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Revue Internationale no 104 - 1er trimestre 2001

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Crise économique, Moyen-Orient : Les aberrations du capitalisme "démocratique"

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Pour ou contre la “mondialisation”, rassurants ou alarmants, les discours sur la situation internationale et ses perspectives sont unanimes sur une idée : la démocratie serait le seul système qui permettra à la société de progresser, de prospérer et le capitalisme serait la forme achevée de l'organisation économique, politique et sociale de l'humanité. “2000 n'a pas été vraiment la première année du 21e siècle. En termes substantiels, le 21e siècle a commencé en 1991 avec la chute du communisme soviétique, l'effondrement de l'ordre bipolaire eement de l'ordre bipolaire et l'essor du capitalisme global comme idéologie incontestée de notre ère.” (1)

Mais qu'en est-il de la multiplication des guerres locales et des massacres ? Pourquoi l'accroissement indéniable et la généralisation de la misère dans le monde ? Pourquoi l'augmentation du chômage et la dégradation des conditions d'existence du prolétariat ? Comment comprendre les famines, la recrudescence des épidémies, la corruption et l'insécurité croissantes ? D'où viennent les catastrophes dites naturelles et les menaces sur l'environnement à l'échelle planétaire ? Sinon du fait de la subsistance du capitalisme, de ces relations sociales, de ces rapports de production, qui n'ont que faire des besoins humains et répondent à la poursuite d'un seul objectif : le profit ; et “pas simplement la poursuite d'un profit tangible, mais d'un profit toujours croissant.” (2)

Face à cette objection on se trouve en présence de diverses réponses.

La “mondialisation” et la fable de la “démocratie”pour masquer le chaos capitaliste

Soit tout cela ne seraP>Soit tout cela ne serait qu'une exagération de cassandres qui refusent de voir les bienfaits du système actuel. Cette réponse est en général celle des thuriféraires du capitalisme libéral. Pour ces derniers les conséquences désastreuses de la survie du capitalisme sont le prix normal à payer dans ce système social, le résultat intangible d'une loi de la nature qui implique l'élimination des plus faibles et le salut seulement pour les plus forts.

Soit tous ces fléaux du monde moderne à l'aube du 21e siècle sont réels mais ils sont considérés avant tout comme des excès ou des imperfections, comme les conséquences d'erreurs commises par des responsables trop âpres au gain et pas assez soucieux du bien de tous. Ce serait le résultat du capitalisme “sauvage”. Il faudrait donc, selon ces conceptions, un contrôle, une régulation bien pensée, organisée par les gouvernements, par les Etats, par des organismes locaux, nationaux et internationaux adéquats (par exemple sur le mode des fameuses ONG, les organisations dites non gouvernementales). Cela pourrait gommer les effets dévastateurs de ce système, le transformer , le transformer en une véritable organisation de “citoyens”, en faire un authentique hâvre de paix et de prospérité pour tous. Cette réponse est en général, avec des variantes, celle de la gauche de l'appareil politique de la bourgeoisie, de la social-démocratie et des ex-partis staliniens, des écologistes. C'est la conception de la mouvance “anti-mondialisation”. Et on y trouve également les courants gauchistes qui mettent en sourdine leur phraséologie révolutionnaire traditionnelle pour apporter une contribution radicale au concert de défense de la démocratie. C'est le cas de toutes sortes de chapelles trotskistes ou ex-maoistes, anarchistes ou libertaires, tous des courants divers plus ou moins défroqués du gauchisme socialiste, communiste, libertaire des années 1970-80. Au delà des différences, tout le monde se réclame donc aujourd'hui de la démocratie, de l'extrême droite à l'extrême gauche.

Les contestataires qui prétendaient autrefois critiquer le cirque parlementaire ont démasqué leur vraie nature de fervents défenseurs de la démocratie bourgeoise autrefois honnie. Beaucoup sont d'ailleurs aujourd'hui, prat aujourd'hui, pratiquement dans tous les pays, aux commandes de l'Etat, à des postes de responsabilité dans d'honorables institutions, organismes et entreprises, bien intégrés au système. Pour les autres, qui se sont maintenus dans une opposition plus ou moins radicale aux gouvernements et à ces mêmes institutions (3), ils dénoncent les excès et les erreurs du système, mais au fond ne posent jamais la véritable question de la nature de ce système.

Un des meilleurs exemples de cette idéologie nous est régulièrement fourni par le mensuel français Le Monde diplomatique. Ainsi, dans le numéro de janvier 2001 de ce journal, on trouve que “Le nouveau siècle commence à Porto Alegre [au Brésil où se tient le 1er Forum social mondial fin janvier 2001]. Tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, contestent ou critiquent la mondialisation néolibérale vont se réunir... (...) Non pas pour protester comme à Seattle, à Washington, à Prague et ailleurs, contre les injustices, les inégalités et les désastres que provoquent, un peu partout dans le monde, les excès du néolibéraéolibéralisme. Mais pour tenter, dans un esprit positif et constructif cette fois, de proposer un cadre théorique et pratique permettant d'envisager une mondialisation de type nouveau et affirmer qu'un autre monde, moins inhumain et plus solidaire, est possible.” (4)

Et dans le même numéro, on trouve un article de Toni Negri, figure emblématique de Potere Operaio (5), qui développe l'idée qu'aujourd'hui il n'y a plus d'impérialisme mais un “Empire” capitaliste !? Le propos semble rester fidèle à la “lutte des classes” et à la “bataille des exploités contre le pouvoir du capital”. Mais ce n'est qu'une apparence. L'article prétend surtout inventer une sorte de nouvelle perspective à la lutte des classes. Ce qui l'amène tout droit sur un vieux terrain éculé : la nécessité de la défense de la démocratie en lieu et place de celle de la “révolution” ; l'identification de citoyens en lieu et place de l'identité de classe du prolétariat. “Ces luttes exigent, outre un salaire garanti, une nouvelle expression de la démocratie dans le contrôle des conditions politiques de itions politiques de reproduction de la vie. (...) la plupart de ces idées sont nées lors des manifestations parisiennes de l'hiver 1995, cette "Commune de Paris sous la neige" (!) qui exaltait (...) l'auto-reconnaissance subversive des citoyens des grandes villes.”

Quelles que soient les intentions subjectives de ces protagonistes de la contestation du système capitaliste, de ces défenseurs de la perspective de la démocratie, tout cela sert d'abord et avant tout objectivement à entretenir des illusions sur la possibilité de réformer ce système ou de le transformer graduellement.

Ce que la classe ouvrière a besoin de comprendre, contre ces vieilles idées réformistes remises au goût du jour, c'est que l'impérialisme, ce “stade suprême du capitalisme” comme disait Lénine, règne toujours en maître. Qu'il touche “tous les Etats, du plus petit au plus grand” comme disait Rosa Luxemburg. Qu'il est à la base de la multiplication des guerres locales et de la prolifération des massacres à travers le monde dans toutes les zones de conflits militaires. Face aux nombreuses questions et inqui&ea questions et inquiétudes sur l'inanité et l'absurdité du monde actuel, face à l'absence grandissante de perspective qui imbibe toute la société, face à cette ambiance pesante de vie au jour le jour, face au chacun pour soi, à la décomposition du tissu social, à la déliquescence de la solidarité collective, la classe ouvrière a besoin de comprendre que la perspective du capitalisme n'est pas un monde de citoyens qu'une bonne démocratie pourra faire vivre dans la paix, dans l'abondance et la prospérité. Ce que la classe ouvrière a besoin de comprendre c'est que la société actuelle est et reste une société de classes, un système d'exploitation de l'homme par l'homme, dont le moteur est le profit et le fonctionnement dicté par l'accumulation du capital. Que la démocratie est une démocratie bourgeoise, la forme la plus élaborée de la dictature de la classe capitaliste.

Ce qui a changé depuis 1991 ce n'est pas que le capitalisme aurait triomphé du communisme et se serait donc imposé comme le seul système social viable. Ce qui a changé c'est que le régime capitaliste et imp&eacuiste et impérialiste du bloc soviétique s'est effondré sous les coups de la crise économique et face à la pression militaire de son ennemi, le bloc occidental. Ce qui a changé c'est la configuration impérialiste de la planète qui régissait le monde depuis la seconde guerre mondiale. Ce n'est pas le communisme ou un système en transition vers le communisme qui s'est effondré à l'Est. Le véritable communisme, qui n'a encore jamais existé, reste à l'ordre du jour. Il ne pourra être instauré que par le renversement révolutionnaire de la domination capitaliste par la classe ouvrière internationale. Il est l'unique alternative à ce que promet la survivance de la société capitaliste : l'enfoncement dans un chaos indicible qui pourrait signifier à terme la destruction définitive de l'humanité.

La “nouvelle économie” en perdition, la crise ininterrompue

Alors que les festivités de l'an 2000 s'étaient tenues sous les auspices de l'euphorie de la “nouvelle économie”, l'année 2001 a commencé par une inquiétude clairement affichée sur la saichée sur la santé économique du capitalisme mondial. Les nouveaux gains prodigieux promis n'ont pas été au rendez-vous. Au contraire, après un an de déboires et de désillusions, les champions du e-business et de la net-économie ont multiplié les faillites et licencié à tour de bras, dans un contexte général morose. Quelques exemples : “Avec le refroidissement de la nouvelle économie, il y a eu une rafale d'annonces de licenciements. Plus de 36 000 emplois des "pointcom" ont été supprimés dans la seconde moitié de l'an dernier, y inclus 10 000 le mois dernier.” (6)

Nous avons analysé à plusieurs reprises dans les colonnes de cette Revue internationale la situation de la crise économique (7). Nous ne reviendrons pas en détail sur ces analyses dont les conclusions sont à nouveau confirmées aujourd'hui. En décembre dernier, les grands magazines de la presse internationale titraient “Chaos” (8) et “Un atterrissage brutal ?” (9). Au delà des grandes phrases rassurantes et creuses, la bourgeoisie a besoin de savoir ce qu'il en est vraiment des profits qu'elle peut ets qu'elle peut espérer de ses placements. Et il faut bien se rendre à l'évidence. La “nouvelle économie” n'est rien d'autre qu'un avatar de la “vieille économie”, c'est-à-dire tout simplement un produit non pas de la croissance mais bien de la crise de l'économie capitaliste. Le développement des communications via Internet n'est pas la “révolution” promise. L'utilisation à grande échelle d'Internet, aussi bien au niveau des échanges commerciaux et des transactions financières et bancaires qu'au sein des entreprises et des administrations, ne change rien aux lois incontournables de l'accumulation du capital qui exigent le bénéfice net, la rentabilité et la compétitivité sur le marché.

Tout comme n'importe quelle innovation technique, l'avantage compétitif procuré par l'utilisation d'Internet disparaît très rapidement à partir du moment où cette utilisation se généralise. Et, de plus, dans le domaine de la communication et des transactions, pour que la technique fonctionne et soit efficace, cela suppose que toutes les entreprises soient connectées. Et donc l'innovation que constitue l'utilisation de ce r l'utilisation de ce réseau contient elle-même la fin du propre avantage qu'elle est censée constituer !

Au départ, la grande “révolution technologique” de l'Internet devait permettre un développement colossal du “modèle” B2C, un acronyme qui signifie “business to consumer”, c'est-à-dire procurer un rapport direct du producteur au consommateur. En fait il s'agit tout bêtement de pouvoir consulter des catalogues et passer des commandes par correspondance électronique via Internet plutôt que par courrier ! Belle innovation ! Révolution technologique nous disait-on ? Très rapidement le B2C a été abandonné au profit du B2B, le “business to business”, la mise en rapport direct des entreprises entre elles. Le premier “modèle” misait sur des gains procurés par une vente par correspondance par courrier électronique, somme toute peu profitable puisque dédiée essentiellement à la consommation des ménages. Le second était censé mettre en rapport direct les entreprises. Les gains devaient alors provenir de deux “débouchés”. D'un côté les entreprises pouvaient gagtreprises pouvaient gagner de l'argent ou plutôt réduire leurs dépenses du fait de la réduction des intermédiaires dans leurs relations. Ce n'est déjà pas un vrai débouché mais une simple réduction des dépenses ! D'un autre côté on devait assister à l'ouverture d'un fabuleux “marché”, celui constitué par la nécessité de fournir sur Internet les services adéquats (annuaires, listes, catalogues, applications informatiques, moyens de paiement, etc) ; en fait le retour par la fenêtre des... intermédiaires qu'on venait de chasser par la porte. Merci Internet ! Là aussi il a bien fallu se rendre à l'évidence, le profit n'était pas au rendez-vous. Ces “modèles” économiques ont vite été abandonnés. 98 % des start ups de ces trois dernières années, ces entreprises de la “nouvelle économie” supposées constituer l'exemple de l'avenir radieux du développement capitaliste, ont disparu. Dans celles qui ont subsisté, les salariés, un temps euphoriques face à leur enrichissement (virtuel !) par les dividendes de stock options g&eacutetions généreusement octroyées et qui ne comptaient plus leurs heures de travail, ont déchanté. Il est significatif que les syndicats, qui délaissaient cette main d'oeuvre jusqu'à maintenant, arrivent en force sur le secteur. Non pas que le syndicalisme soit soudain devenu un défenseur des travailleurs (10), mais bien plutôt parce qu'il serait dangereux de laisser se développer librement la réflexion parmi des travailleurs brutalement dégrisés

Cette idéologie de la net-économie est une claire illustration de l'impasse de l'économie bourgeoise, du déclin historique des rapports de production capitalistes. Dans cette idéologie le profit devait paraît-il désormais être tiré du développement du commerce et non plus directement de la production. Le marchand devait en quelque sorte prendre le pas sur le producteur. Mais qu'est-ce que cette idéologie sinon l'aspiration au retour à un capitalisme de marchands tel qu'il existait à la fin du... Moyen âge. A l'époque le capitalisme commençait à se développer par l'essor du commerce, lequel allait briser les entraves des rapports de production féodaux qui eeacute;odaux qui enfermaient les forces productives dans le carcan du servage. Aujourd'hui, et depuis plus d'un siècle déjà, le marché mondial est entièrement conquis par le capitalisme et le commerce mondial engorgé par une surproduction généralisée qui ne parvient pas à trouver de débouchés suffisants. Le salut du capitalisme ne viendra pas d'un nouvel essor du commerce qui est complètement impossible dans les conditions historiques de l'époque actuelle.

Nous n'avons considéré dans cet article que la net-économie, parce que son effondrement au cours de l'année 2000 a été l'aspect le plus médiatisé de la crise économique capitaliste. Mais, comme poursuit le magazine cité plus haut, “les suppressions d'emplois sont allées bien au delà de la planète "pointcom". Il y a eu plus de 480 000 licenciements en novembre. General Motors licencie 15 000 ouvriers avec la fermeture d'Oldsmobile. Whirlpool réduit ses effectifs de 6300 ouvriers, Aetna en fait partir 5000.” (11) En effet l'année 2001 s'ouvre avec une accélération considérable de la crise. Aux Etats-Unis des mesures d'u-Unis des mesures d'urgence ont été prises par A. Greenspan, le patron de la Réserve fédérale, pour essayer de conjurer le spectre de la récession. La “nouvelle économie” a fait long feu et la crise de la “vieille économie” se poursuit inexorablement. Endettement colossal à tous les niveaux, attaques toujours plus fortes des conditions de vie du prolétariat à l'échelle internationale, incapacité d'intégrer dans les rapports de production capitalistes des masses croissantes de sans-travail, etc., telles sont les conséquences fondamentales de l'économie capitaliste. Les Etats, les banques centrales, les Bourses, le FMI, en général toutes les institutions financières et bancaires et tous les “acteurs” de la politique mondiale s'efforcent de réguler le fonctionnement chaotique de cette “économie de casino” (12), mais les faits sont têtus et les lois du capitalisme finissent toujours par s'imposer.

Tout comme dans le domaine économique où les différents discours servent surtout à masquer le déclin historique du capitalisme et la profondeur de la crise, dans le domaine de l'impérialisme les discoursrialisme les discours sur la paix servent à cacher un chaos grandissant et des antagonismes démultipliés à tous les niveaux. La situation actuelle au Moyen Orient en est un claire illustration

La paix dans l'impasseau Moyen-Orient

Lorsque cette Revue internationale paraîtra, le plan que Clinton essayait de faire passer à tout prix avant de quitter les affaires sera resté lettre morte comme c'était prévisible.

Les protagonistes de ce “processus de paix” ne savent pas vraiment eux-mêmes comment faire face à la situation. Chacun essaie de défendre au mieux ses positions sans qu'aucune des parties soit capable de proposer une issue stable et viable à l'imbroglio que constitue la situation de guerre endémique qui perdure dans cette région du monde. L'Etat d'Israel est bien décidé à lâcher le moins possible de ses prérogatives et l'Autorité palestinienne sous la houlette d'Arafat ne peut accepter quoi que ce soit qui apparaîtrait comme une capitulation de ses ambitions.

L'Etat d'Israel défend une position de force acquise depuis sa fondation en 1947, au travers de plusieurs guerres contre les Etats arabes voisins (Jordanie, Syrie, Liban(Jordanie, Syrie, Liban et Egypte), avec le soutien indéfectible des Etats-Unis. Bastion de la résistance du bloc impérialiste occidental à l'offensive menée depuis les années 1950 par le bloc impérialiste russe, via les Etats arabes qui s'inféodèrent à l'URSS, l'Etat d'Israel s'est forgé un place de gendarme de cette région du monde qu'il n'est pas prêt de se laisser contester.

Mais depuis l'effondrement du bloc impérialiste russe il y a dix ans, la situation a évolué. Les Etats-Unis ont réorienté leur politique au Moyen-Orient. La guerre du Golfe en 1991 avait pour objectif d'imposer la reconnaissance du statut de superpuissance mondiale des Etats-Unis face aux velléités des alliés du bloc occidental comme la Grande-Bretagne, la France, et surtout l'Allemagne, de prendre leurs distances avec leur parrain devenu encombrant. La discipline de bloc n'était désormais plus de mise puisque la menace du bloc adverse avait disparu. Mais la guerre du Golfe avait aussi un second objectif, celui d'imposer la mainmise totale des Etats-Unis sur le Moyen-Orient.

Dans la période du partage du monde en deux grands blocs impérialistes, l'administration am&eacutedministration américaine pouvait tolérer que ses alliés tiennent des positions influentes sur la scène impérialiste dans certaines régions du monde. Elle pouvait même déléguer à certains d'entre eux la charge de mener une politique extérieure qui, même si elle manifestait parfois des oppositions aux intérêts américains, était de toute façon contrainte de s'inscrire dans l'orbite du bloc occidental. Au Moyen-Orient, la Grande-Bretagne pouvait ainsi avoir une influence prépondérante au Koweit, la France au Liban et en Syrie, l'Allemagne et la France en Irak, etc. En 1991, la guerre du Golfe donnait le signal de la volonté des Etats-Unis de reprendre en charge totalement par eux-mêmes la “pax americana”. La conférence de Madrid en octobre 1991 puis les négociations d'Oslo à partir du début 1993 allaient déboucher sur la signature de la déclaration de principe israélo-palestinienne à Washington en septembre 1993, sous la seule autorité des Etats-Unis, sans les anciens alliés. En mai 1994, Arafat et Rabin signaient au Caire l’accord d’autonomie Gaza-Jéricho et l'armée israélienne entamait un retrait entamait un retrait pour permettre l'arrivée triomphale de Yasser Arafat à Gaza en juillet 1994.

Mais cette évolution allait provoquer de la part d'une fraction significative de la bourgeoisie israélienne une véritable rupture avec la politique des Etats-Unis, pour la première fois de la courte histoire de ce pays. En novembre 1995 Rabin était assassiné par “un extrémiste”. C'était la période où le Likoud de Netanyahou devait sérieusement entraver les plans de la diplomatie américaine. Les Etats-Unis allaient reprendre la main en mai 1999 par le retour aux affaires du Parti travailliste avec Ehoud Barak comme premier ministre, ce qui devait aboutir à l'accord de Charm el-Cheikh entre Arafat et Barak en septembre 1999. Pourtant, le sommet de Camp David de juillet 2000, supposé constituer le couronnement de la capacité des Etats-Unis à imposer leur paix au Moyen-Orient, capote et s’achève sans accord. Dans cet épisode, la politique de l'un des anciens alliés, la France, constitue ouvertement une tentative de sabotage de la politique des Etats-Unis que ceux-ci dénoncent d'ailleurs ouvertement comme telle. Et, en Israël même, c'est le retour en forcele retour en force de la résistance au “processus de paix” à l'américaine, avec la fameuse visite d’Ariel Sharon, vieux faucon du Likoud, sur l’esplanade des Mosquées en septembre 2000, ce qui va donner le signal de nouveaux affrontements violents qui gagnent rapidement la Cisjordanie et la Bande de Gaza. En octobre 2000, un nouveau sommet de Charm el-Cheikh qui prévoit l’arrêt des violences, la création d’une commission d’enquête et la reprise des négociations, n'aboutit à rien sur le terrain où l’Intifada et la répression continuent.

Aujourd'hui, la situation n'est donc plus la même que celle des guerres ouvertes comme la Guerre des six-jours de 1967 ou la Guerre du Kippour de 1973 quand l'armée israélienne affrontait directement les armées des Etats arabes, au sein desquelles participaient les différents Fronts de libération de la Palestine. Elle n'est pas non plus la même que celle de la guerre de 1982 où Israël avait envahi le Liban et avait encouragé les massacres en masse des réfugiés des camps palestiniens de Sabra et Chatila par les milices chrétiennes, ses alliés (plus de 20 000 victimes en quelques jours)es en quelques jours). Il s'agissait encore d'une situation où dominait avant tout le clivage fondamental entre les grands blocs impérialistes, au delà des oppositions circonstancielles pouvant exister au sein des forces du même bloc. Et même si Yasser Arafat, depuis sa première venue à la tribune des Nations Unies en 1976, essayait de s'attirer les bonnes grâces de la diplomatie américaine, il restait encore et toujours, aux yeux de cette dernière, suspect de connivence avec “l'Empire du mal” - expression du président américain de l'époque, Reagan, pour qualifier l'URSS.

Aujourd'hui, il y a des clivages partout. La bourgeoisie israélienne ne se considère plus indéfectiblement liée à la tutelle des Etats-Unis. Déjà, dès la guerre du Golfe en 1991, une fraction significative de celle-ci, dans l'armée notamment, s'était élevée contre l'interdiction qui avait été faite à Israël de riposter militairement aux tirs de missiles irakiens sur son territoire. Alors que l'armée israélienne était (et est encore) une des plus efficaces et opérationnelles, l'humiliation d'être contrainte à la pate à la passivité et de s'en remettre pour sa défense à l'Etat-major américain avait été une pillule très amère. Ensuite, le “processus de paix” qui met quasiment sur un pied d'égalité israéliens et palestiniens, qui impose le retrait de l'armée israélienne du sud Liban, qui envisage de céder le plateau du Golan, etc., n'est pas du tout du goût de la fraction la plus “radicale” de la bourgeoisie israélienne. Et ce “processus de paix” n'est pas non plus facilement acceptable comme tel pour le parti travailliste de Barak. Même si ce parti est plus proche des Etats-Unis que le Likoud et qu'il a surtout une vision à long terme plus réaliste de la situation du Moyen-Orient, il est le parti de la guerre, celui qui a mené l'armée et les principales campagnes militaires. Il est d'ailleurs celui sous l'autorité duquel se sont le plus développées les fameuses implantations des colons en territoire palestinien ! Contrairement aux idées reçues et aux mystifications, la gauche, le parti travailliste n'est pas plus porté à “la paix” que la droite, le Likoud. S'il existe des nuances, il n'y a pas de divery a pas de divergence fondamentale entre ces deux fractions de la bourgeoisie israélienne. Il y a toujours eu unité nationale dans la guerre comme dans la “paix” (les accords de paix avec l'Egypte avaient été menés par la droite dans les années 1970).

Mais il n'y a pas que l'Etat d'Israel qui soit susceptible d'avoir des velléités de jouer son propre jeu et d'essayer de s'affranchir de la tutelle des Etats-Unis. La Syrie a pu mettre la main sur le Liban moyennant un marchandage de son attitude “neutre” dans la guerre du Golfe en 1991. Pour autant il est exclu, de son point de vue, d'accepter l'annexion du plateau du Golan conquis par Israël en 1967. Là aussi il y a matière à friction. Et au sein même de la bourgeoisie palestinienne, l'organisation du Fatah d'Arafat et les organisations plus radicales sont loin d'être d'accord entre elles. Toute la région, à l'image de la situation mondiale, est en proie à la montée du chacun pour soi. L'influence largement prépondérante de la diplomatie américaine est en fait très superficielle, recouvrant un grand nombre de barils de poudre toujours prêts à exploser dans le contexte de surarmement de tous les rarmement de tous les protagonistes de la région.

Quant aux autres grandes puissances impérialistes, si elles ne peuvent pas ouvertement saboter les initiatives des Etats-Unis sous peine de se voir mises hors jeu, comme c'est le cas actuellement de la diplomatie française, si toutes sont officiellement rentrées dans le rang pour soutenir le “processus de paix”, ceci n'exclut pas qu'en sous-main elles entreprennent des actions visant à faire capoter le plan Clinton, ou tout autre plan de la diplomatie américaine d'ailleurs. Arafat lui-même en appelle parfois à l'implication de l'Union européenne dans les négociations car il aimerait bien ne pas dépendre seulement des Etats-Unis pour sa survie politique. Ceci dit, ce n'est pas avec l'UE qu'il va discuter, mais avec l'Administration américaine.

Dans ce chacun pour soi qui domine aujourd'hui, à part les Etats-Unis qui font tout pour maintenir leur statut de seule superpuissance militaire de la planète et hormis l'Allemagne qui poursuit en arrière-plan une politique impérialiste discrète et masquée pour accroître son influence qui avait été complètement bridée depuis la 2e guerre mondiale pendant la & mondiale pendant la “guerre froide”, aucune autre des grandes puissances ne peut avoir de vision à long terme. Et aucun des Etats moins puissants non plus. Chacun s'efforce de défendre ses intérêts nationaux, de se défendre là où il est attaqué, en particulier en sapant et en semant le désordre dans les positions de l'adversaire. Aucun d'eux n'est capable aujourd'hui de mettre en place une politique constructive et durable. Au Moyen Orient, l'heure n'est pas à la stabilisation de la situation. Même une “paix armée” comme elle a pu perdurer en Europe de l'Est pendant la “guerre froide” n'est plus possible aujourd'hui.

Quant à la possibilité de la création de l'Etat palestinien, l'incommensurable absurdité de la configuration du projet lui-même ferait presque apparaître l'organisation des bantoustans de l'Apartheid en Afrique du sud comme une structure sociale rationnelle ! Il y a les Territoires sous contrôle exclusif de l'Autorité palestinienne : c'est sur la carte quelques grosses taches en Cisjordanie avec la bande de Gaza, mais pas tout entière. Il y a les Territoires sous contrôle mixte, où Israël est responsable de la sénsable de la sécurité : d'autres taches en Cisjordanie seulement. Et le tout se situe dans l'environnement des Territoires de Cisjordanie sous le contrôle exclusif d'Israël, avec des routes spécialisées pour protéger les colonisations israéliennes... Comment peut-on faire croire qu'une telle aberration contienne une once de progrès, un iota de satisfaction des besoins des populations, quelque chose à voir avec un prétendu “droit des peuples à disposer d'eux-mêmes”.

