux qui, dans les années 60 et 70, manifes­taient avec les drapeaux du FNL, de construire un pays neuf et moderne, où les habitants seraient délivrés des calamités qui les avaient accablés avec l'ancien régime de Saigon. Depuis la réunification de ce pays en 1975, non seulement les populations vietnamiennes n'ont pas connu la paix (les anciennes "armées de libération" s'étant converties en armées d'occupation du Cambodge), mais leur situation économique n'a cessé de se dégrader à tel point que, lors de son dernier congrès, le parti dirigeant s'est vu obligé de dresser un constat de faillite de l'économie.

 

LES DESTRUCTIONS DES DEUX GUERRES MONDIALES ET LEURS CONSEQUENCES

Pour aussi catastrophiques qu'elles soient, les des­tructions provoquées par les différentes guerres qui se sont déroulées depuis 1945, et qui ont surtout affecté des pays faiblement développés, sont évidemment bien en deçà de celles de la première, et surtout de la seconde guerre mondiale qui, elles, avaient concerné les pays les plus développés du monde, notamment ceux d'Europe occidentale. Ces deux guerres, par les différences qu'elles comportent avec celles du siècle dernier «par exemple celle de 1870 entre la France et l'Allemagne sont bien à l'image des transformations subies par le capitalisme depuis cette époque. Ainsi, la guerre de 1870, en permettant la réunification de l'Allemagne, fut pour ce pays une des conditions majeures de son formidable développement de la fin du 19e siècle, alors même que, pour le pays vaincu, la France, elle n'eut pas de réelle conséquence négative malgré les 5 mil­liards de francs or versés à l'Allemagne pour obtenir le départ de ses troupes: c'est au cours des trois der­nières décennies du 19e siècle que la France connaît son développement industriel le plus important (illus­tré notamment par les expositions universelles de Paris en 1878,1889 et 1900).

En revanche, les deux grandes guerres de ce siècle qui, au départ, ont mis aux prises les deux mêmes antago­nistes, ont eu pour principale conséquence non pas un nouveau bond en avant dans le développement des forces productives, mais en premier lieu une dévastation sans précédent de celles-ci et notamment de la principale d'entre elles, la classe ouvrière.

Ce phénomène est déjà flagrant lors de la le guerre mondiale. Dans la mesure même où ce sont les princi­pales puissances capitalistes qui s'y affrontent, la plus grande partie des soldats qui sont fauchés sur le front sont des ouvriers en uniforme. La saignée que la guerre représente pour la classe ouvrière est en pro­portion non seulement de l'acharnement des combats et de "l'efficacité" des nouvelles armes utilisées au cours de cette guerre (blindés, gaz de combat, etc.), mais aussi du niveau de mobilisation auquel elle donne lieu. Contrairement aux guerres du passé qui n'avaient jeté dans les combats qu'une proportion relativement faible de la population masculine, c'est la quasi-tota­lité de celle-ci dans la force de l'âge qui est affec­tée par la mobilisation générale ([6] [12]), plus d'un tiers qui est tuée ou blessée gravement dans les combats.

D'un autre côté, bien que la le guerre mondiale se soit déroulée du côté occidental sur une faible étendue ter­ritoriale et qu'elle ait par conséquent grandement épargné les principales régions industrielles, elle s'est traduite par une chute de près de 30% de la pro­duction européenne. C'était principalement la consé­quence de la ponction énorme que représentait pour l'économie tant l'envoi sur le front de l'essentiel de la classe ouvrière que l'utilisation de plus de 50% du potentiel industriel dans la fabrication d'armements, ce qui se traduisait notamment par une chute vertigi­neuse des investissements productifs aboutissant au vieillissement, à l'usure extrême et au non remplace­ment des installations industrielles.

Expression de l'enfoncement du système capitalisme dans sa décadence, les destructions de la seconde guerre mondiale se situent à une échelle bien plus vaste encore que celles de la première. Si certains pays comme la France ont un nombre plus faible de tués que lors de la le guerre du fait qu'ils ont été rapidement vaincus dès le début des hostilités, le nombre total des morts est environ quatre fois plus élevé (de l'ordre de 50 millions). Les pertes d'un pays comme l'Allemagne, la nation la plus développée d'Europe, où vit le proléta­riat le plus nombreux et le plus concentré, s'élèvent à plus de 7 millions, soit trois fois plus qu'entre 1914 et 1918, parmi lesquels figurent 3 millions de civils. Car dans sa barbarie croissante, le capitalisme ne se contente plus de dévorer les prolétaires en uniforme, c'est toute la population ouvrière qui, désormais, non seulement est mobilisée dans l'effort de guerre (comme ce fut déjà le cas lors du 1er conflit mondial) mais qui paye directement le prix du sang. Dans certains pays, la proportion de civils tués excède de très loin le nombre de soldats tués au front: par exemple sur les 6 millions de disparus que compte la Pologne (22% de la population), 600000 seulement (si on peut dire) sont morts dans les combats. En Allemagne, ce sont par exemple 135000 êtres humains (plus qu'à Hiroshima) qui sont tués pendant les 14 heures (en 3 vagues succes­sives) que dure le bombardement de Dresde le 13 février 1945. Presque tous évidemment sont des civils, et la grande majorité des ouvriers. Les quartiers d'habitation ouvriers ont d'ailleurs la faveur des bom­bardements alliés car cela permet à la fois d'affaiblir le potentiel de production du pays à moindre frais que par l'attaque des installations industrielles souvent enterrées et bien protégées par la DCA (bien que ces installations ne soient pas épargnées évidemment) et, à la fois, de détruire la seule force susceptible de se révolter contre le capitalisme à la fin de la guerre comme elle le fit entre 1918 et 1923 dans ce même pays.

Sur le plan matériel, les dégâts sont évidemment consi­dérables. Par exemple, si la France a eu un nombre "li­mité" de tués (600000 dont 400000 civils) son économie est ruinée du irait notamment des bombardements alliés. La production industrielle a baissé de près de moitié. De nombreux quartiers urbains ne sont plus que ruines; 1 million d'immeubles ont subi des dégâts. Tous les ports ont été systématiquement bombardés ou sabotés et sont obstrués par des bateaux coulés. Sur 83000 kilo­mètres de voies ferrées, 37000 sont avariés ainsi que 1900 viaducs et 4000 ponts routiers. Le parc ferro­viaire, locomotives et wagons, est réduit au quart de celui de 1938.

L'Allemagne se retrouve aussi, évidemment, aux premiers rangs des destructions matérielles: 750 ponts fluviaux sont détruits sur 948, ainsi que 2400 ponts de chemin de fer et 3400 kilomètres de voies ferrées (pour le seul secteur occupé par les alliés occidentaux); sur 16 millions de logements, près de 2,5 millions sont inha­bitables et 4 millions endommagés); un quart seulement de la ville de Berlin est épargné et Hambourg a subi à elle seule plus de dégâts que toute la Grande-Bretagne. En fait, c'est toute la vie économique du pays qui se trouve désarticulée provoquant une situation de dé­tresse matérielle comme la population n'en a jamais connue:

"... en 1945, la désorganisation est générale, et dra­matique. La reprise est rendue difficile par le manque de matières premières, l'exode des populations, la raréfaction de la main d'oeuvre qualifiée, l'arrêt de la circulation, l'effondrement de l'administration... Le mark étant devenu sans valeur, on commerce par troc la cigarette américaine sert de monnaie; la sous-alimentation est générale; la poste ne fonctionne plus; les familles vivent dans l'ignorance du sort de leurs proches, victimes de l'exode ou prisonniers de guerre; le chômage général ne permet pas de trouver de quoi vivre; l'hiver 1945-46 sera particulièrement dur, le charbon et l'électricité faisant souvent défaut... 39 millions de tonnes de houille seulement ont été extraites en 1945 et 3 millions de tonnes d'acier seront fabriqués en 1946; la Ruhr travaille à 12% de sa capacité."

(H.Michel, "La Seconde guerre mondiale", PUF, chapitre sur "L'effondrement de l'Allemagne").

Ce tableau —bien incomplet encore— des dévastations provoquées par les deux guerres mondiales, et notamment par la dernière, illustre donc d'une façon particuliè­rement crue les changements fondamentaux intervenus dans la nature de la guerre entre le 19e siècle et le 20e siècle. Alors qu'au siècle dernier les destructions et le coût des guerres n'étaient pas autre chose que des "faux frais de l'expansion capitaliste -faux frais qui, en général, étaient amplement rentabilisés depuis le début de notre siècle, elles sont des sai­gnées considérables qui ruinent les belligérants, aussi bien les "vainqueurs" que les "vaincus" ([7] [13]). Le fait que les rapports de production capitaliste aient cessé e constituer la condition du développement des forces productives, qu'ils se soient au contraire convertis en de lourdes entraves à ce développement, s'exprime d'une façon on ne peut plus nette dans le niveau des ravages que subissent les économies des pays gui se sont trou­vés au coeur du développement historique de ces rap­ports de production: les pays d'Europe occidentale. Pour ces pays notamment, chacune des deux guerres se traduit par un recul important de leur poids relatif à l'échelle mondiale tant au plan économique et financier u'au plan militaire au bénéfice des Etats-Unis dont ils deviennent de façon croissante une dépendance. En fin de compte, l'ironie de l'histoire a voulu que les deux pays qui se sont le mieux relevés économiquement à la suite de la seconde guerre mondiale malgré les destructions considérables qu'ils ont subies, sont juste­ment les deux grands vaincus de cette guerre: l'Allemagne D’ailleurs amputée de ses provinces orientales) et le Japon. A ce phénomène paradoxal il existe une explication qui, loin de démentir notre analyse, la confirme au contraire amplement.

En premier lieu, le relèvement de ces pays n'a pu avoir lieu que par le soutien économique et financier massif apporté par les Etats-Unis à travers notamment le plan Marshall, soutien qui fut un des moyens essentiels par lesquels cette puissance s'est assurée une fidélité sans faille de ces pays. Par leurs propres forces, ces pays auraient été dans l'incapacité complète d'obtenir les "succès" économiques que l'on connaît. Mais ces succès s'expliquent aussi et surtout, notamment pour le Japon, par le rait que, durant toute une période, l'effort militaire de ces pays -en tant que pays vaincus- a été volontairement limité par les "vain­queurs" à un niveau bien moindre que celui de leur propre effort. C'est ainsi que la part du PNB du Japon consacré au budget des armées n'a jamais, depuis la guerre, dépassé le seuil de 1%, ce qui est très en deçà de la part qu'y consacrent les autres principaux pays.

 

LE CANCER DU MILITARISME RONGE L'ECONOMIE CAPITALISTE

Nous retrouvons donc là une des caractéristiques ma­jeures du capitalisme dans sa période de décadence telle qu'elle a déjà été analysée par les révolution­naires dans le passé: le fardeau énorme que représen­tent pour son économie les dépenses militaires, non seulement dans les périodes de guerre mais aussi dans les périodes de "paix". Contrairement à ce que pouvait écrire Rosa Luxemburg dans "L'accumulation du Capital" (et c'est la seule critique importante qu'on peut faire à ce livre), le militarisme ne représente nullement un champ d'accumulation pour le capitalisme. Bien au contraire: alors que les biens de production ou les biens de consommation peuvent s'incorporer dans le cycle productif suivant en tant que capital constant ou capital variable, les armements constituent un pur gas­pillage du point de vue même du capital puisque leur seule vocation est de partir en fumée (y compris au sens propre) quand ils ne sont pas responsables de des­tructions massives. Ce fait s'est illustré de façon "positive" pour un pays comme le Japon qui a pu consa­crer l'essentiel de sa production, notamment dans les secteurs de haute technologie, à développer les bases de son appareil productif, ce qui explique (outre les bas salaires payés à ses ouvriers) les performances de ses marchandises sur le marché mondial. Cette réalité s'est également illustrée de façon éclatante, mais de façon négative cette fois, dans le cas d'un pays comme l'URSS dont l'arriération présente et l'acuité des difficultés économiques résultent pour une large part de l'énorme ponction que représente la production d'armements: lorsque les machines les plus modernes, les ouvriers et les ingénieurs les plus qualifiés sont presque tous mobilisés dans la production de tanks, d'avions ou de missiles, il reste bien peu de moyens pour fabriquer par exemple des pièces détachées pour les innombrables tracteurs immobilisés, ou construire des wagons permettant d'acheminer des récoltes qui sont condamnées à pourrir sur place alors que les queues de­vant les magasins s'allongent dans les villes. Ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui, l'URSS tente de desser­rer cet étau que représentent pour son économie les dé­penses militaires en prenant l'initiative d'un certain nombre de négociations avec les USA en vue de la réduc­tion des armements.

Enfin, la première puissance mondiale n'échappe pas, elle non plus, aux conséquences catastrophiques des dépenses d'armement pour son économie: son énorme déficit budgétaire qui n'a cessé de progresser depuis le début des années 80 (et qui après avoir permis la "reprise" tant vantée de 1983, apparaît clairement aujourd'hui comme un des responsables de l'aggravation de la crise) accompagne avec un parallélisme remarquable l'accroissement considérable des budgets de défense de­puis cette même date. L'accaparement par le secteur mi­litaire du fleuron des forces productives (potentiel industriel et scientifique) n'est pas propre à l'URSS: la situation est identique aux USA (la différence étant que le niveau de technologie mis en oeuvre dans la fa­brication des tanks en URSS est en deçà de celui qui est utilisé dans la fabrication des tracteurs aux USA et que les ordinateurs "grand public" américains sont copiés par PURSS pour ses besoins militaires). Dans ce dernier pays, par exemple, 60 % des efforts publics de recherche sont officiellement consacrés aux armements (95 % en réalité) ; le centre de recherche atomique de Los Alamos (celui qui a fabriqué la première bombe A) est systématiquement le bénéficiaire du premier exem­plaire de chacun des ordinateurs les plus puissants du monde (Cray I, puis Cray II, Cray III) lors de leur ap­parition; l'organisme CODASYL gui a défini dans les an­nées 60 le langage de programmation informatique COBOL (un des plus utilisés dans le monde) était dominé par les représentants de l'armée américaine; le nouveau langage ADA, qui est appelé à devenir un des "stan­dards ' de l'informatique mondiale, a été directement commandité par le Pentagone... La liste pourrait encore s'allonger des exemples démontrant la mainmise totale du militaire sur les secteurs de pointe de l'économie, mettant en évidence la stérilisation considérable de forces productives, et particulièrement les plus per­formantes, que représentent les armements, tant aux Etats-Unis que dans les autres pays.([8] [14])

En effet, ces données concernant la première puissance mondiale ne sont qu'une illustration d'un des phénomènes majeurs delà vie du capitalisme dans sa phase de décadence: même en période de "paix" ce système est rongé par le cancer du militarisme. Au niveau mondial, d'après les estimations de PONU, ce sont 50 millions de personnes qui sont concernées dans leur emploi par le secteur de la défense et parmi elles 500000 scienti­fiques. Pour Tannée 1985 ce sont quelque 820 milliards de dollars qui ont été dépensés dans le monde en vue de la guerre (soit presque l'équivalent de toute la dette du tiers-monde).

Et cette folie ne fait que s'amplifier d'année en an­née: depuis le début du siècle les dépenses militaires (à prix constants) ont été multipliées par 35.

LES ARMES ET LES CONSEQUENCES D'UNE 3ème GUERRE MONDIALE: ILLUSTRATION DE LA BARBARIE DU CAPITALISME DECADENT

Cette progression permanente des armements se concré­tise notamment par le fait qu'à l'heure actuelle, l'Europe -qui constitue le théâtre central d'une éventuelle 3e guerre mondiale - recèle un potentiel de destruction incomparablement plus élevé qu'au moment de l'éclatement de la seconde guerre mondiale: 215 divi­sions (contre 140), 11500 avions et 5200 hélicoptères (contre 8700 avions), 41600 chars de combat (contre 6000) auxquels il faut ajouter 86000 véhicules blindés de toutes sortes. A ces chiffres il faut ajouter, sans compter les forces navales, 31000 pièces d'artillerie, 32000 pièces anti-char et tous les missiles de toutes sortes, "conventionnels" et nucléaires. Les armes nu­cléaires elles-mêmes ne disparaîtront nullement avec la concrétisation (si elle a lieu) du récent accord entre URSS et USA sur l'élimination des missiles de portée intermédiaire. A côté de toutes les bombes transportées par des avions et des missiles à courte portée, l'Europe continuera d'être menacée par les quelque 20000 ogives "stratégiques" transportées par des sous-marins et des missiles intercontinentaux ainsi que par les dizaines de milliers d'obus et de mines nucléaires. Si une guerre devait donc éclater en Europe, sans même qu'elle prenne la forme nucléaire, elle provoquerait sur ce continent des ravages terrifiants (notamment du fait de l'utilisation des gaz de combat et des nouveaux explosifs dits "quasi-nucléaires" d'une puissance sans commune mesure avec celle des explosifs classiques, mais aussi par l'anéantissement de toute l'activité économique qui aujourd'hui dépend de façon vitale des transports et de la distribution d'électricité, les­quels seraient paralysés: les populations épargnées par les bombardements et les gaz mourraient de faim!). L'Allemagne, en particulier, qui constituerait le prin­cipal théâtre des combats, serait pratiquement rayée de la carte. Mais une telle guerre ne se contenterait pas de mettre en oeuvre les seuls armements conventionnels. Dès lors qu'un des deux camps verrait se dégrader sa situation, il serait amené à utiliser d'abord son arse­nal nucléaire "tactique" (artillerie à obus nucléaires et missiles de courte portée munis de charges à "faible" puissance) pour en arriver, suite aux ripostes équivalentes de l'adversaire, à l'emploi de son arsenal "stratégique" composé d'une dizaine de milliers de charges à "forte" puissance: ce serait purement et sim­plement la destruction de l'humanité ([9] [15]).

