Impitoyablement, les faits viennent démentir la propagande de la classe dominante. Jamais peut-être, la réalité ne s'est chargée aussi rapidement de mettre à nu les mensonges qu'assènent à dose massive les médias hypertrophiés de la bourgeoisie. La « nouvelle ère de paix et de prospérité » annoncée avec l'effondrement du bloc de l'Est et chantée sur tous les tons par les responsables politiques de tous les pays s'est révélée être un songe creux à peine quelques mois plus tard. Cette nouvelle période s'est avé rée être celle du développement d'un chaos grandissant, d'un en foncement dans la crise économique la plus grave que le capitalisme ait jamais connu, de l'explosion de conflits, de la guerre du Golfe à l'ex-Yougoslavie, où la barbarie militaire atteint des sommets rarement égalés.
L'aggravation brutale des tensions sur la scène internationale est l'ex pression de l'impasse dans laquelle s'enfonce le capitalisme, de la crise catastrophique et explosive qui l'ébranle sur tous les plans de son existence. Cette réalité, la classe dominante ne peut la reconnaître, ce serait admettre sa propre impuissance et donc accepter la faillite du système dont elle est la représentante. Toutes les affirmations rassurantes, toutes les prétentions volontaristes à contrôler la situation, se voient inéluctablement apporter un démenti cinglant par le déroulement des événements eux- mêmes. De plus en plus, les dis cours de la classe dominante apparaissent pour ce qu'ils sont : des mensonges. Qu'ils soient volontaires ou le produit de ses propres illusions ne change rien à l'affaire, jamais la contradiction entre la propagande bourgeoise et la vérité des faits n'a été aussi criante.
La bourgeoisie occidentale il y a encore quelques années se réjouissait du discrédit quasi-total dont pâtissait la bourgeoisie stalinienne dans les pays de l'Est. Ce discrédit lui servait de faire-valoir. Aujourd'hui, à son tour, elle est entrée dans la même dynamique de perte de crédibilité, et de plus en plus il devient visible qu'elle emploie finalement les mêmes armes : le mensonge d'abord, et lorsque cela ne suffît plus, la répression.
Bosnie : le mensonge d'un capitalisme pacifiste et humanitaire
La guerre en Bosnie a été pour les puissances occidentales l'occasion de se vautrer dans une orgie médiatique où tous ont communié dans la défense de la petite Bosnie contre l'ogre serbe. Les hommes politiques de tous horizons ne trouvaient pas de mots assez durs, d'images suffisamment marquantes pour dénoncer la barbarie de l'expansionnisme serbe : les camps de prisonniers assimilés aux camps d'extermination nazis, la purification ethnique, le viol des femmes musulmanes, les souffrances indicibles des populations civiles prises en otages. Une belle unanimité de façade où les surenchères humanitaires se sont conjuguées avec des appels répétés et menaçant à une intervention militaire.
Mais derrière ce choeur unanime, c'est en réalité la désunion qui s'est affirmée. Les intérêts contradictoires des grandes puissances n'ont pas tant déterminé une impuissance des grandes nations à mettre fin au conflit, chacun rejetant sur les autres cette responsabilité, mais ils ont surtout été le facteur essentiel qui a déterminé le conflit. Par Serbie, Croatie et Bosnie interposées, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Etats-Unis, ont avancé leurs cartes impérialistes sur l'échiquier des Balkans, et leurs larmes de crocodiles n'ont servi qu'à cacher leur rôle actif dans la poursuite de la guerre.
Les récents accords de Washington, signés par les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l'Espagne et la Russie consacrent l'hypocrisie des campagnes idéologiques qui ont rythmé deux années de guerre et de massacres. Ils reconnaissent dans les faits les gains territoriaux serbes. Adieu le dogme de l’intangibilité des frontières internationalement reconnues». Et la presse de disserter à n'en plus finir sur l'impuissance de l'Europe maastrichtienne, des USA de Clinton, après ceux de Bush, à faire plier les serbes, à imposer leur volonté « pacifique » au nouvel Hitler : Milosevic, qui a remplacé Saddam Hussein dans le bestiaire de la propagande. Encore un mensonge de plus destiné à perpétuer l'idée que les grandes puissances sont pacifiques, qu'elles désirent réellement mettre fin aux conflits sanglants qui ravagent la planète, que les principaux fauteurs de guerre, ne sont que les petits despotes de puissances locales de troisième ordre.
Le capitalisme c'est la guerre. Cette vérité s'est inscrite en lettres de sang durant toute son histoire. Depuis la seconde guerre mondiale, pas une année, pas un mois, pas une journée ne s'est écoulée sans qu'en un lieu ou l'autre de la planète un conflit n'apporte son lot de massacres et de misère atroces, sans que les grandes puissances ne soient présentes, à un degré ou à un autre, pour attiser le feu au nom de la défense de leurs intérêts stratégiques globaux : guerres de décolonisation en Indochine, guerre de Corée, guerre d'Algérie, guerre du Vietnam, guerres israélo-arabes, guerre « civile » du Cambodge, guerre Iran-Irak, guerre en Afghanistan, etc. Pas un instant où la propagande bourgeoise ne se soit apitoyée sur les populations martyres, sur les atrocités commises, sur la barbarie de l'un ou l'autre camp pour mieux justifier un soutien à l'un de ces camps. Pas une guerre qui n'ait pu se faire sans la fourniture abondante d'armes par les grandes puissances qui les produisent. Pas un conflit qui ne se soit terminé par l'affirmation hypocrite d'un retour à la paix éternelle, alors que dans le secret des ministères et des états-majors se préparaient les plans pour de nouvelles guerres.
Avec l'effondrement du bloc de l'Est, la propagande occidentale s'est déchaînée pour prétendre qu'avec la disparition de l'antagonisme Est-Ouest, la principale source de conflit avait disparu, et que s'ouvrait donc, une «nouvelle ère de paix ». Ce mensonge là avait déjà été utilisé après la défaite de l'Allemagne à la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu'à ce que, très rapidement, les alliés d'alors : l'URSS stalinienne et les démocraties occidentales soient prêtes à s'étriper pour un nouveau partage du monde. La situation présente, sur ce plan, n'est pas fondamentalement différente. Même si l'URSS n'a pas été vaincue militairement, son effondrement laisse le champ libre au déchaînement des rivalités entre les alliés d'hier pour un nouveau repartage du monde. La guerre du Golfe est venue montrer comment les grandes puissances entendaient maintenir la paix : par la guerre. Le massacre de centaines de milliers d'irakiens, soldats et civils, n'avait pas pour but de mettre au pas le tyran local, Saddam Hussein, ([1] [1]) Ce conflit était la conséquence de la volonté de la première puissance mondiale, les USA, dans le contexte où la disparition du bloc de l'Est et de la menace russe faisait perdre au bloc occidental son principal ciment, d'avertir ses anciens alliés des risques qu'ils courraient dans le futur à vouloir jouer leur propre carte.
L'éclatement de la Yougoslavie est le produit de la volonté de l'Allemagne de mettre à profit la crise yougoslave pour récupérer une de ses anciennes zones d'influence et, par Croatie interposée, prendre pied sur les bords de la Méditerranée. La guerre entre la Serbie et la Croatie est le résultat de la volonté des « bons amis » de l'Allemagne de ne pas laisser celle-ci profiter des ports croates, et dans ce but la Serbie a été encouragée à en découdre avec la Croatie. Par la suite, les USA ont encouragé la Bosnie à proclamer son indépendance, espérant ainsi bénéficier d'un allié à leur dévotion dans la région, ce que les puissances européennes pour des raisons d'ailleurs multiples et contradictoires, ne désiraient absolument pas, ce qui va se traduire de leur part par un double langage qui, à cette occasion, atteint des sommets. Alors que tous proclament de manière véhémente vouloir protéger la Bosnie, en sous main, ils vont s'employer à favoriser les avancées serbes et croates, et à saboter les perspectives d'intervention militaire américaine. L'expression de cette réalité complexe s'est traduite sur le plan de la propagande. Alors que tous communiaient hypocritement dans la défense de la petite Bosnie agressée et pratiquaient la surenchère « pacifiste » et « humanitaire», dès qu'il s'agissait de proposer des mesures concrètes, la plus grande cacophonie régnait. D'une part les USA poussaient dans le sens d'une intervention musclée, tandis que d'autre part, la France et la Grande-Bretagne, notamment, employaient toutes les mesures dilatoires et ruses diplomatiques possibles pour prévenir une telle issue.
Demain, les alliances peuvent très bien se modifier, et la Serbie être présentée comme un allié fréquentable par les uns et les autres. Finalement, tous les ardents discours humanitaires apparaissent pour ce qu'ils sont, de la pure propagande destinée à masquer la réalité des tensions impérialistes qui s'exacerbent entre les grandes puissances occidentales auparavant alliées face à l'URSS, mais qui, depuis que celle-ci s'est effondrée et a implosé, sont engagées dans un jeu complexe de réorganisation de leurs alliances. L'Allemagne aspire à jouer de nouveau le rôle de grande puissance chef de bloc que sa défaite lors de la seconde guerre mondiale lui avait ôté. Et, en l'absence de discipline imposée par des blocs qui n'existent plus, ou pas encore, la dynamique du chacun pour soi se trouve renforcée et pousse chaque pays à mettre prioritairement en avant sa propre carte impérialiste.
En Bosnie, ce n'est donc pas de l'impuissance des grandes puissances à rétablir la paix dont il s'agit, mais bien de l'inverse, de la dynamique présente qui pousse les alliés d'hier à s'affronter, même si c'est encore indirectement et de manière masquée, sur le terrain impérialiste.
Il est cependant une puissance pour laquelle le conflit en Bosnie apparaît plus particulièrement comme un échec, un aveu d'impuissance, ce sont les USA. Après le cessez-le-feu entre la Croatie et la Serbie, conflit que les USA avaient mis à profit pour stigmatiser l'impuissance de l'Europe de Maastricht et ses divisions, les USA ont misé sur la Bosnie. Leur incapacité à assurer la survie de celle-ci ramène leurs prétentions à de simples rodomontades d'un matamore de théâtre. Plus que tout autre, les USA ont pratiqué la surenchère médiatique, critiquant la timidité des accords Vance-Owen, la part trop belle qu'ils faisaient aux serbes, menaçant continuellement ces derniers d'une intervention massive. Mais cette intervention, ils n'ont pas pu la mener à bien. Cette incapacité des USA à mettre leurs actes en accord avec leurs paroles est un très rude coup porté à leur crédibilité internationale. Les bénéfices engrangés par les USA avec l'intervention dans le Golfe sont, en grande partie, effacés par le revers qu'ils ont subi en Bosnie. En conséquence, les tendances centrifuges de leurs ex-alliés à échapper à la tutelle américaine, à jouer leur propre carte sur la scène impérialiste, se trouvent renforcées et accélérées. Quant aux fractions de la bourgeoisie qui comptaient sur la puissance américaine pour les protéger, elles y regarderont à deux fois avant de s'engager, le sort de la Bosnie est là pour les faire méditer.
Face à une telle situation, les USA ne vont certainement pas rester les bras croisés. Ils se doivent de réagir. Les récents bombardements en Somalie et l'envoi de troupes américaines en Macédoine annoncent un nouvel aiguisement des tensions impérialistes.
Les alliés d'hier communient encore dans l'idéologie qui les rassemblait face à l'URSS, mais derrière cette unité des thèmes, c'est une foire d'empoigne annonçant, au-delà de la Bosnie, de futures guerres, de futurs massacres. Toutes les belles paroles et les larmes de crocodiles abondamment versées n'ont qu'un but : masquer la réalité impérialiste du conflit qui ravage l’ex-Yougoslavie et justifier la guerre.
Crise économique : le mensonge de la reprise
Si la guerre n'est pas l'expression de l'impuissance de la bourgeoisie mais celle de la réalité intrinsèquement belliciste du capitalisme, la crise économique par contre est une claire expression de l'impuissance de la classe dominante à surmonter les contradictions indépassables de l'économie capitaliste. Les proclamations pacifistes de la classe dominante sont un pur mensonge : pacifique, elle ne l'a jamais été, la guerre a toujours été un moyen pour une fraction de la bourgeoisie de défendre ses intérêts contre d'autres, moyen devant lequel elle n'a jamais reculé. Par contre, toutes les fractions de la bourgeoisie rêvent sincèrement d'un capitalisme sans crise, sans récession, à la prospérité éternelle, qui permette de dégager des profits toujours plus juteux. La classe dominante ne peut pas envisager que la crise est insurmontable, qu'elle n'a pas de solution, car un tel point de vue, une telle conscience signifierait la reconnaissance de ses limites historiques, sa propre négation, ce qu'elle ne peut, précisément par sa position de classe exploiteuse dominante, ni envisager, ni accepter.
Entre le rêve d'un capitalisme sans crise et la réalité présente d'une économie mondiale qui ne parvient pas à sortir de la récession, il y a un abîme que la bourgeoisie voit, chaque jour, se creuser un peu plus avec une angoisse croissante. Pourtant, il n'est pas loin le temps où, avec l'effondrement économique de l'URSS, le capitalisme « libéral » à l'occidentale croyait discerner la preuve de sa propre santé inébranlable, de sa capacité à surmonter tous les obstacles. Que n'a-t-on entendu dans ces moments d'euphorie de la classe dominante ? Une débauche médiatique d'autosatisfaction où le capitalisme était promis à un avenir éternel. Las, l'Histoire a pris une revanche cinglante sur ces illusions et n'a pas attendu pour opposer un démenti brutal à ces mensonges.
L'URSS n'avait pas fini de s'effondrer que la récession faisait un retour remarqué au coeur de la première puissance économique mondiale : les USA. Depuis, cette récession s'est étendue comme une épidémie à l'ensemble de l'économie mondiale. Le Japon et l'Allemagne, ont, à leur tour, été terrassés par le même mal. A peine signé, le traité de Maastricht, qui promettait le renouveau de l’Europe et la prospérité économique, patatras, le bel assemblage s'effondre avec la crise du Système Monétaire Européen d'abord, et la récession ensuite.
Face a la brutale accélération de la crise mondiale qui prend à revers toute la propagande menée depuis des années dans tous les pays sur le thème de la reprise, la bourgeoisie n'en continue pas moins de répéter la même antienne : « nous avons des solutions ! », et de proposer de nouveaux plans économiques qui doivent sortir le capitalisme du marasme. Mais toutes les mesures mises en place ne sont d'aucun effet. La classe dominante n'a pas le temps de chanter victoire devant le frémissement de quelques indices économiques, que les faits se chargent de démentir ces illusions. Dernier exemple significatif en date, la croissance américaine : à peine arrivée à la Maison-Blanche, l'équipe Clinton est fière d'annoncer un taux de croissance inespéré de l'économie américaine au 4e trimestre 1992, + 4,7 %, et de prédire sur tous les tons la fin de la récession. Mais l'espoir aura été de courte durée. Après avoir prévu une croissance de +2,4% pour le 1er trimestre 1993, c'est finalement une petite croissance de +0,9 % qui est annoncée. La récession mondiale est là et bien là, et jusqu'à présent aucune des mesures employées par la classe dominante n'est parvenue à changer cet état de fait. Dans les milieux dirigeants, la panique s'amplifie et nul ne sait que faire.
Dans la mesure où toutes les mesures classiques de relance s'avèrent inefficaces, il ne reste plus qu'un argument à employer pour la bourgeoisie : «r il faut accepter les sacrifices pour que ça aille mieux demain.» Cet argument est constamment utilisé pour justifier les programmes d'austérité contre la classe ouvrière. Depuis le retour de la crise historique à la fin des années 1960, ce type d'argument s'est évidemment heurté au mécontentement des travailleurs qui payent la note, mais il n'en avait pas moins conservé, durant toutes ces années, une certaine crédibilité dans la mesure où l'alternance entre les périodes de récession et de relance semblait la valider. Mais la réalité de la misère qui n'a cessé de se développer partout, de plan de rigueur en plan d'austérité, avec pour seul résultat la situation catastrophique présente, montre que tous les sacrifices passés n'ont servi à rien.
Malgré tous les plans « contre le chômage », mis en place depuis des années, à grand renfort de publicité, par tous les gouvernements des métropoles industrialisées, celui-ci n'a cessé de croître. Il atteint aujourd'hui des sommets. Chaque jour de nouveaux plans de licenciements sont annoncés. Devant l'évidence des impôts de plus en plus lourds, des salaires qui diminuent ou de toute façon augmentent moins vite que l'inflation, nul n'a plus l'outrecuidance de prétendre que le niveau de vie progresse. Dans les grandes villes du monde développé, les miséreux, sans domicile faute d'argent pour payer un loyer, réduits à la mendicité, sont de plus en plus nombreux et témoignent dramatiquement du délabrement social qui gagne au coeur du capitalisme le plus riche.
Mettant à profit la faillite politique, économique et sociale du « modèle » stalinien de capitalisme d'Etat mensongèrement identifié au communisme, la bourgeoisie a répété à satiété que seul le capitalisme « libéral » pouvait apporter la prospérité. Elle doit maintenant déchanter devant la crise qui remet les pendules à l'heure.
La vérité de la lutte de classe face aux mensonges de la bourgeoisie
Avec l'aggravation brutale de la crise, la bourgeoisie voit se profiler, avec frayeur, le spectre d'une crise sociale. Pourtant, il y a peu, les idéologues de la bourgeoisie croyaient pouvoir affirmer que la faillite du stalinisme démontrait l'inanité du marxisme et l'absurdité de l'idée même de lutte de classe. Dans la foulée, l'existence même de la classe ouvrière était niée, et la perspective historique du socialisme présentée comme un idéal généreux, mais impossible à réaliser. Toute cette propagande a déterminé un doute profond au sein de la classe ouvrière sur la nécessité et la possibilité d'un autre système, d'un autre mode de relations des hommes entre eux, pour mettre fin à la barbarie capitaliste.
Mais si la classe ouvrière reste encore profondément déboussolée par la succession rapide des événements et le martelage idéologique intense des campagnes médiatiques, elle est, sous la pression des événements poussée à retrouver le chemin de la lutte face aux attaques incessantes et de plus en plus dures menées contre ses conditions de vie.
Depuis l'automne 1992, et les manifestations massives des travailleurs italiens en colère face au nouveau plan d'austérité mis en place par le gouvernement, les signes d'une lente reprise de la combativité du prolétariat se précisent dans de nombreux pays : Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique, Espagne, etc. Dans une situation où l'aggravation incessante de la crise implique des plans d'austérité de plus en plus draconiens, cette dynamique ne peut aller qu'en s'accélérant et en s'amplifiant. La classe dominante voit s'avancer avec une inquiétude croissante cette perspective inéluctable du développement de la lutte de classe. Sa marge de manoeuvre se réduit de plus en plus. Non seulement, elle ne peut plus retarder tactiquement ses attaques contre la classe ouvrière, mais tout son arsenal idéologique pour faire face à la lutte de classe subit une érosion accélérée.
L'impuissance de tous les partis de la bourgeoisie à juguler la crise, à apparaître comme des bons gestionnaires renforce leur discrédit. Aucun parti de gouvernement ne peut dans les conditions présentes espérer bénéficier d'une grande popularité, il n'est que de voir comment en quelques mois d'accélération de la crise, Mitterrand en France, Major en Grande-Bretagne et même le nouvel élu Clinton aux USA, ont vu leur côte dans les sondages chuter vertigineusement. Partout la situation est la même : qu'ils soient de droite ou de gauche, les gestionnaires du capital en montrant leur impuissance mettent aussi involontairement à nu tous les mensonges qu'ils ont colportés pendant des années. L'implication des partis socialistes dans la gestion étatique en France, en Espagne, en Italie, etc., montre, internationalement, qu'ils ne sont pas différents des partis de droite dont ils voudraient tant se différencier. Les partis staliniens subissent de plein fouet le contrecoup de la faillite de leur modèle russe, les partis socialistes en pâtissent aussi. Avec le développement des « affaires » qui mettent en évidence la corruption généralisée régnant au sein de la classe dominante et de son appareil politique, le rejet confine au dégoût. C'est l'ensemble du modèle « démocratique » de gestion du capital et de la société qui est ébranlé. Le déphasage entre les discours de la bourgeoisie et la réalité devient chaque jour plus grand. En conséquence, le divorce entre l'Etat et la société civile ne peut aller qu'en s'accroissant. Résultat, aujourd'hui, c'est un truisme que d'affirmer que les hommes politiques mentent, tous les exploités en sont profondément convaincus.
Mais le fait de constater un mensonge ne signifie pas que l'on soit automatiquement immunisé contre des mystifications nouvelles, ni que l'on connaisse la vérité. Le prolétariat est dans cette situation aujourd'hui. Le constat que rien ne va plus, que le monde est en train de plonger dans la catastrophe, et que tous les discours rassurants sont pure propagande, cela, la grande masse des ouvriers s'en rend de plus en plus compte. Mais ce constat, s'il ne s'accompagne pas d'une réflexion vers la recherche d'une alternative, d'une réappropriation par le prolétariat de ses traditions révolutionnaires, de la réaffirmation dans ses luttes de son rôle central dans la société et de son affirmation comme classe révolutionnaire porteuse d'un avenir pour l'humanité, la perspective communiste, peut aussi mener au déboussolement et à la résignation. La dynamique présente, avec la crise économique qui agit comme révélateur, pousse la classe ouvrière vers la réflexion, la recherche d'une solution qui, pour elle, conformément à son être, ne peut être que la nouvelle société dont elle est porteuse : le communisme. De plus en plus, face à la catastrophe que la classe dominante ne peut plus cacher, se pose comme une question de vie ou de mort, la nécessité de la mise en avant de la perspective révolutionnaire.