Toute l'histoire de la décadence du capitalisme a déjà montré combien tous les Etats nationaux qui n'avaient pas pu atteindre leur maturité au cours de la phase d'ascendance du mode de production capitaliste n'ont pas pu constituer un cadre économique et politique solide et viable à long terme, comme la Yougoslavie et l'URSS l'ont montré en se délitant. Les Etats hérités de la décolonisation partent en lambeaux en Afrique. La guerre fait rage en Indonésie, au Timor oriental. Le terrorisme sévit au sud de l'Inde au Sri Lanka. La tension est extrême à la frontière indo-pakistanaise, entre la Thaïlande et la Birmanie. En Amérique du sud, la Colom du sud, la Colombie est en proie à une déstabilisation permanente. La guerre est endémique entre Pérou et Equateur. Partout des frontières sont contestées car elles n'ont pas de réelle solidité faute d'avoir pu être vraiment acceptées et reconnues depuis le 19e siècle.

Dans ce contexte, non seulement “la patrie palestinienne ne sera jamais qu'un Etat bourgeois au service de la classe exploiteuse et opprimant ces mêmes masses, avec des flics et des prisons” (13), mais de plus cet Etat ne pourra être qu'une aberration, un Etat-croupion, un symbole non pas de la formation d'une nation mais de la décomposition dont est porteuse la survivance du capitalisme dans la période historique actuelle. Et le partage des souverainetés dans un entrelacement indescriptible de zones, de villes et de villages, de routes, attribués aux uns et aux autres, ce n'est pas un “processus de paix”, c'est un champ de mines pour aujourd'hui et pour demain, où tout peut être porteur de conflit à tout instant. C'est une situation où l'irrationalité du monde actuel est poussée à l'extrême.

oOo

Le 21e siècle commence avec uve;cle commence avec une nouvelle accélération des conséquences dramatiques pour l'humanité de la survivance du mode de production capitaliste. La prospérité promise par la “nouvelle économie” tout comme la paix promise au Moyen Orient ne sont pas au rendez-vous. Elle ne peuvent pas l'être car le capitalisme est un système décadent, un corps malade sous perfusion, qui ne peut entraîner dans sa décomposition actuelle que vers le chaos, la misère et la barbarie.

MG.

1. “Ideas: No, Economics Isn’t King”, F. Zakaria, Newsweek, Janvier 2001.

2. Rosa Luxemburg, L'accumulation du capital, Tome II, “IV. Critique des critiques ou : ce que les épigones ont fait de la théorie marxiste”, Ed. Maspéro 1967, p.141.

3. En réalité, ils ont pour la plupart des postes “officieux” (en France par exemple : Krivine de la Ligue communiste révolutionnaire, trotskiste, ou Aguiton, fondateur du syndicat “de base” SUD PTT) et même des fonctions de conseillers occultes des administrations de la gaucministrations de la gauche de la bourgeoisie.

4. Le Monde diplomatique, janvier 2001, “Porto Alegre”, I. Ramonet.

5. Groupe d'extrême-gauche extra-parlementaire italien dans les années 1960-70.

6. Time, 10 janvier 2001, “This Time It's Different”.

7. Voir ces dernières années les articles “La nouvelle économie : une nouvelle justification du capitalisme” (n° 102), “La fausse bonne santé du capitalisme” (n° 100), “Le gouffre qui se cache derrière la "croissance ininterrompue"” (n° 99), la série d'articles “Trente ans de crise ouverte du capitalisme” (n° 96, 97 et 98).

8. Newsweek, 18 décembre 2000.

9. The Economist, 9-15 décembre 2000.

10. Voir notre brochure Les syndicats contre la classe ouvrière.

11. Time, ibid.

12. Voir “Une économie de casino”, Revue internationale n° 87.

13. “Ni Israël, ni Palestine, les prolétaires n'ont pas de patrie”, Prise de position publiée dans toute la presse territoriale du CCI, en français dans Révolution internationale n° 307 et Internationalisme n° 269.

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Notes en anglais

1. “2000 was not really the first year of the 21st century. In substantive terms, the 21st century began in 1991 with the fall of Soviet communism, the collapse of the bipolar order and the rise of global capitalism as the uncontested ideology of our age.” (“Ideas: No, Economics Isn’t King”, F.Zakaria, Newsweek, Jan. 2001)

6. “As the new economy has cooled, there has been a steady drumbeat of layoff announcements. More than 36,000 dotcom employees were cut in the second half of last year, including some 10,000 last month.” (Time, January 10, 2001, “This Time It's Different”)

11. “But the firings went well beyond dotcomland. There were more than 480,000 layoffs through November. General Motors is laying off 15,000 workers with the closing of Oldsmobile. Whirlpool is trimming 6,300 workers; Aetna is letting go 5,000.” (Time, idem)

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Géographique: 

  • Moyen Orient [1]

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  • Crise économique [2]

A l'aube du 21e siècle...pourquoi le prolétariat n'a pas encore renverse le capitalisme (II)

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Le siècle qui commence sera décisif pour l'histoire de l'humanité. Si le capitalisme poursuit sa domination de la planète, la société sera plongée avant 2100 dans la plus totale barbarie, une barbarie à côté de laquelle celle qu'elle a connue au cours du 20e siècle fera figure d'une petite migraine, une barbarie qui la ramènera à l'âge de pierre ou qui carrément la détruira. C'est pourquoi, s'il existe un avenir pour l'espèce humaine, il est entièrement entre les mains du prolétariat mondial dont la révolution peut seule renverser la domination du mode de production capitaliste qui est responsable, du fait de sa crise historique, de toute la barbarie actuelle. Encore faut-il que le prolétariat soit capable dans l'avenir de trouver en lui-même la force qui lui a manqué jusqu'à présent pour accomplir cette tâche.

Dans la première partie de cet article, nous avons tenté de comprendre pourquoi le prolétariat avait échoué dans ses tentatives révolutionnaires du passé, notamment dans la plus grande d'entre elles, celle qui a débuté en 1917 en Russie. Nous avons mis en évidence que, du fait de la terrible défaite subie à l'issue de cette tentative, il avait manqué les autres rendez-vous que lui avait donnés l'histoire : la grande crise du capitalisme au cours des années 1930 et la seconde guerre mondiale. En particulier, nous avons souligné qu'à l'issue de cette dernière "le prolétariat a touché le fond. Ce qu'on lui présente, et qu'il interprète, comme sa grande «victoire», le triomphe de la démocratie contre le fascisme, constitue sa défaite historique la plus totale. Le sentiment de victoire qu'il éprouve, la croyance que cette «victoire» entraîne dans les «vertus sacrées» de la démocratie bourgeoise, cette même démocratie qui l'a conduit dans deux boucheries impérialistes et qui a écrasé sa révolution au début des années 1920, l'euphorie qui le submerge, sont les meilleurs garants de l'ordre capitaliste."

En Europe, c'est-à-dire le principal champ de bataille de la révolution et aussi de la guerre mondiale, la victoire alliée a paralysé pendant quelques années les luttes ouvrières. Si le ventre des prolétaires est vide, leur tête est pleine de l'euphorie de la "victoire". De plus, les politiques de capitalisme d'Etat que mènent tous les gouvernements d'Europe constituent un moyen supplémentaire de mystification de la classe ouvrière. Ces politiques correspondent fondamen­talement aux besoins du capitalisme européen dont l'économie a été ravagée par la guerre. Les nationalisations, de même qu'un certain nombre de mesures "sociales" (comme une plus grande prise en charge par l'Etat du système de santé) sont des mesures parfaitement capita­listes. Elles permettent à l'Etat de mieux planifier et coordonner la reconstruction d’un potentiel productif en ruines et en plein chaos. En même temps, elles permettent une gestion plus efficace de la force de travail. Par exemple, les capitalistes ont tout intérêt à disposer d'ouvriers en bonne santé, surtout à un moment où l'on demande à ces derniers un effort de production exceptionnel, avec des conditions de vie des plus précaires et où il existe une pénurie de main-d'oeuvre. Cependant, ces mesures capitalistes sont présentées comme des "victoires ouvrières", non seulement par les partis staliniens dont le programme contient l'étatisation complète de l'économie, mais aussi par les partis sociaux-démocrates et notamment par le parti travailliste en Grande-Bretagne. Cela explique pour­quoi, dans tous les pays d'Europe, les partis de Gauche, y compris les partis staliniens, sont présents au gouver­nement, soit dans des coalitions avec les partis de la Droite "démocratique" (comme la Démocratie chrétienne en Italie), soit à la tête du gouvernement (en Grande-Bretagne, c'est le travailliste Attlee qui remplace en juillet 1945 le conservateur Churchill au poste de premier ministre, malgré l'immense popularité de ce dernier et les services inestimables qu'il a rendus à la bourgeoisie anglaise).

Mais au bout de deux ans, comme ne sont pas tenues les promesses d'un "avenir meilleur" que les partis "ouvriers", socialistes et staliniens, leur avaient faites pour leur faire accepter les sacrifices les plus insupportables, les ouvriers commen­cent à mener toute une série de luttes. En France, par exemple, au printemps 1947, la grève dans la plus grande usine du pays, Renault, contraint le parti stalinien (dont le chef Maurice Thorez n'avait cessé auparavant d'appeler les ouvriers de tous les secteurs à "travailler d'abord, revendiquer ensuite") à quitter le gouvernement. Par la suite, ce parti, relayé par le syndicat qu'il contrôle, la CGT, lance toutes une série de grèves pour défouler la colère ouvrière avant qu'elle ne le surprenne, mais aussi et surtout pour faire pression sur les autres secteurs bourgeois pour qu'ils fassent à nouveau appel à ses services dans les ministères. Mais les autres partis bourgeois font la sourde oreille. Ils n'ont aucune crainte quant à la loyauté des staliniens dans la défense du capital national contre la classe ouvrière. Cependant la Guerre froide a commencé et dans les pays d'Europe occidentale les secteurs dominants de la bourgeoisie se sont rangés derrière les Etats-Unis. D'ailleurs, dans tous les autres pays d'Europe où les partis staliniens participaient au gouvernement, soit ils s'accaparent le pouvoir s'ils se trouvent dans la zone d'occupation russe, soit ils en sont chassés s'ils sont établis dans la zone d'occupation occidentale.

A partir de ce moment en Europe de l'ouest, les conditions de vie de la classe ouvrière commencent à connaître une petite amélioration. Cela n'a rien à voir avec une quelconque générosité de la bourgeoisie, évidemment. En réalité, les milliards de dollars du plan Marshall ont commencé à arriver afin d'attacher fermement la bourgeoisie d'Europe de l'Ouest au bloc américain et de saper l'influence des partis staliniens qui, désormais, sont à la tête des luttes ouvrières.

Dans les pays d'Europe de l'Est qui, eux, ne bénéficient pas de la manne américaine puisque les partis staliniens l'ont refusée sur ordre de Moscou, la situation tarde plus longtemps à s'améliorer quelque peu. Cependant, la colère ouvrière ne peut s'y exprimer de la même manière. Dans un premier temps, les ouvriers sont appelés à soutenir les partis communistes qui leur promettent monts et merveilles d'autant plus que ces derniers, non seulement participent aux gouvernements qui se sont mis en place au moment de la "Libération" (comme dans la plupart des pays occidentaux), mais qu'ils prennent la tête de ces gouvernements grâce au soutien de l'"Armée rouge" et qu'ils éliminent les partis "bourgeois". La mystification qu'on présente aux ouvriers est celle de la "construction du socialisme". Cette mystification remporte un certain succès, comme par exemple en Tchécoslovaquie où le "coup de Prague" de février 1948, c'est-à-dire la prise de contrôle du gouvernement par les staliniens, est réalisé avec la sympathie de beaucoup d'ouvriers.

Mais assez rapidement, dans les "démocraties populaires", le principal instrument du contrôle de la classe ouvrière est la force brute et la répression. Ainsi, le soulèvement ouvrier qui se développe en juin 1953 à Berlin Est et dans de nombreuses villes de la zone d'occupation soviétique est écrasé dans le sang par les chars russes ([1] [3]). Et si la colère ouvrière qui commence à se manifester en Pologne par la grande grève de Poznan de juin 1956 est désamorcée par le retour de Gomulka (un dirigeant stalinien exclu du parti en 1949 pour "titisme" et emprisonné de 1951 à 1955) à la tête du pays le 21 octobre 56, le soulèvement des ouvriers hongrois qui débute quelques jours après sera réprimé de façon sauvage par les tanks russes à partir du 4 novembre, faisant 25 000 morts et 160 000 réfugiés. ([2] [4])

Les émeutes ouvrières de 1953 et 1956 dans les pays "socialistes" étaient la preuve évidente que ces pays n'avaient rien "d'ouvrier". Cependant, tous les secteurs de la bourgeoisie vont dans le même sens pour empêcher les prolétaires de tirer les véritables leçons de ces événements.

Dans les pays de l'Est, la propagande "communiste", les références perma­nentes au "marxisme" et à "l'internationalisme prolétarien" des dirigeants staliniens constituent le meilleur moyen de détourner la colère ouvrière d'une perspective de classe et d'accroître les illusions des prolétaires envers la démocratie bourgeoise et le nationalisme. C'est ainsi que le 17 juin 1953, un immense cortège d'ouvriers de Berlin Est s'est dirigé vers l'ouest de la ville sur la grande avenue "Unter den Linden". L'objectif de ce cortège était de rechercher la solidarité des ouvriers de Berlin Ouest mais il contenait également l'illusion que les autorités occidentales pourraient venir en aide aux ouvriers de l'Est. Ces autorités, après qu'elles aient fermé leur secteur, ont toutefois par la suite, avec le cynisme qui les caractérise, rebaptisé "Unter den Linden" en "avenue du 17 juin". De même, les revendications de juin 1956 des ouvriers polonais, si elles contenaient évidemment des aspects économiques de classe, étaient fortement teintées d'illusions démocratiques et surtout nationalistes et religieuses. C'est pour cela que Gomulka, qui se présentait comme un "patriote" ayant tenu tête à la Russie et qui avait, dès son retour au pouvoir, fait libérer le cardinal Wyszynski (interné dans un monastère depuis septembre 1953) a pu reprendre le contrôle de la situation à la fin de 1956. De même, en Hongrie, l'insurrection ouvrière, si elle est capable de s'organiser en conseils ouvriers, reste fortement marquée par les illusions démocratiques et nationalistes. D'ailleurs, l'insurrection avait fait suite à la répression sanglante d'une mani­festation appelée par les étudiants qui revendiquaient l'instauration en Hongrie d'un cours "à la polonaise". De même, les mesures que décide à son retour Imre Nagy (un vieux stalinien limogé de son poste de chef du parti par la tendance "dure" en avril 55) ont pour but d'exploiter ces illusions afin de reprendre les choses en main : constitution d'un gouvernement de coalition et annonce du retrait de la Hongrie du pacte de Varsovie. Mais pour l'URSS, cette dernière mesure est inacceptable et elle décide de faire intervenir ses tanks.

L'intervention des troupes russes constitue évidemment un aliment supplémentaire du nationalisme dans les pays d'Europe de l'Est. En même temps, elle est utilisée abondamment par la propagande des secteurs "démocratiques" et pro-américains de la bourgeoisie des pays d'Europe occidentale alors que les partis staliniens de ces pays utilisent cette même propagande pour présenter l'insurrection des ouvriers de Hongrie comme un mouvement chauvin, voire "fasciste", à la solde de l'impérialisme américain.

Ainsi, tout au long de la "Guerre froide", et même quand celle-ci a laissé place à la "coexistence pacifique" après 1956, la division du monde en deux blocs constitue un instrument de premier ordre de mystification de la classe ouvrière. Dans les années 1930, comme nous l'avons vu dans la première partie de cet article, l'identification du communisme à l'URSS stalinienne avait provoqué une profonde démoralisation de certains secteurs de la classe ouvrière qui ne voulaient pas d'une société "à la soviétique" et qui s'étaient de nouveau tournés vers les partis sociaux-démocrates. En même temps, la majorité des ouvriers qui continuaient à espérer une révolution prolétarienne suivaient les partis staliniens qui se réclamaient de celle-ci dans leur politique de défense de la "Patrie socialiste" et de lutte "anti­fasciste", ce qui permit de les embrigader dans la seconde guerre mondiale. Dans les années 1950, le même type de politique continue de diviser et désorienter la classe ouvrière. Une partie de celle-ci ne veut plus rien savoir du communisme (identifié à l'URSS) alors que l'autre partie continue de subir la domination idéologique des partis staliniens et de ses syndicats. Ainsi, dès la guerre de Corée, l'affrontement Est-Ouest est mis à profit pour opposer les différents secteurs de la classe ouvrière et embrigader des millions d'ouvriers derrière le camp soviétique au nom de "la lutte contre l'impérialisme". Par exemple, le Parti communiste français et le Mouvement de la Paix qu'il contrôle, organisent le 28 mai 1952 une grande manifestation à Paris contre la venue du général américain Ridgway, commandant des troupes américaines en Corée. Comme Ridgway est accusé (en fait à tort) d'utiliser des armes microbiennes, la manifestation regroupant plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers (principalement des militants du PC) dénonce "Ridgway-la-Peste" et demande la sortie de la France de l'OTAN. Il y a des affrontements très violents avec la police et le numéro 2 du PCF, Jacques Duclos, est arrêté. La détermination du PCF à affronter la police et l'arrestation de son dirigeant "historique" redonnent une image de marque "révolutionnaire" à un parti qui, 5 ans auparavant, occupait les palais et les ministères de la République bourgeoise. A la même période, les guerres coloniales constituent une occasion supplémentaire de détourner les ouvriers de leur terrain de classe au nom, encore une fois, de la "lutte contre l'impérialisme" (et non de la lutte contre le capitalisme) face auquel l'URSS est présentée comme le champion du "droit et de la liberté des peuples".

Ce type de campagnes se poursuivra dans de nombreux pays tout au long des années 1950 et 1960, notamment avec la guerre du Vietnam où les Etats-Unis s'engagent massivement à partir de 1961.

S'il est un pays où la division du monde en deux blocs antagonistes a pesé d'un poids considérable, où la contre-révolution s'est manifestée avec une ampleur toute particulière, c'est bien l'Allemagne. Le prolétariat de ce pays avait constitué pendant plusieurs décennies l'avant-garde du prolétariat mondial. Les ouvriers du monde entier étaient conscients que le sort de la révolution se jouerait en Allemagne. C'est exactement ce qui s'est vérifié entre 1919 et 1923. La défaite du prolétariat de ce pays a déterminé la défaite du prolétariat mondial. Et la terrible contre-révolution qui s'y est abattue par la suite, avec le visage barbare du nazisme, était avec le stalinisme l'expression la plus claire de la contre-révolution qui s'est abattue sur les ouvriers de tous les pays.

Après la seconde guerre mondiale, la division de l'Allemagne en deux, chaque morceau appartenant à un des grands blocs impérialistes, a permis des deux côtés du rideau de fer une destruction massive de la conscience dans les masses ouvrières, faisant du prolétariat allemand, pendant plusieurs décennies, non plus l'avant-garde, mais l'arrière-garde du prolétariat d'Europe sur le plan de la combativité et de la conscience.

Cependant, l'élément essentiel qui paralyse la classe ouvrière tout au long de cette période et permet le maintien de soumission idéologique au capitalisme est la "prospérité" que connaît ce système avec la reconstruction des économies détruites par la guerre.

Entre la fin des années 1940 et le milieu des années 1960, le capitalisme mondial connaît ce que les économistes et politiciens bourgeois ont appelé les "trente glorieuses" puisqu'ils comptent la période qui va de 1945 à 1975 (année marquée par une très forte récession mondiale), sans compter les difficultés qui s'étaient déjà manifestées en 1967 et 1971.

Nous n'allons pas examiner ici les causes ni de la croissance économique rapide de ces années ni celles de la fin de cette croissance, examen qui a fait l'objet de nombreux articles dans cette Revue internationale ([3] [5]). Ce qu'il est important de signaler c'est que la crise ouverte qui commence à se développer à partir de 1967 (ralentissement de l'économie mondiale, récession en Allemagne, dévaluation de la Livre sterling, montée du chômage) constitue une nouvelle confirmation du marxisme, lequel a toujours: annoncé que le capitalisme était incapable de surmonter définitivement ses contradictions économiques, responsables, en dernier ressort, des convulsions du 20e siècle (et notamment des deux guerres mondiales). Ce qu'il est important de signaler c'est que la crise ouverte qui commence à se développer à partir de 1967 (ralentissement de l'économie mondiale, récession en Allemagne, dévaluation de la livre sterling, montée du chômage) constitue une nouvelle confirmation du marxisme, lequel à toujours :

  • annoncé que le capitalisme était incapable de surmonter définitivement ses contradictions économiques, responsables, en dernier ressort, des convulsions du 20e siècle ( et notamment des deux guerres mondiales) ;
  • considéré que les périodes de prospérité du capitalisme étaient celles où ce système avait les assises politiques et sociales les plus solides ([4] [6]) ;
  • basé la perspective d'une révolution prolétarienne sur la faillite du mode de production capitaliste ([5] [7]).

En ce sens, la soumission idéologique de la classe ouvrière au capitalisme, l'ensemble des mystifications qui ont réussi à maintenir éloignées les masses ouvrières de toute perspective d'une remise en cause du capitalisme ne pouvaient être dépassées qu'avec la fin du "boom" d'après-guerre.

C'est justement ce qui est advenu en 1968.

La sortie de la contre-révolution

Fin 1967, alors que tous les idéologues de la bourgeoisie continuaient de célébrer les fastes de l'économie capitaliste, alors que certains, qui pourtant se réclamaient de la révolution et même du marxisme, ne parlaient plus que de la capacité de la société bourgeoise à "intégrer" la classe ouvrière ([6] [8]), alors même que les groupes issus de la Gauche communiste qui s'était dégagée de la 3e Internationale dégénérescente ne voyaient pas la moindre sortie du tunnel, la petite revue Internacionalismo (devenue la publication du CCI au Venezuela) publiait un article intitulé "1968, une nouvelle convulsion du capitalisme commence", qui se concluait ainsi :

"Nous ne sommes pas des prophètes, et nous ne prétendons pas deviner quand et de quelle façon vont se dérouler les événements futurs. Mais ce dont nous sommes effectivement sûrs et conscients, concernant le processus dans lequel est plongé actuellement le capitalisme, c'est qu'il n 'est pas possible de l'arrêter avec des réformes, des dévaluations ni autre type de mesures économiques capitalistes et qu 'il mène directement à la crise. Et nous sommes sûrs également que le processus inverse de développement de la combativité de la classe, qu'on vit actuellement de façon générale, va conduire la classe ouvrière à une lutte sanglante et directe pour la destruction de l'Etat bourgeois."

Le seul mais grand mérite de nos camarades qui avaient publié cet article était d'être restés fidèles aux ensei­gnements du marxisme lesquels allaient se vérifier magistralement quelques mois après. En effet, en mai 1968, éclatait en France la plus grande grève de l'histoire, celle où le plus grand nombre d'ouvriers (près de 10 millions) allaient simul­tanément arrêter le travail.

Un événement d'une telle ampleur était le signe d'un changement fondamental dans la vie de la société : la terrible contre-révolution qui s'était abattue sur la classe ouvrière à la in des années 1920, et qui s'était poursuivie pendant deux décennies après la seconde guerre mondiale, avait pris fin. Et cela s'est confirmé rapidement dans toutes les parties du monde par une série de luttes d'une importance inconnue depuis des décennies :

  • l'automne chaud italien de 1969, baptisé aussi "mai rampant", qui voit des luttes massives dans les principaux centres industriels et une remise en cause explicite de l'encadrement syndical ;
  • le soulèvement des ouvriers de Cordoba en Argentine, la même année ;
  • les grèves massives des ouvriers de la Baltique en Pologne, durant l'hiver 1970-71 ;
  • de multiples autres luttes les années suivantes dans pratiquement tous les pays européens et notamment l'Angleterre (le plus vieux pays capitaliste du monde), l'Allemagne (le plus puissant pays d'Europe et pays phare du mouvement ouvrier depuis la seconde partie du 19e siècle) et même l'Espagne (soumise encore à l'époque à la dictature féroce du franquisme).

En même temps que se produisait ce réveil des luttes ouvrières, on pouvait assister à un retour en force de l'idée de la révolution, laquelle était discutée par de nombreux ouvriers en lutte, particulièrement en France et en Italie qui avaient connu les mouvements les plus massifs. De même, ce réveil du prolétariat s'est manifesté par un intérêt accru pour la pensée révolutionnaire, les textes de Marx-Engels et les écrits marxistes, notamment ceux de Lénine, Trotsky et Rosa Luxemburg, mais aussi ceux des militants de la Gauche communiste, comme Bordiga, Gorter et Pannekoek. Cet intérêt s'est concrétisé par le surgissement de toute une série de petits groupes tentant de rejoindre les positions de la Gauche communiste et de s'inspirer de son expérience.

Nous n'allons pas ici faire le tableau de l'évolution des luttes ouvrières depuis 1968 ni des groupes se réclamant de la Gauche communiste. ([7] [9]) En revanche, nous allons essayer de mettre en évidence pour quelles raisons ne s'est pas encore réalisée, trois décennies après, la prévision faite par nos camarades du Venezuela en 1967 : la "lutte sanglante et directe pour la destruction de l Etat bourgeois".

Les obstacles qu'a rencontrés le prolétariat tout au long de ces trente dernières années ont été au fur et à mesure mis en évidence par notre organisation. Aussi la partie qui suit n'est fondamentalement qu'un simple résumé de ce que nous avons dit en d'autres occasions.

La première cause de la longueur du chemin qui conduit aujourd'hui à la révolution communiste est d'ordre objectif. La vague révolutionnaire qui avait démarré en 1917 et s'était étendue par la suite dans de nombreux pays était une réponse à une aggravation soudaine et terrible des conditions de vie de la classe ouvrière : la guerre mondiale. Moins de trois ans avaient suffi pour que le prolétariat, qui était entré dans la guerre "la fleur au fusil", complètement aveuglé par les mensonges bourgeois, commence à ouvrir les yeux et à redresser la tête face à la barbarie à laquelle il était confronté dans les tranchées, à la terrible exploitation qu'il subissait à l'arrière.

La cause objective du développement des luttes ouvrières à partir de 1968 est l'aggravation de la situation économique du capitalisme que sa crise ouverte contraint d'attaquer toujours plus les conditions de vie des travailleurs. Mais contrairement aux années 1930, où la bourgeoisie avait totalement perdu le contrôle de la situation, la crise ouverte actuelle ne se développe pas sur une période de quelques années mais à travers un processus couvrant plusieurs décen­nies. Ce rythme lent du développement de la crise résulte du fait que la classe dominante a tiré les leçons de son expérience passée et qu'elle a systéma­tiquement mis en oeuvre toute une série de mesures lui permettant de "gérer" la descente dans le gouffre ([8] [10]). Cela ne remet pas en cause le caractère insoluble de la crise capitaliste mais permet à la classe dominante d'étaler dans l'espace et dans le temps les attaques qu'elle porte à la classe ouvrière tout en masquant pendant toute une période, y compris à ses propres yeux, le fait que cette crise n'a pas d'issue.

Le deuxième facteur permettant d'expli­quer la longueur du chemin de la révolution pour la classe ouvrière est le déploiement par la classe dominante de toutes une série de manoeuvres politiques destinées à épuiser ses luttes et à contrecarrer sa prise de conscience.

A grands traits on peut ainsi résumer les différentes stratégies de la bourgeoisie depuis 1968 :

  •   face à un premier surgissement des luttes ouvrières qui l'ont surprise, la bourgeoisie a mis en place la carte de "l'alternative de gauche", appelant les ouvriers à renoncer à leurs luttes pour permettre aux partis de gauche de mettre en oeuvre une autre politique économique censée surmonter la crise ;
  •  après que cette politique ait paralysé pendant un certain temps la combativité ouvrière, le surgissement d'une nouvelle vague de luttes à partir de 1978 (par exemple en 1979, la Grande-Bretagne connaît, avec 29 millions de jours de grève, la plus forte combativité ouvrière depuis 1926) conduit la bourgeoisie des principaux pays avancés (particulièrement en Angleterre, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie) à mettre en oeuvre la carte de la gauche dans l'opposition, où les partis qui se prétendent ouvriers et les syndicats qu'ils contrôlent développent un langage plus radical destiné à saboter de l'intérieur les luttes ouvrières ;
  •  cette politique explique en bonne partie le recul des luttes ouvrières à partir de 1981 mais ne peut empêcher la reprise de combats d'envergure dès l'automne 1983 (secteur public en Belgique, puis aux Pays-Bas, grève des mineurs anglais de 1984, grève générale au Danemark en 1985, grèves massives en Belgique au printemps 1986, grèves des chemins de fer en France de la fin 86, série de grèves en Italie en 1987, notamment dans le secteur de l'édu­cation, etc.)