Un tel scénario, pour dément qu'il paraisse, est de loin le plus probable si la guerre éclatait en Europe: c'est celui, par exemple, qu'a retenu l'OTAN pour le cas où ses forces seraient débordées par celles du Pacte de Varsovie dans des affrontements conventionnels dans cette région du monde (concept stratégique dit de "riposte graduée"). Car il ne faut pas se bercer d'illusions sur une possibilité de "contrôle" par les deux blocs d'une telle escalade: les deux guerres mon­diales, et notamment la dernière -qui fut conclue par les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki— nous ont déjà montré que la totale absurdité que représente pour la société, depuis le début du siècle, le mode de production capitaliste, ne s'exprime pas seulement par le poids de plus en plus écrasant du militarisme sur l'économie, ni par le fait que la guerre ait perdu toute rationalité économique réelle, elle se manifeste également par l'incapacité pour la classe dominante de contrôler l'engrenage qui conduit à la guerre totale. Mais si cette tendance n'est pas nouvelle, son plein développement, qui accompagne l'enfoncement du capita­lisme dans sa décadence, introduit une donnée nouvelle: la menace d'une destruction totale de l'humanité que seule la lutte du prolétariat peut empêcher.

La deuxième partie de cet article s'attachera à mettre en évidence les caractéristiques présentes des affrontements inter impérialistes et notamment la place et la signification que prend au sein de ces derniers le déploiement de l'armada occidentale dans le Golfe Persique.

RM. 30/11/87



[1] [16] Voir l'adresse envoyée le 29 novembre 1864 par le conseil central de PA.I.T. (Association Internationale des Travailleurs, le Internationale), à Abraham Lincoln à l'occasion de sa réélection et l'Adresse au président Andrew Johnson du 13 mai 1865.

[2] [17] Voir les deux adresses du Conseil Général sur la guerre franco-allemande des 23 juillet et 9 septembre 1870.

[3] [18] C'est ainsi que la presse officielle social-démocrate allemande saluait en 1914 la guerre contre la Russie: "La social-démocratie allemande a depuis longtemps accusé le tsarisme d'être le rempart sanglant de la réaction européenne, depuis l'époque où Marx et Engels poursuivaient tous les faits et gestes de ce régime barbare de leurs analyses pénétrantes... Puisse maintenant venir l'occasion d'en finir avec cette société effroyable sous les drapeaux de guerre allemands." (Frankfurter Volksstimme du 31 juillet, cité par Rosa Luxemburg dans "La Crise de la Social-Démocratie").

Ce à quoi Rosa Luxemburg répondait: "Le groupe social-démocrate avait prêté à la guerre le caractère d'une défense de la nation et de la civilisation allemandes; la presse social-démocrate, elle, la proclama libératrice des peuples étrangers. Hindenburg devenait l'exécuteur testamentaire de Marx et Engels." (Ibid)

De même, Lénine pouvait écrire en 1915: "Les sociaux-démocrates russes (Plekhanov en tête) invoquent la tactique de Marx dans la guerre de 1870; les social chauvins allemands (genre Lensch, David et Cie) invoquent les déclarations d'Engels en 1891 sur la nécessité pour les socialistes allemands de défendre la patrie en cas de guerre contre la Russie et la France réunies...Toutes ces références déforment d'une façon révoltante les conceptions de Marx et d'Engels par complaisance pour la bourgeoisie et les opportunistes... Invoquer aujourd'hui l'attitude de Marx à l'égard des guerres de l'époque de la bourgeoisie progressive et oublier les paroles de Marx: 'Les ouvriers n'ont pas de patrie', paroles qui se rapportent justement à l'époque de la bourgeoisie réactionnaire qui a fait son temps, à l'époque de la révolution socialiste, c'est déformer cyniquement la pensée de Marx et substituer au point de vue socialiste le point de vue bourgeois." (Lénine, le socialisme et la guerre, Oeuvres T. 21, p. 319-20).

[4] [19] C'est pour cela que les courants politiques, tel le bordiguisme ou le GCI, qui, aujourd'hui encore sont incapables de comprendre le caractère décadent du mode de production capitaliste, sont bien en peine pour expliquer pourquoi, de points de vue aussi prolétariens l'un que l'autre, Marx pouvait soutenir l'Allemagne contre la France au début de la guerre de 70 (tant que Napoléon III n'était pas renversé et avant que la Prusse n'envahisse le France) et Lénine dénoncer toute participation à la première guerre mondiale.

[5] [20] La liste de toutes ces guerres suffirait à remplir une page complète de cette Revue. On peut seulement citer, à titre d'illustration, quelques unes parmi les plus meurtrières : les guerres d’Indochine et d’Afrique du Nord entre 1945 et 1962, ont aboutit au départ  de la France de ces régions, les cinq guerres dans lesquelles a été impliqué l’Etat d’Israël contre les pays arabes (1948, 1957, 1966, 1973 et 1982); les guerres du Vietnam et du Cambodge entre 1963 et 1975 (dans ce dernier pays après l’intervention du Vietnam fin 78, la guerre se poursuit encore), guerre, brève mais très meurtrière, entre la Chine et le Vietnam au début 1979 ; la guerre en Afghanistan qui dure depuis 8 ans, et celle entre l’Iran et l’Irak, vieille de 7 ans. On pourrait encore citer de multiples conflits dans lesquels l’inde a été mêlée après son indépendance sous la conduite du « non-violent Gandhi (guerres contre le Pakistan au Cachemire, au Bangladesh) et tout dernièrement, guerre contre les Tamouls au Sri lanka. A ce tableau il est également nécessaire d'ajouter les dizaines de guerres qui ont ravagé et continuent de ravager l'Afrique noire et l'Afrique du Nord-Est: Angola, Mozambique, Ouganda, Congo, Ethiopie, Somalie, etc., et évidemment Tchad.

[6] [21] Par exemple, les guerres napoléoniennes, qui furent les plus importantes du 19e siècle, n'ont jamais occupé du côté français plus de 500000 nommes pour une population totale de 30 millions de personnes, alors qu'au cours de la le guerre mondiale, ce sont plus de 5 millions de soldats qui ont été mobilisés pour une population française de 39,2 millions.

[7] [22] Aussi bien lors de la première guerre mondiale que lors de la seconde, le seul pays qu'on peut considérer comme Vainqueur" est les Etats-Unis dont le niveau de la production au lendemain des conflits est nettement au-dessus du niveau existant à la veille de ceux-ci. Mais ce pays, pour important qu'ait été son rôle dans ces guerres, et notamment lors de la seconde, a bénéficié d'un privilège qui était refusé aux pays qui se trouvaient à l'origine du conflit: son territoire se trouvait à des milliers de kilomètres des zones de combat, ce qui lui a permis de s'éviter tant les pertes civiles que la destruction du potentiel industriel et agricole. L'autre "vainqueur" de la seconde guerre, l'URSS, qui accède à la suite de celle-ci au rang de puissance mondiale, notamment en établissant sa domination sur l'Europe centrale et une partie de l'Extrême-Orient, a payé sa "victoire'" au prix fort de 20 millions de morts et de destructions matérielles considérables qui ont contribué grandement à maintenir son économie à un niveau de développement loin derrière celui de l'Europe occidentale et même derrière celui de la plupart de ses "satellites".

[8] [23] La thèse des "retombées technologiques positives pour l'économie et le secteur civil de la recherche militaire est une vaste fumisterie oui est immédiatement démentie quand on compare la compétitivité technologique civile du Japon et de la RFA (qui consacrent 0,01% et 0,10% PNB à la recherche militaire) a celle de la France et de la Grande-Bretagne (0,46% et 0,63%).

[9] [24] Des études sur les conséquences d'un conflit nucléaire généralisé mettent en évidence que les 3 milliards (sur 5) d'êtres humains qui seraient épargnés le premier jour ne pourraient pas survivre aux calamités qui surviendraient les jours suivants: retombées radioactives, rayons ultraviolets mortels suite à la disparition de la couche d'ozone de l'atmosphère, glaciation du fait du nuage de poussières plongeant la terre entière dans une nuit de plusieurs années. La seule forme de vie qui subsisterait aurait la forme de bactéries, au mieux d'insectes.

 

Questions théoriques: 

  • Guerre [5]
  • Impérialisme [25]

Débat International : crise et décadence du capitalisme (Critique au CCA, Mexique)

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Grupo Proletario Internacionalista, Mexique

Présentation

Dans la Revue Internationale n° 50 nous avions rapidement présenté le Grupo Proletario Internacionalista du Mexique à l'occasion de la sortie du premier numéro de leur revue: Revolucion Mundial. Aujourd'hui, au moment où vient de sortir le deuxième numéro, nous publions ici un texte de critique du GPI aux "thèses du Collectif Commu­niste Alptraum" (CCA), lui aussi du Mexique ([1] [26]), publiées dans notre Revue Internationale n° 40 en janvier 1985.

Laissons le GPI lui-même se présenter à nos lecteurs:

"Nous nous sommes constitués il y a seulement quelques mois comme groupe politique avec le nom de GPI et unis autour des principes ([2] [27]) présentés dans le premier nu­méro de notre publication Revolucion Mundial. Dans la période immédiatement antérieure, nous étions fondamen­talement un 'groupe de discussion', un regroupement en grande partie informel du point de vue organisatif (sans nom, sans normes de fonctionnement organique, etc.) et, dans un effort de discussion et de clarifica­tion politique, politiquement centré et orienté en son sein principalement vers la précision des frontières de classe' ou des principes à défendre.

Cette rapide esquisse de la formation du GPI serait incomplète si nous ne mentionnons pas un fait impor­tant: l'influence de la propagande du milieu communiste international et, en particulier de l'activité d'intervention que réalise le CCI depuis plusieurs années au Mexique.

Ainsi donc, en résumé, le GPI est un nouveau groupe, qui se constitue, en général, en rupture avec l'idéologie bourgeoise et nationaliste, plus particu­lièrement gauchiste, aux effets si néfastes en Amérique Latine. Le GPI ne revendique aucune continuité, ni organisationnelle, ni politique, avec aucun groupe ayant existé dans le pays -sauf l'exception représentée par le 'Groupe des Travailleurs Marxistes’ ([3] [28]), existant à la fin des années 30 dans le pays, qui fit partie des fractions de 'Gauche Communiste' et dont le GPI se re­vendique. La formation du GPI s'inscrit dans le proces­sus de resurgissement de minorités communistes dans le monde, particulièrement à partir du resurgissement historique de la lutte de classe ouvrière mondiale de­puis 1968."

L'existence de deux groupes communistes le CCA et le GPI- partageant grosso modo les mêmes positions politiques peut surprendre. Et effectivement, si cette situation devait se prolonger, elle deviendrait # l'expression d'une faiblesse des forces révolutionnaires au Mexique. Pour l'instant, elle n'est que le fruit des circonstances, d'éléments révolutionnaires surgissant, d'un milieu tout juste naissant. En liens étroits avec le milieu révolutionnaire international, l'établissement de rapports politiques entre les deux groupes, de discussions, de débats, est la condition sine qua non pour l'indispensable clarification politique de tous les éléments révolutionnaires du pays. Elle est la condition première pour le regroupement des deux groupes, et des éléments isolés, pour la création d'une présence politique du prolétariat unique et unie au Mexique.

Ne serait-ce que pour cette raison, nous devrions sa­luer l'existence du texte du GPI que nous publions ici: Crise et décadence du capitalisme (critique du CCA). Cette critique s'inscrit tout à fait dans l'esprit fra­ternel dont nous venons de souligner la nécessité: c'est un texte engageant le débat avec le CCA en vue de clarifier la question de l'explication des crises éco­nomiques du capitalisme et de la période actuelle de décadence de ce dernier.

Ensuite, le choix de la crise et de la décadence du ca­pitalisme comme débat et discussion pour des nouveaux camarades qui viennent juste d'adopter des positions de classe est le signe de leur volonté d'établir sérieuse­ment les fondements mêmes des positions révolution­naires. Voici ce que nous écrivions sur ce débat de la décadence lors de notre salut à Comunismo n° 1, la pu­blication du CCA:

"Et ne croyez pas que cette question ne concerne que des historiens pointilleux sur les dates, ni qu'elle constitue une question théorique en soi sans implica­tions pratiques pour les révolutionnaires. La recon­naissance et la compréhension de la fin de la période historiquement progressiste du capitalisme et son en­trée en déclin sont à la base de la formation de la 3e Internationale sur les ruines de la 2e Internationale morte en 1914. Elles fondent la cohérence de l'ensemble des positions de classe que les camarades partagent avec le CCI. Et en particulier la dénonciation des syndicats comme organes de l'Etat capitaliste au 20e siècle et des mouvements de libération nationale comme moment des antagonismes inter impérialistes aujourd'hui. " (Revue Internationale n ° 44).

Enfin, nous saluons ce texte par son sérieux, sa qua­lité, et surtout la critique et la prise de position juste que les camarades prennent vis à vis des Thèses du CCA. Nous avions déjà rapidement critiqué les prises de position du CCA ([4] [29]) sur son explication des crises du capitalisme par la seule loi de "la baisse tendan­cielle du taux de profit", et surtout l'incapacité du Collectif Alptraum à situer clairement l'entrée en dé­cadence du capitalisme avec le 20e siècle marquée en particulier par l'éclatement du premier holocauste mon­dial en 1914. Malgré quelques erreurs que nous souli­gnons en note dans le cours du texte, les camarades du GPI défendent l’explication marxiste des crises et la réalité de la décadence du capitalisme depuis le début de ce siècle.

Le texte du GPI s'inscrit dans l'effort que nous avons accompli dernièrement dans les numéros 47, 48 et 49 de cette revue par la publication d'une série d'articles polémiques avec le GCI justement sur la question de la décadence. Et nous prévoyons de continuer cet effort dans notre prochain numéro. Que des groupes comme le CCA et le GPI —qui tous deux reconnaissent l'existence de la décadence du capitalisme-- participent à ce débat est signe que malgré les difficultés de tous ordres qu'affrontent les faibles forces révolutionnaires de par le monde, l'heure est au surgissement, au dévelop­pement, à la clarification politique et au regroupement de ces forces. Par leur sérieux, par leur effort de ré­appropriation des leçons et des débats du passé, par leur soucis de clarification, par leur volonté de dis­cussion, le CCA et le GPI interpellent l'ensemble des courants politiques prolétariens actuels, et ridiculi­sent les "théories anti-décadentistes" du GCI, les "dé­couvertes" savantes de la FECCI sur le capitalisme d'Etat et autres élucubrations modernistes qui tournent le dos au marxisme.

CCI 25/10/87

CRISE ET DECADENCE DU CAPITALISME (Critique au CCA.)

L'objet de cet article est, au travers de la critique au Colectivo Comunista Alptraum, d'essayer de contri­buer à la clarification des positions de notre groupe sur la crise et la décadence du capitalisme.

Nous avons choisi d'exposer notre point de vue sous la forme d'une polémique car les tentatives de le faire sous forme de thèses produisaient de pures généralités, des conclusions sans arguments, qui en ce moment n'aideraient pas à la discussion interne.

Nous sommes partis de la critique de vos positions car nous pensions commencer en même temps une discussion directe avec le CCA. Bien que sachant que cette der­nière n'a pu se développer, la délimitation reste né­cessaire car le Colectivo est un groupe en relation avec le milieu international.

Nous aborderons les questions suivantes:

1-  les caractéristiques de la crise actuelle.

2-  les causes de la crise.

3-  les limites du marché.

4-  les particularités de l'époque de la décadence du capitalisme.

Nous faisons la critique à partir de vos thèses et de parties de vos autres écrits où est développé le point traité. Nous utilisons votre revue "Comunismo" n°l et 2.

- "elle a une dimension mondiale", à cause de l'extension mondiale du capitalisme et de sa domination sur toutes les branches de la production. Une telle crise décrit une spirale qui part des pays développés vers le reste du système capitaliste mondial;

- "elle doit être conque comme une crise classique de suraccumulation " dans laquelle se vérifie le cycle prospérité-crise-stagnation.