Dans cette situation, la classe dominante ne reste pas passive. Même si son système se délite et sombre dans le chaos, elle ne va pas pour autant mettre la clé sous la porte. De toutes ses forces elle s'accroche à son pouvoir sur la société, par tous les moyens elle essaye d'entraver le processus de prise de conscience du prolétariat dont elle sait qu'il signifie sa propre perte. Face à l'usure des mystifications qu'elle utilise depuis des années, elle en forge de nouvelles et répète les anciennes avec encore plus de force. Elle utilise même la décomposition qui gangrène son système comme un nouvel instrument de confusion contre le prolétariat. La misère dans le «tiers-monde » et les atrocités des guerres servent de repoussoir pour renforcer l'idée que, là où la catastrophe n'atteint pas une telle ampleur, il n'y a finalement pas lieu de se plaindre et de protester. La mise à jour des scandales, de la corruption des politiciens, comme en Italie, est utilisée pour détourner l'attention des attaques économiques, justifier un renouvellement de l'appareil politique et crédibiliser l'idée d'un «Etat propre». Même la misère des travailleurs est utilisée pour les abuser. La peur du chômage sert à justifier des baisses de salaires au nom de la « solidarité». La «protection des emplois» dans chaque pays est le prétexte de campagnes chauvines, les travailleurs « immigrés » sont des victimes expiatoires toutes trouvées pour alimenter les divisions au sein de la classe ouvrière. Dans une situation où la bourgeoisie n'est plus porteuse d'aucun avenir historique, elle ne peut survivre que par le mensonge, elle est la classe du mensonge. Et quand celui-ci ne peut plus suffire, il lui reste l'arme de la répression, qui elle ne mystifie pas, mais dévoile ouvertement le visage barbare du capitalisme.
Socialisme ou barbarie. Cette alternative posée par les révolutionnaires au début du siècle est plus que jamais à l'ordre du jour. Ou la classe ouvrière se laisse embourber dans les mystifications de la bourgeoisie et l'ensemble de l'humanité est condamné à sombrer avec le capitalisme dans son processus de décomposition qui à terme signifie sa fin. Ou le prolétariat développe sa capacité de lutter, de mettre à nu les mensonges de la bourgeoisie, s'avance vers la mise en avant de sa perspective révolutionnaire. Tels sont les enjeux contenus dans la période présente. Les vents de l'histoire poussent le prolétariat vers l'affirmation de son être révolutionnaire, mais le futur n'est jamais acquis d'avance. Même si les masques de la bourgeoisie tombent de plus en plus, elle en forge constamment de nouveaux pour cacher le visage hideux du capitalisme, il appartient au prolétariat de les lui arracher définitivement.
JJ.
[1] [2] Il est d'ailleurs toujours en place et, durant des années, l'Occident n'avait pas hésité à l'armer abondamment et à le soutenir face à l'Iran.
Le CCI vient de tenir son 10e Congrès. Notre organisation a fait un bilan de ses activités, de ses prises de position et analyses durant les deux dernières années, et a tracé les perspectives pour les prochaines années. L'élément central a été la reconnaissance par l'organisation du tournant entamé au niveau de la lutte des classes. Les luttes massives du prolétariat italien de l'automne 1992 ont montré que la période de reflux qui avait débuté en 1989 avec la chute du bloc russe et du stalinisme, a commencé à prendre fin. Ce reflux a affecté non seulement la combativité qu'avait manifestée le prolétariat jusqu'à cette date dans sa résistance aux mesures d'austérité imposées par la bourgeoisie, mais aussi, de manière significative, le développement de sa conscience de classe révolutionnaire. Avec la perspective d'une reprise des combats de classe, le congrès s'est donné l'orientation de l'intervention dans les luttes ouvrières qui commencent, pour que le CCI, comme organisation politique du prolétariat, soit préparé au mieux pour jouer son rôle dans cette période décisive pour le prolétariat et l'humanité dans son ensemble.
Il ne fait pas de doute que pour tracer ces perspectives, il est fondamental de savoir si les analyses et les positions défendues par l'organisation dans la période passée, ont correspondu au développement des événements qui ont dominé la scène internationale. Le congrès a rempli cette tâche en évaluant les avancées du chaos et des conflits guerriers, la crise, les tensions impérialistes, et bien sûr, la lutte des classes. De même, ont été évaluées les activités réalisées dans cette période pour les adapter à la nouvelle période.
L'accentuation du chaos
Le 9e congrès du CCI de l'été 1991 avait analysé comment la phase de décomposition du capitalisme, commencée avec la décennie des années 1980, était à la base de la chute du bloc impérialiste de l'Est, de l'éclatement de l'URSS et de la mort du stalinisme.
Présentation
Le 10e congrès a constaté que ces analyses sur la phase de décomposition et ses conséquences avaient été entièrement correctes. Non seulement, l'explosion de l’ex-bloc de l'Est a continué, mais aussi l’ex-bloc occidental est entré dans un processus similaire en rompant «l'harmonie» existant entre les pays qui le constituaient, y inclus entre les pays les plus industrialisés. Cette rupture du système des blocs existant depuis 1945, a déclenché une situation de chaos qui, au lieu de s'amoindrir, s'étend comme une gangrène à toute la planète.
Un élément accélérateur du chaos a été l'accentuation des antagonismes impérialistes entre les grandes puissances. Ces dernières profitent de chaque conflit entre fractions de la bourgeoisie de différents pays ou d'un même pays pour essayer de gagner des positions stratégiques face aux puissances opposées, ravageant les économies rachitiques des pays en conflit, ce qui met en évidence une fois de plus l'irrationalité des guerres dans la période de décadence. Dans ce sens, il n'y a pas de conflit, petit ou grand, armé ou non, où ne soit présente la lutte des puissants gangsters impérialistes.
L'autre élément accélérateur du chaos est la tendance à la formation d'un nouveau système de blocs, et la lutte des USA qui veulent être l'unique «gendarme du monde ». Les avancées stratégiques de l'Allemagne, liées à sa force économique, dans le conflit des Balkans, au travers d'un appui ouvert à l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, placent le capital allemand comme la puissance capable de prendre la tête d'un bloc rival des Etats-Unis. Cependant, la voie qui mène à la conformation de ce nouveau bloc se resserre chaque fois davantage : d'une part, on trouve l'opposition que mènent la Grande-Bretagne et les Pays-Bas comme principaux alliés des Etats-Unis en Europe, à la stratégie allemande ; d'autre part, les appétits impérialistes propres de l'Allemagne et de la France limitent le renforcement de l'alliance dans laquelle la France viendrait pallier les limites militaires de l'Allemagne.
Les USA n'ont plus autant les mains libres pour leurs actions militaires. Les déploiements militaires et diplomatiques des puissances rivales en Yougoslavie, ont montré les limites de l'efficacité de l'opération « Tempête du désert » de 1991 qui était destinée à réaffirmer le leadership des Etats-Unis sur le monde. Pour cette raison, et à cause de l'opposition interne au déclenchement d'un autre Vietnam, les Etats-Unis n'ont pas eu la même capacité, ni la même liberté, de mobilisation en Yougoslavie ; mais il ne fait pas de doute qu'ils ne sont pas restés comme simples spectateurs : au travers de l'aide « humanitaire » à la Somalie et aux populations musulmanes traquées par les milices serbes en Bosnie-Herzégovine, ils ont commencé une offensive qui a pris un caractère de plus grande ampleur avec les mobilisations aériennes sur ces territoires.
Tout ce contexte ne fait que confirmer une tendance chaque fois plus grande au développement de conflits armés.
La crise frappe les pays centraux
Au plan économique, le congrès a pu constater que la crise qui s'exprime au travers de la récession économique, est devenue une des préoccupations principales de la bourgeoisie des pays centraux. A l'aube des années 1990, l'usure des remèdes traditionnels utilisés par la bourgeoisie pour essayer de pallier à la crise devient évidente : non seulement les Etats-Unis se trouvent en récession ouverte (laquelle en est à sa troisième année consécutive), mais de plus « la récession ouverte s'est généralisée pour atteindre des pays qu'elle avait épargné dans un premier temps, tel la France, et parmi les plus solides comme l'Allemagne et même le Japon. » ([1] [5]). Le capital mondial souffre d'une crise qui atteint un degré qualitativement plus grand que toutes celles vécues jusqu'à présent.
Face à l'impossibilité d'obtenir une quelconque solution avec les politiques «néolibérales» appliquées dans la décennie 1980, la bourgeoisie des pays centraux entame un tournant stratégique vers une intervention encore plus grande de l'Etat dans l'économie, intervention qui a été une constante dans le capitalisme décadent, y inclus dans l'époque de Reagan, comme seule forme possible de survie par une tricherie constante avec ses propres lois économiques. Avec l'élection de Clinton, la première puissance mondiale concrétise cette stratégie. Cependant, « quelles que soient les mesures appliquées, la bourgeoisie américaine se trouve confrontée à une impasse : en lieu et place d'une relance de l’économie et d'une réduction de son endettement (et particulièrement celui de l'Etat), elle est condamnée, à une échéance qui ne saurait être reportée bien longtemps, à un nouveau ralentissement de l'économie et à une aggravation irréversible de l'endettement. » ([2] [6])
Mais ce n'est pas seulement la récession qui exprime l'accentuation de la crise. La disparition des anciens blocs impérialistes vient accentuer aussi la crise et le chaos économique.
Les conséquences de l'accentuation de la crise dans les pays les plus développés se manifestent de manière immédiate dans une détérioration des conditions de vie du prolétariat. Mais le prolétariat de ces pays n'est pas disposé à rester passif face à la chute dans la misère et le chômage. Le prolétariat en Italie nous l'a rappelé à l'automne 1992 : la crise continue d'être la meilleure alliée du prolétariat.
La reprise de la combativité ouvrière
La reprise des luttes ouvrières a été un élément central, un axe du 10e Congrès. Après trois ans de reflux, les luttes massives du prolétariat italien de l'automne 1992 ([3] [7]), ainsi que les manifestations massives des mineurs britanniques face à l'annonce de la fermeture de la majorité des mines, les mobilisations des ouvriers allemands durant l'hiver, ainsi que d'autres manifestations de combativité ouvrière dans d'autres pays d'Europe et du reste du monde, viennent confirmer la position défendue par le CCI selon laquelle le cours historique est bien aux confrontations massives entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Le fait le plus significatif de cette reprise des luttes est qu'elles marquent le début d'un processus de dépassement du reflux dans la conscience ouvert en 1989. Mais nous serions naïfs si nous pensions que cette reprise des luttes va s'effectuer sans difficultés et de manière linéaire : les effets négatifs, les confusions, les doutes sur ses capacités comme classe révolutionnaire, conséquences du reflux de 1989, sont encore loin d'être totalement dépassés.
A ces facteurs, s'ajoutent les effets néfastes de la décomposition du capitalisme sur la classe ouvrière : l'atomisation, le «chacun pour soi», qui sapent la solidarité entre les prolétaires ; la perte de perspective face au chaos régnant ; le chômage massif et de longue durée, qui tend à séparer les prolétaires sans emploi du reste de la classe et, pour beaucoup d'autres, dans leur majorité les jeunes, à les plonger dans la délinquance ; les campagnes xénophobes et anti-racistes qui tendent à diviser les ouvriers ; le pourrissement de la classe dominante et de son appareil politique qui favorise les campagnes mystificatrices de « lutte contre la corruption » ; les campagnes « humanitaires » déchaînées par la bourgeoisie, face à la barbarie à laquelle est soumis le « tiers-monde »> qui tendent à culpabiliser les ouvriers pour justifier ainsi la dégradation de ses conditions de vie. Tous ces facteurs, tout comme les guerres comme celle de l'ex-Yougoslavie, où la participation des grandes puissance et leur confrontation sont masquées, rendent difficile le processus de prise de conscience du prolétariat et de reprise de sa combativité.
Cependant, la gravité de la crise et la brutalité des attaques de la bourgeoisie, ainsi que le développement inévitable de guerres dans lesquelles vont s'impliquer de manière ouverte les grandes puissances, montreront la faillite du mode de production capitaliste aux yeux des ouvriers. La perspective est donc au développement massif de luttes ouvrières. Cette reprise de la combativité du prolétariat exige l'intervention des révolutionnaires, qu'ils soient partie prenante de ces combats afin d'en impulser toutes les potentialités et d'y défendre avec détermination la perspective communiste.
Les activités
Pour être capable d'affronter les enjeux que présente la reprise des luttes ouvrières, le 10e congrès devait faire un bilan objectif des activités depuis le congrès passé, vérifier la réalisation de leur orientation, relever les difficultés qui s'étaient présentées, pour être préparé le mieux possible pour la période future. Le congrès a tiré un bilan positif des activités menées par l'organisation :
« L'organisation a été capable de résister au regain de désorientation entraîné par la relance de la campagne idéologique de la bourgeoisie sur la "fin du marxisme et de la lutte de classe", de tracer des perspectives chaque fois confirmées sur l'accélération des tensions inter impérialistes et de la crise, sur la reprise de combativité que devait nécessairement entraîner l'avalanche d'attaques contre la classe ouvrière, ceci en tenant compte des spécificités de la phase historique actuelle de décomposition, développant son activité en fonction des conditions de la situation et de l'état de ses forces militantes. »([4] [8])
Le renforcement théorico-politique
Un des aspects positifs des activités a été le processus d'approfondissement théorico-politique qu'a réalisé l'organisation face à la nécessité d'affronter les (campagnes de la bourgeoisie qui affirmaient la «mort du communisme». Cela impliquait l'expression de la manière la plus claire et la plus élaborée, du caractère contre-révolutionnaire du stalinisme ; cependant, un des facteurs (l'autre étant l'accélération de l'histoire à laquelle il nous fallait, et il nous faut, répondre rapidement) qui a accentué l'importance de cette tâche, a été le développement des éléments révolutionnaires avec qui le CCI était en contact.
Ces contacts, à contre-courant de l'ambiance générale, sont l'expression de la maturation souterraine de la conscience de la classe qui s'exprime au travers de cette minorité.
D'autre part, les nouveaux événements ont montré que la maîtrise du cadre général d'analyse n'est pas suffisante. Il faut aussi «parler le marxisme» à propos, pour l'appliquer à l'analyse des événements et des situations particulières, ce qui ne peut se produire que s'il existe un approfondissement théorico-politique.
« La poursuite des efforts d'approfondissement théorique-politique, avec la vigilance dans le suivi de la situation internationale et des situations nationales, vont être déterminants pour la capacité de l’organisation à s'inscrire comme facteur actif au sein de la classe ouvrière, sur le plan de sa contribution au dégagement d'une perspective générale de lutte et, à terme, de la perspective communiste ».
La centralisation
«Depuis ses débuts, des groupes à l’origine du CCI au CCI lui-même, l'organisation s'est toujours conçue comme une organisation internationale. Mais la capacité à faire vivre cette conception internationaliste, qui a dynamisé la formation du CCI, s'est affaiblie. Aujourd'hui, la décomposition vient aggraver considérablement la pression à l'individualisme, au chacun pour soi, au localisme, au fonctionnarisme, plus encore que ne le faisait le poids de l'idéologie petite-bourgeoise post-soixante-huitarde dans les premières années d'existence de l'organisation. » C'est donc avec la volonté de faire face et de dépasser ces nouvelles difficultés que le 10e congrès a débattu de la nécessité de renforcer la vie politique et organisationnelle internationale du CCI :
« Dans chaque aspect de nos activités, à chaque moment, dans le fonctionnement et dans l'approfondissement politique, dans l'intervention, au quotidien, dans chaque tâche des sections locales, les tâches sont des tâches "internationales", les discussions sont des "discussions internationales", les contacts sont des "contacts internationaux". Le renforcement du cadre international est la condition première du renforcement de toute activité locale. »
La centralisation internationale du CCI est une condition fondamentale pour pouvoir jouer de manière effective notre rôle d'avant-garde politique du prolétariat :
«Nous n'avons pas la conception d'une organisation dont l'organe central dicte les orientations qu'il suffit d'appliquer, mais celle d'un tissu vivant où toutes les composantes agissent constamment comme parties d'un tout. (...) La substitution d'un organe central à la vie de l'organisation est totalement étrangère à notre fonctionnement. La discipline de l'organisation est fondamentalement basée sur une conviction d'un mode de fonctionnement international vivant permanent et implique une responsabilité à tous les niveaux dans l'élaboration des prises de position et dans l'activité vis-à-vis de l'organisation dans son ensemble. »
L'intervention
« Le tournant actuel de la situation internationale ouvre des perspectives d'intervention dans les luttes comme nous n'en avions plus connues au cours de ces dernières années».
C'est au travers de la presse, notre principal outil d'intervention, que nous devons marquer notre adaptation à la dynamique de la nouvelle période. Nous allons devoir intervenir simultanément sur tous les plans : décomposition crise économique, impérialisme, lutte de classe.
« Dans un tel contexte, les réflexes et la rapidité, la rigueur dans le suivi des événements, la profondeur dans l'assimilation des orientations, vont plus encore que par le passé être décisifs. (...) La presse doit intervenir de façon décidée face aux premières manifestations de la reprise ouvrière, et en même temps toujours traiter de l'exacerbation des tensions impérialistes, des questions de la guerre et de la décomposition, répondre en permanence et de façon adéquate à ce qui se déroule sous nos yeux dans toute la complexité de la situation, en dénonçant sans relâche les manoeuvres et mensonges de la bourgeoisie, en montrant les perspectives au prolétariat, (...) et participer au développement dans la classe ouvrière de la conscience qu'elle est une classe historique porteuse de la seule alternative au capitalisme en décomposition, dimension de sa conscience qui a été la plus durement et durablement affectée par les campagnes idéologiques accompagnant la faillite historique du stalinisme. »
L'intervention vers les sympathisants
Le CCI a connu un afflux important de contacts dans ses différentes sections qui sont le produit d'un rapprochement des positions révolutionnaires par une minorité de la classe ouvrière. Un des aspects que nous avons pu reconnaître, est que le développement et le nombre de contacts va augmenter avec l'intervention dans les luttes. L'organisation doit être très décidée dans son intervention face à eux, pour permettre leur incorporation réelle au mouvement révolutionnaire du prolétariat. Pour sa part, le CCI, au travers de l'intervention vers les contacts doit se réaffirmer comme le principal pôle de regroupement des forces révolutionnaires à l'heure actuelle.
L'intervention dans les luttes
« Le changement le plus important pour notre intervention dans la période qui vient, est la perspective de la reprise des luttes ouvrières. » L'intervention dans les luttes a été un élément central de discussion dans-le congrès. Après trois années de reflux de la lutte des classes, nous avons insisté sur la nécessité que le CCI réagisse rapidement et qu'il se trouve préparé pour intervenir, sans hésitation, dans la nouvelle situation. Les lignes fondamentales que doit suivre l'intervention, se sont exprimées de la manière suivante :
« C'est d'abord dans notre capacité à être partie prenante de la lutte, dans notre préoccupation de chercher, lorsque c'est possible, à influer sur le cours des luttes et à faire des propositions de marche concrètes, que nous assumons notre fonction d'organisation révolutionnaire».
Un des aspects principaux dans l'intervention dans les luttes ouvrières, est de ne pas laisser le terrain libre à l'action de la gauche, des gauchistes et des syndicats, principalement le syndicalisme de base, qui comme nous l'ont montré les luttes récentes en Italie, vont jouer un rôle de premier ordre pour essayer de dévier et de contrôler les luttes, en empêchant qu'elles se développent sur le terrain de classe et en essayant de semer la confusion et de démoraliser les travailleurs. Notre intervention doit viser au renforcement de la plus grande unité possible au sein de la classe :
« C'est ensuite en mettant en avant dans toute expérience de lutte de la classe ouvrière, ce qui défend réellement les intérêts immédiats de la classe, les intérêts communs à toute la classe, ce qui permet l'extension, l'unité, la prise en main des luttes que l'organisation doit toujours mener son intervention ».
De même, « dans le contexte de faiblesse de la classe ouvrière sur le plan de sa conscience, plus encore que par le passé, la mise en avant de la faillite historique du système capitaliste, de sa crise internationale et définitive, de l'enfoncement inéluctable dans la misère, la barbarie et les guerres où la domination de la bourgeoisie entraîne l'humanité, doit, avec la perspective du communisme, faire partie de l'intervention que nous menons dans les luttes ouvrières. »
L'intervention vers le milieu politique prolétarien
La tendance au réveil des luttes à des niveaux jamais atteints encore depuis la reprise historique à la fin des années 1960, nécessite non seulement un renforcement du CCI mais aussi de tout le milieu politique prolétarien. Pour cette raison, le 10e congrès s'est attaché particulièrement à l'évaluation de l'intervention en son sein. S'il faut constater le faible niveau des réponses du milieu politique prolétarien à notre appel du 9e congrès, le CCI ne doit pas se décourager pour autant. Il convient que nous développions encore plus notre suivi, notre mobilisation, et notre intervention à son égard.