La caractéristique la plus marquante de ces mouvements, et qui traduit une prise de conscience en profondeur au sein de la classe ouvrière, est la difficulté croissante des appareils syndicaux classiques à contrôler les luttes, ce qui se traduit par l'utilisation de plus en plus fréquentes d'organes se présentant comme non syndicaux, voire anti-syndicaux (comme les "coordinations" en France et en Italie en 1986-88), mais qui ne sont en réalité que des structures "de base" du syndi­calisme.

Tout au long de cette période, la bourgeoisie a déployé une quantité considérable de manoeuvres destinées à contenir la combativité ouvrière et à retarder la prise de conscience du prolétariat. Mais dans cette politique anti­ ouvrière, elle a été puissamment aidée par le développement d'un phénomène, la décomposition de la société capitaliste résultant du fait que si le surgissement historique du prolétariat à la fin des années 1960 avait empêché la bourgeoisie de donner sa propre réponse à la crise de son système, une nouvelle guerre impérialiste mondiale (comme la crise de 1929 avait débouché sur la seconde boucherie mondiale), il ne pouvait empêcher, tant qu'il n'avait pas renversé le capitalisme lui-même, l'ensemble des caractéristiques de la décadence de ce système de se développer toujours plus :

"Dans ce blocage momentané de la situation mondiale, l'histoire ne s'est pas arrêtée pour autant. Pendant deux décennies, la société a continué de subir l'accumulation de toutes les caracté­ristiques de la décadence exacerbées par l'enfoncement dans la crise écono­mique alors même que, chaque jour plus, la classe dominante faisait la preuve de son incapacité à surmonter cette dernière. Le seul projet que cette classe puisse proposer à l'ensemble de la société est celui de résister au jour le jour, au coup par coup, et sans espoir de réussite, à l'effondrement irrémédiable du mode de production capitaliste. Privée du moindre projet historique capable de mobiliser ses forces, même le plus suicidaire comme la guerre mondiale, la société capitaliste ne pouvait que s'enfoncer dans le pourrissement sur pied, la décomposition sociale avancée, le désespoir généralisé." ([9] [11])

L'entrée du capitalisme en décadence dans la phase ultime de celle-ci, celle de la décomposition a pesé d'un poids négatif croissant sur la classe ouvrière tout au long des années 1980 :

"Au départ, la décomposition idéolo­gique affecte évidemment en premier lieu la classe capitaliste elle-même et, par contrecoup, les couches petites-bourgeoises, qui n'ont aucune autonomie propre. On peut même dire que celles-ci s'identifient particulièrement bien avec cette décomposition dans la mesure où leur situation spécifique, l'absence de tout avenir, se calque sur la cause majeure de la décomposition idéologique : l'absence de toute perspective immédiate pour l'ensemble de la société. Seul le prolétariat porte en lui une perspective pour l'humanité et, en ce sens, c'est dans ses rangs qu 'il existe les plus grandes capacités de résistance à cette décomposition. Cependant, lui-même n'est pas épargné, notamment du fait que la petite bourgeoise qu'il côtoie en est justement le principal véhicule. Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique :

  •  l’action collective, la solidarité, trouvent en face d'elles l'atomisation, le «chacun pour soi», la «débrouille individuelle» ;
  •  le besoin d'organisation se confronte à la décomposition sociale, à la déstructuration des rapports qui fondent toute vie en société ;
  •  la confiance dans l'avenir et en ses propres forces est en permanence sapée par le désespoir général qui envahit la société, par le nihilisme, par le «no future» ;
  •  la conscience, la lucidité, la cohérence et l'unité de la pensée, le goût pour la théorie, doivent se frayer un chemin difficile au milieu de la fuite dans les chimères, la drogue, les sectes, le mysticisme, le rejet de la réflexion, la destruction de la pensée qui caractérisent notre époque. "

"Un des facteurs aggravants de cette situation est évidemment le fait qu’une proportion importante des jeunes générations ouvrières subit de plein fouet le fléau du chômage avant même qu 'elle n'ait eu l'occasion, sur les lieux de production, en compagnie des camarades de travail et de lutte, défaire l'expérience d'une vie collective de classe. En fait, le chômage, qui résulte directement de la crise économique, s'il n'est pas en soi une manifestation de la décomposition, débouche, dans cette phase particulière de la décadence, sur des conséquences qui font de lui un élément singulier de cette décomposition. S'il peut en général contribuer à démasquer l'incapacité du capitalisme à assurer un futur aux prolétaires, il constitue également, aujourd'hui, un puissant facteur de «lumpénisation» de certains secteurs de la classe, notamment parmi les jeunes ouvriers, ce qui affaiblit d'autant les capacités politiques présentes et futures de celle-ci. Cette situation s'est traduite, tout au long des années 1980, qui ont connu une montée considérable du chômage, par l'absence de mouvements significatifs ou de tentatives réelles d'organisation de la part des ouvriers sans emploi. Le fait qu'en pleine période de contre-révolution, lors de la crise des années 1930, le prolétariat, notamment aux Etats-Unis, ait pu se donner ces formes de lutte illustre bien, par contraste, le poids des difficultés que représente à l'heure actuelle, en raison de la décomposition, le chômage dans la prise de conscience du prolétariat. " ([10] [12])

Dans ce contexte de difficultés rencontrées par la classe ouvrière dans le dévelop­pement de sa prise de conscience allait intervenir fin 1989 un événement historique considérable, lui même manifestation de la décomposition du capitalisme, l'effondrement des régimes staliniens d'Europe de l'Est, de ces régimes que tous les secteurs de la bourgeoisie avaient toujours présenté comme "socialistes" :

"Les événements qui agitent à l'heure actuelle les pays dits «socialistes», la disparition de fait du bloc russe, la faillite patente et définitive du stalinisme sur le plan économique, politique et idéolo­gique, constituent le fait historique le plus important depuis la seconde guerre mondiale avec le resurgissement international du prolétariat à la fin des années 1960. Un événement d'une telle ampleur se répercutera, et a déjà commencé à se répercuter, sur la conscience de la classe ouvrière, et cela d'autant plus qu'il concerne une idéologie et un système politique présentés pendant plus d'un demi-siècle par tous les secteurs de la bourgeoisie comme «socialistes» et «ouvriers». Avec le stalinisme, c'est le symbole et le fer de lance de la plus terrible contre-révolution de l'histoire qui disparaissent. Mais cela ne signifie pas que le développement de la conscience du prolétariat mondial en soit facilité pour autant, au contraire. Même dans sa mort, le stalinisme rend un dernier service à la domination capita­liste : en se décomposant, son cadavre continue encore à polluer l'atmosphère que respire le prolétariat. Pour les secteurs dominants de la bourgeoisie, l'effondrement ultime de l'idéologie stalinienne, les mouvements «démo­cratiques», «libéraux» et nationalistes qui bouleversent les pays de l'Est constituent une occasion en or pour déchaîner et intensifier encore leurs campagnes mystificatrices. L'identi­fication systématiquement établie entre communisme et stalinisme, le mensonge mille fois répété, et encore plus martelé aujourd'hui qu'auparavant, suivant lequel la révolution prolétarienne ne peut conduire qu 'à la faillite, vont trouver avec l'effondrement du stalinisme, et pendant toute une période, un impact accru dans les rangs de la classe ouvrière. C'est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat, dont on peut dès à présent -notamment avec le retour en force des syndicats- noter les manifestations, qu'il faut s'attendre. Si les attaques incessantes et de plus en plus brutales que le capitalisme ne manquera pas d'asséner contre les ouvriers vont les contraindre à mener le combat, il n'en résultera pas, dans un premier temps, une plus grande capacité pour la classe à avancer dans sa prise de conscience. En particulier, l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes de la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats. " ([11] [13])

Cette prévision que nous avions faite en octobre 1989 s'est pleinement vérifiée tout au long des années 1990. Le recul de la conscience au sein de la classe ouvrière s'est manifesté par une perte de confiance en ses propres forces qui a provoqué le recul général de sa combativité dont on peut voir aujourd'hui encore les effets.

En 1989 nous définissions les conditions de la sortie du recul pour la classe ouvrière:

"Compte tenu de l'importance historique des faits qui le déterminent, le recul actuel du prolétariat, bien qu'il ne remette pas en cause le cours historique, la perspective générale aux affrontements de classes, se présente comme bien plus profond que celui qui avait accompagné la défaite de 1981 en Pologne. Cela dit, on ne peut en prévoirai 'avance l'ampleur réelle ni la durée. En particulier, le rythme de l'effondrement du capitalisme occidental -dont on peut percevoir à l'heure actuelle une accélération avec la perspective d'une nouvelle récession ouverte- va constituer un facteur déterminant du moment où le prolétariat pourra reprendre sa marche vers la conscience révolutionnaire. En balayant les illusions sur le «redressement» de l'économie mondiale, en mettant à nu le mensonge qui présente le capitalisme «libéral» comme une solution à la faillite du prétendu «socialisme», en dévoilant la faillite historique de l'ensemble du mode de production capitaliste, et non seulement de ses avatars staliniens, l'intensification de la crise capitaliste poussera à terme le prolétariat à se tourner de nouveau vers la perspective d'une autre société, à inscrire de façon croissante ses combats dans cette perspective." ([12] [14])

Et justement, les années 1990 ont été marquées par la capacité de la bourgeoisie mondiale, et particulièrement son principal secteur, celui des Etats-Unis, de ralentir le rythme de la crise et de donner même l'illusion d'une "sortie du tunnel". Une des causes profondes du faible degré de combativité actuel de la classe ouvrière, en même temps que ses difficultés à développer sa confiance en elle et sa conscience réside bien dans les illusions que le capitalisme a réussi à créer sur la "prospérité" de son économie.

Cela dit, il existe un autre élément plus général permettant d'expliquer les difficultés de la politisation actuelle du prolétariat, une politisation lui permettant de comprendre, même de façon embryon­naire, les enjeux des combats qu'il mène afin de les féconder et de les amplifier :

''Pour comprendre toutes les données de la période présente et à venir, il faut également prendre en considération les caractéristiques du prolétariat qui aujourd'hui mène le combat :

  •  il est composé de générations ouvrières qui n'ont pas subi la défaite, comme celles qui sont arrivées à maturité dans les années 1930 et au cours de la 2e guerre mondiale ; de ce fait, en l'absence de défaite décisive que la bourgeoisie n 'a pas réussi à leur infliger jusqu 'à présent, elles conservent intacte leurs réserves de combativité ;
  •  ces générations bénéficient d'une usure irréversible des grands thèmes de mystification (la patrie, la démocratie, l’anti-fascisme, la défense de l'URSS) qui avait permis par le passé l'embrigadement du prolétariat dans la guerre impérialiste.

Ce sont ces caractéristiques essentielles qui expliquent que le cours historique actuel soit aux affrontements de classe et non à la guerre impérialiste. Cependant ce qui fait la force du prolétariat actuel fait aussi sa faiblesse : du fait même que seules des générations qui n'avaient pas connu la défaite étaient aptes à retrouver le chemin des combats de classe, il existe entre ces générations et celles qui ont mené les derniers combats décisifs dans les années 1920, un fossé énorme que le prolétariat d'aujourd'hui paie au prix fort :

  •  d'une ignorance considérable de son propre passé et de ses enseignements ;
  •  du retard dans la formation du parti révolutionnaire.

Ces caractéristiques expliquent en particulier le caractère éminemment heurté du cours actuel des luttes ouvrières. Elles permettent de compren­dre les moments de manque de confiance en soi d'un prolétariat qui n'a pas conscience de la force qu'il peut constituer face à la bourgeoisie. Elles montrent également la longueur du chemin qui attend le prolétariat, lequel ne pourra faire la révolution que s'il a consciemment intégré les expériences du passé et s'est donné son parti de classe.

Avec le surgissement historique du prolétariat à la fin des années 1960 a été mise à l'ordre du jour la formation de celui-ci mais sans que cela puisse se réaliser du fait :

  •  du creux d'un demi-siècle qui nous sépare des anciens partis révolutionnaires ;
  •  de la disparition ou de l'atrophie plus ou moins marquée des fractions de gauche qui s'en étaient dégagées ;
  •  de la méfiance de beaucoup d'ouvriers à l'égard de toute organisation politique (qu'elle soit bourgeoise ou prolétarienne)... une traduction d'une faiblesse historique du prolétariat face à la nécessaire politisation de son combat." ([13] [15])

Ainsi, on peut voir combien est long pour le prolétariat le chemin qui mène à la révolution communiste. Profondeur et longueur de la contre-révolution, disparition presque totale de ses organisations communistes, décom­position du capitalisme, effondrement du stalinisme, capacité de la classe domi­nante à contrôler la chute de son économie et à semer des illusions sur celle-ci. Il semble que, depuis 30 ans, et même depuis les années 1920, rien n'ait été épargné à la classe ouvrière dans sa progression sur ce chemin.

La nature profonde des difficultés du prolétariat sur le chemin de la révolution

A la fin de la première partie de cet article, nous avons évoqué les différents rendez-vous avec l'histoire manques par le prolétariat au cours du 20e siècle : la vague révolutionnaire qui a mis fin à la première guerre mondiale et qui s'est achevée par sa défaite, l'effondrement de l'économie mondiale à partir de 1929, la seconde guerre mondiale. On a vu que le prolétariat n'avait pas manqué le rendez-vous que l'histoire lui a donné à partir de la fin des années 1960 mais, en même temps, nous avons pu mesurer la quantité d'obstacles auxquels il s'est affronté depuis et qui ont ralenti d'autant son chemin vers la révolution prolétarienne.

Les révolutionnaires du siècle dernier, à commencer par Marx et Engels, pensaient que la révolution pourrait avoir lieu au cours de leur siècle. Ils s'étaient trompés et ils furent toujours les premiers à reconnaître leur erreur. En réalité, ce n'est qu'au début du 20e siècle que les conditions matérielles de la révolution prolétarienne ont été réunies, ce qui s'est confirmé par la première boucherie impérialiste mondiale. A leur tour, les révolutionnaires du début du 20e siècle pensaient qu'avec la présence de ses conditions objectives, la révolution communiste aurait lieu au cours de leur siècle. Eux aussi s'étaient trompés. Lorsqu'on passe en revue l'ensemble des événements historiques qui ont empêché que la révolution n'ait lieu jusqu'à présent, on peut avoir le sentiment que "le prolétariat n'a pas eu de chance", qu'il a été confronté à une suite de catastrophes et de faits défavorables, bien que non inéluctables pour chacun d'entre eux. C'est vrai que chacun de ces faits n'était pas écrit d'avance et que pour peu de choses, l'histoire aurait pu évoluer autrement. Par exemple, la révolution en Russie aurait pu tout aussi bien être écrasée par les armées blanches ; ce qui aurait évité que ne se développe le stalinisme qui a constitué le plus grand ennemi du prolétariat au cours du 20e siècle, le fer de lance de la plus terrible contre-révolution de l'histoire, dont les effets négatifs continuent à se faire sentir plus de trente ans après qu'elle n'ait pris fin. De même, il n'était pas inéluctable à priori que les alliés remportent la seconde guerre mondiale, relançant pour une très longue période la force de l'idéologie démo­cratique, qui constitue dans les pays les plus développés un des poisons les plus efficaces contre la conscience communiste du prolétariat. De même, dans une autre configuration de la guerre, le régime stalinien aurait pu ne pas survivre au conflit, ce qui aurait évité que l'anta­gonisme entre les blocs ne soit présenté comme l'affrontement entre capitalisme et socialisme. Nous n'aurions pas connu alors l'effondrement du bloc "socialiste" dont les conséquences idéologiques néfastes pèsent aujourd'hui d'un poids si fort sur la classe ouvrière.

Cela dit, l'accumulation de tous les obstacles qui se sont présentés face au prolétariat au cours du 20e siècle ne peut être considérée dans sa globalité comme une simple succession de "malchances" mais sont fondamentalement la .mani­festation de l'immense difficulté que représente la révolution prolétarienne.

Un aspect de cette difficulté provient de la capacité de la classe bourgeoise à tirer profit des différentes situations qui se présentent à elle, à les retourner systématiquement contre la classe ouvrière. C'est la preuve que cette classe, malgré l'agonie prolongée de son mode de production, malgré la barbarie qu'elle ne peut empêcher de développer un peu partout dans le monde, malgré le pourrissement sur pied de sa société et la décomposition de son idéologie, reste particulièrement vigilante et sait faire preuve de la plus grande intelligence politique lorsqu'il s'agit d'empêcher le prolétariat d'avancer vers la révolution. Une des raisons pour lesquelles les prévisions des révolutionnaires du passé sur l'échéance de la révolution ne se sont pas réalisées est qu'ils ont sous-estimé la force de la classe dirigeante, particu­lièrement son intelligence politique. Aujourd'hui, les révolutionnaires ne pourront réellement contribuer au combat du prolétariat pour la révolution que s'ils savent reconnaître cette force politique de la bourgeoisie -notamment tout le machiavélisme qu'elle sait déployer quand nécessaire- et que s'ils mettent en garde les ouvriers contre tous les pièges que lui tend la classe ennemie.

Mais il existe une autre raison plus fondamentale encore de l'immense difficulté du prolétariat à parvenir à la révolution. C'est une raison qui était déjà signalée dans le passage si souvent cité du texte de Marx "Le 18 brumaire de Louis Bonaparte" :

"Les révolutions prolétariennes... se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours... reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts, jusqu 'à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rhodus, hic salta !"            

Effectivement, une des causes de la très grande difficulté de la grande majorité des ouvriers à se tourner vers la révolution est le vertige qui les saisit lorsqu'ils pensent que la tâche est impossible tellement elle est immense. Effecti­vement, la tâche qui consiste à renverser la classe la plus puissante que l'histoire ait connue, le système qui a fait connaître à l'humanité un véritable pas de géant dans la production matérielle et la maîtrise de la nature se présente comme presque impossible. Mais ce qui donne le plus le vertige à la classe ouvrière c'est l'immensité de la tâche qui consiste à édifier une société radicalement nouvelle, enfin libérée des maux qui ont accablé la société humaine depuis ses origines, la pénurie, l'exploitation, l'oppression, les guerres.

Lorsque les prisonniers ou les esclaves portaient en permanence des chaînes aux pieds, ils s'habituaient souvent à cette contrainte au point d'avoir le sentiment qu'ils ne pourraient plus marcher sans leurs chaînes et, quelques fois, ils refusaient qu'on leur retire celles-ci. C'est un peu ce qui arrive au prolétariat. Alors qu'il porte en lui la capacité de libérer l'humanité, la confiance lui manque encore pour s'acheminer consciemment vers cet objectif.

Mais le moment approche où "les circonstances elles-mêmes [crieront] : Hic Rhodus, hic salta !". Si elle reste entre les mains de la bourgeoisie, la société humaine ne parviendra pas au prochain siècle, sinon en lambeaux et n'ayant absolument plus rien d'humain. Tant que cet extrême ne sera pas atteint, tant qu'il restera un système capitaliste, même plongé dans la plus profonde des crises, il subsistera nécessairement sa classe exploitée, le prolétariat. Et il subsistera par conséquent la possibilité que celui-ci, aiguillonné par la faillite économique totale du capitalisme, surmonte enfin ses hésitations pour s'attaquer à la tâche immense que l'histoire lui a confiée, la révolution communiste.

Fabienne.


[1] [16] Voir notre article "Allemagne de l'Est: l'insurrection ouvrière de juin 1953"  dans la Revue internationale n° 15.

[2] [17] Voir notre article "Lutte de classe en Europe de l'Est (1920-1970)" (dans la Revue internationale n°27).

[3 [18] Voir également notre brochure "La décadence du capitalisme".

[4] [19] "Ainsi, des faits eux-mêmes, il [Marx] tira une vue tout à fait claire de ce que jusque-là il n 'avait fait que déduire, moitié a priori, de matériaux insuffisants : à savoir que la crise commerciale mondiale de 1847 avait été la véritable mère des révolutions de Février [Paris] et de Mars [Vienne et Berlin] et que la prospérité industrielle revenue peu à peu dès le milieu de 1848 et parvenue à son apogée en 1849 et 1850, fut la force vivifiante où la réaction européenne puisa une nouvelle vigueur." (Engels, Préface de 1895 aux "Luttes de classes en France")

[5] [20] "Une nouvelle révolution ne sera possible qu'à la suite d'une nouvelle crise, mais l'une est aussi certaine que l'autre". (Marx, "Les luttes de classes en France")

[6] [21] C'était le cas, notamment, de l'idéologue des révoltes étudiantes des années 1960, Herbert Marcuse, qui considérait que la classe ouvrière ne pouvait plus désormais constituer une force révolutionnaire et que le seul espoir de bouleversement de la société provenait des secteurs marginalisés de celle-ci comme les noirs ou les étudiants aux Etats-Unis ou les paysans pauvres du Tiers-Monde.

[7] [22] Un tel tableau a fait l'objet de nombreux articles de notre Revue internationale. On peut signaler plus particulièrement la partie du rapport sur la lutte de classe du 13e congrès du CCI publiée dans la Revue internationale n° 99.

[8] [23] Voir notre série d'articles "Trente ans de crise ouverte du capitalisme" dans les numéros 96 à 98 de la Revue internationale.

[9] [24] "Révolution communiste ou destruction de l'humanité", Manifeste du 9e congrès du CCI. Sur cette question, voir plus particulièrement notre article : "La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme"  dans la Revue internationale n° 62.

[10] [25] Ibid.

[11] [26]"Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est ", Revue internationale n°60.

[12] [27] Ibid.

[13] [28] Résolution sur la situation internationale du 6e congrès du CCI, Revue internationale n° 44.

 

Questions théoriques: 

  • Parti et Fraction [29]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [30]

Conférence mondiale de la Haye : seule la révolution prolétarienne sauvera l’espèce humaine

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Pas une organisation internationale de la bourgeoisie, OMC, Banque Mondiale, OCDE, ou FMI, qui n’affiche ses préoccupations de tout mettre en œuvre pour un “ développement durable ” soucieux de l’avenir des prochaines générations. Pas un Etat qui ne proclame son souci de respecter l’environnement. Pas une organisation non gouvernementale (ONG) à vocation écologiste qui n’ait ménagé ses efforts en manifestations, pétitions, mémorandums divers. Pas un journal de la bourgeoisie qui ne se fende d’un article pseudo-scientifique sur le réchauffement global de la planète. Tout ce beau monde, pétri de bonnes intentions – n’en doutons pas ! – s’était donné retait donné rendez-vous à La Haye du 13 au 25 novembre 2000 pour définir les modalités d’application du protocole de Kyoto[1]. Pas moins de 2000 délégués, représentant 180 pays, entourés par 4000 observateurs et journalistes étaient donc sensés nous concocter la recette miracle pour en finir avec les dérèglements climatiques observés. Résultat : rien. Strictement rien. Ou plutôt si : une preuve de plus que pour la bourgeoisie, les considérations de survie de l’humanité passent loin, loin, très loin derrière la défense du capital national.

 

Il y a dix ans, dans l’article “ écologie : c’est le capitalisme qui pollue la Terre ” de la Revue Internationale n°63, le CCI affirmait : “ le désastre écologique est maintenant une menace tangible pour l’écosystème de la planète lui-même ”. Force est de constater que le capitalisme met cette menace à exécution. Tout au long des années 90, le saccacute;es 90, le saccage de la planète s’est poursuivi à un rythme effréné : déforestation, érosion des sols, pollution toxique de l’air, des nappes phréatiques ou des océans, pillage des ressources naturelles fossiles, disséminations de substances chimiques ou nucléaires, destruction d’espèces animales et végétales, explosion des maladies infectieuses, enfin augmentation continue de la température moyenne à la surface du globe (7 des années les plus chaudes du millénaire se sont produites dans les années 90). Les désastres écologiques sont toujours plus combinés, plus globaux, prenant souvent un caractère irréversible, avec des conséquences à long terme difficilement prévisibles.

Si la bourgeoisie s’est avérée incapable de faire quoi que ce soit pour seulement freiner cette folie destructrice, elle n’est pas pour autant restée les deux pieds dans le même sabot pour ce qui est de cacher sa propre responsabilité derrière une multitude de paravents idéologiques. Il s’agit pour la bourgeoisie de présenter les calamit&eaer les calamités écologiques - quand elle ne peut pas les ignorer purement et simplement ! - en dehors de la sphère des rapports sociaux capitalistes, en dehors de la lutte de classe. De là toutes les fausses alternatives, des mesures gouvernementales aux discours anti-mondialisation des ONG, qui visent à obscurcir la seule perspective possible pour sortir l’humanité de ce cauchemar : le renversement révolutionnaire du mode de production capitaliste par la classe ouvrière.

En effet, pour les révolutionnaires, il est clair que c’est la logique productiviste propre au capitalisme qui est en cause, comme l’a analysé Marx dans le Capital : “ Accumuler pour accumuler, produire pour produire, tel est le mot d’ordre de l’économie politique proclamant la mission historique de la période bourgeoise. Et elle ne s’est pas fait un instant illusion sur les douleurs d’enfantement de la richesse : mais à quoi bon des jérémiades qui ne changent rien aux fatalités historiques ? ” (Livre I – Chap. XXIV). Voilà la logique et le cynisme sans borne du capitalisme : l’accumulation du capitulation du capital et non la satisfaction des besoins humains est le but véritable de la production capitaliste et peu importe alors le sort réservé à la classe ouvrière ou à l’environnement. Avec la saturation globale des marchés, effective depuis 1914, le capitalisme est entré en décadence. C’est à dire que cette accumulation du capital est devenue toujours plus conflictuelle, toujours plus convulsive. Dès lors “ la destruction impitoyable de l’environnement par le capital prend une autre dimension et une autre qualité […] c’est l’époque dans laquelle toutes les nations capitalistes sont obligées de se concurrencer dans un marché mondial sursaturé ; une époque, par conséquent, d’économie de guerre permanente, avec une croissance disproportionnée de l’industrie lourde ; une époque caractérisée par l’irrationnel, le dédoublement inutile de complexes industriels dans chaque unité nationale, […] le surgissement de mégalopoles, […] le développement de types d’agriculture qui n’ont pas été moins dommageable écologiquement que la plupart des types d&art des types d’industrie ” (Revue Internationale n°63). Cette tendance a encore franchi un palier supplémentaire avec la phase terminale de la décadence capitaliste, sa phase de décomposition qui depuis 20 ans caractérise le pourrissement sur pied du système capitaliste dans la mesure ou ni le prolétariat, ni la bourgeoisie n’arrivent à imposer leur solution : respectivement révolution prolétarienne ou guerre généralisée.

Le capitalisme a mis le chaos et la destruction à l’ordre du jour de l’histoire. Les conséquences pour l’environnement sont catastrophiques. C’est ce que nous allons illustrer (très partiellement tant les dégâts sont nombreux) en montrant comment à chaque fois, la bourgeoisie allume des contre-feux idéologiques pour que tous ceux qui se posent légitimement la question de savoir ce qu’il serait possible de faire pour enrayer ce cycle barbare de destruction se fourvoient dans des impasses.