La première particularité est de la plus grande impor­tance pour comprendre le cours de la situation mon­diale. Le capitalisme s'est étendu à toute la planète et, pour cela même, la crise, inhérente au capitalisme lui-même, est devenue elle aussi mondiale. L'inter­pénétration de l'économie de tous les pays, la création du marché mondial, empêche quiconque d'échapper au coup de fouet de la crise. De là, nous devons relever qu'il n'existe pas de solution nationale à la crise. Aussitôt^ qu'un pays ou une région donne des indices de reprise, il se retrouve de nouveau happé dans le tourbillon de cette crise mondiale. L'issue ne peut qu'être à l'échelle planétaire et, comme nous le verrons plus loin, seuls deux chemins y mènent: la guerre ou la révolution.

Mais alors le second point, le caractère cyclique de la crise, est un contresens; il nie la validité du premier à moins de penser qu'à partir de la moitié des années 60 le capitalisme ait connu une véritable phase de prospérité. L'idée que cette crise est "mondiale", et à la fois vérification du cycle prospérité-crise-stagna­tion conduit le Colectivo à réaliser des jongleries quand il s'agit d'analyser la situation concrète.

Parfois, il semble qu'effectivement il parle de crise mondiale qui se serait développée et approfondie à par­tir de la fin des années 60. Il mentionne "la crise qui s'est aggravée dans les dernières décennies", que les "prolégomènes de la crise actuelle se trouvent au mi­lieu des années 60" et que depuis ces années le PIB dé­croît et que le chômage augmente. Mais en même temps il dit que "les crises cycliques de surproduction dans leur périodicité... tendent à être chaque fois plus profondes, surtout à partir de 1968." Le Colectivo résout ce contresens par l'introduction de deux concepts: la "récession" et la "reprise relative", nous apprenons que, selon le CCA.:

"En 1973-74, le renchérissement du pétrole a touché les aires centrales du capitalisme car il a accentué la chute de leur taux de profit. 1974-75 fut une phase de récession où les aires de la périphérie, fondamentale­ment pétrolières, se retrouvèrent moins affectées puisque, par la hausse du pétrole et le transfert de capital, on augmenta le capital et elles purent soute­nir un rythme accéléré d'accumulation dans la phase suivante de relative reprise. 1980-83 est une autre phase de récession mais où s'est déroulé le contraire: le pétrole a baissé et cela a contrecarré la chute du taux de profit des aires centrales alors que les pays des aires périphériques restaient submergés par la dé­pression; situation aggravée par le transfert de plus-value du capital financier mondial. Ce transfert a contribué, dans la période de reprise relative, à ren­forcer l’aire centrale. Malgré cela, à la fin 85 les aires centrales recommencent à présenter des symptômes de récession par les mesures de réorganisations prises; et en outre, cette récession a touché aussi les pays pétroliers. (n°2, Editorial).

 

LES CARACTERISTIQUES DE LA CRISE

Dans ses thèses, le CCA. relève deux particularités de la crise actuelle:

De quoi s'agit-il, donc? Si depuis 1968, il y a eu plu­sieurs crises cycliques, nous devons supposer que pour le Colectivo ce qu'il appelle "récession" seraient pré­cisément de telles crises et que les phases de "reprise relative" équivaudraient à la prospérité. Nous aurions eu crise en 74-75, en 80-83 et depuis 85, et prospérité " en 76-79, 84-85 et nous nous dirigerions vers une de plus. Dans un tel cas, on ne voit pas pourquoi utiliser ces termes, pris de l'arsenal de l'idéologie bourgeoise dont la signification est ambiguë.

Mais le Colectivo sait bien qu'en réalité la situation n'est pas comme cela. Si il parle de "reprise rela­tive", c'est parce qu'il sait que l'économie mondiale n'a connu aucune "reprise absolue" depuis 68. Si il parle de "récession", c'est parce qu'il doit différen­cier les "transferts de capital" de la véritable crise générale mondiale.

Si on devait mener le raisonnement du Colectivo à ses conséquences ultimes où le "transfert de capital" dans les phases de "récession" ouvre la porte à la "re­prise", nous arriverions: premièrement à ce que la crise soit seulement régionale (puisque dans la "récession" des aires sont "plus affectées que d'autres), et deuxièmement à ce que la crise ait une solution nationale. Ainsi, dans la phase de récession 74-75, les pays pétroliers gagnèrent une grande masse de capital ce qui leur permit de "soutenir un rythme accéléré d'accumulation dans la phase de relative reprise", bien sûr que le Colectivo ne partage pas le rêve des fractions bourgeoises: la possibilité de sortir de la crise au détriment des autres. Mais une telle idée découle de l'identification de la "récession" avec la "crise cyclique".

Nous devons donc reconnaître:

-  que depuis le milieu des années 60, le capitalisme mondial n'a pas connu de phase de prospérité sinon que, compulsivement, chaque fois il s'enfonce encore plus dans la stagnation et la paralysie; et que la "reprise relative" de quelques régions n'est seulement que mo­mentanée et au prix de la chute générale;

-  que le caractère mondial des rapports de production capitalistes et, donc, de la crise, rend impossible une réelle issue nationale à cette dernière.

En d'autres termes, que depuis le milieu des années 60 a commencé une crise chronique du capitalisme comme système mondial, qui tend à s'approfondir et à se géné­raliser de manière inévitable. Qu'il n'existe plus le cycle crise-stagnation-prospérité.

Il est certain qu'en théorie ce cycle indique la vie du capitalisme: la crise se présente comme solution momen­tanée aux contradictions du capitalisme lui-même, comme destruction de forces productives qui ouvre la porte à une nouvelle phase de prospérité. Une crise "chronique" ou "permanente" ne pourrait pas exister théoriquement car elle signifierait la destruction totale de forces productives, la chute définitive du capitalisme. C'est probablement pour cela que le Colectivo soutient l'idée du "cycle classique".

Paradoxalement, par la forme dans laquelle elle s'est étendue et approfondie durant toutes ces années, compa­rée à la crise périodique du siècle passé, la crise ac­tuelle se présente précisément comme une crise perma­nente. Plus encore. A partir du 20e siècle, nous voyons que les crises conduisent à des guerres de destruction e forces productives; que le capital, dans son esprit de conservation, tend réellement à la chute définitive, entraînant à sa suite l'humanité. Que ce cycle indus­triel "classique" s'est renversé en cycle barbare de crise-guerre-reconstruction. ([5] [30])

Ce dont il s'agit c'est d'expliquer les faits, et en dernière instance, d'"adapter la théorie à la réalité et, non comme le prétend parfois le Collectif, la réa­lité à la théorie. C'est pour cela que nous devons al­ler aux causes de la crise.

LES CAUSES DE LA CRISE

Le développement du capitalisme est déterminé par ses contradictions; celles-ci le mènent à la crise. La crise est l'expression ouverte de toutes les contradic­tions du capitalisme et en même temps leur solution mo­mentanée. En dernière instance, la cause de la crise est la contradiction fondamentale du capitalisme. C'est pour cela que trouver la cause de la crise c'est défi­nir les contradictions du capitalisme et spécialement la contradiction fondamentale.

De la manière la plus générale et la plus résumée, ces contradictions peuvent être exprimées ainsi: pour pou­voir vivre les hommes ont besoin de se lier pour pro­duire, de contracter des rapports de production déter­minés qui sont indépendants de leur volonté et qui cor­respondent à un degré déterminé de développement de leurs instruments de production et de leur forme d'organisation du travail, du développement des forces productives. A certains moments, les forces productives tendent à déborder les rapports de production. De cadre adéquat les rapports de production se convertissent en une entrave pour le développement ultérieur des forces productives. Ils ont besoin d'être transformés et ils le sont. S'ouvre une époque de révolution sociale où les vieux rapports de production doivent être détruits et à leur place s'instaurent d'autres, nouveaux, en ac­cord avec les conditions matérielles de la production. Dans le capitalisme, la contradiction entre le dévelop­pement des forces productives et les rapports capita­listes de production donne lieu à la crise.

La paralysie des usines et la masse de produits qui ne trouvent pas de sortie, tout comme l'armée de sans-em­ploi, indiquent que les forces productives sont exces­sives pour les rapports de production basés sur l'accumulation de capital, sur l'obtention de profits. Chaque crise met en question l'existence du capita­lisme.

Mais en même temps, chaque crise se présente comme so­lution momentanée des contradictions. D'un côté par la destruction d'une partie des forces productives; de l'autre, par une extension du cadre des rapports de production ce qui ne fait rien d'autre que préparer de nouvelles crises chaque fois plus larges et plus pro­fondes.

Dans ce sens, le Collectif souligne:

"La crise que nous vivons est le résultat du choc entre le développement énorme atteint par les forces produc­tives, c'est à dire par la richesse existante, et les rapports capitalistes de production qui imposent l'appropriation privée de celle-ci". Dans les crises s'exprime

"le caractère historiquement limité de ses rapports de production qui ne peuvent contenir, en leur sein, le développement progressif des forces productives sociales. Les moments de crise sont ceux dans lesquels le capitalisme doit nécessairement détruire une masse croissante de forces productives, mettant en évidence, de cette manière sa nature décadente" (thèses du C.CA.; Revue Internationale 40).

Cependant, une explication si générale des contradic­tions ne nous explique pas ses causes déterminantes. Elle ne nous dit toujours rien de la contradiction fon­damentale et elle n'est pas non plus une explication des caractéristiques de la crise actuelle.

Le Collectif n'élargit son point de vue dans les thèses que lorsqu'il touche à la question de la décadence. Mais avant de discuter la relation entre crise et déca­dence, nous devons arriver aux causes de la crise et pour cela, pour le moment, nous traiterons de manière séparée ce qu'il dit sur ce point. Le Colectivo fait découler la crise de la loi de la tendance décroissante du taux de profit:

"Aussi bien le développement que le déclin du système reposent sur deux déterminations essentielles, à savoir, une qui se manifeste par la baisse tendancielle du taux de profit"... (Revue Internationale 40).

Ensuite, il tente de résumer cette loi dans les points suivants:

-  l’objectif du système est la "formation ininterrompue et croissante du capital";

-  ce qui implique l'expansion du capital, l'augmentation de la productivité du travail et un dé­veloppement accéléré des forces productives;

-  ce qui précède se traduit par la croissance de la composition organique du capital: le volume du capital constant (moyens de production) croit plus par rapport au capital variable (force de travail) qui est celui qui produit la plus-value;

- ceci mène à la chute du taux de profit.

"C'est à ce moment qu 'apparaît la crise capitaliste"... "quand la composition organique croissante ne correspond pas une augmentation équivalente de valeur"... "la suraccumulation par rapport à la capacité d'exploiter le travail conduit le système capitaliste à la crise. "

Suivons la polémique du Collectif avec le C.C.I., là où il élargit son exposition (Comunismo 2, p.34; organe du CCA.). La critique du CCI. réside en ce que ce der­nier considère insuffisante la loi du taux décroissant de profit comme explication des causes de la crise car pour le CCI. "la contradiction fondamentale du capi­talisme se trouve dans son incapacité à créer indéfini­ment les marchés pour son expansion. "

Le Collectif lui réplique qu'il "ne rejette pas le pro­blème de la réalisation" mais que c'est une erreur "de situer la contradiction fondamentale dans la sphère de l'échange" (Comunismo 2).

Et le Collectif ajoute:

"quand nous nous référions au niveau des déterminations essentielles (dans les thèses), nous nous référions simplement au niveau où se génère et se produit la plus-value qui, suivant Marx, est la source de la ri­chesse capitaliste"... "La contradiction fondamentale du mode de production et d'échange capitaliste se situe au pôle dominant de cette totalité, c'est-à-dire, dans le cadre de la production. Bien qu'aussi dans sa singu­larité, elle puisse être déterminée par l'échange, la distribution et la consommation. " La contradiction de la production est entre "le processus de valorisation du capital et le procès de travail." (Comunismo 2, p.35)

Le C.C.A. situe la contradiction fondamentale dans la production car c'est là que se génère la plus-value, car c'est le "pôle dominant" par rapport à l'échange. Cependant, nous "rappelant de Marx nous aussi, nous devons dire que si la plus-value se génère seulement dans la production, analogiquement, elle se réalise dans l'échange.

"Si, au travers du procès de production, le capital se reproduit comme valeur et valeur nouvelle, en même temps il se trouve comme non-valeur, comme quelque chose qui ne se valorise pas tant qu 'elle ne rentre pas dans l'échange... " (Marx, Grundisse, trad.par nous de l'espagnol).

"Les conditions de l'exploitation directe et celles de sa réalisation ne sont pas identiques. Elles divergent non seulement quant au temps et au lieu, mais aussi conceptuellement. Les unes sont limitées par la force productive de la société, alors que les autres le sont seulement par la proportionnalité entre les différentes branches de la production et par la capacité de consom­mation delà société. Mais cette capacité n'est pas dé­terminée par la force absolue de production ni par la capacité absolue de consommation, mais par la capacité de consommation sur la base des relations antagoniques de distribution qui réduit la consommation de la grande masse de la société à un minimum seulement modifiable dans des limites plus ou moins étroites..." (Marx, Le Capital, traduit par nous).

En d'autres termes: il existe une contradiction déter­minante entre les conditions dans lesquelles se produit la plus-value et les conditions dans lesquelles celle-ci se réalise, c'est-à-dire entre la production et le marché. Quelle est donc la contradiction fondamentale? Entre travail-valorisation ou bien entre production-marché?

Nous considérons qu'il ne s'agit pas en réalité de deux contradictions différentes mais de la même dans ses différents aspects: la première indique le contenu comme catégorie abstraite; la seconde est la forme concrète dans laquelle elle se manifeste.

La contradiction interne travail-valorisation se dé­double vers l'extérieur comme production-échange. (De manière analogue, la contradiction interne de la mar­chandise entre valeur d'usage-valeur s'exprime dans la forme concrète de marchandise-argent).

De manière abstraite, la création de valeur et de plus-value se présente comme une barrière pour la création de la valeur d'usage. De manière concrète, le marché se présente comme limite réelle et déterminée pour la pro­duction.

La loi de l'accumulation croissante de capital qui s'accompagne d'un taux de profit décroissant n'existe pas indépendamment des problèmes du marché. Que le taux de profit diminue par l'augmentation du capital constant par rapport au variable, car une plus grande somme de capital total investi s'approprie en propor­tion une somme moindre de plus-value, va seulement se montrer de manière tangible sur le marché quand le ca­pitaliste ne trouve pas d'acheteur pour ses marchan­dises aux prix de production établis.

Il n'existe pas non plus deux types de crise: de surac­cumulation de capital et de surproduction de marchan­dises. C'est une seule crise dans ses deux détermina­tions. Par son contenu, c'est l'incapacité d'utiliser tout le capital existant étant donné un taux de profit déterminé, et de là, la dévalorisation de capital. Par sa forme, c'est le manque de sortie pour les marchan­dises, les entrepôts surchargés de stocks, et de là, la paralysie et la destruction des moyens de production et de consommation. La crise a son origine dans la contra­diction travail-valorisation et elle se réalise comme contradiction entre la production et le marché.

Ceux qui expliquent la crise par la seule loi de la baisse tendancielle du taux de profit, pourront dire qu'ils arrivent au "fond" de la question, à l'origine de la plus-value. Mais une telle explication est insuf­fisante quand il s'agit de revenir sur le terrain de la réalité concrète. Si on fait abstraction du marché, c'est-à-dire si on le laisse de côté, les limites du capitalisme apparaîtront aussi comme une pure abstrac­tion, comme quelque chose de lointain, comme une limite inaccessible, simplement théorique qui serait l'impossibilité absolue d'accroissement de la plus-value devant toute augmentation de capital comme le pose le Colectivo.

D'autre part, ceux qui fixent leur attention sur les problèmes de la réalisation du marché réussissent à mieux saisir le cours de la situation réelle dans ses multiples aspects et les vraies limites de la produc­tion; bien que s'il manque la base de l'origine de la plus-value, toute crise se présente à eux comme une li­mite absolument insurmontable.

Le C.C.A. penche pour le "pôle dominant". Il tend à ex­pliquer la crise par la seule loi de la baisse tendan­cielle du taux de profit. C'est pour cela qu'il ne trouve pas les limites réelles auxquelles se heurte ac­tuellement le capitalisme. L'évident caractère mondial de la crise n'a aucune signification spéciale pour le Colectivo: c'est seulement une autre de plus dans le "cycle classique". Ses tendances (à la guerre par exemple) sont les mêmes que dans toutes les autres. Pour le Colectivo, il n'y a rien de nouveau. Seulement la confirmation de la théorie.

Il est donc nécessaire non seulement de constater les traits communs à toute crise mais aussi d'étudier leurs particularités, les formes de chaque crise. C'est seu­lement ainsi nous comprendrons le véritable cours de la situation. En passant des "origines de la plus-value" aux limites qu'offre le marché.

LES LIMITES DU MARCHE

Expliquons maintenant comment l'accumulation de capital avec sa chute du taux de profit se manifeste dans l'impossibilité pour les capitalistes de vendre la to­talité de leurs marchandises aux prix de production dé­terminés, c'est-à-dire dans la limite du marché.

