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Revue Internationale no 4 - 1e trimestre 1976

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Revue "Bilan" : leçons d’Espagne 1936 (1ere partie).

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Extraits de Bilan  nos 2 – 12 – 13 – 14 – 33 (1933 à 1936)
 

Présentation 

Depuis longtemps nous caressions le projet de faire connaître ce, que fut "Bilan", organe de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste, publié durant la période peut être la plus noire de l'histoire du mouvement ouvrier,  cette période qui va du triomphe d'Hitler en Allemagne à la deuxième guerre impérialiste mondiale. Mais toute la force de notre désir et de notre volonté ne suffisait cependant pas pour venir à bout des difficultés rencontrées, difficultés qui pour nos faibles forces numériques et nos moyens très limités  se présentaient comme insurmontables.

"Bilan", petite revue des années 30 totalement inconnue du public et à peine moins des militants d'extrême gauche, n'ayant pas derrière elle des noms prestigieux comme Pannekoek Trotsky, Rosa Luxembourg, n'était pas commercial et n'intéressait pas les grandes maisons d'édition ni davantage les Editions dites de Gauche. Elle ne pouvait guère plus intéresser le mouvement étudiant des années 60 plongé dans la contestation et l'anti autoritarisme,  se nourrissant de Marcuse,  découvrant la révolution sexuelle avec Reich, prenant comme idoles Castro et Che Guevara,  se vautrant dans un racisme anti-racisme noir pourri de mystifications, de "Libération nationale", de tiers-mondisme et de soutien de la guerre "libératrice" du Viêt-Nam. Et en effet, que pouvaient ces SDS d'Allemagne, des Etats-Unis et d'ailleurs, eux qui n'avaient qu'un léger mépris pour la classé ouvrière, totalement intégrée dans le capitalisme à les entendre,  que pouvaient-ils chercher et trouver dans "Bilan" sinon des "vieilleries marxistes" comme la notion de lutte de classes et du Prolétariat sujet his­torique de la Révolution Communiste. La barbe du "Che" et le sexe de Reich sont choses autrement plus attrayantes pour ces enfants révoltés de la petite-bourgeoisie en décomposition, que la prosaïque lutte de classe des ouvriers et les écrits de "Bilan" qui étaient entièrement consacrés à cela.

Plus étonnant et moins compréhensible à première vue pourrait être le silence complet du P.C.I.  (bordiguiste)  au sujet de "Bilan".  Si  "Bilan" et la fraction italienne d'avant la guerre de 1940 se réclamaient de la Gauche Communiste Italienne dont ils étaient la continuation,  il ne semble pas que le Parti Communiste Internationaliste (Bordiguiste) fondé en Italie après la guerre, veuille se souvenir de ce que fut la gauche italienne en exil après son exclusion du Parti et de l'IC.  Il est aussi fier de cette fraction de gau­che dans l'émigration, que l'on peut l'être d'un bâtard dans une bonne famille bourgeoise. On préfère en parler le moins possible. Pendant les 30 années d'existence de ce parti et malgré les nombreuses publications régulières,  le nombre d'articles republiés de "Bilan" peut se compter sur les doigts d'un manchot.  Pourquoi cela et pourquoi ce silence gêné ? Il suffit de feuilleter un tant soit peu "Bilan" pour en saisir immédiatement la raison, qui réside dans la différence d'esprit qui sépare l'un de l'autre.

Autant les "balbutiements"  (comme disait "Bilan" de lui-même)  de l'un se veulent et sont un examen critique des positions erronées et des analyses incomplètes ou incorrectes de la IIIème Internationale,  critique vivante faite à la dure lumière de l'expérience et des défaites de Prolétariat et constituent ainsi une contribution importante à la compré­hension au dépassement et à l'enrichissement de la pensée communiste,  autant l'oeuvre "achevée et invariable" du P.C.I. se veut être la "conservation". En vérité,  elle se trou­ve engagée dans la voie d'un retour pur et simple aux pires erreurs de la IIIème Interna­tionale   (telles les questions syndicale-parlementaire-libération nationale-dictature du prolétariat identifiée à la dictature du Parti-etc..)  que le P.C.I. revendique intégralement en poussant l'exagération jusqu'à l'absurde.

Là où l'un s’efforçait d'aller de l'avant,  l'autre marche résolument en arrière. Loin de diminuer l’écart ne fait que s'accentuer avec les années. C'est uniquement là que réside la raison de la mauvaise volonté du P.C.I. pour ce qui concerne la réédition des écris de "Bilan". Mais rien ne sert de se désespérer. Nous sommes convaincus qu'avec le développement de la lutte de classe et l'activité révolution­naire "Bilan" retrouvera sa place méritée dans le mouvement  et auprès des militants désireux de mieux connaître l'histoire et le cheminement    de l'élaboration de la   pen­sée révolutionnaire. Le peu que nous avons publié de "Bilan" nous à valu un nombre important de lettres de nos lecteurs insistant sur l'intérêt certain d'en publier da­vantage»

Pour répondre à cette demande, en attendant qu'une édition complète de "Bilan" puisse voir le jour, la Revue Internationale entreprend dès maintenant la publication d’un plus grand nombre d'articles et extraits de cette revue. Dans la mesure du possible, nous tacherons de grouper les articles par sujet afin de donner aux lecteurs l’idée la plus complète de l'orientation;  la recherche et les positions politiques pour lesquelles combattaient la Gauche Communiste et la revue "Bilan".

La revue "Bilan",  ce sont 46 numéros: parus (1478 pages). Le premier numéro est de novembre1933, le dernier de janvier 1938. Commencée comme "Bulletin théorique de la Fraction de gauche du Parti communiste d'Italie", elle arrête sa publication pour être remplacée par la revue « Octobre », organe du Bureau International des Fractions de gauche. Exclue du PC et de l’IC au Congrès de Lyon en 1926 la Fraction de gauche s e reconstituera au début de 1929 et publiera le journal "Prometeo" en langue italienne et un bulletin d’information en français qui bien plus que d'information se­ra une publication théorique.,   .

Etroitement mêlée au mouvement Communiste International, la Fraction dans l'émigration prendra une part active dans ce mouvement surtout en France et en Belgique, participera de toutes ses forces à la lutte contre 1a dégénérescence et les trahisons de la III° Internationale et de ses partis définitivement dominés par le stalinisme. A ce titre, elle sera en liaison étroite avec tous les courants et groupes de gauche éjectés tour à tour dé ce que fut 1!Internationale Communiste, se débattant dans un terrible désarroi et dans une immense confusion produite par 1’ampleur de la défaite de la première grande vague révolutionnaire et la démoralisation qui en suivie.

Une tentative de rapprochement avec l’opposition de gauche; de Trotski devait tourner court, montrant la nature    d'orientations fondamentalement divergences qui  séparaient ces deux courant. Là ou le trotskisme se concevait; comme une simple opposition luttant pour le "redressement" et donc toujours prêt à réintégrer le PC en renonçant à l'existence organique autonome, la gauche Italienne voyait une différence de principe programmatique "qui ne pouvait se résoudre que par la constitution, d'organismes communistes indépendants : les Fractions luttant pour la destruction totale du courant con­tre révolutionnaire stalinien.

 

La discussion sur l'analyse de la situation en Allemagne,  sa perspective et la po­sition à prendre par les révolutionnaires devaient définitivement rendre incompatible tout travail en commun. Face à la menace de la montée du fascisme hitlérien,  Trotski préconisait un large "Front unique" ouvrier entre le P.C. stalinien et la social-démocratie, C’est dans ce front unique entre les contre révolutionnaire d'hier et les contre-révolutionnaire d'aujourd'hui que Trotski voyait la force capable de bar­rer la route au fascisme,   effaçant ainsi le problème fondamental de la nature de classe des forces en présence et le fait que la lutte contre le fascisme n'a aucun sens pour le prolétariat,  séparée de la lutte générale de classe contre la bourgeoisie , et le système capitaliste.

Jonglant  avec des images "brillantes", Trotski disait que le Front Unique pouvait se faire même "avec le diable et sa grand-mère", démontrant non moins brillement qu'il per­dait jusqu'à la notion même de terrain de classe de la lutte du prolétariat. Lancé dans sa virtuosité verbale,  Trotski, "sous le nom de Grouroy, allait jusqu'à soutenir que la "Révolution Communiste peut bien triompher même sous la direction de Thaelman"   (sic). Désormais, il devenait évident que le chemin emprunté par Trotski devait le mener d'a­bandon en abandon des positions communistes directement vers la participation à la 2éme guerre impérialiste,  au nom bien entendu de "la défense de l'URSS".

Diamétralement opposé devait être le chemin de la Fraction de gauche italienne. Le désastre qu'était pour le prolétariat le triomphe du fascisme rendu possible et inévi­table par les catastrophiques défaites successives du prolétariat que lui ont infligé et fait subir la Social-démocratie d'abord et le stalinisme ensuite ouvrait largement la voie à la solution capitaliste à la crise historique de son système : une nouvelle guer­re-impérialiste mondiale. Cette perspective, les révolutionnaires ne pouvaient la contrarier qu'en s'efforçant de regrouper le prolétariat sur son terrain de classe,  en se main­tenant eux-mêmes fermement sur les principes programmatiques du Communisme. Pour cela,  il était de première urgence de réaliser la principale tâche consistant à soumettre à un exa­men critique minutieux toute l'expérience de la récente période écoulée débutant avec la grande vague révolutionnaire qui  avait interrompu la première guerre mondiale et ouvert d’immenses espoirs à la classe ouvrière pour son émancipation définitive. Comprendre les raisons de la défaite, étudier les causes, faire le bilan des acquis et des erreurs, tirer les leçons et sur ces bases élaborer les nouvelles positions programmatiques politiques, était indispensable pour permettre à la classe de repartir mieux armée demain et donc plus capable d’affronter sa tâche historique de la Révolution Communiste.  C'est cette formida­ble tâche que se proposait d'entreprendre "Bilan" — comme son nom l'indique — et c'est pour se joindre à lui pour l'accomplissement de cette tâche que Bilan invitait toutes les forces communistes qui avaient  survécu à la débâcle de la contre-révolution.

Peu de groupes ont répondu à cet appel, mais aussi peu de groupes ont réussi à résis­ter à ce terrible rouleau compresseur qu'était cette période de réaction et de préparation à la IIéme guerre mondiale. Ces groupes allaient s'amenuisant d'année en année.  Toutefois, "Bilan", maintenu par le dévouement de quelques dizaines de membres et de sympathisants, avait toujours,  dans le cadre strict des frontières de classe, ses colonnes ouvertes à des pensées divergentes dès siennes.  Rien ne lui était plus étranger que l'esprit de secte ou la recherche d'un succès immédiat de chapelle et c'est pour cela qu'on trouve souvent dans "Bilan" des articles de discussion et de recherche émanant de camarades de la Gauche Alle­mande, Hollandaise,   et de la Ligue des Communistes de Belgique. "Bilan" n'avait pas la prétention stupide d'avoir apporté une réponse définitive à tous les problèmes de la révolu­tion.  Il avait conscience de balbutier souvent,  il savait que les réponses "définitives" ne peuvent  être que le résultat de l'expérience vivante de la lutte de classe de la confron­tation et la discussion au sein même du mouvement. Sur bien des questions,  la réponse don­née par "Bilan" restait insatisfaisante, mais personne ne, saurait mettre en doute le sé­rieux, la sincérité. la profondeur de son effort et par dessus tout la validité de sa dé­marche,  la justesse, de son orientation et la fermeté de ses, principes, révolutionnaires. Il ne s’agit pas seulement de rendre hommage à ce petit groupe qui a su maintenir ferme le drapeau de la révolution dans la bourrasque contre-révolutionnaire, mais encore d'assimi­ler ce qu'il nous a légué, en faisant notre son enseignement et son exemple,   et de poursui­vre cet effort  avec une continuité qui n'est pas une stagnation mais un dépassement.

 

Ce n'est pas par hasard que nous avons choisi pour cette première publication une sé­rie d'articles se rapportant aux événements l’Espagne. Plus qu'une analyse de la situation proprement espagnole, l'examen de ces événements avait une portée générale et constituait la clé pour la compréhension de l'évolution de la situation mondiale des forces de classe en présence, des différentes formations politiques en leur sein et leurs forces effectives, leurs orientations et options politiques et par dessus tout offrait une vision crue de 1'immensité de   la tragédie dans laquelle était projeté le prolétariat international et le prolétariat   espagnol  en premier lieu.

L'Espagne est de nouveau,  aujourd'hui le centre de la situation internationale immé­diate. S’il est absolument juste et nécessaire de mettre bien en évidence la différence qui sépare les événements d'Espagne des années 30 (lesquels s'inscrivaient dans la suite d'une longue série de défaites du prolétariat tendant inexorablement à l'intégration du prolétariat dans la guerre impérialiste) de la période actuelle de reprise de la lutte et de montée de la combativité ouvrière,  il n'est pas moins important de souligner ce qu'il y a de commun entre les deux situations. Ce "commun" consiste dans le rôle décisif que l'Espagne est appelée à jouer dans l'évolution de la lutte de classe du prolétariat mon­dial. Par un concours historique particulier,  l'Espagne se trouve, pour la seconde fois, être à là charnière de deux périodes. En 1936 — dernier soubresaut d'un prolétariat dont le massacre marquera le point culminant de la longue chaîne de défaites du prolétariat international et ouvrira toute grande la voie à la guerre mondiale. Aujourd'hui — ouvrant la perspective de grandes convulsions sociales dans les autres pays de l'Europe. L'Espagne se trouve donc à nouveau être une plaque tournante de la situation, un point de départ,  et se­ra probablement aussi décisive aujourd'hui pour là période à venir qu'elle le fut dans les années 30. Banc dressai, l'Espagne va servir de test de la plus haute signification. Le ca­pitalisme mondial,  et en premier lieu les neuf de l'Europe, fera peser de tout son poids son intervention dans la situation en appuyant à fond les forces de l'ordre "démocratique", seules forces aptes à faire barrage à l'irruption de la classe ouvrière. Dans cette straté­gie de classe, le capitalisme fera avancer son aile gauche à la tête de laquelle se place­ront les différentes forces politiques agissant dans la classe ouvrière PC - PS et autres gauchistes. Déjà les batteries de la gauche sont mises en placé et les préparatifs fiévreusement organisés.

Le prolétariat trouvera de nouveau face à lui, dans les semaines à venir en Espagne,  les mêmes forces qui en 36 ont magistralement réussi à le dévoyer d'abord, et à le saigner à blanc ensuite. Ces forces utiliseront à fond leur expérience acquise des événements de 36 comme ar­me contre le prolétariat,  arme qu'ils n'ont fait que perfectionner depuis. Leur plus grande tromperie consiste à prêcher hypocritement aux ouvriers,  au nom de la "réconciliation natio­nale", d'"oublier le passé".  C'est à dire oublier les leçons de la sanglante expérience faite par les ouvriers.

L'histoire de la lutte de classe ouvrière est jalonnée de défaites. Parce qu'inévitables, ces défaites sont la douloureuse école par laquelle le prolétariat passe obligatoirement. Dans un certain sens et jusqu'à un certain point,   elles sont la condition de la victoire fi­nale. À travers elles,  la classe prend conscience d'elle-même,  de son but, de la voie qui y mène. Le prolétariat apprend ainsi à corriger ses erreurs, à reconnaître les faux prophètes, à éviter les impasses, à mieux s'organiser et mesurer plus exactement les rapports de forces à un moment donné. Classe dépourvue d'autres pouvoirs dans la société,  son expérience est 1' atout majeur de son pouvoir et cette expérience est constituée en grande partie des leçons assimilées de ses défaites.

"Bilan" constatait amèrement l'état d'isolement auquel il était réduit chaque jour davan­tage, et qu'il considérait à juste titre comme une des manifestations de la tragique défaite du prolétariat,  alors que l'hystérie guerrière gangrenait de plus en plus le corps et le cer­veau des ouvriers. Comme tous les grands événements décisifs, la guerre d'Espagne ne laissait pas de place à des attitudes floues. Le choix était tranché et franc : avec le capitalisme dans la guerre ou avec le prolétariat contre la guerre. L'isolement auquel était condamné "Bilan" était alors le prix inévitable de sa fidélité aux principes du communisme et c'était aussi son mérite et son honneur,  alors que tant de groupes communistes de gauche se sont laissé happer dans l'engrenage de l'ennemi de classe.

A l'encontre de "Bilan", nous avons aujourd'hui la ferme conviction qu'en reprenant les mêmes positions de classe, nous n'aurons pas à aller à "contre-courant", mais à nous trouver dans le flot de la nouvelle vague de la Révolution Communiste et de pouvoir contribuer à sa montée.

M. C.

 

I- Massacre des travailleurs en Espagne

Présentation

Dès les premiers mois de son existence la République en Espagne montrera qu'en fait de massacre des ouvriers elle n'avait rien à envier aux régimes fascistes. La seule différence est probablement que là où le fascisme massacre les ouvriers clairement en tant qu'ouvriers et révolutionnaires, la "démocratie" les massacre en ajoutant en plus l'infamie de les accuser d'être des "provocateurs", agents de la "réaction", de la monarchie ou du fascisme. Dès le début "Bilan" mettra ce fait en évidence contrairement à tous "ceux qui s'emploieront à entraîner les ouvriers dans la "défense de la République".

Extraits (Bilan n°2 Décembre 1933).

Combien seront-ils ? Impossible de connaître un chiffre : même approximatif du nombre des victimes tombées dans l’orgie de sang, digne cérémonie pour l’ouverture des Cortès de la "République des travailleurs d'Espagne" : Droite agraire et monarchiste,, droite républicaine, gauche radicale, parti socialiste, gauche catalane dans un front unique admirable, manifestent leur satisfaction de cette victoire de "l'ordre". La clas­se ouvrière espagnole ayant abandonné les mauvais pasteurs - que seraient "en l'occurrence, les anarchistes de la fédé­ration Anarchiste Ibérique- de Macia, "le libérateur de la Catalogne" à Maura, de Lerroux à Prieto rendent l'hommage
voulu et opportun à la "sagesse des tra­vailleurs espagnols". Bien sûr, il ne s'agit pas d'un mouvement ouvrier étouf­fé par les mitrailleuses et les canons, mais tout simplement, ah! Combien sim­plement, d'une sorte d'épuration faite par la bourgeoisie dans l'intérêt des travailleurs. Une fois l'ulcère extirpé, la sagesse, la sagesse innée, revien­drait et les travailleurs s'empresserai­ent de remercier les bourreaux qui les auraient délivrés des mesures anarchistes..

Ah! qu'on l'établisse, mais qu'on1'établisse sans tarder le bilan des vic­times qu'a à son actif la République des Azana-Caballero, aussi bien que celle des nouvelles Cortès, et bien mieux que mille controverses théoriques, on parviendra à établir la signification , de la "République" et de la soi-disant révolu­tion démocratique de 1931.Ce bilan pâli­ra devant 1'oeuvre de la monarchie et fi­nira par montrer au prolétariat qu'il n' y a, pour lui, aucune forme d'organisation bourgeoise qu'il puisse défendre. Qu’il n'y a pas de "moindre mal" pour lui, et tant que l'heure n'est pas venue pour livrer sa bataille insurrectionnelle, il comprendrait qu'il ne peut défendre que les positions de classe qu'il a conquises et qu'on ne peut confondre avec les for­mes d'organisation et de gouvernement de l'ennemi, fussent-elles les plus démocra­tiques. Les travailleurs espagnols vien­nent encore une fois d'en faire l'expé­rience, comme le prolétariat des pays du "paradis démocratique" ou du fascisme.

"Mouvement anarchiste! " C'est ainsi qu'est caractérisé ce soulèvement étouffé dans le sang. Et évidemment, les for­mation de la gauche bourgeoise, les so­cialistes aussi bien que le libéral Macia, diront que parmi ces "meneurs" anarchis­tes, se trouvaient les "provocateurs" de la monarchie : ainsi 1eur "conscience"  républicaine trouvera une nouvelle sérénité et leur âme restera sans tâche. Mais le prolétariat reconnaît les siens et il sait que ce ne sont pas des provocateurs que la gendarmerie a étendu sur le sol, mais ses fils les plus valeureux qui s'étaient ré­voltés contre l'oppression du capitalisme républicain.

II- L’écrasement du prolétariat espagnol.         

Présentation

Devant les massacres  toujours plus massifs que perpétue la République au nom de la "défense de la Démocratie", Bilan pose en termes extrêmement clairs la question de la signification des régimes dits démocratiques. La Démocratie est-elle une étape sur la voie vers le développement de 1a révolution, comme le prétendent la gauche et les gauchistes  qui  appelait les ouvriers à la soutenir et la défendre, ou bien n'est-elle que l'arme momentanément la plus appropriée du capitalisme pour dévoyer le prolétariat afin de mieux l’écraser ? Les 2 millions de morts  et les 40 années du Franquisme ont apporté une réponse tragique mais définitive à cette question  confirmant pleinement le cri d'alarme et la mise en garde de Bilan dès avant les événements de 1936.

Extraits (Bilan n° 12 Novembre 1-934)

Deux critères existent pour la compréhension des événements : deux plates-formes opposées sur lesquelles s1effectue la concentration de la classe ouvrière.  C'est ainsi seulement que nous pourrons  analyser les dernières hécatombes où ont péri des milliers de prolétaires de la péninsule ibérique, fusillés, mitraillés, bombardés par la "République des  travailleurs espagnols". Ou bien la République, les libertés démocratiques, ne sont qu'un puissant diversif que l'ennemi soulève quand il lui est impossible d'employer la violence et la terreur pour écraser le prolétariat.  Ou bien, la République et les libertés démocratiques représentent un moindre mal et même une condition favorable à la marche victorieuse du prolétariat qui aurait pour devoir de les appuyer en vue de favoriser son attaque ultérieure pour sa délivrance des chaînes du capitalisme.

Le terrible carnage de ces derniers jours en Espagne devrait exclure la petite combine du "dosage"  suivant laquelle la République est bien une "conquête ouvrière" à défendre,  mais sous "certaines conditions"  et surtout dans la "mesure" où "elle n'est pas ce qu'elle est", ou la condition qu'elle  "devienne" ce qu'elle ne peut pas devenir,   ou en­fin, "si" loin d'avoir la signification et les objectifs qu'elle a,  elle se dispose à devenir l'organe de domination de la classe des travailleurs. Ce petit jeu devient également très diffi­cile pour ce qui concerne les situations ayant précédé 1a guerre civile en Espa­gne où le capitalisme a donné la mesure de sa force contre  le prolétariat. En effet, depuis sa fondation, en Avril 31 et jusqu'en décembre 1931, la "marche à gauche" de la République Espagnole, la formation du gouvernement Azana-Caballero-Lerroux, son amputation en dé­cembre 1931  de l'aile droite représen­tée par Lerroux,   ne détermine nullement des conditions favorables à l'avance­ment des positions de classe du proléta­riat ou à la formation des organismes capables, d'en diriger la lutte révolutionnaire. Et il ne s'agit nullement de voir ici ce que le gouvernement républicain et radical-socialiste    aurait dû faire pour le salut de la révo­lution communiste,  mais il s’agit de rechercher si oui ou non,  cette conversion à gauche ou à l'extrême gauche du capitalisme, ce concert unanime qui  allait des socialistes jusqu'aux syndica­listes pour la défense de la République, a crée les conditions du développement des conquêtes ouvrières et de la marche révolutionnaire du prolétariat ? Ou bien encore, si cette conversion à gauche n’était pas dictée par la nécessité, pour le capitalisme, d'enivrer les ouvriers bouleversés par un profond élan révolutionnaire, afin qu’ils ne s'orientent pas vers la lutte révolutionnaire, car le chemin que la bourgeoisie devait em­prunter en octobre 1934 était trop ris­qué en 1931 et les ouvriers à cette époque, auraient pu vaincre à un moment où le capitalisme ne se trouvait pas dans la possibilité de recruter les ar­mées de la répression féroce ?

D'autre part, le séparatisme catalan ou basque que l'on avait considéré comme une brèche ouverte dans l'appareil de domination de l'ennemi, brèche qu'il fallait élargir jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes pour faire progresser ensuite le cours de la révolution prolé­tarienne, n'avait-il pas donné la mesu­re de sa force en érigeant une Républi­que Catalane pour quelques heures (qui s'effaça lamentablement sous les coups du même général Batlet que Companys con­viait à la défense de la Catalogne pro­clamant son indépendance). Et aux Asturies, les forces de l'armée, de la poli­ce, de l'aviation ne se sont-elles pas jetées pendant des semaines contre les mineurs et les ouvriers, privés de tout guide dans leur lutte héroïque ? Le sé­paratisme basque, qui n'avait fait qu’annoncer la tourmente qui approchait par ses protestations des derniers mois, laissera écraser les luttes des Asturies et au surplus les bataillons de la ter­reur gouvernemental seront dirigés par un séparatiste qui fera sans doute de­main un nouveau serment de fidélité à la République et aux autonomies régiona­les.

De 1930 à 1934 une cohérence d'acier établit la logique des événements.  En 1930, Berenguerest appelé par le roi ALphonse XIII qui espère pouvoir répéter la manoeuvre de 1923, lorsqu'il parvint à contenir dans le cadre de la légalité monarchique les conséquences des désas­tres marocains. En 1923 Primo de Rivera est substitué à Bérenguer considéré com­me responsable du désastre marocain, et cette modification gouvernementale per­mit d'éloigner l'attaque des masses qui devaient évidemment faire tous les frais de l'opération gouvernementale se concluant par 7 années de dictature agrarienne-cléricale. Mais en 1930, la si­tuation économique était profondément bouleversée par l'apparition de la crise et il ne suffisait plus d'avoir recours à des simples manoeuvres gouvernementa­les. En février 1931, les conditions étaient déjà mûres pour des mouvements prolétariens et la menace existait d'une grève des cheminots : alors il faut avoir recours aux grands coups de théâtre et on offre aux masses les têtes de Béren­guer et du roi. Sur l'intervention du monarchiste Guerra, et en accord avec le républicain Zamora, le départ du roi est organisé avant la sortie des ouvriers des usines. Le mouvement de dilatation vers la gauche continue jusque, fin 1931 et c'est uniquement ainsi que l'on met­tra les masses devant une difficulté extrême pour se forger l'organisme de la victoire : son parti de classe.  Il n'était pas possible de supprimer les conflits de classe, le capitalisme ne pouvait que mettre ces conflits dans de telles conditions qu'ils ne puissent aboutir qu'à la confusion sans issue. Et la République sert ce but. Au début de 1932, le gouvernement de gauche fait son premier essai et passe à l'attaque vio­lente contre la grève générale proclamée par les syndicalistes. A ce moment la concentration du capitalisme se fait au­tour de son aile gauche et le réactionnaire Maurra pourra faire plébisciter le gouvernement Azana-Caballero par les Cortes républicains.