Par son caractère mondial et l’étendue de ses implications, la question du changement climatique est ement climatique est de première importance. Ce n’est pas pour rien que la bourgeoisie en a fait un des axes majeurs de ses campagnes médiatiques. Les pédants peuvent bien prétendre qu’ “ en matière de météorologie et de climatologie, l’homme a décidément la mémoire courte ” (Le Monde 10/09/2000) ou invoquer des peurs millénaristes, une telle attitude, dont ne se départit jamais totalement la bourgeoisie, défend implicitement le statu-quo, une position dominante, le sentiment d’être “ à l’abri ”. Le prolétariat lui ne peut se permettre ce luxe. Physiquement, ce sont toujours les ouvriers et les fractions les plus pauvres de la population mondiale qui sont atteints de plein fouet par les conséquences apocalyptiques des perturbations globales dans le cycle de vie terrestre introduites par l’apprenti sorcier capitaliste.

L’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), en charge de la synthèse des travaux scientifiques sur les changements climatiques, dans son “ rapport pour les décideurs ” du 22 octobre 2000 rappelle les données fondamentalecute;es fondamentales observées, qui toutes traduisent une rupture qualitative dans l’évolution du climat: “ la température moyenne de surface a augmenté de 0,6°C depuis 1860 […]. De nouvelles analyses indiquent que le XXe siècle a probablement connu le réchauffement le plus important de tous les siècles depuis mille ans dans l’hémisphère Nord […] La surface de la couverture neigeuse a diminué d’environ 10% depuis la fin des années 1960 et la période de glaciation des lacs et des rivières a diminué d’environ deux semaines dans l’hémisphère Nord pendant le XXe siècle. […] diminution de l’épaisseur de la glace de 40% en Arctique […] le niveau moyen des mers s’est élevé de 10 cm à 20 cm pendant le XXe siècle […] le rythme d’élévation des mers pendant le XXe siècle a été environ dix fois plus important que pendant les derniers trois mille ans. […] Les précipitations ont augmenté de 0,5 à 1 % par décennie pendant le XXe siècle sur la plupart des continents de moyenne et haute latitudes de l’hémisphère Nord. La pluie a dimiNord. La pluie a diminué sur la plupart des terres intertropicales ”.

Cette fracture est encore plus nette si l’on considère les concentrations des gaz dits à effet de serre[2], puisque “ depuis le début de l’ère industrielle, la composition chimique de la planète a subi une évolution sans précédent ”[3], ce que ne peut nier le rapport de l’IPCC : “ Depuis 1750, la concentration atmosphérique de gaz carbonique (CO2) s’est accrue d’un tiers. La concentration actuelle n’a jamais été dépassée depuis quatre cent vingt mille ans et probablement pas durant les vingt millions d’années passées. […] Le taux de concentration de méthane (CH4) dans l’atmosphère a été multiplié par 2,5 depuis 1750 et continue de s’accroître ”. En fait c’est essentiellement au XXe siècle, particulièrement dans les dernières décennies, et non depunnies, et non depuis 1750 que ces changements ont été observés.

Le simple fait de mettre en parallèle la durée de la décadence du capitalisme avec des périodes de l’ordre de centaines de milliers d’années, voire de millions d’années, est en soi l’acte d’accusation le plus formidable qui puisse être dressé de l’incurie et de l’irresponsabilité démentielle du capitalisme comme mode de production, car c’est un fait incontestable que ces mutations sont le résultat direct de l’activité sauvage et anarchique de l’industrie et de transports à combustions fossiles. Il va sans dire que si dans la même période le capitalisme a considérablement développé ses capacités productrices, la classe ouvrière et la plus grande partie de la population de la planète n’en ont pas récolté les fruits. De ce point de vue, le bilan social et humain de la décadence capitaliste, fait de guerres et de misère, est terriblement plus sombre encore que le bilan “ climatique ” et ne saurait donc aucunement tenir lieu de circonstance atténuante[4].

Par ailleurs, le fait que le rapport de l’IPCC signale que “ les preuves d’une influence humaine sur le climat global sont plus fortes maintenant qu’au moment du deuxième rapport ” de 1995, n’est là que pour dédouaner la bourgeoisie qui n’a eu de cesse de manipuler le discours scientifique tout au long des années 1990 en posant de mauvaises questions. Ainsi, une fois le réchauffement admis (très en retard par rapport aux études scientifiques), la question de la bourgeoisie fut : quelle est la preuve formelle que ce réchauffement est lié à l’activité industrielle et non pas à un cycle naturel ? Sous cette forme directe, il était effectivement difficile de répondre scientifiquement. Par contre ce qui a toujours été particulièrement flagrant, c’est cette rupture qualitative dans l’évolution observée du climat, décrite plus haut, alors même que les tendances cycliques du climat (parfaitement connues et modélisées car pilotées par des paramètress paramètres astronomiques tels que la variation de l’orbite terrestre, de l’inclinaison de l’axe de rotation de la terre, etc.) nous situent dans une période de glaciation relative depuis 1000 ans et pour 5000 ans encore. Et comme si ce n’était pas assez, deux autres paramètres vont également dans le sens du refroidissement : le cycle d’activité solaire et l’augmentation des particules dans l’atmosphère… augmentation due également à la pollution industrielle (mais aussi aux éruptions volcaniques). C’est assez dire l’hypocrisie de la bourgeoisie qui attendait des “ preuves ” ! Maintenant qu’il est difficile de contester l’origine anthropique du réchauffement, la nouvelle question qui occupe les médias bourgeois est : peut on démontrer formellement le lien entre ce réchauffement et les phénomènes extrêmes récemment observés (cyclones Mitch et Eline, tempêtes en France, inondations au Venezuela, en Grande Bretagne, etc.) ? Encore une fois la communauté scientifique est bien en mal de répondre à ce questionnement très peu… scientifique, dont le seul objectif est de distiller l&f est de distiller l’idée que finalement ce réchauffement n’aura pas forcément des conséquences sensibles. Des organismes officiels tels Météo-France s’en sortent par des formules jésuitiques assez délectables: “ il n’est pas démontré que les évènements extrêmes récents soient le signe d’un changement climatique, mais lorsque ce changement climatique sera pleinement perceptible, il est vraisemblable qu’il puisse s’accompagner d’une augmentation des évènements extrêmes ” !

Et d’ici 2100, les changements climatiques à venir sont sidérants, toujours selon l’IPCC : “ l’accroissement moyen de la température de surface est estimé devoir être de 1,5 à 6°C […] cette augmentation serait sans précédent dans les dix mille dernières années ” tandis que l’élévation des mers serait de 0,47 mètre en moyenne, “ ce qui est deux à quatre fois le taux observé pendant le XXe siècle ”. Encore, ces prévisions n’intègrent-elles pas le rythme réel de déforestation (au rythme actuel, toutes les forêts auront disparu dans 600 ans). Aussi terribles et meurtrières que pourraient être les conséquences probables de ces variations climatiques en terme d’inondations, de cyclones dans certaines zones et de sécheresses ailleurs, en terme de pénurie d’eau potable, de disparitions d’espèces animales, etc., pour Dominique Frommel, directeur de recherche à l’INSERM, “ le principal danger n’est pas là. Il se trouve dans la dépendance de l’homme à son environnement. Les migrations, la surconcentration humaine en milieu urbain, la diminution des réserves aquafères, la pollution et la pauvreté ont, de tout temps [mais le capitalisme a particulièrement développé mégalopoles, pauvreté et pollution !], créé des conditions propices à la diffusion des micro-organismes infectieux. Or la capacité reproductrice et infectieuse de nombre d’insectes et rongeurs, vecteurs de parasites ou de virus, est fonction de la température et de l’humidité du milieu. Autrement dit, une hausse de la températ la température, même modeste, donne le feu vert à l’expansion de nombreux agents pathogènes pour l’homme et l’animal. C’est ainsi que des maladies parasitaires – telles que le paludisme, les schistosomiases et la maladie du sommeil – ou des infections virales comme la dengue, certaines encéphalites et fièvres hémorragiques – ont gagné du terrain ces dernières années. Soit elles ont fait leur réapparition dans des secteurs où elles avaient disparu, soit elles touchent à présent des régions jusque là épargnées. […] Les projections pour l’an 2050 montrent que le paludisme menacera 3 milliards d’êtres humains. […] De la même façon, le nombre des maladies transmises par l’eau se multiplie. Le réchauffement des eaux douces favorise la prolifération des bactéries. Celui des eaux salines – en particulier quand elles sont enrichies d’effluents humains – permet aux phytoplanctons, véritables viviers de bacilles cholériques, de se reproduire à une cadence accélérée. Pratiquement disparu d’Amérique latine à partir de 1960, le choléra a fait 1 368 05te;ra a fait 1 368 053 victimes entre 1991 et 1996. Parallèlement de nouvelles infections surgissent ou débordent bien au-delà des niches écologiques où elles restaient jusque-là confinées. […] la médecine reste désarmée, malgré ses progrès, devant l’explosion de maintes pathologies inattendues. L’épidémiologie des maladies infectieuses […] pourrait prendre au XXIème siècle de nouveaux visages, notamment avec l’expansion des zoonoses, ces infections transmissibles de l’animal vertébré à l’homme, et vice versa ” (Manière de Voir n°50 p. 77).

A ce niveau de responsabilité historique, la riposte idéologique de la bourgeoisie a été d’organiser de gigantesques kermesses hyper médiatisées, qui du Sommet de la Terre de Rio (1992) à La Haye en passant par Kyoto et Berlin, veulent nous faire croire que la classe dominante aurait enfin pris conscience des dangers qui menacent la planète. La mystification opère à plusieurs niveaux.

D’abord faire croire qued faire croire que si les objectifs fixés à Kyoto étaient atteints, cela constituerait un premier pas significatif. Hors, non seulement de toute évidence les objectifs ne seront pas atteints, mais même si c’était le cas, le rythme dérisoire fixé ne saurait remettre en cause la tendance actuelle au réchauffement. Toutes les ONG et tous les partis écologistes qui s’inscrivent à fond dans la problématique des discussions sur les modalités d’application du protocole de Kyoto, participent donc de cette mystification. En aucun il ne peut s’agir d’un premier pas en avant, tout au plus un pas de coté.

Deuxièmement, faire croire que si les Etats n’arrivent pas toujours à s’entendre, c’est parce qu’ils auraient une vision différente des moyens de parvenir à l’objectif commun de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En fait, chaque capital national défend ses intérêts bien compris et essaie d’imposer par le biais des négociations des normes de production aussi proches que possible des siennes, de ses capacités technologiques, de son mode d’approvisioode d’approvisionnement énergétique, etc. Par exemple, ni la France ni les USA ne respectent les engagements de Kyoto (depuis 1990 les émissions de gaz carbonique ont été de +11% pour les USA et de +6,5% pour la France), mais quand le président Chirac déclare que “ c’est d’abord vers les Américains que se porte l’espoir d’une limitation efficace des gaz à effet de serre ” (Le Monde 20/11/2000), il faut traduire: dans la guerre commerciale qui nous oppose, nous aimerions bien vous mettre un boulet au pied. Il en est de même pour la mise en place d’un système d’ “ observance ” réclamé par l’Union Européenne pour taxer financièrement ceux qui dépasseraient les quotas de pollution (encore une fois, il n’est pas question d’empêcher la pollution). Autant demander aux USA de financer Airbus et de brider la production de Boeing ! Pour les pays du tiers-monde, c’est encore plus simple : le poids de la crise, de la dette et de la misère, rendent systématiques le pillage des ressources naturelles et le laissez-faire accordé aux grandes compagnies occidentales qui alimente la corruption locale. ruption locale. C’est une réalité indépassable du capitalisme. Dans ce cadre, tout soutient à une mesure plutôt qu’une autre revient à faire le jeu d’un ou plusieurs Etats.

Enfin, dernière mystification, celle si chère aux réformistes de tous poils : l’idée qu’il faut lutter pour un capitalisme propre, respectueux de l’environnement, sans concurrence, un capitalisme imaginaire. Cette sainte croisade se fait au nom de l’anti-mondialisation et adresse ses déchirantes suppliques à l’Etat pour qu’il légifère, taxe, contraigne les multinationales honnies. Mais de la même façon que la législation du travail ne freine en rien l’exploitation capitaliste, le chômage, la misère et surtout n’empêche pas de passer outre cette législation si besoin est, de même toute législation, contrainte fiscale ou autre mesure à prétention écologiste ne pourrait être que quelque chose de parfaitement assimilable par le capitalisme, voire de favorable à la modernisation de l’appareil productif, quand il ne s’agirait pas purement et simplement d’une fmplement d’une forme déguisée de protectionnisme ou de justificatif commode pour des mesures anti-ouvrières (licenciements pour fermeture d’usines polluantes, baisse de salaires pour absorber les coût de mise aux normes, etc.). De ce point de vue les écotaxes (je pollue mais je paye... un peu) et le marché des permis d’émission de gaz à effet de serre dont le principe est admis, montrent le chemin du réalisme capitaliste en matière de lutte contre la pollution et le réchauffement global !

C’est pour cette raison que les tenants de l’écologie politique et les ONG les plus cohérents en viennent à justifier les mesures à prendre du point de vue de la rentabilité du capital lui-même et il n’est pas rare de les voir investir, à titre consultant, les centres de décision de la bourgeoisie. C’est évident pour les partis “ verts ” qui participent à de nombreux gouvernements (France, Allemagne) mais aussi pour des ONG comme le “ World Conservation Monitoring Centre ”, devenu une antenne des Nations Unies et soutenant que “ les politiques et mesures concernant le chures concernant le changement climatique doivent avoir un rapport efficacité/frais de façon à assurer des bénéfices globaux au coût le plus faible possible ”. Dans le même sens, les pourvoyeurs de l’idéologie anti-mondialisation (concrètement anti-USA) en France, Le Monde Dilomatique, s’offusque de ce que “ l’impact combiné des coûts sociaux du transport automobile – bruit, pollution de l’air, congestion de la circulation, consommation d’espace et manque de sécurité – pourrait représenter jusqu’à 5% du produit national brut (PNB) ” (Manière de Voir n°50 p. 70). Cette conversion au réalisme écologique peut aussi prendre la forme d’une aide effective à l’Etat comme on a pu le voir avec les offres de service de Greenpeace après le naufrage du chimiquier Ievoli-Sun au large des côtes françaises en novembre 2000.

C’est une caractéristique de tous les courants écologistes, ONG ou partis, que de faire de l’Etat capitaliste le garant des intérêts communs. Leur mode d’action se veut donc fondamentalemet donc fondamentalement a-classiste (puisque nous sommes tous concernés) et démocratique (ce sont aussi les champions de la démocratie locale) : c’est la pression populaire, le sursaut citoyen, qui doivent imposer à l’Etat (qu’on imagine sincèrement ému par une telle mobilisation) de prendre des mesures en faveur de l’environnement. Il va sans dire qu’une telle forme de contestation, qui ne remet en cause ni les fondements du mode de production capitaliste ni le pouvoir politique de la classe dominante, est totalement assimilé par la bourgeoisie. Et pour ceux qui n’adhéreraient pas à ces contes de fées, leur démoralisation est encore une victoire de la bourgeoisie.

Nous avons vu qu’il est parfaitement illusoire de penser qu’il existerait des mécanismes intégrés au capitalisme qui permettraient d’en finir avec les désastres écologiques[5] alors que ceux-ci sont le résultat du fonctionnement le plus intime du capitalisme. Ce sont donc les rapports sociaux capitalistes qu’il faut extirper pour établir une sociét&ea société dont la satisfaction des besoins humains, au centre du mode de production, ne se ferait pas aux dépends de l’environnement naturel puisque les deux sont indissociablement liés. Une telle société, le communisme, ne peut être mis en œuvre que par le prolétariat, la seule force sociale ayant développé une conscience et une pratique qui tendent à “ révolutionner le monde existant ”, à “ transformer pratiquement l’état de chose donné ” (Marx, Idéologie Allemande).

Dès son apparition comme théorie révolutionnaire du prolétariat, le marxisme s’est affirmé contre l’idéologie bourgeoise, y compris contre les conceptions matérialistes jusque là les plus avancées, qui ne voyaient dans la nature qu’un objet extérieur à l’homme et non pas une nature historique. La maîtrise de la nature n’a donc jamais signifié pour le prolétariat le saccage de la nature : “ à chaque pas il nous est rappelé, qu’en aucune façon, nous ne régnons sur eacute;gnons sur la nature comme un conquérant sur un peuple étranger, comme quelqu’un en dehors de la nature – mais que nous, avec notre chair, notre sang et notre cerveau, appartenons à la nature, existons en son sein, et que toute notre supériorité consiste dans le fait que nous avons l’avantage sur toutes les autres créatures d’être capables d’apprendre ses lois et de les appliquer correctement ” (Engels, Dialectique de la Nature).

Il reste évident que la prise de conscience de la gravité des problèmes écologiques ne peut être en soi un facteur de mobilisation dans les luttes que la classe ouvrière devra mener jusqu’à la révolution communiste, comme nous le disions dans la Revue Internationale n°63 et confirmé par les 10 dernières années: “ la question en tant que telle ne permet pas au prolétariat de s’affirmer comme force sociale distincte. Au contraire […] elle fournit à la bourgeoisie un prétexte idéal pour ses campagnes interclassistes […]. La classe ouvrière ne pourra prendre en charge la question écologique dans sa totalité totalité qu’après avoir pris le pourvoir politique au niveau mondial ”. Mais les aberrations de ce système capitaliste en pleine décomposition touchent aussi directement les prolétaires (santé, alimentation, logement) et à ce titre peuvent ressurgir comme élément de radicalisation dans les luttes économiques à venir.

Quand à tous les éléments étrangers au prolétariat mais sincèrement révoltés par le spectacle affligeant du massacre de la planète, la seule issue constructive à leur indignation est de faire la critique de l’idéologie écologiste, et, comme les y invitait le Manifeste Communiste de se hisser à la compréhension générale de l’histoire de la lutte de classes et de rejoindre le combat du prolétariat dans ses organisations révolutionnaires.

La lutte contre la destruction de l’environnement n’est pas un problème technique, mais politique : plus que jamais le capitalisme est un danger mortel pour l’a survie de l’humanité et plus que jamais l’avenir demais l’avenir de l’humanité est entre les mains du prolétariat. Il ne s’agit nullement d’une vision messianique ou abstraite. C’est une nécessité qui trouve ses racines dans la réalité du mode de production capitaliste. Pour trancher le nœud de l’histoire humaine entre révolution communiste ou plongée dans la barbarie, le prolétariat devra faire vite. Plus le temps passe, plus la décomposition accélérée de la société capitaliste laissera un héritage apocalyptique à gérer par la société communiste.

 

 

 

1Le protocole de Kyoto (décembre 1997) est la pétition de principes des Etats signataires de la convention sur les changements climatiques de Rio de Janeiro (1992), s’engageant à réduire de 5,2% d’ici 2010 les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990.

2L’effet de serre est un “ processus [qui] fait jouer un rôle considérable aux gaz minoritaires de l’atmosphère (vapeur d’eau, dioxyde de carbone, méthane, ozone) : en empêchant le rayonnement infrarouge terrestre de quitter librement la planète, ils maintiennent suffisamment de chaleur près du sol pour rendre la planète habitable (elle aurait autrement une température moyenne de -18°C) ” (Hervé Le Treut, directeur de recherche au Laboratoire de Météorologie Dynamique à Paris - Le Monde 07/08/2000).

3Hervé Le Treut, idem.

4Voir l’article “ Le siècle le plus barbare de l’histoire ” dans la Revue Internationale n°101

 

5Nous ne pouvons développer faute de place les autres facettes du désastre écologique : désertification et déforestation incontrôlée, disparitions d’espèces animales avec les pertes médicinales potentielles que cela implique (d’ici 2010, 20% des espèces connues auront disparu, dont un tiers des espèces domestiques), empoissonnement permanent à la dioxine, utilisation massive de pesticides toxiques, pénurie d’eau potable (un enfant meurt toutes les 8 secondes de manque d’eau ou d’eau de mauvaise qualité), contamination nucléaire militaire et civile, saccage de régions entières pour l’exploitation pétrolière, épuisement des ressources océaniques, guerres locales, etc. Comme pour le réchauffement global, les “ solutions ” de la bourgeoisie sont de masquer la réalité quand elle peut et dans tous les cas de continuer de l’aggraver.

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Luttes parcellaires [31]

Document (Josep Rebull, POUM) : Sur les Journées de mai 1937 à Barcelone

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L'article de Josep Rebull sur "Les Journées de Mai 1937", que nous publions ci-dessous, fait partie d'un travail sérieux et intéressant d'Agustin Guillamon sur la Guerre d'Espagne qu'il nous a communiqué. Ce texte était paru à l'origine dans un bulletin interne de discussion pour le 2e congrès du Comité local de Barcelone du POUM, à la suite des événements de mai 1937. Sa publication actuelle participe de l'indispensable réflexion qui doit se mener aujourd'hui sur la guerre d'Espagne ([1] [32]). Il apporte, en particulier, des éléments de clarification importants sur l'attitude politique du courant anarchiste et du POUM ([2] [33]) durant ces tragiques événements.

Ces Journées de mai 1937 furent, en effet, une nouvelle et dramatique expérience pour la classe ouvrière. Elles ont été aussi une occasion pour les staliniens et les anarchistes "officiels" de développer une politique anti-ouvrière et de montrer qu'ils étaient devenus des défenseurs patentés des intérêts du capitalisme.

Au cours de ces luttes, seuls quelques trotskistes autour de G. Munis ainsi que le groupe anarchiste Les amis de Durruti se sont clairement placés aux côtés des ouvriers de Catalogne.

L'article de J. Rebull montre une grande clairvoyance sur le résultat de ces Journées de mai et sur le cours général de la lutte de classe. Il est de plus à saluer pour le courage politique dont il fait preuve du fait que la position violemment critique qui y est développée contre la direction du POUM est faite "de l'intérieur", par un militant de ce parti.

En effet, Josep Rebull ([3] [34]) fut membre du POUM durant les années 1930. Il est nécessaire ici de rappeler que ce parti s'était créé en 1935 à partir du BOC (Bloc Ouvrier et Paysan) ([4] [35]) de Joaquin

Maurin ([5] [36]) auquel se sont joints des éléments comme Andrès Nin ([6] [37]). Celui-ci avait rompu d'abord avec l'Opposition de Gauche Internationale puis avec Trotsky en 1934. Dans le POUM, Maurin conserva la fonction de secrétaire général puis Nin en devint le secrétaire politique (7). Pendant la guerre d'Espagne, tandis que Maurin croupissait dans les geôles de Franco, Nin participa, en tant que ministre de la justice, au gouvernement de la Generalitat de Catalogne avec la CNT (le syndicat anarchiste) et les partis de la bourgeoisie républicaine et catalaniste comme l'Esquerra Catalana de Lluis Companys et Josep Tarradellas.

Malgré ses désaccords profonds avec la politique du POUM durant la guerre d'Espagne et, bien qu'après celle-ci, il ait opéré un certain rapprochement avec les positions de la Gauche communiste, Josep Rebull n'a jamais été capable de rompre formellement avec ce parti.

Durant cette période historique qui va de la fin des années 1930 au début des années 1940, les énergies révolutionnaires furent particulièrement réduites et isolées de leur classe. Parmi elles, il y avait la Gauche italienne qui a eu, à ce moment-là, l'immense mérite de comprendre quelle était la véritable dynamique de la situation. Ce faisant elle s'est trouvée à contre-courant de toutes les autres tendances politiques révolutionnaires. La Gauche italienne a su se placer dans une

5.Il n'est pas secrétaire général pour bien noter que cette fonction était conservée pour J. Maurin.

vision historique avec une véritable compréhension marxiste de la réalité du rapport de force entre les classes et de son évolution ; elle a su mettre au cœur de son analyse la notion de cours historique. Ainsi elle a pu déterminer que ce dernier n'était plus favorable à la classe ouvrière, qu'il s'était inversé définitivement à la fin des années 1920 et que, depuis lors, la contre-révolution et la marche à la guerre impérialiste généralisée étaient devenues le cadre de la situation politique internationale.

C'est cette vision générale claire qui manque le plus à Rebull et qui fait que son article présente de sérieuses limites politiques. La plus grave d'entre elles consiste à avoir 1 ' illusion que la révolution prolétarienne était possible en Espagne en 1936 et même en 1937. Il défend, en effet, l'idée selon laquelle s'il avait existé une véritable direction révolutionnaire durant les Journées de mai 1937, la situation aurait pu tourner différemment. Mais, au-delà de ces confusions politiques importantes, nous voulons saluer cet article de Josep Rebull et en retenir les nombreux éléments de clarification politique qui vont bien au-delà de la simple compréhension des événements de mai 1937 à Barcelone.

Que devons-nous retenir de cet article ?

-      En mai 1937, la bourgeoisie, espagnole et internationale a réussi définiti­vement à mettre au pas les dernières expressions prolétariennes en Espa­gne. Après les Journées de mai 1937, la répression est en marche et peut s'abattre sur la classe ouvrière espagnole avant aboutir à la deuxième guerre mondiale. Il montre que les Journées de mai ont été une grave déroute de la classe ouvrière et "un triomphe pour la bourgeoisie pseudo démocratique."

-      Il renoue avec une vision historique des flux et des reflux de la lutte de classe. Comme Marx, au moment de la Commune de Paris ([7] [38]), comme Lénine   au cours de la Révolution russe ([8] [39]) ou Rosa Luxemburg ([9] [40]) pendant la Révolution allemande, il analyse où en est le moment de la lutte de classe. Il est un des seuls éléments du POUM mais aussi parmi les autres révolutionnaires espagnols à alerter sur l'impérieuse "nécessité de passer dans la clandestin ité après les journées de mai 1937. Cette appréciation, la plus complexe à diagnostiquer pour un révolutionnaire, de : «où en est la lutte de classe ?», est tout à l'honneur des marxistes. Mais, c'est leur rôle et leur fonction de comprendre le rythme de la lutte de classe et de l'exprimer devant leur classe. S'ils ne jouent pas ce rôle, personne ne le fera et, ce faisant, ils ne seraient d'aucune utilité. "

Il critique non seulement le PC espagnol et le PC catalan, le PSUC, mais également la CNT qui se situe en appui du pouvoir républicain dominé par les staliniens et la fraction de "gauche" de la bourgeoisie répu­blicaine. Il écrit sur la direction de la CNT que "le mouvement de mai a démontré le vrai rôle des dirigeants anarcho-syndicalistes. Comme les réformistes de toutes les époques, ils ont été - consciemment ou inconsciemment - les instruments de la classe ennemie dans les rangs ouvriers ".

Il tire des leçons sur la véritable fonction des Fronts populaires : "dans le futur, la classe ouvrière ne peut avoir aucun doute sur la fonction réservée aux fronts populaires dans chaque pays. "

Il donne une marche à suivre dans la nouvelle situation créée par l'échec des Journées de mai. Contrairement au POUM qui voit dans ces événements une victoire de la classe ouvrière, il y voit son échec et, dans ce cadre annonce qu'il faut se préparer, pour survivre, à prendre des mesures de clandestinité.

Roi.

"Les Journées de mai" ([10] [41])

Préalables

Une fois qu'a disparu le second pouvoir dans sa forme organisée, c'est-à-dire une fois qu'ont disparu les organes nés en juillet en opposition au gouvernement bourgeois, la contre-révolution, actuel­lement représentée par les partis petits-bourgeois et réformistes, s'est attaquée successivement (avec prudence dans un premier temps, de façon agressive ensuite) aux positions révolutionnaires du prolétariat, principalement en Catalogne, région dans laquelle la révolution avait eu le plus d'énergie.

La puissance de la classe ouvrière a été en partie neutralisée par ces attaques ; par la dictature contre-révolutionnaire des dirigeants de l'UGT ([11] [42]) en Catalogne d'un côté, de l'autre par la collaboration de la CNT aux gouvernements de Valence et de Barcelone.