On a déjà mentionné que l'objectif des capitalistes est l'obtention de profit, la croissance de capital; les­quels ne peuvent s'obtenir que par une extraction croissante de plus-value. Pour cela, les capitalistes ne doivent pas consommer toute la plus-value qu'ils ob­tiennent en articles de luxe; mais ils doivent conti­nuellement réinvestir la majeure partie comme capital, en augmentant l'échelle de la production. L'accumulation de capital est le réinvestissement de plus-value pour qu'elle fonctionne comme capital.

L'accumulation de capital se traduit dans la croissance de la production. Ou, plus exactement, le développement des forces productives dans ce système adopte le caractère d'accumulation de capital. Mais la croissance de la production et de l'accumulation de capital n'est pas harmonieuse mais elle contient une contradiction, qui se reflète dans la chute du taux de profit, due au changement dans la composition organique du capital.

La composition organique du capital résume les deux as­pects de la production capitaliste: - premièrement, la composition technique du capital, le rapport qui existe entre moyens de production et ou­vriers utilisés. Le développement des forces produc­tives signifie qu'un nombre déterminé d'ouvriers est capable d'employer des moyens de production chaque fois plus puissants qui permettent de créer une plus grande quantité de produits (valeurs d'usage) en moins de temps; deuxièmement, la composition de valeur du capital: la proportion qui existe entre la valeur qui se transfère simplement dans la marchandise (capital constant employé en moyens de production) et la valeur qui re­tourne se reproduire et permet la création de la plus- value (le capital variable investi en force de tra­vail).

Le développement des forces productives dans son caractère d'accumulation de capital se traduit dans une croissance proportionnellement plus grande du capital constant par rapport au capital variable. Bien sûr le capital variable augmente, et donc, augmente aussi la quantité de plus-value appropriée; mais cette augmenta­tion a lieu au prix d'une augmentation proportionnelle­ment plus grande de capital constant, ce qui occasionne la réduction du taux de profit qui est la proportion entre la plus-value obtenue et le capital total investi (constant plus variable). A mesure qu'augmente l'accumulation de capital, l'obtention de plus-value est proportionnellement moindre, ce qui contredit l'objectif des capitalistes. A un moment donné, on a une suraccumulation, trop de capital par rapport aux nécessités d'exploitation du travail, et survient la paralysie de la production.

La chute du taux de profit rendrait impossible l'existence du capitalisme s'il n'existait pas en même temps des causes qui la contrecarre comme: la prolonga­tion de la journée de travail, l'intensification des rythmes de travail et la réduction des salaires qui permettent d'extraire plus de plus-value sans faire un plus grand investissement; la diminution des coûts des moyens de production, la surpopulation et le commerce extérieur qui permettent de créer de nouvelles branches de production avec une faible composition organique de capital. Du fait de toutes ces causes, la chute du taux de profit se présente seulement comme une tendance qui, malgré tout, finit par s'imposer dans la crise.

La loi de la tendance à la baisse du taux de profit ex­prime de cette manière la contradiction entre les Forces productives et les rapports de production. La production se développe en laissant de côté la création de plus-value. C'est pour cela, qu'à un moment donné, la création de plus-value s'oppose à ce que continuent d'avancer les forces productives. Mais cette contradic­tion de la production est interne, invisible. Elle doit se manifester de manière concrète comme limite de l'échange, comme limite pour la réalisation de la plus-value. Cette limite est double, elle a deux aspects:

- Premièrement, comme disproportion entre les diffé­rentes industries.

Le capital global de la société est divisé entre les mains de la multitude de capitalistes privés qui sont en concurrence et luttent entre eux à la recherche du plus grand profit. Dans cet effort, chacun introduit de nouvelles méthodes de production, de meilleures ma­chines, et enfin, impulse le développement des forces productives pour gagner le marché en introduisant plus de marchandises et moins chères.

Ce qui précède entraîne à la fois que la production sociale est divisée en une multitude d'industries indivi­duelles, mais qui forment une chaîne, la division so­ciale du travail, où la production des unes entre comme matière première ou comme moyen de production dans la production des autres, jusqu'à arriver au produit de consommation personnel.

Cependant, la croissance de chaque industrie n'est pas proportionnelle aux demandes des autres mais est déterminée par l’intérêt privé. Elle s'oriente là où elle obtient le plus de profit. Les changements dans la com­position organique du capital, c'est-à-dire la crois­sance plus grande du capital constant par rapport au variable, signifient ici, une croissance disproportion­née du secteur qui produit des moyens de production par rapport à celui qui produit des moyens de vie. De l'industrie lourde par rapport à l'industrie légère et de l'industrie en général par rapport à l'agriculture. Tout ce qui précède se traduit par une surproduction de marchandises, dans un excès de produits qui sont deman­dés par les autres capitalistes.

Si dans certains moments déterminés, un capitaliste, du fait de la croissance disproportionnée de son indus­trie, n'arrive pas à vendre toutes ses marchandises au prix équivalent à la réalisation de la plus-value, la production de son usine se verra freinée provoquant une réaction en chaîne. En amont ses fournisseurs ne pour­ront pas vendre non plus leurs produits, en aval ses clients ne pourront pas acheter le produit dont ils ont besoin; tout cela fermera aussi leur production et ainsi de suite. C'est pour cela qu'il suffit que la surproduction se manifeste dans quelques industries-clé pour que la crise éclate et se généralise. Ici la crise apparaît comme le produit de l'anarchie de la produc­tion, en opposition à la division sociale du travail.

De là l'illusion des théories bourgeoises (ainsi que celles d'Hilferding et de Boukharine) sur la possibi­lité d'éviter de nouvelles crises au moyen d'un méca­nisme régulateur de la production comme le monopole privé ou, mieux encore, le capitalisme d'Etat, lesquels     « élimineraient la concurrence et les disproportions. De telles théories oublient tout simplement que derrière la disproportion se trouve la son0 de profit et que les monopoles et le capitalisme d'Etat cherchent aussi le profit maximum et qu'ils ne peuvent que reproduire 'anarchie de la production. C'est non seulement dans la concurrence entre les monopoles, mais au sein de ceux-ci que nous en trouvons la preuve la plus pal­pable. Comme par exemple, la guerre des prix à l'intérieur de l'OPEP provoquée par la croissance dis­proportionnée de chaque membre; ou encore le capita­lisme étatique des pays comme l'URSS où la concurrence et l'anarchie sont reproduites entre les entreprises du même Etat par dessus la fameuse "planification".

De ce qui précède, on retient que le surgissement des monopoles modernes et des pays où domine le capitalisme d'Etat ne signifie pas un pas en avant, de "transition" du capitalisme au socialisme, ni n'entraîne une "socia­lisation croissante" de la production. La seule chose que cela indique, c'est que les conditions matérielles pour la société communiste sont déjà données depuis longtemps ([6] [31]) et que le capital engendre ces avortons de production sociale" comme tentative désespérée mais inutile pour ne pas s'enfoncer dans ses propres contra­dictions.

- La seconde limite à laquelle se confronte la réalisa­tion de la plus-value, c'est la capacité de consomma­tion des masses travailleuses. Bien sûr, il ne s'agit pas de la capacité absolue de consommation, la satisfaction totale de leurs nécessités vitales, mais de la capacité de consommation déterminée par les rapports antagoniques de distribution, de la capacité de paie­ment.

Dans ce cas, la croissance plus grande de capital constant par rapport au variable se révèle comme crois­sance plus grande des marchandises par rapport au sa­laire.

L'ouvrier reproduit la valeur équivalente de son salaire (capital variable) et en plus remet, sans rien recevoir en échange, une autre somme de valeur au capitaliste (la plus-value). Si le capitaliste, peut exploiter plus de force de travail avec le même capital variable, il obtiendra une plus grande plus-value. De là, la tendance du capital à augmenter les heures de travail, à le rendre plus intense et à réduire le salaire. Ceci a comme conséquence l'existence d'une armée industrielle de réserve qui fait pression sur les ouvriers actifs pour travailler pour un salaire moindre. Ce qui se traduit par un pouvoir d'achat chaque fois plus restreint de la classe ouvrière. Le capital cherche à augmenter la création de plus-value. Il l'obtient, mais d'un autre côté en réduisant les possibilités de réaliser cette même plus-value ([7] [32]).

Il faut noter que nous parlons en terme de valeur. Mais il peut aussi arriver qu'augmente la consommation de valeur d'usage et que diminue, malgré tout, la réalisation de la plus-value. En fait, si les méthodes de production des biens de consommation s'améliorent, cela signifie qu'on peut en produire une plus grande quan­tité dans un temps moindre, c'est-à-dire avec moins de valeur: les capitalistes réduisent de cette manière la valeur de la force de travail, le capital variable in­vesti, car alors on peut acheter autant sinon plus de choses; et ainsi pour un temps de travail égal, ils s'approprient plus de plus-value. Mais cela se heurte à nouveau aux possibilités de réaliser cette plus-value. D'autre part, et c'est ce qui arrive actuellement, les capitalistes essayent de diminuer de manière absolue le salaire, lequel tend à être réduit à une valeur infé­rieure à la valeur de la force de travail, entraînant la dénutrition, des maladies et même la mort de faim parmi la population travailleuse.

La crise apparaît ici de nouveau comme une surproduc­tion de marchandises, "paradoxalement", avec une masse d'affamés et de chômeurs. Entrent en scène de nouveau les idéologues de la bourgeoisie et tout spécialement ceux de gauche pour dire que la crise pourrait être évitée si on augmentait la capacité de consommation des travailleurs, si on augmentait les salaires. Mais toute augmentation des salaires se change en une diminution de la plus-value ce qui contredit les buts mêmes du ca­pital. En réalité, les promesses "d'augmentation des salaires" que fait la gauche du capital dans les pé­riodes d'élections ne sont que des vils mensonges pour s'attirer les votes ouvriers. C'est ce que montre la crise actuelle où aucun gouvernement, qu'il soit de "droite" ou de "gauche" n'a fait autre chose que de réduire les salaires.

"Vu que la finalité du capital n 'est pas la satisfac­tion des nécessités mais la production de profit... une scission doit se produire constamment entre les dimen­sions réduites de la consommation sur les bases capita­listes et une production qui tend constamment à dépas­ser cette barrière qui lui est immanente... "... périodiquement sont produits trop de moyens de travail et de subsistance pour qu’ils puissent agir en qualité de moyens d'exploitation des ouvriers à un taux de profit déterminé. Sont produites trop de marchandises pour pouvoir réaliser la valeur et la plus-value contenues ou enfermées en elles dans les conditions de distribution et de consommation données par la produc­tion capitaliste et la reconvertir en nouveau capital, c'est-à-dire, pour mener à terme ce processus en évi­tant les explosions qui surviennent constamment..." "La raison ultime de toutes les crises réelles continue toujours à être la pauvreté et la restriction de la consommation des massés en contraste avec la tendance de la production capitaliste à développer les forces productives comme si seule la capacité absolue de consommation de la société constituait sa limite. " (Marx, Le Capital, Tome III).

"Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises? D'un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives; de Vautre en conquérant de nou­veaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. A quoi cela aboutit-il? A préparer des crises plus gé­nérales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir." (Le Manifeste Communiste).

En effet, avec la dévalorisation du capital, au travers de la paralysie et la faillite d'usines et la destruc­tion même de moyens de production et de consommation, qui ont lieu dans la crise, les capitalistes cherchent une solution à la surproduction par la recherche de nouveaux marchés. De là la tendance à créer le marché mondial.

Chaque capital national cherchera, dans un premier temps, à imposer ses rapports d'échange aux producteurs indépendants et aux nations où dominent encore des rap­ports de production précapitalistes. Mais ces marchés sont encore limités car dans la production précapita­liste s'échange seulement l'excédent par rapport à la satisfaction des nécessités individuelles. Le capital a besoin donc de créer son propre marché, "de forger un monde à son image et à sa ressemblance".

Donc, la bourgeoisie en s'alliant ou luttant' contre les seigneurs de la terre et les roitelets, réalise le dé­pouillement des petits producteurs. La richesse est concentrée dans peu de mains et susceptible d'être orientée vers la production de marchandises nécessaire pour les capitalistes; en même temps, elle crée une ar­mée de prolétaires qui n'ont plus maintenant comme remède que de vendre leur force de travail pour pouvoir acheter toutes les choses dont ils ont besoin pour vivre. De cette manière, les capitalistes peuvent ex­porter leurs marchandises et réaliser leur plus-value et en acquérir d'autres. En outre les industries créées dans les nations plus arriérées fonctionnent avec un taux de profit plus élevé car la composition organique du capital est moindre: machines plus vieilles, ma­tières premières, force de travail presque gratuite, journées de travail plus longues. Mais ceci ne mène pas à autre chose qu'à la reproduction à une échelle plus grande des mêmes contradictions du système capitaliste.

Les nations capitalistes les plus vieilles, à la re­cherche de débouchés pour leurs produits, les obtien­nent en créant dans les nations plus arriérées de nou­veaux concurrents établissant les bases pour de nou­velles crises plus étendues et plus profondes.

Ainsi, au début du siècle, nous assistons à la "fin du partage du monde entre les puissances", à la fin de l'expansion capitaliste pour le monde habité. Depuis lors, cette solution à la crise se trouve supprimée. Seule reste la destruction de forces productives, la­quelle doit atteindre une telle ampleur qu'elle appelle le moyen de la guerre.

Les guerres inter bourgeoises actuelles ont pour objec­tif fondamental non la conquête ou le pillage de terri­toires ou de nations mais la pure destruction de forces productives, d'usines, de cultures, de ports, d'hôpitaux et de zones industrielles et de villes en­tières ([8] [33]). Maintenant c'est seulement ainsi que le ca­pitalisme peut ouvrir une nouvelle période de "prospé­rité" tant que dure la reconstruction; jusqu'à ce que le capital recommence à rencontrer ses limites inhé­rentes et plonge la société dans une nouvelle crise mondiale. Le cycle industriel où la crise menait à une nouvelle phase d'essor et d'expansion, s'est transformé ainsi dans le cycle crise-guerre-reconstruction.

La fin de son oeuvre créatrice, le marché mondial, et le début des guerres pour détruire des forces produc­tives marquent la fin de la mission historique progres­siste du capitalisme et l'entrée dans sa phase de déca­dence. Depuis lors, son existence n'est pas seulement un obstacle pour le progrès social mais avec sa barba­rie croissante, elle met en danger l'existence même de la société humaine. Pour les révolutionnaires du début du siècle, les changements ayant eu lieu dans le capi­talisme représentaient sa "désagrégation" et son "ef­fondrement définitif'. Avec ces changements, l'ère de la révolution communiste mondiale avait commencé.

Le Colectivo Comunista Alptraum considère aussi que nous vivons l'époque de la décadence du capitalisme. Continuons donc la critique de ses positions que nous avions laissée dans le chapitre II pour essayer de dé­finir avec plus de clarté les caractéristiques de cette époque.

LA DECADENCE DU CAPITALISME

"Nous considérons -dit le Collectif dans sa thèse 6~ que le capitalisme se trouve en décadence"... "La déca­dence du système implique l'exacerbation et l'approfondissement de toutes ses contradictions"... "La loi qui nous explique le développement du système est la base pour comprendre sa nature décadente... tant le développement que le déclin du système reposent sur deux déterminations essentielles, à savoir, une qui se manifeste par la baisse tendancielle du taux de profit et l'autre qui constitue son contenu et s'exprime dans la subordination formelle et réelle du travail au capi­tal. " (Revue Internationale 40).

Ainsi la décadence, tout comme l'ascendance, a une forme dans laquelle elle s'exprime, et un contenu.

La forme c'est la loi de la baisse du taux de profit. Nous avons déjà vu que de cette loi surgit la crise. Il y a donc un rapport entre la crise et la décadence. Selon le Collectif:

"Les moments de crise sont ceux dans lesquels le capi­talisme doit détruire une masse croissante de forces productives mettant en évidence de cette manière sa na­ture décadente. " (thèse 1, Rint 40).

Mais la baisse du taux de profit et la crise ont existé tout au long du capitalisme. Dire que dans celles-ci s'exprime sa nature décadente pourrait faire penser que la décadence est présente depuis qu'ont surgi les crises (et le cycle "classique" de celles-ci commence en 1825) ou que le capitalisme vit des cycles d'ascendance et de décadence; bref, que la décadence ne signifie rien de différent du capitalisme en général. Evidemment ce n'est pas la pensée du CCA. S'il insiste sur la "nature décadente", ce n'est pas parce qu'il considère la décadence comme l'état éternel du capita­lisme, mais simplement parce que le germe de la déca­dence se trouvait déjà dans ses origines. Bien. Mais alors, à part reconnaître que la décadence est une phase "naturelle" dans la vie du capitalisme, nous n'avons pas avancé d'un poil dans sa caractérisation. En quoi cette phase de décadence se distingue-t-elle de la précédente, de 1 ascendance? Peut-être trouvons-nous la solution dans le "contenu" de la décadence, dans la domination formelle et réelle du travail.

