Dans cet article, nous nous concentrerons sur les arguments de la Tendance communiste internationaliste (TCI) concernant la perspective d'une troisième guerre mondiale. Parmi les groupes de la gauche communiste en dehors du CCI, la TCI tend à défendre les positions internationalistes les plus claires contre la guerre impérialiste, et c'est pourquoi elle a toujours été destinataire de nos appels aux groupes de la gauche communiste pour la réalisation de déclarations communes contre les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient. L'une des raisons pour lesquelles la TCI a toujours rejeté ces appels est que nous avons des perspectives différentes sur l'évolution de la situation mondiale, notamment sur la question d'une marche vers la guerre mondiale. À notre avis, de telles divergences ne devraient pas faire obstacle à des actions communes telles que la publication de déclarations communes contre la guerre, puisque nous partageons les mêmes principes internationalistes fondamentaux. De telles actions sont en effet importantes pour les raisons suivantes :
Selon la TCI en particulier, la crise économique mondiale résultant de la baisse du taux de profit a atteint un point tel que seul le niveau de destruction qui résulterait d'une troisième guerre mondiale serait suffisant pour permettre la naissance d'un « nouveau cycle d'accumulation ». Nous n'entrerons pas ici dans ce débat particulier, car il est évident qu'un tel niveau de destruction est bien plus susceptible d'aboutir à l'extinction de l'humanité qu'à une nouvelle période de prospérité capitaliste. Nous examinerons plutôt le processus qui conduit à une issue aussi catastrophique, afin de mettre en évidence les menaces les plus urgentes pour l'avenir de la planète et de ses habitants. Et ici, le CCI est l'une des rares organisations révolutionnaires à s'opposer à l'idée que la tendance dominante que nous observons aujourd'hui serait celle de la formation de nouveaux blocs impérialistes et donc d’une marche coordonnée vers la guerre mondiale. Ces deux phénomènes sont indissociables, comme nous l'avons écrit en mai 2022 dans notre texte d'orientation actualisé sur le militarisme et la décomposition :
« une guerre mondiale est la phase ultime de la constitution des blocs impérialistes. Plus précisément, c'est en raison de l'existence de blocs impérialistes constitués qu'une guerre qui, au départ, ne concerne qu'un nombre limité de pays, dégénère, par le jeu des alliances, en une conflagration généralisée »[1].
Notre texte de 1991 sur « le militarisme et la décomposition » a été rédigé au lendemain de l'effondrement du bloc impérialiste oriental dominé par l'URSS, événement qui a marqué l'ouverture définitive de la phase finale du capitalisme décadent, la phase de décomposition. Il reconnaissait que l'histoire avait démontré qu'à l'époque de la décadence capitaliste, il existe une tendance permanente à la formation de blocs impérialistes, et que la disparition d'un bloc impérialiste avait, jusqu'alors, entraîné la formation d'un nouveau bloc. Mais après avoir envisagé la possibilité de l'émergence d'un nouveau bloc autour des pays les plus puissants économiquement de l'époque –l'Allemagne et le Japon–, il concluait qu'aucune de ces deux puissances n'était en mesure de jouer ce rôle (et encore moins l'ancien leader du bloc, l'URSS, qui était elle-même en phase de désintégration). Il identifiait ensuite les éléments fondamentaux justifiant cette conclusion :
« … au début de la période de décadence, et jusqu'aux premières années de la Seconde Guerre mondiale, il pouvait exister une certaine "parité" entre différents partenaires d'une coalition impérialiste, bien que le besoin d'un chef de file se soit toujours fait sentir. Par exemple, dans la Première Guerre mondiale, il n'existait pas, en termes de puissance militaire opérationnelle, de disparité fondamentale entre les trois "vainqueurs" : Grande-Bretagne, France et États-Unis. Cette situation avait déjà évolué de façon très importante au cours de la Seconde Guerre, où les "vainqueurs" étaient placés sous la dépendance étroite des États-Unis qui affichaient une supériorité considérable sur leurs "alliés". Elle allait encore s'accentuer durant toute la période de "guerre froide" (qui vient de se terminer), où chaque tête de bloc, États-Unis et URSS, notamment par le contrôle des armements nucléaires les plus destructeurs, disposaient d'une supériorité absolument écrasante sur les autres pays de leur bloc. Une telle tendance s'explique par le fait que, avec l'enfoncement du capitalisme dans sa décadence :
Il en est de ce dernier facteur comme du capitalisme d'État : plus les différentes fractions d'une bourgeoisie nationale tendent à s'entre-déchirer avec l'aggravation de la crise qui attise leur concurrence, et plus l'État doit se renforcer afin de pouvoir exercer son autorité sur elles. De même, plus la crise historique, et sa forme ouverte, exercent des ravages, plus une tête de bloc doit être forte pour contenir et contrôler les tendances à sa dislocation entre les différentes fractions nationales qui le composent. Et il est clair que dans la phase ultime de la décadence, celle de la décomposition, un tel phénomène ne peut que s'aggraver encore à une échelle considérable.