Un élément central pour renforcer notre intervention dans le milieu politique prolétarien, duquel nous faisons partie, est de réaffirmer qu'il est lui-même une expression de la vie de la classe, de son processus de prise de conscience. Le renforcement de notre intervention vers le milieu politique prolétarien requiert que le débat se développe de manière plus ouverte, plus rigoureuse et fraternelle entre les groupes qui le composent, qu'ils rompent avec le sectarisme et avec la vision tordue exprimée par certains groupes, qui considèrent que « tout questionnement, tout débat, toute divergence ne sont pas une manifestation d'un processus de réflexion au sein de la classe mais une "trahison des principes invariants". »([5] [9])
Ces débats permettront à leur tour, d'avoir une meilleure clarté sur les nouveaux événements, tant pour le CCI que pour le reste du milieu, qui a exprimé certaines confusions pour les comprendre.
« Cela s'est particulièrement confirmé lors des événements de l'Est et de la guerre du Golfe face auxquels ces groupes ont manifesté des confusions majeures et ont accusé un retard considérable par rapport au CCI lorsqu'ils sont parvenus à un minimum de clarté. Un tel constat ne doit pas être fait pour nous rassurer ou nous permettre de nous endormir sur nos lauriers mais bien pour que nous prenions la juste mesure de nos responsabilités vis-à-vis de l'ensemble du milieu. Il doit nous inciter à un surcroît d'attention, de mobilisation et de rigueur dans l'accomplissement de nos tâches de suivi du milieu politique prolétarien et d'intervention en son sein. » ([6] [10])
La question de la défense du milieu politique prolétarien comme un tout, a posé au congrès la nécessité d'avoir la plus grande clarté politique par rapport aux groupes du milieu parasitaire qui gravitent autour du milieu politique prolétarien et y répandent leur venin.
« Quelle que soit leur plate-forme (qui peut-être formellement très valable), les groupes de ce milieu parasitaire n'expriment nullement un effort de prise de conscience de la classe. En ce sens, ils ne font pas partie du milieu politique prolétarien, même si on ne doit pas considérer qu'ils appartiennent au camp bourgeois (appartenance qui est fondamentalement déterminée par un programme bourgeois : défense de l'URSS, de la démocratie, etc.). Ce qu'ils expriment fondamentalement, ce qui les anime et détermine leur évolution (que cela soit conscient ou inconscient de la part de leurs membres), ce n'est pas la défense des principes révolutionnaires au sein de la classe, la clarification des positions politiques, mais l'esprit de chapelle ou de "cercle d'amis", l'affirmation de leur individualité vis-à-vis des organisations qu'ils parasitent, tout cela basé sur des griefs personnels, des ressentiments, des frustrations et autres préoccupations mesquines relevant de l'idéologie petite-bourgeoise. » ([7] [11])
Nous ne pouvons pas faire la moindre concession à ce milieu parasitaire qui est un facteur de confusion et surtout de destruction du milieu politique prolétarien. Encore moins aujourd'hui, où pour répondre aux enjeux de la nouvelle période, la défense et le renforcement du milieu politique prolétarien sont indispensables face à toutes les attaques qu'il peut subir.
Le CCI a tenu son 10e congrès à un moment crucial de l'histoire : le prolétariat reprend le chemin de sa lutte contre le capital. Déjà la monstrueuse campagne idéologique déclenchée par la bourgeoisie sur « la mort du communisme », commence à céder face à la réalité brutale de la barbarie des guerres et à l'attaque impitoyable contre les conditions de vie du prolétariat des pays les plus développés, comme résultat d'une accélération plus grande de la crise de surproduction.
Le 10e congrès a fourni les orientations politiques pour permettre au CCI d'affronter les enjeux de la nouvelle période : une homogénéité existe par rapport au tournant de la situation internationale avec la reprise de la lutte de classe.
Ce Congrès a consolidé l'analyse du CCI sur les tensions impérialistes et la crise, qui, par leur accélération, élèvent à des niveaux plus hauts la situation de chaos produit par la décomposition du capitalisme. Il a aussi constaté que la reprise des luttes ne sera pas facile, que le poids dans le développement de la conscience qu'ont apporté la chute du bloc de l'Est et la mort du stalinisme, ne sera pas dépassé facilement. En outre, la bourgeoisie utilisera tout ce qui est en son pouvoir, pour essayer d'éviter que le prolétariat porte ses luttes à des niveaux plus grands de combativité et de conscience. C'est pour cela que le congrès a élaboré des perspectives pour renforcer le CCI, fondamentalement la centralisation internationale, ainsi que les moyens pour être mieux armés politiquement pour l'intervention, non seulement au niveau de la lutte des classes, mais aussi dans les autres manifestations du développement de la conscience de classe comme le sont les contacts qui émergent, et le milieu politique prolétarien.
Avec ce 10e congrès, le CCI s'efforce de se situer au niveau des exigences du moment historique et d'assumer son rôle d'avant-garde du prolétariat, pour contribuer à dépasser le reflux dans le développement de la conscience de classe dans la classe ouvrière afin que celle-ci se réaffirme et qu'elle puisse défendre la seule alternative à la barbarie capitaliste : le communisme.
CCI.
[1] [12] Voir la « Résolution sur la situation internationale » dans ce numéro.
[2] [13] Idem.
[3] [14] Voir Revue Internationale n° 72, 1er trimestre 1993.
[4] [15] « Résolution sur les activités ». Toutes les citations qui suivent sont tirées de cette même résolution.
[5] [16] « Résolution sur le milieu politique prolétarien».
[6] [17] Idem.
[7] [18] Idem.
Depuis près de dix ans, la décomposition étend son emprise sur toute la société. De façon croissante, l'ensemble des phénomènes et des événements mondiaux ne peut se comprendre que dans ce cadre. Cependant, la phase de décomposition appartient à la période de décadence du capitalisme et les tendances propres à l'ensemble de cette période ne disparaissent pas, loin de là. Ainsi, dans l'examen de la situation mondiale, il importe de distinguer les phénomènes qui relèvent de la période de décadence en général de ceux qui appartiennent spécifiquement à sa phase ultime, la décomposition, dans la mesure, notamment, où leurs impacts respectifs sur la classe ouvrière ne sont pas identiques et peuvent même agir en sens opposé. Et il en ainsi tant sur le plan des conflits impérialistes que de la crise économique qui constituent les éléments essentiels déterminant le développement des luttes de la classe ouvrière et de sa conscience.
1) Rarement, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le monde a connu une multiplication et une intensification des conflits guerriers comme celles auxquelles on assiste aujourd'hui. La guerre du Golfe, au début de 1991, était sensée instaurer un « nouvel ordre mondial » basé sur le «Droit». Depuis, la foire d'empoigne qui devait succéder à la fin du partage du monde entre deux mastodontes impérialistes n'a cessé de s'étendre et de s'exacerber. L'Afrique et l'Asie du Sud-Est, traditionnels terrains des affrontements impérialistes, ont continué à plonger dans les convulsions et la guerre. Libéria, Rwanda, Angola, Somalie, Afghanistan, Cambodge : ces pays sont aujourd'hui synonymes d'affrontements armés et de désolation malgré tous les « accords de paix » et les interventions de la « communauté internationale » patronnées directement ou indirectement par l’ONU. A ces «zones des tempêtes » sont venues s'ajouter le Caucase et l'Asie centrale qui payent au prix fort des massacres interethniques la disparition de l'URSS. Enfin, le havre de stabilité qu'avait constitué l'Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale est maintenant plongé dans un des conflits les plus meurtriers et barbares qui soient. Ces affrontements expriment de façon tragique les caractéristiques du monde capitaliste en décomposition. Ils résultent, pour une bonne part, de la situation nouvelle créée par ce qui constitue, à ce jour, la manifestation la plus importante de cette nouvelle phase de la décadence capitaliste : l'effondrement des régimes staliniens et du bloc de l'Est. Mais, en même temps, ces conflits sont encore aggravés par une des caractéristiques générales et fondamentales de cette décadence : l'antagonisme entre les différentes puissances impérialistes. Ainsi, la prétendue « aide humanitaire » en Somalie n'est qu'un prétexte et un instrument de l'affrontement des deux principales puissances qui s'opposent aujourd'hui en Afrique : les Etats-Unis et la France. Derrière, les différentes cliques qui se disputent le pouvoir à Kaboul, se profilent les intérêts des puissances régionales comme le Pakistan, l'Inde, l'Iran, la Turquie, l'Arabie Saoudite, puissances qui, elles-mêmes, inscrivent leurs intérêts et leurs antagonismes à l'intérieur de ceux qui partagent les « Grands » comme les Etats-Unis ou l'Allemagne. Enfin, les convulsions qui ont mis à feu et à sang l’ex-Yougoslavie, à quelques centaines de kilomètres de l'Europe «avancée», traduisent, elles aussi, les principaux antagonismes qui aujourd'hui divisent la planète.
2) L'ex-Yougoslavie est devenue un enjeu primordial dans les rivalités entre les principales puissances du monde. Si les affrontements et les massacres qui s'y déroulent depuis deux ans ont trouvé un terrain favorable avec des antagonismes ethniques ancestraux mis sous l'éteignoir par le régime stalinien, et que l'effondrement de celui-ci a fait ressurgir, les calculs sordides des grandes puissances ont constitué un facteur de premier ordre d'exacerbation de ces antagonismes. C'est bien parce que l'Allemagne à encouragé la sécession des Républiques du Nord, Slovénie et Croatie, afin de se constituer un débouché vers la Méditerranée, que s'est ouverte la boîte de Pandore yougoslave. C'est bien parce que les autres Etats européens, ainsi que les Etats-Unis, étaient opposés à cette offensive allemande qu'ils ont directement, ou indirectement par leur immobilisme, encouragé la Serbie et ses milices à déchaîner la « purification ethnique » au nom de la «défense des minorités». En fait, l'ex-Yougoslavie constitue une sorte de résumé, une illustration parlante et tragique de l'ensemble de la situation mondiale dans le domaine des conflits impérialistes.
3) En premier lieu, les affrontements qui ravagent aujourd'hui cette partie du monde sont une nouvelle confirmation de la totale irrationalité économique de la guerre impérialiste. Depuis longtemps, et à la suite de la « Gauche communiste de France », le CCI a relevé la différence fondamentale opposant les guerres de la période ascendante du capitalisme, qui avaient une réelle rationalité pour le développement de ce système, et celles de la période de décadence qui ne font qu'exprimer la totale absurdité économique d'un mode de production à l'agonie. Si l'aggravation des antagonismes impérialistes a comme cause ultime la fuite en avant de toutes les bourgeoisies nationales placées devant l'impasse totale de l'économie capitaliste, les conflits guerriers ne sauraient apporter la moindre « solution » à la crise, aussi bien pour l'ensemble de l'économie mondiale que pour celle d'un quelconque pays en particulier. Comme le notait déjà Internationalisme en 1945, ce n'est plus la guerre qui est au service de l'économie, mais bien l'économie qui s'est mise au service de la guerre et de sa préparation. Et ce phénomène n'a fait que s'amplifier depuis. Dans le cas de l'ex-Yougoslavie, aucun des protagonistes ne peut espérer le moindre profit économique de son implication dans le conflit. C'est évident pour la totalité des Républiques qui se font la guerre à l'heure actuelle : les destructions massives des moyens de production et de la force de travail, la paralysie des transports et de l'activité productive, l'énorme ponction que représentent les armements au détriment de l'économie locale ne vont bénéficier à aucun des nouveaux Etats en présence. De même, contrairement à l'idée qui a eu cours même au sein du milieu politique prolétarien, cette économie totalement ravagée ne pourra en aucune façon constituer un quelconque marché solvable pour la production excédentaire des pays industrialisés. Ce ne sont pas des marchés que les grandes puissances se disputent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie mais des positions stratégiques destinées à préparer ce qui est devenu la principale activité du capitalisme décadent : la guerre impérialiste à une échelle toujours plus vaste.
4) La situation dans l'ex-Yougoslavie vient également confirmer un point que le CCI avait souligné depuis longtemps :la fragilité de l'édifice européen. Celui-ci, avec ses différentes institutions (l'Organisation Européenne de Coopération Economique chargée d'administrer le plan Marshall et qui se transformera ultérieurement en l'OCDE, l'Union de l'Europe Occidentale fondée en 1949, la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier entrée en activité en 1952 et qui deviendra, cinq ans plus tard, la Communauté Economique Européenne) s'était constitué essentiellement comme instrument du bloc américain face à la menace du bloc russe. L'intérêt commun des différents Etats d'Europe occidentale face à cette menace (qui n'excluait pas la tentative de certains d'entre eux, comme la France de De Gaulle, de limiter l'hégémonie américaine) avait constitué un facteur puissant de stimulation de la coopération, notamment économique, entre ces Etats. Une telle coopération n'avait pas été en mesure de sur monter les rivalités économiques entre eux, résultat qui ne peut être atteint dans le capitalisme, mais avait permis l'instauration d'une certaine « solidarité » face à la concurrence commerciale du Japon et des Etats-Unis. Avec l'effondrement du bloc de l'Est, les bases de l'édifice européen se sont trouvées bouleversées. Désormais, l'Union Européenne, que le traité de Maastricht de la fin 1991 a fait succéder à la CEE, ne saurait plus être considérée comme un instrument d'un bloc occidental qui a lui même cessé d'exister. Au contraire, cette structure est devenue le champ clos des antagonismes impérialistes que la disparition de l'ancienne configuration du monde a mis au premier plan ou fait surgir. C'est bien ce que les affrontements en Yougoslavie ont mis en évidence lorsqu'on a vu s'étaler la profonde division des Etats européens incapables de mettre en oeuvre la moindre poli tique commune face à un conflit qui se développait à leur porte. Aujourd'hui, même si « l'Union européenne » peut encore être mise à profit par l'ensemble de ses participants comme rempart contre la concurrence commerciale du Japon et des Etats-Unis ou comme instrument contre l'immigration et contre les combats de la classe ouvrière, sa composante diplomatique et militaire fait l'objet d'une dispute qui ne pourra aller qu'en s'exacerbant entre ceux (particulièrement la France et l'Allemagne) qui veulent lui faire jouer un rôle comme structure capable de rivaliser avec la puissance américaine (préparant la constitution d'un futur bloc impérialiste) et les alliés des Etats-Unis (essentiellement la Grande-Bretagne et les Pays-Bas) qui conçoivent leur présence dans les instances de décision comme moyen de réfréner une telle tendance. ([1])
5) L'évolution du conflit dans les Balkans est venue également illustrer une des autres caractéristiques de la situation mondiale : les entraves sur le chemin de la reconstitution d'un nouveau système de blocs impérialistes. Comme le CCI l'a souligné dès la fin de 1989, la tendance vers un tel système a été mise à l'ordre du jour dès que l'ancien a disparu avec l'effondrement du bloc de l'Est. L'émergence d'un candidat à la direction d'un nouveau bloc impérialiste, rivalisant avec celui qui serait dirigé par les Etats-Unis, s'est rapidement confirmée avec l'avancée des positions de l'Allemagne en Europe centrale et dans les Balkans alors que la liberté de manoeuvre militaire et diplomatique de ce pays était encore limitée par les contraintes héritées de sa défaite dans la seconde guerre mondiale. L'ascension de l'Allemagne s'est largement appuyée sur sa puissance économique et financière, mais elle a pu aussi bénéficier du soutien de son vieux complice au sein de la CEE, la France (action concertée par rapport à l'Union européenne, création d'un corps d'armé commun, etc.). Cependant, la Yougoslavie a mis en relief toutes les contradictions qui divisent ce tandem : alors que l'Allemagne apportait un sou tien sans faille à la Slovénie et à la Croatie, la France a maintenu pendant une longue période une politique pro-serbe la faisant s'aligner, dans un premier temps, sur la position de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, ce qui a permis à cette puissance d'enfoncer un coin au sein de l'alliance privilégiée entre les deux principaux pays européens. Même si ces deux pays ont consacré des efforts particuliers à ce que le sanglant imbroglio yougoslave ne vienne pas compromettre leur coopération (par exemple, le soutien de la Buba au Franc français à chacune des attaques de la spéculation contre ce dernier), il est de plus en plus clair qu'ils ne mettent pas les mêmes espoirs dans leur alliance. L'Allemagne, du fait de sa puissance économique et de sa position géographique, aspire au leadership d'une « Grande Europe » qui ne serait elle-même que l'axe central d'un nouveau bloc impérialiste. Si elle est d'accord pour faire jouer un tel rôle à la structure européenne, la bourgeoisie française, qui depuis 1870 a pu constater la puissance de sa voisine de l'Est, ne veut pas se contenter de la place de second plan que celle-ci se propose de lui accorder dans leur alliance. C'est pour cela que la France n'est pas intéressée à un développement trop important de la puissance militaire de l'Allemagne (accès à la Méditerranée, acquisition de l'arme nucléaire, notamment) qui viendrait dévaloriser les atouts dont elle dis pose encore pour tenter de maintenir une certaine parité avec sa voisine dans la direction de l'Europe et à la tête de la contestation de l'hégémonie américaine. La réunion de Paris du 11 mars entre Vance, Owen et Milosevic sous la présidence de Mitterrand, est venue, une nouvelle fois, illustrer cette réalité. Ainsi, une des conditions pour que se reconstitue un nouveau partage du monde entre deux blocs impérialistes, l'accroissement très significatif des capacités militaires de l'Allemagne, porte avec elle la menace de difficultés sérieuses entre les deux pays européens qui sont candidats au leadership d'un nouveau bloc. Le conflit dans l'ex-Yougoslavie est donc venu confirmer que la tendance vers la reconstitution d'un tel nouveau bloc, mise à l'ordre du jour par la disparition de celui de l'Est en 1989, n'était nullement assurée de parvenir à son terme : la situation géopolitique spécifique des deux bourgeoisies qui s'en font les principaux protagonistes vient encore s'ajouter aux difficultés générales propres à la période de décomposition exacerbant le « chacun pour soi » entre tous les Etats.
6) Le conflit dans l’ex-Yougoslavie, enfin, vient confirmer une des autres caractéristiques majeures de la situation mondiale : les limites de l'efficacité de l'opération « Tempête du Désert » de 1991 destinée à affirmer le leadership des Etats-Unis sur le monde. Comme le CCI l'a affirmé à l'époque, cette opération de grande envergure n'avait pas comme principale cible le régime de Saddam Hussein ni même les autres pays de la périphérie qui auraient pu être tentés d'imiter l'Irak. Pour les Etats- Unis, ce qu'il s'agissait avant tout d'affirmer et de rappeler, c'était son rôle de « gendarme du monde » face aux convulsions découlant de l'effondrement du bloc russe et particulièrement d'obtenir l'obéissance de la part des autres puissances occidentales qui, avec la fin de la menace venue de l'Est, se sentaient pousser des ailes. Quelques mois à peine après la guerre du Golfe, le début des affrontements en Yougoslavie est venu illustrer le fait que ces mêmes puissances, et particulièrement l'Allemagne, étaient bien déterminées à faire prévaloir leurs intérêts impérialistes au détriment de ceux des Etats-Unis. Depuis, ce pays, s'il a réussi à mettre en évidence l'impuissance de l'Union européenne par rapport à une situation qui est de son ressort et le manque d'harmonie qui règne dans les rangs de cette dernière, y compris entre les meilleurs alliés que sont la France et l'Allemagne, n'est pas parvenu à contenir réellement l'avancée des autres impérialismes, particulièrement celui de ce dernier pays qui est, dans l'ensemble, parvenu à ses fins dans l'ex-Yougoslavie. Un tel échec est évidemment grave pour la première puissance mondiale puisqu'il ne peut que conforter la tendance de nombreux pays, sur tous les continents, à mettre à profit la nouvelle donne mondiale pour desserrer l'étreinte que leur a imposée l'Oncle Sam pendant des décennies. C'est pour cette raison que ne cesse de se développer l'activisme des Etats-Unis autour de la Bosnie après qu'ils aient fait étalage de leur force militaire avec leur massif et spectaculaire déploiement « humanitaire » en Somalie et l'interdiction de l'espace aérien du sud de l'Irak.