L'élan des masses, produit des cir­constances économiques, après s'être égaré dans les chemins de la République et de la démocratie, fut brisé par la violence réactionnaire du gouvernement radical-socialiste et il en résulta une conversion opposée de la bourgeoisie vers son aile droite ; nous aurons en Août 1932 la 1° escarmouche de Sanrurjio pour la concentration des forces de la droite. Quelques mois après, en décembre 1933, c'est le carnage des ouvriers lors de la nouvelle grève décidée par les syndicats au moment où les élections fournissent l'occasion pour déplacer à droite l'ori­entation de la République Espagnole. Par conséquent octobre 1934 marque la bataille frontale pour anéantir toutes les forces et les organisations  du prolétariat espagnol.  Et,   triste et cru­el épilogue des errements syndicalistes, en présence d'un tel carnage,  nous ver­rons l'abstention de la Confédération du Travail Anarchiste qui considère ne pouvoir se mêler à des mouvements poli­tiques.

Gauche-droite,  république-monarchie, appui à la gauche et à la république con­tre la droite et la monarchie en vue de la révolution prolétarienne? Voilà les dilemmes et les positions qu'ont défendus les différents courants agissant au sein de la classe ouvrière. Mais le dilemme était autre et consistait dans 1'opposition : capitalisme-prolétariat, dictature de la bourgeoisie pour l'écra­sement du prolétariat ou dictature du Prolétariat pour l'érection d'un bastion de "la révolution mondiale en vue de la suppression des Etats et des classes.

Bien que l'économie espagnole ait pu bénéficier des avantages conquis pen­dant la guerre par sa position de neu­tralité détenue, la structure de ce ca­pitalisme offrait une résistance très faible aux contrecoups de la crise économique. Un secteur industriel trop li­mité en face d'une économie agraire très étendue et encore dominée par des forces et des formes de production non indus­trialisées. De tels fondements expliquent pourquoi les régions  industrielles sont le théâtre de mouvements séparatistes dépourvus d'issue et qui doivent  acqué­rir me signification réactionnaire du fait que la classe au pouvoir est quand même le capitalisme étendant sur tout le territoire l'emprise des organismes bancaires où se concentrent — autour des grands magnats — les produits de la plus value des prolétaires et du sur-travail des paysans.  Une telle base économique laisse entrevoir la perspective qui s'ouvre devant la classe ouvrière espagno­le qui se trouve dans des conditions  analogues à celles connues par les ouvri­ers russes : en face d'une classe qui ne peut établir sa domination que par une dictature de fer et de sang,   et il ne pourra battre cette domination féroce que par le triomphe de son insurrection.

Et la tragédie espagnole,   tout comme celle d'Autriche se déroulera dans l'i­nattention du prolétariat mondial immo­bilisé par l’action contre-révolutionnai­re des centristes et des socialistes. Une simple offre de la part de l'IC qui sera même refusée par l'Internationale social-démocrate prétextant que le moment favorable était déjà passé. Comme si après la victoire de Hitler, quand le mo­ment favorable était aussi passé, l'In­ternationale social-démocrate n'adressait pas des propositions d'action commune à l'IC! Mais la pourriture et la corrup­tion des organismes  qui osent encore se proclamer ouvriers sont telles  que sur les cimetières des prolétaires, les  trai­tes d'hier et de demain ne feront qu'es­quisser une manoeuvre leur permettant de continuer leurs entreprises de trahison, jusqu'au jour où les ouvriers parvien­dront à balayer,   avec la classe qui les opprime, toutes les forces  qui les  tra­hissent. Les milliers d'ouvriers espagnols ne sont pas morts en vain, car du sang dont s'est mouillée la République espa­gnole germera la lutte pour la révolution communiste, abattant toutes les diver­sions que l'ennemi ne cessera d'opposer à là marche, libératrice de la classe ouvrière.

 

III - Appel à la solidarité ouvrière internationale.

Présentation

Dans sa férocité sanguinaire, la République ne se contentait pas de massacres en bloc, il lui fallait encore des assassinats exemplaires individuels pour 1"exem­ple". Le vibrant appel à la solidarité internationale de classé lancé par la faible voix de Bilan fut facilement étouffée par les vacarmes de ceux qui allaient décou­vrir les "vertus" de la République et de la Démocratie pour la défense desquelles on allait faire massacrer par millions les ouvriers dans la guerre "anti-fasciste".

Faut-il signaler que pour sauver les ouvriers qui allaient être fusillés un à un par la République, il ne se trouvait ni gouvernements démocratiques, ni partis de gauche, ni "Droit de l’Homme", ni Pape, pour protester. Il est vrai que Bilan n'a­vait pas songé à faire appel à eux et à leurs sentiments humanitaires,

 

Extraits (Bilan n°13 Décembre 1934)

Le canon s!est tu en Espagne. Des milliers de prolétaires ont été massacrés impitoyablement : voilà le bilan que la bourgeoisie peut étaler à côté des mas­sacres de février en Autriche, des déca­pitations en Allemagne.

Le prolétariat mondial gît écartelés sur le sol et son sang généreux est sou­illé par les bottes des satrapes de la bourgeoisie qui viennent d'imposer l'or­dre à coups d'obus. De l'est à ouest rè­gne la terreur bestiale des classes dominantes qui font rouler des têtes, fu­siller pour étrangler la lutte révolu­tionnaire des ouvriers.

C'est d'abord aux lutteurs des Asturies que nous voulons rendre hommage. Ils ont combattu jusqu'à la mort, sacri­fié femmes, enfants pour leur classe, pour la révolution, mais sans guide, ils ont succombé. Comme ils comprendront les mineurs d'Oviedo, ce que signifie cons­truire pacifiquement le socialisme en Russie, eux qui se sont vus déchirés par les bombes, déchiquetés par les baïon­nettes des légions marocaines. Le 17ème anniversaire de l’U.R.S.S. est pour ces ouvriers, un "de profondis" ; car en pleu­rant ses  morts, le prolétariat espagnol sentira aussi qu'il ne peut compter que sur sa lutte, celle du prolétariat mon­dial, dont la Russie s'est détachée.

Après son orgie de sang dans les Asturies, la bourgeoisie a voulu faire as­sassiner par ses Cours militaires des ouvriers révoltés afin de symboliser le des­tin de ceux qui oseraient à nouveau pren­dre les armes pour leur émancipation,,

Le 7 novembre ; José Laredo Corrales et Guerra Pardo ont donc été fusillés pour l'exemple ; l'un à Gijen l'autre à Leon. D'autres suivront si la solidarité internationale des prolétaires ne se ma­nifeste vigoureusement»

 

IV – Quand manque un Parti de classe… A propos des événements d’Espagne.

Présentation

Petite histoire de l'Espagne et du "noble" rôle joué par les socialistes de droite et de gauche, de Prieto à Largo Caballero. Une leçon parmi tant d'autres que les ouvriers ne devraient jamais oublier,

Extraits (Bilan n°  14 Janvier  1935)

Après la guerre,  favorisée par 1’essor économique qui se manifesta dans tous les pays,  y compris l'Espagne res­tée neutre,  la social-démocratie n’en soutint pas moins directement - pour collaborer par après - la dictature de Primo de Rivera.  A la chute de ce der­nier, comme elle était l'unique orga­nisation organisée nationalement  (les formes républicaines de l'ancienne ou de la dernière couvée existaient loca­lement), elle gagna une influence su­périeure à sa puissance réelle : 114 députés aux élections à la Constituan­te. Ce fait lui permit d'ailleurs de se poser en agent central nécessaire pour sauver l'ordre capitaliste dans les moments dangereux et de consolider, par après, l'ordre d'où la contre-of­fensive put se jeter sur le prolétariat.

Pendant la dictature de Primo de Rivera établie en 1923, et sous le gou­vernement de transition Bérenguer qui lui succéda en janvier 1930, s'opéra un morcellement des deux partis 'histo­riques" de la bourgeoisie,  ouvrant 1'ère des partis se réclamant des classes moyennes : différents groupements ré­publicains ne se distinguant pas  très clairement les uns des autres et se situant aux côtés du parti radical de Lerroux et du parti radical-socialiste créé par la gauche du parti radical.

Ce qui caractérise cette période, c’est entre autres le pacte de San Sé­bastian d'août  1930,  conclu entre les différents partis catalans  et les par­tis anti-monarchistes  (socialistes,  ra­dicaux-socialistes,  radicaux,  droite républicaine) et qui devaient régler l'épineuse question de l'autonomie de la Catalogne et des provinces basques   ; c'est la tentative prématurée de décem­bre 1930 avec le soulèvement de la garnison de Jaca et la proclamation de la République à Madrid.

Le capitalisme possède une souplesse remarquable qui lui permet de s'adapter aux situations les plus difficiles ;  les bourgeois espagnols,  d'abord monarchistes, comprirent bientôt qu'il était plus utile momentanément d'abandonner pacifiquement le pouvoir aux  "mains  amies" des socia­listes et des républicains plutôt que de risquer une résistance pouvant mettre un danger leurs intérêts de classe.  D'ailleurs toutes  les divergences politiques  qui se firent jour dans les formations républi­caines se rattachèrent à la consolidation de son pouvoir.

Par là même,  du jour au lendemain, de monarchiste elle devint républicaine et lorsque les élections municipales du 12 avril 1931donnèrent aux partis d'opposi­tion anti-monarchistes une majorité — ils gagnèrent 46 sur 50 chefs-lieux de provin­ce — il se vérifia un changement pacifique du décor politique et l'abdication d'Alfonso XIII  eut lieu. A sa place succéda un gouvernement provisoire comprenant les signataires républicains et socialistes du manifeste de décembre  1930.

Dans le premier gouvernement de coali­tion,  les  socialistes  occupèrent le minis­tère du Travail,  de la Justice et des Fi­nances — ces deux derniers  après échange avec ceux de l'Instruction et des Travaux Publics.

En trente mois de coalition gouverne­mentale,   les socialistes  avalisèrent et couvrirent tous  les crimes  et forfaitures de la bourgeoisie  "libérale",   la répres­sion des mouvements d'ouvriers  et de pay­sans dont les massacres d'Arnedo et Casas Viejas,   la loi de Défense de la République la loi sur l'Ordre Public,   la loi  réactionnaire sur les associations, la mysti­fication de la loi agraire.

La Social-Démocratie eut surtout pour fonction historique de maintenir les illusions démocratiques parmi les ouvriers, empêcher ainsi leur  radicalisation et éventuellement étouffer leur élan révoluti­onnaire.

A ce propos, il convient de remarquer que pour l'Espagne on a trop parlé de "révolution", particulièrement lorsqu'il s'agissait d'une simple manoeuvre de la bourgeoisie et exagéré les possibilités d'une "révolution prolétarienne" surtout que le manque d'un parti de classe et 1' influence négative de 1'anarco-syndica-lisme avait miné les chances de succès.

Quand la social-démocratie reçut le coup de pied de l'âne, c'est à dire quand le capitalisme se sentit assez puissant que, pour se passer de ses bons services, les socialistes qui avaient renforcés leur démagogie verbale proportionnellement à leur perte d'influence au sein du gou­vernement, enfantèrent une "gauche" qui se força de maintenir le drapeau de la trahison parmi les prolétaires. Et Largo Caballero, le ministre de Casas Vieja menaça la bourgeoisie de la dictature prolétarienne et d'un régime sovietiste.

C'est vraiment une loi d'airain que celle qui détermine la social-démocratie à concentrer le prolétariat autour des mots d'ordres démocratiques, a passer en­suite à l'opposition "gauchiste" pour préparer enfin la trahison de demain pendant que les partis de la classe moyen­ne s'intègrent dans la réaction qui passe à l'attaque. Et les événements se dérou­lent alors avec une vitesse et une logi­que implacable.

Ainsi en Espagne, au gouvernement, carteliste succède, pour procéder à de nouvelles élections, un gouvernement radical de transition, qui après les élec­tions de novembre 1933 où se vérifia la débâcle des socialistes, fit place à un gouvernement radical orienté vers la droite et dirigé par Lerroux lui-même. Mais la bourgeoisie ne se sentait pas encore en état de passer à l'offensive vio­lente et Samper remplaça Leroux. Mais dé­jà les leviers de commandes étaient en­tre les mains des partisans ouverts de la réaction.

Les faits sont connus : en réponse à la reconstitution d’un gouvernement Ler­roux où les ministères les plus importants, celui de la Justice, de l'Agricul­ture, du Travail étaient aux mains de po­pulistes catholiques (donc du parti le plus réactionnaire de la péninsule ibé­rique), les socialistes proclamèrent la grève générale pour le 5 Octobre. Il s'agissait d'une grève "légale" devant pro­voquer la chute de Lerroux et lui substi­tuer l'ancienne coalition républicaine-socialiste.

Comme en 1922 en Italie, où la grève décidée par l'Alliance du Travail devait écarter le "danger fasciste" de M.Musso­lini pour lui substituer un "gouvernement meilleur" celui de Turati-Modigliani, en Espagne la social-démocratie lutta con­tre le "danger fasciste" et pour reconsti­tuer un gouvernement de coalition répu­blicain-socialiste. Mais cette dernière phase - à laquelle il faut rattacher la comédie de la proclamation de l'Etat ca­talan- fut de courte durée et la 2° phase se détermina de la lutte du prolétariat non atteint par des déviations séparatis­tes qui auraient pu se manifester surtout en Catalogne et dans les provinces bas­ques, lutte qui se développa surtout dans le bassin houiller des Asturies où se vé­rifia la véritable unité ouvrière autour de la lutte armée pour le pouvoir.

Le gouvernement finit par concentrer contre les "Asturies rouges" toute une ar­mée, de 30 000 hommes avec des moyens de destruction ultras-modernes : aviation de bombardement, chars d'assauts, etc.; les troupes les plus sûres furent employées pour maîtriser la rébellion : la légion étrangère, cette lie de la société et les tirailleurs marocains furent employés pour mater l'insurrection. On sait aujour­d'hui que cette précaution ne fut pas vaine : à Allicante les marins eux-mê­mes donnèrent l'assaut à l'arsenal, à Oviedo, 900 soldats quoique assiégés, re­fusèrent de tirer sur les ouvriers mar­chant à l'assaut de la caserne.

D'ailleurs certaines garnisons dans la province de Léon où il y eut des combats acharnés, durent être transportées d'urgen­ce dans des régions plus tranquilles.

Mais à la fin, isolés pendant que le reste de l'Espagne ne bougeait, les héros des Asturies finirent par être écrasés non vaincus parce qu'encore aujourd'hui subsis­tent dans les montagnes,des groupes de rebelles qui continuent la lutte.

 

En Espagne : bourgeoisie contre prolétariat

Présentation

C’est avec beaucoup d'intérêt qu'on lira ce long article dans lequel Bilan ten­te une analyse serrée de l'évolution du capitalisme espagnol. Si le retard du déve­loppement du capitalisme espagnol explique bien des particularités, ce n'est cepen­dant pas à partir de ces particularités qu'il faut analyser les événements en Espa­gne, mais avant tout à partir de la période historique du Capitalisme de la crise générale du système qui sévit dans le monde entier et que ce n'est qu'ainsi qu'on peut comprendre la situation présente et les convulsions sociales qui se déroulent.

Le fond de ces événements n'est pas une révolution bourgeoise démocratique con­tre un prétendu féodalisme mais la lutte entre le Capitalisme en pleine crise et le Prolétariat. Bilan rejette catégoriquement les références que certains font abusive­ment aux écrits de Marx et Engels et devant servir à justifier un nécessaire soutien de la République démocratique par les ouvriers en Espagne.

A comparer les écrits de Bilan sur ce point avec les positions défendues par le "Prolétaire", organe du PCI, concernant les soi-disant  "révolutions démocratico-bourgeoises" dans les pays sous-développés on est frappé par l'énorme régression que représente ce dernier. Le  "Prolétaire" feint d'ignorer l'aire historique pour ne voir que des aires géographiques. C'est  ainsi  qu'il continue à parler de révolu­tion démocratico-bourgeoise dans les pays sous-développés où il distingue des classes "progressives" en lutte contre les classes réactionnaires. C'est ainsi  que le "Prolétaire" voyait la guerre entre le Sud et le Nord Viêt-Nam, de même que la lutte entre Pinochet et Allende. A ce dernier il n'avait d'autres reproches à adresser que son indécision lui donnant dans sa grande sagesse, comme exemple à sui­vre, la fermeté des Jacobins.  -

- Les arguments des  Bordiguistes concernant le Chili et autres pays sous-dévelop­pés auraient été parfaitement valables pour l'Espagne en 1936,   qui était alors autant un pays sous-développé. Voilà ce que répond par avance Bilan, à ce genre d' arguments  : "MAIS  OCTOBRE  1917 EST LA POUR NOUS  INDIQUER   QUE LA CONTINUATION DE L’OEUVRE DE MARX: NE CONSISTE PAS A REPETER, EN UNE SITUATION PROFONDEMENT DIFFERENTE LES POSITIONS  QUE NOS MAITRES DEFENDIRENT A LEUR EPOQUE EN ESPAGNE,   COMME D'AIL­LEURS DANS TOUS LES AUTRES PAYS, LES FORCES DEMOCRATIQUES  DE LA GAUCHE  BOURGEOISE ONT DEMONTRE ETRE NON UN ECHELON POUVANT CONDUIRE A L'ETAPE DE LA VICTOIRE PROLE­ TARIENNE,  MAIS LE DERNIER REMPART DE LA CONTRE-REVOLUTION".                  

L'article qui suit est écrit fin Juillet 1936 les jours mêmes du soulèvement franquiste et de la riposte ouvrière. Il manque alors encore à Bilan des informa­tions sur la tournure que prenaient  les événements. Mais il perçoit d'emblée le danger d'embrigadement des ouvriers derrière la défense de la République contre le­quel il met en garde de toutes ses forces le Prolétariat d'Espagne et des  autres pays.

Il est à souligner dans cet  article le souci manifesté par Bilan,  face aux évé­nements d'Espagne prélude de la guerre impérialiste mondiale, pour le regroupement des noyaux révolutionnaires dispersés. Si le regroupement des révolutionnaires  est ressenti comme un besoin pour résister dans une période de recul, il est une néces­sité impérieuse dans une période de montée de la lutte. Il est absolument nécessai­re d'insister sur ce point à 1'encontre de bien des groupes qui faute de l'avoir compris préfèrent le maintien de leur isolement au nom de "leur" autonomie de "leur" liberté de mouvement.

 

Extraits (Bilan N°33, Juillet-Août 1936)

La structure du capitalisme espagnol

La structure économique de la soci­été espagnole surtout avant l'avènement de la République en avril 1931, par ses caractères extrêmement retardataires pourrait donner l'impression que la bour­geoisie n'y a pas encore conquis le pou­voir et que, dès lors, nous pourrions assister à la répétition du schéma des révolutions bourgeoises du siècle passé. Toutefois, avec cette variante d'une im­portance fondamentale pour les perspec­tives ultérieures que -à la suite de la nouvelle situation historique où le capitalisme n'a plus un rôle progressif mais est entré dans la phase de son dé­clin- le prolétariat pourrait écarter le capitalisme, substituer au triomphe de ce dernier l'avènement de la dictatu­re de la classe ouvrière. Pourtant, il n’en est nullement ainsi, car l'Espagne appartient aux pays bourgeois les plus vieux et si nous n'avons pas assisté à un schéma analogue à celui qui conduisit le capitalisme au pouvoir dans les au­tres pays, cela dépendit uniquement des conditions exceptionnelles favorables dans lesquelles put s'affirmer et éclore la bourgeoisie espagnole. Possédant un immense empire colonial, ce capita­lisme put évoluer sans grandes secousses intérieures, put même les esquiver jus­tement parce que la base de sa domina­tion ne consistait pas -ainsi qu'il en était pour les autres capitalismes- en une modification radicale des fondements de l'économie féodale pour l'installa­tion de la grande industrie dans les villes et la libération des paysans du ser­vage, mais l'adaptation de tout ce sys­tème aux exigences d'un capitalisme possédant des positions territoriales im­menses pour investir ses capitaux et pouvant, dès lors, freiner la course à l'industrialisation de l'économie. Il est suggestif de remarquer que les anciennes colonies espagnoles ont été perdues par cette bourgeoisie au moment même où elles entraient dans le cyclone des transforma­tions industrielles, La noblesse et le clergé détenaient en même temps  les grandes propriétés terriennes, les actions bancaires et industrielles e"f la Compagnie des Trams de Madrid, ainsi, d’ailleurs que la partie des mines des Asturies soustrai­te au capital étranger étaient contrôlées, avant 1931, par les Jésuites,

Cette structure sociale archaïque fut profondément éclaboussée lors de la guer­re, qui provoqua également une intensification accentuée de l'industrialisation de l'Espagne, surtout en Catalogne, où se développa fortement une puissante in­dustrie de transformation. Mais ce déve­loppement se fit par îlots, au Nord,  à Barcelone et à Madrid, le restant de 1'Espagne restant à peu près dans les condi­tions précédentes. Toutefois, la nécessi­té se fit immédiatement sentir de soluti­onner dictatorialement le problème social et, en 1923, Primo de Rivera prit le pou­voir, où il fut porté particulièrement par les cercles industriels de Barcelone dirigés par Cambo, alors qu'Alphonse XIII était plutôt enclin à conduire à terme 1'entreprise marocaine, malgré la cuisante défaite qu'y avaient essuyé ses troupes. L'expérience Primo de Rivera, bien que nullement comparable au fascisme italien ou allemand, s'explique déjà par la né­cessité d'empêcher l'intervention auto­nome du prolétariat dans les luttes so­ciales et il est connu que c'est sous son gouvernement que se développèrent les institutions d'arbitrage des conflits du travail : Largo Caballero, celui qui est aujourd'hui qualifié de Lénine espagnol (l'insulte au grand mort est fort facile et il ne suffisait pas de consacrer Sta­line continuateur de Lénine) fut alors conseiller d’Etat, les organisations so­cialiste purent subsister et même la CNT anarchiste vivota.

En 1930, lorsque Primo de Rivera tomba comme un fruit pourri, la bourgeoisie espagnole crut pouvoir continuer avec le même système et c'est encore un général qui en prit la place,  mais  cet­te fois,  dans une autre direction politique : il ne s'agissait plus de solutionner les questions sociales à 1’aide d'interventions étatiques  mais d'essayer de canaliser les masses ouvrières vers un régime à tendance libérale et démocratique, la crise économique mondiale avait éclaté et il n'était plus possible de contenir l'effervescence sociale dans les cadres d'un autoritarisme de type militaire.

Les considérations qui précèdent nous permettent de définir en quelques phrases la nature même de 1a structure sociale en Espagne.  Il s’agit bien d'un régime capitaliste où toute perspective est exclue d'une répétition des événe­ments qui accompagnèrent la victoire bourgeoise dans  les autres pays : loin de répéter les jacobins de 1793, ou les bourgeois de février 1848,  évoluèrent  vers les Cavaignac de Juin, les Azana Caballero s’acheminèrent plutôt vers le rôle des Noske avec toutefois une différence profonde, résultant de la particularité de la situation espagnole. Ce capitalisme entre dans la crise économique mondiale non seulement dépourvu de bases de manoeuvres sur l'échelle internationale où les marchés  absorbent des quantités toujours inférieures des produits agricoles exportes, mais aussi avec une charpente économique qui est la moins apte à résister aux contrecoups de la crise économique. Il en ré­sulte que de formidables mouvements so­ciaux  ne pouvaient absolument pas être évités et, comme il en avait été le cas pour Primo de Rivera,   dont la chute semblait avoir été provoquée par la faillite de l'Exposition de Barcelone, c'est encore un élément d'ordre secondaire dans le domaine historique qui est le présage des grands événements qui mûrissent :  en octobre 1930,  le pacte de St Sébastien est scellé pour fonder 1a Ré­publique sous le guide du .monarchiste Zamora et le 4 avril 1931, par l'in­termédiaire de Romanones,  Alphonse XIII abdique à la suite des élections commu­nales qui conduisirent à la proclamation de la République. Ainsi, les événements qui suivirent en 1931, 1932, 1933 permettent de bien expliquer la réalité sociale et la signification de l’avènement de la République. Cette dernière représentait, au point de vue du mouvement social  et de sa progression,  un élément absolument accessoire,  elle ne pouvait nullement être comparée à l'avènement des Républi­ques bourgeois du siècle passé ; par contre elle représentait uniquement une nouvelle forme de la domination bourgeoi­se,  une tentative nouvelle du capitalis­me espagnol de faire face à ses nécessités.

Jamais une répression plus féroce ne s'exerça contre le mouvement ouvrier, que celle qui se déchaîna en 1931 et 1932 sous les gouvernements de gauche avec par­ticipation socialiste.  Il est évident que la cause fondamentale de cette répression réside dans l'éclosion puissante des luttes ouvrières, mais ceux qui  accouplent 1'ascension du mouvement ouvrier avec la prise du pouvoir par des gouvernement gauche feraient bien de réfléchir aux événements qui suivirent la proclamation de la République et qui prouvent à l’évidence que l'avènement de cette dernière ne représente en définitive que la forme la plus appropriée pour employer la formule dont se servit Salengro au Sénat français quand il disait que le gouvernement s'engageait avec tous  les moyens  appropriés à faire cesser l'occu­pation des usines pour la défense des intérêts de la bourgeoisie. Il n'y a donc pas de relation directe entre République et mouvement ouvrier, mais opposition sanglante ainsi que les événements devaient le prouver.