C'est pour cet ensemble de raisons, et notamment pour la dernière, que la reconstitution d'un nouveau couple de blocs impérialistes, non seulement n'est pas possible avant de longues années, mais peut très bien ne plus jamais avoir lieu : la révolution ou la destruction de l'humanité intervenant avant une telle échéance.[2]».
À notre avis, ce cadre reste valable aujourd'hui, même si la mise à jour que nous en avons faite en 2022 sur la question du militarisme et de la décomposition reconnaît qu'en 1991 nous n'avions pas prévu la montée en puissance de la Chine, rendue possible par l'effondrement de l'ancien système de blocs et le développement de la « mondialisation », qui s'est notamment traduite par des investissements massifs de capitaux en Chine, notamment de la part des États-Unis, entraînant la croissance effrénée de la Chine en tant que nouvel « atelier du monde ». Cependant, pour la TCI et d'autres, la Chine serait aujourd'hui plus ou moins en mesure de former un nouveau bloc capable de mener une guerre mondiale contre « l'Occident ». Comme l'a fait valoir son affilié britannique, la Communist Workers Organisation, dans un article récent :
« L'Occident, mené par les États-Unis, a, par son utilisation répétée de l'« arme économique », créé une alliance de convenance entre les puissances sanctionnées (Chine, Russie, Iran et Corée du Nord), qui les a désormais conduites à entrer en conflit avec l'Occident. Comme l'a déjà démontré la guerre en Ukraine, il ne s'agit pas d'une « nouvelle guerre froide », comme l'ont affirmé certains experts. La situation est totalement différente. Pendant la guerre froide, l'URSS et les États-Unis étaient tous deux des puissances victorieuses et avaient tous deux plus à perdre qu'à gagner d'une guerre ouverte (et éventuellement nucléaire), de sorte que le conflit n'était pas direct. Ce n’est que dans les guerres par procuration et les manœuvres sur l'échiquier mondial que la tension entre elles a atteint son paroxysme.
Aujourd'hui, la situation est tout autre. Compte tenu de la stagnation du système capitaliste, aucune puissance n'est assurée économiquement de son avenir, et toutes sont confrontées à des problèmes croissants d'endettement et à une capacité déclinante à maintenir le type de société qui était le leur jusqu'à présent. La montée du nationalisme ne se limite pas à l'Occident. Comme on le sait maintenant, la recherche de profits plus importants à l'étranger par le capital américain, la lutte de classe qui existait États-Unis dans les années 1980 et 1990, ont eu pour conséquence involontaire de nourrir en Chine un challenger à leur hégémonie. Xi Jinping a cultivé un nationalisme étroit similaire, affirmant la nouvelle puissance économique de la Chine contrastant avec l'humiliation dont elle a été victime par le passé de la part des puissances étrangères. Et ce nationalisme ne se limite pas à la rhétorique sur la reconquête de Taïwan. La Chine devance déjà les États-Unis dans plusieurs domaines technologiques (le traitement des terres rares, par exemple) et dans l'intelligence artificielle...
... La puissance militaire américaine reste largement supérieure à celle du reste du monde, et elle est toujours le seul acteur mondial à cet égard. Mais la cyber technologie et le fait que la Chine ait construit une flotte plus moderne, etc., signifient que l'écart se réduit et qu'il existe déjà une course à l'armement technologique entre les deux puissances. Cette rivalité n'est pas nouvelle et ne se limite pas à Trump. C'est l'administration Obama qui a été la première à reconnaître la menace lorsqu'elle a adopté le « pivot vers l'Asie » en 2011, mais sa politique consistait alors à s'impliquer auprès d'autres États asiatiques (à l'époque, 40 % de la croissance de l'économie mondiale se situait dans cette région) tout en maintenant des liens directs avec la Chine. Sous Trump comme sous Biden, la politique américaine est devenue plus agressive envers la Chine, mais alors que Biden cherchait à construire des alliances (AUKUS, etc.) pour défendre la « démocratie » contre les États « autoritaires », le slogan MAGA de Trump pourrait être reformulé en « Make America Go it Alone » (Que l'Amérique fasse cavalier seul)[3].
Ce passage contient beaucoup de vérités. Le développement spectaculaire de la Chine en tant que puissance mondiale au XXIe siècle marque un nouveau niveau de bipolarisation des rivalités impérialistes, qui est le point de départ de la formation de véritables blocs militaires. En outre, l'idée que la Chine est devenue le principal challenger économique et impérialiste des États-Unis est en effet commune à toutes les principales factions de la classe dirigeante américaine, d'Obama à Trump. Mais nous ne sommes pas d'accord pour dire que cela signifie que la Chine est déjà en mesure de former un bloc autour d'elle-même, et ce pour deux raisons principales :
Ces manifestations de l'impact perturbateur des antagonismes nationaux au sein de « l'alliance de convenance » constituent un obstacle sérieux à la formation d'un bloc dirigé par la Chine. Mais plus significatif encore est le fait, souligné par la CWO elle-même, que les États-Unis adoptent eux-mêmes la politique du « Make America Go it Alone » (l'Amérique doit faire cavalier seul), sapant ainsi la possibilité d'une alliance stable entre les « démocraties ».