7) Cette dernière opération militaire, elle aussi, a confirmé un certain nombre des réalités mises en évidence par le CCI auparavant. Elle a illustré le fait que la véritable cible visée par les Etats-Unis dans cette partie du monde n'est pas l'Irak, puisqu'elle a renforcé le régime de Saddam Hussein tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, mais bien leurs « alliés » qu'elle a essayé, avec moins de succès qu'en 1991, d'entraîner une nouvelle fois (le troisième larron de « la coalition », la France, s'est contenté cette fois-ci d'envoyer des avions de reconnaissance). En particulier, elle a constitué un message en direction de l'Iran dont la puissance militaire montante s'accompagne du resserrement de ses liens avec certains pays européens, notamment la France. Cette opération est venue confirmer également, puisque le Koweït n'était plus concerné, que la guerre du Golfe n'avait pas eu pour cause la question du prix du pétrole ou de la préservation par les Etats-Unis de leur « rente pétrolière » comme l'avaient affirmé les gauchistes et même, à un moment donné, certains groupes du milieu prolétarien. Si cette puissance est intéressée à conserver et renforcer son emprise sur le Moyen-Orient et ses champs pétroliers, ce n'est pas fondamentalement pour des raisons commerciales où strictement économiques. C'est avant tout pour être en mesure, si le besoin s'en fait sentir, de priver ses rivaux japonais et européens de leur approvisionnement d'une matière première essentielle pour une économie développée et plus encore pour toute entreprise militaire (matière première dont dispose d'ailleurs abondamment le principal allié des Etats-Unis, la Grande-Bretagne).
8) Ainsi, les événements récents ont confirmé que, face à une exacerbation du chaos mondial et du « chacun pour soi » et à la montée en force de ses nouveaux rivaux impérialistes, la première puissance mondiale devra, de façon croissance, faire usage de la force militaire pour préserver sa suprématie. Les terrains potentiels d'affrontement ne manquent pas et ne font que se multiplier. Dès à présent, le sous-continent indien, dominé par l'antagonisme entre le Pakistan et l'Inde, se trouve de plus en plus concerné, comme en témoignent par exemple les affrontements dans ce dernier pays entre communautés religieuses qui, s'il sont bien un témoignage de la décomposition, sont attisés par cet antagonisme. De même, l'Extrême-Orient est aujourd'hui le théâtre de manoeuvres impérialistes de grande envergure comme, en particulier, le rapprochement entre la Chine et le Japon (scellé par la visite à Pékin, pour la première fois de l'histoire, de l'Empereur de ce dernier pays). Il est plus que probable que cette configuration des lignes de forces impérialistes ne fera que se confirmer dans la mesure où :
Les antagonismes mettant aux prises la première puissance mondiale et ses ex-alliés n'épargnent même pas le continent américain où les tentatives répétées de coup d'Etat contre Carlos Andres Perez au Venezuela aussi bien que la constitution de la NAFTA, au delà de leurs causes ou implications économiques et sociales, ont pour objet de faire pièce aux visées et à l'accroissement de l'influence de certains Etats européens. Ainsi, la perspective mondiale sur le plan des tensions impérialistes se caractérise par une montée inéluctable de celles-ci avec une utilisation croissante de la force militaire par le Etats-Unis, et ce n'est pas la récente élection du démocrate Clinton à la tête de ce pays qui saurait inverser une telle tendance, bien au contraire. Jusqu'à présent, ces tensions se sont développées essentiellement comme retombées de l'effondrement de l'ancien bloc de l'Est. Mais, de plus en plus, elles seront encore aggravées par la plongée catastrophique dans sa crise mortelle de l'économie capitaliste.
9) L'année 1992 s'est caractérisée par une aggravation considérable de la situation de l'économie mondiale. En particulier, la récession ouverte s'est généralisée pour at teindre des pays qu'elle avait épargné dans un premier temps, tel la France, et parmi les plus solides comme l'Allemagne et même le Japon. Si l'élection de Clinton représente la poursuite, et même le renforcement, de la politique de la première puissance mondiale sur l'arène impérialiste, elle symbolise la fin de toute une période dans l'évolution de la crise et des poli tiques bourgeoises pour y faire face. Elle prend acte de la faillite définitive des « reaganomics » qui avaient suscité les espoirs les plus fous dans les rangs de la classe dominante et de nombreuses illusions parmi les prolétaires. Aujourd'hui, dans les discours bourgeois, il ne subsiste plus la moindre référence aux mythiques vertus de la « dérégulation » et du « moins d'Etat». Même des hommes poli tiques appartenant aux forces poli tiques qui s'étaient faites les apôtres des « reaganomics », tel Major en Grande-Bretagne, ad mettent, face à l'accumulation des difficultés de l'économie, la nécessité de « plus d'Etat » dans celle-ci.
10) Les « années Reagan », prolongées par les « années Bush », n'ont nullement représenté une inversion de la tendance historique, propre à la décadence capitaliste, de renforcement du capitalisme d'Etat. Pendant cette période, des mesures comme l'augmentation massive des dépenses militaires, le sauvetage du système de caisses d'épargne par l'Etat fédéral (qui représente un prélèvement de 1000 milliards de dollars dans son budget) ou la baisse volontariste des taux d'intérêt en dessous du niveau de l'inflation ont représenté un accroissement significatif de l'intervention de l'Etat dans l'économie de la première puissance mondiale. En fait, quels que soient les thèmes idéologiques employés, quelles que soient les modalités, la bourgeoisie ne peut jamais, dans la période de décadence, renoncer à faire appel à l'Etat pour rassembler les morceaux d'une économie qui tend à l'éclatement, pour tenter de tricher avec les lois capitalistes (et c'est la seule instance qui puisse le faire, notamment par l'usage de la à planche à billets). Cependant, avec :
L'Etat fédéral ne pouvait échapper à une intervention beaucoup plus ouverte, à visage découvert, dans cette économie. En ce sens, la signification de l'arrivée du démocrate Clinton à la tête de l'exécutif américain ne saurait être réduite à de seuls impératifs idéologiques. Ces impératifs ne sont pas négligeables, notamment en vue de favoriser une plus grande adhésion de l'ensemble de la population des Etats-Unis à la politique impérialiste de la bourgeoisie de ce pays. Mais, beaucoup plus fondamentalement, le « New Deal » de Clinton signale la nécessité d'une réorientation significative de la politique de cette bourgeoisie, une réorientation que Bush, trop lié à la politique précédente, était mal placé pour mettre en oeuvre.
11) Cette réorientation politique, contrairement aux promesses du candidat Clinton, ne saurait remettre en cause la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière, qu'on qualifie de « classe moyenne » pour les besoins de la propagande. Les centaines de milliards de dollars d'économies annoncées par Clinton fin février 1993, représentent un accroissement considérable de l'austérité destinée à soulager l'énorme déficit fédéral et à améliorer la compétitivité de la production US sur le marché mondial. Cependant, cette politique se confronte à des limites infranchissables. La réduction du déficit budgétaire, si elle est effectivement réalisée, ne pourra qu'accentuer les tendances au ralentissement de l'économie qui avait été dopée par ce même déficit pendant près d'une décennie. Un tel ralentissement, en réduisant les recettes fiscales (malgré l'augmentation prévue des impôts) conduira à aggraver encore ce déficit. Ainsi, quelles que soient les mesures appliquées, la bourgeoisie américaine se trouve confrontée à une impasse : en lieu et place d'une relance de l'économie et d'une réduction de son endettement (et particulièrement celui de l'Etat), elle est condamnée, à une échéance qui ne saurait être reportée bien longtemps, à un nouveau ralentissement de l'économie et à une aggravation irréversible de l'endettement.
12) L'impasse dans laquelle est placée l'économie américaine ne fait qu'exprimer celle de l'ensemble de l'économie mondiale. Tous les pays sont enserrés de façon croissante dans un étau dont les mâchoires ont pour nom chute de la production et explosion de l'endettement (et particulièrement celui de l'Etat). C'est la manifestation éclatante de la crise de surproduction irréversible dans laquelle s'enfonce le mode de production capitaliste depuis plus de deux décennies. Successivement, l'explosion de l'endettement du « tiers-monde », après la récession mondiale de 1973-74, puis l'explosion de la dette américaine (tant interne qu'externe), après celle de 1981-82, avaient permis à l'économie mondiale de limiter les manifestations directes, et surtout de masquer l'évidence, de cette surproduction. Aujourd'hui, les mesures draconiennes que se propose d'appliquer la bourgeoisie US signent la mise au rebut définitive de la « locomotive » américaine qui avait tiré l'économie mondiale dans les années 1980. Le marché interne des Etats-Unis se ferme de plus en plus, et de façon irréversible. Et si ce n'est pas grâce à une meilleure compétitivité des marchandises made in US, ce sera à travers une montée sans précédent du protectionnisme dont Clinton, dès son arrivée, a donné un avant goût (augmentation des droits sur les produits agricoles, l'acier, les avions, fermeture des marchés publics,...). Ainsi, la seule perspective qui puisse attendre le marché mondial est celle d'un rétrécissement croissant et irrémédiable. Et cela d'autant plus qu'il est confronté à une crise catastrophique du crédit symbolisée par les faillites bancaires de plus en plus nombreuses : à force d'abuser d'une façon délirante de l'endettement, le système financier international se trouve au bord de l'explosion, explosion qui conduirait à précipiter de façon apocalyptique l'effondrement des marchés et de la production.
13) Un autre facteur venant aggraver l'état de l'économie mondiale est le chaos grandissant qui se développe dans les relations internationales. Lorsque le monde vivait sous la coupe des deux géants impérialistes, la nécessaire discipline que devaient respecter les alliés au sein de chacun des blocs ne s'exprimait pas seulement sur le plan militaire et diplomatique, mais aussi sur le plan économique. Dans le cas du bloc occidental, c'est à travers des structures comme l'OCDE, le FMI, le G7 que les alliés, qui étaient en même temps les principaux pays avancés, avaient établi, sous l'égide du chef de file américain, une coordination de leurs politiques économiques et un modus vivendi pour contenir leurs rivalités commerciales. Aujourd'hui, la disparition du bloc occidental, faisant suite à l'effondrement de celui de l'Est, a porté un coup décisif à cette coordination (même si se sont maintenues les anciennes structures) et laisse le champ libre à l'exacerbation du « chacun pour soi » dans les relations économiques. Concrètement, la guerre commerciale ne peut que se déchaîner encore plus, venant aggraver les difficultés et l'instabilité de l'économie mondiale qui se trouvent à son origine. C'est bien ce que manifeste la paralysie actuelle dans les négociations du GATT. Celles-ci avaient officiellement pour objet de limiter le protectionnisme entre les « partenaires » afin de favoriser les échanges mondiaux et donc la production des différentes économies nationales. Le fait que ces négociations soient devenues une foire d'empoigne, où les antagonismes impérialistes se superposent aux simples rivalités commerciales, ne peut que provoquer l'effet inverse : une plus grande désorganisation encore de ces échanges, des difficultés accrues pour les économies nationales.
14) Ainsi, la gravité de la crise a atteint, avec l'entrée dans la dernière décennie du siècle, un degré qualitativement supérieur à tout ce que le capitalisme avait connu jusqu'à présent. Le système financier mondial marche au bord du précipice au risque permanent et croissant d'y sombrer. La guerre commerciale va se déchaîner à une échelle jamais vue. Le capitalisme ne pourra trouver de nouvelle « locomotive » pour remplacer la locomotive américaine désormais hors d'usage. En particulier, les marchés pharamineux qu'étaient sensés représenter les pays anciennement dirigés par des régimes staliniens n'auront jamais existé que dans l'imagination de quelques secteurs de la classe dominante (et aussi dans celle de certains groupes du milieu prolétarien). Le délabrement sans espoir de ces économies, le gouffre sans fond qu'elles représentent pour toute tentative d'investissement se proposant de les redresser, les convulsions politiques qui agitent la classe dominante et qui viennent encore amplifier la catastrophe économique, tous ces éléments indiquent qu'elles sont en train de plonger dans une situation semblable à celle du Tiers-monde, que loin de pouvoir constituer un ballon d'oxygène pour les économies les plus développées, elles deviendront un fardeau croissant pour elles. Enfin, si, dans ces dernières, l'inflation a quelque chance d'être contenue, comme c'est la cas jusqu'à présent, cela ne traduit aucunement un quelconque dépassement des difficultés économiques qui se trouvaient à son origine. C'est au contraire l'expression de la réduction dramatique des marchés qui exerce une puissante pression à la baisse sur le prix des marchandises. La perspective de l'économie mondiale est donc à une chute croissante de la production avec la mise au rebut d'une part toujours plus importante du capital investi (faillites en chaîne, désertification industrielle, etc.) et une réduction drastique du capital variable, ce qui signifie, pour la classe ouvrière, outre des attaques accrues contre tous les aspects du salaire, des licenciements massifs, une montée sans précédent du chômage.
15) Les attaques capitalistes de tous ordres qui se déchaînent aujourd'hui, et qui ne peuvent que s'amplifier, frappent un prolétariat qui a été sensiblement affaibli au cours des trois dernières années, un affaiblissement qui a affecté aussi tien sa conscience que sa combativité.
C’est l'effondrement des régimes staliniens d'Europe et la dislocation de l'ensemble du bloc de l'Est à la fin de 1989, qui a constitué le facteur essentiel de recul de la conscience dans le prolétariat. L'identification, par tous les secteurs bourgeois, pendant un demi-siècle, de ces régimes au « socialisme », le fait que ces régimes ne soient pas tombés sous les coups de la lutte de classe ouvrière mais à la suite d'une implosion de leur économie, a permis le déchaînement de campagnes massives sur la « mort du communisme », sur la «victoire définitive de l'économie libérale» et de la «démocratie», sur la perspective d'un « nouvel ordre mondial » fait de paix, de prospérité et de respect du Droit. Si la très grande majorité des prolétaires des grandes concentrations industrielles avait cessé, depuis longtemps, de se faire des illusions sur les prétendus « paradis socialistes», la disparition sans gloire des régimes staliniens a toutefois porté un coup décisif à l'idée qu'il pouvait exister autre chose sur la terre que le système capitaliste, que l'action du prolétariat pouvait conduire à une alternative à ce système. Et une telle atteinte à la conscience dans la classe s'est trouvée encore aggravée par l'explosion de l'URSS, à la suite du putsch manqué d'août 1991, une explosion qui touchait le pays qui avait été le théâtre de la révolution prolétarienne au début du siècle.
D'autre part, la crise du Golfe à partir de l'été 1990, l'opération « Tempête du désert » au début 1991, ont engendré un profond sentiment d'impuissance parmi les prolétaires qui se sentaient totalement incapables d'agir ou de peser par rapport à des événements dont ils étaient conscients de la gravité, mais qui restaient du ressort exclusif de « ceux d'en haut ». Ce sentiment a puissamment contribué à affaiblir la combativité ouvrière dans un contexte où cette combativité avait déjà été altérée, bien que de façon moindre, par les événements de l'Est, l'année précédente. Et cet affaiblissement de la combativité a été encore aggravé par l'explosion de l'URSS, deux ans après l'effondrement de son bloc, de même que par le développement au même moment des affrontements dans l’ex-Yougoslavie.
16) Les événements qui se sont précipités après l'effondrement du bloc de l'Est, en apportant sur toute une série de questions un démenti aux campagnes bourgeoises de 1989, ont contribué à saper une partie des mystifications dans lesquelles avait été plongée la classe ouvrière. Ainsi, la crise et la guerre du Golfe ont commencé à porter des coups décisifs aux illusions sur l'instauration d'une « ère de paix » que Bush avait annoncée lors de l'effondrement du rival impérialiste de l'Est. En même temps, le comportement barbare de la « grande démocratie » américaine et de ses acolytes, les massacres perpétrés contre les soldats irakiens et les populations civiles ont participé à démasquer les mensonges sur la « supériorité » de la démocratie, sur la victoire du « droit des nations » et des « droits de l'homme ». Enfin, l'aggravation catastrophique de la crise, la récession ouverte, les faillites, les pertes enregistrées par les entreprises considérées comme les plus prospères, les licenciements massifs dans tous les secteurs et particulièrement dans ces entreprises, la montée inexorable du chômage, toutes ces manifestations des contradictions insurmontables que rencontre l'économie capitaliste sont en train de régler leur compte aux mensonges sur la « prospérité » du système capitaliste, sur sa capacité à surmonter les difficultés qui avaient englouti son prétendu rival « socialiste ». La classe ouvrière n'a pas encore digéré l'ensemble des coups qui avaient été portés à sa conscience dans la période précédente. En particulier, l'idée qu'il peut exister une alternative au capitalisme ne découle pas automatiquement du constat croissant de la faillite de ce système et peut très bien déboucher sur le désespoir. Mais, au sein de la classe, les conditions d'un rejet des mensonges bourgeois, d'un questionnement en profondeur sont en train de se développer.
17) Cette réflexion dans la classe ouvrière prend place à un moment où l'accumulation des attaques capitalistes et leur brutalité croissante l'obligent à secouer la torpeur qui l'avait envahie pendant plusieurs années. Tour à tour :
18) Ainsi, dès à présent, le prolétariat des principaux pays industrialisés est en train de redresser la tête confirmant ce que le CCI n'a cessé d'affirmer : « le fait que la classe ouvrière détient toujours entre ses mains les clés de l’avenir» (Résolution du 9e Congrès du CCI) et qu'il avait annoncé avec confiance : « ... c'est bien parce que le cours historique n'a pas été renversé, parce que la bourgeoisie n'a pas réussi avec ses multiples campagnes et manoeuvres à infliger une défaite décisive au prolétariat des pays avancés et à l'embrigader derrière ses drapeaux, que le recul subi par ce dernier, tant au niveau de sa conscience que de sa combativité, sera nécessairement surmonté. » ((Résolution du 29 mars 1992, Revue Internationale n°70). Cependant, cette reprise du combat de classe s'annonce difficile. Les premières tentatives faites par le prolétariat depuis l'automne 1992 mettent en évidence qu'il subit encore le poids du recul. En bonne partie, 'expérience, les leçons acquises au cours des luttes du milieu des années 1980, n'ont pas encore été réappropriés par la grande majorité des ouvriers. En revanche, la bourgeoisie a, dès maintenant, fait la preuve qu'elle avait tiré les enseignements des combats précédents :
De plus, la bourgeoisie s'est montrée capable d'utiliser le recul de la conscience dans la classe pour introduire de faux objectifs et revendications dans les luttes ouvrières (partage du travail, « droits syndicaux», défense de l'entreprise, etc.).
19) Plus généralement, c'est encore un long chemin qui attend le prolétariat avant qu'il ne soit capable d'affirmer sa perspective révolutionnaire. Il devra déjouer les pièges classiques que toutes les forces de la bourgeoisie disposeront systématiquement sous ses pas. En même temps, il sera confronté à tout le poison que la décomposition du capitalisme fait pénétrer dans les rangs ouvriers, et que la classe dominante (dont les difficultés politiques liées à la décomposition n'affectent pas sa capacité de manoeuvre contre son ennemi mortel) utilisera de façon cynique :
20) Ce dernier aspect de la situation présente met en relief la complexité de la question de la guerre comme facteur dans la prise 3e conscience du prolétariat. Cette complexité a déjà été amplement analysée par les organisations communistes, et notamment par le CCI, dans le passé. Pour l'essentiel, elle consiste dans le fait que, si la guerre impérialiste constitue une des manifestations majeures de la décadence du capitalisme, symbolisant en particulier l'absurdité d'un système à l'agonie et indiquant la nécessité de le renverser, son impact sur la conscience dans la classe ouvrière dépend étroitement des circonstances dans lesquelles elle se déchaîne. Ainsi, la guerre du Golfe, il y a deux ans, a apporté auprès des ouvriers des pays avancés (pays qui étaient pratiquement tous impliqués dans cette guerre, directement ou indirectement) une contribution sérieuse au dépassement des illusions semées par la bourgeoisie l'année précédente participant ainsi à la clarification de la conscience du prolétariat. En revanche, la guerre dans l'ex-Yougoslavie n'a aucunement contribué à éclaircir la conscience dans le prolétariat, ce qui est confirmé par le fait que la bourgeoisie n'a pas éprouvé le besoin d'organiser des manifestations pacifistes alors que plusieurs pays avancés (comme la France et la Grande-Bretagne) ont, dès à présent, envoyé des milliers d'hommes sur le terrain. Et il en est de même de l'intervention massive du gendarme US en Somalie. Il apparaît ainsi que, lorsque le jeu sordide de l'impérialisme peut se dissimuler derrière les paravents « humanitaires », c'est-à-dire tant qu'il lui est permis de présenter ses interventions guerrières comme destinées à soulager l'humanité des calamités résultant de la décomposition capitaliste, il ne peut pas, dans la période actuelle, être mis à profit par les grandes masses ouvrières pour renforcer leur conscience et leur détermination de classe. Cependant, la bourgeoisie ne pourra pas en toutes circonstances dissimuler le visage hideux de sa guerre impérialiste derrière le masque des «bons sentiments». L'inéluctable aggravation des antagonismes entre les grandes puissances, en contraignant celles-ci, même en l'absence de prétexte « humanitaire » (comme on l'a déjà vu avec la guerre du Golfe), à des interventions de plus en plus directes, massives et meurtrières (ce qui constitue, en fin de compte, une des caractéristiques majeures de toute la période de décadence du capitalisme), tendra à ouvrir les yeux des ouvriers sur les véritables enjeux de notre époque. Il en est de la guerre comme des autres manifestations de l'impasse historique du système capitaliste : lorsqu'elles relèvent spécifiquement de la dé composition de ce système, elles se présentent aujourd'hui comme un obstacle à la prise de conscience dans la classe ; ce n'est que comme manifestation générale de l'ensemble de la décadence qu'elles peuvent constituer un élément positif dans cette prise de conscience. Et cette potentialité tendra à devenir de plus en plus réalité à mesure que la gravité de la crise et des attaques bourgeoises, ainsi que le développement des luttes ouvrières, permettront aux masses prolétariennes d'identifier le lien qui unit l'impasse économique du capitalisme et sa plongée dans la barbarie guerrière.