La domination formelle, c'est la période où le capita­lisme exploite le travail salarié sous la forme où il se trouvait dans les modes de production antérieurs. L'ouvrier réalise le même procès de travail qu'il fai­sait quand il était artisan, mais il lui imprime déjà un caractère coopératif et, fondamentalement, les ins­truments et le produit même ne lui appartiennent déjà plus à lui mais au capitaliste sous les ordres duquel il travaille. La révolution industrielle a établi les bases pour la domination réelle, pour la transformation du processus même de travail, pour le surgissement du travail sous sa forme spécifiquement capitaliste avec son haut degré de coopération, de division et de sim­plicité. C'est le surgissement du prolétariat moderne dépouillé non seulement de ses moyens de production mais aussi de sa puissance spirituelle. Historiquement, le passage de la domination formelle du travail à la domination réelle n'est que le passage de la manufac­ture à la grande industrie. L'expansion postérieure du capital se présente comme une reproduction de ces phases de manière rapide et violente: premièrement le capital s'approprie la production sous sa forme pré­capitaliste telle qu'il la rencontre, et immédiatement il lui imprime son caractère capitaliste. Si l'époque de la décadence correspondait au passage de la domina­tion formelle à la domination réelle du processus de travail, nous devrions la situer à la fin du 18e siècle et au début du 19e. Encore une fois, nous nous trouvons en face de la tendance à diluer l'époque déterminée de la décadence dans le développement général du capita­lisme.

A un moment, il semble que le Collectif situe la déca­dence au début du siècle. Après avoir mentionné la na­ture décadente du capitalisme, il poursuit (thèse 1):

"Le capitalisme dans cette logique impose alors la des­truction violente et périodique d'une masse croissante de forces productives"... "De cette tendance interne surgit la nécessité des guerres pour prolonger son existence comme un tout. Historiquement, on a vu qu'après chaque guerre apparaît une période de recons­truction."

Mais les guerres de ce type furent une réalité seule­ ment au début du siècle présent et nous supposons que c'est à elles que se réfère le Collectif et non à un autre type de guerre du siècle passé. Y compris dans sa réponse au BIPR, le CCA ajoute:

"Si nous observons comment le système capitaliste est devenu de plus en plus barbare depuis la première guerre mondiale jusqu 'à nos jours, il est possible de comprendre pourquoi plus le capitalisme se développe, plus il plonge dans la barbarie (ou décadence)..." (Comunismo n°l, p.22).

Donc la décadence se verrait située au début du 20e siècle ce qui coïnciderait avec la position que nous avons adoptée. Cependant, dans une note au paragraphe antérieur, le Collectif "clarifie":

"En étant strict en termes historique, nous pourrions dire que cette progressive 'barbarisation' du système capitaliste commence au milieu du 19e siècle, date ou moment où la bourgeoisie perd son rôle progressif dans l'histoire de l'Europe et où le prolétariat apparaît au niveau historique de la lutte des classes comme son pôle antagonique", "...nous pouvons situer le début de la décadence globale du système capitaliste à partir de 1858. Celle-ci se situe précisément dans le cours de son expansion progressive aliénée à l'échelle plané­taire..."

Enfin le Collectif place la décadence à partir de la maturation du capitalisme en Allemagne et des révolu­tions de 1848, au milieu du siècle passé, ce qui amène toute tentative de caractériser cette époque à rester dans des généralités sur le capitalisme. Ainsi il n'y aura pas de différences substantielles entre le capita­lisme actuel et celui du siècle passé car tout existait déjà: la crise cyclique, le marché mondial, la tendance à la guerre, la possibilité de la révolution. C'est à cela que mène la prétention de tout expliquer à partir du "pôle dominant" de la production, en laissant de côté les changements ayant eu lieu dans la sphère de l'échange.

Mais ceci est une erreur. Le Collectif ne se rend pas compte que déjà conceptuellement c'est un contresens de placer l'époque de la décadence, de déclin du capi­talisme "précisément dans le cours de sa progressive expansion" et qu'ajouter l'adjectif "aliéné" ne résout rien.

Dans cette même note, le Collectif cite deux fois Marx pour argumenter sa position. La première est une fausse et lamentable interprétation. Marx dit que l'économie bourgeoise est en décadence. Il se réfère évidemment à la science économique bourgeoise, mais le CCA, loin de clarifier cela, laisse implicite que Marx se réfère au' mode de production. Cependant, il vaut la peine de re­produire la seconde citation:

"Nous ne pouvons nier que la société bourgeoise a expé­rimenté pour la seconde fois son 16e siècle, un 16e siècle qui, je l'espère, mettra à mort la société bour­geoise, de la même manière que le premier lui a donné le jour. La mission particulière de la société bour­geoise, c'est l'établissement d'un marché mondial. Comme le monde est rond, cela semble être achevé avec la colonisation de la Californie et de l'Australie et avec l'ouverture de la Chine et du Japon. Ce qui est difficile pour nous est ceci: sur le continent, la ré­volution est imminente et assumera immédiatement un caractère socialiste. Ne sera-t-elle pas destinée à être défaite dans ce petit coin en tenant compte que sur un territoire beaucoup plus grand le mouvement de la société est toujours en ascension ?" (Marx, prologo a la 2a edicion del Capital)

On peut difficilement conclure du passage antérieur qu'à l'époque de Marx, le capitalisme comme système mondial se trouvait déjà dans sa phase de décadence alors qu'un territoire beaucoup plus grand se trouvait en "ascension".

Marx comprenait que la révolution n'était pas possible à n'importe quel moment mais qu'elle requérait cer­taines conditions matérielles et sociales. Pour lui:

"Une formation sociale m disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y sub­stituent avant que les conditions d'existence maté­rielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société" (Préface à la Contribution à la critique de l'économie politique, Editions So­ciales, p.5. 1972).

Bien. Que tire-t-on du passage cité par le Collectif? Marx considérait-il déjà "mûres" les conditions pour la révolution? Pour l'Europe, oui. Pour le reste du monde, non.

La préoccupation des révolutionnaires à cette époque était les perspectives d'une révolution en Europe alors que dans le reste du monde la lutte du prolétariat était improbable ou inexistante. Peut-être le commu­nisme aurait-il pu s'étendre aux nations arriérées; en Russie, par exemple, on pourrait de passer de la commu­nauté patriarcale au communisme moderne. Mais aussi peut-être, la révolution européenne pourrait être écra­sée par le poids du mouvement toujours ascendant de la société dans le reste du monde.

Marx, comme les révolutionnaires et la classe ouvrière en général, était limité par les conditions histo­riques. La révolution européenne se présentait comme la fin de la société bourgeoise car à cette époque la so­ciété bourgeoise se limitait pratiquement à l'Europe. Personne ne pouvait deviner à ce moment-là si la révo­lution dans cette "petite région" suffirait pour ins­taurer le communisme dans un monde encore arriéré.

Aujourd'hui, nous pouvons déjà dire crue ce n'était pas possible. Qu'à cette époque le capitalisme avait des réserves, que ses tendances au développement ascendant étaient plus puissantes que les tendances à son déclin et que les forces de la révolution; que l'ouverture de l'Orient ouvrait un champ d'expansion immense, que les limites du marché mondial étaient encore loin de s'exprimer ouvertement. En somme, que l'exacerbation des contradictions du capitalisme n'était pas arrivée au degré où s'ouvrirait réellement l'époque de sa déca­dence et de la révolution mondiale.

Marx posait les bases générales pour une théorie de la décadence mais ne pouvait pas la développer; seuls pou­vaient le faire les révolutionnaires des débuts du 20e siècle; quand la décadence est devenue une réalité. Celle-ci est annoncée par la dépression chronique de la fin du 19e siècle, les guerres inter bourgeoises du dé­but de ce siècle et la révolution russe de 1905, et déjà elle s'exprime avec une clarté aveuglante dans la transformation de la crise de 1913 en guerre impéria­liste généralisée de 1914-18 et dans l'explosion révo­lutionnaire du prolétariat international en 1917-

La conception de la décadence du capitalisme définit l'époque à laquelle le capitalisme a accompli déjà dé­finitivement sa "mission historique", et les contradic­tions ne se manifestent plus seulement en un quelconque "haut degré de développement" mais: le développement du capitalisme est tel qu'il se transforme en barbarie, car l'exploitation du travail salarié n'a déjà plus sa contrepartie dans l'oeuvre civilisatrice progressive des nations "barbares". Maintenant, la civilisation se présente comme généralisation de la barbarie. L'accumulation de capital n'a plus sa contrepartie dans le pur développement des forces productives, mais maintenant les forces productives se voient freinées et, en plus, leur développement tend à se transformer en puissances destructrices. Et la contrepartie à la crise périodique ne se manifeste plus dans des phases d'expansion et de prospérité mais dans la "solution" de la guerre généralisée.

La décadence du capitalisme ouvre l'époque de la révo­lution communiste mondiale, non seulement parce que, par la création du marché mondial, elle a déjà crée les conditions matérielles pour la nouvelle société, mais aussi parce que la désagrégation du capitalisme, l'avancée de la barbarie, a sa contrepartie dans l'avancée des forces de la révolution.

La crise, comme destruction de forces productives, ne signifie pas seulement destruction de moyens de produc­tion, mais surtout, destruction de forces productives humaines. Elle signifie plus de chômage, plus d'exploitation, d'accidents, de misère, et de morts même. L'antagonisme entre le capital et le travail salarié s'exprime de la manière la plus brutale et la plus ouverte. Ce sont les conditions pour la maturation de la conscience et du mouvement révolutionnaire du prolétariat.

"Une révolution est seulement possible comme consé­quence d'une crise... mais celle-ci est aussi certaine que celle-là."

La crise actuelle avec son caractère mondial et sa longue durée ne tend pas seulement à une nouvelle guerre mondiale. Mais aussi, elle ouvre la perspective pour un assaut définitif du prolétariat de la forte­resse ennemie. Elle crée comme jamais les conditions pour la révolution mondiale du prolétariat.

Ces conditions doivent être l'objet de toute notre at­tention.

GPI, août 1986.



[1] [34] Cf. la présentation du CCA dans la Revue Internationale 50.

[2] [35] La place nous manque pour les reproduire ici. Le GPI partage avec le CCI l'essentiel des positions politiques qui sont publiées au dos même de toutes les publications territoriales ainsi que de cette Revue Internationale.

[3] [36] Cf. Revue Internationale n° 10,19 et 20.

[4] [37] Revue Internationale 40.

[5] [38] Une remarque qui nous semble nécessaire ici: les cycles économiques dans la période actuelle de décadence ne s'arrêtent pas à la "reconstruction". Contrairement à la période ascendante dont les cycles se présentent dans la formule Production-Crise-Production élargie, les cycles actuels se caractérisent dans la formule Crise-Guerre-Reconstruction-Crise plus profonde. (NDLR)

[6] [39] Nous pensons que les camarades commettent ici une erreur. Il est faux de dire que « les conditions matérielles pour la société communiste sont déjà données ». En fait, les conditions matérielles rendent de plus en plus impossible la continuation du système capitaliste de production, d’où la décadence et la crise permanente. Ainsi sont indiquées la nécessité et la possibilité de s'engager vers l'unique n'est que dans la période de transition que les conditions matérielles seront achevées permettant l'instauration du communisme: "de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins". (NDLR)

[7] [40] Il est faux de dire que la baisse des salaires réduit la réalisation de la plus-value. Par définition, le salaire ne rachète jamais la plus-value. La baisse des salaires est toujours une augmentation de la production de plus-value aussi bien absolue que relative. (NDLR)

[8] [41] La destruction généralisée des forces productives n'est pas un "but" recherché par le capital mais une conséquence "aveugle" de ses contradictions. Cette idée de la guerre comme "recherche" de destruction est fausse. A la rigueur, peut-elle être valable pour un pays ou un bloc capitaliste pour détruire l'appareil industriel de pays rivaux ou s'en emparer. Une telle vision escamote une donnée déterminante: l'exacerbation de l'antagonisme inter impérialiste comme cause directe des guerres généralisées de notre période. (NDLR)

Géographique: 

  • Mexique [42]

Courants politiques: 

  • Influencé par la Gauche Communiste [43]

Questions théoriques: 

  • Décadence [44]

Polémique : où va le F.O.R. ? ("Ferment Ouvrier Révolutionnaire")

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Le Ferment Ouvrier Révolutionnaire (FOR) est aujourd'hui une composante du milieu prolétarien révolutionnaire. Il est l’un des rares groupes qui défendent les positions communistes (contre les syndicats, le parlementarisme, les luttes de libération nationale, le frontisme, le capitalisme d'Etat, etc.) et interviennent dans la lutte de classe. Par ce fait, il n'est pas indifférent de faire un bilan politique de ce groupe dont les positions sont mal connues au sein du milieu prolétarien.

A travers un de ses militants les plus connus, G. Mu­nis, le FOR est issu de l’ancien groupe trotskyste espagnol qui se constitua dans les années 30. L'évolution de Munis et de ses partisans vers des positions révolu­tionnaires ne se fit pas sans mal. Munis -suivant les consignes de Trotsky- fut partisan de l’entrée des "bolcheviks léninistes" dans les Jeunesses Socialistes/ mais par contre refusa la fusion avec le POUM, parti "socialiste de gauche" qui devait jouer un rôle essen­tiel dans la défaite des ouvriers espagnols en 1936-37. En 1936, Munis et ses amis allaient, temporairement, servir dans les milices socialistes sur le front de Ma­drid. Un itinéraire qui était loin d'être révolution­naire et s'écartait notablement des positions intransi­geantes de la Gauche communiste à l’époque (Gauche italienne, et même Gauche hollandaise). C'est seulement en 1937, lors des événements de Mai -où le prolétariat de Barcelone se fit massacrer par le gouvernement de Front Populaire— que le groupe de Munis commença à abandonner sa fausse trajectoire ([1] [45]) en se plaçant ré­solument du côté des insurgés, en dénonçant les stali­niens ainsi que le POUM et la CNT-FAI. L'attitude révolutionnaire courageuse de Munis lui valut d'être emprisonné en 1938. En 1939, il réussit à s'évader, échappant à l'assassinat de la part des staliniens, pour gagner finalement le Mexique.

L'immense mérite de Munis et de ses amis au Mexique — dont le poète surréaliste Benjamin Péret— fut de dénoncer la politique de "défense de l'URSS" et l'intégration dans la guerre impérialiste de la "4e In­ternationale" trotskyste. Cela amena Munis à faire une rupture en 1948 avec l'organisation trotskyste, pour sa trahison de l'internationalisme, en même temps que d'anciens trotskystes espagnols. Mais, caractéristique du groupe de Munis —qu'on retrouve encore aujourd'hui dans le FOR— celui-ci estimant que la révolution était une simple question de volonté, fit décider le départ du groupe pour une action clandestine en Espagne fran­quiste. Pris par la police, Munis subit un dur empri­sonnement.

Il n'est pas indifférent que le rapprochement du groupe de Munis des positions de la gauche communiste, dans le début des années 50, fût favorisé par les discussions entamées avec les groupes issus de la gauche communiste italienne. Les discussions avec "Internationalisme" puis avec le groupe de Damen ([2] [46]) ne furent pas étran­gères au fait que l'Union ouvrière internationaliste (nom du groupe de Munis) pût quelque peu se "décrotter" de toute une idéologie trotskyste, pour trouver une vraie trajectoire révolutionnaire.

Au cours des années 60, le groupe de Munis et de Benja­min Péret (mort en 1959) s'est maintenu courageusement, en une période de pleine contre-révolution, sur des po­sitions révolutionnaires prolétariennes. C'est au cours de cette période difficile, où les éléments révolution­naires étaient extrêmement peu nombreux et dispersés, que l'ancêtre du FOR actuel publia ses textes poli­tiques de référence: "Les syndicats contre la révolu­tion" et "Pour un second manifeste communiste" ([3] [47]). Ces textes, après la longue nuit de contre-révolution qui s'étendit sur le monde jusqu'à la reprise internatio­nale des luttes prolétariennes qu'a marquée Mai 68 en France, ont joué un rôle non négligeable vis-à-vis de jeunes éléments qui, avec difficulté, se réappro­priaient les positions de la Gauche communiste et cherchaient à combattre les théories nauséabondes du maoïsme et du trotskysme. Le FOR, qui publie au­jourd'hui en France "Alarme" et en Espagne "Alarma" ([4] [48]), est la continuation organisationnelle de l'ancien groupe de Munis et défend en conséquence les positions politiques exprimées dans les anciens textes. Malheu­reusement, le FOR se réclame aussi de textes des années 40, où le groupe de Munis montre à l'évidence qu'il ne s'était guère débarrassé de sa gangue trotskyste, et qu'il continue à diffuser ([5] [49]), comme s'il y avait une continuité entre les anciens groupes trotskystes espa­gnol et mexicain de cette époque et le FOR d'aujourd'hui.

Il est donc nécessaire de voir dans quelle mesure le FOR actuel se situe clairement sur le terrain de la Gauche communiste et s'il lève les ambiguïtés de ses origines.

L'HERITAGE DU TROTSKYSME

On doit malheureusement constater que le FOR et Munis n'ont pas proclamé sans réticence la rupture avec le courant et l'idéologie trotskystes. Si d'un côté, il est affirmé que depuis la 2e Guerre mondiale le trots­kysme est passé à la contre-révolution, de l'autre côté il subsiste une très forte nostalgie de ce courant, au temps où, dans les années 30, il conservait encore un caractère prolétarien.