En présence, d'une structure sociale si  arriérée, qui peut être comparée à celle de la Russie tsariste, se pose cette interrogation : comment d'une toile sociale si bigarrée, en face d'une bourgeoisie impuissante à trouver des solutions aux problèmes angoissants  que la crise économique pose devant elle, comment s'est il fait qu'à l'instar de la Russie,   de ce milieu social, particulièrement favorable, des noyaux marxistes ne se soient pas formés de la puissance de l'envergure des bolcheviks russes ? La: réponse a cette question nous partit consister dans, le  fait que la bourgeoisie russe se trouvait sur une ligne d'ascension alors que la bourgeoisie espagnole, qui s'était affer­mie depuis des siècles traversait une pha­se de décadence putréfiée. Cette diffé­rence de position entre les deux bourgeoi­sies reflétait d'ailleurs une différence de position des deux prolétariats et le fait que le prolétariat espagnol se trou­ve dans l'impossibilité de faire surgir de ses mouvements gigantesques le parti de classe indispensable à sa victoire, nous semble dépendre de la condition d’infériorité absolue où se trouve, ce pays que le capitalisme a condamné à rester au rancart de l'évolution politique et socia­le, actuelle.

L'anachronisme que représente le ca­pitalisme espagnol, sa structure extrême­ment retardataire, l'impossibilité où se trouve la bourgeoisie d'apporter une so­lution aux problèmes complexes et embrou­illés de la structure économique du pays, cela nous semble expliquer les puissants mouvements qu'a connus l'Espagne depuis cinq ans, le fait que le prolétariat s'­est trouvé dans l'impossibilité de fon­der son parti et que ses mouvements pa­raissent être des convulsions sans issues plutôt que des événements pouvant aboutir à la seule expression digne des preuves d'héroïsme qu'ont données les ouvriers espagnols : la révolution communiste. C’est dans ce sens que nous croyons devoir interpréter la phrase de Marx de 1854 quand il disait qu'une révolution qui de­manderait trois jours en un autre pays d' Europe, demanderait neuf ans en Espagne.

L'avènement  de la république espagnole

Marx, après les événements de 1808 -1814, Engels à propos de ceux de 1873,  préconisaient pour l'Espagne, le même sys­tème de règles de tactique qu'ils appli­quèrent d'ailleurs en Allemagne. Ils con­seillèrent aux socialistes des autres Pays, la position consistant à inoculer, au cours des révolutions bourgeoises, le virus de la lutte prolétarienne pour fai­re évoluer les situations à leur point terminal : la victoire de la classe ou­vrière. Mais Octobre 1917 est là pour nous indiquer que la continuation de l'oeuvre de Marx ne consiste point à répéter, en une situation profondément différente, les positions que nos maîtres défendirent à leur époque. En Espagne, comme d'ailleurs dans tous les autres pays, les forces démocratiques de la gauche bourgeoise se sont démontrées être non un échelon pouvant conduire à l'étape de la victoire prolétarienne, mais le dernier rempart de la contre-révolution, Marx, en 1854, écrivait que la Junte Centrale aurait dû apporter des modifications sociales a la société espagnole.

Si elles ne se vérifiaient pas à l'é­poque, cela est peut-être imputable à des erreurs de tactique, mais la Républi­que de 1931 avait une tout autre fonction que la Junte de 1808 : cette dernière avait un caractère progressif, alors que la République a représenté l'arme de la plus féroce réaction contre le mouvement ouvrier. Il en est de même pour les positions de Engels à l'égard de la Républi­que de 1873, où il entrevoyait la possi­bilité, pour un groupe parlementaire ou­vrier, d'agir habilement pour déterminer à la fois la victoire de Pi y Margall contre la droite et de déterminer aussi l'évolution de la gauche vers l'adoption des revendications ouvrières. Au sein des Cortes Constituante de 1931 et des autres qui suivirent, le groupe "ouvrier" n'a nullement fait défaut, mais puisque sa base prenait ses racines sur un tout autre terrain social, sur celui ou ce­la, la signification réelle de la Répu­blique en tant qu'expression sanglante de la répression ouvrière, le groupe ouvrier ne pouvait être qu'un outil entre les mains de l'ennemi.

Dans les situations nouvelles, le re­groupement des prolétaires ne pouvait se faire que sur la base du double appela pour les revendications partielles quant à l'agitation et finales quant à la pro­pagande de la classe ouvrière. Aucune possibilité n'existant pour cramponner les conquêtes partielles de la classe ou­vrière à l'expression de la République qui aurait évolué vers une transformation progressive de la société espagnole, et serait devenu favorable aux masses. Les années, 1931-1932-1933 ont connu, en même temps qu'une réaction sanglante contre les mouvements grévistes des ouvriers et des paysans, une évolution toujours plus à gauche du gouvernement passant du bloc Azann-Caballero-Leroux, à l'exclusion des radicaux. L'accentuation à gauche du gouvernement était le signal d'une forte répression anti-ouvrière.

Engels critique avec raison Bakounine et les Alleanzistes de l'époque, les­quels préconisaient la lutte immédiate pour l'affranchissement des travailleurs sur la base de l'extension des mouvements revendicatifs.  La position marxiste interdit à la fois de lancer le mot d'or­dre : de l'insurrection lorsque les conditions n’ en existent pas,   tout au­tant qu'elle interdit de soulever le mot d'ordre de la lutte pour la République ou pour sa réforme au moment où l'analy­se historique prouve que la République est devenue la forme essentielle de do­mination d'un prolétariat qui se trouve, de part l'évolution des situations his­toriques, dans les conditions de pouvoir soulever, comme revendication étatique, uniquement la dictature du prolétariat, au travers de l'insurrection et de la destruction de' l'état ennemi.

Ces considération se trouveront con­firmées par une analyse rapide des évé­nements de 1931-1932-1933-1934, qui nous parait indispensable pour pouvoir passer à l'examen des situations  actuelles et à une indication des positions autour desquelles le prolétariat international et espagnol peuvent faire germer des ges­tes de gloire des ouvriers  ibériques une poussée vers la victoire de la révolution communiste.

Nous avons déjà indiqué que la procla­mation de la République n'était,  en dé­finitive,  qu'une signalisation d'événe­ments bien plus importants et qui devai­ent jeter dans l'arène de la lutte de classes l'ensemble des ouvriers et des paysans espagnols. Commençons par remar­quer que le capitalisme se hâta de four­nir à Alphonse XIII le coupon du voyage pour prévenir la grève des cheminots, mouvement qui, parce qu'il aurait para­lysé la vie économique, était de nature à avoir des répercussions profondes sur la situation du pays. Il est bien évi­dent que la bourgeoisie espagnole n'avait nullement conscience des situations qui se seraient ouvertes  au cours des  an­nées 1931-32 et1933  alors  qu'en prévision de cela elle aurait eu recours au chan­gement de forme de son régime : de mo­narchique en républicain. Le capitalisme est condamné à ne jamais pouvoir prévoir les situations qui se produiront : ex­pression même des bases contradictoires de son régime, il ne peut faire qu'une chose : battre son ennemi de classe et donner aux différentes situations la so­lution qui puisse le mieux convenir à la défense de son privilège. Lorsqu'en Avril 1931, la proclamation de la République a parut une nécessité, la bourgeoisie espa­gnole n'hésita point a y recourir et ce fut d’ailleurs là une manifestation claire de prévoyance, car, en face de tous les mouvements qui suivirent, il aurait été bien risqué de s'y opposer par les métho­des brutales de la réaction : un appoint était nécessaire et celui-ci a été fourni par les gouvernements de la gauche avec l'appui des socialistes, le groupe le plus nombreux parmi les républicains "fidèles et sincères".

Immédiatement après la fondation du nouveau régime, la vague des grèves défer­le dans tous le pays, notamment celles des Téléphones, de l'Andalousie, auxquelles firent suite les autres de Bilbao, de Barcelone (Bâtiment), de Valence, de Manresa, etc. Au cours de tous ces évé­nements, les positions suivantes s'affir­ment : le gouvernement, présidé par Zamora, s'oriente de plus en plus vers la répression féroce; le ministre de l'Intérieur Maura, qui étendra au sol trente pay­sans à Séville, répondra aux interpella­tions que "rien n'arrive" et le vingt octobre de la même année, la "loi de défense de la République" sera votée pour interdire les grèves, pour imposer l'arbitrage obligatoire des conflits du travail au travers des Commissions Paritaires et mettre hors la loi les organisations syndicales qui ne donneraient pas un pré­avis de dix jours avant la déclaration d'une grève. En même temps, l'Union Géné­rale des Travailleurs Socialistes orga­nisera ouvertement le sarrazinage des mouvements décidés par la Confédération Nationale du Travail (anarcho-syndicaliste), si ce n'est qu'elle arrivera a pré­coniser la lutte armée contre les ouvriers organisés dans la C.N.T. Et il faut dire que cette politique des socialistes eut un certain succès puisqu'à part de rares occasions où les ouvriers des deux centrales firent cause commune, l'U.G.T. parvient à maintenir au travail ses af­filiés. Lorsque cela n’aboutissait pas à l'échec des mouvements ouvriers, ils en étaient rendus extrêmement plus dif­ficiles si ce n'est plus sanglants à cause de l'intervention de la Garde Ci­vile.

De l'autre côté de la barricade se trouvent les syndicats de la C.N.T. au­tour desquels se polarise la lutte de la classe ouvrière. Mais les positions politiques des anarchistes ne pouvaient nullement correspondre aux nécessités de la situation et bien que ses mili­tants aient souvent fait preuve de grand courage, les dirigeants, au point de vue politique, n'arrivèrent jamais à coordonner un plan d'ensemble sus­ceptible de reconstituer l'unité du bloc ouvrier pour le mener à la victoire contre le patronat. La suite ininter­rompue des grèves auxquelles aucune is­sue n'était préétablie finissait par fatiguer les masses se trouvant toujours dans l'impossibilité d'obtenir une sé­rieuse amélioration de leur sort, alors que des épisodes désespérés se produi­saient en Catalogne et en Andalousie, où des Communes Libres étaient fondées pour l'organisation de la société li­bertaire. Il est à noter que ces mou­vements extrêmes ne rencontraient même pas l'appui solidaire de la direction de la C.N.T., ainsi qu'il en fut le cas pour le délégué de la Commune libre de Figols "qui se rend à Barcelone afin de s'assurer l'appui du prolétariat de cette ville; et il en revient sombre et attristé; il n'avait pu obtenir aucune promesse de soutien pour le mouvement de Figols" ("Révolution Prolétarienne" de Février 1932, reportage de Lazarevitch). Loin de nous l'idée de critiquer la CNT parce qu'elle ne proclame pas encore une fois la grève générale. Si nous avons voulu revenir sur cet épisode, c’est uniquement pour montrer que la politique des dirigeants anarcho-syndicalistes ne pouvait aboutir qu'à embou­teiller le mouvement général des ouvriers espagnols dont certains détachements étaient emportés vers des gestes désespérés réprimés avec cruauté avec l'appui inconditionné des socialistes.

La gamme des événements de 1931-32-33 nous présente donc un gouvernement de gauche s'appuyant solidement sur l'UGT alors que la classe ouvrière n'a d'au­tre position de défense que celle de confier son sort à la C.N.T. Ce point essentiel concernant le rôle de la C. N.T. et qui n'est nullement particulier aux seules années dont nous parlons, doit porter les communistes à examiner si, à l'envers des autres pays où le mou­vement communiste a trouvé sa source dans les organisations syndicales et politi­ques socialistes, issues de la lutte et de la scission avec les anarchistes, en Espagne, par contre, il ne vérifiera pas que le mouvement syndical évoluant vers le communisme trouvera sa source dans les syndicats de la C.N.T. aussi bien que dans ceux de là U.G.T.

Les anarchistes qui n'avaient pas un plan d'ensemble pour les grandes batail­les de classe qui se déroulaient, étai­ent dans le domaine politique en un état de confusion totale : bien qu'hos­tile à la République, à "tous" les partis, ils ne luttaient pas contre les mouve­ments séparatistes de l'extrême gauche bourgeoise ce qui déterminait évidemment les masses à reporter leur confiance sur ces mouvements d'où ont surgi des épiso­des de courage indiscutables, mais qui ne peuvent avoir aucun rapport avec les intérêts de la classe ouvrière.

Sur le plan gouvernemental, ainsi, que nous l'avons dit, le glissement à gauche se faisait, au rythme correspondant à 1'extension des mouvements grévistes, mais la répression sévissait férocement et l'on en a arriva jusqu'à déporter des militants anarchistes. Dé­jà en août 1932, une manoeuvre en sens inverse se dessinait de la part de, la bour­geoisie; Sanjurjo tente, un coup de main à Madrid et à Séville et précédemment les élections supplétives de juin à Ma­drid marquent un succès pour le fils de Primo de Ridera. La conjuration de Sanjurjo échoue, la République est sauvée et les ouvriers en janvier 1933 à Bar­celone, Valence, Cadix et en mai à Malaga, Bilbao, Saragosse, sentiront par les balles de la Garde Civile ce que leur en coûte de ne pas parvenir à diriger leurs coups contre la gauche bourgeoise au même titre que contre la droite.

Le 8 septembre 1933 AZMA donne sa démission et après un interrègne de 23 jours du gouvernement Leroux,  Martinez Barrios procède à la dissolution des Cortès et cela, semble-t-il, en viola­tion de l'article 75 de la constitution. Ce même Barrios, qui fut chargé de réa­liser le passage de la gauche vers la droite en 1933, eut la même charge au début des événements  actuels,  mais cet­te fois-ci sans pouvoir y parvenir. Et c'est ainsi que se clôtura la première phase de la République Espagnole.  Il s’agit de préciser un point qui  aura une valeur pour ce qui concerne les derniers événements également.  L’on est porté à considérer la République, aussi bien que les gouvernements de gauche, comme un fruit de la classe ouvrière,  un fruit imparfait il est vrai,  mais  toujours une expression de la classe ouvrière en éveil. En même temps  la bourgeoisie, en face des masses qui reprennent leurs luttes, qui n'aurait rien d'autre à faire que de confier son sort à un gou­vernement de gauche. Enfin le person­nel de cette gauche se tromperait deux fois : d'abord quand il se confie à la bourgeoisie qui se débarrassera de lui au moment opportun, ensuite de croire que les ouvriers, se contenteront de ses phrases et renonceront à la lutte pour les revendications qui leur sont propres. A notre, avis il ne peut nullement s'agir pour expliquer les événements politi­ques de la volonté de telle ou telle autre formation bourgeoise,   mais il faut expliquer le rôle que jouent dans la lutte des classes, des institutions données en l'occurrence la République.

Or la République apparaît comme la forme spécifique de la répression anti­ouvrière,  la forme qui correspond le mieux aux intérêts du capitalisme puis­qu'elle peut ajouter à la répression sanglante l'appoint qui est représenté par l'U.G.T. et le parti socialiste. On pourrait objecter que le capitalisme aurait pu recourir à une autre forme de gouvernement et que s'il ne l'a pas fait, c'est uniquement parce que la pres­sion des ouvriers l'obligeait à une con­version vers la gauche.  Ce genre de dis­cussion hypothétique n'a pas grand in­térêt pour nous et nous semble même in­concluant,  mais ce qui nous paraît être l'essentiel c'est que le capitalisme doit être combattu dans la forme gou­vernementale qu'il se donne, la droite comme la gauche. Et les bases de classe, la lutte autonome et indépendante du prolétariat permettent de sortir du dilemme droite-gauche bourgeoise et de ne pas favoriser la droite quand on lutte contre la gauche, comme inversement de ne pas  appuyer la gauche quand la lutte est menée contre la droite. La Républi­que Espagnole est ce qu'elle est et non pas ce que l'on aurait voulu qu'elle soit. Sa fonction de brutale opposition aux intérêts ouvriers prouve à l'évidence que sa source se trouve uniquement dans le camp bourgeois et que les ouvriers qui sont tombés sous  les  balles de la République ne doivent point souffrir l'affront d'en avoir été les porteurs, d'en avoir conçu la victoire.

Avant d'entamer l'examen de la situ­ation actuelle au sujet de laquelle nous traiterons d'abord de la question agrai­re,   il nous faudra dire quelques mots sur les événements de 1934, sur l'in­surrection aux Asturies. La place nous manque pour traiter de cet événement d'une importance colossale et force nous est de nous borner en indiquer seule­ment la signification.  Après les élec­tions de droite et la répression vio­lente de la grève de novembre 1933, les situations évoluent graduellement et progressivement avec la prédominance de la C.E.D.A., et le retour des forces qui  avaient été écartées lors de l'avè­nement de la République. Les socialis­tes font une brusque conversion à gau­che et reprennent contact avec des ou­vriers dont ils dirigent même les grèves. En octobre 1934, en réponse à la consti­tution du gouvernement Lerroux avec qua­tre représentants de la CEDA, la grève générale est proclamée. Ses dirigeants évidemment ne se doutaient point de 1'extension qu'elle aurait prise dans les milieux les plus éprouvés de la classe ouvrière espagnole, des mineurs d'Asturie condamnés à des salaires de famine et qui voyant leurs dirigeants donner l'ordre du mouvement croient que l'heu­re enfin a sonné où, au contraire de ce qui était  arrivé en 1932, lorsque 1'U.G.T.   sabotait les agitations, il sera enfin possible de conquérir de moins mi­sérables conditions de vie. L'insurrec­tion reste malheureusement isolée et après l'écrasement violent, c'est tout au cours de l'année 1935 une action con­tinuelle de répression contre la classe ouvrière, répression qui s'exerce par la voie légale, et par le recours aux formes extrêmes de la persécution.

Fin 1935, comme fin 1933, les problèmes insolubles de la situation espagnole arrivent à un nouveau noeud : la manifestation de Madrid de glorification de Azana marque qu'un nouveau tournant va s'ou­vrir et en février 1936, c'est la victoire, électorale du Front Populaire.

Le problème agraire.

Nous nous sommes appliqués à démontrer que la proclamation de la République,  en 1931, ne pouvait être placée sur un des deux plans classiques sur lesquels nous, sommes habitués à expliquer ces événements dans les autres pays : il ne s'agissait point d'une phase de la lutte de la bour­geoisie passant à l'attaque de la vertèbre féodale de l'économie agraire, puisque le capitalisme s'étant formé depuis des siè­cles en Espagne, justement sur l'adaptation de cette structure économique à une vie parasitaire rendue possible par l'extension des territoires contrôlés. Il ne s’agissait pas non plus d'une forme de ré­sistance de la bourgeoisie à une attaque révolutionnaire du prolétariat, celui-ci se trouvant — à cause de la position de décadence putréfiée de ce capitalisme — dans l'impossibilité de faire jaillir d'un milieu social extrêmement bigarré son parti de classe, le seul personnage histo­rique pouvant agir pour la victoire commu­niste, La République de 1931 représente donc une expression anticipée des formida­bles convulsions sociales qui éclateront immédiatement après et qui, du fait de 1'isolement du prolétariat espagnol au point de vue international, seront condamnées à choir en une tragique impasse. Il en sera de même pour la victoire du Front Populai­re de février 1936. Mais, avant de considérer les événements actuels, il nous faudra parler rapidement de la question agraire et des questions économiques, ce qui nous permettra de constater que la gau­che, l'extrême gauche, tout aussi bien que la droite et l'extrême droite bourgeoise, se sont trouvées dans l'impossibilité d’apporter une solution à ces problèmes dont le vacarme des réformes politiques proje­tées ne fait que cacher l'impossibilité où se trouve le capitalisme de modifier les bases économiques de la société espagnole. Le prolétariat, et lui seul, représente la classe capable de modifier la base mê­me de l'économie espagnole et en dehors de cette modification aucune solution ne reste possible.

Tant au point de vue agraire qu'indus­triel, l'Espagne peut se partager en gros en deux parties, dont l'une, la moins étendue, est composée de formes de cultu­res et d'industries du type de celles for­mant l'assiette de la domination du capitalisme dans les autres pays. L'autre par­tie, par contre, est constituée par les immenses étendues de terre non cultivables en partie et où les paysans et ouvriers agricoles sont condamnés à une vie extrê­mement misérable. Les paysans du littoral de l'Est sont soumis aux exactions fisca­les d'un pouvoir central qui ne peut sub­sister qu'à la condition de mettre ces propriétaires dans l'impossibilité de réaliser des prix rémunérateurs pour leurs produits qui doivent être exportés à des conditions avantageuses pour battre la concurrence internationale. Les petits propriétaires seront obligés de vendre leurs produits n'importe comment, car il leur faut immédiatement des capitaux pour continuer à cultiver les terres. Les grands propriétaires prendront, eux aussi, une position d'hostilité envers l'Etat centralisateur qui ne Leur rapportera, en échange des fortes contributions fiscales à payer, aucun avantage sérieux. C'est là le terrain où germent les mouvements sé­paratistes qui s'étendent d'ailleurs aux autres parties de l'Espagne, au plateau central, où les grands propriétaires ter­riens soutirent aux paysans condamnés à l'esclavage, des rentes qui sont immédia­tement dirigées vers les grandes banques et ne seront jamais utilisées pour défri­cher les terres ou acheter des machines agricoles, sans quoi aucune possibilité n’existerait de mettre en valeur ces ter­res. Dépecer ces immenses propriétés, c’est compliquer davantage le problème, car la culture mécanique ne peut se faire sur la base parcellaire, mais exige une gran­de étendue de terrain soumise à une di­rection unique. Nous avons déjà dit que les grands propriétaires n'ont d'autre rapport avec leurs terres que ceux tenant à l'encaissement de leurs rentes et ce en s'appuyant sur une hiérarchie de fermiers et sous-fermiers qui rendent encore plus angoissantes l'exploitation des paysans et des ouvriers agricoles. Ces grands propriétaires ne songent même pas à inves­tir leurs capitaux dans les terres et ils ne voient évidemment pas d'un mauvais oeil une intervention étatique, qui accroisse leur puissance en les  "expro­priant" de terres dont le rendement est minime.  La transformation de l'économie agraire est uniquement possible par son industrialisation et celle-ci ne peut être réalisée que par le prolétariat victorieux.

Pour l'industrie, nous  assistons à des phénomènes analogues. Les mines de charbon des Asturies sont d'un rendement pauvre et les ouvriers sont forcés d'y travailler à des conditions de famine analogues à celles des ouvriers d'Anda­lousie et de l'Estremadure, tandis que les riches mines de minerai qui sont par­tiellement sous le contrôle de capita­listes étrangers,  ne produisent que pour l'exportation.  L'industrie de transformation de Catalogne, pour ce qui  la con­cerne, ne sera pas  acheminée vers le mar­ché intérieur qui, par la capacité d'a­chat extrêmement réduite des masses, est incapable d'absorber ses produits mais travaillera presque exclusivement pour 1’étranger. Bien sûr, les données  existent pour trouver, au sein même de l'Espagne, les éléments pour résoudre le problème économique. A cet effet, l'on peut même dire que les engrais nécessaires à la culture et à la mise en valeur des ter­res existent dans le pays. Mais cette transformation n'est possible qu'à la condition de bouleverser de fond en com­ble toute la structure sociale,  d'extir­per ce capitalisme parasitaire et d'y substituer la direction consciente du prolétariat agissant pour la construc­tion, de la société communiste.

Lors de 1'avènement de la République, aussi bien,  d'ailleurs,   qu'après  la vic­toire du Front Populaire, beaucoup de bruit a été fait autour de la réforme agraire,  mais il s'agissait  toujours de mesures destinées à agir sur le plan po­litique (expropriation et redistribution des terres). Cependant,  puisque la solu­tion ne peut pas être trouvée qu'au tra­vers de l'industrialisation des  terres, les projets étaient destinés à s'évanouir alors que les masses déchaînait des mou­vements au terme desquels  aucune amélio­ration réelle ne pouvait être conquise.

Certes,  il y a une différence, entre les programmes économiques de la droite et de la gauche.  La première agissant pour le maintien rigoureux de la structure socia­le spécifique de 1'Espagne, la seconde voulant agir sur les manifestations exté­rieures juridiques et politiques de cette structure. Mais, puisque ni l'une ni l'au­tre ne peuvent aborder le fond du problème il est inévitable que les masses,  voyant qu'aucune solution n'est donnée à leurs problèmes, traversent, après des périodes de luttes désespérées, d'autres périodes de découragement qui seront habilement ex­ploitées par la droite qui au moins, as­sure sans discontinuité l'exploitation ca­pitaliste que la gauche compliquera en fai­sant croire, que,  sous sa direction, des possibilités de lutte existent, qu'une réforme vaêtre appliquée à la condition, toutefois, de combattre les grands proprié­taires qui resteront toujours debout par­ce que la base même de l'économie espagno­le ne sera nullement transformée.  La Répu­blique de  1931, aussi bien que le Front Populaire de 1936, ont agi dans la même direction et il n'est pas étonnant qu'en 1934 les conditions sociales se soient pré­sentées pour permettre une victoire de la droite agraire, qu'en juillet  1936,  Franco ait pu trouver dans les campagnes un écho favorable.

La genèse des événements actuels.