21) Ainsi, l'évidence de la crise mortelle du mode de production capitaliste, manifestation première de sa décadence, les terribles conséquences qu'elle aura pour tous les secteurs de la classe ouvrière, la nécessité pour celle-ci de développer, contre ces conséquences, les luttes dans lesquelles elle recommence à s'engager, vont constituer un puissant facteur dans sa prise de conscience. L'aggravation de la crise fera de plus en plus l'évidence qu'elle ne découle pas d'une « mauvaise gestion», que les bourgeois « vertueux » et les Etats « propres » sont aussi incapables que les autres de la surmonter, qu'elle exprime l'impasse mortelle de tout le capitalisme. Le déploiement massif des combats ouvriers constituera un puissant antidote contre les effets délétères de la décomposition, permettant de surmonter progressivement, par la solidarité de classe que ces combats impliquent, l'atomisation, le « chacun pour soi » et toutes les divisions qui pèsent sur le prolétariat : entre catégories, branches d'industrie, entre immigrés et nationaux, entre chômeurs et ouvriers au travail. En particulier, si, du fait du poids de la décomposition, les chômeurs n'ont pu, au cours de la décennie passée, et contrairement aux années 1930, entrer dans la lutte (sinon de façon très ponctuelle), s'ils ne pourront jouer un rôle d'avant garde comparable à celui des soldats dans la Russie de 1917 comme on aurait pu le prévoir, le développement massif des luttes prolétariennes leur permettra, notamment dans les manifestations de rue, de rejoindre le combat général de leur classe, et cela d'autant plus que, parmi eux, la proportion de ceux qui ont déjà une expérience du travail associé et de la lutte sur le lieu de travail ne pourra aller qu'en croissant. Plus généralement, si le chômage n'est pas un problème spécifique des sans travail mais bien une question affectant et concernant toute la classe ouvrière, notamment en ce qu'il constitue une manifestation tragique et évidente de la faillite historique du capitalisme, c'est bien ces mêmes combats à venir qui permettront à l'ensemble du prolétariat d'en prendre pleinement conscience.
22) C'est aussi, et fondamentalement, à travers ces combats face aux attaques incessantes contre ses conditions de vie que le prolétariat devra surmonter les séquelles de l'effondrement du stalinisme qui a porté un coup d'une telle violence à son appréhension de sa perspective, à sa conscience qu'il existe une alternative révolutionnaire à la société capitaliste moribonde. Ces combats « redonneront confiance à la classe ouvrière, lui rappelleront qu'elle constitue, dès à présent, une force considérable dans la société et permettront à une masse croissante d'ouvriers de se tourner de nouveau vers la perspective du renversement du capitalisme » (Résolution du 29 mars 1992). Et plus cette perspective sera présente dans la conscience ouvrière, plus la classe disposera d'atouts pour déjouer les pièges bourgeois, pour développer pleinement ses luttes, pour les prendre efficacement en mains, les étendre et les généraliser. Pour développer cette perspective, la classe n'a pas seulement pour tâche de se remettre de la désorientation subie dans la dernière période et de se réapproprier les leçons de ses combats des années 1980 ; elle devra aussi renouer le fil historique de ses traditions communistes. L'importance centrale de ce développement de la conscience ne peut que souligner l'immense responsabilité qui repose sur la minorité révolutionnaire dans la présente période. Les communistes doivent prendre une part active à tous les combats de classe afin d'en impulser les potentialités, de favoriser au mieux la récupération de la conscience du prolétariat érodée !par l'effondrement du stalinisme, de contribuer à lui redonner confiance en lui-même et de mettre en évidence la perspective révolutionnaire que ces combats contiennent implicitement. Cela va de pair avec la dénonciation de la barbarie militaire du capitalisme décadent et, plus globalement, la mise en garde contre la menace que ce système en décomposition fait peser sur la survie même de l'humanité. L'intervention déterminée de l'avant garde communiste est une condition indispensable du succès définitif du combat de classe prolétarien.CCI, avril 1993.
[1] Il apparaît ainsi une nouvelle fois que les antagonismes impérialistes ne recouvrent pas automatiquement les rivalités commerciales, même si, avec l'effondrement du bloc de l'Est, la carte impérialiste mondiale d'aujourd'hui est plus proche que la précédente de la carte de ces rivalités, ce qui permet à un pays comme les Etats-Unis d'utiliser, notamment dans les négociations du GATT, sa puissance économique et commerciale comme instrument de chantage auprès de ses ex-alliés. De même que la CEE pouvait être à la fois un instrument du bloc impérialiste dominé par la puissance américaine tout en favorisant la concurrence commerciale de ses membres contre cette dernière, des pays comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas peuvent très bien s'appuyer aujourd'hui sur l'Union européenne pour faire valoir leurs intérêts commerciaux face à cette puissance tout en se faisant les représentants de ses intérêts impérialistes en Europe.
Dans la première partie de cet article nous avons dégagé les raisons pour lesquelles le prolétariat est la classe révolutionnaire au sein de la société capitaliste. Nous avons vu pourquoi c'est la seule force capable, en instaurant une nouvelle société débarrassée de l'exploitation et en mesure de satisfaire pleinement les besoins humains, de résoudre les contradictions insolubles qui minent le monde actuel. Cette capacité du prolétariat, mise en évidence depuis le siècle dernier, en particulier par la théorie marxiste, ne découle pas du simple degré de misère et d'oppression qu'il subit quotidiennement. Elle repose encore moins, comme voudraient le faire dire au marxisme certains idéologues de la bourgeoisie, sur une quelconque « inspiration divine » faisant du prolétariat le « messie des temps modernes ». Elle se base sur des conditions bien concrètes et matérielles : la place spécifique qu'occupe cette classe au sein des rapports de production capitalistes, son statut de producteur collectif de l'essentiel de la richesse sociale et de classe exploitée par ces mêmes rapports de production. Cette place au sein du capitalisme ne lui permet pas, contrairement aux autres classes et couches exploitées qui subsistent dans la société (tels les petits paysans, par exemple), d'aspirer à un retour en arrière. Elle l'oblige, au contraire, à se tourner vers l'avenir, vers l'abolition du salariat et l'édification de la société communiste.
Tous ces éléments ne sont pas nouveaux, ils font partie du patrimoine classique du marxisme. Cependant, un des moyens les plus perfides par lesquels l'idéologie bourgeoise essaye de détourner le prolétariat de son projet communiste, est de le convaincre qu'il est en voie de disparition, voire qu'il a déjà disparu. La perspective révolutionnaire aurait eu un sens tant que les ouvriers industriels constituaient l'immense majorité des salariés, mais avec la réduction actuelle de cette catégorie, une telle perspective s'éteindrait d'elle-même. Il faut d'ailleurs reconnaître que ce type de discours n'a pas seulement un impact sur les ouvriers les moins conscients, mais aussi sur certains groupes qui se réclament du communisme. C'est une raison supplémentaire pour combattre fermement de tels bavardages.
Les « théories » bourgeoises sur la « disparition du prolétariat » ont déjà une longue histoire. Pendant plusieurs décennies, elles se sont basées sur le fait que le niveau de vie des ouvriers connaissait une certaine amélioration. La possibilité pour ces derniers d'acquérir des biens de consommation qui, auparavant étaient réservés à la bourgeoisie ou à la petite bourgeoisie, était sensée illustrer la disparition de la condition ouvrière. Déjà, à l'époque, ces "théories" ne tenaient pas debout : lorsque l'automobile, la télévision ou le réfrigérateur deviennent, grâce à l'accroissement de la productivité du travail humain, des marchandises relativement bon marché, lorsque, en outre, ces objets se font indispensables de par l'évolution du cadre de vie qui est celui des ouvriers ([1] [21]), le fait de les posséder ne signifie nullement qu'on se soit dégagé de la condition ouvrière ou même qu'on soit moins exploité. En réalité, le degré d'exploitation de la classe ouvrière n'a jamais été déterminé par la quantité ou la nature des biens de consommation dont elle peut disposer à un moment donné. Depuis longtemps, Marx et le marxisme ont apporté une réponse à cette question : le pouvoir de consommation des salariés correspond au prix de leur force de travail, c'est-à-dire à la quantité de biens nécessaire à la reconstitution de cette dernière. Ce que vise le capitaliste, en versant un salaire à l'ouvrier, c'est de faire en sorte que celui-ci poursuive sa participation au processus productif dans les meilleures conditions de rentabilité pour le capital. Cela suppose que le travailleur, non seulement puisse se nourrir, se vêtir, se loger, mais aussi se reposer et acquérir la qualification nécessaire à la mise en oeuvre de moyens de production en constante évolution.
C'est pour cela que l'instauration de congés payés et l'augmentation de leur durée, qu'on a pu constater au cours du 20e siècle dans les pays développés, ne correspondent nullement à une quelconque « philantropie » de la bourgeoisie. Elles sont rendues nécessaires par la formidable augmentation de la productivité du travail, et donc des cadences de celui-ci, comme de l'ensemble de la vie urbaine, qui caractérise cette même période. De même, ce qu'on nous présente comme une autre manifestation de sollicitude de la classe dominante, la disparition (relative) du travail des enfants et l'allongement de la scolarité, relève essentiellement (avant que ce dernier ne soit devenu aussi un moyen de masquer le chômage) de la nécessité, pour le capital, de disposer d'une main d'oeuvre adaptée aux exigences de la production dont la technicité ne cesse de croître. D'ailleurs, dans «l'augmentation» du salaire tant vantée par la bourgeoisie, notamment depuis la seconde guerre mondiale, il faut prendre en considération le fait que les ouvriers doivent entretenir leurs enfants pendant une durée beaucoup plus longue que par le passé. Lorsque les enfants allaient travailler à 12 ans ou moins, ils rapportaient pendant plus d'une dizaine d'années, avant qu'ils ne fondent un nouveau foyer, un revenu d'appoint dans la famille ouvrière. Avec une scolarité portée à 18 ans, un tel appoint disparaît pour l'essentiel. En d'autres termes, les « augmentations » salariales sont aussi, et en très grande partie, un des moyens par lesquels le capitalisme prépare la relève de la force de travail aux conditions nouvelles de la technologie.
En réalité, même si, pendant un certain temps, le capitalisme des pays les plus développés a pu donner l'illusion d'une réduction du niveau d'exploitation de ses salariés, ce n'était qu'une apparence. Dans les faits, le taux d'exploitation, c'est-à-dire le rapport entre la plus-value produite par l'ouvrier et le salaire qu'il reçoit ([2] [22]), n'a cessé de s'accroître. C'est pour cela que Marx parlait déjà d'une paupérisation « relative » de la classe ouvrière comme tendance permanente au sein du capitalisme. Durant ce que la bourgeoisie a baptisé « les trente glorieuses» (les années de relative prospérité du capitalisme correspondant à la reconstruction du second après-guerre), l'exploitation des ouvriers a augmenté de façon continue, même si cela ne se traduisait pas par une baisse de leur niveau de vie. Ceci dit, ce n'est plus de paupérisation simplement relative qu'il est question aujourd'hui. Les « améliorations » du revenu des ouvriers ne sont plus de mises par les temps qui courent et la paupérisation absolue, dont les chantres de l'économie bourgeoise avaient annoncé la disparition définitive, a fait un retour en force dans les pays les plus « riches ». Alors que la politique de tous les secteurs nationaux de la bourgeoisie, face à la crise, est de porter des coups brutaux au niveau de vie absolu des prolétaires, par le chômage, la réduction drastique des prestations «sociales » et même les baisses du salaire nominal, les bavardages sur la « société de consommation » et sur « l’embourgeoisement » de la classe ouvrière se sont éteints d'eux-mêmes. C'est pour cela que, maintenant, le discours sur « l’extinction du prolétariat» a changé d'arguments et que, de plus en plus, il porte principalement sur les modifications qui affectent les différentes parties de la classe ouvrière et notamment sur la réduction des effectifs industriels, de la proportion des ouvriers « manuels » dans la masse totale des travailleurs salariés.
De tels discours reposent sur une grossière falsification du marxisme. Celui-ci n'a jamais identifié le prolétariat avec le seul prolétariat industriel ou « manuel » (les « cols bleus »). C'est vrai que, du temps de Marx, les plus gros bataillons de la classe ouvrière étaient constitués par les ouvriers dits «manuels». Mais, de tous temps, il a existé au sein du prolétariat des secteurs qui faisaient appel à une technologie sophistiquée ou à des connaissances intellectuelles importantes. Par exemple certains métiers traditionnels, tels que les pratiquaient les « compagnons », nécessitaient un long apprentissage. De même, des métiers comme correcteur d'imprimerie, faisaient appel à des études non négligeables assimilant ceux qui le pratiquaient à des «travailleurs intellectuels». Cela n'a pas empêché ce secteur du prolétariat de se trouver souvent à l'avant-garde des luttes ouvrières. En fait, l'opposition entre « cols bleus » et « cols blancs » correspond à un découpage comme les affectionnent les sociologues et leurs employeurs bourgeois et qui est destiné à diviser les rangs ouvriers. C'est d'ailleurs pour cela que cette opposition n'est pas nouvelle, la classe dominante ayant compris depuis longtemps l'intérêt qu'il pouvait y avoir pour elle de faire croire à beaucoup d'employés qu'ils n'appartiennent pas à la classe ouvrière. En réalité, l'appartenance à la classe ouvrière ne relève pas de critères sociologiques, et encore moins idéologiques : l'idée que se fait de sa condition tel ou tel prolétaire, ou même l'ensemble d'une catégorie de prolétaires. Ce sont fondamentalement des critères économiques qui déterminent cette appartenance.
Fondamentalement, le prolétariat est la classe exploitée spécifique des rapports de production capitalistes. Il en découle, comme nous l'avons vu dans la première partie de cet article, les critères suivants : « A grands traits... le fait d'être privé de moyens de production et d'être contraint, pour vivre, de vendre sa force de travail à ceux qui les détiennent et qui mettent à profit cet échange pour s'accaparer une plus-value, détermine l'appartenance à la classe ouvrière». Cependant, face à toutes les falsifications qui, de façon intéressée, ont été introduites sur cette question, il est nécessaire de préciser ces critères.
En premier lieu, il faut remarquer que, s'il est nécessaire d'être salarié pour appartenir à la classe ouvrière, ce n'est pas suffisant : sinon, les flics, les curés, certains PDG de grandes entreprises (en particulier ceux des entreprises publiques) et même les ministres seraient des exploités et, potentiellement, des camarades de combat de ceux qu'ils répriment, abrutissent, font trimer ou qui ont un revenu dix ou cent fois moindre ([3] [23]). C'est pour cela qu'il est indispensable de signaler qu'une des caractéristiques du prolétariat est de produire de la plus-value. Cela signifie notamment deux choses : le revenu d'un prolétaire n'excède pas un certain niveau ([4] [24]) au delà duquel il ne peut provenir que de la plus-value extorquée à d'autres travailleurs ; un prolétaire est un producteur réel de plus-value et non pas un agent salarié du capital ayant pour fonction de faire régner l'ordre capitaliste parmi ces producteurs.
Ainsi, au sein du personnel d'une entreprise, certains cadres techniques (et même des ingénieurs d'études) dont le salaire n'est pas éloigné de celui d'un ouvrier qualifié, appartiennent à la même classe que ce dernier, alors que ceux dont le revenu s'apparente plutôt à celui du patron (même s'ils n'ont pas de rôle dans l'encadrement de la main-d'oeuvre) n'en font pas partie. De même, dans cette entreprise, tel ou tel «petit chef» ou « agent de sécurité», dont le salaire peut être moindre que celui d'un technicien ou même d'un ouvrier qualifié mais dont le rôle est celui d'un « kapo » du bagne industriel, ne peut pas être considéré comme appartenant au prolétariat.
D'un autre côté, l'appartenance à la classe ouvrière n'implique pas une participation directe et immédiate à la production de plus value. L'enseignant qui éduque le futur producteur, l'infirmière -ou même le médecin salarié (dont il arrive maintenant que le revenu soit moindre que celui d'un ouvrier qualifié)- qui « répare » la force de travail des ouvriers (même si, en même temps, elle soigne aussi des flics, des curés ou des responsables syndicaux, voire des ministres) appartient incontestablement à la classe ouvrière au même titre qu'un cuisinier dans une cantine d'entreprise. Evidemment, cela ne veut pas dire que ce soit aussi le cas pour le mandarin de l'université ou pour l'infirmière qui s'est mise à son compte. Il est cependant nécessaire de préciser que le fait que les membres du corps enseignant, y compris les instituteurs (dont la situation économique n'est vraiment pas reluisante, en général), soient consciemment ou inconsciemment, volontairement ou non, des véhicules des valeurs idéologiques bourgeoises, ne les exclut pas de la classe exploitée et révolutionnaire, pas plus, non plus, que les ouvriers métallurgistes qui produisent des armes ([5] [25]). D'ailleurs on peut constater que, tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier, les enseignants (particulièrement les instituteurs) ont fourni une quantité importante de militants révolutionnaires. De même, les ouvriers des arsenaux de Kronstadt faisaient partie de l'avant-garde de la classe ouvrière lors de la révolution russe de 1917.
Il faut également réaffirmer que la grande majorité des employés appartient aussi à la classe ouvrière. Si on prend le cas d'une administration comme la poste, personne ne s'aviserait de prétendre que les mécaniciens qui entretiennent les camions postaux et ceux qui les conduisent, de même que ceux qui transbordent des sacs de courrier n'appartiennent pas au prolétariat. Partant de là, il n'est pas difficile de comprendre que leurs camarades qui distribuent les lettres ou qui travaillent derrière les guichets pour affranchir des colis ou payer des mandats se trouvent dans la même situation. C'est pour cela que les employés de banque, les agents des compagnies d'assurance, les petits fonctionnaires des caisses de sécurité sociale ou des impôts, dont le statut est tout à fait équivalent à celui des précédents, appartiennent également à la classe ouvrière. Et on ne peut même pas arguer que ces derniers auraient des conditions de travail meilleures que celles des ouvriers de l'industrie, un ajusteur ou un fraiseur, par exemple. Travailler toute une journée derrière un guichet ou devant un écran d'ordinateur n'est pas moins pénible que d'actionner une machine-outil, même si on ne s'y salit pas les mains. En outre, ce qui constitue un des facteurs objectifs de la capacité du prolétariat, tant de mener sa lutte de classe, que de renverser le capitalisme, le caractère associé de son travail, n'est nullement remis en cause par les conditions modernes de la production. Au contraire, il ne cesse de s'accentuer.
De même, avec l'élévation du niveau technologique de la production, cette dernière fait appel à un nombre croissant de ce que la sociologie et les statistiques nomment les « cadres » (techniciens ou même ingénieurs) dont la plupart, comme on l'a signalé plus haut, voient ainsi leur statut social, et même leur revenu, se rapprocher de celui des ouvriers qualifiés. Il ne s'agit nullement, dans ce cas, d'un phénomène de disparition de la classe ouvrière au détriment des « couches moyennes» mais bien d'un phénomène de prolétarisation de celles-ci ([6] [26]). C'est pour cela que les discours sur la « disparition du prolétariat », qui résulterait du nombre croissant d'employés ou de « cadres » par rapport au nombre d'ouvriers «manuels» de l'industrie, n'ont d'autre fondement que de tenter de mystifier ou démoraliser les uns et les autres. Que les auteurs de ces discours y croient ou non ne change rien à l'affaire : ils peuvent servir efficacement la bourgeoisie tout en étant des crétins incapables de se demander qui a fabriqué le stylo avec lequel ils écrivent leurs âneries.
Pour démoraliser les ouvriers, la bourgeoisie ne met pas tous ses oeufs dans le même panier. C'est pour cela qu'à l'adresse de ceux qui ne marchent pas dans ses campagnes sur la « disparition de la classe ouvrière » elle serine que cette dernière est «en crise». Et un des arguments qui se veut décisif pour faire la preuve de cette crise c'est la perte d'audience qu'ont subi les syndicats au cours des deux dernières décennies. Dans le cadre de cet article, nous ne reviendrons pas sur notre analyse démontrant la nature bourgeoisie du syndicalisme sous toutes ses formes. En fait, c'est l'expérience quotidienne de la classe ouvrière, le sabotage systématique de ses luttes par les organisations qui prétendent la « défendre», qui se charge, jour après jour, de faire cette démonstration ([7] [27]). Et c'est justement cette expérience des ouvriers qui est la première responsable de leur rejet des syndicats. En ce sens, ce rejet n'est pas une «preuve» d'une quelconque crise de la classe ouvrière, mais au contraire, et avant tout, une manifestation d'une prise de conscience en son sein. Une illustration de ce fait, parmi des milliers, nous est donnée par l'attitude des ouvriers lors de deux mouvements de grande ampleur qui ont affecté le même pays, la France, à trois décennies d'intervalle. A la fin des grèves de mai-juin 1936, alors que nous nous trouvons au creux de la contre-révolution qui a suivi la vague révolutionnaire mondiale du premier après-guerre, les syndicats bénéficient d'un mouvement d'adhésion sans précédent. En revanche, la fin de la grève généralisée de mai 1968, qui signe la reprise historique des combats de classe et la fin de cette période de contre-révolution, est marquée par de nombreuses démissions des syndicats, par des monceaux de cartes déchirées.