Malgré ce handicap ([12] [43]), le prolétariat s'est progressivement convaincu - se détachant des dirigeants réformistes collaborateurs de la bourgeoisie - que seule son action énergique dans la rue serait en mesure de mettre un terme aux avancées de la contre-révolution. Les affrontements armés qui ont eu lieu dans de multiples endroits de Catalogne pendant le mois d'avril étaient en fait le prélude des événements de mai à Barcelone.

Globalement, la lutte entre la révolution et la contre-révolution se posait (et continue à se poser) dans les termes suivants, en ce qui concerne la Catalogne :

Depuis juillet, les secteurs révolu­tionnaires CNT-FAI et POUM pouvaient compter sur la majorité des prolétaires en armes, mais les objectifs concrets et une tactique efficace leur ont fait défaut. C'est pour cela que la révolution a perdu l'initiative.

Les secteurs contre-révolutionnaires PSUC-Esquerra, sans pouvoir compter sur une base aussi nombreuse - ils étaient quasi inexistants en juillet-, ont poursuivi dès le début des objectifs bien déterminés et ont eu une tactique conséquente. Pendant que la CNT - force numé­riquement décisive - s'emmêlait dans le labyrinthe des institutions bourgeoises tout en parlant de noblesse et de loyauté dans les rapports (avec les autres composants de ces institutions, ndt) ses adversaires et collaborateurs ont préparé soigneusement et exécuté par étapes un plan de provocation et de discrédit dont la première phase fut l'élimination du POUM. Tout comme ce dernier, la CNT s'est mise sur la défensive face à ces attaques, d'abord feutrées puis ouvertes. Ils ont donc permis à la contre-révolution de prendre l'offensive.

C'est dans ce contexte que se déroulèrent les événements de mai.

La lutte

La lutte qui commença le [lundi] 3 mai fut provoquée, épisodiquement, par les forces réactionnaires du PSUC-Esquerra, qui tentèrent d'occuper le central téléphonique de Barcelone. La fraction la plus révolutionnaire du prolétariat répondit à la provocation en s'emparant de la rue et en s'y fortifiant. La grève s'étendit comme une traînée de poudre et avec une ampleur absolue.

Bien qu'il soit né décapité, ce mouvement ne peut en aucune façon être qualifié de "putsch". On peut affirmer que toutes les armes aux mains de la classe ouvrière furent présentes sur les barricades. Pendant les premiers jours, le mouvement recueillit la sympathie de la classe ouvrière en général - nous en prenons pour preuve l'amplitude, la rapidité et l'unanimité de la grève - qui plongea la classe moyenne, sous l'influence naturellement de la terreur, dans une attitude de neutralité expectative.

Les ouvriers engagèrent toute leur combativité et tout leur enthousiasme, jusqu'au moment où ils durent constater l'absence de coordination et d'objectif final au mouvement, et nombreux furent les secteurs combatifs qui furent alors envahis par le doute et la démoralisation. Seuls ces facteurs psychologiques peuvent expliquer que ces mêmes ouvriers interrompent leur avancée, contre les ordres de leurs dirigeants, sur le Palais de la Generalitat alors qu'ils n'en étaient qu'à quelques mètres.

Du côté du gouvernement se rangeaient une partie des forces de l'Ordre public, les staliniens, Estât Català, Esquerra, ces dernières étant pour le moins très peu combatives. Quelques compagnies de l'Ordre public se déclarèrent neutres, refusant de réprimer les ouvriers, et d'autres se laissèrent désarmer. Les Patrouilles de contrôle se rangèrent dans leur écrasante majorité du côté des ouvriers.

Les organisations révolutionnaires ne créèrent aucun centre directeur et coordinateur. Malgré cela, la ville fut à ce point entre les mains du prolétariat que les liens purent se créer parfaitement dès le mardi entre les foyers ouvriers. Très peu d'entre eux restèrent isolés ; il aurait suffi d'une offensive concentrée sur les centres officiels pour que la ville tombe complètement sans grand effort entre les mains des ouvriers ([13] [44]).

En général, la lutte se maintint dans l'expectative des deux côtés. Les forces du gouvernement parce qu'elles ne disposaient pas des effectifs nécessaires pour prendre l'initiative, les forces ouvrières parce qu'elles n'avaient ni direction ni objectif.

Des forces extérieures pouvaient à tout moment venir s'incorporer au combat, comme les forces présentes sur le front qui étaient disposées à revenir sur la capitale - certaines forces des secteurs révolutionnaires avaient coupé la route à la division Karl Marx -, et les troupes qu'envoyait le gouvernement de Valence, qui n'étaient pas très certaines d'arriver. Dès le mercredi, plusieurs navires français et anglais se positionnaient face au port de Barcelone, probablement disposés à intervenir.

Les forces prolétariennes dominèrent la rue durant quatre jours et demi : du lundi après-midi jusqu'au vendredi. Les organes de la CNT attribuèrent au mouvement la durée d'un seul jour - le mardi. Les organes du POUM lui en attribuèrent trois. En d'autres termes, chacun a considéré terminé le mouvement à partir du moment où il a donné l'ordre de repli. Mais en réalité, les ouvriers se retirèrent BIEN APRES les ordres, parce qu'il n'y avait aucune direction capable d'orienter un repli progressif et, surtout, à cause de la trahison des dirigeants confédéraux (la CNT - Confédération nationale du travail, ndt) ; les uns, par des déclarations pathétiques à la radio ; les autres en collaborant avec Companys, selon ses propres déclarations : «Le gouvernement disposait de peu de moyens de défense, très peu, et ce n 'était pas faute de l'avoir prévu, mais il ne pouvait pas y remédier. Malgré cela, il a contenu la subversion sans hésiter, avec ses seules forces, assisté par la ferveur populaire et en ayant des conversations à la Generalidad avec divers délégués syndicaux, en présence de quelques délégués de Valencia, préparant le retour à la normale» (Hoja Oficial, 17 mai).

Telle fut donc, à grands traits, l'insur­rection de mai.

 

Les dirigeants de la CNT

Le prolétariat se lança dans ce mouvement instinctivement, spontanément, sans une direction ferme, sans objectif positif concret pour avancer de façon décidée. La CNT-FAI, en n'expliquant pas clairement à la classe ouvrière la signification des événements d'avril, laissa le mouvement sans tête dès sa naissance.

Tous les dirigeants confédéraux n'étaient pas contre le mouvement dès le début. Les Comités de la localité de Barcelone non seulement l'appuyèrent mais ils tentèrent même de l'organiser d'un point de vue militaire. Mais ceci ne pouvait se faire sans avoir défini préalablement les objectifs politiques à réaliser. Les doutes et les hésitations de ces comités se concrétisèrent dans la pratique par une série d'instructions ambiguës et équi­voques, moyen terme entre la volonté de la base et la capitulation des comités supérieurs.

Ce sont ces derniers, Comités national et régional, qui prirent une décision ferme : la retraite. Cette retraite, ordonnée sans conditions, sans obtenir le contrôle de l'ordre public, sans la garantie des bataillons de sécurité, sans organismes pratiques de front ouvrier, et sans explication convaincante à la classe ouvrière, mettant dans le même sac tous les éléments en lutte (révolutionnaires et contre-révolutionnaires), restera comme une des grandes capitulations face à la bourgeoisie et comme une trahison du mouvement ouvrier.

Dirigeants et dirigés ne tarderont pas à en souffrir les graves conséquences, si la formation du Front ouvrier révolutionnaire ne se concrétise pas ([14] [45]).

 

La direction du POUM

Fidèle à sa ligne de conduite depuis le 19 juillet, la direction du POUM resta à la remorque des événements. Nos dirigeants se sont inscrits dans le mouvement au fur et à mesure de leur déroulement, sans avoir été partie prenante ni dans le déclenchement du mouvement ni dans sa dynamique ultérieure. On ne peut nommer "orientation" le mot d'ordre de Comité de défense, lancé d'ailleurs en retard et avec une mauvaise diffusion, qui plus est sans dire un mot du rôle antagonique de ces comités face aux gouvernements bourgeois.

D'un point de vue pratique, tout le mérite de l'action revient aux comités inférieurs et de base du Parti. La Direction n'édita pas même un Manifeste, pas même un tract, pour orienter le prolétariat en armes.

Comme ceux qui combattaient sur les barricades, quand nos camarades dirigeants se rendirent compte que le mouvement n'allait concrètement à la recherche d'aucun objectif final, il ordonna la retraite ([15] [46]). Dans le cours des événements, la décision de prendre sa direction dès le début ayant manqué, et face à la capitulation des dirigeants confédéraux, l'ordre de se retirer tendait évidemment à éviter le massacre.

Malgré cette absence d'orientation de la part de nos dirigeants, la réaction les présente comme étant les dirigeants et les initiateurs du mouvement. C'est un honneur tout à fait immérité qu'on leur rend, quoiqu'ils le rejettent en disant que c'est une calomnie ([16] [47]).

 

Le Front populaire

Pour tous ceux qui voyaient le Front populaire comme le sauveur de la classe ouvrière, ce mouvement est extrêmement riche en leçons. Il fut provoqué préci­sément par des composantes du Front populaire dans le but de renforcer l'appareil répressif de la bourgeoisie, il reste comme la preuve la plus évidente que le Front populaire est un Front contre-révolutionnaire qui en empêchant l'écrasement du capitalisme - cause du fascisme-prépare le chemin de ce dernier, tout en réprimant par ailleurs toute tentative de mener la révolution en avant.

La CNT, apolitique jusqu'au 19 juillet, est tombée dans le piège du Front populaire dès son entrée dans l'arène politique, cette malheureuse expérience se soldant par de nouvelles saignées dans les rangs prolétariens.

Pour les positions politiques du POUM antérieures au 19 juillet, cette évolution violente du Front populaire constitue une victoire théorique, puisqu'elles l'avaient prévue et prévenue.

Par rapport au stalinisme, il s'est pour la première fois dévoilé être une ennemi déclaré de la révolution prolétarienne, se mettant de l'autre côté de la barricade, luttant contre les ouvriers révolu­tionnaires en faveur de la bourgeoisie du Front populaire, dont le stalinisme est le fondateur et principal défenseur.

{Dans le} futur, la classe ouvrière ne peut plus avoir le moindre doute sur le rôle des Fronts populaires dans chaque pays.

Le danger d'intervention

La peur qu'avaient certains secteurs de l'intervention armée de l'Angleterre et de la France pendant le mouvement de mai montre une incompréhension du rôle joué à ce moment-là par ces puissances.

L'intervention anglo-française contre la révolution prolétarienne espagnole existe plus ou moins secrètement depuis plusieurs mois. Cette intervention s'exerce dans le contrôle de ces impérialismes sur les gouvernements de Valence et de Barcelone par le stalinisme ; on la retrouve dans la récente lutte au sein du gouvernement de Valence (toujours par l'intermédiaire du stalinisme) qui s'est conclue par l'élimination de Largo Caballero ([17] [48]) et de la CNT ; on la retrouve enfin dans les accords de "non-intervention" qui ne sont appliqués et respectés que lorsqu'il s'agit de défavo­riser le prolétariat espagnol. L'inter­vention ouverte des navires de guerre ou de troupes d'occupation ne ferait que modifier la forme de l'intervention.

Ouverte ou masquée, il faudra vaincre cette intervention ou elle nous vaincra.

A l'instar de toute révolution ouvrière, la notre doit et devra éliminer les exploiteurs nationaux, mais elle devra aussi mener l'inéluctable combat pour empêcher les tentatives interventionnistes du capita­lisme international. Il ne peut y avoir de triomphe de la révolution sans affronter et vaincre sur cet aspect de la guerre. Vouloir contourner ce problème revient à renoncer à la victoire, car jamais les impérialistes ne cesseront de leur propre gré de vouloir intervenir dans notre révolution.

Une bonne politique internationale de la part des révolutionnaires espagnols peut réveiller en notre faveur le prolétariat de ces pays qu'on veut mobiliser contre le prolétariat espagnol, et même le faire se retourner contre leur propre gouverne­ment. C'est l'exemple de la Révolution russe de 1917.

Discussion du mouvement

Le mouvement étant spontané, deux positions essentiellement pouvaient se prendre sur la marche à suivre (nous excluons l'inhibition) :

a) le considérer comme un mouvement de protestation, et dans ce cas il fallait lui donner rapidement un délai à court terme et prendre les mesures en conséquence pour éviter les sacrifices inutiles. En juillet 17, les dirigeants bolcheviques s'étaient efforcés de retenir le mouvement prématuré du prolétariat de la capitale sans pour autant perdre de leur prestige, ayant su justifier leur position.

b) Considérer que le mouvement était décisif pour la prise du pouvoir et dans ce cas le POUM, en tant qu'unique Parti marxiste révolutionnaire, aurait dû prendre la tête du mouvement de façon ferme, résolue et inébranlable, pour le coordonner et le diriger. Dans ce cas, il ne fallait naturellement pas attendre de se retrouver par hasard constitué en état-major de la révolution, il fallait agir rapidement, étendre le front de la lutte, l'étendre à toute la Catalogne, proclamer sans détour que le mouvement était dirigé contre le gouvernement réformiste, clarifier d'entrée que les Comités de défense et leur Comité central devaient se constituer sans atermoiement, les organiser à tout prix pour qu'ils deviennent des organes de pouvoir face au gouvernement de la Generalitat, et attaquer sans délai les endroits straté­giques en profitant des longues heures de désorientation  et  de panique  que connaissaient nos adversaires.

Mais si la crainte qui s'est manifestée dans la direction du POUM à s'affronter aux dirigeants confédéraux dès le début (il était ensuite trop tard) est un cas de renoncement au détriment du Parti, c'est-à-dire contraire aux premières mesures adoptées au début du mouvement et contraire à son indépendance politique, l'excuse possible d'un parti qui n'aurait pas été en conditions d'assumer la direction du mouvement n'est pas moins contraire aux intérêts du Parti, car le POUM ne pourra jamais jouer d'autre rôle que celui de véritable Parti bolchevique, prenant la direction du mouvement et non en déclinant "modeste­ment" l'orientation résolue des mouve­ments de la classe ouvrière. Il ne suffit pas que le Parti qui se dit "de la révolution" soit aux côtés des travailleurs en lutte, encore doit-il être une avant-garde.

S'il n'avait pas hésité, s'il n'avait pas une fois de plus attendu les positions des éléments "trentistes" de la direction confédérale (le courant ouvertement réformiste de la CNT - ndt), et même en cas de défaite, de répression et d'illégalité, le POUM serait sorti extrêmement renforcé de cette bataille.

Le seul groupe qui tenta de prendre une position d'avant-garde fut celui des Amis de Durruti qui, sans avancer de mots d'ordre totalement marxistes, eut le mérite indiscutable de proclamer qu'il luttait et appelait à lutter contre le gouvernement de la Generalitat.

Les résultats immédiats de cette insurrection ouvrière sont une défaite de plus pour la classe ouvrière et un nouveau triomphe pour la bourgeoisie pseudo démocratique ([18] [49]). Mais une action plus efficace, plus concrète de la direction de notre parti aurait pu avoir pour résultat une victoire au moins partielle des ouvriers. Dans le pire des cas, on aurait pu organiser un Comité central de défense, basé sur les délégations des barricades. Il aurait pour cela suffit de constituer d'abord une assemblée de délégués de chaque barricade du POUM et de quelques barricades de la CNT-FAI pour élire un Comité central provisoire. Ce Comité central, par un court Manifeste, aurait ensuite pu convoquer une deuxième assemblée en invitant des délégations de groupes absents lors de la première, et ainsi créer un organe central de défense. Dans le cas où le repli aurait quand même été estimé nécessaire, il aurait été possible de maintenir ce Comité central de défense comme organe embryonnaire de double pouvoir, c'est-à-dire comme Comité provisoire du Front ouvrier révo­lutionnaire, qui par sa démocratisation au moyen de la création de Comités de défense sur les lieux de travail et dans les casernes aurait pu poursuivre la lutte bien plus avantageusement qu'à présent contre les gouvernements bourgeois ([19] [50]).

Nous ne pouvons cependant pas exclure une variante infiniment plus favorable. Le Comité central de défense une fois constitué, comme indiqué, peut-être aurait-il été possible de prendre le pouvoir politique. Les forces bourgeoises (démoralisées et encerclées dans le centre de Barcelone) auraient pu être vaincues par une offensive rapide et organisée.

Ce pouvoir prolétarien à Barcelone aurait naturellement eu des répercussions dans toute la Catalogne et dans plusieurs endroits en Espagne. Toutes les forces du capitalisme national et international se seraient démenées pour l'écraser. Sa destruction aurait cependant été inévitable s'il ne s'était immédiatement renforcé par les moyens suivants : a) une volonté sans hésitation du POUM à agir en tant qu'avant-garde marxiste révolutionnaire, capable d'orienter et de diriger le nouveau pouvoir en collaboration avec les autres secteurs actifs de l'insurrection ; b) l'organisation du nouveau pouvoir se basant sur les Conseils ouvriers, de paysans et de combattants ou, ce qui revient au même, sur des Comités de défense constitués démocratiquement et centralisés comme il se doit ; c) l'extension de la Révolution en Espagne, par le biais d'une offensive rapide en Aragon ; d) la solidarité des ouvriers des autres pays. Sans ces conditions, la classe ouvrière catalane n'aurait pu se maintenir longtemps au pouvoir.

Pour mettre un terme à ce chapitre, disons que les hypothèses ici formulées veulent apporter des éléments à la discussion générale que les Journées de mai susciteront longtemps dans le milieu révolutionnaire.

 

Conclusions

1.  La classe ouvrière se trouve toujours dans une situation défensive, dans des conditions pires qu'avant l'insur­rection de mai. Elle aurait pu passer à l'offensive en mai, si la trahison et les capitulations n'avaient pas déterminé une défaite partielle qui ne signifie cependant pas [encore] une défaite définitive de la Révolution actuelle. Les ouvriers possèdent davantage d'armes qu'avant les Journées de mai, et s'ils ne se laissent pas entraîner par la provocation à une lutte prématurée, ils pourront dans quelques mois être à nouveau en conditions de prendre l'offensive.

2.  Ne pas avoir su prendre le pouvoir en juillet 36 a conduit à une nouvelle insurrection : celle de mai 37. La défaite de celle-ci rend inéluctable une nouvelle lutte armée que nous avons le devoir de préparer. Tant que ne sera pas détruit l'Etat bourgeois, contre lequel nous devons diriger notre lutte révolutionnaire, l'insurrection armée du prolétariat reste toujours une perspective du futur.

3.  Le mouvement de mai a démontré le véritable rôle des dirigeants anarcho-syndicalistes. Comme tous les réfor­mistes de toutes les époques, ils ont été -consciemment ou inconsciemment - les instruments de la classe ennemie dans les rangs ouvriers. La Révolution dans notre pays ne peut vaincre qu'à travers la lutte simultanée contre la bourgeoisie et les dirigeants réfor­mistes de tout poil, y compris de la CNT-FAI.

4. On a vu qu'il n'existe pas de vrai parti marxiste d'avant-garde dans notre révolution, et que cet instrument indispensable pour la victoire défi­nitive reste à forger. Le parti de la révolution ne peut avoir une direction hésitante et en permanence dans l'expectative, mais elle doit être fermement convaincue qu'il faut être devant la classe ouvrière, l'orienter, l'impulser, vaincre avec elle ([20] [51]). Il ne peut se déterminer uniquement à travers les faits consommés, mais doit avoir une ligne politique révolutionnaire qui serve de base à son action et empêche les adaptations opportunistes et les capitulations ([21] [52]). Il ne peut baser son action sur l'empirisme et l'improvisation, mais doit au contraire utiliser en sa faveur les principes de la technique et de l'organisation modernes. Il ne peut se permettre les moindres légèretés à sa direction, car elles se répercutent douloureusement amplifiées à la base, semant le germe de l'indiscipline, de l'absence d'abnégation, de la perte de conviction sur le triomphe de la révolution prolétarienne chez les moins forts.

5.  Une fois de plus, la nécessité inéluctable d'un Front ouvrier révolutionnaire a été démontrée, qui ne peut se constituer que sur la base d'une lutte à mort à la fois contre la bourgeoisie et son Etat, et contre le fascisme sur les fronts. Si les directions des organisations ouvrières révolu­tionnaires n'acceptent pas ces bases ([22] [53]) (qui s'opposent certainement à l'action qu'elles ont menée depuis juillet jusqu'à présent), il sera alors nécessaire de les promouvoir par la pression de la base.

6.  Aucune des leçons apprises ne pourra être utile si le prolétariat, et en premier lieu le Parti marxiste révolutionnaire, ne se livre pas à un intense travail pratique d'agitation et d'organisation. Même la lutte contre les menaces et les restrictions de la clandestinité exige une activité infatigable si nous ne voulons pas être irrémédiablement écrasés. Le point de vue affirmant que le Parti ne sera pas plongé dans la clandestinité ne peut se comprendre que comme l'expression de l'intention d'une nouvelle adaptation et d'une nouvelle démission devant la lutte révolutionnaire en ce moment, intention peut-être décisive ([23] [54]).

J. Rebull


[1] [55] Cf. le livre en espagnol que le CCI vient de publier Espana 1936 : Franco y la républica masacran a los trabajadores, Valencia, avril 2000, 159 p.

[2] [56] Voir par exemple Histoire du POUM, Victor Alba, Editions Champ Libre, Paris, 1975. Histoire écrite par un ancien membre du POUM.

[3] [57] Cf. : le travail effectué sur J. Rebull, par A. Guillamon dans Balance n° 19 et 20, octobre 2000.

[4] [58] El Bloque Obrero y Campesino est fondé en mars 1931 à Terrassa, ville de la banlieue industrielle de Barcelone.

[5] [59] Né en 1896 à Bonanza (Province de Huesca), il subit 1'influence de la révolution russe et de l'anarcho-syndicalisme. En 1919, il est membre de la CNT, participe au 2e Congrès de la CNT où il rencontre Andrés Nin et avec lui, il se prononce pour 1'adhésion à l'Internationale communiste. Le congrès approuva cette adhésion. Il est ensuite membre du Parti communiste espagnol et un de ses dirigeants jusqu'à son expulsion de ce parti avec la Fédération communiste catalano-baléare en 1930 qui représentait le tiers du parti.

[6] [60] Né en 1892 à Vendrell en Catalogne. Ce dernier possède le même parcours politique que J. Maurin. Puis il devient un des secrétaires de l'Internationale Syndicaliste Rouge à Moscoujusqu'en 1928. Ayant manifesté sa sympathie pour Trotsky il est démis de ses fonctions. Quand il réussit à quitter l'URSS et à rentrer en Espagne en 1930, il participe à l’Opposition de gauche internationale. Après sa rupture avec celle-ci, il fait partie du groupe qui porte le nom de Gauche Communiste. La proposition de fusion de Nin avait été refusée en 1934 par le BOC, elle se réalisa le 29 septembre 1935 et prit le nom de POUM. Nin est assassiné en 193 7 par les agents du NKVD de Staline.

 

[7] [61] Marx a été capable de saluer la lutte mais aussi de dire qu ' elle était perdue et ne pouvait qu ' aboutir à un échec sanglant du fait de son isolement. Selon Marx, les prolétaires étaient partis "à l'assaut du ciel ".

[8] [62] Au cours des "journées de juillet" 1917, Lénine est capable de dire que le moment n'est pas favorable à la classe ouvrière. Par contre, à partir du mois de septembre, il pousse à la préparation de 1'insurrection.

[9] [63] Dans l'Ordre règne à Berlin elle sait qu'après l'échec de la semaine insurrectionnelle, la bourgeoisie va déchaîner sa répression. Elle ne saura pas en tirer les conclusion sjusqu'au bout ; cette erreur lui coûtera cher car elle sera assassinée comme K. Liebknecht.

1. [10] [64] Il existe deux versions du texte de Josep Rebull. La première fut publiée dans le Bulletin du Comité local du POUM, datée du 29 mai 1937. La seconde fut publiée dans le Bulletin de discussion édité par le Comité de défense du Congrès (du POUM), Paris, 1er juillet 1939. Les passages ajoutés dans ce dernier seront mises entre crochets : [ ]. Les modifications plus importantes seront indiquées par des notes en bas de page. Les rares indications du rapporteur de ce travail d'archives seront placées entre les signes {}

[11] [65] L'UGT est le deuxième syndicat en importance après la CNT anarchiste. Il est sous la direction du PSOE, le parti socialiste espagnol, mais en Catalogne il est contrôlé par le PSUC stalinien.

[12] [66] Dans le texte de 1939, le mot anglais "handicap" est remplacé par le mot espagnol "desventaja" (désavantage).

 

[13] [67] Note 1 de Rebull, qui fut supprimée dans la version publiée en 1939} La cél. 72 possède un plan de Barcelone avec les barricades et les positions des forces en présence durant la bataille. Son examen s'avère extrêmement intéressant. Il est à la disposition de tous les camarades.

[14] [68] {La différentiation que fait Josep Rebull entre les Comités locaux de Barcelone et les comités supérieurs, national et régional, est à souligner. Au sein de la CNT, à Barcelone, l'organisation informelle des Comités de fabrique et de défense des quartiers était coordonnée par Manuel Escorza. Cf. la coïncidence avec Abel Paz, Viaje alpasado (1936-39) (Voyage danslepassé, 1936-39), Ed. Autor, Barcelone, 1995.}

[15] [69] [«Les travailleurs qui combattaient dans la rue étant dépourvus d'objectifs concrets et d'une direction responsable, le POUM ne pouvait qu'ordonner et organiser une retraite stratégique... » (Résolution du CC sur les Journées de mai, point 3)]. {Cette note n'apparaît pas dans la version de 1937}.

5.  [16] [70] [«Unepartie de la presse nationale et étrangère fait les efforts les plus extraordinaires - et ils doivent l'être - pour nous présenter comme les "agents provocateurs " des événements qui se sont déroulés la semaine dernière à Barcelone... Si nous avions donné l'ordre de commencer le mouvement le 3 mai, nous n'aurions aucune raison de le cacher. Nous avons toujours assumé nos paroles et nos actes... Notre Parti ne fit que se joindre à lui - nous l'avons déjà dit à maintes reprises et nous le répétons simplement aujourd'hui. Les travailleurs étaient dans la rue et notre Parti se devait d'être présent aux côtés des travailleurs... » (Editorial de La Batalla, 11 mai 1937, souligné par nous).] {Cette note n'était pas publiée dans la version de 1937}.

 

[17] [71] Dirigeant socialiste de gauche

[18] [72] {Note ajoutée par Rebull en 1939} :[La direction du POUM comprit tout au contraire que l'ordre de repli donnait la victoire aux ouvriers. L'épilogue de cette "victoire ouvrière" fut la répression sanglante.]

[19] [73] {Cette note existait déjà dans le premier texte publié en 1937} : [Le Comité local de Barcelone travailla dans ce sens dès le mardi, mais il manqua l'enthousiasme de la direction pour aller jusqu'au bout].

[20] [74] {Rebull constate que le POUM n'est pas un parti révolutionnaire, et qu'il ne le sera jamais tant que dominera la stratégie politique de l'actuel CE}.

 

[21] [75] {Il s'agit là d'une critique directe au CE du POUM].

[22] [76] {Note ajoutée par Rebull en 1939} : [Bases qui font partie des Contre thèses que nous invoquions au début].

[23] [77] {Note ajoutée par Rebull en 193 9} :[Ldirection ne prit en effet pas les mesures nécessaires par rapport au travail illégal et l'organisation clandestine. Malheureusement, comme nous 1 ' avons vu, ces mêmes dirigeants furent les premières victimes de cette erreur.] {C'est le premier avertissement manifesté par un dirigeant poumiste sur l'imminence de la répression contre les révolutionnaires, et donc sur la nécessité urgente de se préparer à la clandestinité, répression qui commença à partir du 16 juin avec la mise hors la loi du POUM, l'arrestation de ses dirigeants, la séquestration et 1 ' assassinat de Nin, la persécution des militants}.