En avril 1936, une première escarmou­che se vérifiera, à l'occasion des manifes­tations pour l'anniversaire de la République une "révolte" (pour nous servir de la terminologie du Front Populaire) éclate, à la suite de quoi des mesures de rigueur se­ront édictées par le gouvernement : Azana déclara à l'époque que "le gouvernement a pris une série de mesures, on a éloigné ou déplacé les fascistes qui se trouvaient au sein du commandement. Les droites sont pri­ses de paniques, mais elles n'oseront pas relever la tête", (voir "Humanité" de 26 avril 1936). Au débat qui eut lieu aux Cortes, le porte-parole des centristes, en accord parfait avec ses  compères socialis­tes, votera la confiance au gouvernement qui s'est engagé à dissoudre les "factions". Et 1'"Humanité" félicitera ce dernier pour sa lutte courageuse, Les promesses d'une réforme agraire se font alors plus précises, l'on parle de l'article 44 de la Constitution qui prévoit la nationali­sation sans indemnités, Azana déclare que l'on ne devra pas s'arrêter à la distribution des domaines communaux, qu'il faudra envisager le partage de"baldios", les terrains, en friche que les grands propriétaires destinent unique­ment à la chasse. Enfin il ne faut pas exclure la distribution des grands do­maines en état de culture aux paysans. Entre temps le mouvement de gauche au sein du parti socialiste s'accuse : l’assemblée madrilaine du 23 avril se prononce pour la dictature du proléta­riat et à la veille des derniers événe­ments, une scission paraissait inévita­ble. Deux mois et demi sont passés après les événements d'avril, les masses qui avaient attendu une modification de leur sol, sont démoralisées à nouveau, c'est le moment que les droites croient propice, ces droites qui "n'oseraient pas relever la tête", déchaînent leur attaque prenant prétexte du meurtre du chef monarchiste Sotelo, qui avait été tué en représailles à 1'assassinat du lieutenant Castillo, Il s'agit mainte­nant non point d'analyser des événements sur lesquels les informations sont les plus contradictoires, mais de les ex­pliquer, d'en indiquer la signification afin de préciser les positions de classe autour desquelles le prolétariat es­pagnol et international peuvent se re­grouper pour empêcher qu'encore une fois l'impasse cruelle où se trouvent : les masses ne les jette à nouveau dans la démoralisation et que le capitalis­me n’en  profite pour une saignée qui représenterait un nouveau pas vers la mobilisation des travailleurs de tous les pays pour la préparation du con­flit mondial. Nous nous bornerons sur­tout à préciser des positions politi­ques, nous réservant de passer à une analyse détaillée des événements lors­que les conditions le permettront.

La signification de la bataille en Espagne

La conception, partant de cette con­sidération qui estime que puisque le ca­pitalisme est à la tête de la société actuelle, il serait possible d'établir une discipline sociale lui permettant de diriger les événements à sa guise, cette conception n'a aucune correspon­dance avec la réalité politique et his­torique qui fait de la société capitalis­te un milieu contradictoire par excellence où fermentent non seulement les contras­tes fondamentaux de classe, mais aussi les oppositions entre les différentes couches intermédiaires, entre ces derniè­res et la bourgeoisie et enfin les riva­lités entre groupes et individualités capitalistes. Bien sur la bourgeoisie voudrait régner dans la paix sociale, mais cette tranquillité lui est interdite par les bases même de son régime. Aussi force lui est de s'accommoder de toutes les situations et de se borner à y intervenir non pour éviter la manifestation des con­trastes sociaux, mais pour faire refluer ces derniers vers le maintien de sa domi­nation, vers la rupture de l'attaque prolétarienne, tendant à la destruction de son régime. Toutefois il ne faudrait pas en conclure que ces oppositions peuvent ébranler et menacer la vie et les bases du système. En dépit des apparences nous ne retrouvons pas la lutte que se font les militaires et le front populaire dans l'opposition de leurs programmes politi­ques où des couches sociales capitalistes quelle représente. Il serait d'ailleurs bien difficile de reconnaître d'un côté le bloc des industriels derrière Azana, dont le front comprend même des anarcho-syndicalistes et de l'autre côté, derriè­re Franco, les grands propriétaires ter­riens qui peuvent exploiter la désaffection des masses paysannes à l'égard du front populaire et affermir leur domination en Andalousie, en Estrémadure, des régions qui furent le théâtre de soulève­ments puissants également sous la Répu­blique,

Les événements sociaux sont détermi­nés par des antagonismes se reliant au contraste surgi entre l'évolution des forces de production et la forme de 1' organisation sociale existante. Ce qui plane aujourd'hui sur l'Espagne c'est 1'antithèse historique entre un régime bour­geois condamné à ne pas pouvoir donner de solution aux problèmes économiques et politiques qui se posent devant lui et un régime prolétarien qui ne peut pas poindre faute d'un parti de classe. Droite et gauche bourgeoise expriment les convul­sions d'une société capitaliste clouée dans une impasse, mais la lutte de ces deux courants de la bourgeoisie n'est pas limitée à leur zone respective,  elle englo­be le prolétariat lui-même parce qu'en dé­finitive,  c'est uniquement ce dernier qui détient la clé de l'évolution historique. L'alternative ne réside point entre Azana et Franco,  mais entre bourgeoisie et pro­létariat; que l'un et l'autre des deux partenaires soit battu, cela n'empêche que celui qui sera réellement vaincu sera le prolétariat qui fera les frais de la vic­toire d'Azana ou de celle de Franco.  Loin de pouvoir rester indifférent aux événe­ments actuels, parce que la lutte se dé­roulerait entre deux fractions de la bour­geoisie,  le prolétariat a pour devoir d'intervenir directement dans les situations parce que lui seul est l'enjeu des batail­les et lui seul sera la victime des luttes actuelles.

Trotsky,  dans son étude sur la "révo­lution espagnole, mit en évidence le carac­tère particulier de l'armée espagnole: où la spécialisation des corps correspondait à une diversification de positions politiques, l'artillerie par exemple prenant toujours une position d'avant-garde sur l'échiquier social...Cette remarque profondément juste de Trotsky nous permet de comprendre que si l'armée en Espagne détient une position par­ticulière et n'est pas  au dessus de la mêlée ou à l'écart de la lutte, que se livrent les partis politiques de la bourgeoi­sie : cela dépend de la structure sociale espagnole; où le capitalisme a pu ne pas briser par la violence,  mais, s'identifier avec la persistance de la toile sociale, du féodalisme Rien, d'étonnant si les vedettes des batailles sociales d'envergure que nous vivons soient des généraux et que ces derniers trouvent la possibilité de jouer un rôle politique considérable. Cette remarque nous la faisons pour mettre en évidence que la sédition militaire ne relève point de phénomènes intérieurs à l'armée et pouvant se conclure par un rapide pronuncamiento qui, s'il ne réussit pas  les tous premiers jours, est voué à un échec certain, mais qu'il s'agit d'une lutte sociale dont d'ail­leurs nous avons indiqué les éléments quand nous avons parlé de l'activité sociale du gouvernement de Front Populaire et de la déception qu'il avait  apporté parmi  les mas­ses des travailleurs et paysannes surtout.

Tout comme lors de la proclamation de la République qui fut le signal  annoncia­teur des formidables événements de classe qui suivirent,  il est à prévoir que l'éclosion de la lutte actuelle entre le Front Populaire et les généraux,  n'est en définitive que le camouflage d'une lutte so­ciale bien plus importante et qui mûris­sait dans le sous-sol de là société espagnole démantibulée par le double anachronisme d'un capitalisme impuissant a appor­ter la moindre solution, aux problèmes que la situation pose, d'un prolétariat qui ne parvient pas à fonder son parti de classe et qui est tout  aussi impuissant à jeter l'épée de sa révolution dans un milieu so­cial hérissé de contrastes sans  issues.

La classe prolétarienne, qui fut jetée, par les situations, dans des luttes épiques au cours des années  1931-33, se trouvait sans doute à l'aube du nouveau soulèvement dont l'ampleur aurait été d'autant plus puissante que la crise économique avait aggravé les problèmes fondamentaux qui n'ont reçu d’évolution ni de là part des gouver­nements de gauche,  ni de ceux de droite qui  se suivirent en  1934-35,  ni, enfin, de la part du gouvernement de Front Po­pulaire. Il y eut bien la réaction léga­le qui dura toute l'année 1935 après là défaite de l'insurrection des Asturies, mais cette répression ne prouvait pas suf­fire à écarter le prolétariat de la scène sociale  :   la classe ouvrière était à nouveau jetée dans l'arène par la vigueur accentuée que prenaient les questions éco­nomiques auxquelles  aucune solution n'a­vait pas pu être apportée. C'est ici,  qu'à notre, avis,  se trouvé l’explication des événements actuels. Il faudra tout d'abord remarquer que la première réaction du gou­vernement de Front Populaire à la sédi­tion du Maroc consista en une manoeuvre tendant a établir un compromis  avec Franco. Lorsque Quiroga démissionna, ce fut pour donner un premier gage à la droite, car on attribuait à ce Président du Conseil une phrase que l'on interprétait comme un encouragement de l'expédition punitive contre le monarchiste Sotelo.

Immédiatement  après,  ce fut Barrios ; le même qui,  fin 1933,  réalisa 1a con­version du régime de la gauche vers la droite et présida aux élections d'où sur­git la victoire de la droite, qui essaya de constituer un ministère, ce même Barrios qui, après  l'assassinat de Sorelo, décla­rait  que la situation était devenue impossible parce que les corps réguliers de la Garde Civile, pouvaient organiser des attentats. La tentative du compromis échoua, mais  cela ne signifie point qule gouvernement emprunta directement, le chemin de l'armement des ouvriers, Giral es­saya, dès la constitution de son cabinet de canaliser les masses derrière de vagues proclamations antifascistes et les bureaux d'enrôlement furent constitués quand il était déjà évident que les ouvriers des vil­les industrielles auraient opposé une ré­action vigoureuse et seraient passés à la lutte armée. Une fois que cette dernière était devenue inévitable, la bourgeoisie sentit que la seule voie de son salut con­sistait dans la légalisation de cet ar­mement. Cette légalisation juridique de l’armement ouvrier représentait la seule condition pour le désarmement politique des masses. Celles-ci incorporées dans l'Etat, le danger était écarté que les ouvriers profitent de l'emploi de l'instrument il­légal par excellence, l'assaut de la for­teresse sociale du capitalisme.

L'on pourrait supposer que l'armement des ouvriers contient des vertus congé­nitales au point de vue politique et qu' une fois matériellement armés, les ouvriers pourront se débarrasser des chefs traîtres pour passer aux formes supérieures de leur lutte. Il n’en est rien. Les ouvriers que le Front Populaire est parvenu à incorporer à la bourgeoisie puisqu'ils combattent sous la direction et pour la victoire d’une fraction bourgeoise, s'interdisent par cela même, la possibilité d'évoluer autour des positions de classe. Et ici il ne s'agit point de batailles débutant sous la direction de formations bourgeoises et qui peuvent évoluer sur les bases prolétarien­nes parce qu'à leur origine se trouvaient des revendications de classe. Ici il s'a­git bien de ceci : les ouvriers prennent parti pour une cause qui n'est pas seule­ment la leur, mais qui s'oppose foncière­ment à leurs intérêts. Et point n'est be­soin de réfuter l'argument vulgaire des responsabilités éventuelles des ouvriers ou des capacités démoniaques des traîtres. Pour nous les ouvriers se trouvent dans 1'impossibilité de déterminer, autrement que par une minorité de leur classe forgeant le parti, les bases sur lesquelles la vic­toire sera possible et cela à cause dé 1'oppression que fait régner le capitalisme qui les exploite, les abrutit, leur enlève toute possibilité de se former une con­science de la réalité sociale et des voies à emprunter pour arriver à la victoire. Les masses, dans leur ensemble, peuvent arri­ver à une conscience parfaite de leur rôle mais cela dans des circonstances particulières nées  d'événements historiques, lors des révolutions et c'est à ce moment que la maturation de leur conscience permettra la victoire sous la direction du parti de clas­se. Les ouvriers ne luttent jamais, de leur propre volonté, pour les traîtres, en l'es­pèce pour le Front Populaire; ils croient toujours se battre pour la défense de leurs intérêts et c'est uniquement le degré inter­médiaire de la tension des situations qui permettra aux traîtres de coller aux luttes des masses un drapeau qui ne leur appartient, pas le drapeau de l'ennemi.

Tel qu'ils se sont embranchés, les évé­nements semblent devoir exclure l'éventua­lité que les prolétaires espagnols arrivent à définir une frontière de classe dans les situations qu'ils vivent. Fort probablement nous assisterons à des exploits héroïques du type de ceux de 1932 ou du type encore plus avancé, mais, malheureusement, il ne s'agira là que d'un tumulte social, sanglant, incapable d'atteindre la hauteur d'un mou­vement insurrectionnel. La documentation sur les événements est - au moment où nous écri­vons cet article - absolument inexistante, mais ce qui nous permet de préciser les po­sitions politiques que nous indiquons, c'est la disproportion énorme qui existe entre 1'armement de larges masses ouvrières et les bien rares épisodes d'une lutte de classe. Tout dernièrement, nous avons pu lire des appels, qui semblent d'ailleurs avoir été écoutés, des socialistes et des anarcho-syndicalistes engageant les ouvriers à repren­dre le travail pour assurer la victoire gou­vernementale.

Les considérations qui précèdent nous permettent d'affirmer que, même dans la se­conde phase des événements, lorsqu'il s'agi­ra de procéder au désarmement matériel des ouvriers, les perspectives révolutionnaires ne s’ouvriront malheureusement pas. Au cas d' une victoire gouvernementale, il sera facile de réduire les îlots de résistance des ouvriers qui ne voudraient pas rendre les ar­mes et de les massacrer, comme le firent les gouvernements ZAMORA et AZANA-CABALLERO, en 1931-32, alors que les masses, dans leur en­semble, seront plongées dans l’ivresse de la victoire anti-fasciste, dans l'hypothèse op­posée d'une victoire delà droite, les nouve­lles qui nous, parviennent des zones occupées par les généraux prouvent bien comment on si prendra pour massacrer les ouvriers révolu­tionnaires.

Les considérations que nous avons exposées pourraient nous faire taxer de pessi­mistes. Les questions de l'optimisme ou du pessimisme n'ont d'intérêt pour les marxistes que si elles sont basées sur des posi­tions de classe. Ainsi, le plus grand pessimiste prolétarien est certainement celui qui ergote le plus sur les perspectives révolutionnaires qui s'ouvrent sur la direction du Front Populaire,  parce qu'il manifeste le pessimisme le plus noir quand au programme, prolétarien et le rôle historique des ouvriers. Par contre, le plus grand op­timisme est celui qui se base uniquement sur la politique du prolétariat et exprime non seulement de la méfiance mais un oppo­sition sans quartier contre les traîtres même lorsqu'ils se dissimulent sous le mas­que écarlate de l'armement des ouvriers. Il est connu que Marx qui, après une analyse historique de l'époque, était hostile aux insurrections en 1870 (voir lettre à Kugelman), leva l'étendard de la défense de la Commune contre tous ses détracteurs démocrates ou ses assassins républicains et réactionnaires. C’est que la lutte du prolé­tariat ne peut pas suivre le schéma prééta­bli par l'académicien,  mais résulte du cours contradictoire de l'évolution historique. Les événements actuels en Espagne tout anti­économiques qu'ils puissent apparaître au révolutionnaire de chaire, n'en sont pas moins, une marche dans le chemin de 1'éman­cipation du prolétariat mondial. Non en vain lés héros ouvriers seront tombés, non en vain, les femmes et les jeunes filles espa­gnoles auront écrit des pages de gloire où, bien au delà de toutes les proclamations du féminisme,  se trouvent consacrées les reven­dications des exploitées qui donnent l'acco­lade aux ouvriers pour "monter à l'assaut du ciel" (Marx).

Mais à part cette considération ayant trait aux répercussions ultérieures des évé­nements actuels, il s'agit d'indiquer sur quelle base ils pourraient évoluer pour déboucher sur la victoire prolétarienne, et sur quel terrain le groupement prolétarien pouvant prétendre au rôle de forgeron du parti de classe, doit se battre dès maintenant.  Le di­lemme pour ou contre le Front Populaire, tout séduisant qu'il puisse apparaître dans les circonstances actuelles, la hantise d' une victoire de la droite qui passerait à l'extermination des ouvriers, toute justi­fiée qu'elle puisse être pour des militants qui ont connu la répression féroce du fas­cisme, ne peuvent nous faire oublier que le prolétariat ne peut se poser le problème dans ces termes,  car c'est le capitalis­me qui reste le seul arbitre de choix de son personnel gouvernemental.. La seule voie de salut pour les ouvriers consiste dans leur regroupement sur des bases de classé : pour des revendications partiel1es pour défendre leurs conquêtes en même temps qu'ils se .baseront sur la force de persuasion,des événements eux-mêmes pour soulever comme seule solution gouverne­mentale possible celle de la dictature du prolétariat, pour lancer ce mot d'ordre de 1'insurrection lorsque les conditions favorables auront mûri .Une telle défini­tion du problème peut, certes, affaiblir la cohésion et les possibilités de succès du gouvernement de Front Populaire, mais l'éventuelle victoire de la droite, qui pourrait en résulter serait sans lende­main, car la force du prolétariat se se­rait enfin constituée et la barrière se­rait dressée pour briser une fois pour toutes les forces de la réaction capita­liste, en évitant que, comme en Italie et plus particulièrement en Allemagne, les socialo-centristes fassent le lit de la répression sanglante de la droite. Cette position n'a évidemment rien à voir avec celle que défendirent en 1924 les centristes en Bulgarie et qui consistait à rester indifférents devant une lutte où s'affrontaient deux forces bourgeoises. Nous avons expliqué que le fond du conflit ne réside pas entre France et Azana, mais entre la bourgeoisie et le proléta­riat, et nous en concluons par la nécessité pour le prolétariat d'intervenir avec impétuosité dans les situations ac­tuelles,  mais sur des bases de classe et uniquement sur elles.

Au point de vue international, les manifestations de solidarité des ouvriers des autres pays ne peuvent se relier avec le développement de la lutte du proléta­riat espagnol qu'à la condition de rompre avec le Front Populaire qui prêche 1'intervention des  armées en vue de faire échec aux manoeuvres des fascistes,  ce qui représente un excellent terrain de mobi­lisation des masses pour la guerre. Ces manifestations de solidarité ne peuvent aboutir que "si" elles sont des mouvements se dirigeant simultanément contre les bourgeoisies respectives.  C'est dans ce sens que notre fraction essaie de travail­ler parmi l'émigration italienne.

Enfin l'alerte sanglante d'Espagne où les ouvriers tombent pour les intérêts du communisme, même s'ils se trouvent sous la chape du Front Populaire, est un nouvel avertissement aux communistes de gauche de différents pays en vue de passer à la constitution d'un centre inter­national où par une discussion approfon­die des expériences des dernières années, les conditions seraient réalisées pour construire les prémisses de la nouvelle internationale de la révolution. Cette tragique signalisation que représentent les cadavres des ouvriers espagnols, sera-t-elle la dernière et auront-nous ensuite la guerre ? Mais même si le ca­pitalisme pouvait encore retarder la cruelle échéance, rien n'expliquerait l'inertie qu'offrent différents groupe­ments de la gauche communiste aux ini­tiatives de notre fraction pour aborder l'oeuvre d'éclaircissement politique et pour asseoir sur des bases de fer l'or­ganisme qui pourra diriger les luttes de la classe ouvrière pour la victoire de la révolution mondiale.

Géographique: 

  • Espagne [1]

Evènements historiques: 

  • Espagne 1936 [2]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [3]

Approfondir: 

  • Espagne 1936 [4]

Thèses sur la situation au Portugal

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A la suite d'une erreur technique les Thèses sur la situation au Portugal sont incomplètes. En effet  il leur manque l'introduction écrite  au moment de leur adoption,  le  01/11/75.

INTRODUCTION                                                                                 

Depuis le 21 septembre où ces thèses ont  été  écrites? L’évolution do la situation au Portugal a confirmé l'analyse qu'elles contiennent.

1° L'incapacité pour le gouvernement Azavedo de faire face à la crise économique? Sociale, politique et militaire  traduit l'épuisement? Souligné  dans les Thèses, des formules classiques de gestion de  l'Etat "bourgeois? D’encadrement et de mystification de la classe ouvrière. Elle rend d'autant  plus indispensable la mise sur pied d'une solution prenant pour axe les fractions los plus "gauchistes" de l'année, en particulier celles s'appuyant sur le COPCGH et utilisant les différents organes tels que les Commissions de travailleurs et de quartiers comme instruments d'encadrement de la classe, ouvrière.

2° Le fait que les seuls succès obtenus par le  6ème Gouvernement provisoire  se  situent sur le plan de 1’obtention d'une  aide de la CEE et  des USA alors que  sur le  plan intérieur celui-ci est encore  plus inapte  que  le 5ème à stabiliser la situation, confirme que la crise de l'été soit momentanément et principalement  dénouée  sur des problèmes de  politique  étrangère. Le choix du principal protagoniste de l'offensive contre la fraction pro-PC de l'armée, Melo Antunos  comme ministre  des affaires étrangères n'est pas  fait pour démentir cette vision.

L'élément nouveau étant  survenu depuis cotte  date?  Et qui  s'inscrit dans la perspective tracée  par les thèses,   est l'apparition des S.U.V. et des Comités de  soldats qui,  bien qu'expression de  la décomposition de  l'ensemble du corps  social,  ne  constituent en rien à l'inverse  des Comités de  soldats de 1917-19,  une manifestation révolutionnaire  de  classe.  Bien au contraire,  ces organes  sont essentiellement un instrument de  "démocratisation"  de l'armée devant lui  permettre  de mieux exercer son rôle  de  répression contre, la classe ouvrière.

PRESENTATION

Ces thèses ont été écrites le 21 Septembre 1975 et leur introduction ainsi que les points 6 et 8 de la dernière thèse datent du 1e Novembre. Depuis cette date sont intervenus, au Portugal, des événements importants qui semblent, à première vue, démentir totalement la perspective tracée. En effet depuis le 25 Novembre, à la suite d'une mutinerie des parachutistes de Tancos, fraîchement convertis à la politique "gauchiste", on a assisté à une vigoureuse "reprise en main" qui s'est traduite par l'élimination totale des rouages de l'Etat de la fraction qui est présentée dans les thèses comme la plus apte à diriger la défense du capital national portugais : la fraction COPCON-CARVALLO. En fait, le limogeage de Carvallo, Fabiao, Cdutinho, l'arrestation de Dinis, de Almeda etc., signifient que l'extrême gauche a perdu ce qui constituait son point fort : le contrôlé des forces de répression et d'intervention. Bien que le sixième gouvernement reste pratiquement inchangé, c'est la droite, qui gouverne maintenant au Portugal dans la mesure où, dans ce pays, c'est l'armée qui exerce l'essentiel du pouvoir. Le fait que ce soient des corps d'extrême droite comme les commandos d'Amadora et la Gar­de Nationale qui aient "rétabli l'ordre", le 26 Novembre et soient depuis chargés de la répression indique qu'elle est la véritable coloration du pouvoir politique actuel. Le retour en force d'officiers spinolistes aux postes laissés vacants par les "gauchistes" démis ou emprisonnés, la libération d'un nombre important d'agents de l'ex PIDE confirment cette indication.

Donc, ce que démontre clairement la situation présente, c'est la validité de l'idée essentielle des thèses : "du point de vue" des rouages politiques de gestion de la société et d'encadrement de la classe ouvrière, l'expérience portugaise signe l'échec de la" démocratie" classique..." (Thèse N°4). En effet, cette dernière, représentée essentiellement par le PS et le PPD qui dominent aussi bien la Constituante que le gouvernement Azevedo, a besoin, pour asseoir son pouvoir, du concours de l'extrême droite, ce qui lui retiré toute possibilité de mystification de Ta classe ouvrière et de contrôle de celle-ci autre que la répression ouverte.

Au Portugal, la crise, tant économique que politique, est tellement catastrophique qu'il n'existe pas de voie moyenne pour l'affronter. Pour contraindre la classe ouvrière a accepter les terribles sacrifices seuls capables d'empêcher une banqueroute totale, les solutions extrêmes sont seules envisageables: une répression d'extrême droite à la Pinochet, immédiate et ouverte, préconisée par. Spinola et Jaime Néves chef des commandos, ou bien la solution d'encadrement "gauchiste" définie par le document du COPCGW d'Août 1975.

Pour le moment, c'est la première solution qui .semble prévaloir. Mais le Portugal n'est pas le Chili. Il ne s'agit pas d'un pays "lointain" et "exotique" où on peut se permettre de massacrer sans problème, des dizaines de millier de travailleurs : le prolétariat du Portugal "est autrement plus puissant que celui du Chili et, d'autre par£ la bourgeoisie européenne n'est pas prête à accepter qu'.une guerre civile prématurée ne vienne dévoiler le véritable enjeu de la lutte de classe aujourd'hui. C'est pour cela, et bien qu'une erreur grossière de la bourgeoisie soit toujours possible, que la solution politique qui prévaut en ce moment au Portugal, ne devrait pas se prolonger très longtemps. Avec la reprise de "la, lutte prolétarienne qui depuis l'été, avait été paralysée par l'écran de" fumée d'une "alternative gauchiste" et qui ne manquera pas de se développer face à l’"austérité" aujourd'hui mise en; place, sera de nouveau à l'ordre du jour, pour la bourgeoisie portugaise, l'utilisation de ses formes les plus "radicales" de gouvernement, seules aptes à dévoyer la combativité ouvrière.

Le 3 Janvier 1976

ENSEIGNEMENTS DE LA SITUATION AU PORTUGAL

1  — Le Portugal constitue une illustration flagrante du fait que dans la période de décadence du capitalisme il n'y  a pas de place pour un réel développement économique des pays sous-développés y compris les mieux lotis d’entre eux. Grande puissance coloniale, ce pays ne réussit pas, malgré sa part appréciable du gâteau impérialiste, à assurer au cours du 20ème siècle, le décollage de son économie, à tel point qu'il réussit le rare exploit, à  la veille du 25 avril 1974, d'être à la fois le pays le plus-pauvre d'Europe, hormis la Yougoslavie, et le dernier à détenir des colonies.