L'argument de la désyndicalisation comme preuve des difficultés que peut rencontrer le prolétariat est un des plus sûrs indices de l'appartenance au camp bourgeois de celui qui l'utilise. Il en est exactement de même que pour la prétendue nature «socialiste» des régimes staliniens. L'histoire a montré, notamment avec la seconde guerre mondiale, l'ampleur des ravages sur les consciences ouvrières de ce mensonge promu par tous les secteurs de la bourgeoisie, de droite, de gauche et d'extrême gauche (staliniens et trotskistes). Ces dernières années, on a pu voir comment l'effondrement du stalinisme a été utilisé comme «preuve » de la faillite définitive de toute perspective communiste. Le mode d'emploi du mensonge sur la « nature ouvrière des syndicats » est en bonne partie similaire : dans un premier temps, il sert à embrigader les ouvriers derrière l'Etat capitaliste ; dans un deuxième temps, on tente d'en faire un instrument pour les démoraliser et les désorienter. Il existe cependant une différence dans l'impact de ces deux mensonges : parce qu'elle ne résultait pas des luttes ouvrières, la faillite des régimes staliniens a pu être utilisée avec efficacité contre le prolétariat ; en revanche, le discrédit des syndicats résulte, pour l'essentiel, de ces mêmes luttes ouvrières, ce qui en limite grandement l'impact comme facteur de démoralisation. C'est bien pour cette raison, d'ailleurs, que la bourgeoisie a fait surgir un syndicalisme « de base » chargé de prendre la relève du syndicalisme traditionnel. C'est pour cette raison, également, qu'elle fait la promotion d'idéologues, aux allures plus «radicales», chargés de délivrer le même type de message.
C'est ainsi qu'on a pu voir fleurir, et promues dans la presse ([8] [28]), des analyses comme celles du sieur Alain Bihr, docteur en sociologie et auteur, entre autres, d'un livre intitulé : «Du grand soir à l'alternative : la crise du mouvement ouvrier européen». En soi, les thèses de ce personnage ne présentent pas un grand intérêt. Cependant, le fait que celui-ci grenouille, depuis quelques temps, dans des milieux qui se réclament de la gauche communiste, lesquels, pour certains, n'ont pas peur de reprendre à leur compte (de façon « critique », évidemment) ses « analyses » ([9] [29]), nous incite à relever le danger que représentent ces dernières.
Monsieur Bihr se présente comme un « vrai » défenseur des intérêts ouvriers. C'est pour cela qu'il ne prétend pas que la classe ouvrière serait en voie de disparition. Au contraire, il commence par affirmer que : « ... les frontières du prolétariat s'étendent aujourd'hui bien au-delà du traditionnel "monde ouvrier" ». Cependant, c'est pour mieux faire passer son message central : « Or, au cours d'une quinzaine d'années de crise, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, on a assisté à une fragmentation croissante du prolétariat, qui, en mettant en cause son unité, a tendu à le paralyser en tant que force sociale. »([10] [30])
Ainsi, le propos principal de notre auteur est de démontrer que le prolétariat « est en crise » et que le responsable de cette situation est la crise du capitalisme lui-même, cause à laquelle il faut ajouter, évidemment, les modifications sociologiques qui ont affecté la composition de la classe ouvrière : « En fait, les transformations en cours du rapport salarial, avec leurs effets globaux de fragmentation et de "démassification" du prolétariat, [...] tendent à dissoudre les deux figures prolétariennes qui lui ont fourni ses gros bataillons durant la période for dis te : d'une part, celle de l'ouvrier professionnel, que les transformations actuelles remanient profondément, les anciennes catégories d'OP liées au fordisme tendant à disparaître tandis que de nouvelles catégories de "professionnels" apparaissent en liaison avec les nouveaux procès de travail automatisés ; d'autre part, celle de l'ouvrier spécialisé, fer de lance de l'offensive prolétarienne des années 60 et 70, les OS se trouvant progressivement éliminés et remplacés par des travailleurs précaires à l'intérieur de ces mêmes procès de travail automatisés. »([11] [31]) Au delà du langage pédant (qui transporte de plaisir les petits bourgeois qui se prennent pour des « marxistes »), Bihr nous ressort les mêmes poncifs que nous ont déjà infligés des générations de sociologues : l'automatisation de la production serait responsable de l'affaiblissement du prolétariat (comme il se veut « marxiste », il ne dit pas la « disparition »), etc. Et il leur emboîte également le pas en prétendant que la désyndicalisation serait elle aussi un signe de la « crise de la classe ouvrière » puisque : « Toutes les études effectuées sur le développement du chômage et de la précarité montrent que ceux-ci tendent à réactiver et à renforcer les anciennes divisions et inégalités au sein du prolétariat (...). Cet éclatement en des statuts aussi hétérogènes a eu des effets désastreux sur les conditions d'organisation et de lutte. En témoigne d'abord l'échec des différentes tentatives menées, notamment par le mouvement syndical, pour organiser précaires et chômeurs, ...;»([12] [32]) Ainsi, derrière ses phrases plus radicales, derrière son prétendu «marxisme», Bihr nous ressort la même camelote frelatée que celle qui nous est servie par tous les secteurs de la bourgeoisie : les syndicats seraient encore aujourd'hui des « organisations du mouvement ouvrier. »([13] [33])
Voilà chez quel type de « spécialistes » des gens comme GS et des publications comme Perspective Internationaliste (PI), qui accueille avec sympathie ses écrits, tirent leur inspiration. Il est vrai que Bihr, qui malgré tout est malin, prend soin, pour faire passer en contrebande sa marchandise, de prétendre que le prolétariat sera capable de surmonter, malgré tout, ses difficultés actuelles en parvenant à se « recomposer ». Mais la façon dont il le dit tend plutôt à convaincre du contraire : « Les transformations du rapport salarial lancent ainsi un double défi au mouvement ouvrier : elles le contraignent simultanément à s'adapter à une nouvelle base sociale (à une nouvelle composition "technique" et "politique" de la classe) et à faire la synthèse entre des catégories aussi hétérogènes a priori que celles des "nouveaux professionnels" et des "précaires", synthèse beaucoup plus difficile à réaliser que celle entre OS et OP pendant la période fordiste » ([14] [34]) «L'affaiblissement pratique du prolétariat et du sentiment d'appartenance de classe peut ainsi ouvrir la voie à la recomposition d'une identité collective imaginaire sur d'autres bases. »([15] [35])
Ainsi, après des tonnes d'arguments, pour la plupart spécieux, destinés à convaincre le lecteur que tout va mal pour la classe ouvrière, après avoir «démontré» que les causes de cette « crise » sont à rechercher dans l'automatisation du travail ainsi que dans l'effondrement de l'économie capitaliste et la montée du chômage, tous phénomènes qui ne pourront que s'aggraver, on finit par affirmer, de façon lapidaire et sans le moindre argument : « Cela ira mieux... peut-être! Mais c'est un défi très difficile à relever. » Si après avoir gobé les sornettes de Bihr on continue de penser qu'il existe encore un futur pour le prolétariat et pour sa lutte de classe, c'est qu'on est un optimiste béat et indécrotable. Bien joué, Docteur Bihr : vos grosses ficelles ont attrapé les niais qui publient PI et qui se présentent comme les véritables défenseurs des principes communistes que le CCI aurait jetés aux orties.
C'est vrai que la classe ouvrière a rencontré au cours de ses dernières années un certain nombre de difficultés pour développer ses luttes et sa conscience. Pour notre part, et contrairement aux reproches que nous font les sceptiques de service (qu'ils s'appellent la FECCI -ce qui est bien dans son rôle de semeur de confusion - mais aussi Battaglia Comunista - ce qui l'est moins, puisqu'il s'agit d'une organisation du milieu politique prolétarien -) nous n'avons jamais hésité à signaler ces difficultés. Mais en même temps, et c'est la moindre des choses qu'on puisse attendre des révolutionnaires, nous avons, sur la base d'une analyse de l'origine des difficultés que rencontre le prolétariat, mis en évidence les conditions permettant leur dépassement. Et lorsqu'on examine un tant soit peu sérieusement l'évolution des luttes ouvrières au cours de la dernière décennie, il saute aux yeux que leur affaiblissement actuel ne saurait s'expliquer par la diminution des effectifs des ouvriers « traditionnels », des « cols bleus ». Ainsi, dans la plupart des pays, les travailleurs des postes et télécommunications sont parmi les plus combatifs. Il en est de même des travailleurs de la santé. En 1987, en Italie, ce sont les travailleurs de l'école qui ont mené les luttes les plus importantes. Et nous pourrions ainsi multiplier les exemples qui viennent illustrer le fait que, non seulement le prolétariat ne se limite pas aux «cols bleus », aux ouvriers « traditionnels » de l'industrie, mais que la combativité ouvrière non plus. C'est pour cela que nos analyses ne se sont pas focalisées sur des considérations sociologiques bonnes pour universitaires ou petits-bourgeois en mal d'interprétation non pas du « malaise » de la classe ouvrière, mais de leur propre malaise.
Nous ne pouvons pas revenir, dans le cadre de cet article, sur l'ensemble des analyses de la situation internationale que nous avons faites tout au long des dernières années. Le lecteur pourra les retrouver dans pratiquement tous les numéros de notre Revue au cours de cette période et particulièrement dans les thèses et résolutions adoptées par notre organisation depuis 1989 ([16] [36]). Les difficultés que traverse aujourd'hui le prolétariat, le recul de sa combativité et de la conscience en son sein, difficultés sur lesquelles s'appuient certains pour diagnostiquer une « crise » de la classe ouvrière, n'ont pas échappé au CCI. En particulier, nous avons mis en évidence que, tout au long des années 1980, celle-ci à été confrontée au poids croissant de la décomposition généralisée de la société capitaliste qui, en favorisant le désespoir, l'atomisation, le « chacun pour soi», a porté des coups importants à la perspective générale de la lutte prolétarienne et à la solidarité de classe, ce qui a facilité, en particulier, les manoeuvres syndicales visant à enfermer les luttes ouvrières dans le corporatisme. Cependant, et c'était une manifestation de la vitalité du combat de classe, ce poids permanent de la décomposition n'a pas réussi, jusqu'en 1989, à venir à bout de la vague de combats ouvriers qui avait débuté en 1983 avec les grèves du secteur public en Belgique. Bien au contraire, durant cette période, nous avions assisté à un débordement croissant des syndicats qui avaient dû, pour le travail de sabotage des luttes, laisser le devant de la scène de plus en plus souvent à un syndicalisme « de base », plus radical. ([17] [37])
Cette vague de luttes prolétariennes allait cependant être engloutie par les bouleversements planétaires qui se sont succédés à partir de la seconde moitié de 1989. Alors que certains, en général les mêmes qui n'avaient rien vu des luttes ouvrières du milieu des années 1980, estimaient que l'effondrement, en 1989, des régimes staliniens d'Europe (qui constitue, à ce jour, la manifestation la plus importante de la décomposition du système capitaliste) allait favoriser la prise de conscience de la classe ouvrière, nous n'avons pas attendu pour annoncer le contraire ([18] [38]). Par la suite, notamment en 1990-91, lors de la crise et de la guerre du Golfe puis du putsch de Moscou suivi de l'effondrement de l'URSS, nous avons relevé que ces événements allaient affecter également la lutte de classe, la capacité du prolétariat à faire face aux attaques croissantes que le capitalisme en crise allait lui asséner.
C'est pour cela que les difficultés traversées par la classe au cours de la dernière période n'ont pas échappé, ni surpris, notre organisation. Cependant, en analysant leurs causes véritables (qui ont peu de chose à voir avec un mythique besoin de « recomposition de la classe ouvrière ») nous avons, en même temps, mis en évidence les raisons pour lesquelles la classe ouvrière avait aujourd'hui les moyens de dépasser ces difficultés.
A ce sujet, il est important de revenir sur un des arguments du sieur Bihr pour accréditer l'idée d'une crise de la classe ouvrière : la crise et le chômage ont «fragmenté le prolétariat» en «renforçant les anciennes divisions et inégalités» en son sein. Pour illustrer son propos, et « charger la barque », Bihr nous fait le catalogue de tous ces «fragments» : «les travailleurs stables et garantis », « les exclus du travail, voire du marché du travail », « la masse flottante des travailleurs précaires». Et, dans cette dernière, il se délecte à distinguer des sous-catégories : « les travailleurs des entreprises travaillant en sous-traitance et en régie », « les travailleurs à temps partiel », «les travailleurs temporaires », «les stagiaires » et « les travailleurs de l'économie souterraine. »([19] [39]) en fait, ce que le docteur Bihr nous présente comme un argument n'est pas autre chose qu'un constat photographique, ce qui cadre tout à fait avec sa vision réformiste ([20] [40]). C'est vrai que, dans un premier temps, la bourgeoisie a mené ses attaques contre la classe ouvrière de façon sélective de façon à limiter l'ampleur des ripostes de cette dernière. C'est vrai également que le chômage, et particulièrement celui des jeunes, a constitué un facteur de chantage sur certains secteurs du prolétariat et, partant, de passivité tout en accentuant l'action délétère de l'ambiance de décomposition sociale et de «chacun pour soi». Cependant, la crise elle-même, et son aggravation inexorable, se chargeront de plus en plus d'égaliser par le bas la condition des différents secteurs de la classe ouvrière. En particulier, les secteurs «de pointe» (informatique, télécommunications, etc.) qui avaient paru échapper à la crise, sont aujourd'hui frappés de plein fouet, jetant leurs travailleurs dans la même situation que ceux de la sidérurgie ou de l'automobile. Et ce sont maintenant les plus grandes entreprises (telles IBM) qui licencient en masse. En même temps, contrairement à la tendance de la décennie passée, le chômage des travailleurs d'âge mûr, qui ont déjà une expérience collective de travail et de lutte, augmente aujourd'hui plus vite que celui des jeunes, ce qui tend à limiter le facteur d'atomisation qu'il avait représenté par le passé.
Ainsi, même si la décomposition constitue un handicap pour le développement des luttes et de la conscience dans la classe, la faillite de plus en plus évidente et brutale de l'économie capitaliste, avec le cortège d'attaques qu'elle implique contre les conditions d'existence du prolétariat, constitue l'élément déterminant de la situation actuelle pour la reprise des luttes et de la marche de celui-ci vers sa prise de conscience. Evidemment, on ne peut comprendre cela si l'on pense, comme l'affirme l'idéologie réformiste qui se refuse à envisager la moindre perspective révolutionnaire, que la crise capitaliste provoque une « crise de la classe ouvrière». Mais, encore une fois, les événements eux-mêmes se sont chargés de souligner la validité du marxisme et l'inanité des élucubrations des sociologues. Les luttes formidables du prolétariat d'Italie, à l'automne 1992, face à des attaques économiques d'une violence sans précédent, ont, une fois de plus, démontré que le prolétariat n'était pas mort, qu'il n'avait pas disparu et qu'il n'avait pas renoncé à la lutte, même si, comme on pouvait s'y attendre, il n'avait pas encore fini de digérer les coups qu'il avait reçus dans les années précédentes. Et ces luttes ne sont pas destinées à rester des feux de paille. Elles ne font qu'annoncer (comme l'avaient fait les luttes ouvrières de mai 1968, il y a juste un quart de siècle, en France) un renouveau général de la combativité ouvrière, une reprise de la marche en avant du prolétariat vers la prise de conscience des conditions et des buts de son combat historique pour l'abolition du capitalisme. N'en déplaise à tous ceux qui se lamentent, sincèrement ou hypocritement, sur la « crise de la classe ouvrière » et sa « nécessaire recomposition».
FM.
[1] [41] L'automobile est indispensable pour aller à son travail ou pour faire des achats lorsque les transports en commun sont insuffisants et que les distances à parcourir deviennent de plus en plus considérables. On ne peut se passer d'un réfrigérateur lorsque le seul moyen d'acquérir de la nourriture bon marché est de l'acheter dans des grandes surfaces, ce qu'on ne peut faire tous les jours. Quant à la télévision, qui fut présentée comme le symbole de l'accession à la «société de consommation », outre l'intérêt qu'elle présente comme instrument de propagande et d'abrutissement entre les mains de la bourgeoisie (comme «opium du peuple», elle a remplacé avantageusement la religion), on la trouve aujourd'hui dans beaucoup de logis des bidonvilles du tiers-monde, ce qui en dit long sur la dévalorisation d'un tel article
[2] [42] Marx appelait taux de plus-value ou taux d'exploitation le rapport P1/V où PI représente la plus-value en valeur-travail (le nombre d'heures de la journée de travail que le capitaliste s'approprie) et le capital variable, c'est-à-dire le salaire (le nombre d'heures pendant lesquelles l'ouvrier produit l'équivalent en valeur de ce qu'il reçoit). C'est un indice qui permet de déterminer en termes économiques objectifs, et non subjectifs, l'intensité réelle de l'exploitation.
[3] [43] Evidemment, cette affirmation va à rencontre des mensonges proférés par tous les prétendus « défenseurs de la classe ouvrière », comme les socio-démocrates ou les staliniens, qui ont une longue expérience tant de la répression et de la mystification des ouvriers que des cabinets ministériels. Lorsqu'un ouvrier « sorti du rang » accède au poste de cadre syndical, de conseiller municipal, voire de maire, de député ou de ministre, il n'a plus rien à voir avec sa classe d'origine.
[4] [44] Il est évidemment très difficile (sinon impossible) de déterminer ce niveau, lequel peut être variable dans le temps ou d'un pays à l'autre. L'important est de savoir que, dans chaque pays (ou ensemble de pays similaires du point de vue du développement économique et de la productivité du travail), il existe un tel seuil qui se situe entre le salaire de l'ouvrier qualifié et celui du cadre supérieur.
[5] [45] Pour une analyse plus développée sur travail productif et travail improductif, on pourra se reporter à notre brochure <r La décadence du capitalisme » (pages 78-84 dans la version en français).
[6] [46] Il faut cependant noter qu'en même temps, une certaine proportion des cadres voit ses revenus augmenter ce qui débouche sur son intégration dans la classe dominante.
[7] [47] Pour une analyse développée de la nature bourgeoise des syndicats, voir notre brochure «Les syndicats contre la classe ouvrière».
[8] [48] Par exemple Le Monde Diplomatique, un mensuel humaniste français, spécialisé dans la promotion d'un capitalisme <r à visage humain», publie fréquemment des articles d'Alain Bihr. Ainsi, dans sa livraison de mars 91, on peut y trouver un texte de cet auteur intitulé « Régression des droits sociaux, affaiblissement des syndicats, le prolétariat dans tous ses éclats ».
[9] [49] C'est ainsi que dans le n°22 de Perspective Internationaliste, organe de la <r Fraction ex terne (sic!) du CCI», on peut lire une contribution de GS (qui, sans que son auteur ne soit membre de la FECCI, rencontre, pour l'essentiel, l'assentiment de celle-ci) intitulée «La nécessaire recomposition du prolétariat» et qui cite longuement le livre phare de Bihr pour étayer ses assertions.
[10] [50] Le Monde Diplomatique, mars 1991.
[11] [51] « Du Grand Soir... »
[12] [52] Le Monde Diplomatique, mars 1991.
[13] [53] Le Monde Diplomatique, mars 1991.
[14] [54] « Du grand soir...»
[15] [55] Le Monde Diplomatique, mars 1991.
[16] [56] Voir la Revue Internationale n° 60, 63, 67, 70, et ce numéro.
[17] [57] Evidemment, si l'on considère, comme le Docteur Bihr, que les syndicats sont des organes de la classe ouvrière et non de la bourgeoisie, les progrès accomplis par la lutte de classe se convertissent en une régression. Il est toutefois curieux que des gens, tels les membres de la FECCI, qui officiellement reconnaissent la nature bourgeoise des syndicats, lui emboîtent le pas dans cette appréciation.
[18] [58] Voir « Des difficultés accrues pour le prolétariat » dans la Revue Internationale n° 60.
[19] [59] Le Monde Diplomatique, mars 1991.
[20] [60] D'ailleurs, une des phrases favorites d'Alain Bihr est que « le réformisme est une chose trop sérieuse pour la laisser aux réformistes». Si par hasard il se prenait pour un révolutionnaire, nous tenons ici à le détromper.
Les grandes luttes ouvrières laissent peu de traces visibles, quand elles sont terminées. Lorsque «l'ordre» revient, lorsque « la paix sociale » répand à nouveau son impitoyable chape de plomb quotidienne, il ne reste bientôt d'elles qu'un souvenir. Un «souvenir», cela semble bien, mais peu. En fait c'est une force redoutable dans la tête de la classe révolutionnaire.