C'est avec étonnement qu'on peut lire les assertions suivantes, dans la littérature du FOR:

"C'est l’opposition de gauche (trotskyste) qui formula le mieux l'opposition au stalinisme" (Munis, "Parti Etat, stalinisme, révolution", Cahiers Spartacus, 1975)

"L'oeuvre de Trotsky et du mouvement originel de la 4e Internationale a constitué un apport considérable pour la compréhension du Thermidor russe." ("Pour un second manifeste communiste", Losfeld Paris, 1965, p. 57)

Ou encore, tout récemment:

"Le trotskisme étant le seul courant internationaliste en activité dans des dizaines de pays et plusieurs continents, il incarnait la continuité du mouvement ré­volutionnaire depuis la Première Internationale et pré­figurait la liaison pertinente avec le futur. " (Munis, "Analisis de un vacio", Barcelona, 1983, p. 3)

A lire ce panégyrique du trotskysme et de Trotsky des années 30, on croirait qu'il n'a jamais existé de Gauche communiste. En proclamant que seul le courant trotskyste a été "internationaliste" dans les années 30, on aboutit à une falsification grossière et éhontée de l'histoire. Munis et ses amis passent sous silence l'existence d'une Gauche communiste (en Italie, en Al­lemagne, aux Pays-Bas, en Russie) oui, bien avant que le courant trotskyste n'existe, mena le combat contre la dégénérescence de la Révolution russe, pour l'internationalisme.

Ce travail d'escamotage du VERITABLE mouvement révolutionnaire des années 20 et 30 (KAPD, GIC, "Bilan" et la fraction italienne) ne peut avoir qu'un but: absoudre à tout prix la politique opportuniste originelle du trotskysme et de Trotsky et donner un brevet révolu­tionnaire à l'activité des trotskystes espagnols dont Munis faisait partie. Munis et le FOR ont-ils "oublié" que la politique de défense de l'URSS des trotskystes devait les amener directement à participer à la seconde boucherie impérialiste? Ont-ils oublié la politique anti­fasciste de ce mouvement, qui l'amena à proposer le "front unique" avec ces bouchers du prolétariat que fu­rent et sont toujours les partis staliniens et social-démocrate ? Munis a-t-il "oublié" la politique d'entrisme dans le Parti socialiste espagnol qu'il sou­tint dans les années 30? De tels silences sur ces faits expriment dans le FOR des ambiguïtés graves qu'il est loin d'avoir surmontées.

De tels "oublis" ne sont pas innocents. Ils manifestent un attachement sentimental à l'ancien courant trots­kyste, qui conduit directement à des falsifications et à des mensonges. Lorsque le FOR proclame allègrement que "Trotsky n'a jamais défendu même critiquement le Front populaire ni en Espagne ni ailleurs" (cf. "L'arme de la critique", organe du FOR, n°l, mai 1985), il s'agit d'un mensonge manifeste ([6] [50]). A moins que le FOR ignore complètement l'histoire réelle du mouvement trotskyste... Il n'est jamais trop tard pour apprendre.

Nous donnons sans commentaires, à l'intention de Munis et de ses amis, quelques citations "édifiantes" de Trotsky, extraites du recueil de Broué "La révolution espagnole (1930-1940)":

"Renoncer à soutenir les armées républicaines, seuls peuvent le faire les poltrons et les traîtres, agents du fascisme" (p.355); "Tout trotskyste en Espagne doit être un bon soldat au côté de la Gauche" (p.378); "Partout et toujours, là où les ouvriers révolutionnaires ne sont pas dans l'immédiat assez forts pour renverser le régime bourgeois, ils défendent, contre le fascisme, même la démocratie pourrissante, mais surtout ils dé­fendent leurs propres positions à l'intérieur de la dé­mocratie bourgeoise" (p. 431); "Dans la guerre civile espagnole, la question est démocratie ou fascisme" (p. 432).

En fait, on doit constater que cet attachement de Munis et de ses amis à l'ancien mouvement trotskyste des an­nées 30 n'est pas seulement "sentimental". Il existe bel et bien des restes importants d'idéologie trots­kyste aujourd'hui dans le FOR. Sans en dresser une liste exhaustive, on peut en relever quelques-uns parmi   * les plus significatifs:

a) L'incompréhension du capitalisme d'Etat en Russie qui amène le FOR à parler, comme les trotskystes, de l'existence non d’une classe bourgeoise mais d'une bureaucratie:

". ..Il n'y (en Russie) existe pas une classe proprié­taire, pas plus nouvelle que vieille. Les tentatives pour définir la bureaucratie comme une sorte de bourgeoisie sont aussi inconsistantes que taxer de bourgeoise la révolution de 1917... Ce n'est pas à l'heure où la concentration de son développement capitaliste atteint des proportions mondiales et élimine par sa propre dynamique la fonction des capitaux privés agis­sant chaotiquement qu'une bourgeoisie toute fraîche va se constituer. Le processus caractéristique de la civi­lisation capitaliste ne peut se répéter nulle part, même si l'on en imagine des formes modifiées. " (Munis, "Parti-Etat", idem p. 58)

Le FOR considère donc, comme les trotskystes, que le capitalisme se définit par sa forme juridique d'appropriation. La suppression de l'appropriation pri­vée implique la disparition de la classe bourgeoise. Il n'entre pas dans l'esprit du FOR que la "bureaucratie" dans les pays de l'Est (et en Chine, etc.) est la forme que prend la bourgeoisie décadente en s'appropriant les moyens de production (Pour cette question, nous ren­voyons à nos textes de base).

b) La mise en plan d'un nouveau "Programme de transition" à l'exemple de Trotsky en 1938, marque chez le FOR une incompréhension de la période historique, celle de la décadence du capitalisme. En effet, le FOR a cru bon -dans "Pour un second manifeste communiste"- de mettre en avant toutes sortes de revendications transitoires, en l'absence de mouvements révolutionnaires du prolétariat. Cela va de la semaine de 30 heures, de la suppression du travail aux pièces et du chronométrage; dans les usines, à la "revendication du travail pour tous, chômeurs et jeunes", sur le terrain économique. Sur le plan politique, le FOR exige de la bourgeoisie le "droit"(!) et la "liberté" démocratiques: "liberté de parole, de presse et de réunion; le droit d'élire pour les ouvriers, leurs délégués permanents d'atelier, d'usine, profession", "sans aucune formalité judiciaire ou syndicale" ("Second Manifeste", p. 65-71).

Cela se situe dans la "logique" trotskyste, selon la­quelle il suffirait de poser des revendications bien choisies pour arriver graduellement à la révolution. Pour les trotskystes, le tout est de savoir être péda­gogue avec les ouvriers, qui ne comprendraient rien à leurs revendications, et de brandir les carottes les plus appétissantes dans le but de pousser les ouvriers dans leur "parti"... Est-ce cela que veut Munis, avec son programme de transition "bis"?...

Aujourd'hui, ce n'est pas aux groupes révolutionnaires qu'il revient de dresser un catalogue de revendications e l'avenir; les ouvriers sont assez grands pour trou­ver eux-mêmes, dans la lutte, spontanément, des reven­dications précises.

Aujourd'hui telle ou telle revendication précise, comme le "droit au travail" pour les chômeurs, peut être re­prise par des mouvements bourgeois et utilisée contre le prolétariat (camps de travail, chantiers collectifs des années 30, etc.).

Aujourd'hui, c'est seulement à travers la lutte massive que le prolétariat peut faire face aux attaques de la bourgeoisie, et c'est dans la lutte révolutionnaire contre la bourgeoisie que les ouvriers pourront réelle­ment satisfaire leurs revendications. Le capitalisme décadent n'est plus en état de concéder des réformes durables au prolétariat.

De façon très caractéristique, le FOR met sur le même plan ses mots d'ordre réformistes de "droits et liber­tés" démocratiques pour les ouvriers et des mots d'ordre qui ne peuvent surgir que dans une période pleinement révolutionnaire. On trouve ainsi pêle-mêle les mots d'ordre de:

-  "expropriation du capital industriel, financier et agricole";

-  "gestion ouvrière de la production et de la distribu­tion des produits";

-  "destruction de tous les instruments de guerre, ato­miques aussi bien que classiques, dissolution des ar­mées, des polices, reconversion des industries de guerre en production de consommation";

-  "armement individuel des exploités sous le capita­lisme, territorialement organisé, selon le schéma des comités démocratiques de gestion et de distribution";

-  "suppression du travail salarié en commençant par élever le niveau de vie des couches sociales les plus pauvres pour atteindre finalement la libre distribution des produits selon les besoins de chacun";

-  "suppression des frontières et constitution d'un seul gouvernement et d'une seule économie au fur et à mesure de la victoire du prolétariat dans divers pays. "

Et le FOR d'ajouter à tout ce catalogue le commentaire suivant:

"C’est seulement sur les ailes de la subjectivité (sic) - révolutionnaire que l'homme franchira la distance du règne de la nécessité au règne de la liberté" (idem, p. 71).

En d'autres termes, le FOR prend ses désirs pour des réalités et considère la révolution comme une simple question de volonté subjective, et non de conditions objectives (la maturation révolutionnaire du proléta­riat dans la crise historique du capitalisme plongé dans la crise économique).

Tous ces mots d'ordre montrent des confusions énormes. Le FOR semble avoir abandonné toute boussole marxiste. Aucune distinction n'est faite entre une période pré­révolutionnaire, où domine politiquement le capital, une période révolutionnaire, où s'établit un double pouvoir, et la période de transition (après la prise du pouvoir par le prolétariat) qui seule peut mettre à l'ordre du jour (et non immédiatement!) la "suppression du travail salarié" et la "suppression des frontières".

A l'évidence, ces "mots d'ordre" du FOR montrent non seulement des restes mal digérés du programme de transition trotskyste, mais de fortes tendances anarchistes. Les mots d'ordre de "gestion ouvrière" font partie du bagage anarchiste, conseilliste ou "gramscien" mais certainement pas du programme marxiste. Quant à "l'armement individuel" (et pourquoi pas col­lectif?) du prolétariat et à l'exaltation de la "sub­jectivité" (individuelle, sans doute) ils s'inscrivent dans le confusionnisme anarchiste.

Finalement, la "théorie" du FOR apparaît comme un mé­lange de confusions héritées du trotskysme et de l’anarchisme. Les positions du FOR sur l'Espagne en 1936-37 le montrent de façon éclatante.

LA "REVOLUTION ESPAGNOLE" DANS L'EVANGILE DU FOR

Nous avons déjà eu l'occasion dans la presse du CCI ([7] [51]) de critiquer les conceptions de Munis et ses amis sur les événements d'Espagne de 1936-37. Il est nécessaire d'y revenir, car l’interprétation du FOR conduit aux pires aberrations politiques, inévitablement fatales pour un groupe se situant sur le terrain de la révolu­tion prolétarienne.

Pour le groupe de Munis, les événements d'Espagne sont le moment le plus élevé de la vague révolutionnaire qui débuta en 1917. Mieux, ce qu'il appelle la "révolution espagnole" serait plus révolutionnaire que la révolu­tion russe:

"Plus nous regardons rétrospectivement les années qui vont jusqu'en 1917, plus la révolution espagnole ac­quiert de l'importance. Elle fut plus profonde que la révolution russe.... " (Munis, "Jalons de défaite, pro­messe de victoire", Mexico, 1948; postface "Réaffirma­tion", 1972).

Bien plus, et rien moins que cela, les événements de Mai 37, où le prolétariat espagnol se fit écraser par les staliniens avec la complicité des "camarades mi­nistres" anarchistes, est "le degré de conscience su­prême de la lutte du prolétariat mondial" (Munis, "Parti-Etat; stalinisme-révolution", Spartacus, 1975, p. 66)

Munis ne fait que reprendre l'analyse trotskyste sur les événements en Espagne, et jusqu'aux conceptions anti-fascistes. Pour lui, les événements d'Espagne n'ont pas été une contre-révolution permettant à la bourgeoisie d'écraser le prolétariat, mais la révolu­tion la plus importante de l'histoire. De telles asser­tions sont justifiées de la façon suivante:

-  en juillet 36, l'Etat aurait quasiment disparu; des "comités-gouvernement" auraient surgi à la place de l'Etat ([8] [52]);

-  les collectivités de 36 en Espagne auraient instauré un véritable communisme local! (et pourquoi pas le communisme dans un seul village?);

- la situation internationale était objectivement révolutionnaire, avec la France "au bord de la guerre ci-" vile" et "la renaissance de l'offensive ouvrière en An­gleterre" ("Jalons", p.380).

Il est inutile d'insister sur la fausseté des paroles d'évangile contenues dans "Jalons". Elles sont caracté­ristiques d'une secte qui "s'élevant sur les ailes de la subjectivité", prend ses fantasmes pour la réalité, au point de devenir mystificateur et de s'auto mystifier. L'invention de "comités-gouvernement" par Munis, qui n'ont nullement existé -seules ont surgi les Milices qui étaient un cartel de partis de gauches et de syndicats— montre une tendance à l’automystification, et surtout au bluff, dont les trotskystes ont toujours été friands.

Mais le plus grave, chez Munis, est le fait qu'il re­prend à son compte l'analyse des trotskystes et anar­chistes de l'époque, pour finalement mieux les ab­soudre. En saluant l'action des trotskystes espagnols comme "révolutionnaire", Munis les absout de leur appel à "assurer la victoire militaire" de la République contre le fascisme (idem p. 305). Et que dire de l'enthousiasme manifesté pour les tristement célèbres "Brigades Internationales—avec Marty, le boucher des ouvriers d'Albacete- en lesquelles Munis voit un exemple magnifique où des milliers d'hommes offrirent "leur sang pour la révolution espagnole" (p. 395). Quant au sang ouvrier versé par les bouchers staliniens composant ces brigades, un pudique silence est gardé.

En continuant à répéter les mêmes erreurs que les trotskystes espagnols en 36, le FOR aboutit à une to­tale incompréhension qui est inévitablement fatale à tout groupe prolétarien:

-  d'abord, l'incompréhension des conditions de la dis­parition de l'Etat capitaliste et de l'ouverture d'une véritable période de transition du capitalisme au com­munisme. En affirmant que le 19 juillet 36, "l'Etat capitaliste cessa d'exister" ("Jalons", p.280), non seu­lement Munis travestit la réalité historique mais considère que la disparition de l'Etat s'accomplit sur-le-champ, en quelques heures, dans un seul pays. Une telle vision est identique à celle de l'anarchisme.

-  Munis et ses amis considèrent que la révolution pro­létarienne peut s'accomplir sans l'existence et de conseils ouvriers et d'un parti révolutionnaire. Ainsi, sans organisation unitaire et sans organisation poli­tique, la révolution se déroulerait spontanément. Mal­gré sa reconnaissance de la nécessité d'un parti révo­lutionnaire pour catalyser le processus de fa révolu­tion, le FOR introduit par la bande les conceptions conseillistes.

Finalement, le FOR manifeste une totale incompréhension des conditions de la révolution prolétarienne aujourd'hui.

L'AVENIR D'UNE SECTE

Le FOR se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Toute sa raison d'être a été l'affirmation que la révo­lution était une question de volonté et de subjecti­vité. Pour cela, il n'a cessé d'affirmer que les condi­tions objectives (crise générale du capitalisme, déca­dence économique) importaient peu. De façon idéaliste, le FOR n'a cessé de prétendre qu'il n'y avait pas un déclin économique mais une décadence "morale" du capi­talisme. Pire, il n'a voulu voir depuis les années 70 dans la crise économique du capitalisme qu'une "simple ruse de guerre de la bourgeoisie" comme l'affirmait Munis lui-même, au début de la 2ème conférence interna­tionale des groupes de la gauche communiste ([9] [53]).

A l'heure où les deux "lundis noirs" du krach boursier d'octobre 1987 (19 et 26 octobre) sont la confirmation éclatante de la faillite économique du système capita­liste mondial, le FOR va-t-il continuer tranquillement à affirmer qu'il n'y a pas de crise? A l'heure où se confirme avec éclat l'effondrement du capitalisme, le FOR va-t-il répéter -comme en 1975- que "le capita­lisme résout toujours ses propres contradictions -les crises de surproduction" (cf. RI n°14, mars 75, "Réponse à Alarma")?

Si le FOR continuait à se placer au delà de la réalité sur les "nuages" roses de sa "subjectivité", il appa­raîtrait comme une secte condamnée par la réalité ob­jective elle-même. Or, par définition, une secte qui est repliée sur elle-même, pour défendre ses propres "dadas" —comme la "révolution espagnole" et l'absence de crise économique- et nie la réalité, est condamnée soit à disparaître totalement, soit à éclater en mul­tiples morceaux dans la pire confusion.

Le FOR se trouve à la confluence de trois courants: le trotskysme, le conseillisme et l'anarchisme.