 

Géographique: 

  • Espagne [78]

Evènements historiques: 

  • Espagne 1936 [79]

1921 comprendre Kronstadt

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Il y a 80 ans, en mars 1921, 4 ans après la prise du pouvoir par la classe ouvrière lors de la Révolution d'octobre 1917 en Russie, le Parti bolchevik met fin par la force à l'insurrection de la garnison de la flotte de la Baltique à Kronstadt sur la petite île de Kotline dans le Golfe de Finlande à 30 kilomètres de Petrograd.

Le Parti bolchevik avait dû mener durant plusieurs années un combat sanglant dans la guerre civile contre les armées contre-révolutionnaires des bourgeoisies russe et étrangères. Mais la révolte de la garnison de Kronstadt est nouvelle et différente : c'est une révolte au sein même des partisans ouvriers du régime des soviets qui avaient été à l'avant-garde de la Révolution d'octobre. Ceux-ci mettent en avant des revendications en vue de corriger les nombreux abus et les déviations intolérables du nouveau pouvoir.

Depuis lors, l'écrasement violent de cette lutte reste une référence pour comprendre le sens du projet révolutionnaire. C'est encore plus vrai aujourd'hui alors que la bourgeoisie s'évertue à prouver à la classe ouvrière qu'il y a un fil ininterrompu reliant Marx et Lénine à Staline et au goulag.

Notre intention n'est pas de rentrer dans tous les détails historiques. Il y a déjà d'autres articles dans la Revue internationale qui reviennent plus précisément sur l'événement. (Revue internationale n°3, "Les leçons de Kronstadt" et n°100, "1921 : le prolétariat et l'Etat de transition")

Par contre, nous saisirons l'occasion de cet anniversaire pour nous concentrer de manière polémique sur deux types d'arguments concernant la révolte de Kronstadt : d'abord l'utilisation de ces événements par les anarchistes pour prouver la nature autoritaire et contre-révolutionnaire du marxisme et des partis qui agissent en son nom ; ensuite l'idée qui existe toujours dans le camp prolétarien aujourd'hui selon laquelle l'écrase­ment de la rébellion était une "tragique nécessité" pour défendre les acquis d'Octobre.

 

La vision anarchiste selon l'historien anarchiste Voline :

"Lénine n'a rien compris - on plutôt n'a rien voulu comprendre - au mouvement de Kronstadt. L'essentiel pour lui et pouzr son parti était de se maintenir au pouvoir, coûte que coûte (...). En tant que marxistes, autoritaires et étatistes, les bolcheviks ne pouvaient admettre la liberté des masses, leur indépendance d'action. Ils n'avaient aucune confiance dans les masses libres. Ils étaient persuadés que la chute de leur dictature signifierait la ruine de toute l'oeuvre entreprise et la mise en péril de la Révolution avec laquelle ils se confon­daient (..).

Kronstadt fut la première tentative populaire entièrement indépendante pour se libérer de tout joug et réaliser la Révolution sociale : tenlative faite directement, résolument, hardiment par les masses laborieuses elles-mêmes, sans «bergers politiques», sans «chefs» ni tuteurs. Ce lut le premier pas vers la troisième Révolution sociale. Kronstadt tomba. Mais le devoir fut accompli et ce fut l'essentiel. Dans le labyrinthe compliqué et ténébreux des chemins qui s'offrent aux masses humaines en révolution, Kronstadt est un phare lumineux qui éclaire la bonne route. Peu importe que, dans des circonstances qui furent leurs les révoltés aient encore parlé du pouvoir (des Soviets) au lieu de bannir â tout jamais le mot et l'idée de «pouvoir», au lieu de parler de coordination, d'organisation, d'administration. C'est le dernier tribut paye au passé. Une fois l'entière liberté de discussion, d'organisation et d'action définitivement acquise par les masses laborieuses elles-mêmes, une fois le vrai chemin de l'activité populaire indépen­dante entrepris, le reste viendra s'enchainer automatiquernent. "(Voline, La Révolution inconnue)

Donc, pour les anarchistes dont Voline exprime brièvement les visions, la répression de la révolte de Kronstadt est naturelle. C'est la conséquence logique des conceptions marxistes des bolcheviks. Le substitutionnisme du parti, l'identifi­cation de la dictature du prolétariat à la dictature du parti, la création d'un Etat de transition étaient l'expression d'une grande soif de pouvoir, d'autorité sur les masses à qui les bolcheviks n'accordaient aucune confiance. Selon Voline, le bolchevisme signifie le remplacement d'une forme d'oppression par une autre.

Mais pour lui, Kronstadt n'est pas une simple révolte mais un modèle pour le futur. Si le soviet de Kronstadt s'était limité aux tâches économiques et sociales (coordination, organisation, admi­nistration) et avait oublié les tâches politiques (ses propos sur le pouvoir des soviets), il aurait représenté l'image de ce que la vraie révolution sociale devrait être : une société sans leader, sans parti, sans Etat, sans pouvoir d'aucune sorte, une société de liberté immédiate et totale.

Malheureusement pour les anarchistes, la première de leurs leçons coïncide très exactement avec l'idéologie dominante de la bourgeoisie mondiale selon laquelle la révolution communiste ne peut mener qu'à une nouvelle forme de tyrannie.

Cette coïncidence de vues entre les anarchistes et la bourgeoisie n'est pas accidentelle. Les deux mesurent l'histoire selon des abstractions telles que l'égalité, la solidarité et la fraternité, contre la hiérarchie, la tyrannie et la dictature. La bourgeoisie utilise cyniquement et hypocritement ces principes moraux contre la Révolution d'octobre pour justifier la brutalité des forces contre­révolutionnaires entre 1918 e t 1920 quand elle a engagé des interventions armées et appliqué le blocus économique contre la Russie. D'un autre côté, l'alternative concrète au bolchevisme proposée par les anarchistes n'est qu'une utopie naïve dans laquelle les difficultés historiques auxquelles la révolution prolétarienne s'est trouvé et se trouvera confrontée, disparaissent mystérieusement.

Mais, comme les événements d'Espagne en 1936 vont confirmé, après avoir rejeté la conception historique marxiste de la révolution, la naïveté anarchiste est obligée de capituler dans la pratique face à la contre-révolution de la bourgeoisie.

Si les bolcheviks étaient, comme il est dit par Voline, fondamentalement motivés par une passion pour le pouvoir absolu, l'anarchisme est par contre incapable de répondre à toute une série de questions qui émergent de la réalité historique. Si le but ultime des bolcheviks était le pouvoir, pourquoi, contrairement à la majorité de la Social-démocratie, se sont ­ils condamnés à une période d'ostracisme entre 1914 et 1917 en dénonçant la guerre impérialiste et en appelant à la transformer en guerre civile? Pourquoi, contrairement aux mencheviks et aux socialistes­révolutionnaires, ont-ils refusé de se joindre au gouvernement provisoire avec la bourgeoisie russe libérale après la révolution de février 1917 ([1] [80]) et ont-ils, à la place, mis en avant le mot d'ordre : "tout le pouvoir aux Conseils ouvriers" ?

Pourquoi ont-ils eu confiance dans les capacités de la classe ouvrière russe à commencer la révolution prolétarienne mondiale en octobre, contrairement à la majeure partie de la Social-démocratie internationale qui la considérait comme trop arriérée et trop peu nombreuse pour renverser la bourgeoisie ? Pourquoi au contraire ont-ils fait confiance à la classe ouvrière, gagné et obtenu son appui pour faire tous les sacrifices nécessaires pour survivre au blocus des Alliés et pour résister les armes à la main aux armées contre-révolutionnaires lors de la guerre civile ?

Comment comprendre qu'ils aient pu inspirer la classe ouvrière internationale qui a suivi la voie russe dans ses tentatives révolutionnaires en Europe et dans le reste du monde? Comment le parti bolchevik a-t-il pu être à l'initiative de la création d'une nouvelle internationale, l'Internationale communiste, à l'échelle mondiale ?

Enfin, pourquoi le proccssus d'intégration du parti dans l'appareil d'Etat et l'usurpation du pouvoir ouvrier des organes de masse (les conseils ouvriers et les comités d'usine) et finalement l'utilisation de la force contre la classe ouvrière ne sont-ils pas arrivés du jour au lendemain, mais après une période de plusieurs années ?

La théorie de la «méchanceté» inhérente aux bolcheviks n'explique ni la dégéné­rescence de la révolution russe en général, ni l'épisode de Kronstadt en particulier.

En 1921, la révolution en Russie et le parti bolchevik qui la dirige sont confrontés à une situation très difficile. L'extension de la révolution en Allema­gne et aux autres pays semble beaucoup moins probable qu'elle ne l'était en 1919.

La situation économique mondiale s'est relativement stabilisée et le soulèvement des ouvriers en Allemagne a échoué.

En Russie, malgré la victoire dans la guerre civile, la situation est dramatique du fait des assauts répétés des forces armées contre-révolutionnaires et de l'étranglement du pays organisé sciem­ment par la bourgeoisie internationale. L'infrastructure industrielle est en ruines et la classe ouvrière a été décimée par les sacrifices qu'elle a consentis sur les champs de bataille de la guerre mondiale puis de la guerre civile, ou parce qu'elle est contrainte de quitter en masse les villes pour la campagne afin de pouvoir survivre.

Les bolcheviks sont aussi aux prises avec l'impopularité croissante du régime, non seulement de la part de la paysannerie qui a déclenché une série d'insurrections dans les provinces, mais surtout dans la classe ouvrière qui a engagé une vague de grèves à Petrograd à la mi-février 1921. C'est alors que surgit Kronstadt.

Comment la Russie pouvait-elle rester un bastion de la révolution mondiale, survivre à la désaffection de la classe ouvrière et à la désintégration économique tout en attendant le soutien révolu­tionnaire qui tardait de la part de la classe ouvrière des autres pays en particulier des pays européens ?

Les anarchistes n'ont pas d'explication à la dégénérescence de la révolution. Ils ferment les yeux sur le problème de la suprématie politique du prolétariat, de la centralisation de son pouvoir, de l'extension internationale de la révolution et de la période de transition vers la société communiste. Cela n'empêche pas que les bolcheviks ont commis une erreur catastrophique en donnant une réponse militaire à la révolte de Kronstadt et en traitant la résistance de la classe ouvrière à leur égard comme un acte de trahison et contre- révolutionnaire.

Mais le parti bolchevik ne bénéficie pas de la sagesse rétrospective et du recul historique par rapport à l'événement que les révolutionnaires doivent avoir aujourd'hui. Il ne peut s'appuyer que sur les acquis du mouvement ouvrier de l'époque qui n'a jamais dû se confronter auparavant à la tâche immense et difficile de se maintenir au pouvoir dans un monde capitaliste hostile. Le rapport entre les soviets et le parti de la classe ouvrière après la prise du pouvoir victorieuse n'est pas clair, ni non plus le rapport de ces deux organes de la classe ouvrière avec l'Etat de transition qui succède inévita­blement à la destruction de l'Etat bourgeois.

En prenant le pouvoir d'Etat et en y incorporant graduellement les conseils ouvriers et les comités d'usine, le parti bolchevik patauge dans l'inconnu. Selon l'opinion dominante de l'époque au sein même du mouvement ouvrier, le danger principal pour la révolution vient de l'extérieur du nouvel appareil d'Etat : de la bourgeoisie internationale, de la bourgeoisie russe en exil et de la paysannerie.

Aucune tendance au sein du mouvement communiste à ce moment, même pas la courant de «gauche», n'a de perspective alternative même si certains révolu­tionnaires protestent, y compris au sein même du parti bolchevik, contre la bureaucratisation du régime. Mais les orientations de ces révolutionnaires sont limitées et contiennent d'autres dangers. L'Opposition ouvrière de Kollontaï et Chliapnikov appelle les syndicats à défendre les ouvriers contre les excès de l' Etat en oubliant que les conseils ouvriers sont devenus les organes de masse du prolétariat révolutionnaire.

D'autres au sein du parti bolchevik s'opposent à l'écrasement de la révolte : les membres du parti à Kronstadt se joignent au mouvement et des éléments comme Miasnikov vont former, par la suite, le Groupe ouvrier et s'opposent à la solution militaire. Mais les tendances de «gauche» qui existent dans le parti et dans l'Internationale Communiste appuient cependant l'usage de la violencc malgré leurs critiques au régime bolchevik. L'Opposition Ouvrière russe se porte même volontaire pour l'assaut contre Kronstadt. Le Parti conununiste ouvrier allemand, le KAPD, qui est contre la dictature du parti, appuie également l'action militaire contre la rébellion de Kronstadt (cela n'empêche pas certains anarchistes, aujourd'hui, comme ceux de la Fédération anarchiste de Grande ­Bretagne, de se revendiquer du KAPD et de la présenter comme leur ancêtre).

Finalement les revendications du Conseil ouvrier de Kronstadt, contrairement à l'opinion de Voline, ne fournissent pas non plus une perspective alternative cohérente puisqu'elles se situent principalement dans un contexte immédiat et local et qu'elles ne prennent pas en compte les questions plus larges posées par le bastion prolétarien et la situation mondiale. En particulier, elles ne donnent pas de réponses sur le rôle que le parti d'avant-garde doit avoir ([2] [81]).

Ce n'est que plus tard, bien plus tard, que les révolutionnaires, en essayant de tirer toutes les leçons de la défaite de la révolution russe et de la vague révo­lutionnaire de 1917-23, pourront pointer les véritables leçons de cet épisode tragique.

"Des circonstances se produisent où un secteur prolétarien - et nous concédons même qu'il ait été la proie inconsciente de manouvres ennemies - passe à la lutte contre l'Etutproléturierz. Contment.faire face à cette situation ? En partant de la question principielle que ce n'est pas par la force et la violence qu'on impose le socialisme au prolétariat. Il valait mieux perdre Kronstadt que de le garder au point de vue géographique alors que substantiellement cette victoire ne pouvait avoir qu'un seul résultat.- celui d'altérer les bases mêmes, la substance de l'action rnenée par le prolétariat. " (Octobre n° 2, mars 1938, organe du Bureau international des Fractions de la Gauche communiste)

La Gauche communiste met le doigt sur le problème essentiel : en utilisant la violence de 1'Etat contre la classe ouvrière, le parti bolchevik fait pénétrer la contre­ révolution en son sein. La victoire contre Kronstadt accélère la tendance du parti bolchevik à devenir un instrument de l'Etat russe contre la classe ouvrière.

A partir de cette compréhension, la Gauche cornmuniste sera capable de tirer une autre conclusion d'importance. Pour se maintenir comme avant-garde du prolétariat, le parti communiste doit protéger son autonomie vis-à-vis de l'Etat post-révolutionnaire qui reflète la tendance inévitable à la préservation du statu-quo et qui empêche l'avancée du processus révolutionnaire.

 

La vision bordiguiste

Cependant, au sein de la Gauche communiste d'aujourd'hui, cette conclusion est loin d'être défendue par tous. En fait, une partie de la Gauche, particulièrement le courant bordiguiste, est revenue aux justifications de Lénine et de Trotsky sur la répression de Kronstadt, et cela en complète contradiction avec la position de la Fraction italienne en 1938 :

"Il serait vain de disculer des terribles exigences d'une situation qui ont contraint les bolcheviks a écraser Kronstadt avec quelqu'un qui refuse par principe qu’un pouvoir prolétarien en train de naître ou de se consolider puisse tirer sur des ouvriers. L'examen du terrible problème que l'Etat prolétarien a dû affronter renforce à son tour la critique d'une vision de la révolution à l'eau de rose et permet de comprendre pourquoi l'écrasement de cette rébellion fut, selon le mot de Trotsky : «une tragique nécessité», mais une nécessité et même un devoir. " ("Kronstadt : une tragique nécessité ", Programme communiste n°88, organe théorique du Parti commu­niste international, mai 1982)

Passant par-dessus la tradition à laquelle il prétend appartenir, le courant bordiguiste peut bien défendre l'interna­tionalisme intransigeant du parti bolchevik, mais il défend aussi avec tout autant de véhémence ses erreurs. Il reste ainsi incapable d'apprendre de toutes les conditions de la dégénérescence du parti et de la révolution ([3] [82]).

Selon ce courant, le rapport du parti à la classe ouvrière et à l'Etat post­ révolutionnaire dans le processus révolutionnaire ne pose pas de problème de principe mais seulement d'opportunité, de tactique, sur comment dans chaque situation l'avant-garde révolutionnaire assume sa fonction de la meilleure manière :

"Cette lutte titanesque ne peut pas ne pas provoquer au sein même du prolétariat des tensions terribles. En effet, s'il est évident que le parti ne fait pas la révolution et ne dirige pas la dictature contre, ni rnême, sans les masses, la volonté révolutionnaire de la classe ne se manifeste pas par des consultations électorales ou des «sondages» mettant en évidence une «majorité numérique» ou, chose encore plus absurde, une unanimité. Elle s 'exprime par une montée et une orientation toujours plus précise de luttes où les fractions les plus déterminées entraînent les indécis et les hésitants, et balaient s'il le faut les opposant. Au cours des vicissitudes de la guerre civile et de la dictature, les positions et les rapports des différentes couches peuvent changer. Et, loin de reconnaitre en vertu d'on ne sait quelle «démocratie soviétique» le même poids et la même importance à toutes les couches ouvrières, ou petites-bourgeoises, explique Trotsky dans Terrorisme et communisme, leur droit même de participer aux soviets, c'est-à-dire aux organees de l'Etat prolétarien, dépend de leur attitude dans la lutte.

Aucune « règle constitutionnelle», aucun «principe démocratique» ne permet d'harmoniser alors les rapports au sein du prolétariat. Aucune recette ne permet de résoudre les contradictions entre les besoins locaux et les exigences de la révolution internationale, entre les besoins immédiats et les exigences de la lutte historique de la classe, contra­dictions qui trouvent leur expression dans l'opposition des diverses fractions du prolétariat. Aucun formalisme ne permet de codifier les rapports entre le parti, fraction la plus avancée de la classe et organe de sa lutte révolutionnaire, et les masses qui subissent à des degrès divers la pression des conditions locales et immédiates. Même le meilleur parti, celui qui sait «observer l'état d'esprit de la masse et influer sur lui» comme dit Lénine, doit parfois demander l'impossible aux masses. Plus exactement, il ne trouve la «limite» du possible qu'en essayant d'aller plus loin. " (Ibid.)

En 1921, le parti bolchevik choisit la mauvaise voie sans aucune expérience antérieure et sans paramètre pour s'orienter. Aujourd'hui, de manière absurde, les bordiguistes font des erreurs commises par les bolcheviks une vertu et déclarent qu"`il n’y a pas de principe ". Ils font disparaître le problème de l'exercice du pouvoir prolétarien en présentant les méthodes pour arriver à une position commune de toute la classe ouvrière comme formalistes et abstraites. Même s'il est vrai qu'il n'y a jamais de moyen idéal pour établir un consensus dans une situation extrêmement mou­vante, les conseils ouvriers ont montré qu'ils sont les moyens les plus adéquats pour refléter et exprimer la volonté révolutionnaire en évolution du proléta­riat comme un tout, même si l'expérience de 1918 en Allemagne et ailleurs montre qu'ils peuvent être vulnérables à la récupération par la bourgeoisie. Même si les bordiguistes ont la générosité d'admettre que le parti ne peut pas faire la révolution sans les masses, pour eux, celles-ci n'ont donc aucun moyen d'exprimer leur volonté révolutionnaire comme classe dans son ensemble sauf à travers le parti et avec la permission du parti. Et le parti peut, si nécessaire, corriger le prolétariat avec des fusils comme à Kronstadt. Selon cette logique, la révolution prolétarienne a deux mots d'ordre contradictoires : avant la révolution "tout le pouvoir aux soviets" ; après la révolution "tout le pouvoir au parti".

A l'opposé de la revue Octobre, les bordiguistes ont oublié que contrairement à la révolution bourgeoise, les tâches de la révolution prolétarienne ne peuvent être déléguées à une minorité. Elles ne peuvent être réalisées que par la majorité consciente. L'émancipation des ouvriers est l'oeuvre de la classe ouvrière elle­ même.

Les bordiguistes rejettent à la fois la démocratie bourgeoise et la démocratie ouvrière comme s'il s'agissait de la même supercherie. Mais les conseils ouvriers - les moyens par lesquels le prolétariat se mobilise pour le renversement du capitalisme - doivent être les organes de la dictature prolétarienne qui reflètent et régulent les tensions et les différences au sein du prolétariat et qui maintiennent leur pouvoir armé sur l'Etat transitoire. Le parti, indispensable avant-garde, aussi clair et en avance sur le reste du prolétariat qu'il puisse être à tel ou tel moment, ne peut se substituer lui-même à l'ensemble de la classe Ouvrière organisée en conseils ouvriers pour l'exercice de ce pouvoir.

Cependant, après avoir démontré le droit du parti - en pratique sinon "en principe" - de tirer sur les ouvriers, les bordiguistes, comme s'ils reculaient devant l'horreur de cette conclusion, continuent ensuite en déniant de toute façon tout caractère prolétarien à la révolte de Kronstadt. Reprenant une des définitions de Lénine d'alors, Kronstadt est une "contre-révolution petite­ bourgeoise" qui ouvre la porte à la réaction des gardes blancs.

Il ne fait pas de doute que toutes sortes d'idées confuses et même réactionnaires sont exprimées par les ouvriers de Kronstadt. Certaines apparaissent dans leur plate-forme. Il est aussi vrai que les forces organisées de la contre-révolution essaient d'utiliser la rébellion pour leurs propres fins. Mais les ouvriers de Kronstadt continuent à se considérer en continuité avec la révolution de 1917 et partie intégrante du mouvement proléta­rien à l'échelle mondiale :

"Que les travailleurs du monde entier sachent que nous, les défenseurs du Pouvoir des soviets, protégeons les conquètes de la révolution sociale. Nous vaincrons ou nous périrons dans les ruines de Kronstadt, en nous battant pour la juste cause des masses proléta­riennes. " (Pravda de Kronstadt)

Quelles que soient les confusions qu'ils expriment, il est absolument indéniable que leurs revendications reflétaient aussi les intérêts du prolétariat face aux terribles conditions d'existence, à l'oppression croissante de la bureaucratie étatique et à la perte de son pouvoir politique avec l'atrophie des conseils. Les tentatives d'alors faites par les bolcheviks pour les stigmatiser comme petits-bourgeois et agents potentiels de la contre-révolution ne sont bien sûr qu'un prétexte pour sortir par la force d'une situation terriblement dangereuse et complexe.

Avec l'avantage du recul historique et du travail théorique de la Gauche commu­niste, nous pouvons voir l'erreur de basé du raisonnement des bolcheviks : ils écrasent la révolte de Kronstadt et néanmoins, c'est une dictature anti­ prolétarienne, le stalinisme - pouvoir absolu de la bureaucratie capitaliste - qui finira par massacrer les communistes. En fait, en écrasant les efforts des ouvriers de Kronstadt pour régénérer les conseils, en s'identifiant avec l'Etat les bolcheviks ouvrent la voie au stalinisme sans le savoir. Ils participent à l'accélération du processus contre-révolutionnaire qui allait avoir des conséquences beaucoup plus terribles et tragiques pour la classe ouvrière qu'une restauration des blancs. En Russie, la contre-révolution triomphe en se proclamant elle-même communiste. L'idée que la Russie stalinienne est l'incarnation vivante du socialisme et en continuité directe avec la Révolution d'octobre sème une terrible confusion et une démoralisation incalculable dans les rangs de la classe ouvrière partout dans le monde. Nous vivons encore avec les conséquences de cette distorsion de la réalité, avec l'identification entre la mort du stalinisme et la mort du communisme que fait la bourgeoisie depuis 1959.

Mais les bordiguistes, malgré cette expérience, s'identifient toujours avec l'erreur tragique de 1921. C'est à peine une "tragique" nécessité pour eux mais un devoir communiste qui devra être répété !

Comme les anarchistes, les bordiguistes ne voient aucune contradiction entre le parti bolchevik de 1917 qui dirige mais aussi s'en remet et dépend de la volonté armée du prolétariat révolutionnaire organisé dans les conseils et le parti bolchevik de 1921 qui a vidé les conseils de leur pouvoir antérieur, qui a retourné la violence de l'Etat contre la classe ouvrière. Mais alors que les anarchistes aident la bourgeoisie dans ses campagnes actuelles qui présentent les bolcheviks comme des tyrans machiavéliques, les bordiguistes célèbrent cette image malheureuse comme le point culminant de l'intransigeance révolutionnaire.

Mais une Gauche communiste digne de ce nom, tout en se réclamant de l'héritage bolchevik, doit aussi être capable de critiquer ses erreurs. L'écrasement de la révolte de Kronstadt en est une des plus négatives et dramatiques.

Como.



[1] [83] Révolution qui a vu les masses ouvrières et populaires mettre à bas le tsarisme.

[2] [84] Voir la Revue Internationale n°3 sur la Plate­forme de la révolte de Kronstadt.

[3] [85] Le Bureau international pour le parti révolu­tionnaire, le BIPR, autre branche de la Gauche communiste a une position ambiguë sur Kronstadt. Un article publié dans Revolutionary perspectives n° 23 (1986) réaffirme le caractère prolétarien de la Révolution d'octobre et du parti bolchevik qui la dirigea. Il rejette les idéalisations anarchistes de la révolte de Kronstadt en soulignant que la révolte reflétait des conditions profondément défavorables pour la révolution prolétarienne et qu'elle contenait beaucoup d'éléments confus et réactionnaires. En même temps l'article critique l'idée bordiguiste selon laquelle l'assaut contre Kronstad tétait une nécessité pour préserver la dictature du parti. Il affirme qu'une des leçons essentiel les de Kronstadt est que la dictature du prolétariat doit être exercée par la classe ouvrière elle-même au moyen des conseils ouvriers (les soviets) et non par le parti. L'article montre aussi que les erreurs des bolcheviks concernant le rapport entre le parti et la classe, dans le contexte général d'isolement dcla Révolution russe, ont accéléré la dégénérescence interne à la fois du parti et de l'Etat soviétique. Cependant l'article ne caractérise pas la révolte comme prolétarienne et ne répond pas à la question fondamentale : est-il possible que la dictature prolétarienne utilise la violence contre le mécon­tentement de la classe ouvrière ? Et qui plus est, il dit que la répression de la révolte était plus que justifiée puisqu'elle était le résultat de manipulations de la contre-révolution - même si cette répression a ouvert un chapitre de lente agonie dans le mouvement ouvrier.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [86]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [87]

Correspondance de Russie : Le rôle irremplaçable des fractions de gauche dans la tradition marxiste

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Nous avons salué à plusieurs reprises le surgissement d'éléments et de groupes révolutionnaires en Europe orientale et notamment en Russie. Ce phénomène s'inscrit très nettement dans un cadre international. Sur tous les continents, les groupes politiques prolétariens, qui représentent la tradition de la Gauche communiste, ont établi de nouveaux contacts avec ce type d'éléments durant ces dernières années. Il faut donc y voir une tendance caractéristique de la période présente à l'échelle du moyen terme. Depuis l'effondrement de l'URSS et de son bloc impérialiste, la bourgeoisie n'a cessé de proclamer triomphalement la faillite du communisme et la fin de la lutte de classe. Déjà déboussolée par ces événements, la classe ouvrière ne pouvait que reculer sous les coups de marteau de ces campagnes idéologiques bourgeoises. Mais en dehors des périodes de contre-révolution, une classe historique ne peut que réagir face à des attaques qui remettent profondément en cause son être et sa perspective propre. Si elle ne peut le faire encore par la généralisation de ses luttes revendicatives, alors c'est par le renforcement de son avant-garde politique qu'elle se défend. Les éléments isolés, les cercles de discussion, les noyaux et les petits groupes qu'on a vu apparaître et qui se placent sur le terrain de la perspective révolutionnaire, ne doivent pas chercher leur raison d'être en eux-mêmes ou dans la contingence. Ils sont une sécrétion de la classe ouvrière interna­tionale. C'est dire la responsabilité qui pèse sur leurs épaules. Ils doivent en premier lieu reconnaître le processus historique dont ils sont le produit et mener jusqu'au bout le combat pour la conscience, pour la clarification politique, sans craindre la dureté de la tâche.