L'idéologie dominante tente en permanence de détruire ces images des moments où les exploités ont relevé la tête. Elle le fait en falsifiant l'histoire. Elle manipule les mémoires en vidant de leur force révolutionnaire les souvenirs de lutte. Elle génère des clichés mutilés, vidés de tout ce que ces luttes avaient d'exemplaire, d'instructif et d'encourageant pour les luttes à venir.
A l'occasion de l'effondrement de l'URSS, les prêtres de l'ordre établi s'étaient adonnés à coeur joie à cet exercice, pataugeant comme jamais dans la boue du mensonge qui identifie la révolution d'octobre 1917 au stalinisme. A l'occasion du 25e anniversaire des événements de Mai 1968, ils recommencent, même si c'est à une moindre échelle.
Ce qui fut, par le nombre des participants et la durée, la plus grande grève ouvrière de l'histoire est présenté aujourd'hui comme une agitation estudiantine produit d'infantiles rêveries utopiques d'une intelligentsia universitaire imbue des Rolling Stones et des héros staliniens du « tiers-monde ». Qu'en resterait-t-il aujourd'hui ? Rien, sinon une preuve de plus que toute idée de dépassement du capitalisme est une rêvasserie creuse. Et les médias de se régaler à nous montrer les images des anciens leaders étudiants «révolutionnaires», apprentis-bureaucrates devenus, un quart de siècle après, de consciencieux et respectables gérants de ce capitalisme qu'ils avaient tant contesté Cohn Bendit, « Dany le rouge », député du Parlement de Francfort ; les autres, conseillers particuliers du président de la république, ministres, hauts fonctionnaires, cadres d'entreprise, etc. Quant à la grève ouvrière, on n'en parle que pour dire qu'elle n'est jamais allée au-delà de revendications immédiates. Qu'elle a abouti à une augmentation de salaires qui fut annulée en six mois par l'inflation. Bref, tout cela n'était que du vent et il ne peut en rester que du vent.
Que subsiste-t-il en réalité de mai 1968 dans la mémoire de la classe ouvrière qui l'a fait ?
Il y a bien sûr les images des barricades en flammes où s'affrontaient la nuit, dans le brouillard des bombes lacrymogènes, étudiants et jeunes ouvriers contre les forces de police ; celles des rues dépavées du Quartier latin de Paris, le matin, jonchées de débris et de voitures les roues en l'air. Les médias les ont suffisamment montrées.
Mais la puissance des manipulations médiatiques a des limites. La classe ouvrière possède une mémoire collective, même si celle-ci vit un peu sous forme «souterraine », ne s'exprimant ouvertement que lorsque la classe parvient à nouveau à s'unifier massivement dans la lutte. Au-delà de ce côté spectaculaire, il reste dans les mémoires ouvrières un sentiment diffus et profond à la fois : celui de la force que représente le prolétariat lorsqu'il sait s'unifier.
Il y a bien eu au début des événements de 68 en France une agitation estudiantine, comme il y en avait dans tous les pays industrialisés occidentaux, nourrie en grande partie par l'opposition à la guerre du Vietnam et par une inquiétude nouvelle sur l'avenir. Mais cette agitation restait cantonnée à une toute petite partie de la société. Elle se résumait souvent à des défilés d'étudiants qui sautillaient dans la rue scandant les syllabes du nom d'un des staliniens les plus meurtriers : « Ho-Ho, Ho-Chi-Minh ! ». A l'origine des premiers troubles en milieu étudiant en 68 en France, on trouve, entre autres, la revendication des étudiants d'avoir accès aux chambres des filles dans les cités universitaires... Avant 1968, dans les campus, « la révolte » s'affirmait souvent sous la bannière des théories de Marcuse, dont une des thèses essentielles était que la classe ouvrière n'était plus une force sociale révolutionnaire car elle s'était définitivement embourgeoisée.
En France, la bêtise du gouvernement du militaire De Gaulle, qui répondit à l'effervescence estudiantine par une répression disproportionnée et aveugle, avait conduit l'agitation au paroxysme des premières barricades. Mais cela demeurait encore pour l'essentiel circonscrit dans le ghetto de la jeunesse scolarisée. Ce qui vint tout bouleverser, ce qui transforma « les événements de Mai» en une explosion sociale majeure ce fut l'entrée en scène du prolétariat. C'est lorsque, au milieu du mois de Mai, la classe ouvrière s'est jetée presque toute entière dans la bataille, paralysant la quasi-totalité des mécanismes essentiels de la machine économique, que les choses sérieuses ont commencé. Balayant la résistance des appareils syndicaux, brisant les barrières corporatistes, près de 10 millions de travailleurs avaient arrêté le travail tous ensemble. Et par ce seul geste ils avaient fait basculer l'histoire.
Les ouvriers, qui quelques jours auparavant étaient une masse d'individus épars, s'ignorant les uns les autres et subissant aussi bien le poids de l'exploitation que celui de la police stalinienne dans les lieux de travail, ceux-là mêmes qu'on avait dit définitivement embourgeoisés, se retrouvaient soudain réunis, avec, entre leurs mains, une force gigantesque. Une force dont ils étaient les premiers surpris et dont ils ne savaient pas toujours quoi faire.
L'arrêt des usines et des bureaux, l'absence de transports publics, la paralysie des rouages productifs démontraient chaque jour comment, dans le capitalisme, tout dépend, en fin de compte, de la volonté et de la conscience de la classe exploitée. Le mot de « révolution » revint dans toutes bouches et les questions de savoir ce qui était possible, où on allait, comment cela s'était passé dans les grandes luttes ouvrières du passé devinrent les sujets centraux de discussion. « Tout le monde parlait et tout le monde s'écoutait». C'est une des caractéristiques dont on se souvient le plus. Pendant un mois, le silence qui isole les individus en une masse atomisée, cette muraille invisible qui semble d'ordinaire si épaisse, si inévitable, si désespérante, avait disparu. On discutait partout : dans les rues, dans les usines occupées, dans les universités et les lycées, dans les «Maisons de jeunes» des quartiers ouvriers, transformées en lieu de réunion politique par les « comités d'action » locaux. Le langage du mouvement ouvrier qui appelle les choses par leur nom : bourgeoisie, prolétariat, exploitation, lutte de classes, révolution, etc. se développait parce qu'il était tout naturellement le seul capable de cerner la réalité.
La paralysie du pouvoir politique bourgeois, ses hésitations face à une situation qui lui échappait, confirmaient la puissance de l'impact de la lutte ouvrière. Une anecdote illustre bien ce qui était ressenti dans les antres du pouvoir. Michel Jobert, chef de cabinet du premier ministre Pompidou pendant les événements, racontait en 1978, dans une émission de télévision consacrée au dixième anniversaire de 68, comment un jour, par la fenêtre de son bureau, il avait aperçu un drapeau rouge qui flottait sur le toit d'un des bâtiments ministériels. Il s'était empressé de téléphoner pour faire enlever cet objet qui par sa présence ridiculisait l'autorité des institutions. Mais, après plusieurs appels, il n'était pas parvenu à trouver quelqu'un disposé ou ayant les moyens d'exécuter cette tâche. C'est alors qu'il avait compris que quelque chose de vraiment nouveau était en train de se produire.
La véritable victoire des luttes ouvrières de Mai 68 ne fut pas dans les augmentations de salaires obtenues, mais dans le ressurgissent même de la force de la classe ouvrière. C'était le retour du prolétariat sur la scène de l'histoire après plusieurs décennies de contre-révolution stalinienne triomphante.
Aujourd'hui, alors que les ouvriers du monde entier subissent les effets des campagnes idéologiques sur « la fin du communisme et de la lutte de classe », le souvenir de ce que fut véritablement la grève de masses en 1968 en France constitue un rappel vivant de la force que porte en elle la classe ouvrière. Alors que toute la machine idéologique s'efforce d'enfoncer la classe révolutionnaire dans une océan de doutes sur elle même, de convaincre chaque ouvrier qu'il est désespérément seul et n'a rien à attendre du reste de sa classe, ce rappel constitue un indispensable antidote.
Mais, nous dira-t-on, qu'importe le souvenir s'il s'agit seulement de quelque chose qui ne se reproduira plus. Qu'est-ce qui prouve que dans l'avenir nous pourrons assister a de nouvelles affirmations massives, puissantes de l'unité combative de la classe ouvrière ?
Sous une forme un peu différente, cette même question se trouva posée au lendemain des luttes du printemps 68 : venait-on d'assister à un simple feu de paille spécifiquement français ou bien ces événements ouvraient-ils, à l'échelle internationale, une nouvelle période historique de combativité prolétarienne ?
L'article ci-après, publié en 1969 dans le n°2 de Révolution Internationale, se donnait pour tâche de répondre à cette question. A travers la critique des analyses de l'Internationale Situationniste ([1] [64]), il affirme la nécessité de comprendre les causes profondes de cette explosion et de les chercher non pas, comme le faisait l’IS, dans « les manifestations les plus apparentes des aliénations sociales » mais dans « les sources qui leur donnent naissance et les nourrissent». «C'est dans ces racines (économiques) que la critique théorique radicale doit déceler les possibilités de son dépassement révolutionnaire... Mai 1968 apparaît dans toute sa signification pour avoir été une des premières et une des plus importantes réactions de la masse des travailleurs contre une situation économique mondiale allant se détériorant. »
A partir de là il était possible de prévoir. En comprenant le lien qui existait entre l'explosion de Mai 68 et la dégradation de la situation économique mondiale, en comprenant que cette dégradation traduisait un changement historique dans l'économie mondiale, en comprenant que la classe ouvrière avait commencé à se dégager de l'emprise de la contre-révolution stalinienne, il était aisé de prévoir que de nouvelles explosions ouvrières suivraient rapidement celle de Mai 68, avec ou sans étudiants radicalisés.
Cette analyse fut rapidement confirmée. Dès l'automne 1969 l'Italie connaissait sa plus importante vague de grèves depuis la guerre ; la même situation se reproduisit en Pologne en 1970, en Es pagne en 1971, en Grande Bretagne en 1972, au Portugal et en Espagne en 1974-75. Puis à la fin des années 1970, une nouvelle vague internationale de luttes ouvrières se développa avec en particulier le mouvement de masse en Pologne en 1980-81, la lutte la plus importante depuis la vague révolutionnaire de 1917-1923. Enfin, de 1983 à 1989, c'est encore une série de mouvements de la classe qui, dans les principaux pays industrialisés, montrera à plusieurs reprises des tendances à la remise en cause de l'encadrement syndical, à l'extension et la prise en mains des luttes.
Le Mai 68 français n'avait été « qu'un début », le début d'une nouvelle ère historique. Il n'était plus «minuit dans le siècle». La classe ouvrière s'arrachait de ces « années de plomb» qui duraient depuis le triomphe de la contre-révolution social-démocrate et stalinienne dans les années 1920. En réaffirmant sa force par des mouvements massifs capables de s'opposer aux machines syndicales et aux « partis ouvriers», la classe ouvrière avait ouvert un cours à des affrontements de classes barrant la route au déclenchement d'une troisième guerre mondiale, ouvrant la voie au développement de la lutte de classe internationale du prolétariat.
La période que nous vivons est celle ouverte par 1968. Vingt cinq ans après, les contradictions de la société capitaliste qui avaient conduit à l'explosion de Mai ne se sont pas estompées, au contraire. Au regard de la dégradation que connaît aujourd'hui l'économie mondiale, les difficultés de la fin des années 1960 paraissent insignifiantes : un demi-million de chômeurs en France en 1968, plus de trois millions aujourd'hui, pour ne prendre qu'un exemple qui est loin de rendre compte du véritable désastre économique qui a dévasté l'ensemble de la planète pendant ce quart de siècle. Quant au prolétariat, à travers des avancées et des reculs de sa combativité et de sa conscience, il n'a jamais signé un armistice avec le capital. Les luttes de l'automne 1992 en Italie, en réponse au plan d'austérité imposé par une bourgeoisie confrontée à la plus violente crise économique depuis la guerre, et où les appareils syndicaux ont subi une contestation ouvrière sans précédent, viennent encore récemment de le confirmer.
Que reste-t-il de Mai 68 ? L'ouverture d'une nouvelle phase de l'histoire. Une période au cours de laquelle ont mûri les conditions de nouvelles explosions ouvrières qui iront beaucoup plus loin que les balbutiements d'il y a 25 ans.
RV, juin 93.
Vingt-cinq ans après mai 1968 : COMPRENDRE MAI - Révolution Internationale n° 2 (ancienne série), 1969
Les événements de mai 1968 ont eu comme conséquence de susciter une activité littéraire exceptionnellement abondante. Livres, brochures, recueils de toutes sortes se sont succédés à une cadence accélérée et à des tirages forts élevés. Les maisons d'éditions - toujours à l'affût de « gadgets » à la mode - se sont bousculées pour exploiter à fond l'immense intérêt soulevé dans les masses par tout ce qui touche à ces événements. Pour cela, ils ont trouvé, sans difficultés, journalistes, publicistes, professeurs, intellectuels, artistes, hommes de lettres, photographes de toutes sortes, qui, comme chacun sait, abondent dans ce pays et qui sont toujours à la recherche d'un bon sujet bien commercial.
On ne peut pas ne pas avoir un haut-le-coeur devant cette récupération effrénée.
Cependant dans la masse des combattants de Mai, l'intérêt éveillé au cours de la lutte même, loin de cesser avec les combats de rue, n'a fait que s'amplifier et s'approfondir. La recherche, la discussion, la confrontation se poursuivent. Pour n'avoir pas été des spectateurs ni des contestataires d'occasion, pour s'être trouvées brusquement engagées dans des combats d'une portée historique, ces masses, revenues de leur propre surprise, ne peuvent pas ne pas s'interroger sur les racines profondes de cette explosion sociale qui était leur propre ouvrage, sur sa signification, sur les perspectives que cette explosion a ouvertes dans un futur à la fois immédiat et lointain. Les masses essaient de comprendre, de prendre conscience de leur propre action.
De ce fait, nous croyons pouvoir dire que c'est rarement dans les livres publiés à profusion que nous pouvons trouver le reflet de cette inquiétude et des interrogations de la part des gens. Elles apparaissent plutôt dans de petites publications, les revues souvent éphémères, les papiers ronéotés de toutes sortes de groupes, de comités d'action de quartier et d'usines qui ont survécu depuis Mai, dans leurs réunions, au travers de discussions souvent et inévitablement confuses. Au travers et en dépit de cette confusion, se poursuit néanmoins un travail sérieux de clarification des problème soulevés par Mai.
Après plusieurs mois d'éclipsé, et de silence, probablement consacrés à l'élaboration de ses travaux, vient d'intervenir dans ce débat le groupe de « L'Internationale Situationniste », en publiant un livre chez Gallimard : « Enragés et Situationnistes dans le mouvement des occupations ».
On était en droit d'attendre de la part d'un groupe qui a effectivement pris une part active dans les combats, une contribution approfondie à l'analyse de la signification de Mai, et cela d'autant plus que le temps de recul de plusieurs mois offrait des possibilités meilleures. On était en droit d'émettre des exigences et on doit constater que le livre ne répond pas à ses promesses.
Mis à part le vocabulaire qui leur est propre : « spectacle », « société de consommation », « critique de la vie quotidienne », etc., on peut déplorer que pour leur livre, les situationnistes aient allègrement cédé au goût du jour, se complaisant à le farcir de photos, d'images et de bandes de comics.
On peut penser ce que l'on veut des comics comme moyen pour la propagande et l'agitation révolutionnaire. On sait que les situationnistes sont particulièrement friands de cette forme d'expression que sont les comics et les bulles. Ils prétendent même avoir découvert dans le « détournement », l'arme moderne (?) de la propagande subversive, et voient en cela le signe distinctif de leur supériorité par rapport aux autres groupes qui en sont restés aux méthodes « surannées » de la presse révolutionnaire « traditionnelle », aux articles « fastidieux » et aux tracts ronéotés.
Il y a assurément du vrai dans la constatation que les articles de la presse des groupuscules sont souvent rébarbatifs, longs et ennuyeux. Cependant, cette constatation ne saurait devenir un argument pour une activité de divertissement. Le capitalisme se charge amplement de cette besogne qui consiste sans cesse à découvrir toutes sortes d'activités culturelles (sic) pour les jeunes, les loisirs organisés et surtout les sports. Ce n'est pas seulement une question de contenu mais aussi de méthode appropriée qui correspond à un but bien précis : le détournement de la réflexion.
La classe ouvrière n'a pas besoin d'être divertie. Elle a surtout besoin de comprendre et de penser. Les comics, les mots d'esprit et les jeux de mots leur sont d'un piètre usage. On adopte d'une part pour soi un langage philosophique, une terminologie particulièrement recherchée, obscure et ésotérique, réservée aux « penseurs intellectuels », d'autre part, pour la grande masse infantile des ouvriers, quelques images accompagnées de phrases simples, cela suffit amplement.
Il faut se garder, quand on dénonce partout le spectacle, de ne pas tomber soi-même dans le spectaculaire. Malheureusement, c'est un peu par là que pêche le livre sur Mai en question. Un autre trait caractéristique du livre est son aspect descriptif des événements au jour le jour, alors qu'une analyse les situant dans un contexte historique et dégageant leur profonde signification eût été nécessaire. Remarquons encore que c'est surtout l'action des enragés et des situationnistes qui est décrite plutôt que les événements eux-mêmes comme d'ailleurs l'annonce le titre. En rehaussant hors mesure le rôle joué par telle personnalité des enragés, en faisant un véritable panégyrique de soi, on a l'impression que ce n'est pas eux qui étaient dans le mouvement des occupations, mais que c'est le mouvement de Mai qui était là pour mettre en relief la haute valeur révolutionnaire des enragés et des situationnistes. Une personne n'ayant pas vécu, ignorant tout de Mai et se documentant au travers de ce livre, se ferait une curieuse idée de ce que ce fut. A les en croire, les situationnistes auraient occupé une place prépondérante, et cela dès le début, dans les événements, ce qui révèle une bonne dose d'imagination et est vraiment « prendre ses désirs pour la réalité ». Ramenée à ses justes proportions, la place occupée par les situationnistes a été sûrement inférieure à celle de nombreux autres groupuscules, et en tout cas pas supérieure. Au lieu de soumettre à la critique le comportement, les idées, les positions des autres groupes - ce qui aurait été intéressant, mais qu'ils ne font pas - minimiser (voir dans les pages 179 à 181 avec quel dédain et combien superficiellement, ils font la « critique » des autres groupes « conseillistes ») ou encore passer sous silence l'activité et le rôle des autres est un procédé douteux pour faire ressortir sa propre grandeur, et ne mène pas à grand chose.
Le livre (ou ce qu'il en reste, déduction faite des bandes dessinées, photos, chansons, inscriptions murales et autres reproductions) débute par une constatation généralement juste : Mai avait surpris un peu tout le monde et en particulier les groupes révolutionnaires ou prétendus tels. Tous les groupes et courants, sauf évidemment les situationnistes qui, eux, « savaient et montraient la possibilité et l’imminence d'un nouveau départ de la révolution». Pour le groupe de situationnistes, grâce à « la critique révolutionnaire qui ramène au mouvement pratique sa propre théorie, déduite de lui et portée à la cohérence qu'il poursuit, certainement rien n'était plus prévisible, rien n'était plus prévu, que la nouvelle époque de la lutte de classe... »
On sait depuis longtemps qu'il n'existe aucun code contre la présomption et la prétention, manie fort répandue dans le mouvement révolutionnaire -surtout depuis le « triomphe » du léninisme - et dont le bordiguisme est une manifestation exemplaire : aussi ne disputerons-nous pas cette prétention aux situationnistes et nous contenterons-nous simplement d'en prendre acte en haussant les épaules pour seulement chercher à savoir : où et quand, et sur la base de quelles données, les situationnistes ont-ils prévu les événements de Mai ? Quand ils affirment qu'ils avaient « depuis des années très exactement prévu l'explosion actuelle et ses suites », ils confondent visiblement une affirmation générale avec une analyse précise du moment. De puis plus de cent cinquante ans, depuis qu'existe un mouvement révolutionnaire du prolétariat, existe la « prévision » qu'un jour, inévitablement surviendra l'explosion révolutionnaire. Pour un groupe qui prétend non seulement avoir une théorie cohérente, mais encore « ramener sa critique révolutionnaire au mouvement pratique », une prévision de ce genre est largement insuffisante. Pour ne pas rester une simple phrase rhétorique, « ramener sa critique au mouvement pratique » doit signifier l'analyse de la situation concrète, de ses limites et de ses possibilités réelles. Cette analyse, les situationnistes ne l'ont pas faite avant et, si nous jugeons d'après leur livre, ne la font pas encore maintenant ; car quand ils parlent d'une nouvelle période de reprise des luttes révolutionnaires, leur démonstration se réfère toujours à des généralités abstraites. Et même quand ils se réfèrent aux luttes de ces dernières années, ils ne font rien d'autre que de constater un fait empirique. Par elle seule, cette constatation ne va pas au-delà du témoignage de la continuité de la lutte des classes et n'indique pas le sens de son évolution, ni de la possibilité de déboucher et d'inaugurer une période historique de luttes révolutionnaires surtout à l'échelle internationale, comme peut et doit l'être une révolution socialiste. Même une explosion d'une signification révolutionnaire aussi formidable que la Commune de Paris ne signifiait pas l'ouverture d'une ère révolutionnaire dans l'histoire, puisqu'au contraire elle sera suivie d'une longue période de stabilisation et d'épanouissement du capitalisme, entraînant comme conséquence, le mouvement ouvrier vers le réformisme.