Du trotskysme, le FOR conserve non seulement des rési­dus (Espagne 36, "revendications transitoires", volon­tarisme) mais aussi une singulière attraction pour ses éléments "critiques" en rupture. Si le FQR est clair aujourd'hui que "rien de révolutionnaire ne peut prendre sa source dans aucune tendance dite trotskyste" (Munis, "Analisis de un vacio", 1983), il garde l'illusion que des scissions du trotskysme "pourraient contribuer à bâtir une organisation du prolétariat mon­dial" (idem). C'est cette même illusion qu'il avait en­tretenue en 1975, lorsque s'était constitué le groupe Union Ouvrière, issu de "Lutte Ouvrière" en France. Le FOR n'avait pas hésité à voir dans cette scission sans lendemain le "fait organique le plus positif arrivé en France pour le moins depuis la fin de la guerre jusqu'à aujourd'hui" ("Alarma" n°28,1975, "Salut à Union Ou­vrière").

Le FOR doit dire clairement maintenant, alors que les responsabilités des révolutionnaires sont autrement plus écrasantes aujourd'hui qu'il y a dix ans, si oui ou non il se considère comme une composante de la gauche communiste, oeuvrant à son regroupement, ou au contraire comme une composante du milieu marécageux dans lequel barbotent les différents groupuscules "cri­tiques" issus du trotskysme. Le FOR doit se prononcer sans ambiguïtés sur les conditions de formation du parti révolutionnaire. Il doit dire clairement si celui-ci se constituera autour des groupes issus de la gauche communiste, qui se réclament de l'apport des gauches des années 20 et 30 (KAPD, "Bilan", Gauche hol­landaise), ou autour des groupes issus du trotskysme. Une réponse claire à cette question déterminera la par­ticipation du FOR à des conférences de la Gauche commu­niste, participation qu'il a déclinée en 1978, de façon sectaire.

En deuxième lieu, il apparaît que le FOR a ouvert toutes grandes les portes vers le "conseillisme". En considérant comme secondaire et même inexistante la crise économique du capitalisme, en affirmant que la conscience du prolétariat ne peut surgir que de la lutte elle-même ([10] [54]), le FOR sous-estime non seulement les facteurs objectifs de la révolution mais le facteur subjectif, celui de l'existence d'une organisation ré­volutionnaire, qui est le point le plus haut, le plus élaboré de la conscience de classe.

En troisième lieu, le FOR montre des attaches et une attraction très dangereuses vers les conceptions anar­chistes. Si le FOR a rejeté la vision trotskyste des "révolutions politiques c'est pour mieux proclamer que la révolution sera d'abord et avant tout "économique et non politique:

"Cette vision politique de la révolution partagée par l’extrême gauche et la plupart de ce qui est appelé l’ultra-gauche est une vision bourgeoise de la prise du pouvoir." ("L'arme de la critique", n°l, mai 1985). Cette conception était exactement la même que celle du GIC conseilliste hollandais (voir brochure à paraître sur la gauche communiste germano hollandaise), qui se rapprochait ainsi de l’anarchisme. En croyant et en faisant croire qu'une révolution fera disparaître immé­diatement la loi de la valeur et réalisera rapidement les tâches économiques du communisme, le FOR tombe dans l'illusion anarchiste selon laquelle le communisme est une simple question économique, pour mieux évacuer la question du pouvoir politique du prolétariat (dictature es conseils à l'échelle mondiale, ouvrant réellement la période de transformation économique de la société).

Le FOR est à la croisée des chemins. Ou bien il restera une secte sans avenir amenée à mourir de sa belle mort, ou bien il se décomposera en morceaux attirés vers les courants trotskyste, anarchiste et conseilliste, ou bien il s'orientera résolument vers la Gauche Communiste. En tant que secte hybride, mariant la carpe et le lapin, dédaignant la réalité présente, le FOR n'est pas un groupe viable. Nous ne pouvons que souhai­ter et contribuer de toutes nos forces à ce que le FOR s'oriente vers une réelle confrontation avec le milieu révolutionnaire. Pour cela, il devra faire une auto­critique de son attitude négative en 1978, lors de la seconde conférence des groupes de la Gauche Communiste.

Le milieu révolutionnaire prolétarien a tout à gagner à ce que des éléments révolutionnaires, comme ceux du FOR, ne se perdent pas et s'unissent aux forces révolu­tionnaires existantes, celles de la Gauche communiste. L'accélération brutale de l'histoire met le FOR devant ses responsabilités historiques. Il y va de son exis­tence, et surtout de celle des jeunes énergies révolu­tionnaires qui le composent.

Ch.



[1] [55] Les militants du FOR qui ironisent sur la "fausse trajectoire" de Révolution Internationale -titre de leur brochure diffusée à la seconde conférence des groupes de la gauche communiste- feraient mieux d'analyser la fausse trajectoire des trotskystes espagnols avant 1940 (cf. pour cela les textes cités par Munis lui-même dans son livre "Jalons d'une défaite, promesses de victoire" et le livre de Broué: "La Révolution» espagnole", éditions de Minuit, 1975).

[2] [56] Il s'agit du Parti communiste internationaliste de Damen, issu de la scission en 1952 d'avec la fraction de Bordiga, regroupé autour de la publication "Battaglia Comunista".

[3] [57] "Pour un second manifeste communiste", bilingue français et espagnol, Eric Losfeld, Paris, 1965; "Les syndicats contre la révolution" de B.Péret et de G. Munis, Eric Losfeld, Paris, 1968. Publier les textes de Péret des années 50 (qui se trouvent dans ce dernier recueil), dans le "Libertaire", organe de la Fédération anarchiste, était plus qu'ambigu. C'était donner un brevet révolutionnaire aux éléments anarcho-syndicalistes qui ont trempé dans la guerre antifasciste en 36-37, et continuent à être les chantres de la CNT, syndicat anarchiste.

[4] [58] Alarme, BP 329,75624 Paris cedex 13 (France); Alarma Apartado 5355 Barcelona (Espagne).

[5] [59] Ainsi les textes de critique de la 4e Internationale publiés au Mexique entre 1946 et 1949.

[6] [60] cf. la Revue Internationale n° 25,1981, "Critique de Munis et du FOR"; brochure du CCI en espagnol sur l'Espagne 36-37 (1987) et l'article "Critica de Jalones de derrota, promesas de Victoria'".

[7] [61] cf. la Revue Internationale n° 25,1981, "Critique de Munis et du FOR"; brochure du CCI en espagnol sur l'Espagne 36-37 (1987) et l'article "Critica de Jalones de derrota, promesas de Victoria'".

[8] [62] Ce n'est pas par hasard si le trotskyste Broué reprend à son compte l’affirmation de Munis, selon laquelle auraient existé des "comités-gouvernement" assimilables aux conseils ouvriers, pour mieux prouver l'existence d'une "révolution espagnole", cf. Broué, "La révolution espagnole. 1931-39", Flammarion, 1973, p. 71.

[9] [63] 2e Conférence des groupes de la Gauche communiste, novembre 1978. Le FOR, décidant de "rester en marge de la Conférence", la quitta finalement dès le début, ne voulant pas reconnaître l'existence d'une crise du capitalisme.

[10] [64] "...l'école du prolétariat ne sera jamais la réflexion théorique ni l'expérience accumulée et bien interprétée mais le résultat de ses propres réalisations EN PLEINE LUTTE. L'existence précède la conscience; le fait révolutionnaire sa propre conscience pour l'écrasante majorité des protagonistes..."

"En somme, la motivation MATERIELLE de la liquidation du capitalisme est donnée par la déclinante (?) contradiction existant entre le capitalisme et la liberté du genre humain" ("Alarme" n°13, juillet septembre 1981, "Organisation et conscience révolutionnaires".

Géographique: 

  • Espagne [65]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [66]

La Gauche hollandaise en 1919-1920 (2e partie) la troisième internationale

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LA QUESTION ALLEMANDE

C'est par une manoeuvre que la direction du KPD fit expulser du parti la majorité de gauche en septembre 1919. Cette majorité, depuis le congrès de décembre 1918, avait pour mot d'ordre "Sortez des syndicats!" (Heraus aus den Gewerkschaften). Les militants commu­nistes, surtout à Bremen et Hamburg, attaquaient les bureaux du syndicat social-démocrate de Legien, pre­naient les caisses et en distribuaient le contenu aux ouvriers chômeurs. Lorsque se formèrent les premières unions (Unionen), la centrale de Levi et Brandler avait d'abord appuyé: elle lança le mot d'ordre de formation d'Unionen dans les chemins de fer et chez les ouvriers agricoles. Les organisations d'usine (Betriebsorganisationen) composées d'ouvriers et de délégués révolutionnaires se centralisaient pour former les Unionen. Celles-ci, avec le déclin de la révolution, apparais­saient comme des organes de lutte politique, héritage des conseils d'usine. Elles se généralisèrent au cours de l'année 19 dans les principaux secteurs de la classe ouvrière: mineurs, chantiers navals, marins, métallur­gie.

A partir de l'été 1919, la position de la centrale de Levi et Brandler changea du tout au tout, non sans arrière-pensées politiques. Il s'agissait pour elle de se rapprocher des Indépendants de l'USPD, qui contrô­laient l'opposition dans les syndicats officiels. Elle se mit à attaquer la gauche comme "tendance syndica­liste". Mais, dans les faits, cette tendance était re­présentée par une minorité: celle du Wasserkannte (Bremen et Hamburg) autour de Laufenberg et Wolffheim, qui rêvaient d'une IWW allemande, et celle de Saxe autour de Ruhle. Ces deux tendances sous-estimaient l'existence d'un parti politique du prolétariat, qu'elles tendaient à réduire à un cercle de propagande pour les Unions. Tel n'était pas le cas de la grande majorité qui allait former le KAPD en avril 1920: elle était fortement hostile à l’anarcho-syndicalisme et au syndicalisme révolutionnaire antipolitiques. Elle ne concevait les Unionen que comme des organismes de lutte appliquant les directives du parti. Elle n'était donc pas "syndicaliste" mais anti-svndicaliste. ([1] [67])

En août 1919, Levi, lors de la conférence nationale de Francfort, se prononça aussi bien pour un travail dans les syndicats que pour un travail au Parlement. Lors du congrès d'octobre, dit congrès d'Heidelberg, Levi pré­senta -sans que cela ait pu être discuté dans les sec­tions du parti avant le congrès— une résolution d'exclusion des éléments refusant tout travail dans les syndicats et au parlement. Au mépris de toute démocra­tie ouvrière, dans le parti, chaque district disposait d'une voix quelle que soit sa taille et le droit de vote -en violation de la décision de la conférence de Francfort- était accordé à la centrale, d'accord pour l'exclusion de la gauche. Celle-ci, bien que majori­taire dans le KPD, fut expulsée. Il est notable que l'opposition en dehors du parti refusa de suivre Laufenberg, WoLffheim et Riïlhe qui voulaient former immédiatement un nouveau parti. Cette attitude de se battre jusqu'au bout pour la reconquête du parti est une constante de la Gauche communiste de l'époque, qui en cela est très proche de la Fraction de Bordiga.

La Gauche hollandaise se solidarisa avec la Gauche allemande. Pannekoek attaqua particulièrement Radek, qui avait soutenu théoriquement Levi ([2] [68]) dans son combat contre la Gauche allemande. Il dénonça le rapprochement du KPD avec les Indépendants, comme glissement vers l'opportunisme ([3] [69]). Cette politique traduisait une approche petite-bourgeoise, "blanquiste", de la conception du parti. En défendant la théorie non marxiste qu'une "petite minorité révolu­tionnaire pourrait conquérir le pouvoir politique et le — garder en main", Radek ne faisait que justifier la dic­tature de la centrale de Levi jusqu'à l'intérieur du parti. Sa position était étrangère en fait au bolchevisme. Celui-ci en octobre 1917 ne voulait pas une dictature de parti mais celle des conseils:

"Le véritable exemple russe, on le trouve dans les jours précédant novembre 1917. Là le parti communiste n'avait jamais déclaré ou cru qu'il devait prendre le pouvoir et que sa dictature soit la dictature des masses travailleuses. Il déclara toujours: les soviets, les représentants des masses devaient s'emparer du pou­voir; lui-même établit le programme, combattit pour, et lorsque finalement la majorité des soviets reconnut la justesse de ce programme elle prit le pouvoir en main...". ([4] [70])

Le Pannekoek de 1919 n'est pas encore le Pannekoek "conseilliste" des années 30 et 40. Il reconnaît - comme la Gauche communiste depuis les années 1920 – le rôle irremplaçable du parti. Contrairement à ce que le courant "bordiguiste" lui reprochera plus tard, Pan­nekoek et la Gauche hollandaise n'ont rien à voir avec les positions à la Ruhle antiparti et démocratistes, avec son culte de la démocratie spontanée et le sui­visme des masses:

"Nous ne sommes pas des fanatiques de la démocratie, nous n'avons aucun respect superstitieux des décisions. majoritaires et ne nous adonnons pas à la croyance que tout ce que ferait la majorité serait bon et devrait se produire"

Ce que souligne en fait la Gauche hollandaise c'est la plus grande difficulté d'une révolution en Europe occi­dentale, dont le cours est "plus lent et plus diffi­cile". Les recettes de Radek pour accélérer les événements au prix d'une dictature de la minorité dans le parti sont la voie de la défaite.

Dans les pays où domine la "vieille culture bourgeoise" avec un esprit d'individualisme et de respect devant l'éthique bourgeoise, la tactique blanquiste est impos­sible. Non seulement elle nie le rôle des masses, comme sujet révolutionnaire, mais elle sous-estime la force de l'ennemi et le nécessaire travail de propagande, comme préparation de la révolution.

C'est le développement de la conscience de classe, comme procès difficile, qui peut permettre le triomphe de la révolution. Dans cette direction, et pour la pre­mière fois de façon explicite, Pannekoek rejette la tactique syndicale. Il appuie pleinement la Gauche allemande qui préconise la formation d'organisations d'usine ([5] [71]) .Beaucoup moins claire restait Ta position des hollandais sur la question du parlementarisme révo­lutionnaire. Pannekoek avait fait paraître en effet une série d'articles dans Der Kommunist organe de l'opposition de Bremen, qui dans la plupart des ques­tions avait une attitude d'oscillations centristes entre la droite et la gauche. Tout en montrant l'impossibilité d'utiliser le parlementarisme comme "méthode de la révolution prolétarienne" ([6] [72]) à "l'ère impérialiste et révolutionnaire", Pannekoek semblait envisager l'utilisation de la tribune parlementaire dans les pays moins développés; selon lui, cette utili­sation dépendrait de "la force, du stade de développe­ment du capitalisme dans chaque pays". Cette théorie des "cas particuliers" aboutissait à la négation impli­cite de l'antiparlementarisme comme principe nouveau du mouvement révolutionnaire à l'ère de l'impérialisme dé­cadent -"période de crise et de chaos"- et valable mondialement, quel que soit le pays. Il ne s'agissait plus alors que d'une question de tactique à déterminer en fonction des forces productives d'un pays donné. Cette idée n'était qu'implicite, mais sera largement reprise par la suite par le courant "bordiguiste" dégénérescent. ([7] [73])

La conception théorique de la Gauche hollandaise se dé­veloppait lentement; elle s'enrichissait par la confrontation polémique et avec l'expérience de la ré­volution allemande. Elle apprit en réalité autant de la Gauche allemande que celle-ci de la Gauche hollandaise. Il y avait une interpénétration des différentes gauches, italienne incluse, au niveau international. La cristallisation, de façon presque achevée, des posi­tions de la gauche communiste, comme corps de doctrine, a été largement favorisée par la création du Bureau d'Amsterdam de l'Internationale communiste. Cette création est le point le plus haut de l'audience inter­nationale de la Gauche hollandaise dans le mouvement révolutionnaire mondial.

LE BUREAU D'AMSTERDAM (1919-1920)

L'isolement, au cours de l'année 1919, du centre de la 3e Internationale établi dans un pays plongé dans la guerre civile et entouré du cordon sanitaire des armées alliées, avait conduit le comité exécutif à décider l'installation de bureaux de l'Internationale en Europe occidentale. Ceux-ci avaient autant des tâches de pro­pagande que d'organisation des différents partis dépen­dant des bureaux respectifs. L'exécutif de PIC avait donc créé des bureaux en Scandinavie, dans les Balkans, dans le sud de la Russie et en Europe centrale à Vienne; simultanément était mis en place le "bureau latino-américain" de Mexico, à l'instigation de Borodine. Tous ces organismes, mal coordonnés, tradui­saient encore une grande confusion dans la centralisa­tion du travail international. Mais il était encore clair pour l'IC que dans un futur proche le centre de l'Internationale devrait être transporté, en Europe occidentale, avec le développement de la révolution. Les bureaux en question en étaient l'ébauche.

Mais à l'automne 1919, PIC mit en place simultanément un secrétariat provisoire pour l'Europe occidentale, siégeant en Allemagne, et un bureau provisoire, sié­geant en Hollande et en contact permanent avec celui-là. Ces deux organismes reflétaient bien l'état des tendances dans PIC Le secrétariat était sous la coupe de la droite, celle de Levi et Clara Zetkin, qui pen­chait vers les Indépendants; celui d'Amsterdam regroupait les communistes de gauche hostiles au cours vers la droite du KPD.