D'abord conséquence de sa faiblesse économique, le retard avec lequel le Portugal donne l'indépendance à  ses colonies se meut en un handicap très sévère pour son capital (dépenses d'armement, d'administration coloniale, immobilisation pendant quatre années des travailleurs potentiels, (émigration politique) à tel point qu'en 1974 le Portugal présente la plupart des caractéristiques d'un pays du Tiers-Monde :

-    P.I.B. annuel par tête : 1250 $ (Grèce : 1790; France : 4900),

-    secteur agricole très important (29% de la population active, France : 12%, Grande-Bretagne:3%)

-    existence d'une structure agraire archaïque comprenant essentiellement des latifundia (moins de 1% des exploitations couvrent 39% des terres et des propriétés minuscules (92% des exploitations couvrent 33% des terrés) ayant dans les deux cas des rendements extrêmement, faibles.

-    concentration très grande d'une industrie récente en deux zones, Porto et Lisbonne-Setubal, à côté d'une petite industrie archaïque et peu compétitive (32 000 entreprises de moins de 100 salariés contre 156 de plus de 500).

2  — La crise ouverte du capitalisme qui commence vers 1965-67 heurte de plein fouet le Portugal à partir de 1973 compte tenu :

-    de la faiblesse structurelle de son économie de moins en moins compétitive,

-    du poids de plus en plus écrasant des guerres coloniales,

- du chômage qui se développe parmi les travailleurs, émigrés qui,  soit rentrent dans leur pays d’origine, soit cessent les envois de devises. En même temps que la crise qui se caractérise en 1973 par le taux d'inflation le plus élevé d'Europe, la lutte de classe, après l'épuisement de la vague de 1968-70 reprend avec une intensité accrue au début 1974 (Timex, -Lisnave, TAP, etc.)

3 — Le putsch du 25 avril correspond de la part des fractions les plus lucides de la classe bourgeoise, à une tentative de remise en ordre de l'économie nationale devant nécessairement passer:

-   par la liquidation de l'hypothèque coloniale,

-   par une : mise au pas de la classe ouvrière.

C'est 1'armée qui est l'agent de cette politique dans la mesure où c est pratiquement la seule force organisée de la société (en dehors du parti unique salazariste) et qui, en plus:

-   est directement mise en contact avec la vanité d'une solution militaire dans les colonies,

-   a suffisamment de distance avec les intérêts capitalistes particuliers liés au régime; de Salazar-Caetano pour avoir une vue globale des intérêts du capital national.

Si, au départ, le putsch se fait en accord avec les grands groupes privés (Champalimaud, CUF, etc.) dont Spinola est le principal représentant au sein de la Junte, la dynamique propulsée par les besoins objectifs de 1' économie nationale, conduit l'armée à prendre de plus en plus de mesures dans  le sens du capitalisme d'Etat.

Celle-ci s'identifie d'autant plus à cette forme de capitalisme :

- qu'elle n'est pas liée directement à la propriété privée, surtout depuis que les guerres coloniales l’ont obligée à faire appel à toute une série de cadres issus de la petite-bourge­oisie intellectuelle ;

 - que la-structure centralisée, hiérarchique et monolithique s’apparente à celle du capitalisme d’Etat.

C'est à travers une série de crises et de tentatives plus où moins effectives, de putsch des fractions classiques du capital que se fait cette évolution : juillet; 74, septembre 74, mars 75.

Même si, au départ, elles expriment une résistance des fractions anachroniques du capital, ces différentes crises viennent chaque fois à  point nommé pour briser une offensive ouvrière (grèves de mai-juin, grèves, d'août-septembre en particulier à la TAP, mouvements de février mars) en défoulant le mécontentement contre les "fascistes" et les "réactionnaires" dont on se complet à exagérer l'importance; .pour renforcer lés mesures économiques et politiques de capitalisme d'Etat (renforcement de la "gauche" du MFA. et élimination des fractions de "droite" comme Spinola, nationalisations présentées comme de "grandes victoires" ouvrières, réforme agraire, etc.). C'est à travers ces différentes crises, que se manifeste de plus en plus ouvertement le poids de l'armée dans la conduite de l'Etat et que se renforce la fraction; pro-PCP de celle-ci. La concordance des politiques du PCP et de 1’armée s'explique par lé fait que ce parti représenter une des fractions les plus dynamiques du capitalisme d'Etat et qu'il est au départ le mieux armé pour contrôler la classe ouvrière. Cette concordance exprime également une tentative menée par le capital portugais de se soustraire partiellement, sur le plan économique et politique, de l'influence, du bloc occidental en  se rapprochant du bloc de l'Est. Effectivement, même si le PCP, comme l'ensemble des partis staliniens, est avant tout un parti national, il n’en exprime pas moins, dans la division du monde en blocs impérialistes par rapport auxquels doit se déterminer chaque capital national, une tendance du capital portugais à se placer sous l'orbite russe ou du moins, à s'éloigner de l'orbite américaine,

4— Des objectifs que se fixait le coup d'État du 25 avril, seul celui de la décolonisation a été atteint9  Et encore, le résultat obtenu n'est pas particulièrement positif pour le capital portugais puisqu'il se traduit par un abandon de son influence au bénéfice des grands blocs impérialistes (particulièrement en Angola, colonie la plus riche) et qu'il aboutit au rapatriement d'un demi-million de colons complètement in-intégrables dans une économie métropolitaine en complète déconfiture.  En effet, malgré l'ensemble des mesures de capitalisme d'Etat.et les flots de démagogie antifasciste ou "révolutionnaire" du gouvernement, jamais l'économie portugaise ne s'est portée aussi mal et à aucun moment la classe ouvrière n'a pu être réellement remise au pas, ni enrôlée dans "la bataille de production" dont les staliniens et leur intersyndicale se sont faits les incessants propagandistes.

Pour le capital portugais, le problème posé depuis le 25avril reste entier :

- comment assainir l'économie nationale ?

-comment encadrer la classe ouvrière ?

Quels que soient les détours ou les hésitations dans la mise en œuvre de cette politique, la seule issue possible réside en une étatisation croissante de l'économie, en une concentration toujours plus grande du pouvoir économique et politique. En effet, seule une telle politique peut préserver un peu de cohésion dans une économie et un corps social en pleine anarchie, au bord de la dislocation, et également se présenter comme "révolutionnaire" aux yeux du principal ennemi du capital : le prolétariat.

En ce sens, plus que jamais,  au Portugal comme partout dans un monde plongé dans des convulsions économiques et sociales croissantes, l'heure est au capitalisme d'Etat. En ce sens, seules peuvent avoir un avenir les formations politiques qui représentent de façon la plus dynamique cette tendance. Celles qui s'accrochent à des formes anachroniques du capitalisme ou à des formes moins évoluées de capitalisme d'Etat comme le PPD ou le PS et ceci l'­en s'appuyant essentiellement sur la petite-bourgeoisie liée à la propriété, ne peuvent que régresser sur la scène-politique en même temps que les structures politiques (élections, constituante, partis démocratiques), elles-mêmes anachroniques, à travers lesquelles elles s'expriment.

Comme dans la plupart des pays du Tiers-Monde, l'armée représente, au Portugal, le principal agent du capitalisme d'Etat et en son sein, la frac-tien qui est appelée à jouer un rôle croissant est celle qui est la plus concentrée, la plus opérationnelle et en thème temps la plus lucide : le COPCON. Dans son orbite, les deux autres grandes tendances du capitalisme d'Etat -le PCP et les gauchistes- sont appelées à conserver, quoi qu'il arrive, un rôle important dans l'appareil d'Etat dans la mesure où ces deux forces assument l'essentiel du contrôle de la  classe ouvrière.

Du point de vue des rouages politiques, de gestion de. la société et d'encadrement de la classe ouvrière,  l’expérience portugaise signe l'échec de la "démocratie" classique tant du point de vue de la technique de mystification électorale que de l'utilisation des partis comme gérants de l'Etat, De force essentielle de l'Etat auquel  l’armée est inféodée, les partis deviennent des appendices de l'armée dans la direction de celui-ci. De même, le mode d'encadrement syndical se révèle de plus en. plus incapable de contrôler une classe ouvrière qui n'a pas connu des décennies d'opium "démocratique" et syndicaliste, A la place de ces techniques en voie d'épuisement, l'unique solution pour le capitalisme d'Etat portugais passe par un encadrement direct de l’armée sur la classe ouvrière  à travers des organes de "base" comme les "commissions, de travailleurs", de locataires, de quartiers, chargées  de prendre à leur compte l'administration des localités et la gestion des entreprises. A la démocratie classique électoraliste, le capitalisme d'Etat substitue de plus en plus une "participation" "apartidaire" des ouvriers à leur exploitation et à leur oppression. L’"autogestion" et le "contrôle ouvrier" ont de beaux jours à vivre au Portugal et c'est justement ce qu'exprime le document du COPCON du mois d'août 75. De telles nécessités objectives outre qu'elles ne peuvent signifier que l'écartement du PS et du PPD de tout pouvoir effectif, se traduisent par un renforcement de la tendance capitalisme d’Etat la plus liée aux techniques d'encadrement "à la base" au détriment de celle s'appuyant sur le syndicalisme classique. Le "soutien critique" des gauchistes au PCP risque de se convertir de plus  en plus en un "soutien critique du PCP aux gauchistes,

5 — Dans le cadre d'une telle analyse, la situation politique actuelle au Portugal semble incompréhensible. En effet, si on admet que le PC représente une forme plus adaptée que le PS aux besoins actuels de l’économie portugaise, on .comprend mal son recul face à celui-ci à la suite de la longue crise de l'été passé. Ce qui se serait compris plus facilement, c’est que le nouveau gouvernement soit plus "gauchiste" que le précédent et non plus "social-démocrate". Tel n'est pas le cas.

En fait, c'est à moyen ou à long  terme que s'expriment les besoins objectifs, tant économiques que politiques du capital. Et en ce sens, celui-ci sera obligé de faire appel aux formes d1organisa ion économique, aux mystifications et modes d'encadrement du prolétariat les plus .appropriés ainsi qu'aux forces et formations politiques qui en sont les agents et les véhicules. Mais c'est à travers toute une série de soubresauts apparemment contradictoires que peuvent être appelées à se dégager ces tendances à long terme. Et ceci pour plusieurs raisons :

1 — contrairement au prolétariat dont la prise de contrôle sur la société est nécessairement un acte lucide et conscient, ses propres préjugés de classe interdisent à la classe capitaliste une pleine conscience de son activité politique. En ce sens, c'est souvent à travers des louvoiements et des affrontements entre ses fractions les plus lucides qu'elles est amené à adopter l'orientation-la plus, apte à la défense de ses intérêts;

2   —.le jeu politique bourgeois est par excellence celui où "tous les coups sont permis", où les allies d’aujourd’hui peuvent devenir les adversaires de demain, où les combinaisons les plus surprenantes, apparemment "contre nature", peuvent se faire jour pour faire face à telle nécessité immédiate et circonstancielle et se dénouer quand cette nécessité a disparu;

3   — la profondeur de la crise actuelle s'exprime, dans tous les pays du monde, par le caractère contradictoire des mesures que la bourgeoisie tente de prendre pour la résoudre ou l’atténuer. Ce qui vaut pour le choix des plans économiques prisonniers de l'alternative implacable, récession/inflation, vaut seulement pour le choix des diverses solutions politiques : contradiction .entre la nécessité de jouer le plus vite possible les cartes de gauche afin de paralyser l'élan prolétarien à son début et la nécessité de ne pas user trop vite cette carte, contradiction entre, d'une part, le nécessaire renforcement des blocs imposé par l1approfondissement de la crise et la montée des tensions inter impérialistes et, d'autre part, la mise en avant d'une politique "d'union nationale" contre "l'impérialisme" capable d'entraîner le prolétariat derrière le char de son capital national, etc. Obligée de parer au plus pressé, la bourgeoisie adopte un jour une mesure dans un sens pour la remettre en cause le lendemain quand se déplace l'urgence des contradictions qui l'assaillent. C'est pourquoi, dans un pays, la conduite de la politique apparaît d'autant plus heurtée et contradictoire que la crise y est profonde.

Pour comprendre la crise de l'été passé et sa "solution" présente, il faut donc prendre en compte ces différentes considérations et faire intervenir non seulement les nécessités à long terme du capital portugais mais' également les nécessités plus circonstancielles et les manœuvres éventuelles que leur "solution" a pu provoquer entre les différences forces bourgeoises.

En l'occurrence, ce ne sont pas Seulement des données de politique intérieure qui; sont à l'origine réelle de la crise, même si c'est l'affaire "Republica" qui en est le détonateur, mais également des éléments de politique extérieure. Certes, plus la lutte de classe devient un facteur décisif dans la politique d'un Etat et plus celle-ci' se détermine en fonction de besoins internes mais cela ne signifie pas :

-    que les besoins externes cessent d'exister ;

-    que ceux-ci soient incapables de prendre momentanément le dessus à l'occasion d'une accalmie de la lutte de classe comme c'est le cas en juillet 75.

Début juillet, la fraction du MF A proche du PCP, dirigée par Vasco Gonzalves, exerce un pouvoir extrêmement important au sein de l'Etat : majorité au sein du gouvernement réel -le conseil de la révolution- ainsi que dans le gouvernement civil, contrôle de l'essentiel des moyens d'information et de propagande, (en particulier la 5° division), contrôle de l'Intersyndicale. Il s’agit là d'une solution inadaptée-aux besoins du capital portugais, et cela à deux titres:

-    la force du PCP et de son intersyndicale va en décroissant au sein de la classe ouvrière ;

-    le Portugal doit abandonner toute perspective de désengagement du bloc occidental tant du point de vue économique que militaire. L’échec des tentatives commerciales en direction de l'Europe de l’Est dont l'économie, très faible, offre peu de possibilités à celle du Portugal, les conditions mises à une aide éventuelle de la CE ainsi que les déclarations de Kissinger et la mise au point consécutive de l'URSS indiquent que la place du Portugal est au sein de l'Otan et de l'économie occidentale.

Même si le PCP continue de correspondre en partie au besoin du capitalisme d'État, sa place au sein de celui-ci doit nécessairement être réajustée au " bénéfice d'une autre fraction, à la fois plus "gauchiste", et moins liée à une politique extérieure pro-russe.

On assiste donc à une lutte dont l'a-prêté et la durée ainsi que la désorganisation qu'elle provoque dans l'Etat traduit la solidité des trois forcés qu'elle oppose : les restes du capitalisme classique, "démocratique", pro-atlantiste regroupées derrière le PS, le PPD, et en partie, la fraction Antunes de 1'armée; la fraction Gonzalves -PCP, pro-russe, la fraction COPCON appuyée sur les gauchistes, "réaliste" en politique extérieure (son slogan sera : "contre les impérialismes, indépendance nationale).

C'est au sein de l'armée que se produit l'affrontement décisif dans la mesure où celle-ci exerce l'essentiel du pouvoir. Et c'est la fraction Melo An tunes, prônant l'ouverture vers 1'Europe, qui y mène le combat le plus décidé contre la fraction Gonçalves, Le succès du document Antunes est le fruit de la conjonction de tous ceux qui se retrouvent contre Gonçalves pour des raisons de politique extérieure ou intérieure. Ce succès momentané et circonstanciel de la fraction Antunes propulse celle-ci au sein du MF A et lui fait acquérir, dans cet organe, la position dominante au détriment de la fraction PC-Gonçalves (qui s'y maintient avec relativement de force) et avec la neutralité de la fraction COPCON-Carvalho qui reste la plus lucide quant aux intérêts réels du capital portugais.

En ce sens l'actuelle "victoire" du PS et du PPD, expression circonstancielle des besoins du capital portugais en politique extérieure et du réajustement du poids de la fraction PCP ne doit pas cacher les faits :

-    que c'est l'armée qui est restée le cadre décisif du conflit et donc se maintient comme unique source du pouvoir réel môme si on reparle actuellement de "ranimer" la Constituante ;

-    que le cours vers le capitalisme d'Etat ne peut pas être réellement remis en cause ;

-    que les problèmes de politique extérieure sur lesquels s'est joué en bonne partie le conflit (cf., Antunes aux affaires étrangères) ne sauraient rester longtemps au premier plan face à une reprise de la lutte de classe ;

- que l'actuel gouvernement ne possède pratiquement aucun pouvoir de mystification sur la classe ouvrière.

En fait, la fraction la plus forte militairement au sein de l'armée et la plus lucide, le COPCON-Carvalho,  s'est servie des fractions "démocratiques" du Capital (Antunes dans l'armée et PS-PPD en dehors) uniquement en vue d'amoindrir la fraction PCP en évitant au maximum de faire cette tâche par elle-même (exception faite de l'occupation des locaux de la 5° division par le COPCON et la lettre de Carvalho à Gonçalves lui enjoignant "amicalement" de démissionner). Cette prudence s'explique par le fait que cette fraction devra compter sur 1' appui de la fraction PCP pour gouverner et qu'elle ne pouvait compromettre cette alliance nécessaire par une attaque trop ouverte.

En apportant un "soutien extrêmement critique" (Carvalho) à l'actuel gouvernement, la fraction Carvalho laisse celui-ci et les forces politiques qui le dominent (Antunes, PS, PPD) prendre la responsabilité des mesures d'austérité draconiennes que le capital portugais doit adopter de façon urgente et qui ne manqueront pas d'accélérer l'usure  de ces forces au bénéfice de cette même fraction.

Par conséquent, ce gouvernement ne saurait rester longtemps en place et, assez rapidement, la solution préconisée par le COPCON et les gauchistes d'un pouvoir militaire utilisant une "assemblée nationale populaire" des différentes structures populaires de base comme moyen d'encadrement de la classe, sera à l'ordre du jour.

6 — Plus généralement, il est clair que l'activité autonome de la classe ne peut se manifester que dans le cadre des Comités d'usine et des Conseils ouvriers et, que ceux-ci ne peuvent survivre que comme organes au service de la classe. Il ne s'agit donc par là de simples "formes" sans importance comme le prétendent les bordiguistes. Cependant  la simple existence de ces organes ne leur confère  pas automatiquement, comme  le  pensent les  conseillistes un mode d'activité conforme aux intérêts du prolétariat. L'expérience,  entre  autres,  des Conseils ouvriers allemands en 1918 le montrait déjà. La situation au Portugal tond à le confirmer aujourd'hui dans le cas de  celles  des  commissions qui ne sont  pas  de  simples  créations de  gauchistes,  mais qui  ont  surgi  spontanément  au cours  des luttes.  Il ne  suffit  donc pas  aux révolutionnaires d'exalter de  façon béate  ces organes autonomes mais il  leur revient la tâche  fondamentale de défendre, au sein de  ceux-ci, les positions communistes afin d'en faire un instrument véritable de  la lutte prolétarienne.

7 — Du point de vue de sa localisation géographique à la périphérie de l'Europe comme de son importance économique, le Portugal n'est pas appelé à jouer un rôle fondamental dans les affrontements de classe qui se préparent. Néanmoins, dans la mesure où c'est aujourd'hui le pays d'Europe où, d'emblée, compte-tenu de sa faiblesse structurelle, les problèmes économiques et politiques ont été posés avec le plus d'acuité, le Portugal constitue un champ d'expérimentation des différentes armes de la bourgeoisie contre le prolétariat mondial et par suite un terrain d'analyse très riche pour la prise de conscience de ce dernier« Les enseignements essentiels de la situation portugaise sont les suivants :

1° — Le capitalisme d'Etat se confirme comme la seule option capable de faire, face à la crise tant pour empêcher la dislocation totale de l'économie que pour mystifier la classe ouvrière. La situation actuelle confirme la nécessité pour le capital de mettre en place un mode d'encadrement de la classe ouvrière avec lequel elle s'identifie au maximum et qui est le seul capable de lui imposer une certaine "discipline".

2° — La mystification antifasciste continue d'être une des armes  les plus efficaces du capital et celui-ci 1'utilisera jusqu'au bout partout où cela sera possible. L'actuelle campagne pour la grâce des condamnés à mort Espagnols qui se développe tant en Espagne que dans d'autres pays confirme amplement ce fait. Le rôle des révolutionnaires sera de dénoncer impitoyablement ces mystifications et tous ceux qui les entretiennent.

3° — La présente situation au Portugal fait apparaître que là où elles n'ont pas pu se développer pleinement les institutions classiques d'encadrement de la classe -syndicats classiques et démocratie parlementaire- sont rapidement dépassées quand la lutte de classe s'approfondie. C'est là un phénomène qui s'était déjà manifesté en Russie en 1917* Mais se qui exprime l'impuissance actuelle de ces institutions au Portugal va au-delà des conditions spécifiques à ce pays. Après un demi-siècle ou plus pendant lequel se sont perpétuées ces institutions non plus sur la base de la fonction pour, laquelle elles avaient surgi dans l'histoire mais comme simple instrument de mystification, celles-ci sont maintenant en partie usées pour 1'accomplissement de cette seconde fonction. Les parties qui sont attachées à ces formes d'encadrement de la classe, les P.S et les P.C sont eux-mêmes atteints par cette usure, d'autant plus qu'ayant accompli l'essentiel de leurs fonctions au cours de la période de plus profonde contre-révolution ils ne sont pas nécessairement bien préparés pour affronter la situation nouvelle que représente la reprise de la classe.

4° — Comme déjà maintenant au Portugal, face à l'usure des formes classiques d'encadrement le capital tendra de plus en plus à utiliser les organes que la classe se sera, donnés au cours de sa lutte pour en faire des institutions d'étouffement de cette lutte. Il ne fera là que reprendre.une méthode qui a déjà fait ses preuves pendant la période de décadence : la récupération des organes et institutions de la classe qu'il ne parvient pas à combattre de front. Il en a été ainsi des syndicats .à une époque, puis plus tard des conseils ouvriers que la vague révolutionnaire des années 17-23 avait fait surgir. Avec le développement de la lutte de classe cette méthode sera sans doute employée à grande échelle et les révolutionnaires eux-mêmes devront prendre garde à ne pas tomber dans le piège des nouveaux "conseils ouvriers" ou des nouveaux "soviets",

5° — Une des formes la plus courante que revêtira cette récupération sera sans doute, à l'image du Portugal l'utilisation de ces organes comme instruments de "l'autogestion" et du "contrôle ouvrier", d'autant plus que ces formules apparaissent, d'une part, comme une variété plus "à gauche" du capitalisme d'Etat, et, d'autre part, s'accommoderont bien du cortège de faillites qui accompagnera la crise.

Donc à la place des formes classiques de "participation" médiatisée à la gestion de la société à travers syndicats et parlements, les travailleurs seront de plus en plus conviés à une "participation" beaucoup plus directe à leur exploitation et à leur oppression,

6° — Compte-tenu de cet ensemble de faits les différentes variétés gauchistes: "antifasciste", "anti-impérialiste", moins liées aux modèles classiques d'encadrement que les partis de gauche officiels seront appelés à jouer un rôle fondamental comme rabatteurs pour le compte de ces partis quand ce ne sera pas comme force de rechange. Là encore, le rôle des révolutionnaires sera de dénoncer avec la plus grande rigueur tous ces courants et d'annoncer clairement à la classe la fonction répugnante qu'ils seront amenés à accomplir.

8 — L'appel à des modes  d'encadrement "à la base" et populistes de  la classe ainsi que la mise en avant des gauchistes posera à terme,  pour le  capital,  au fur et à mesure  où il  sera obligé d'y recourir, le problème de l'épuisement de ces moyens de mystification. Cet épuisement ouvrira alors  la possibilité  d'une claire  prise  de  conscience  par le  prolétariat  de  ses véritables intérêts  de classe. Derrière l'épuisement des formules classiques d'encadrement de la classe qui est  déjà avancé  aujourd'hui  au Portugal et  qui, demain, à des rythmes différents  suivant les pays,  tendra à  se  généraliser, se  profile  donc la perspective de l'organisation autonome  de  la classe  luttant  pour ses  intérêts historiques et donc de  son affrontement direct avec la bourgeoisie. Ce  fait doit être  pleinement  compris par les révolutionnaires  afin qu'ils mettent  tout en œuvre dans le but  d'être à la hauteur, du point de vue de leur organisation et de leur intervention, des responsabilités que  cette  perspective  leur confère.

 

C.G.

Géographique: 

  • Portugal [5]

Adresse à tous les révolutionnaires.

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Appel de la conférence de fondation du groupe "Internationalisme", section belge du Courant Communiste International.

Après plusieurs mois de discussions amenant à un accord sur les frontières de classe, positions politiques fondamentales issues se la lutte du prolétariat, trois groupes, le Révolutionnaire Raden Socialisten (d'Anvers), le Vrije Raden Socialisten (de Gand) et le Journal de Luttes de Classe (de Bruxelles), ont décidés de se dissoudre en tant que groupe séparés pour former une seule organisation en Belgique, appelée Internationalisme.

Vu la période actuelle de crise aigüe précédant soit l'émergence de la révolution prolétarienne, soit le prolongement de la barbarie capitaliste dans une troisième guerre mondiale, les révolutionnaires ont comme tâche, la constitution d'une organisation, centralisée au niveau international, en vue de généraliser les luttes communistes et la conscience révolutionnaire au sein de la classe ouvrière,

La conférence, considérant que :

- la destruction du capitalisme comme mode de production transitoire est 1'œuvre du prolétariat lui-même, seule classe historiquement contrainte et en mesure de s'organiser pour abattre le capitalisme.

- le prolétariat ne dispose pour cette tâche que de sa conscience et dé son organisation.

-  l'organisation politique du prolétariat contribue à la prise de conscience de la classe, et les conseils, expression de son unité, sont 1'instrument de sa prisé de pouvoir et de sa dictature.

-  la destruction du capitalisme n'est pas un problème local ni national, mais -parce que le capitalisme est un système mondial et le prolétariat- une classe mondiale embrasse tous les pays du globe et nécessite pour cet anéantissement le concours théorique et pratique des forces révolutionnaires les plus avancées,.