A moins de considérer comme les anarchistes, que tout est toujours possible et qu'il suffit de vouloir pour pouvoir, nous sommes appelés à comprendre que le mouvement ouvrier ne suit pas une courbe continuellement ascendante mais est fait de périodes de montées et de périodes dé reculs, et est déterminé objectivement et en premier lieu par l'état de développement du capitalisme et des contradictions inhérentes à ce système.
L'I.S. définit l'actualité comme « le retour présent de la révolution ». Sur quoi fonde-t-elle cette définition ? Voici son explication :
1. « La théorie critique élaborée et répandue par l’I S. constatait aisément (...) que le prolétariat n'était pas aboli » (curieux vraiment que l'I.S. constate «aisément» ce que tous les ouvriers et tous les révolutionnaires savaient, sans recours nécessaire à l'I.S.)
2. « ... que le capitalisme continuait à développer ses aliénations » (qui s'en serait douté ?).
3. « ... que partout où existe cet antagonisme (comme si cet antagonisme ne pouvait dans le capitalisme ne pas exister partout) la question sociale posée depuis plus d'un siècle demeure » (en voilà une découverte !)
4. « ... que cet antagonisme existe sur toute la surface de la planète » (encore une découverte !)
5. « L'I.S.explique l'approfondissement et la concentration des aliénations par le retard de la révolution» (évidence...).
6. «Ce retard découle manifestement de la défaite internationale du prolétariat depuis la contre-révolution russe » (voilà encore une vérité proclamée par les révolutionnaires depuis 40 ans au moins).
7. En outre « l'I.S. savait bien (...) que l'émancipation des travailleurs se heurtait partout et toujours aux organisations bureaucratiques ».
8. Les situationnistes constatent que la falsification permanente nécessaire à la survie de ces appareils bureaucratiques, était une pièce maîtresse de la falsification généralisée dans la société moderne.
9. Enfin « ils avaient aussi reconnu et s'étaient employés à rejoindre les nouvelles formes (?) de subversion dont les premiers signes s'accumulaient».
10. Et voilà pourquoi « ainsi les situationnistes savaient et montraient la possibilité et l'imminence d'un nouveau départ de la révolution, »
Nous avons reproduit ces longs extraits afin de montrer le plus exactement possible ce que les situationnistes d'après leur propre dire «savaient».
Comme on peut le voir, ce savoir se réduit à des généralités que connaissent depuis longtemps des milliers et des milliers de révolutionnaires, et ces généralités si elles suffisent pour l'affirmation du projet révolutionnaire, ne contiennent rien qui puisse être considéré comme une démonstration de « l’imminence d'un nouveau départ de la révolution ». La « théorie élaborée » des situationnistes se réduit donc à une simple profession de foi et rien de plus.
C'est que la Révolution Socialiste et son imminence ne sauraient se déduire de quelques « découvertes » verbales comme la société de consommation, le spectacle, la vie quotidienne, qui désignent avec de nouveaux mots les notions connues de la société capitaliste d'exploitation des masses travailleuses, avec tout ce que cela comporte, dans tous les domaines de la vie sociale, de déformations et d'aliénations humaines.
En admettant que nous nous trouvions devant un nouveau départ de la révolution, comment expliquer d'après l'I.S. qu'il ait fallu attendre juste LE TEMPS qui nous sépare de la victoire de la contre-révolution russe, disons : 50 ans. Pourquoi pas 30 ou 70 ? De deux choses l'une : ou la reprise du cours révolutionnaire est déterminée fondamentalement par les conditions objectives, et alors il faut les expliciter - ce que l'I.S. ne fait pas - ou bien cette reprise est uniquement le fait d'une volonté subjective s'accumulant et s'affirmant un beau jour et elle ne pourrait alors être que constatable mais non prévisible puisque aucun critère ne saurait d'avance fixer son degré de maturation.
Dans ces conditions, la prévision dont se targue l'I.S. tiendrait davantage d'un don de devin que d'un savoir. Quand Trotsky écrivait en 1936 « La révolution a commencé en France», il se trompait assurément, néanmoins son affirmation reposait sur une analyse autrement sérieuse que celle de l'I.S. puisqu'elle se référait à des données telles que la crise économique qui secouait le monde entier. Par contre la « prévision » juste de l'I.S. s'apparenterait plutôt aux affirmations de Molotov inaugurant la fameuse troisième période de l'I.C. (Internationale Communiste) au début de 1929, annonçant la grande nouvelle que le monde est entré des deux pieds dans la période révolutionnaire. La parenté entre les deux consiste dans la gratuité de leurs affirmations respectives, dont l'étude est effectivement indispensable comme point de départ de toute analyse sur une période donnée, suffisent à déterminer le caractère révolutionnaire ou non des luttes de cette période : et c'est ainsi que, s'appuyant sur la crise économique mondiale de 1929, il croit pouvoir annoncer l'imminence de la révolution. L'I.S. par contre croit suffisant d'ignorer et de vouloir ignorer tout ce qui se rapporte à l'idée même d'une condition objective et nécessaire, d'où son aversion profonde pour ce qui concerne les analyses économiques de la société capitaliste moderne.
Toute l'attention se trouve ainsi dirigée vers les manifestations les plus apparentes des aliénations sociales, et on néglige de voir les sources qui leur donnent naissance et les nourrissent. Nous devons réaffirmer qu'une telle critique qui porte essentiellement sur les manifestations superficielles, aussi radicale soit-elle, restera forcément circonscrite, limitée, tant en théorie qu'en pratique.
Le capitalisme produit nécessairement les aliénations qui lui sont propres dans son existence et pour sa survie, et ce n'est pas dans leur manifestation que se rencontre le moteur de son dépérissement. Tant que le capitalisme dans ses racines, c'est-à-dire comme système économique, reste viable, aucune volonté ne saurait le détruire.
«Jamais une société n'expire avant que soient developpees toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir » (Marx, « Avant propos à la Critique de l'Economie Politique »).
C'est donc dans ces racines que la critique théorique radicale doit déceler les possibilités de son dépassement révolutionnaire.
«A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production... Alors commence une ère de révolution sociale» (Marx, idem).
Cette collision dont parle Marx, se manifeste par des bouleversements économiques, comme les crises, les guerres impérialistes et les convulsions sociales. Tous les penseurs marxistes ont insisté sur le fait que pour qu'on puisse parler d'une période révolutionnaire, « il ne suffit pas que les ouvriers ne veuillent plus, il faut encore que les capitalistes ne puissent plus continuer comme auparavant ». Et voilà l'I.S. qui se prétend être quasiment l'unique expression théorique organisée de la pratique révolutionnaire d'aujourd'hui, qui bataille exactement dans le sens contraire. Les rares fois où, surmontant son aversion, elle aborde dans le livre les sujets économiques, c'est pour démontrer que le nouveau départ de la révolution s'opère non seulement indépendamment des fondations économiques de la société mais encore dans un capitalisme économiquement florissant. « On ne pouvait observer aucune tendance à la crise économique (p. 25) (...) L'éruption révolutionnaire n'est pas venue d'une crise économique (...) ce qui a été attaqué de front en Mai, c'est l'économie capitaliste fonctionnant BIEN. » (Souligné dans le texte p. 209)
Ce qu'on s'acharne à démontrer évidemment ici, est que la crise révolutionnaire et la situation économique de la société sont deux choses complètement séparées, pouvant évoluer et évoluant de fait chacune dans un sens qui lui est propre, sans relation entre elles. On croit pouvoir appuyer cette « grande découverte » théorique dans les faits, et on s'écrie triomphalement : « ON NE POUVAIT OBSERVER AUCUNE TENDANCE A LA "CRISE ECONOMIQUE" » !
Aucune tendance ? Vraiment ?
Fin 1967, la situation économique en France commence à donner des signes de détérioration. Le chômage menaçant commence à préoccuper chaque jour davantage. Au début de 1968, le nombre de chômeurs complets dépasse les 500 000. Ce n'est plus un phénomène local, il atteint toutes les régions. A Paris, le nombre des chômeurs croît lentement mais constamment. La presse se remplit d'article traitant gravement de la hantise du désemploi dans divers milieux. Le chômage partiel s'installe dans beaucoup d'usines et provoque des réactions parmi les ouvriers. Plusieurs grèves sporadiques ont la question du maintien de l'emploi et du plein emploi pour cause directe. Ce sont surtout les jeunes qui sont touchés en premier lieu et qui ne parviennent pas à s'intégrer dans la production. La récession dans l'emploi tombe d'autant plus mal que se présente sur le marché du travail cette génération de l'explosion démographique qui a suivi immédiatement la fin de la 2e Guerre Mondiale. Un sentiment d'insécurité du lendemain se développe parmi les ouvriers et surtout parmi les jeunes. Ce sentiment est d'autant plus vif qu'il était pratiquement inconnu des ouvriers en France depuis la guerre.
Concurremment, avec le désemploi et sous sa pression directe, les salaires tendent à baisser et le niveau de vie des masses se détériore. Le gouvernement et le patronat profitent naturellement de cette situation pour attaquer et aggraver les conditions de vie et de travail des ouvriers (voir par exemple les décrets sur la Sécurité Sociale).
De plus en plus, les masses sentent que c'en est fini de la belle prospérité. L'indifférence et le je-m'en-foutisme, si caractéristiques et tant décriés des ouvriers, au long des derniers 10-15 ans, cèdent la place à une inquiétude sourde et grandissante.
Il est assurément moins aisé d'observer cette lente montée de l'inquiétude et du mécontentement chez les ouvriers, que des actions spectaculaires dans une faculté. Cependant, on ne peut continuer à l'ignorer après l'explosion de Mai, à moins de croire que 10 millions d'ouvriers aient été touchés un beau jour par l'Esprit-Saint de l’Anti-spectacle. Il faut bien admettre qu'une telle explosion massive repose sur une longue accumulation d'un mécontentement réel de leur situation économique et de travail, directement sensible dans les masses, même si un observateur superficiel n'en a rien aperçu. On ne doit pas non plus, attribuer exclusivement à la politique canaille des syndicats et autres staliniens le fait des revendications économiques.
Il est évident que les syndicats, le P.C., venant à la rescousse du gouvernement, ont joué à fond la carte revendicative comme un barrage contre un possible débordement révolutionnaire de la grève sur un plan social global. Mais ce n'est pas le rôle des organismes de l'Etat capitaliste que nous discutons ici. C'est là leur rôle et on ne saurait leur reprocher de le jouer à fond. Mais le fait qu'ils ont facilement réussi à contrôler la grande masse des ouvriers en grève sur un terrain uniquement revendicatif, prouve que les masses sont entrées dans la lutte essentiellement dominées et préoccupées par une situation chaque jour plus menaçante pour eux. Si la tâche des révolutionnaires est de déceler les possibilités radicales contenues dans la lutte même des masses et de participer activement à leur éclosion, il est avant tout nécessaire de ne pas ignorer les préoccupations immédiates qui font entrer les masses dans la lutte.
Malgré les fanfaronnades des milieux officiels, la situation économique préoccupe de plus en plus le monde des affaires, comme le témoigne la presse économique du début de l'année. Ce qui inquiète n'est pas tant la situation en France, qui occupe alors une place privilégiée, mais le fait que cette situation d'alourdissement s'inscrit dans un contexte d'essoufflement économique à l'échelle mondiale, qui ne manquerait pas d'avoir des répercussions en France. Dans tous les pays industriels, en Europe et aux USA, le chômage se développe et les perspectives économiques s'assombrissent. L'Angleterre, malgré une multiplication des mesures pour sauvegarder l'équilibre, est finalement réduite fin 1967 à une dévaluation de la Livre Sterling, entraînant derrière elle des dévaluations dans toute une série de pays. Le gouvernement Wilson proclame un pro gramme d'austérité exceptionnel : réduction massive des dépenses publiques, y compris l'armement - retrait des troupes britanniques de l'Asie -, blocage des salaires, réduction de la consommation interne et des importations, effort pour augmenter les exportations. Le 1er janvier 1968, c'est au tour de Johnson de pousser un cri d'alarme et d'annoncer des mesures sévères indispensables pour sauvegarder l'équilibre économique. En mars, éclate la crise financière du dollar. La presse économique chaque jour plus pessimiste, évoque de plus en plus le spectre de la crise de 1929, et beaucoup craignent des conséquences encore plus graves. Le taux de crédit monte dans tous les pays, partout la bourse des valeurs accuse des bouleversements, et dans tous les pays, un seul cri : réduction des dépenses et de la consommation, augmentation des exportations à tout prix et réduction au strict nécessaire des importations. Parallèlement, la même détérioration se manifeste à l'Est dans le bloc russe, ce qui explique la tendance des pays comme la Tchécoslovaquie et la Roumanie à se détacher de l'emprise soviétique et à chercher des marchés à l'extérieur.
Tel est le fond de la situation économique d'avant mai.
Bien sûr, ce n'est pas la crise économique ouverte, d'abord parce que ce n'est que le début, et ensuite parce que dans le capitalisme actuel, l'Etat dispose de tout un arsenal de moyens lui permettant d'intervenir afin de pallier et partiellement, d'atténuer momentanément les manifestations les plus frappantes de la crise. Il est nécessaire toutefois de mettre en évidence les points suivants :
a) Dans les 20 années qui ont suivi la 2e Guerre, l'économie capitaliste a vécu sur la base de la reconstruction des ruines résultant de la guerre, d'une spoliation éhontée des pays sous-développés, qui au travers de la fumisterie de guerres de libération et d'aides à leur reconstruction en Etats indépendants, ont été exploités au point d'être réduits à la misère et à la famine ; d'une production croissante d'armements : l'économie de guerre.
b) Ces trois sources de la prospérité et du plein-emploi de ces 20 dernières années, tendent vers leur point d'épuisement. L'appareil de production se trouve devant un marché d'autant plus saturé et l'économie capitaliste se retrouve exactement dans la même situation et devant les mêmes problèmes insolubles qu'en 1929, encore aggravés.
c) L'interrelation entre les économies de l'ensemble des pays est plus accentuée qu'en 1929. De là : une répercussion plus grande et plus immédiate de toute perturbation d'une économie nationale sur l'économie des autres pays et sa généralisation.
d) La crise de 1929 a éclaté après de lourdes défaites du prolétariat international, la victoire de la contre-révolution russe s'imposant complètement par sa mystification du « socialisme » en Russie, et le mythe de la lutte anti-fasciste. C'est grâce à ces circonstances historiques particulières que la crise de 1929 qui n'était pas conjoncturelle mais bien une manifestation violente de la crise chronique du capitalisme en déclin, pouvait se développer et se prolonger de longues années, pour déboucher finalement dans la guerre et la destruction généralisée. Tel n'est plus le cas aujourd'hui.
Le capitalisme dispose de moins en moins de thèmes de mystification capables de mobiliser les masses et de les jeter dans le massacre. Le mythe russe s'écroule, le faux dilemme démocratie bourgeoisie contre totalitarisme est bien usé. Dans ces conditions, la crise apparaît dès ses premières manifestations pour ce qu'elle est. Dès ses premiers symptômes, elle verra surgir dans tous les pays, des réactions de plus en plus violentes des masses. Aussi, c'est parce qu'aujourd'hui la crise économique ne saurait se développer pleinement, mais se transforme dès ses premiers indices en crise sociale, que cette dernière peut apparaître à certains comme indépendante, suspendue en quelque sorte en l'air, sans relation avec la situation économique qui cependant la conditionne.
Pour bien saisir cette réalité, il ne faut évidemment pas l'observer avec des yeux d'enfant, et surtout ne pas rechercher la relation de cause à effet d'une façon étroite, immédiate et limitée à un plan local de pays et de secteurs isolés. C'est globalement, à l'échelle mondiale, qu'apparaissent clairement les fondements de la réalité et des déterminations ultimes de son évolution. Vu ainsi, le mouvement des étudiants qui luttent dans toutes les villes du monde, apparaît dans sa signification profonde et sa limite. Si les combats des étudiants, en mai, pouvaient servir comme détonateur du vaste mouvement des occupations des usines, c'est parce que, avec toute leur spécificité propre, ils n'étaient que les signes avant-coureurs d'une situation s'aggravant au coeur de la société, c'est-à-dire dans la production et les rapports de production.
Mai 1968 apparaît dans toute sa signification pour avoir été une des premières et une des plus importantes réactions de la masse des travailleurs contre une situation économique mondiale allant en se détériorant.
C'est par conséquent une erreur de dire comme l'auteur du livre que : « L'éruption révolutionnaire n'est pas venue d'une crise économique, mais elle a tout au contraire CONTRIBUE A CREER UNE SITUATION DE CRISE DANS L'ECONOMIE» et « cette économie une fois perturbée par les forces négatives de son dépassement historique doit FONCTIONNER MOINS BIEN » (p. 209).
Ici décidément, les choses marchent sur la tête : les crises économiques ne sont pas le produit nécessaire des contradictions inhérentes au système capitaliste de production, comme nous l'enseigne Marx, mais au contraire, ce sont seulement les ouvriers par leurs luttes qui produisent ces crises dans une économie qui « FONCTIONNE BIEN ». C'est ce que ne cessent de nous répéter de tous temps, le patronat et les apologistes du capitalisme ; c'est ce que De Gaulle reprendra en novembre, expliquant la crise du franc par la faute des enragés de mai. ([2] [65])
C'est en somme la substitution de l'économie politique de la bourgeoisie à la théorie économique du marxisme. Il n'est pas surprenant qu'avec une telle vision, l'auteur explique tout cet immense mouvement qu'était Mai comme l'oeuvre d'une minorité bien décidée et en l'exaltant : «L'agitation déclenchée en Janvier 1968 à Nanterre par quatre ou cinq révolutionnaires qui allaient constituer le groupe des enragés, devait entraîner, sous cinq mois, une quasi liquidation de l'Etat». Et plus loin «jamais une agitation entreprise par un si petit nombre n'a entraîné en si peu de temps de telles conséquences ».
Là où pour les situationnistes le problème de la révolution se pose en termes « d'entraîner», ne serait-ce que par des actions exemplaires, il se pose pour nous en termes d'un mouvement spontané des masses du prolétariat, amenées forcément à se soulever contre un système économique en désarroi et en déclin, qui ne leur offre plus désormais que la misère croissante et la destruction, en plus de l'exploitation.
C'est sur cette base de granit que nous fondons la perspective révolutionnaire de classe et notre conviction de sa réalisation.
MC[1] [66] L'IS était un groupe qui eut une influence certaine en Mai 68, en particulier dans les secteurs les plus radicaux du milieu étudiant. Il trouvait ses sources d'une part dans le mouvement « lettriste » qui, dans la continuité de la tradition des surréalistes, voulait faire une critique révolutionnaire de l'art, et d'autre part dans la mouvance de la Revue Socialisme ou Barbarie fondée par l'ex-trotskiste grec Castoriadis au début des années 50 en France. L'IS se réclamait ainsi de Marx mais pas du marxisme. Elle reprenait certaines des positions les plus avancées du mouvement ouvrier révolutionnaire, en particulier de la Gauche communiste germano-hollandaise, (nature capitaliste de l'URSS, rejet des formes syndicales et parlementaires, nécessité de la dictature du prolétariat par la voie des conseils ouvriers) mais les présentait comme ses propres découvertes, enrobées dans son analyse du phénomène du totalitarisme : la théorie de «la société du spectacle». L'IS incarnait certainement un des points les plus élevés que pouvaient atteindre des secteurs de la petite bourgeoisie estudiantine radicalisée : le rejet de leur condition («Fin de l’université ») pour tenter de s'intégrer dans le mouvement révolutionnaire du prolétariat. Mais leur adhésion restait imbibée des caractéristiques de leur milieu d'origine, en particulier par leur vision idéologique de l'histoire, incapables de comprendre l'importance de l'économie et donc la réalité de la lutte de classes. La revue de l'IS disparut peu de temps après 1968 et le groupe finit dans les convulsion d'une série d'exclusions réciproques.
[2] [67] Pour ceux qui voudraient voir dans la crise du franc en novembre, un simple fait de spéculation de « mauvais français », nous soumettons ces lignes de Marx extraites de « Revue de Mai à Octobre 1850 » : « La crise elle-même éclate d'abord dans le domaine de la spéculation, et ce n'est que plus tard qu'elle s'installe dans la production. A l'observation superficielle, ce n'est pas la surproduction, mais la sur spéculation - pourtant simple symptôme de la surproduction - qui paraît être la cause de la crise. La désorganisation ultérieure de la production n'apparaît pas comme un résultat nécessaire de sa propre exubérance antérieure, mais comme une simple réaction de la spéculation en train de s'effondrer » (Publié par M.Rubel dans Etudes de Marxologie, n° 7, août 1963).
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[68] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france
[69] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/mai-1968
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