L'IC accordait une place particulière aux Hollandais pour mener au sein du bureau d'Amsterdam la propagande et l'établissement de liens entre partis communistes d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord. Les Hollandais devaient diriger ce travail. Par une déci­sion du 28 septembre 1919, l'Exécutif de PIC nommait Gorter, Pannekoek, Roland-Holst -tous à la gauche du CPN, Rutgers, Van Ravesteyn et Wijnkoop -ces deux derniers représentant la droite. Rutgers arriva début novembre pour mettre en place le "sous bureau" et orga­niser une conférence communiste internationale. Malgré les divergences avec les Hollandais, la confiance des bolcheviks était grande, particulièrement à l'égard de Pannekoek. Celui-ci était invité expressément à aller en Russie pour aider au travail théorique et servir d'expert. Pannekoek refusa pour rester indépendant ma­tériellement du gouvernement russe.

Dès le départ, par une série de manoeuvres, Wijnkoop fit en sorte que Pannekoek et surtout Gorter -qu'il faisait calomnieusement passer pour psychopathe- ([8] [74]) soient éliminés de la direction au Bureau. Ne restèrent plus, au mépris de la décision de PIC, que Rutgers, Roland-Holst et Wijnkoop. Il est vrai que Wijnkoop, durant la brève existence dû bureau, se donna une appa­rence de radicalité, semblant se situer à "gauche" de PIC. Il prit position contre le rapprochement du KPD avec l’USPD, contre l’entrée du PC anglais dans le Labour Party. Malgré ce radicalisme, il fit en sorte que sur des questions, comme la question parlementaire – lui-même étant député- se manifestât une position médiane. Dans les faits, il refusait de prendre posi­tion explicitement pour la Gauche communiste: en Allemagne, la lutte entre l'opposition allemande et la droite de Levi étaient définies par lui comme "une lutte entre bonzes de parti des deux directions". Mais l'apparent radicalisme de Wijnkoop dura peu, juste le temps d'exiger au 2e congrès de TIC l'exclusion des Indépendants et de Cachin et Frossard ([9] [75]). La seule exclusion qu'il obtint fut finalement celle de la gauche dans le CPN en 1921 (cf. infra).

En vue de la conférence internationale, qui devait se tenir en février 1920, des Thèses avaient été rédigées, à l’écriture desquelles participèrent Pannekoek et Roland-Holst ([10] [76]). Elles étaient précédées d'un appel à l'unité des communistes qui devaient se fondre en un seul parti, conformément aux décisions de l'Exécutif de l'IC.

Mais ces Thèses s'éloignaient peu ou prou de la ligne de l'IC. Les Thèses sur le parlementarisme -probablement rédigées par Rutgers- étaient un compromis entre les positions de la gauche communiste et celles de l'Internationale. Elles affirment que "le parlementa­risme ne peut jamais être une organe du prolétariat victorieux", ce qui est l'une des leçons de la Révolu­tion d'octobre. La théorie du parlementarisme révolu­tionnaire est défendue avec force:

"(...) l'action parlementaire comprenant les formes les plus énergiques de la protestation contre les brutali­tés impérialistes, et ceci en combinaison avec l'action de l'extérieur, se révélera un moyen effectif d'éveiller les masses et de susciter leur résistance. "

Il est vrai que cette assertion était accompagnée de restrictions: d'un côté, on affirmait que les parle­ments "dégénèrent de plus en plus en parades de foires où des escrocs abusent des masses", ce qui démontrait la vacuité du parlementarisme "révolutionnaire", de l'autre on soutient que l’électoralisme est une simple question à déterminer localement et non mondialement:

"... la question de savoir quand et comment le parle­mentarisme devra être utilisé dans la lutte des classes doit être réglée par la classe ouvrière de chaque pays." ([11] [77])

Ces thèses n'étaient qu'un projet; elles furent modi­fiées et réécrites par Pannekoek, probablement. Le re­jet du parlementarisme révolutionnaire apparaissait plus explicite, mais conditionnel, lié au surgissement des conseils ouvriers:

"(...) lorsque le parlement devient le centre et l'organe de la contre-révolution et que, d'autre part, la classe ouvrière construit les instruments de son pouvoir sous forme des soviets, il peut même s'avérer indispensable de répudier toute participation, quelle qu 'elle soit, à l'action parlementaire. "

Sur la question syndicale, les thèses étaient aussi une position de compromis. Il était préconisé que les ou­vriers révolutionnaires forment une "opposition révolu­tionnaire à l'intérieur des syndicats", ce qui était la position de l'IC qui rêvait de "révolutionner" les syn­dicats contre-révolutionnaires, sous prétexte que de larges masses s'y trouvaient rassemblées. D'un autre côté le Bureau d'Amsterdam envisageait la possibilité de former des "organisations nouvelles". Celles-ci de­vaient être des syndicats d'industrie, et non des syn­dicats corporatistes basés sur le métier. Ces syndi­cats, d'inspiration révolutionnaire, seraient calqués sur les IWW et les shop stewards anglais. Là où, en fin de compte, le Bureau se démarquait expressément de l'IC, c'était sur le rôle des syndicats après la prise du pouvoir par le prolétariat: à la différence des Russes, qui ne voyaient plus dans les conseils -comme Trotsky ([12] [78])- qu'un "informe parlement ouvrier", les Hollandais rejetaient vigoureusement l'idée que les syndicats pourraient "construire la nouvelle société prolétarienne". Ce rôle incombe aux soviets, organismes politiques unitaires du prolétariat.

L'influence de la révolution allemande, mais aussi celle de Pankhurst et Fraina, amena le Bureau à prendre des positions beaucoup plus tranchées, mieux étayées théoriquement et plus proches de celles de l'Opposition allemande. Le Bureau pouvait devenir le centre de re­groupement de toute la gauche communiste internatio­nale, opposée aux orientations de l'IC dans les ques­tions syndicale et parlementaire. C'est ce que montrè­rent les travaux de la conférence communiste internationale tenue du 3 au 8 février 1920, à Amsterdam.

La conférence est très représentative des forces du communisme de gauche dans les pays développés. De cette tendance étaient présents Fraina des USA, Sylvia Pankhurst de Grande-Bretagne, Van Overstraeten de Belgique, Gorter, Pannekoek et Roland-Holst de Hollande, Cari Stucke ([13] [79]) de la gauche de Bremen. Les autres délégués se situaient soit au centre, comme Wijnkoop, Rutgers et Mannoury, soit carrément à droite, comme les membres du BSP, parti socialiste de "gauche", Willis et Hodgson. Etaient présents aussi un Indonésien et Maring-Sneevliet, délégué d'Indonésie ([14] [80]). Sans doute prévenus trop tard, arrivèrent après la fin de la conférence les délégués du KPD de Levi - Zetkin, Frôlich, Posener et Mûnzenberg -, le Suisse Herzog, anti-parlementaire, et le secrétaire du bureau latino-américain, F.K. Puerto ([15] [81]). Le délégué de Finlande et celui d'Espagne arrivèrent eux aussi trop tard...

Cette conférence s'apparentait à un congrès internatio­nal par sa durée, l'ampleur de ses travaux et l'importante participation de délégués de différents pays de trois continents. Elle était plus représenta­tive que les précédentes conférences d'Imola et de Francfort oui l'avaient annoncée ([16] [82]). Il faut noter que les Hollandais étaient pourtant loin d'être à la hauteur pour le travail clandestin. Toute la conférence se trouvait sous la surveillance de la police néerlan­daise et d'espions, qui notèrent tout ce qui se déci­dait et disait ([17] [83]). Clara Zetkin fut arrêtée à son ar­rivée à Amsterdam et ne fut libérée que par l'intervention du social-démocrate de droite Wibaut, qui s'était rendu tristement célèbre en 17 dans la répression des ouvriers. Hommage rendu à la peu "extré­miste" direction du KPD?

Qualifiée de "conférence-croupion" par Clara Zetkin, la conférence internationale a représenté le communisme de gauche dans deux questions essentielles: le rejet du syndicalisme et le refus de tout entrisme dans les or­ganisations liées à la 2e Internationale, tel le Labour Party.

Les thèses de Fraina sur le syndicalisme, votées à l'unanimité, vont plus loin que les thèses provisoires mentionnées plus haut. Elles excluent tout travail dans les "syndicats de métier", qui sont "intégrés définiti­vement dans le capitalisme", et rattachés politiquement au travaillisme, dont la "forme d'expression gouverne­mentale est le capitalisme d'Etat". Elles préconisent le syndicalisme révolutionnaire d'industrie après la prise du pouvoir, en les assimilant aux conseils d'usine, les thèses sont un rejet implicite de l’apolitisme des IWW. En préconisant l'unionisme indus­triel, la Gauche communiste du Bureau est bien plus proche, en apparence, du KAPD. Mais en apparence seule­ment, car plus tard le KAPD comme la minorité du CPN rejetteront la forme syndicale, fût-elle d'industrie et d'orientation révolutionnaire.

Mais dans le Bureau, la confusion demeurait entre parti politique et syndicat révolutionnaire. Malgré l'opposition très forte de Fraina et Pankhurst, la conférence acceptait la représentation des organisa­tions économiques du type shop stewards dans le Bureau. Cette décision était d'ailleurs celle de l'IC jusqu'au 2e congrès...

La décision la plus importante de la conférence concerne la Grande-Bretagne. Dans ce pays existaient un très fort Labour Party, lié à la 2e Internationale, et des partis socialistes de gauche --BSP, ILP ([18] [84]), com­parables à l'USPD en Allemagne. Lénine, et avec lui TIC voulaient que les groupes communistes adhérent au Labour Party pour gagner "les masses". Cela était en contradiction avec le mot d'ordre de scission des révo­lutionnaires d'avec la 2e Internationale, considérée comme morte, et dont les partis encore adhérant étaient considérés non comme l'aile droite du mouvement ouvrier mais comme l'aile gauche de la bourgeoisie, et là où la "gauche" prédominait comme courant "centriste". Au dé­but de 1920, la politique de l'IC change en préconisant la formation de partis de masses: soit par la fusion des groupes communistes avec les courants centristes majoritaires, tels les Indépendants en Allemagne, soit par l'entrisme des petits groupes communistes dans un parti de la 2e Internationale, dans le "cas particu­lier" de la Grande-Bretagne. Mais une politique des "cas particuliers" aboutit toujours à une politique opportuniste.

La résolution adoptée par la conférence était celle de Fraina. Elle remplaçait celle de Wijnkoop, trop vague, qui éludait les questions de l'unité des communistes et de la scission. Fraina mit en avant la nécessité de se séparer non seulement des sociaux patriotes mais aussi des "opportunistes", c'est-à-dire du courant naviguant entre la 2e et la 3e Internationale. Position identique à celle de Bordiga ([19] [85]). Il est symptomatique que la résolution pour la scission en vue de former le parti communiste et contre la "prétendue possibilité que le nouveau parti communiste anglais puisse être lié au parti travailliste" -selon les termes de Pankhurst - fut rejetée par les délégués du BSP et un délégué hollandais (C. Van Leuven). Telle quel la résolution apparaissait comme une décision valable aussi bien contre le Labour Party que contre l'USPD.

De fait, le Bureau d'Amsterdam devenait le centre de l'opposition de gauche dans la 3e Internationale, avec pouvoir exécutif, puisqu'il exigeait que le Secrétariat de Berlin, aux mains de la droite, se cantonne dans les affaires d'Europe orientales. Le sous bureau américain ([20] [86]) pour lequel le PC d'Amérique de Fraina était man­daté, pouvait devenir un centre de propagande de la gauche sur tout le continent américain. Devant ce dan­ger, et au moment même où le Bureau saluait la forma­tion du KAPD en Allemagne, l'IC décida de le dissoudre -par simple message radio de Moscou- le 4 mai 1920. Désormais le centre de l'opposition se déplaçait vers l'Allemagne, mettant fin à toute velléité d'opposition de la part de la direction de Wijnkoop et de la majo­rité du CPN.

CH. (à suivre)



[1] [87] Le KAPD était très hostile à l'anarcho-syndicalisme, représenté par la FAUD, née en 1919, qui eut en mars 1920 une position pacifiste lors du putsch de Kapp, alors que la gauche communiste participait aux combats armés dans la Ruhr. Le KPD, de son côté, ne dédaignait pas le syndicalisme révolutionnaire de la FAU de Gelsenkirchen, qui en 1920-21 passa sous son contrôle.

[2] [88] Radek tentera néanmoins de s'opposer de sa prison à la volonté de scission de Levi. Une fois celle-ci consommée, Lénine, mis au courant, se prononça clairement pour l'unité du parti, voyant dans l'Opposition un signe de jeunesse et d'inexpérience.

[3] [89] A. Pannekoek, sous le pseudonyme de K. Horner: "Die Gewerkschaften", in Der Kommunist, 28 janvier 1920 et aussi cf. "Der Weg nach rechts", in Der Kommunist, 24.1.1920.

[4] [90] Cette citation et la suivante sont extraites de l'article de Karl Horner: "Der neue Blanquismus", in Der Kommunist, 1920, n° 27.

[5] [91] . Horncr, in Der Kommunist, n° 22, 1920.

[6] [92] K. Horner: "Taktische und organisatorische Streitfragen", in Der Kommunist, 13 déc. 1919.

[7] [93] Avant son éclatement en 1982, le courant "bordiguiste" envisageait de participer éventuellement aux élections dans certaines "aires géographiques" du "tiers-monde", où la "révolution bourgeoise" serait encore à l’ordre du jour.

[8] [94] C’est ce que déclara Wijnkoop au congrès de Groningue du CPN en juin 1919. Gorter rompit toute relation personnelle avec lui.

[9] [95] Sur les autres questions -parlementarisme, syndicalisme— Wijnkoop resta silencieux. A son retour en Hollande, il se chargea de faire appliquer la ligne de TIC dans le CPN.

[10] [96] Il est difficile de savoir si Rutgers ou Pannekoek, ou les deux ensemble, ont rédigé ces Thèses sur le parlementarisme.

[11] [97] Les Thèses du bureau d'Amsterdam furent publiées comme propositions dans l'organe de TIC en janvier 1920: "Vorschlâge aus Holland", in Die Kommunistische Internationale, n° 4-5. Traduction dans Broue, op. cit., p. 364.

[12] [98] Trotsky, Terrorisme et communisme, éd. Prométhée, 1980, p. 119: "... la dictature des soviets n'a été possible que grâce à la dictature du parti: grâce à la clarté de sa vision théorique, grâce à sa forte organisation révolutionnaire, le parti a assuré aux soviets la possibilité de se transformer d'informes parlements ouvriers qu'ils étaient en un appareil de domination du travail."

[13] [99] Cari Stucke était un des dirigeants de la tendance brêmoise. D'abord antiparlementaire, au moment de la conférence d'Amsterdam, il défendit quelques mois plus tard la participation aux élections en avril 1920.

[14] [100] Sneevliet ne souffla mot pendant la conférence. Il était accompagné du sino-indonésien Tjun Sju Kwa, correspondant du CPN en Indonésie, présenté comme un "camarade chinois" (sic).

[15] [101] il s'agit sans doute du pseudonyme du Russe Borodine, chargé du secrétariat du Bureau latino-américain, et plus tard agent du Kominterm en Chine, où il joua un rôle non négligeable dans la défaite du prolétariat chinois, avec la politique d'adhésion du PC chinois dans le Kuomintang.

[16] [102] La conférence d'Imola du 10 octobre 1919 était une rencontre internationale de quelques délégués d'Europe occidentale avec la direction du PSI, à titre d'information. Sauf Pankhurst, les délégués étaient loin d'être à gauche. La conférence de Francfort de décembre 19 n'avait qu'un caractère informel. Le secrétariat qui en sortit comprenait Radek, Levi, Thalheimer, Bronski, Munzenberg et Fuchs, qui représentaient la tendance de droite de l'IC.

[17] [103] Le courrier de Fraina, Nosovitsky, qui participait à la conférence, était un policier. La police néerlandaise enregistra tous les débats d'une pièce voisine de la salle de conférence; et elle communiqua à la presse bourgeoise le contenu de ceux-ci. Plusieurs délégués furent arrêtés par la police.

[18] [104] BSP: Parti Socialiste Britannique, crée en 1911; il est la principale force constituante du CPGB (PC de Grande-Bretagne) en juillet 1920. ILP: Indépendant Labour Party, crée dans les années 1890 à partir de la société fabienne; non marxiste, il dénonça la guerre en 1914.

[19] [105] En Italie, la tendance "centriste" était représentée par le courant dit "maximaliste" de Serrati.

[20] [106] Le Sous Bureau devint après le 2e congrès de l'IC le Bureau panaméricain du Kominterm. Installé à Mexico, il était composé du japonais Katamaya, de Fraina et d'un nord-américain utilisant différents pseudonymes à consonance espagnole.

 

Géographique: 

  • Allemagne [107]
  • Hollande [108]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [109]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [66]

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