Appelle tous les révolutionnaires et groupes révolutionnaires en accord sur les .frontières de classe à se regrouper autour d'un pôle révolutionnaire cohérent et organisé de façon mondiale.

C'est vers-la constitution de ce pôle que tendent actuellement les plus grands efforts des groupes qui constituent le Courant Communiste Internationale C'est donc avec lui et autour de lui que nous appelons tous les révolutionnaires conséquents et responsables devant leur classe à unir leurs efforts et à .s'organiser en vue d'en faire l'outil indispensable au triomphe de la révolution communiste.

VIVE LA REVOLUTION MONDIALE

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  • Belgique [6]

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [7]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [3]

Thèses sur la situation en Espagne

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PRESENTATION

Depuis le moment où ces thèses ont été écrites (19-10-75) des événements politiques importants se sont produits en Espagne qui, sans remettre en cause les perspectives générales tracées par celles-ci, demandent qu'elles soient actualisées.

Les thèses situent une des causes de "l'incapacité de la bourgeoisie espagnole à se doter de moyens politiques adaptés à la tâche d'encadrement et d'affrontement du prolétariat autres que sanglants" dans "une paralysie à caractère quasi-religieux devant la personne de Franco, qui,, tant qu'il est en vie, constitue l'unique ciment et raison d'être des forces complètement anachroniques qui le soutiennent" (thèse n°5). L'agonie et la mort de Franco, en éliminant une des causes de la paralysie de la bourgeoisie espagnole ont débloqué la situation. Elles ont jeté dans un total désarroi ces: forces anachroniques mentionnées dans les thèses et qui se regroupaient en partie dans l'armée et surtout dans la police. Celle-ci, au cours de "l'in ter-règne", a essayé de compromettre toute perspective de "démocratisation", en se livrant à une répression systématique et en particulier en remettant en prison Marcelino Camacho, dirigeant stalinien des commissions ouvrières, quelques jours après sa libération. Mais c'était là le chant du cygne.des "ultras". Ceux-ci se sont laissés lier les mains par le maintien de Arias Navarro à la tête du gouvernement et ont dû recevoir sans broncher une mise en garde solennelle du ministre de l'intérieur, le nouvel "homme fort" du régime, Fraga Iribarne : "Que m'entendent bien ceux qui s'attribuent des fonctions, que personne ne leur reconnaît, de gardiens pour leur propre compte et de leur propre chef; nous n'aurons d'autres amis ni d'autres ennemis que ceux de l'Etat" (20 Déc.)

La mort de Franco vient donc nuancer la perspective tracée dans la thèse n°10 : "Malgré la "prise en charge" de la situation espagnole par la bourgeoisie mondiale, il est peu probable que la transition en Espagne puisse encore se faire dans le calme". Aujourd'hui, forte de l'appui de toute cette bourgeoisie mondiale (à preuve 1' afflux au couronnement de Juan Carlos de chef s d'Etat qui avaient 'manqué" les obsèques de Franco) et particulièrement de la bourgeoisie américaine, la bourgeoisie espagnole a enfin mis sur rails, après deux tentatives infructueuses à la fin des années 60 et au début de 74, le délicat processus d'ouverture ("apertura") qui doit lui permettre d'aboutir à une "véritable démocratie". Et qu'elles soient au gouvernement ou dans l'opposition, les principales fractions de cette bourgeoisie font tout leur possible et de façon concertée (cf. le diner en tête à tête le 15 décembre de Fraga Iribarne et de Tierno Galvân, un des dirigeants de la Junte Démocratique) pour que cette transition se fasse dans le calme.

Ainsi, la politique des "petits pas" vers la démocratie menée par le gouvernement actuel a un double objectif :

-        assurer "une continuité suffisante dans les structures étatiques pour éviter une désorganisation et des bouleversements comme ceux du Portugal

-        permettre que le mécontentement et la combativité du prolétariat soient dévoyés vers un "approfondissement" et une. accélération de la démocratisation.

L'opposition, de son côté, s'est unifiée sur la base d'un tel dévoiement des luttes ouvrières. Le chef du PSOE, Felipe Gonzalez ne se gêne pas pour déclarer : "Le pays veut la démocratie sans la violence, c'est pourquoi nous  sommes prêts à un compromis. Il faut faire un effort de réalisme" (L'Expansion, Déc. 75). Les thèmes vers lesquels la gauche peut tenter de détourner la combativité de la classe ne manquent pas et ils seront probablement tour à tour tous utilisés l’amnistie, liberté de la presse, "droit" de grève, suffrage universel, référendum constitutionnel, etc.

Et quand tous ces thèmes auront été usés il lui restera encore 1'épouvantail du "retour du fascisme". En Espagne, comme partout ailleurs, la gauche au pouvoir ne se privera pas de dénouer les ouvriers en lutte comme "agents du fascisme", de la "réaction", de la "droite" etc., afin de pouvoir mieux les réprimer, C'est en ce sens  que les présentes thèses gardent toute leur actualité. 

PERSPECTIVES

1   — Avec des taux de croissance de plus de 10% au cours des années 60, 1’économie espagnole est après celle du Japon celle qui a su le mieux profiter des dernières possibilités offertes par la reconstruction d’après-guerre. Ces progrès spectaculaires en ont fait en peu d"'années une des économies d'Europe les plus modernes et concentrées tout  en laissant en vie toute une série de secteurs archaïques dans 1'agriculture, le commerce, l'artisanat et la petite industrie. Jointe aux structures politiques rigides du franquisme, la persistance de ces secteurs archaïques' a été la cause de l'apparition de tensions et de contradictions que le développement de la crise mondiale met aujourd'hui à nu.

2   — Enfant prodige de l'économie européen ne, le capitalisme espagnol tend aujour­d'hui à devenir un de ses parents pauvres. Avec une baisse de la production industrielle de 8 % une inflation de presque 20 %, et un doublement du chômage, l'Espagne est entrée cette dernière année de plein pied dans la crise* L'existence d'une forte émigration dans les pays plus développés également frappés par la crise et la place importante du tourisme dans l'économie espagnole ont contribué de manière très sensible à l'aggravation de la situation de celle-ci .

3   — Riche d'une tradition ancienne de combativité et de solidarité, payant le boom de "son" économie nationale  par une exploitation féroce, le prolétariat espagnol s'est lancé, dès les premières agressions de la crise, vers la fin des années.60, dans des luttes très dures et résolues. Celles-ci ont atteint leur point culminant pendant l'hiver 74-75, quand ce sont des concentrations industrielles ou des provinces entières qui ont participé à des mouvements souvent violents et qui ont placé le prolétariat espagnol, malgré la répression systématique qu'il doit affronter, au premier rang mondial pour les grèves.  L'aggravation très importante des conditions de vie des travailleurs depuis l'hiver dernier, aggravation liée au déferlement de la crise, ouvre la perspective d'affrontements considérables entre ce prolétariat et sa bourgeoisie0

4 — Pour faire face à cette perspective de luttes, la bourgeoisie espagnole est particulièrement démunie :

—         Le régime actuel est honni par les populations ouvrières qui voient en lui le symbole de leur écrasement de 36-39, et de leur répression ultérieure. Il ne présente aucune possibilité de mystification et de détournement "de l'intérieur "des luttes.

—         Ce régime est complètement caduc, sénile et incapable de se réformer par lui-même pour affronter la nouvelle situation; en particulier, après plusieurs tentatives, il s’est avère incapable d'assurer une transition "institutionnelle" vers la démocratie pourtant appelée par les vœux d'une partie croissante de la bourgeoisie et qui est seule capable de détourner la lutte de classe La violence aveugle avec laquelle le régime franquiste a frappé les militants gauchistes du FRAP et de l'ETA est la manifestation de l'impasse mortelle dans laquelle il se trouve. Sa fin imminente le fait ressembler à une bote aux abois.

5— L'incapacité de la bourgeoisie espagnole à se doter de moyens politiques adaptés à la tâche d'encadrement et l'affrontement du prolétariat, autre que sanglent, réside dans plusieurs causes :

—         Une paralysie de la bourgeoisie face aux mesures urgentes que la situation impose, occasionnées par la peur de réveiller les démons qui sommeillent. En d'autres termes, la menace prolétarienne est devenue trop forte pour que la bourgeoisie prenne en charge les mesures capables de l’affronter.

—         Une paralysie à caractère quasi-religieux devant la personne de Franco, qui, tant qu'il est en vie, constitue l'unique ciment et raison d'être des forces complètement anachroniques qui le soutiennent.

—         La relative faiblesse des partis politiques démocratiques, faiblesse liée à la situation encore partiellement ... arriérée ce l'économie espagnole et aux 36 années d'illégalité dans laquelle sont restés ces partis.

6  — Contrairement au Portugal, l'armée ne peut constituer en Espagne un levier de transformation politique dans la mesure où cette force sociale ne constitue pas la seule force sociale organisée au sein d'un capitalisme relativement développé et puissant.

—        n'est pas une armée coloniale confrontée à une situation lui permettant de prendre conscience des intérêts véritables du capital national.

—        recrute ses cadres dans les catégories sociales les plus proches du régime, compte tenu de son rôle limité au maintien de l'ordre intérieur.

— constitue le meilleur soutien du régime et que le maintien de son  poids prépondérant au sein de l'Etat comme le maintien des privilèges du personnel militaire en service actuellement sont liés à la survie de  ce régime.

En ce sens, les mouvements de contestation qui  se développent au sein de l’armée espagnole, même s'ils sont utilisés par la bourgeoisie pour développer le mythe d'une "armée démocratique", comme c'est leur seule fonction,  sont condamnés à conserver un rôle politique secondaire et ne peuvent en aucune façon jouer un rôle semblable à celui du "mouvement des capitaines".

C'est pour ces mêmes raisons que les Partis démocratiques classiques et particulièrement ceux regroupés derrière la "junte démocratique" sont appelés, malgré leur relative faiblesse, à jouer un rôle important, plus qu'au Portugal, ainsi par conséquent, que les formes classiques d'encadrement et de mystification de la classe,  syndicats et élections. En ce sens, les cartes gauchistes seront probablement utilisées Plus tard qu'au Portugal et assumeront pour un bon moment, plutôt que de relève, un rôle de rabatteurs pour  la gauche classique.

7  - Une autre différence avec le Portugal réside dans la position de ces deux pays sur l'échiquier international, et particulièrement dans le domaine de la lutte de classe. Par le poids de son industrie, de son prolétariat, de la combativité de celui-ci, par sa position géographique beaucoup plus proche des centres vitaux eu capitalisme européen, l'importance de la situation en Espagne est beaucoup plus grande que celle du Portugal.

Cette dernière avait essentiellement une valeur de champ de manœuvre et d’expérimentation des différentes solutions de rechange de la bourgeoisie face à la crise et aux luttes ouvrières. Au même titre que la Russie de 1917, parce que c'est un des "maillons faibles" du système, l'importance du développement de la situation en Espagne dépasse de loin celle d'un exemple pour acquérir un poids effectif et décisif sur le développement de la lutte de classe dans le reste de l'Europe.

8   — Le rôle fondamental de la situation en Espagne sur le terrain international de l'affrontement entre classes et l’incapacité de la bourgeoisie espagnole à faire face aux nécessités objectives de la défense de ses intérêts (incapacité qui s'est manifestée en particulier par les cinq exécutions du 27 septembre) ont conduit la bourgeoisie mondiale à prendre en charge elle même la "régularisation" de la situation espagnole.

L'histoire enseigne que le seul moment où les différentes bourgeoisies nationales peuvent laisser de côté leurs rivalités économiques et impérialistes, c’est quand leur propre existence est mise en cause par la lutte de classe.

C'est ce qu'aujourd'hui les différentes fractions nationales de la classe bourgeoise, fortes de leur expérience passée, sont en train de réaliser de façon préventive par rapport à l'Espagne en prenant des mesures effectives de pression sur ce pays (décisions de la CEE) et en orchestrant de grandes campagnes de dénonciation de son régime politique.

Encore plus qu'elles ne servaient à défouler le mécontentement des travailleurs européens et à détourner leurs luttes, les récentes campagnes antifascistes avaient pour fonction de signifier à la bourgeoisie espagnole le soutien assuré par la bourgeoisie des autres pays aux fractions démocratiques, comme seules aptes à faire face aux besoins politiques du capital en Espagne et dans le reste de l'Europe.

9   — Dans ces grandes manœuvres du capital il n'est pas surprenant de retrouver, aux côtés du Pape, de la gauche traditionnelle et des gaullistes comme Alexandre Sanguinetti, ces éternels jusqu’'auxboutistes des causes anti-prolétariennes que sont les gauchistes parmi lesquels les anarchistes font autant de bruit que le leur permettent leurs faibles forces.

Plus tragique est le fait que le désespoir de certains éléments de la petite-bourgeoise et même du prolétariat les mette à la merci des menées contre-révolutionnaires du FEAP et de l'ETA ou autres mouvements nationalistes, qui les utilisent comme instruments d'un terrorisme qui d'une part constitue un moyen de dévoiement de la lutte de classe , d'autre part permet de justifier  une répression sanglante , et enfin: fournit en martyrs frais ,1a propagande répugnante de la gauche et des gauchistes; propagande d' autant plus répugnante que la tâche à laquelle elle est attelée n'est autre que la préparation des équipes ministérielles qui auront pour tâche d’assurer un éventuel massacre du prolétariat espagnole,

10 — Malgré la "prise en charge" de la situation 'espagnole par la bourgeoisie mondiale (y compris celle des USA par Allemagne et Hollande interposées) il est peu; probable que la transition en Espagne puisse encore se faire dans le calme. C'est donc "à chaud", particulièrement comme produit des luttes ouvrières que les partis démocratiques et particulièrement la junte du même nom accéderont au pouvoir. Dans  une telle situation, il est également probable qu'une très grande violence se développera contre les tenants de 1’ancien régime, violence qui sera prise en charge par la gauche, et les gauchistes; au nom encore une fois de l'antifascisme, ils essaieront de polariser le prolétariat.sur un terrain bourgeois et de le détourner de ses luttes.

11 — Comme en 1936, en raison des violences, qui s'y préparent, et de la situation historique de laquelle elle sort, l’Espagne est appelée à constituer à nouveau un des thèmes principaux de dévoiement des luttes, du prolétariat européen. Les actuelles campagnes antifascistes, bien que pour le moment elles aient surtout pour fonction d'aider la bourgeoisie espagnole a se débarrasser d'un régime inadapté aux besoins du capital, font partie des préparatifs bourgeois pour renforcer le mythe qu'elle utilisera à fond au plus chaud des affrontements de classe : celui de "la menace fasciste".

La différence avec les campagnes de 36, c'est que les présentes ont surtout pour fonction d'entraver un développement ascendant de la lutte prolétarienne afin de mieux pouvoir la réprimer le moment venu, alors que les précédentes se situaient après 1’écrasement du prolétariat mondial et avaient pour tâche de mobiliser celui-ci dans la guerre impérialiste. En  1925, en face d'un  prolétariat complètement désemparé, le fascisme avait une existence réelle et cela permettait d’autant mieux l'embrigadement de la classe prolétarienne. Aujourd'hui la  "menace fasciste" doit être construite de toutes pièces et un prolétariat en plein réveil aura beaucoup plus de difficultés à avaler une telle couleuvre, mais le relatif succès avec des conditions moins propices de la mystification antifasciste autour du Portugal, montre qu'il ne faut pas négliger celle qui se développera autour de l'Espagne.

12 — Dans cette perspective, les .révolutionnaires doivent mettre au premier plan de leur activité la dénonciation la plus claire et systématique possible de la mystification antifasciste. Ils doivent; dénoncer 1a gauche candidate au rôle de bourreau du prolétariat et particulièrement les chiens de garde gauchistes, qui essai et essaieront de la battre sur son terrain dans l'hystérie antifasciste. Ils doivent, pour leur part, veiller à ne faire aucune concession aux campagnes antifascistes et affirmer clairement la fonction contre-révolutionnaire de tous les courants politiques qui, même de façon critique, participent et participeront à ces campagnes.

REVOLUTION INTERNATIONALE  19. 10. 1975.

Géographique: 

  • Espagne [1]

Salut à Internationalisme

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Le Courant Communiste International salue la constitution du groupe unifié en Belgique et son intégration dans le C.C.I. Il voit dans ce fait une manifestation de la situation mondiale d'approfondissement de la crise ressentie plus fortement chaque jour par les éléments révolutionnaires qui tendent à regrouper leurs forces sur le plan national et international afin de pouvoir efficacement assumer les responsabilités qui sont les leurs dans lai lutte internationale du prolétariat.

L'importance de la constitution de la section du C.C.I. en Belgique est à souligner pour plus d'une raison :

- l'importance de ce pays hautement industrialisé dont le prolétariat a une longue tradition de lutte de classe.

- sa place géographique qui en fait une plaque tournante de l'Europe.

- 1'inclusion d’un important secteur ouvrier qui permettra le développement de notre propagande vers les pays de langue flamande.

Aussi, le C.C.I. est convaincu de la place qu'est appelée à occuper la section en Belgique dans le cadre-de l'ensemble de son travail.

Le C.C.I. estime qu’une attention particulière doit être accordée par les révolutionnaires à l’expérience que constitue le processus d'unification des groupes en Belgique. L’esprit qui a été constamment présent dans ce processus se fondait sur une véritable volonté révolutionnaire consciente de la nécessite du regroupement organisationnel dans le cadre des principes fondamentaux de l’orientation révolutionnaire.

Le C.C.I., dans son ensemble, doit s'imprégner de cette riche et positive expérience dans la poursuite de son travail pour le regroupement des révolutionnaires. Cette expérience est une illustration de la nécessité entre le monolithisme stérile et l’éclectisme empirique, produites de la longue période de recul et qui pèsent lourdement aujourd'hui sur les éléments révolutionnaires.

RESOLUTION ADOPTEE PAR LE C.C.I.

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Correspondance internationale : à propos du situationnisme

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INTRODUCTION A LA LETTRE A "DIVERSION",

La lettre qui suit fut adressée à un groupe argentin qui, se réclamant de l’essentiel des conceptions de l’"INTERNATIONALE SITUATIONNISTE", nous a fait parvenir des extraits du premier numéro à paraître, de leur revue : "DIVERSION". A travers la critique de ces documents, elle est donc amenée à traiter de ce qu’on a voulu appeler le "situationnisme".

Le "situationnisme" fut l'expression la plus radicale du mouvement étudiant qui,  réagissant aux premiers symptômes de la crise économique mondiale secoua les principaux pays occidentaux à la fin des années

Préconisant la "fin de l'université", la destruction radicale de l’Etat bourgeois avec ses syndicats et ses "partis ouvriers" staliniens, trotskistes et autres dérivés, se revendiquant du "pouvoir international des "Consei1s Ouvriers", il tranchait d'avec le gauchisme universitaire qui réclamait "la modernisation de l'université", l'instauration de "gouvernements démocratique" formés par les "partis ouvriers" du capital, et ne mettait derrière le mot révolution que la revendication de capitalisme d'Etat.

Mais 1'"Internationale Situationniste" ne survécut pas au mouvement qui l’avait portée au sommet de sa gloire. Avec la fin de la contestation estudiantine, l’IS se dissout dans une série de scissions et d'exclusions réciproques portant sur  la problématique qui lui était en fait la plus spécifique, à savoir les problèmes du petit-bourgeois intellectuel, sincèrement révolté entre la société capitaliste, mais impuissant a envisager les problèmes de 1’humanité autrement qu'à travers ceux de sa petite individualité, ceux de la ''misère de sa vie quotidienne". Incapables tout comme les socialistes utopistes du XIX° siècle dont ils aimaient tant se réclamer,  de reconnaître réellement dans la classe ouvrière la seule force révolutionnaire de la société ;  les  situationnistes ont fini par s'user dans les impasses mesquines et nombrilistes de la recherche de l'auto "désaliénation".

Cependant, par ses positions contre le syndicalisme,  le parlementarisme, le frontisme,  le nationalisme,  le capitalisme d'Etat présenté comme socialisme,  le situationnisme fait encore illusion aujourd'hui dans des noyaux cherchant à se transformer en facteurs actifs de la révolution communiste. Mais, tout comme il y a sept ans, son incompréhension des fondements mêmes du marxisme le déterminisme économique et le rejet de toute possibilité d'activité révolutionnaire en dehors de la lutte historique de la classe ouvrière — fait du "situationnisme" cette théorie de la petite bourgeoisie révoltée, une impasse réactionnaire pour toute démarche vers l'activité révolutionnaire.

C'est ce que nous avons voulu mettre en évidence dons cette lettre à "Diversion".

LETTRE A "DIVERSION" (Argentine).

Le texte de Maria Teresa et de Daniel commence par dire :

"La lutte que nous avons engagé contre le vieux monde, la réalisation de moments qui ne soient pas morts entre dans une phase nouvelle. La société spectaculaire-marchande se divise et affaiblit ses forces dans cette période historique. La "diversion" surgit et sa force va grandissante. Et le lecteur attentif constate qu'il ne parvient pas réellement à comprendre ce que les auteurs ont voulu exprimer dans ces lignes. Il lit dans le texte,  toujours attentif, jusqu'à la dernière ligne, dans l’espoir d’un éclaircissement. Mais la seule conclusion à laquelle il puisse parvenir en fin du dernier paragraphe, c’est que son incompréhension est due en réalité à l'incohérence des idées qui les rend si obscure.

Voyons point par point :

LE SUJET DE L’HISTOIRE.

"Il est dit, dans 1e dernier paragraphe : "la poursuite cohérente de la réalisation du pouvoir international dés Conseils Ouvriers". Et le texte commence par "La lutte que nous avons engage centre le vieux monde". Qui çà nous? Si l'on considère que "le pouvoir international des Conseils Ouvriers" est l’actuelle finalité historique, un moment de la lutte pour détruire le vieux monde, On doit logiquement admettre que la classe ouvrière seule est le réel sujet de cette lutte. (A moins de supposer que ce pouvoir international soit donné à la classe ouvrière par une autre classe ou par un groupe d’individus, comme le croient,  ou croient le croire, les léninistes de tous poils — ce qui est supposé ne pas être votre cas). 

On est donc amenés à se demander : pourquoi, dans tout le reste du texte, il n’est jamais plus question ni de la classe ouvrière, ni de 1a lutte quelle mène depuis 150 ans, pourquoi rien n'est déduit, absolument rien,  de toutes les expériences que la classe révolutionnaire a dégagé tout au long de sa lutte contre 1e vieux monde, le monde capitaliste,  et qu' elle a payé si, cher ?

Si l'on est réellement convaincu que, dans la société actuelle  la classe ouvrière est le sujet de l’histoire, il faut écrire, au lieu de "la lutte que nous avons engagé contre 1e vieux monde", "la lutte que la classe ouvrière à engagé contre le vieux monde depuis plus do 150 ans".

Ce qui alors devient incompréhensible, c'est, le passage, sur la "réalisation de moments qui ne soient pas morts". Elle prête à croire que la lutte du prolétariat depuis ses débuts "est faite de la réalisations de moments qui ne soient pas morts". On peut supposer que ces derniers sont des moments de "vie réelle", c’est à dire des moments; dans lesquels l’homme, ou plutôt dans ce cas les ouvriers, ont pu développer sans entraves et harmonieusement leurs capacités. Mais,

— premièrement seuls les réformistes récalcitrants peuvent croire que cela est possible "momentanément" et dans le cadre de cette société. "Réalisé" dans cette société, c’est la mystification de base qu’utilisent les réformistes. La vérité des révolutionnaires, c’est que la destruction de cette société est indispensable pour pouvoir en réaliser une autre plus humaine, et que c’est donc qu’il faut commencer. Une des particularités ode la révolution prolétarienne réside dans le fait que c'est la première fois dans l’histoire qu’une révolution sera faite par une classe exploitée, ce qui implique que pour la première fois dans l’histoire, il est impossible de faire surgir la nouvelle société à  l'intérieur de la vieille (comme la féodalité put surgir dans la société    esclavagiste, et plus tard la bourgeoisie put apparaître dans le monde féodal. Il n'y a pas aujourd'hui d'arrangement politico-économique possible entre la classe dominante et la classe révolutionnaire, parce que ce ne sont pas deux classes exploiteuses qui s'affrontent, mais bien la classe exploitée et la classe exploiteuse. C'est donc une conception parfaitement réformiste et tristement étriquée que vous défendez en  écrivant :

"La fausseté de la séparation entre "travail manuel et travail intellectuel "doit être démontrée en nous mène. Notre expérience nous a démontré que dans le chemin "pour devenir humains, nous devons développer nos aptitudes, été capables de souder un tuyau aussi bien que ranger une cuisine,  savoir parler plusieurs langues ou exercer des médecines traditionnelles" (indigènes, massages, herbes,  acupuncture, etc.)

La séparation entre travail manuel et intellectuel n'est ni faussé ni juste. Elle est une nécessité de cette société, au "même titre que sa disparition le sera dans la future société. Son élimination n’est pas un problème individuel, pour la bonne raison que son existence ne l'est pas et ne le fut jamais. Nous ne pourrons l'éliminer qu'à l'échelle mondiale uniquement, car ce n’est qu'à l'échelle mondiale que son élimination répondra à une nécessité objective, et donc à une possibilité. C'est une triste et pauvre illusion que de penser que "souder des canalisations" entre deux lectures philosophiques contribue un tant soit peu à éliminer la division entre travail manuel et intellectuel! Le prolétariat ne lutte pas pour créer d'illusoires moments individuels pendant lesquels s'éliminerait cette division. Sa lutte,  bien au contraire,  a pour but la création des conditions matérielles concrètes  (la dictature politique des Conseils Ouvriers dans le monde entier) qui permettront de commencer à établir les bases d'une société nouvelle dans laquelle cette division pourra et devra disparaître, non pas momentanément, mais de façon, définitive.