Dans les pays à la périphérie des grandes puissances capitalistes, ces petites minorités se heurtent à mille difficultés : la dispersion géographique, les problèmes de langue, la situation d'arriération économique. Aux difficultés matérielles s'ajoutent encore les difficultés politiques résultant de la faiblesse du mouvement ouvrier et du faible ancrage, voire de l'absence, d'une tradition du marxisme révolutionnaire. En Russie, où la contre-révolution stalinienne a été la plus terrible, "au pays du grand mensonge" ([1] [88]) comme disait Anton Ciliga, l'entreprise de destruction et de travestissement du programme communiste a été poussée à son comble. Les potentialités contenues dans ces nouvelles énergies révolutionnaires se mesurent à la façon dont elles cherchent à surmonter ces difficultés :

-     par l'affirmation de l'internationalisme prolétarien, comme le montre leur dénon­ciation de la guerre et de tous les camps impérialistes en Tchétchénie et en ex­ Yougoslavie ;

-     par la recherche de contacts internationaux ;

-     par la redécouverte des courants politiques qui, dans les années 1920, avaient été les premiers à se lancer, au nom du commu­nisme, dans le combat contre la dégéné­rescence du mouvement communiste, la montée de l'opportunisme et du stalinisme. Voilà le terrain qu'occupe depuis toujours le marxisme révolutionnaire : il est international, internationaliste et développe une vision historique.

La démarcation vis-à-vis du gauchisme

Cette démarche révèle la nature authentiquement prolétarienne de ces groupes qui sont très vite confrontés à la nécessité de se démarquer du trotskisme actuel lequel trouve toujours de bonnes raisons pour inviter les ouvriers à participer à la guerre impérialiste, ainsi que du maoïsme, pur rejeton du "national-communisme" stalinien. C'est une frontière de classe qui sépare la Gauche communiste internationaliste du "gauchisme" ([2] [89]).

Il est bien évident que tous ces éléments prolétariens qui sont le produit d'une même situation sont en même temps très hétérogènes. Refuser la confusion entre communisme et stalinisme, dénoncer les affirmations les plus grossières de la propagande ennemie n'est pas le plus difficile car le contenu bourgeois de ces discours apparaît très vite sous la surface. "C'est bien Lénine qui a donné ses fondements au futur régime qu'on appelle «stalinien» " La preuve, poursuivent les journalistes les moins subtils, "c'est bien Lénine le fondateur de l’Internationale Communiste, dont le but est la «révolution socialiste mondiale». De son propre aveu, Lénine n'a entrepris la révolution d'Octobre que dans la conviction de l'inéluctabilité d'une révolution européenne, à commencer par la révolution allemande" (L'Histoire, n°250, p. 19) On peut se rendre compte très vite des mensonges véhiculés par l'étroitesse nationale de nos universitaires chevronnés. Mais l'offensive de la bourgeoisie ne se réduit pas à une telle caricature. Il reste encore à identifier et à défendre la signification profonde de la révolution russe et de l'œuvre de Lénine. Ici on se heurte non seulement à un avilissement de la théorie marxiste opéré de façon plus subtile par le gauchisme mais aussi à une série de confusions dangereuses ou de points programmatiques qui sont encore l'objet de discussions serrées au sein même du milieu politique prolétarien.

Il y a donc tout un processus de clarification que tous ces éléments n'ont pas forcément parcouru jusqu'au bout. Pour comprendre le phénomène stalinien, il faut encore se confrontera l'analyse trotskiste de "l'Etat ouvrier dégénéré", à celle des anarchistes qui y voient un produit normal du "socialisme autoritaire", à celle des conseillistes qui, au nom d'un marxisme parfaitement mécaniste, voient dans le bolchevisme l'instrument adapté aux besoins du capitalisme en Russie. Derrière ces questions c'est le problème de la filiation historique et de la cohérence du programme communiste qui est posé. Rejeter l'impatience activiste et se confronter à ce problème, c'est la condition pour rejoindre les rangs des militants anonymes qui poursuivent aujourd'hui la lutte pour le communisme, communisme qui, pour la première fois il y a 150 ans, fut présenté au prolétariat international sous la forme du Manifeste de Marx et d'Engels.

Mais quel est le fil qui relie la lutte prolétarienne d'hier, d'aujourd'hui et de demain? C'est toujours en partant de la dernière expérience révolutionnaire du prolétariat que l'on peut retrouver ce fil. C'est-à-dire, aujourd'hui, en partant de la révolution d'Octobre 1917. Il ne s'agit pas ici d'un respect religieux envers le passé. Il s'agit d'un bilan critique de la révolution, de ses magnifiques avancées et aussi de ses erreurs et de sa défaite. La révolution russe elle-même n'aurait pu être possible sans les enseignements tirés de la Commune de Paris. Sans le bilan critique de celle-ci effectué par la Fraction marxiste, sans les Adresses du Conseil général de l’AIT ou  la magnifique synthèse de Lénine exprimée par la suite dans L'Etat et la révolution, le prolétariat russe n'aurait pu vaincre. On retrouve ici la profonde unité de la pratique et de la théorie, de l'action et du programme communiste. Et ce sont les Fractions de la Gauche communiste qui assumèrent la lourde tâche de tirer le bilan de la révolution russe. Tout autant que dans le passé, ce bilan est vital pour la prochaine révolution.

C'est pourquoi nous saluons chaleureusement et soutenons de toutes nos forces les efforts en vue de la réappropriation de ce bilan. Pour notre part, nous nous sommes efforcés de fournir tous les documents de la Gauche communiste dont ces camarades ont besoin mais aussi de faire connaître leurs prises de position les plus significatives quand les problèmes de traduction pouvaient être surmontés, d'alimenter la controverse sur les principales questions politiques avec un état d'esprit militant, avec la volonté d'ouverture et de solidarité qui caractérise la discussion parmi les communistes.

Nous avons déjà rendu compte de l'évolution du milieu politique prolétarien en Russie dans la Revue Internationale n° 92 et 101 ainsi que dans nos organes de presse territoriaux. Nous voulons aujourd'hui rendre compte de notre correspondance avec le Bureau Sud du Parti Ouvrier Marxiste. Le POM (ou Marxist Labour Party) entend se situer dans la continuité du mouvement ouvrier et c'est en ce sens que le terme Ouvrier fait référence au Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie. Dans cette correspondance, les camarades s'expriment en tant que Bureau Sud car ils ne peuvent engager la responsabilité du POM sur le détail de leurs prises de position du fait même de la poursuite de la discussion en son sein. Mais laissons-les présenter eux-mêmes leurs luttes politiques depuis le premier congrès de mars 1990 qui décida la constitution du "P.O.M- Le parti de la dictature du prolétariat".

"C'est dans la bonne humeur que fut créé un nouveau parti communiste, ce qui tranchait avec le PCUS de Gorbatchev existant alors en URSS. Mais la composition idéologique des participants à ce premier congrès était aussi diverse qu'instable, une première rupture se produisit. Un petit groupe de 12 personnes (qui pensaient que la Russie était un «Etat féodal» avec une industrie développée à grande échelle et donc que l'URSS devait passer par une révolution bourgeoise pour arriver à la révolution socialiste) s'installèrent dans une pièce adjacente, aussitôt après la scission, et mirent sur pied un comité pour la création d'un parti «démocratique du travail (marxiste)». Mais ils n 'arrivèrent à rien et se sont dissous." ( lettre du 10/07/1999)

"Aucun trotskiste n'a participé à ce premier congrès, mais il restait quelques staliniens et des partisans du «féodalisme industriel» qui, contrairement aux scissionnistes, ne pensaient pas qu'une révolution bourgeoise était nécessaire.

Néanmoins, tous les participants trouvèrent une unité dans les slogans : «la classe ouvrière doit s'organiser» et «le pouvoir des Soviets (Conseils) est le pouvoir des ouvriers». Le deuxième congrès se tint également à Moscou en septembre 1990. Y furent adoptés plusieurs textesdu parti, dont le programme. Le caractère capitaliste d'Etat de l'URSS y fut adopté. Il va sans dire que les défenseurs restant du «féodalisme industriel en URSS» quittèrent le parti lors de ce congrès et constituèrent leur propre «Parti de la dictature du prolétariat (bolchevik)». Les staliniens, qui étaient très peu nombreux, quittèrent également le parti. " (Idem)

"Lors de la première conférence du POM en février 1991 furent abandonnés les termes «Le parti de la dictature du prolétariat» dans la dénomination du groupe. En 1994-1995 se constitua au sein du parti une petite fraction qui croyait qu'il y avait eu un mode de production néo-asiatique en URSS. Au début janvier 1996, cette fraction fit sécession et rejoignit les trotskistes morenistes (Argentine) de l'International Workers Party qui sont assez actifs en Russie et en Ukraine.'" (Idem)

"Dans le programme adopté au second congrès figurent notamment les principes de base suivants :

-     La nécessité de la dictature du prolétariat pour la transition au communisme (socialisme) et la nécessité de cette transition elle-même;

-     la dictature de la classe ouvrière urbaine, plus précisément, est une nécessité mais pas le parti de la dictature du prolétariat ou celle de «tous les travailleurs» ou encore celle «du peuple» ;

-     la ruine du parti russe du prolétariat dans les années 20 et la nécessité de sa création aujourd'hui ;

-     la reconnaissance que la "dictature de la classe " et la "dictature du parti " comme avant-garde de la classe ne sont pas une seule et même chose. "

Les camarades terminent en précisant : "Bien que dans le programme de 1990 soient absentes la critique de la théorie du «socialisme en un seul pays» et la nécessité de la révolution mondiale, elles sont pour nous un lieu commun et sont comprises comme allant de soi. "(Idem)

On voit donc combien la lutte a été âpre en Russie, combien il était vital de se séparer des staliniens défroqués qui se prennent encore pour des révolutionnaires. On voit aussi quelle pression exerce toute une panoplie de sectes trotskistes qui tentent de vendre des recettes révolutionnaires de leur composition. En 1980, les syndicats occidentaux (la CFDT en France, l'AFL-CIO aux Etats-Unis...) s'étaient empressés d'apporter leur soutien logistique à Solidarnosc contre la lutte des ouvriers polonais. Aujourd'hui, ce sont les trotskistes qui se ruent à l'Est, avec leurs bons conseils et leurs subsides, pour empêcher la renaissance d'un milieu politique prolétarien. Cette renaissance ne peut concerner encore qu'une minorité face aux multiples expressions d'une idéologie dominante par définition omniprésente.

La question de la filiation historique

Dans leurs lettres du 15 (que nous noterons [A]) et du 20 mars [B] 2000, les camarades prennent position sur notre polémique avec le BIPR publiée dans la Revue Internationale n°100 (La lutte de la classe ouvrière dans les pays de la périphérie du capitalisme) mais surtout ils développent une série dépositions officielles du Bureau Sud du POM.

Le rédacteur de ces deux lettres précise : "Les autres membres du BS du POM sont en accord avec les positions essentielles de ce commentaire. Vous pouvez donc regarder l'exposé ci-dessus comme notre position commune." [B]

Précisons tout d'abord que les camarades sont quelque peu décontenancés devant la polémique entre le CCI et le BIPR, tout simplement parce qu'ils n'ont pas encore eu les moyens d'examiner de près les positions fondamentales des uns et des autres. C'est pourquoi ils ont du mal à identifier réellement les divergences et qu'ils y voient plutôt des chicanes, des insistances sur tel aspect de la réalité plutôt que tel autre, "car très souvent, ce sont deux côtés d'une seule unité dialectique", disent-ils. Finalement, "vous avez tous raison", tout dépend de quel point de vue on se place. Nous pensons que l'expérience et la discussion leur permettront de se faire une opinion plus précise sur ce qui est commun et sur les divergences au sein du camp prolétarien. Les camarades écrivent :

"Voilà la faiblesse de la Gauche communiste en Europe occidentale selon nous : au lieu de coopérer avec succès et d'égal à égal, ou bien vous vous ignorez les uns les autres, ou bien vous «démasquez» les autres en «ramenant la couverture sur soi» comme disent les Russes. (...) Selon nous, le BS du POM, tous les communistes de Gauche, les «capétatistes» [ceux qui reconnaissent la nature capitaliste d'Etat de l'URSS], doivent travailler comme des collaborateurs scientifiques d'un centre de recherches, d'un centre unique ! [A]"

Nous n'avons pas peur de l'ironie polémique dont étaient friands tous les grands révolu­tionnaires, car il s'agit, à partir de l'exposé des positions réelles de nos adversaires, de montrer à quelles conséquences elles conduisent et de défendre fermement ce que nous considérons comme des principes intangibles du marxisme. Ce que nous attaquons, ce n'est pas telle personne ou tel groupe, mais une position qui relève d'une démarche opportuniste ou d'une erreur théorique qu'il faudra payer cher demain. C'est pourquoi l’intransigeance révolutionnaire ne contredit jamais la nécessaire solidarité entre communistes.

A partir de cette première impression, les camarades concluent à la faiblesse de la Gauche communiste en tant que courant historique. C'est surtout cette idée que nous voulons critiquer. Constatant que le BIPR et le CCI divergent sur la question de l'impérialisme et de la décadence du capitalisme, les camarades estiment qu'il y a là une erreur sur la méthode, qu'il ne s'agit pas de dire "soit... soit" mais de dire "et...et". En fait, c'est un reproche qui a souvent été adressé à la Gauche communiste. Il est évident que nous ne souscrivons pas à toutes les prises de position de la Gauche communiste qui a commencé à se dégager au sein de l'Internationale communiste. Par contre, c'est à tort qu'on l'a accusée d'être antiparti, d'impatience activiste, d'un radicalisme à la petite semaine qui refuse par principe les concessions, de glissements vers l'anarchisme et finalement d'un purisme stérile qui ne voit les questions qu'en termes d'oppositions tranchées, ou blanc, ou noir ; soit l'un soit l'autre. Tous les chefs de file de la Gauche communiste étaient profondément marxistes et attachés à la notion de parti. Leur but était précisément de défendre le parti contre l'opportunisme. Telle était la tâche de l'heure. "Camarade, écrivait Gorter dans sa 'Réponse à Lénine', la fondation de la Troisième Internationale n'a nullement fait disparaître pour autant l'opportunisme de nos propres rangs. Nous le constatons d'ores et déjà dans tous les partis communistes, dans tous les pays. Il aurait d'ailleurs été miraculeux et contraire à toutes les lois du développement que le mal dont la Deuxième Internationale est morte ne lui survive pas au sein de la Troisième !" (Editions Spartacus, 1979, p.85) "Il est absurde, stérile et extrêmement dangereux, reprenait Bordiga, de prétendre que le parti et l'Internationale sont mystérieusement assurés contre toute rechute dans l'opportunisme ou toute tendance à y retourner ! " (Projet de thèses de la Gauche au Congrès de Lyon, 1926) C'était le signe qu'un travail de fraction était à l'ordre du jour, et non pas un simple travail oppositionnel qui conduisit le courant de Trotsky dans l'impasse puis la faillite. Par là, la Gauche s'affirmait comme la réelle continuatrice du courant marxiste dans l'histoire du mouvement ouvrier. Elle reprenait ce travail de fraction que Lénine avait entrepris depuis 1903 face à l'opportunisme au sein de la Deuxième Internationale et qui avait permis aux bolcheviks de dénoncer tous les camps impérialistes en 1914, de rester fidèles aux principes du communisme et de permettre au parti de jouer tout son rôle au moment de 1'insurrection d'Octobre. C'était un travail pour le parti et non pas contre le parti. Il fallait mener le combat jusqu'au bout malgré les exclusions et toutes les entraves qu'y opposait la discipline formelle de la direction. Tel est le véritable esprit de Lénine dont la Gauche s'est inspirée. En 1911, Lénine systématise la notion de fraction à partir de l'expérience qu'avaient acquise les bolcheviks depuis leur constitution en fraction lors de la conférence de Genève de 1904 -."Une fraction est une organisation à l'intérieur du parti, qui est unie non pas par le lieu de travail, par la langue ou par quelque autre condition objective, mais par un système de conceptions communes sur les problèmes qui se posent au parti. " (Au sujet d'une nouvelle fraction de conciliateurs, les vertueux. Oeuvres complètes, tome 17, Editions de Moscou) En aucune façon l'intransigeance révolutionnaire ne s'oppose au réalisme, elle seule peut réellement prendre en compte les situations concrètes. Quoi de plus réaliste que le rejet par la Gauche communiste d'Italie de la position de Trotsky qui voyait s'ouvrir en 1936 une nouvelle période révolutionnaire.

La fraction est donc centrale dans la question de la filiation historique. C'est elle qui assure le lien entre l'ancien et le nouveau parti, à condition qu'elle sache tirer les leçons de l'expérience de la classe ouvrière et les traduire par un nouvel enrichissement du programme. Par exemple, les révolutionnaires avaient constaté que, depuis la première guerre mondiale, le rôle du parlement bourgeois s'était transformé. Mais c'est la Gauche communiste qui en tire les conséquences sur le plan des principes : rejet du parle­mentarisme révolutionnaire et de la participation aux élections de la démocratie bourgeoise. Une deuxième condition est également nécessaire pour la formation du nouveau parti. Il faut que le rapport de force entre les classes se soit modifié à l'avantage de la classe ouvrière permettant ainsi au parti d'influencer réellement le cours de la lutte de classe. Or cette influence et la fonction d'orientation politique qui échoit au parti ne sont possibles que lorsque la société avance vers une situation révolutionnaire. La formation du parti anticipe l'ouverture de la période révolutionnaire. C'est la Gauche communiste d'Italie qui, le plus profondément, a énoncé le rôle de la fraction et le moment de ce passage. Ecoutons ce qu'elle dit dans Bilan n°l :

"La transformation de la fraction en Parti est conditionnée par deux éléments intimement liés :

1. L'élaboration, par la Fraction, de nouvelles positions politiques capables de donner un cadre solide aux luttes du Prolétariat pour la Révolution dans sa nouvelle phase plus avancée. (...)

2. Le renversement des rapports de classe du système actuel (...) avec l'éclatement de mouvements révolutionnaires qui pourront permettre à la Fraction de reprendre la direction des luttes en vue de l'insurrection. "

Le matérialisme dialectique enseigne que le mouvement de la réalité est un phénomène complexe où agit une multitude de facteurs. C'est ce que nous rappellent les camarades du POM. Mais ils oublient que le système des contradictions qui produit la réalité débouche à certains moments sur une alternative claire et tranchée. Alors c'est soit l'un soit l'autre, ou le socialisme ou la barbarie, ou une politique prolétarienne ou une politique bourgeoise. La dérive centriste de la direction de l'Internationale, depuis le mot d'ordre de la conquête des masses, tient entièrement à la recherche de raccourcis immédiatistes qui altéraient profondément la politique de classe : et les conseils et les syndicats, et la lutte en dehors du parlement et le parlementarisme révolutionnaire, et l'interna­tionalisme et le nationalisme... Et ce fut le désastre. A chaque innovation politique un nouveau pas était franchi vers la défaite. Loin de renforcer les partis et noyaux communistes, les alliances nouées avec la social-démocratie ne firent que dilapider les forces qui ne pouvaient se développer que sur la base d'un programme clairement communiste. Le livre de Lénine, La maladie infantile du communisme, le gau­chisme, symbolise ce tournant centriste. Il part avec 1'idée de critiquer ce qu'il considère comme des erreurs passagères et inévitables d'un courant authentiquement révolutionnaire. "Evidemment l'erreur représentée par le doctrinarisme de gauche dans le mouvement ouvrier, dit-il, est, à l'heure présente, mille fois moins dangereuse et moins grave que l'erreur représentée par le doctrinarisme de droite (...)" (Editions 10/18, 1962, p. 159) Mais il finit par confondre les positions de la Gauche avec celles de l'anarchisme tandis qu'il rehausse le prestige de la droite sous prétexte qu'elle maintient encore sous sa domination de larges fractions du prolétariat. C'est ça le centrisme. Et la droite va largement utiliser cette autorité qui lui est conférée pour isoler la Gauche.

Travail salarié et marché mondial, deux caractères fondamentaux du capitalisme

Les camarades écrivent : ''Nous estimons que le XXIe siècle verra de nouvelles batailles pour l'indépendance nationale. Malgré toute la puissance (et même la décadence, selon vous) du capitalisme dans les pays hautement développés, le capitalisme dans les pays arriérés continue de se développer, de grandir à sa propre allure, si l'on peut dire. Et ce n 'est pas une question qui relève des principes, c 'est la réalité objective /"[A]

C'est effectivement un point de divergence important au sein du milieu politique prolétarien. Comme les camarades le savent, nous pensons que Lénine s'est trompé lorsqu'il répondit à Rosa Luxemburg : "Des guerres nationales ne sont pas seulement probables, elles sont inévitables, à une époque d'impérialisme, du côté des colonies et des semi-colonies." (Sur une brochure de Junius, octobre 1916, reproduit in Contre le courant, Maspero, 1970, tome 2, p. 158) Mais ce qu'il importe de souligner ici, c'est que cette position ne signifie pas chez les camarades un abandon de l'internationalisme prolétarien, même si, à notre avis, cela concourt à l'affaiblir. Le souci est de définir à quelles conditions une unité du prolétariat international est possible et non pas d'utiliser Lénine pour masquer un soutien à l'une ou 1'autre puissance impérialiste, comme le font les gauchistes.

" Vous avez sans doute remarqué combien nous sommes peu léninistes. Néanmoins, nous sommes d'avis que la position de Lénine fut la meilleure sur cette question. Chaque nation (attention ! nation, pas nationalité ou groupe national, ethnique, etc..) a le droit complet à disposer d'elle-même dans le cadre de son territoire ethnico-historique, jusqu'à la séparation et la formation d'un Etat indépendant. (...) Ce qui intéresse les marxistes c'est la question de la libre disposition pour le prolétariat de son autodétermination à l'intérieur de telle ou telle nation, c'est-à-dire la possibilité de disposer librement de soi, s'il existe déjà comme une classe pour soi, ou la possibilité pour les éléments pré prolétaires de se constituer en classe dans le cadre du nouvel Etat bourgeois national. Tel est le cas de la Tchétchénie. La Tchétchénie-Ingouchie était industrialisée sous le pouvoir soviétique, mais plus de 90% des ouvriers étaient d'origine russe, les Tchétchènes étaient des paysans petits-bourgeois ou des intellectuels, des fonctionnaires, etc. Que la nouvelle bourgeoisie tchétchène crée le prolétariat tchétchène national, qu 'elle commence à exploiter son prolétariat national, ses parents, ses natifs (les ouvriers russes n 'y reviendront pas maintenant pour être décapités par les nationalistes) et nous verrons quelle sera (d'unité ferme de la nation tchétchène» ! C 'est alors seulement que la possibilité pour les prolétaires russes et tchétchènes de s'unir sera réelle objectivement, pas avant." [A]

Néanmoins, cette position aboutit à une série de contradictions que les camarades ne résolvent pas en déclarant simplement :

"Selon nous, la reconnaissance de l'objectivité de la lutte nationale ne signifie pas la «justifier» (à propos, que veut dire le terme «justifier» ?) ou même appeler à une alliance avec des fractions de la bourgeoisie nationale !" [B]

Tout le problème est de savoir quelle est cette réalité objective qui est ici invoquée. Or celle-ci correspond à une époque révolue, l'époque de la formation des nations bourgeoises contre le féodalisme. Les camarades ont-ils réellement analysé les motivations nationalistes de la bourgeoisie tchétchène ? Si oui, ils se seraient rendu compte que ces revendications nationales n'ont plus le même contenu que celui d'une étape antérieure du développement social. Les marxistes ont souvent décrit cette étape. Rosa Luxemburg la résume ainsi : "La bourgeoisie française avait, pendant la grande révolution, le droit déparier en tant que tiers état au nom du «peuple français», et même la bourgeoisie allemande pouvait s 'estimer, jusqu 'à un certain point en 1848, comme le représentant du «peuple" allemand» (...). Dans les deux cas, cela voulait dire que la cause révolutionnaire de la classe bourgeoise, au stade d'alors du développement social, coïncidait avec celle du peuple tout entier car ce dernier constituait encore avec la bourgeoisie une masse indifférenciée opposé au féodalisme dominant." (La question nationale et l'autonomie. Publié in Les marxistes et la question nationale, L'Harmattan, 1997, p. 195) Ce que les camarades ne voient pas c'est que le stade du développement social n'est pas donné par la situation locale tchétchène mais par l'environnement social, parla situation générale. Embarquée dans le jeu sanglant de l'impérialisme, complètement dépendante du marché mondial, la Tchétchénie a perdu depuis longtemps les principales caractéristiques d'une société féodale.

Selon les camarades, il existe une bourgeoisie progressiste dans un certain nombre de pays "parce que le capitalisme national y continue de s'élever spontanément à partir des secteurs traditionnels, conformément aux lois générales du développement des peuples à l'époque de la deuxième superformation sociale, celle de propriété privée. Elles sont trois ces formations : la formation de la communauté primitive (n °1) ; puis celle de la propriété privée : l'esclavage antique, le féodalisme et le capitalisme y compris (n°2), et enfin la formation du communisme authentique (n °3). Telle est la triade d'après Marx (voir les ébauches de sa lettre de réponse à Vera Zassoulitch, 1881). Mais il y a peu de pays (et il y en a de moins en moins) où le capitalisme national s'aut dèveloppant prédomine. Là où ça a lieu, la bourgeoisie progressiste peut arriver au pouvoir et le peuple (les ouvriers y compris, d'autant plus qu'ils sont encore en état préprolétaire !) la soutiendra. Mais tout ça est bien temporaire, car déplus en plus de choses dépendront de la bourgeoisie impérialiste mondiale, le cas de l'Afghanistan en témoigne. (...) Le capitalisme peut être comparé à une vague dans la «mer» de la deuxième superformation sociale (voir plus haut) et pas à une vague mais au processus d'ondes ! La deuxième superformation (Marx l'appela aussi «économique») engendre ces vagues elle-même de l'intérieur ! Mais les limites, les bords de cette «mer» de la «superformation économique» sont les limites du capitalisme en même temps, ils sont ces bords contre lesquels ce dernier «se brise» dans son ondulation.

La caractéristique essentielle de cette «mer» de la formation sociale économique (la deuxième dans la triade) est la loi de la valeur. Mais le «processus d'ondes» commence, est excité et poussé par... le petit producteur-propriétaire ! Il fut, est et sera l'agent d'action de la loi de la valeur sur toute l'étendue de la formation sociale économique (la «deuxième», celle de la propriété privée). Voilà pourquoi le petit producteur ne peut pas être détruit par le capitalisme ! Et voilà pourquoi le monopolisme étatique ne peut pas être complet et de longue durée. La vague va refluer en arrière ! Si les communistes de gauche avaient analysé les choses de ce point de vue, ils auraient levé bien des problèmes, dans leurs relations y compris! Et la place et le rôle de la révolution sociale prolétarienne mondiale seraient beaucoup plus compréhensibles." [B]

Comment peut-on expliquer cette perspective d'une régression du capitalisme d'Etat défendue par les camarades ? Tous les jours nous voyons pourtant se vérifier la tendance vers une gestion de l'économie par un capitaliste collectif, annoncée par Engels dans L'anti-Dühring. Partout c'est l'Etat qui réglemente les fusions des grandes entreprises multinationales et qui leur impose ses orientations. Tout Etat qui abandonnerait un tel contrôle se trouverait immédiatement en situation de faiblesse dans la guerre commerciale. C'est sans doute l'effondrement de l'URSS qui explique une telle prise de position. Dans ce cas, les camarades généralisent à partir d'une situation spécifique.