— deuxièmement : le moteur de l'action des classes, et donc celui de la classe ouvrière, n'est pas constitué spécifiquement par une "critique de la vie quotidienne" ou par la quête de "moments non morts". Dans la société actuelle,  comme dans toutes les sociétés du passé,  la "vie quotidienne" a toujours été aine vie inhumaine, non seulement pour les classes exploitées, mais aussi pour tous les hommes. Il ne fait aucun doute que tous les hommes, en fin de compte, cherchent des améliorations, l'humanisation de leur vie quotidienne,  et cela est aussi vrai pour les bourgeois que pour les prolétaires. Les individus aujourd'hui bourgeois auront une vie plus humanisée, seront plus heureux dans la future société. On se demande alors pourquoi les uns luttent pour la destruction de la société actuelle tandis que les autres œuvrent à sa perpétuation. Considérée du point de vue de la problématique de la vie quotidienne,  cette réalité reste incompréhensible. En outre, si l'on pousse de façon cohérente la problématique qui fait de la lutte contre l'aliénation individuelle de la vie quotidienne le moteur de la lutte révolutionnaire, il faut bien vite en arriver aux conclusions suivantes :

1° la révolution n'est pas une question de classé, c'est à dire d'hommes déterminés par leur situation économique au sein d'un mode de production, mais bien plus une question d'individus plus ou moins aliénés (ce n'est pas un hasard, s'il n'est presque jamais parlé de "classes" dans vos textes, pas plus que dans ceux de l'IS).

2° Les individus les plus révolutionnaires seraient les petits-bourgeois intellectuels, parce que leur vie est la plus "irréelle" et aussi parce que leurs préoccupations personnelles sont les plus favorables à la réflexion sur tous ces problèmes d'ennui et "d’absurdité de l'existence" (un groupe social sans position réelle dans le mode de production est bien sûr le plus sujet aux angoisses "existentielles" caractéristiques d’une classe sans passé ni devenir historique). "Ce n'est pas du tout par hasard que vous écrivez : "la possibilité de réalisation de l'histoire de l'humanité se trouve dans l'union indissoluble des luttes des groupes qui veulent être révolutionnaires et du mouvement toujours inachevé — dans cette préhistoire — de la rage des déclassés ;  dans, l'addition totale de leurs talents et volonté dans le combat contre le " spectacle dominant".

Si vous voulez croire,  avec les anarchistes, que l'histoire humaine est le produit de 1'"addition totale des talents et volonté" d'individus qui  "veulent" et d'hommes "déclassés",  c'est votre affaire. Mais expliquez alors quel besoin vous avez de parler du "pouvoir international des Conseils ouvriers."

Le pouvoir des Conseils Ouvriers suppose les ouvriers organisés en tant que classe. Dire que ce pouvoir constitue le chemin vers la société sans classe revient à dire que la réalisation de l'histoire de l'humanité sera le fait de la lutte de la classe ouvrière.

La problématique de la vie quotidienne peut sembler permettre la critique globale de tous les Etats actuels, URSS, Chine ou USA, sans avoir à assumer la tache pénible de la démonstration économique, scientifique, qu’ils sont tous des formes que prend le capitalisme à un stade plus ou moins avancé de son évolution vers la forme la plus décadente du système : le capitalisme d'Etat.

Mais la critique de la vie quotidienne, en réalité, à force de tout englober (toutes les classes,  toutes les époques de 1’histoire) n'englobe que le vide, elle n’est faite que de mots creux,  qui parviennent tout juste à cacher l'essentiel (la lutte des classes), poussant ses adeptes à perdre leur temps dans des traités sur "le parfait self-made free man".

— troisièmement : le "chemin pour devenir humains" dont vous parlez et que tout individu (quelle que soit  son origine de classe) peut chercher, ne peut pas être un chemin "d'auto-purification solitaire",  d'"auto-désaliénation individuelle"; être humain revient à s'assumer en tant qu'être humain, c'est à dire faisant partie intégrante de l’humanité et implique donc, avant tout, d'assumer l'histoire de l'humanité en s'intégrant en tant que facteur conscient et actif dans cette évolution historique de 1' espèce.

Pour l'instant, au sein de cette dernière étape de la "préhistoire de l'humanité", "règne et domination de la nécessité", 1'"histoire de l'humanité est toujours l'histoire de la lutte des classes"; dans ce contexte, être humain revient à être un facteur actif dans la lutte d'une classe déterminée,  la classe-révolutionnaire : la lutte de la classe ouvrière pour la défense de ses propre intérêts,  qui  aujourd'hui  se confondent avec les intérêts de .l'humanité entière.

Les idées ne sont  pas le fruit d'autres idées, elles sont, des produits de la vie pratique des hommes et celle -ci ne peut être que sociale. Dans une société divisée en classes, les idées révolutionnaires ne peuvent  être que le produit de la pratique historique de la classe révolutionnaire.

Lorsque dans votre texte vous faites référence à ce que doit  être l'organisation des révolutionnaires (la quasi totalité du texte traite de ce sujet) et aux convictions qui doivent l'animer, vous ne faites jamais référence à la pratique historique de la classe révolutionnaire. C'est pour cela que votre texte est,  dans le pire sens du terme, idéologique, idéaliste. Au lieu de prendre pour point de départ la pratique historique de la classe pour parvenir à définir ce que doit être un de ses instruments  —1'organisation des révolutionnaires —, et à partir de son rôle et sa fonction, ensuite,  définir comment doivent agir les individus qui y adhèrent,  au lieu de prendre ce processus d'analyse réellement  matérialiste, vous poursuivez un processus inverse (celui-là même que Marx a critiqué dans les "Thèses sur Feuerbach" et qu'il qualifiait de matérialisme "intuitif",  "vulgaire"), prenant pour point de départ et comme ultime point de vue l’individu, considéré hors de la pratique sociale, extérieur aux classes.

Ainsi, alors que la classe ouvrière mondiale réapparaît plus forte que jamais dans tous les recoins de la planète,  après cinquante ans de contre-révolution triomphante, alors que cette réapparition est engourdie par un demi-siècle d'obscurantisme stalinien, social-démocrate,  qui parle de socialisme de nationalisations et autres pièges que le capital mondial tient toujours tendus, alors que la classe ouvrière affronte la dure tâche de se réapproprier son expérience historique révolutionnaire, vous perdez les 3/4 de votre première publication et de votre temps en bavardages d'auto-désaliénation au moyen de lampes à souder,  d'herbes indigènes et autres "diversions" de votre médiocrité quotidienne.

Il est effectivement important de dénoncer tous ceux qui testent de confondre capitalisme d'état et socialisme, tous ceux pour qui "la révolution" n'implique pas une transformation radicale dans tous les rapports humains. Cependant, baser notre critique sur ce dernier aspect est en fin de compte secondaire car permettant trop de confusions  du simple fait qu'il épargne et laisse de côté l'essentiel : la lutte de classe et il est révélateur de constater à quel point les sociaux-démocrates européens sont loin de l'ignorer, et en particulier en France, où leurs slogans préférés depuis quelques années sont : "changer la vie" et "socialisme autogestionnaire". Et ce n'est pas pure démagogie : le premier slogan permet de diluer le prolétariat dans le "Peuple", c’est-à-dire 1’ensemble des classes posant problèmes et solutions à l’échelle des INDIVIDUS. Le second mot d'ordre a pour but d’enfermer la classe dans ses usines, en faisant jouer les ouvriers à la "gestion de leur propre exploitation", de leur propre misère, pendant que le Capital conserve les rênes du pouvoir central face à une classe atomisée, auto-divisée,  auto castrée. L'expérience de 1920 en Italie, où la classe ouvrière se laissa enfermer dans ses usines en jouant al1 auto-exploitation, pendant que le gouvernement de Giolitti  (lequel n'interrompit même pas ses vacances pour mener à nier 1’opération),  avec l’appui. des syndicats, s'emparait sans coup férir avec sa police de toute la ville,  est un clair, et parfait exemple du contenu et des dangers de toute la mystification autogestionnaire et de la "vie quotidienne".

Dans la période actuelle, le prolétariat — la classe ouvrière — est le seul sujet de 1'histoire. Toute idéologie, toute conception qui ne prend pas la classe ouvrière comme axe essentiel de la lutte révolutionnaire,  se situe du fait hors de 1' histoire, hors du terrain réel de la révolution. C'est essentiellement pour cela qu'elles peuvent si facilement devenir des instruments de la contre-révolution.

Là PERIODE HISTORIQUE ACTUELLE

Revenons au premier paragraphe du texte qui, en fin de compte, résume l'essentiel des faiblesses du texte entier.

Il y est affirmé que "la lutte...  contre le vieux monde entre dans une nouvelle phase". "La société. spectaculaire—marchande se divise et affaiblit ses forces dans cette période historique".  "La DIVERSION surgit et sa force va grandissante".

Laissons de côté ce qui  concerne la DIVERSION,  que vous définissez comme étant "le dépassement de la séparation entre le jeu et la vie quotidienne", puisque la première partie de cette lettre ébauche la critique de ce genre de concept. Ecartons aussi cette formule qui désigne le Capital :"société spectaculaire-marchande", car le terme "spectaculaire" qu'aimait tant à employer l.'I.S. est des plus confusionniste et l'Association "spectaculaire-marchande", au lieu de préciser la spécificité historique de la société actuelle (ce qui distingue le capitalisme des autres formes sociales dans l’histoire) ne fait que la diluer.

Ces deux points étant écartés, nous sommes totalement d'accord pour dire que la lutte historique de la classe ouvrière entre dans une "nouvelle phase" et que le système capitaliste "se divise et affaiblit ses forces".  Il n'empêche que tout ceci, aujourd’hui, ne dépasse pas le stade de la constatation banale telle qu'elle peut apparaître sur la couverture du "Time Magasine". L'important est de dégager :

1° pourquoi se développent ces deux phénomènes et pourquoi aujourd'hui ;

2° en quoi consiste cette nouvelle phase de la lutte révolutionnaire.

Votre texte ne donné aucune réponse suffisante à ces deux préoccupations essentielles.

A la question "pourquoi la société capitaliste se divise et affaiblit ses forces" de façon générale,  la seule réponse que vous donnez se trouve dans la bande dessinée qui s’appelle "Dialectique de l'Etat, dialectique de la pourriture". Le "super-héros" de cette historiette dit : "Une légère régression suffit, un grain de sable dans les systèmes, pour qu'éclate la crise; ou pour mieux dire, pour qu'elle révèle sa réalité immédiate. Au moindre prétexte — récession économique,  brutalité policière,  émeute de football, règlement de comptes — la violence sociale reprendra son escalade !"

Qu'est-ce que la "violence sociale"? Est-elle l'exploitation et l'oppression quotidienne ? Est-elle la lutte révolutionnaire du prolétariat ? Le terrorisme d'individus désespérés ? Celui de factions de la bourgeoisie luttant pour prendre le pouvoir ? Afin que la phrase suivante dans l'historiette   — "le moment n'est.pas venu ... de s'engager consciemment dans un travail pour favoriser l'évolution de la révolution internationale"  (?) — prenne un sens, nous allons : supposer qu'il  s'agit de la lutte de la classe révolutionnaire contre le vieux monde.

Cette idée est alors complètement fausse. Depuis des décennies,  les fameux "moindres prétextes" dont vous parlez,  se sont produits des dizaines de fois (récessions économiques), des milliers (émeutes de football), des millions de fois (règlements de comptes), sans que la lutte révolutionnaire "reprenne son escalade". En outre, d'où avez-vous pu sortir cette idée qui vous fait dire qu'une "légère régression" SUFFIT pour faire éclater la crise permanente dans laquelle est plongée la société? De quel monde parlez-vous donc ? De celui qui apparaît dans l’historiette de science-fiction ou de celui dans lequel nous vivons ?

Si nous considérons un individu pris isolément, il est juste de dire que sa prise de conscience de la crise dans laquelle vit .l'humanité depuis plus de cinquante ans peut être provoquée par n'importe quelle cause : révolte contre le père, problèmes affectifs, crise de religion,  lecture de textes, etc… Mais il serait absurde de confondre le monde personnel de chacun et le monde social réel. La vie individuelle est déterminée par la vie sociale, mais la vie de la société n’est pas le produit de l'addition des vies individuelles— comme le prétend l'idéalisme. La révolution prolétarienne a déjà éclaté plus d'une fois dans l'histoire,  et qui n'en a pas une ignorance totale sait que ce qui la fait surgir en tant que mouvement apparent est déterminé par :

1°) une condition nécessaire (ce qui ne signifie pas suffisante) : une crise économique suffisemment profonde. Elle seule peut forcer toutes les classes (couches sociales d'hommes déterminés non par leurs idées, ni par la couleur de leur peau, ni par leurs coutumes, etc., mais avant tout par leur situation à l'intérieur du rapport social de production), et en particulier le prolétariat, à tenter d'agir selon leurs intérêts spécifiques. La crise économique du système, met en évidence la NECESSITE de réorganiser différemment la société, puisque jusqu'à présent,  le squelette de la société reste l’économie.

2°) une condition suffisante : la classe ouvrière ne se trouve pas dans une période historique de défaite lorsqu'éclate la crise (comme cela pouvait être le cas dans les années 1929-46,  quand la classe ouvrière mondiale gisait sous la botte de la contre-révolution triomphante,  de Moscou à Madrid et de Canton à Berlin en passant par Turin).

Voilà les conditions générales qui peuvent être déduites de l'expérience historique d'un siècle et demi de luttes ouvrières. Ce sont les conditions pour qu'éclaté ouvertement lai révolution prolétarienne, mais elles ne suffisent pas pour attester son triomphe.  Celui-ci dépend de mille autres facteurs qui influent sur le rapport de force entre le prolétariat et le capital — mais ce n'est pas le sujet de la discussion pour le moment.

On peut en tous cas dégager que les conditions de cette explosion, nécessaires pour que la révolution prolétarienne "reprenne son escalade", n'ont rien de commun avec les "moindres prétextes" dont vous parlez. Selon votre conception de la révolution sociale, la force révolutionnaire est toujours présente,  éternellement,  toujours prête à détruire le vieux monde au nom du monde à venir. Avouons qu'elle fait étrangement penser au désir de communisme des chrétiens primitifs. Sur quoi vous basez-vous pour affirmer la nécessité et la possibilité de la révolution prolétarienne internationale? Sur l'indignation que peuvent provoquer les injustices? Sur 1’aliénation exagérée de la vie quotidienne? Pensez-vouer réellement que Mai  68 en France et l'Automne 69 en Italie, Décembre 70 en Pologne,  les luttes du Ferrol, de Pampelune ou de Valladolid en Espagne,  la généralisation de grèves sauvages en Angleterre en 72, le "Cordobazo" et le "Mendozazo" en Argentine etc., soient le produit spontané mondial de la renaissance de l'idée de justice en soi? Pensez-vous que c'est par pur hasard si les luttes ouvrières se sont développé internationalement peu près 1;entrée dans une nouvelle crise de l'économie capitaliste (seconde moitié des années 60), lorsque s'est achevée la "prospérité" de la reconstruction (due aux dégâts produits par la seconde guerre mondiale) aux sons agressifs des clairons des pays "reconstruits" qui cessaient d'être un marché pour les USA, tout en commençant à nécessiter pour eux-mêmes des marchés pour écouler leurs marchandises.

Aujourd'hui, à nouveau,  le capitalisme referme le cycle de survie qui  est le sien depuis la première guerre mondiale : CRISE-GUERRE - RECONSTRUCTION - CRISE etc.

Pour faire face à la crise dans laquelle s'enfonce toujours plus le capitalisme décadent,  l'humanité ne dispose aujourd'hui que de deux solutions :

-     la solution prolétarienne, la révolution, qui détruira le système capitaliste et instaurera le socialisme, mettant ainsi fin à la préhistoire de l'humanité ;

-     la solution capitaliste, si le prolétariat est vaincu dans sa tentative révolutionnaire, c'est à dire une troisième guerre mondiale qui relancerait le cycle de reconstruction et la perspective d'une nouvelle crise qui reposera le même problème.

Si on peut aujourd’hui dire que 1'alternative est à nouveau "socialisme ou barbarie", ce n'est pas en fonction d'un éternel principe de "justice" qui guiderait 1'évolution de l'humanité, même si on peut 1'opposer au cycle capitaliste. L'histoire nous apprend (et l'actualité nous le confirme) que la crise économique du système capitaliste impose la Barbarie de la guerre impérialiste,  la destruction généralisée, et met à l'ordre du jour,  d'autre part,  la réaction d’une des classes exploitées,  la classe ouvrière. Cette dernière, de par sa position de classe EXPLOITEE et ASSOCIEE dans la production, est porteuse, dans son opposition, et sa résistance à l'exploitation et à l'oppression du capital, de la solution socialiste la société nouvelle.

On ne peut comprendre 1es événements mondiaux actuels que sur cette base,   et sur elle seule se fonde de façon sérieuse la perspective révolutionnaire internationale.

En fait,  l'essentiel de cette discussion se résume, en un point : êtes-vous, oui ou non, marxistes ? "L’Internationale Situationniste",  qui héritait pour une grande part de la tradition de "Socialisme ou Barbarie" ne l'était pas: (bien que jamais elle n'osa clairement 1'avouer). Elle se contenta de répondre,  comme souvent,  par des plaisanteries et des pseudos  clins d’œil pour "pseudo-initiés", dans le genre : "Marx a fondé l'IS en 1864" ou "Comme le disait Marx, nous ne sommes pas marxistes".

Tout comme "S ou B",  l'IS est une partie du tribut que le mouvement révolutionnaire a du payer à la contre-révolution stalinienne et a la plus gigantesque mystification de l'histoire : celle qui présente le marxisme comme étant le support théorique du capitalisme d'Etat.

Notre tâche aujourd'hui consiste à nous réapproprier l'expérience de notre classe, et le marxisme en fait partie intégrante,  essentielle. Pour ce faire,  il est nécessaire d'abandonner certaines attitudes puériles,  en particulier celle de croire que ce qui  est révolutionnaire est défini  en réaction inverse à ce qui est contre-révolutionnaire. La théorie prolétarienne, les conceptions révolutionnaires, ne sont pas l'inverse de la contre-révolution, mais bien les résultats de la pratique historique de la classe révolutionnaire.

Rompre avec la tradition révolutionnaire du militantisme parce que les staliniens créèrent un militantisme qui correspondait à leurs fins contre-révolutionnaires, rompre avec l'idée de PARTI parce que les partis actuels sont tous dans le camp de la bourgeoisie, rompre avec les enseignements de l'expérience du prolétariat russe en 17  et du parti bolchevik parce que celui-ci y incarna la contre-révolution, toutes ces ruptures ne font rien d'autre que prendre le contre-pied symétrique de la contre-révolution.

Ce qui distingue la lutte prolétarienne des luttes des autres classes exploitées; c'est précisément que c'est la seule qui puisse s'affirmer POSITIVEMENT,  car elle apporte une solution au devenir historique, alors que les autres, (petits-paysans,  petits commerçants) ne parviennent difficilement et ce,  dans le meilleur des cas, qu'à une REBELLION purement négative : elles s'affirment contre 1'évolution du capitalisme sans être à même d'apporter là perspective d'un autre type d'évolution. Dans ce sens, seul le prolétariat est à même d'engendrer une pensée, une conception du monde réellement autonome, par rapport à l'idéologie dominante. Le prolétariat,  SEUL, peut NIER le capitalisme,  parce que lui SEUL peut le-dépasser.

C'est à partir de ce point de vue que nous pouvons nous situer, et non à partir de la simple antithèse systématique de la contre-révolution,  

Quant à la seconde question : quelle est, cette "nouvelle phase" dans laquelle entre la lutte du prolétariat,   c'est encore dans 1'historiette de bande dessinée que nous avons cru devoir trouver la réponse.  Il y est dit: Si le prolétariat ne se dissout pas bientôt, mettant ainsi fin à la société de classes, à la société de survie,  au système spectaculaire-marchand, à la perspective de pouvoir. S'il n'établit pas l'autogestion généralisée,  l'harmonie sociale basée sur les assemblées souveraines,  le risque existe que le mal de la survie généralise le réflexe conditionné de la mort.

La question se pose d'abord : qu'entendez-vous par "si le prolétariat ne se dissout pas bientôt" ?

Il est juste dé dire que la disparition de la société divisée en classes,  accélérera la disparition,  la dissolution du prolétariat. "Ceci n'est cependant pas le début de la lutte révolutionnaire, mais bien son ultime conséquence, car l'élimination des classes n'implique pas seulement la destruction du pouvoir de la bourgeoisie, mais aussi l'élimination de tous les vestiges économiques de la société capitaliste, et en particulier de la marchandise ce qui implique l'élimination AU NIVEAU MONDIAL de toute échange, ce qui à son tour implique que les richesses de la société soient suffisantes PARTOUT DANS LE MONDE,  ce qui ne pourra être possible qu'après un certain temps de domination, par les producteurs,  des moyens de production.

La période de transition entre capitalisme et communisme n'est rien d'autre que la période durant laquelle le prolétariat va s'étendre à l'ensemble de la population du globe. Non pas en s'auto-dissolvant dans les autres couches sociales, mais au contraire en intégrant en son sein ces dernières. Le prolétariat ne cessera pas d'exister parce que les prolétaire d'aujourd'hui décideront demain de ne plus l'être, mais parce.que 1'ensemble de la population se sera intégré au prolétariat» Le processus de dissolution de la classe ouvrière se confond avec le processus de son extension.

Ce processus est à la fois conscient, politique et économique, et sa fin est celle de la politique et de l'économie.

Afin de pouvoir dissoudre les classes, le prolétariat doit avant tout prendre les moyens concrets de le faire, et le premier de ceux-ci n'est rien moins que la prise de pouvoir politique et l'exercice de sa dictature,  Pour pouvoir se nier,  le prolétariat doit donc commencer par s'affirmer en tant que classe autonome face à toutes les autres couches de la société, parce qu'il  est la seule force réellement révolutionnaire.

La phase dans laquelle entre aujourd'hui la lutte révolutionnaire n'est donc pas celle qui doit conduire le prolétariat à une "dissolution proche", mais au contraire celle qui doit accélérer le processus de prise de conscience de ses intérêts de classe,  la nécessité d'agir en tant que classe unie mondialisent et autonome face au reste de là société, la prise de conscience qu'elle est la classe qui porte en elle l'avenir de l'humanité.

Le mouvement ouvrier est aujourd'hui dans la phase d'apprentissage d'auto-organisation, c'est à dire qu'il apprend à s'organiser dans ses propres assemblées et à les coordonner par le moyen des Conseils de délégués élus et révocables, à la plus grande échelle possible, hors des syndicats et contre eux.

Nous avons déjà parlé des dangers qu'impliquent les idéologies du type de "l'autogestion généralisée". Une des principales tâches, des révolutionnaires est aujour­d'hui de dénoncer toutes les mystifications que la bourgeoisie tente de faire accepter dans tous lès pays au prolétariat, pour lui faire prendre en charge la gestion de la banqueroute du système, pour le diviser en l'enfermant dans les "usines autogérées", et surtout pour le dévier des impératif s politiques de sa lutte historique,  la prise de pouvoir à l'échelle mondiale.   .

Toute critique porte en elle le danger de déformation de l'idée critiquée. Nous espérons l'avoir évité dans cette lettre, et nous attendons votre réponse au plus tôt. Les années que nous vivons sont celles dont Marx disait qu'elles résumaient des époques entières. Et, comme vous le dites dans votre texte : "Etre révolutionnaires, c'est marcher au rythme de la réalité".

Saluts communistes, pour le SI du CCI,

R. Victor (cette lettre est traduite de l'espagnol)

Géographique: 

  • France [8]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Mai 1968 [9]

Courants politiques: 

  • Influencé par la Gauche Communiste [10]

Lettre à "Arbetarmakt"

  • 2684 lectures

I n t r o d u c t i o n

Ce texte est une lettre adressée au groupe suédois "Arbetarmakt" dans le contexte de l'effort de discussion et de prise de contact internationaux que poursuit notre Courant. Récemment, Arbetarmakt a publié en anglais un texte résumant l'orientation politique du groupe défendue dans son journal en suédois d'où il se dégage un curieux mélange d’aspects positifs de la tradition "conseilliste" et d'un certain Tiers-mondisme, ce mélange n'est d'ailleurs pas étranger à ceux qui prétendent être les continuateurs de la gauche hollandaise, comme nous 1'avons montre dans un article dirigé contre les conceptions de Daad en Gedachte dans le n°2  de la Revue Internationale ([1] [11])

Cependant, le texte d’orientation d’Arbetarmakt présente un intérêt dans la mesure où il exprime un effort commun à beaucoup de groupes 'actuellement vers; la clarification des idées politique. C'est dans cette optique que nous avons voulu contribuer à ce processus. Bien que nous n'ayons pas reçu de réponse, nous pensons que notre lettre dans la: mesure où elle soulève des questions telles que la "libération nationale" aujourd'hui, le capitalisme d'Etat, etc., a une portée générale, c'est pourquoi nous la publions,

Votre "texte de présentation" tente de définir l'orientation politique  de votre organisation dans la lutte de .classe» En ce sens, ce texte soulève des points importants : la nécessité des conseils ouvriers et de l'activité autonome de la classe, l'importance  de l'expérience acquise par la classe ouvrière tout au long de son histoire, la dénonciation de la "gauche" du capital et des pays dits "socialistes". Vous rejetez la conception léniniste du parti tout en reconnaissant la nécessité de l'organisation des révolutionnaires dans notre période de montée des luttes. En ce qui concerne ces points, notre Courant défend des positions très proches des vôtres.

Nous voulons cependant commencer certains aspects de votre plateforme qui demandent à être clarifiés ou précisés davantage.