L'URSS était un pays marqué par la faiblesse de son économie et ce qui a fait faillite ce n'est pas le capitalisme d'Etat mais sa version la plus caricaturale où la nationalisation concernait l'immense majorité de l'économie. C'est toujours un signe de faiblesse lorsque l'Etat est directement propriétaire des entreprises. Dans les pays plus développés, le capitalisme d'Etat est également bien réel mais il a surtout cette souplesse que lui confère la participation dans le capital des entreprises ou, plus encore, quand il se contente seulement d'édicter la réglemen­tation économique à laquelle chaque entreprise doit se plier.

On comprend pourquoi les camarades présen­tent le capitalisme d'Etat comme un phénomène passager puisque, pour eux, c'est le petit producteur indépendant qui symbolise le mieux la propriété privée et la loi de la valeur. Il est vrai que le capitalisme prend son essor au sein d'une société caractérisée par la propriété privée et l'échange des marchandises, il en constitue même l'aboutissement logique, le sommet, lorsque les marchandises ont été transformées en capital. Il est vrai aussi que le capitalisme ne pourra jamais faire disparaître complètement les petits producteurs. Mais il est vrai aussi que la petite propriété est sans cesse attaquée par la concurrence. Aujourd'hui que la surproduction est devenue un phénomène généralisé et permanent, une partie de la bourgeoisie est précipitée dans la petite bourgeoisie, mais au même moment c'est un nombre incalculable de petits propriétaires qui sont ruinés et transformés en sans-travail ou qui survivent d'un petit commerce très souvent illicite. Le petit propriétaire n'est donc pas caractéristique du capitalisme mais plutôt une survivance des sociétés précapitalistes ou de la première étape du développement du capitalisme. Dans la mythologie bourgeoise, le capitaliste est toujours présenté comme un petit producteur qui, grâce à son travail, est devenu un grand producteur. Le petit artisan du Moyen âge serait devenu un grand industriel. La réalité historique est tout autre. Dans le féodalisme en décomposition, ce ne sont pas tant les artisans des villes qui se dégagent comme la classe capitaliste, c'est plutôt les marchands. Qui plus est, les premiers prolétaires n'ont souvent été rien d'autres que ces artisans soumis dans un premier temps à la domination formelle du capital. Les camarades oublient qu'avant d'être producteur, le capitaliste est d'abord et avant tout un marchand, un commerçant. C'est un marchand dont le commerce principal est celui de la force de travail.

Les camarades se sont inspirés, semble-t-il, d'un passage de La maladie infantile du commu­nisme, le gauchisme. Lénine y explique que la puissance de la bourgeoisie "ne réside pas seulement dans la force du capital international, dans la force et la solidité des liaisons internationales de la bourgeoisie, mais encore dans la force de l'habitude, dans la force de la petite production ; car, malheureusement, il reste encore au monde une très, très grande masse de petite production : or, la petite production engendre le capitalisme et la bourgeoisie constamment, chaque jour, chaque heure, d'une manière spontanée et dans de vastes proportions." (Editions 10/18, 1962, p. 14) Rappelons le contexte. Nous sommes en 1920 et depuis 1918, la controverse se développe au sein du parti bolchevik entre Lénine et les communistes de Gauche qui publièrent le journal Kommounist. Très vite, Boukharine, le principal leader de la Gauche, rejoint la majorité du parti après avoir été mis en minorité sur la question du traité de Brest-Litovsk. Mais le groupe poursuit la controverse sur la question du capitalisme d'Etat qui était présenté par Lénine comme une étape préparant le passage au socialisme, donc comme un progrès. Il est vrai que le prolétariat victorieux ne s 'affrontait pas seulement à la furie des vieilles classes dominantes, mais aussi au poids mort des vastes masses paysannes qui avaient leurs propres raisons de résister à une avancée ultérieure du processus révolutionnaire. Mais le poids de ces couches sociales se faisait sentir sur le prolétariat avant tout à travers l'organe étatique qui, dans sa tendance naturelle à préserver le statu quo social, tendait à devenir un pouvoir autonome pour lui-même. Tous les révolutionnaires savaient que l'isolement de la révolution russe lui serait fatal. Tout le problème était de savoir si le rétablissement du pouvoir de la bourgeoisie interviendrait à la suite d'une défaite militaire face aux armées blanches ou sous la pression énorme de la petite bourgeoisie. Avec cette problématique, le parti ne parvenait pas à voir le processus qui allait conduire à la renaissance de la bourgeoisie russe à travers la formation d'une bureaucratie d'Etat. Dans ses critiques, la Gauche exprimait de nombreuses faiblesses (mais comment pouvait-il en être autrement dans le feu des événements ?) et Lénine a mis souvent le doigt dessus avec justesse. Mais la Gauche communiste révèle toute sa force lorsqu'elle dénonce les dangers du capitalisme d'Etat. C'est la même démarche qu' =on retrouve ensuite dans la Gauche allemande qui, la première, analysera la Russie stalinienne comme un capitalisme d'Etat. Dans le passage cité plus haut, Lénine exprime de profondes confusions sur la nature du capitalisme qui étaient déjà présentes dans sa brochure de 1916 : L'impérialisme, stade suprême du capitalisme. Sur ce point comme sur d'autres il est possible de synthétiser aujourd'hui les apports de toute la Gauche communiste, malgré sa diversité et des prises de position parfois contradictoires, parce que sur le fond il y a la fidélité à la méthode marxiste et aux principes communistes : "Le capitalisme d'Etat ne constitue pas une étape organique vers le socialisme. En fait, il représente la dernière forme de défense du capitalisme contre l'effondrement de son système et l'émergence du communisme. La révolution communiste est la négation dialectique du capitalisme d'Etat." (Revue Internationale n°99, p. 23)

C'est à notre avis une erreur de présenter le petit producteur indépendant comme l'agent de la loi de la valeur. Plus généralement, ce ne sont pas les capitalistes qui font le capitalisme, c'est le contraire : c'est le capitalisme qui engendre les capitalistes. Si on applique cette démarche marxiste à la Russie, alors on peut comprendre pourquoi "l'Etat n 'a pas fonctionné comme nous l'entendions " selon la formule de Lénine. La puissance qui imposait son orientation était bien plus forte que les "hommes de la NEP " ou le capitalisme privé ou la petite propriété, c'était l'immense puissance impersonnelle du capital mondial qui déterminait inexorablement le cours de l'économie russe et de l'Etat soviétique. Si les camarades ne parviennent pas à saisir la nature profonde du capitalisme, ni le capitalisme d'Etat comme une expression d'un système décadent, c'est sans doute aussi parce qu' ils se placent ici sur le plan de la longue durée, celui qu'utilise Marx dans les brouillons de sa lettre à Vera Zassoulitch, divisant l'histoire de l'humanité en trois périodes : la formation sociale archaïque (communisme primitif), la formation sociale secondaire (les sociétés de classe), le communisme moderne qui rétablit la production et l'appropriation collectives à une échelle supérieure. L'exemple des sociétés primitives était pour Marx une preuve de plus que la famille, la propriété privée et l'Etat ne sont pas inhérents à la nature humaine. Ces textes sont aussi une dénonciation de l'interprétation fataliste de l'évolution économique et d'un progrès linéaire, sans contradictions, comme le voient les bourgeois. Mais si on reste sur ce terrain il est impossible d'examiner précisément ce que le capitalisme a de spécifique et surtout qu'il a lui-même une histoire, qu'il se transforme d'un système progressiste en une lourde entrave pour le développement des forces productives. Non pas que les bases d'une telle analyse ne soient pas présentes dans ces textes de Marx tout autant que dans le Manifeste. Après la Commune de Paris et la fin des grandes luttes nationales du 19e siècle, Marx avait pu constater que la bourgeoisie des principaux pays capitalistes avait cessé de jouer un rôle révolutionnaire sur la scène de l'histoire, même si le système capitaliste avait encore devant lui un vaste champ d'expansion. Une nouvelle étape s'ouvrait, celle des conquêtes coloniales et de l'impérialisme. Avec une telle démarche, le marxisme était capable d'anticiper l'évolution historique et de prévoir 1 ' entrée dans une période de décadence. C'est très net dans ce passage du deuxième brouillon : "Le système capitaliste a dépassé son apogée à l'Ouest, approchant du moment où il ne sera plus qu'un système social régressif." (Cité dans Théodore Shanin, Marx de la maturité et le chemin de la Russie, New-York, 1983, p. 103)

Les interrogations de Marx sur la commune rurale russe vont être travesties par certains gauchistes. L'Américain Shanin, par exemple, y voyait la preuve que le socialisme pourrait être le résultat de révolutions paysannes à la périphérie du capitalisme. Sans partager la même admiration pour Hô Chi Minh et Mao, Raya Dunayevskaya et le groupe News andLetters s'inscrivent dans la même démarche. Ils considèrent que le Marx des années 1880 est à la recherche d'un nouveau sujet révolutionnaire autre que la classe ouvrière. C'est ainsi qu'une partie du gauchisme va présenter la classe ouvrière comme un suj et révolutionnaire parmi d'autres : les tribus primitives, les femmes, les homosexuels, les noirs, les jeunes, les peuples du "tiers-monde".

Octobre 17, produit de la situation mondiale

De telles aberrations n'ont rien à voir avec les thèses des camarades de Russie. Mais nous verrons que la défense de la possibilité des guerres nationales aujourd'hui les conduit aune analyse originale de la révolution d'Octobre 17.

"Quant à nous (le BS du POM), nous croyons que l'histoire elle-même a déjà réfuté cette conception léniniste angulaire du «maillon le plus faible» ! Mais attention, bien origi­nalement : elle a démontré qu 'il fut possible de rompre «la chaîne de l'impérialisme» et même de «construire le socialisme» dans des pays arriérés (ou «attardés» comme vous les nommez, quoique je distinguerais ici : on a commencé à «construire le socialisme» non seulement dans des pays capitalistiquement attardés, en Russie par exemple, mais aussi en Mongolie, au Viêt-nam, etc., qui sont vraiment arriérés). Et nous disons : Oui, on peut rompre la chaîne, faire une «révolution socialiste», on peut même construire le socialisme dans des pays séparés et l'édifier (c'est à dire «terminer de le construire»)... Mais ! Mais tout ça ne mène en aucun cas au communisme ! Never and in no way ! Pourquoi, d'un point de vue théorique, les bolcheviks ont-ils pu prendre cette voie, pourquoi ont-ils pu se leurrer eux-mêmes et beaucoup d'autres, les communistes de la Gauche y compris ? La cause de tout cela était dans... un seul mot (et ce n'est pas la question, le problème de mon subjectivisme : sous ce mot toute une conception erronée, et non-marxiste au fond, est cachée !), ce mot («d'ordre» !) est «la Révolution socialiste» ! Lorsque Marx, et surtout Engels, acceptèrent un tel travestissement du concept de «la révolution sociale du prolétariat», de la révolution communiste mondiale ! Quant à la «révolution socialiste», elle aboutit tôt ou tard à la «construction du socialisme» et puis Use trouve que ce «socialisme», fût-ce «d'Etat» ou «du marché» ou «national» ", etc, ne rompt pas en réalité avec le capitalisme " [A]

"Là où le secteur du capitalisme exogène existe, la bourgeoisie progressiste joue un rôle et a une influence inversement proportionnelle au degré de maturité de ce secteur : la bourgeoisie du secteur capitaliste importé pèse sur la bourgeoisie nationale progressiste et la corrompt, sans parler de la bourgeoisie impérialiste mondiale (transnationale). Il y avait ces deux secteurs en Russie au début du XXe siècle et le marxisme russe était l'expression des relations à l'intérieur du secteur capitaliste exogène. Mais ensuite les bolcheviks ont décidé de devenir les porte-parole de tous les exploités : dans le secteur du capitalisme développé importé, dans celui du capitalisme national (et même dans le secteur agricole avec sa communauté rurale préservée). Et voilà, ils sont devenus des «sociaux-jacobins» et ont proclamé «la révolution socialiste» " [B]

"Vous abordez le problème de l'objectif et du subjectif dans la révolution prolétarienne mondiale et c'est correct. Mais pourquoi n'avez-vous pas le moindre doute "qu'objectivement la révolution est possible depuis la guerre impérialiste de 1914", etc. ? Marx et Engels ne croyaient-ils pas aussi, dans le temps, «qu'objectivement la révolution était possible» ? Rappelez-vous les catégories de la dialectique : la possibilité et la réalité, la nécessité et l'éventualité ! Comme on sait, il faut distinguer la possibilité abstraite (formelle) et celle praticable (concrète). La possibilité abstraite est caractérisée par l'absence des obstacles principaux pour le devenir de l'objet, néanmoins il n'y a pas toutes les conditions nécessaires pour sa réalisation. La possibilité praticable possède toutes les conditions nécessaires pour sa réalisation : latente en réalité, elle devient une nouvelle réalité dans certaines conditions. Le changement de l'ensemble des conditions détermine la transition de la possibilité abstraite en celle praticable et cette dernière se transforme en réalité. La mesure numérique de la possibilité est exprimée par la notion de probabilité. La nécessité, comme on sait, c'est le mode de (la) transformation de la possibilité en réalité auquel il n'y a qu'une seule possibilité dans un certain objet, celle qui se transforme en réalité. Et, au contraire, l'éventualité c'est le mode de (la) transformation de la possibilité en réalité auquel il a quelques (même plusieurs) possibilités différentes dans un objet certain (dans des circonstances données, bien sûr) qui puissent se transformer en réalité, mais une seule d'entre elle se réalise. " [A]

Nous ne comprenons pas pourquoi il faudrait affirmer que la construction du socialisme en un seul pays est à la fois possible et impossible parce que ne rompant en aucune façon avec le capitalisme. Nous préférons nous en tenir à l'affirmation que le socialisme en un seul pays a été une mystification n'ayant aucun rapport avec la réalité, une arme de la contre-révolution. Ce que les camarades semblent nous dire c'est que les bolcheviks ont cessé à un certain moment de représenter les intérêts du prolétariat. Effectivement, c'est ce qu'on appelle la contre-révolution stalinienne. Toute la difficulté du problème, sur laquelle beaucoup de révolu­tionnaires se sont cassés les dents pendant les années 1930, c'est que la contre-révolution intervient à l'issue de tout un processus de dégénérescence et de dérive opportuniste. Dans un tel processus long et parfois imperceptible, on a en quelque sorte une transformation de la quantité en qualité. Ce qui n'était au départ qu'un problème au sein du mouvement ouvrier est devenu la contre-révolution bourgeoise. Mais la rupture dans la nature du régime soviétique n'en est pas moins nette, elle passe par 1'élimination de toute la vieille garde bolchevique par Staline, le remplacement de la perspective de la révolution mondiale par la défense du capital national russe. L'affaiblissement du pouvoir des conseils ouvriers et l'affaiblissement du parti bolchevik miné par l'opportunisme ont suivi des chemins parallèles jusqu'à l'établissement du pouvoir de la bourgeoisie d'Etat russe. Rappeler ce que fut le mouvement réel des affrontements de classe à la fin des années 1920 en Russie nous arme non seulement contre la propagande bourgeoise mais aussi contre tout affaiblissement de la théorie révolutionnaire qui verrait une continuité, objective ou subjective, entre Lénine et Staline.

C'est à un tel affaiblissement qu'aboutissent les camarades lorsqu'ils perdent de vue la contre-révolution stalinienne et introduisent l'idée que "les bolcheviks ont décidé de devenir les porte-parole de tous les exploités. " Quand et pourquoi une telle décision? Les termes "tous les exploités" désignent-ils l'ensemble des travailleurs, c'est-à-dire plusieurs classes y compris, en plus du prolétariat, les autres couches non exploiteuses comme la paysannerie et le reste de la petite bourgeoisie qui sont des classes opprimées sous le capitalisme ? Si tel est le cas les camarades prennent pour la réalité les discours de Staline et notamment de Mao avec "le bloc des quatre classes". En tout cas nous ne pouvons pas les suivre lorsqu'ils affirment que Marx et Engels acceptèrent (?) le concept de révolution socialiste qui "ne rompt pas en réalité avec le capitalisme ". Il est vrai que certaines formulations de Marx et d'Engels peuvent créer une confusion entre étatisation du capital et socialisme. On peut aisément le comprendre à une époque où le prolétariat pouvait soutenir, à certaines conditions, une bourgeoisie progressiste contre les vestiges du féodalisme. La conscience et le programme résultent d'un combat permanent contre l'idéologie de la classe dominante. Aussi lorsque les révolutionnaires aiguisent la lettre du programme, ils restent, et doivent rester, fidèles à l'esprit qui animait la génération marxiste précédente. La correction définitive des erreurs "capitalistes d'Etat" qui subsistaient dans la doctrine marxiste a été permise par 1'expérience de la révolution russe de 1917. Mais les prémisses étaient déjà chez Marx à travers sa définition du capital comme un rapport social et du capitalisme comme un système fondé sur le travail salarié, 1'extraction et la réalisation de la plus-value. Sous ce rapport, la transformation de la propriété individuelle du capital en propriété collective de l'Etat ne changeait en aucune façon la nature de la société. De plus, la critique du caractère progressiste de la propriété collective étatique était déjà en germe dans le combat de Marx et Engels contre le socialisme d'Etat, celui de Lassalle, qui engageait les ouvriers à utiliser l'Etat contre les capitalistes, celui du courant de Liebknecht et Bebel au sein de la social-démocratie allemande qui ont laissé passer des formulations lassalliennes dans le programme de Gotha.

On pourrait résumer la pensée des camarades de la façon suivante. Le bolchevisme était au départ un courant marxiste exprimant les intérêts du prolétariat dans le cadre de rapports capitalistes développés. Mais ceux-ci étaient d'origine étrangère, il existait aussi en Russie un jeune capitalisme moins développé qui avait besoin d'une révolution anti-féodale. Ainsi, les bolcheviks n'ont pas succombé à la contre-révolution stalinienne ; bien avant ils avaient succombé au charme du capitalisme national et ont décidé de devenir "sociaux-jacobins". On voit ici la différence entre cette vision politique et celle du conseillisme. Pour celui-ci la révolution russe devait déboucher fatalement sur le capitalisme d'Etat, les bolcheviks reflétaient dès le départ un tel destin. Cette découverte est bien tardive puisqu' elle date des années 193 0 et notre Pannekoek devenu, à cette époque là, conseilliste opère ce tour de force de nous révéler la nature du bolchevisme originel à partir du livre que Lénine écrivit en 1908, Matérialisme et empiriocriticisme : "Il est nettement et exclusivement à l'image de la révolution russe à laquelle il tend de toutes ses forces. Cet ouvrage est conforme au matérialisme bourgeois et a un point de vue tel que s'il avait été connu et interprété correctement en Europe occidentale... on aurait été en mesure de prévoir que la révolution russe devait aboutir d'une façon ou d'une autre à un genre de capitalisme fondé sur une lutte ouvrière.'" (Lénine philosophe, Editions Spartacus, Paris, 1970, p.103)

La méthode marxiste s'appuie sur le concept de la totalité et c'est à partir de là qu'il "s'élève" jusqu'aux situations les plus concrètes. En partant du petit producteur indépendant ou d'une situation locale, les camarades s'écartent de la méthode marxiste et finissent par prendre quelques vestiges du féodalisme comme une caractéristique générale. Il est quand même bon de rappeler qu'en 1917 la Russie était la cinquième puissance industrielle du monde et que dans la mesure où le développement du capitalisme était passé en grande partie par­dessus l'étape du développement de l'artisanat et de la manufacture, ce mode de production y connaissait ses formes les plus modernes et concentrées. Avec plus de 40 000 ouvriers, Poutilov était la plus grande usine de monde. C'est cette tendance qui donne la clé de la situation en Russie et non pas 1'opposition entre un capitalisme exogène et un capitalisme endogène. L'enchaînement des relations économiques est arrivé à un point qui n'a rien à voir avec 1'époque des révolutions bourgeoises du 17e et du 18e siècles. "Depuis la guerre de Crimée et sa modernisation par des réformes, l'appareil d'Etat russe ne se maintient pour une bonne part que grâce aux capitaux étrangers, essentiellement français. (...) Les capitaux français servent principalement depuis des décennies à deux buts : la construction de chemin de fer avec garantie de l'Etat et les dépenses militaires. Pour répondre à ces deux buts, une grande industrie puissante est née en Russie depuis les années 70, à l'abri d'un système de protections douanières renforcées. Le capital français a fait surgir en Russie un jeune capitalisme qui a besoin à son tour d'être constamment soutenu par d'importantes importations de machines et autres moyens de production en provenance des pays industriels pilotes, l'Angleterre et l'Allemagne. " (Rosa Luxemburg, Introduction à l'économie politique. Editions 10/18, 1971, p.57) L'exemple de la Pologne est également significatif. "La bourgeoisie polonaise étant dans sa grande majorité d'origine étrangère (elle s'installa en Pologne au début du XIXe siècle) se montrait toujours hostile à l'idée de l'indépendance nationale. D'autant plus que dans les années vingt et trente du XIXe siècle, l'industrie polonaise avait été axée sur l'exportation avant même la création d'un marché intérieur. La bourgeoisie du royaume, au lieu de souhaiter une réunification nationale avec la Galicie et la Principauté, recherchait toujours l'appui à l'Est, puisque c 'était une exportation massive de ses textiles en Russie qui était à la base de la croissance du capitalisme polonais." (Rosa Luxemburg, La question nationale et l'autonomie. Publié in Les marxistes et la question nationale, L'Harmattan, 1997, p.201) La formation du marché mondial est une caractéristique majeure du mode de production capitaliste, c'est dans ce processus qu'il détruit les rapports précapitalistes. C'est ce processus dynamique qui crée les conditions de l'unité du prolétariat international et non pas l'auto développement d'un capitalisme national. La révolution de 1905 en a fourni la première démonstration pratique. A l'inverse, le mot d'ordre "droit des peuples (?) à disposer d'eux mêmes", hélas soutenu par les bolcheviks, a renforcé la division du prolétariat. Les années 1920 du 20e siècle n'en ont-ils pas apporté la confirmation pratique ?

La décadence d'une formation sociale

Ni les bolcheviks hier, ni la bourgeoisie d'aucun pays aujourd'hui ne peuvent être comparés à des jacobins. L'achèvement de la formation du marché mondial, la crise de surproduction suppriment toute possibilité d'un réel développement. La bourgeoisie tchétchène ne créera pas un prolétariat national. Comment pourrait-elle trouver un débouché pour ses marchandises ? Seule la révolution prolétarienne pourra fournir les bases d'une industrialisation des pays arriérés. Le Manifeste communiste décrit très bien comment la bourgeoisie crée un monde à son image, par l'exportation de marchandises à bas prix, l'extension de ses relations commerciales. Mais il atteint ses limites bien avant d'avoir pu industrialiser l'ensemble de la planète. Marx et Engels avaient déjà souligné que les contradictions insolubles découlant du rapport salarial ne pouvaient que conduire à la décadence du capitalisme. Déjà la critique pénétrante de Charles Fourier en avait donné l'esquisse : "Fourier, comme on le voit, manie la dialectique avec la même maîtrise que son contemporain Hegel. Avec une égale dialectique, il fait ressortir que, contrairement au bavardage sur la perfectibilité de l'homme, toute phase historique a sa branche ascendante, mais aussi sa branche descendante, et il applique aussi cette conception à l'avenir de l'humanité dans son ensemble" (Engels : L'anti-Dühring. Editions Sociales, 1977, p.297) C'est Marx qui va donner l'explication de ce phénomène. A un certain moment du développement, la baisse tendancielle du taux de profit ne peut plus être compensée par l'augmentation de la masse de plus-value du fait de la saturation du marché mondial. "Or, il (le capitaliste) a d'autant plus besoin de trouver des débouchés que sa production s'est accrue à la vérité les moyens de production plus puissants et plus coûteux qu'il a mis en branle lui permettent de vendre sa marchandise moins cher mais ils le forcent également à vendre plus, à conquérir pour sa marchandise un marché incomparablement plus étendu [page 223] (...). Enfin, à mesure que ce mouvement irrésistible contraint les capitalistes à exploiter les énormes moyens de production déjà existants sur une échelle plus grande encore et à faire jouer à cette fin tous les ressorts du crédit, les séismes qui ébranlent le monde commercial se multiplient, ne lui laissant qu'une seule issue : sacrifier aux dieux des Enfers une part de la richesse, des produits, voire des forces productives, en un mot : augmenter les crises. Elles gagnent en fréquence et en violence. C'est que la masse des produits et donc le besoin de débouchés s'accroît alors que le marché mondial se rétrécit ; c'est que chaque crise soumet au monde commercial un marché non encore conquis ou peu exploité et restreint ainsi les débouchés, [page 228] " (Travail salarié et capital, La Pléiade, Tome 1) Il restait aux Fractions de gauche, Lénine et Rosa Luxemburg en tête, de montrer que le surgissement de la première guerre mondiale impérialiste était le signe que le capitalisme était entré dans sa phase de déclin. La révolution communiste n'était plus seulement nécessaire, elle devenait enfin possible.

Au terme de cette première réponse que nous pouvons faire aux camarades du POM, tout en regrettant de ne pas avoir pu traduire leurs textes politiques du russe ([3] [90]), nous appelons au développement du débat et de la réflexion.

Nous souhaitons que la discussion et les critiques mutuelles se poursuivent. Mais aussi, nous encourageons à ce que ce débat ne se limite pas entre nous, il doit s'ouvrir aux autres camarades en Russie même et à d'autres groupes du milieu politique prolétarien dans le monde.

Pal.

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[1] [91] Au pays du grand mensonge, livre d'Anton Ciliga, Gallimard, 1938. La version complète devient Dix ans au pays du mensonge déconcertant, Champ libre, 1971.

[2] [92] Depuis Mai 68, le terme "gauchisme" est passé dans le langage courant pour désigner, non plus les oppositionnels au sein de 1'Internationale Communiste que Lénine critiquait fraternellement et qui furent des expressions de la Gauche communiste, mais tous les courants extraparlementaires qui, comme les trotskistes et les maoïstes [il faut distinguer les «maoïstes» dans les pays occidentaux, que nous caractérisons de «gauchistes», de Mao qui, en théorisant une sorte de «national communisme paysan», n'a jamais rien eu à voir avec le mouvement ouvrier. C'est un «stalinisme oriental»], ont trahi l'internationalisme, qui apportent un soutien critique aux partis de la gauche bourgeoise (partis socialistes et communistes staliniens) et aux syndicats. Il désigne donc une tendance politique qui appartient clairement à l'appareil politique de la bourgeoisie.

[3] [93] Les documents que nous possédons, en anglais ou français, sont majoritairement des lettres.

Géographique: 

  • Russie, Caucase, Asie Centrale [94]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [95]

Questions théoriques: 

  • Parti et Fraction [29]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [96]

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Liens
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https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref7 [62] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref8 [63] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref9 [64] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref10 [65] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref11 [66] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref12 [67] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref13 [68] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref14 [69] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref15 [70] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref16 [71] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref17 [72] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref18 [73] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref19 [74] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref20 [75] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref21 [76] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref22 [77] https://fr.internationalism.org/rinte104/espagne.htm#_ftnref23 [78] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne [79] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/espagne-1936 [80] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm#_ftn1 [81] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm#_ftn2 [82] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm#_ftn3 [83] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm#_ftnref1 [84] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm#_ftnref2 [85] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm#_ftnref3 [86] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe [87] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/revolution-proletarienne [88] https://fr.internationalism.org/rinte104/corresp.htm#_ftn1 [89] 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