Par exemple, votre document ne parle même pas de la crise économique qui bouleverse le monde capitaliste  actuellement de l'ouest à l'est. De même que toutes les formes d'organisation sociale : antérieures basées sur l'exploitation, le capitalisme n'est pas éternel. Il est déchiré par  la contradiction entre le développement. des forces; productives et les limites étroites des rapports sociaux, contradiction liée aux lois économiques du système. Durant la plus grande partie du 20° siècle, le capitalisme a fonctionné à travers le cycle infernal de crise-guerre-reconstruction-crise, démontrant par là sa faillite historique en tant que système. En l'absence de victoire de l'a révolution prolétarienne, le capitalisme en déclin ne peut que perpétuer ce cycle exprimé dans une autarcie croissante, une économie de guerre permanente, une crise économique de plus en plus profonde et 1'exacerbation des conflits inter-impérialistes qui menacent d'une autre guerre mondiale. La seule alternative possible dans le capitalisme décadent est le socialisme ou la continuation de la barbarie.

Pendant les années d'apparente "prospérité", basée sur la reconstruction des économies détruites par la guerre, certains courants politiques ont pris ce "boom" apparent pour la réalité du système capitaliste qui aurait soi-disant échappé à la logique de ses propres lois économiques. Cardan par exemple parlait d'un capitalisme "sans crise", et il a rejeté le marxisme comme théorie désormais inappropriée et "démodée". Pour sa part, Marcuse parlait de l'intégration de la classe ouvrière dans le capital et du besoin de trouver un "nouveau" sujet révolutionnaire dans les couches marginales. L'analysé de la "société de consommation" est devenue très à la mode? et parmi tous les bavardages sur la "société du spectacle" dont l'ennui provoquerait, on ne sait comment, la révolution2 la classe ouvrière, seule classe capable d'être le fossoyeur du capitalisme, a été mise au panier.

Mais, arrivée aux années 60, les choses ont changé. Les symptômes de la crise permanente du système sont réapparus avec la fin de la période de reconstruction. Aujourd'hui  aucun doute ne peut: subsister sur la crise : inflation galopante, crise monétaire, chômage menace de désorganisation économique. C’est cette situation objective qui a déterminé la résistance de la classe ouvrière à la dégradation de ses conditions de vie, de l'Italie en 69 à la Pologne 71, en Amérique du Sud,...dans toute l'Europe, de la Scandinavie à l'Espagne et du  Portugal. La poussée de la crise a détermine de nouveau un développement de la conscience de classe dans la classe ouvrière et la réémergence de groupes révolutionnaires au sein de la classe.

Nous estimons qu'il ne suffit pas de parler des aspirations révolutionnaires de la classe ouvrière sans les voir dans le contexte de la possibilité concrète et de. la nécessité historique de la transformation révolutionnaire du capitalisme en déclin. Sinon, on peut tomber très facilement dans des notions dangereusement simplistes," à savoir que la crise n'est autre chose que le résultat de machinations des capitalistes individuels, des conspirations de Rockefeller, ou des "cheiks arabes", ou d'autres variations sur le même thème qui aucunes ne tiennent compte des aspects généraux de l'ensemble d'un système mondial en crise. Les révolutionnaires peuvent avoir dés analyses différentes sur le fonctionnement de1a loi de la valeur sur le plan théorique, mais la réalité de la crise économique ne peut pas être niée et on doit en tenir compte de façon cohérente. Cette dimension manque dans votre texte.

L'explication des manifestations de la crise est essentielle pour le développement d'une orientation révolutionnaire cohérente -pour une: analyse qui est une contribution à la lutte de classe- et non pas un ramassis, de différentes positions sans lien les unes avec les autres. Et une telle analyse doit avoir une dimension historique qui inclut les acquis de la lutte de classe antérieure et la contribution du marxisme révolutionnaire.

La cohérence politique et l'effort pour comprendre les acquis du passé sont particulièrement importants par rapport à la question de l'internationalisme prolétarien-et des luttes de libération nationale. Dans sa phase ascendante, le capitalisme était une force sociale progressive vis-à-vis des vestiges du féodalisme et les nations qui se constituaient, étaient le cadre même pour le développement du capitalisme. Dans la mesure où le capitalisme représentait alors un mode de production historiquement progressif, le prolétariat luttait aux côtés de la bourgeoisie contre les éléments réactionnaires. Cela ne veut pas dire cependant que la lutte de classe contre l'exploitation capitaliste n'existait pas. Au contraire, le prolétariat construisait ses organisations: de classe et luttait pour ses intérêts tout au long de cette période. Mais la révolution n'était pas une possibilité historique immédiate, les marxistes et le mouvement ouvrier soutenaient  la formation de nouvelles nations dans la mesure ou elle pouvait favoriser  le développement des forces productives et donc, accélérer l’accomplissement des tâches historiques du capitalisme. C’était le critère, principal de Marx et Engels quand ils soutenaient d'une part les mouvements en Pologne par exemple, et d1 autre part quand ils supposaient à la formation d’un Etat "sudiste" aux Etats-Unis pendant la guerre de sécession. On ne trouve nulle part dans le marxisme à cette époque la formulation d'un droit abstrait d’"auto-détermination" des nations ou " des peuples" qui constituerait "un pas vers le socialisme", formulations si chères à. nos tiers-mondistes d’aujourd’hui.

Avec le commencement de la décadence du capitalisme, le programme révolutionnaire est devenu la seule réponse possible à la décomposition de la société capitaliste. La bourgeoisie  a cessé d'être une classe progressive, essentielle pour le développement des forces productives; seul le socialisme peut sauver l'humanité de la barbarie et de la destruction. Dans l'incapacité générale du système à résoudre ses contradictions internes, les révolutions bourgeoises sont devenues caduques.

Le parti bolchevik a défendu d'une façon intransigeante la position internationaliste pendant la première guerre mondiale et a participé activement à la révolution russe, l'une des plus grandes expériences de la classe ouvrière. Mais il n'a pas complètement compris les nécessités de la nouvelle période de décadence. En particulier, après le 2° congrès de l'IC en 1921, il a imposé à l'ensemble du mouvement ouvrier sa conception du potentiel "révolutionnaire" des luttes pour l'indépendance nationale. En effet, cette, question était si difficile à comprendre que même dans la tradition du conseillisme, des hésitations et des ambiguïtés persistaient à cette époque sur la "libération nationale". Ces ambiguïtés sont reprises sous des formes beaucoup plus ouvertes par ceux qui prétendent être les continuateurs du conseillisme (Daad en Gedachte par exemple).

Malgré votre désir de rejeter  le "léninisme" sur certaines questions de la théorie révolutionnaire, vous  ne faites qu'accepter et continuer le léninisme quant à la libération nationale. Notre Courant reconnaît les contributions du parti bolchevik dans l'histoire, mais la théorie de Lénine sur la libération nationale n'a pas soutenu l’épreuve de l'histoire. Qu'est-ce que les 50 dernières années nous ont montré au sujet des luttes "libérations nationales". Après tout, nous ne sommes plus dans le domaine de la spéculation  sur les "possibilités" futures -nous avons des années d'expérience pour nous rendre compte.

Dans notre époque de décadence, c'est la domination suprême de l'impérialisme, l'impérialisme de tous les pays, des petits comme des grands. Tous les pays se font concurrence pour une part du marché mondial déjà partagé et de toutes façons, insuffisant pour les besoins de la production. Bien entendu, les grandes puissances capitalistes sont mieux armées dans cette lutte constante. Dans ce contexte de rivalités inter impérialistes, l'autonomie nationale est une utopie. Aucun pays ne peut se libérer d'un bloc sans l'aide d'un autre sous la domination militaire et économique duquel il tombe inévitablement.

Les luttes de "libération nationale" sont le théâtre de guerres locales et de confrontation entre les grands blocs impérialistes. Dans votre désir de lutter contre l'impérialisme, vous semblez ne pas comprendre que l'impérialisme n'est pas une question de "mauvaise politique" d'un pays ou d'un autre. L'impérialisme, c'est le mode de vie de tous les pays du système dans son ensemble, dans l'ère de la décadence. Identifier l'impérialisme à la barbarie d'un bloc en particulier, c'est donner implicitement son soutien à l'autre bloc. On peut demander où est le contenu "idéologique", "anti-impérialiste" des luttes qui ont vu l'impérialisme américain et chinois soutenir le Pakistan, et l'impérialisme russe le Bengladesh? Chacun luttait pour ses propres intérêts tout comme la bourgeoisie locale défendait ses intérêts dans cette lutte  et la population de cette région a été utilisée comme chair-à-canon  pour être laissée ensuite à la famine. Où est le contenu "révolutionnaire" dans le fait que l'impérialisme chinois et français aient soutenu le Biafra pour trouver une petite ouverture en Afrique, tandis que l'impérialisme russe a soutenu le gouvernement fédéral du Nigeria ? Ou encore, aujourd'hui, quand l'impérialisme chinois et américain soutient le régime Marcos aux Philippines, tandis que les intérêts de l'impérialisme russe le poussent à tenter d'appuyer les rebelles musulmans ? Ou encore en Angola, où les russes soutiennent le MPLA et les intérêts chinois et américains sont derrière Holden Roberto et le FNLA.et l’UNI TA ? Dans la situation angolaise, il y a de quoi faire réfléchir même le plus aveugle des adeptes de la libération nationale (cf. brochure d'Internationalism-World Révolu­tion). Tout comme les révolutionnaires du passé ont appelé à la transformation de la guerre impérialiste en guerre de classe, les révolutionnaires aujourd’hui doivent dénoncer ces guerres impérialistes localisées et appeler à  la lutte de classe.

Vous prétendez que les luttes  de "libération nationale" amènent une "vie Meilleure aux gens", mais comment peut il y avoir de "vie meilleure" sous le capitalisme, sinon en le détruisant? Ou est-ce que vous voulez dire qu'un changement de personnel changera l'exploitation ? Le développement des forces productives à l'échelle mondiale est impossible aujourd'hui -le décalage entre les pays développés et sous-développés se creuse chaque jour davantage, et la misère du Tiers-Monde, aggravée par la guerre, la famine, le chaos économique et les régimes capitalistes d'Etat qui intensifient 1'exploitation, atteint des degrés inimaginables. Le capitalisme a été capable de créer un marché mondial (en détruisant les économies précapitalistes) mais il est actuellement incapable d'intégrer les populations du Tiers-Monde dans le processus de production comme le montrent les bidonvilles de chômeurs un peu partout dans le Tiers-Monde. Dans .certains cas, avec la dépendance économique par rapport aux grandes puissances et une exploitation féroce de la force  de travail, certains pays (tels que Cuba, la Chine) ont pu développer une économie de guerre massive et une exploitation intensive de la force de travail avec un taux de productivité très bas.

Ces résultats sont des témoignages tragiques de la misère dés conditions de vie de la classe ouvrière dans ces zones et de la réalité du soi-disant "développement" dans le capitalisme décadent sous toutes ses formes. En Chine, un "petit" haut-fourneau derrière la maison ne représenté guère un développement des forces productives; il n'est qu'une manifestation de l'irrationalité générale des efforts autarciques vers le développement national dans une période de déclin.

Ces nouveaux régimes de "libération", payés dans le sang des ouvriers et de la population en général, qu'est-ce qu’ils signifient pour la lutte de classe ? L'indépendance" veut dire eh réalité être dominé par une puissance impérialiste ou une autre; les gouvernements "libéré " sont obligés d'aller vers le capitalisme d'Etat, comme seul moyen de défendre leur capital national relativement faible. Ceci veut dire, en termes clairs, une intensification de l’exploitation, y inclus la militarisation du travail et l'interdiction des grèves. Le Frelimo proclame qu'il n'y aura pas déplace pour les grèves dans le nouveau Mozambique et que la "paresse" sera sévèrement punie. Voilà la réalité de la "vie meilleure" promise à la classe ouvrière. Il est particulièrement ironique sinon répugnant de voir des groupes politiques aux Etats-Unis et en Europe qui écrivent sur le sabotage de la production des ouvriers de Turin ou de Détroit, mais qui pensent différemment du travail forcé s'il se fait au nom de la "libération nationale", très loin, quel-part dans le monde où cela ne leur coûte rien.. Les gouvernements qui se succèdent au Portugal, proclament tous qu'à cause de la crise économique, tout le monde doit travailler pour la "patrie" et éviter l'agitation et les grèves. Les gouvernements de "gauche" n'ont pas hésité à envoyer l'armée pour, briser les grèves (cf.; la grève de la TAP) tout comme au Chili. Les gauchistes au Portugal appellent-ils à la lutte de classe contre le capital sous tous ses masques ? Ah, mais ce serait "injuste" pour le capital national en difficultés et pour les fractions de la bourgeoisie soi-disant "radicales" (tels Carvalho  ou Gonçalves) qui pourraient "faire mieux.

Mais le prolétariat n'a pas de patrie et ces "gauchistes" font un travail précieux pour le capital par leur "soutien critique" à un gouvernement ou à un autre et par leur verbiage radical.

La révolte des ouvriers polonais a montré au monde entier que la crise touche également les régimes de capitalisme d’Etat et que, dans ces conditions, la classe ouvrière luttera directement contre le mythe et la réalité du "paradis ouvrier", contre la bourgeoisie, et non pas en laissant embrigader dans une lutte antirusse ou nationaliste. De la même façon, les grèves des ouvriers dans les industries nationalisées de la métallurgie ; au Venezuela, les grèves au Pérou, en Colombie, en Egypte, les grèves des ouvriers du cuivre qui devaient faire face aux mitraillettes du régime Allende au Chili, ont toutes mis en évidence la frontière de classe que constitue l’"unité nationale" et les "mouvements nationaux". Les révolutionnaires,  où se trouvent-ils ? Du côté de la lutte de classe dans ces pays, ou du côté de la bourgeoisie dans ses efforts pour mobiliser les ouvriers dans le nationalisme et l’"anti-impérialisme" intéressé, de la bourgeoise locale qui veut créer, les conditions d'une exploitation plus efficace ? Le besoin d'exprimer notre solidarité avec nos frères de classe partout dans le monde et d’agir en fonction d'elle ne se réalise absolument pas à travers un quelconque soutien du Frelimo, de l'armée de "libération" au Viêt-Nam, des guérillas palestiniennes ou de l'IRA, pas plus à travers ces mouvements qu'à travers l'ONU, l'Alliance pour le Progrès, ou le sionisme. Notre solidarité s'exprime dans la solidarité avec les luttes ouvrières et les intérêts de classe du prolétariat dans tous les pays. Le programme révolutionnaire communiste est la seule voie de sortie pour arrêter les massacres du Tiers-Monde. Le socialisme ne peut pas être crée dans un seul pays, qu'il soit sous-développé ou développé. Les luttes de classe des ouvriers du Tiers-Monde trouvent un écho dans les luttes de classe d'Europe et de tous les pays développés, et c'est là que réside l'espoir révolutionnaire.

Vous écrivez : "Vive l'Internationalisme prolétarien" et, ensuite, vous appelez au soutien des mouvements nationaux dans le Tiers-Monde" ; en réalité, cela revient au même que d'appeler au soutien de l'Union sacrée, à l'Unité nationale, à l'arrêt des grèves; que d'appeler au soutien du PC, des gauchistes dans tous les pays d'Europe. Le nationalisme est un chemin qui mène à la défaite quelle que soit sa justification idéologique.

Le Tiers-mondisme a connu une vogue parmi les gauchistes des pays: développés, parce qu'il est un moyen tellement facile de se soulager d'un sentiment de "culpabilité", et de trouver une satisfaction émotionnelle. Il y a quelques années, quand la classe ouvrière européenne et américaine n'était pas activement en lutte, il pouvait sembler que le seul "espoir" était de chercher ailleurs, dans le "peuple" et non dans le prolétariat. Mais aujourd'hui,  quand la crise est une réalité tangible partout dans le monde et quand la lutte de classe se réveille après des années de contre-révolution, il est largement temps de réévaluer les implications d'une telle position. L'autosatisfaction que constituent les bavardages sur une "vie meilleure" au Viêt-Nam ou  au Cambodge, dans le contexte d'une génération entière de morts pour, la guerre impérialiste, c'est une caricature de la pensée révolutionnaire.

Nous estimons, que cette question de la "libération nationale" aujourd'hui est l'un des points cruciaux que nous voudrions discuter avec votre groupe(*). Nous regrettons de ne pas pouvoir lire votre journal en suédois, mais nous espérons recevoir plus de traductions de vos textes en .anglais ou en d'autres langues.

Votre vision de l'impérialisme aujourd’hui est liée à vos positions sur la nature des régimes en Russie,  en Chine et dans les pays de l'Est. Il est très difficile d'élaborer une perspective révolutionnaire si vos analyses ne définissent pas le système capitaliste comme un ensemble. Vous écrivez : "Toutes les aires du monde ne sont pas dominées par le système capitaliste". Selon vos analyses, le monde est divisé en "régimes capitalistes" et "régimes non-capitalistes, bureaucratiques". Comment est-il alors possible de défendre et d'expliquer un seul et même programme révolutionnaire pour deux systèmes sociaux différents ? Vous écrivez : "La lutte de classe continue". Mais quelles sont les classes ? Quelle est la base matérielle de cette bureaucratie soi disant "non-capitaliste" et quelles sont les contradictions objectives de ce système ?

Vous dites que la Russie et la Chine ont des "économies planifiées", mais la planification en soi n’a jamais constitué une définition d'un système social. La planification économique centralisée de l'Etat, à un degré plus ou moins grand, est en vigueur en France, en Grande Bretagne, en Espagne, en fait dans tous les pays aujourd'hui, y inclus les Etats-Unis et le Canada. La nationalisation et la planification sont devenues des parties intégrantes du capitalisme décadent partout dans le monde et cette tendance va s'accélérer au fur et à mesure que la crise s'approfondit.

Même si nous suivons la logique de vos propres arguments, la nature du "bureaucratisme" russe ou chinois est claire si nous ne restons pas aveuglés par les apparences. Quel est ce système que vous définissez comme créant un prolétariat, dont la classe dominante contrôle les moyens de production, où existe le salariat, dont le but est d'élargir la production nationale en vue de l'accumulation, ce système qui participe à la concurrence sur le marché mondial. C’est le capitalisme et le fonctionnement de la loi de la valeur.

Les régimes de Russie, de Chine et des pays de l'Est sont des expressions de la tendance au capitalisme d'Etat qui domine le système capitaliste partout dans le monde actuel, à un degré plus ou moins grand. La Russie ou la Chine sont des expressions plus extrêmes de ce besoin de concentrer le capital national entre les mains de l'Etat. Et la bureaucratie en Russie et en Chine joue   le même rôle dans la production que la bourgeoisie "privée" traditionnelle : elle est le fonctionnaire du capital. La forme juridique que peut prendre le capitalisme, que ce soit entre les mains de l'Etat ou entre les mains d'individus, n'est qu'une question secondaire. La question primordiale est le rôle d'une classe sociale par rapport aux moyens de production.

La Russie, la Chine ou d'autres exemples extrêmes d'organisation capitaliste d'Etat, sont impérialistes à cause de la nature même du capitalisme à notre époque. Dans votre analyse, ce point reste dangereusement flou. Et les lecteurs peuvent conclure que ces pays pourraient mener des luttes "anti-impérialistes" comme le prétendent les staliniens, les trotskystes et autres maoïstes. Tout comme les théories de l'Etat ouvrier, ou de l'Etat ouvrier dégénéré, etc., votre théorie peu explicite d'un "autre système" laisse la porte ouverte à de dangereuses mystifications. Bien que vous appeliez à la révolution prolétarienne dans cet "autre" système bizarre, la définition du prolétariat lui-même est sapée par cette analyse inconséquente. Les conclusions peuvent être justes', mais il n'y a pas de logique. Il y a eu bien des théories qui ont tenté d'expliquer la Russie ou  la Chine sans se référer au capitalisme d'Etat. On peut, en particulier, signaler les écrits de Chaulieu alias Cardan dans "Socialisme ou Barbarie", qui a proclamé que la Russie et, plus tard, la Chine constituent un "troisième système", ni socialiste ni capitaliste. Cette théorie l'a amené à abandonner le prolétariat en tant que classe révolutionnaire internationale (cf. son œuvre sous le nom de Coudray  ("La Brèche") et à adopter l'idée des "dirigeants-dirigés" comme la division fondamentale de la "nouvelle" société "libérée des crises", dont les racines matérielles restent un mystère. Ce qui est plus fondamental encore, c'est que l'idée d'un "troisième système" implique le rejet de l'acquis marxiste essentiel selon lequel le socialisme, la fin de tout rapport de propriété et de la loi de la valeur, la fin- de la production marchande et du salariat, peuvent résoudre les contradictions inhérentes au capitalisme.

En rejetant toutes les spéculations sur la Russie et la Chine qui ont dominé pendant la période de contre-révolution, et en défendant la conception du capitalisme d'Etat, notre Courant souligne le fait que l'étatisation est une tendance générale dans le capitalisme décadent depuis la 1° Guerre Mondiale. Quelle que soit leur étiquette idéologique : stalinisme, fascisme ou "démocratie", les mesures de capitalisme d'Etat, à un degré plus ou moins grand, sont la tendance fondamentale dans .tous, les pays. Avec l’approfondissement de la crise, la bourgeoisie de tous les bords accélérera cette tendance et il est important que les révolutionnaires fassent l’effort de clarifier cette question dans les pays avancés ainsi que dans, les pays sous-développés. La bourgeoisie tentera de récupérer les luttes prolétariennes à travers les nationalisations, l’autogestion, des "New Deal" ou des "Fronts Populaires", en défense du capital national au moyen de l'étatisation intensifiée et de la "pacification" de la classe ouvrière.

De façon générale, s'il fallait résumer l'axe principal du travail de notre Courant, ce serait l'insistance que nous mettons sur la seule classe révolutionnaire dans le capitalisme, à l'Est comme à l'Ouest, le prolétariat. Aujourd'hui, avec la crise et le réveil de la lutte de classe internationale, parler des mouvements marginaux n'est qu'un détournement de la lutte de classe. Les théories sur la "société de consommation" que vous mentionnez dans votre texte semblent des absurdités vides de tout sens lorsqu'aujourd’hui, le problème crucial pour 1a classe ouvrière est l'inflation, le chômage et le maintien d'un niveau de vie minimum. Dans le contexte d'un chômage de presque 10% aux Etats-Unis, 12%  au Danemark par exemple, pour ne pas parler de la baisse du pouvoir d'achat produit par l'inflation galopante, comment peut-on prendre au sérieux l'idée que la société capitaliste existe pour faire "consommer" la classe ouvrière ?

La classe ouvrière est le seul sujet de la révolution dans la société capitaliste, et ce n'est qu'à travers son activité autonome, le développement de sa conscience révolutionnaire et son organisation de classe dans les conseils ouvriers que le socialisme peut éventuellement devenir une réalité tangible. En ce sens, notre Courant a toujours défendu la position selon laquelle le parti révolutionnaire de la classe ouvrière ne peut pas se substituer à la classe dans son ensemble. Nous rejetons la conception léniniste qui dit que ce parti doit' prendre le pouvoir "au nom de la classe". Les organisations politiques de la classe existent pour contribuer à l'approfondissement et à la généralisation de la conscience de classe, pour présenter "les buts fondamentaux et les moyens d'y parvenir".

Nous ne comprenons pas bien votre référence à la nécessité de 1'"autonomie" de la classe par rapport à ses organisations politiques. Bien que ces organisations ne puissent pas assumer les tâches de la classe ouvrière dans son ensemble, elles sont une émanation de la classe pour remplir le rôle vital de contribution à la clarification de la conscience de classe dans...la lutte. Quand nous parlons de l'autonomie; de la classe ouvrière, ce n'est pas une autonomie qui séparerait le tout d'une partie de ce tout,  mais plutôt 1'autonomie de la classe par rapport à toutes les  autres classes. Le refus de se [12] joindre aux Fronts Populaires, antifascistes, de "libération nationale" et aux côtés des éléments de la bourgeoisie, le refus de diluer les intérêts prolétariens dans l’amalgame du "peuple" c'est là l'autonomie du mouvement prolétarien qui est essentielle au processus révolutionnaire«

Bien que nous rejetions le parti léniniste, nous ne sommes, pas d'accord pour rejeter tout besoin d'une organisation des révolutionnaires tout comme votre groupe, nous voyons la nécessité d'un regroupement international des révolutionnaires aujourd'hui, basé sur une plateforme politique, cohérente. Nous  essayons de contribuer à ce but par l'unité créée entre nos sections dans; différents pays.  Au niveau actuel  de lutte de classe,  nous estimons  que les contributions des révolutionnaires organisés peuvent être un facteur important pour aujourd'hui et pour la formation future d'un parti prolétarien international sur une base programmatique claire.

Nous ne prétendons pas  avoir découvert toutes les réponses, ni avoir trouvé là "vérité éternelle". Nous essayons de baser notre intervention sur l'héritage du communisme de gauche, et sur l'analyse la plus large possible des  acquis de la lutte de classe. Nous sommes extrêmement intéressés à contribuer au débat international et à la clarification des idées  qui doit se faire parmi les révolutionnaires dans la classe. Nous espérons pouvoir lire plus de vos publications  bientôt et que cette lettre sera considérée comme une contribution à une correspondance suivie entre nos groupes.

Fraternellement,  J.A., pour le CCI. Août 75. (Lettre traduite de l'anglais)


[1] [13] Le Conseillisme au secours du Tiers-mondisme p.45-53. Lettre à "ARBETARMAKT"  (Workers1 Power League - Suède)

 

Géographique: 

  • Suède [14]

Courants politiques: 

  • Influencé par la Gauche Communiste [10]

URL source:https://fr.internationalism.org/content/revue-internationale-no-4-1e-trimestre-1976

Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne [2] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/espagne-1936 [3] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste [4] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/espagne-1936 [5] https://fr.internationalism.org/tag/5/43/portugal [6] https://fr.internationalism.org/tag/5/40/belgique [7] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international [8] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france [9] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/mai-1968 [10] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/influence-gauche-communiste [11] https://fr.internationalism.org/rinte4/arbet.htm#_ftn1 [12] https://de.se/ [13] https://fr.internationalism.org/rinte4/arbet.htm#_ftnref1 [14] https://fr.internationalism.org/tag/5/47/suede