Dans le test texte de 1991, nous écrivions : « Dans la nouvelle période historique où nous sommes entrés, et les événements du Golfe viennent de le confirmer, le monde se présente comme une immense foire d'empoigne, où jouera à fond la tendance au "chacun pour soi", où les alliances entre Etats n'auront pas, loin de là, le caractère de stabilité qui caractérisait les blocs, mais seront dictées par les nécessités du moment. Un monde de désordre meurtrier, de chaos sanglant dans lequel le gendarme américain tentera de faire régner un minimum d'ordre par l'emploi de plus en plus massif et brutal de sa puissance militaire »[4].
Mais bien qu'ils n'aient en aucun cas renoncé à l'utilisation massive de la force militaire –comme nous l'avons vu, par exemple, lors des récentes attaques contre les installations nucléaires iraniennes–, les tentatives des États-Unis de « maintenir un minimum d'ordre » ont fini par faire de ce pays le principal facteur d'exacerbation du désordre. Cela a été clairement visible en Irak en 1991, mais encore plus lors des invasions de l'Afghanistan et de l'Irak en 2001 et 2003. Et, comme nous l'avons dit dans nombre de nos résolutions et articles, contrairement au passé où ce sont les puissances les plus faibles qui avaient le plus intérêt à saper le statu quo impérialiste, dans la phase de décomposition, c'est la puissance la plus forte du monde qui est devenue la principale promotrice du chaos à travers le globe. Cela a maintenant atteint un point où le régime Trump déclare ouvertement qu'il n'est plus le gendarme du monde et oppose de plus en plus les intérêts des États-Unis à ceux du reste du monde.
Ainsi, on ne peut plus parler de « l'Occident » ou d'un bloc occidental. Le divorce actuel entre les États-Unis et l'Europe, qui se traduit par une menace très réelle pour l'avenir de l'alliance de l'OTAN, le soutien américain aux factions populistes et d'extrême droite européennes qui s'opposent à l'Union européenne, ainsi que les déclarations directes des États-Unis sur la possibilité d'acquérir le Canada, le Groenland et le canal de Panama, constituent la dernière étape de la désintégration de tout « l'ordre international » inauguré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce contexte, la politique américaine consistant à faire payer aux puissances européennes la guerre en Ukraine ne vise pas à accroître la soumission de ces dernières à un ordre dirigé par les États-Unis. Cet objectif traditionnel est passé au second plan derrière la volonté autodestructrice des États-Unis de saper tous leurs rivaux, de semer le chaos et la division dans les rangs de leurs anciens « alliés ». De leur côté, considérant de plus en plus les États-Unis non seulement comme un allié peu fiable, mais même comme un ennemi potentiel, les grandes puissances européennes comme l'Allemagne s'engagent à développer leur secteur militaire, ce qui tendra à renforcer leur détermination à résister à l'intimidation américaine et à prendre leur place dans les Jeux olympiques impérialistes mondiaux.
Il faut ajouter que la mobilisation d'un État pour la guerre suppose une unité fondamentale entre les principales factions de la classe dirigeante. C'est de moins en moins le cas aux États-Unis, où les divisions au sein de la classe dirigeante –entre la gauche et la droite, les républicains et les démocrates, mais aussi entre le clan autour de Trump et d'autres branches de l'appareil d'État, et même au sein du camp MAGA lui-même, sont devenues si virulentes que, si l'on ajoute à cela la prolifération de groupes armés motivés par toutes sortes d'idéologies bizarres, le risque de guerre civile aux États-Unis sort du domaine obscur de la science-fiction et devient de plus en plus concret.
Cette instabilité croissante entre et au sein des États ne rend pas le monde plus sûr, même si elle entrave la reconstitution de blocs militaires. Au contraire, l'absence de discipline au sein des blocs et l'irrationalité croissante des régimes au pouvoir tendent à accroître le risque de dérapage au niveau militaire. Et la menace de militarisation et de guerre est à la fois exacerbée par le danger d'un effondrement écologique à l'échelle planétaire et l'aggrave encore davantage. Depuis le début des années 2020, nous sommes de plus en plus plongés dans ce que les éléments les plus perspicaces de la bourgeoisie appellent la « polycrise » et que nous avons appelé « l'effet tourbillon » -une spirale mortelle dans laquelle tous les différents produits d'une société en décomposition agissent les uns sur les autres et accélèrent l'ensemble du processus de destruction, confirmant que la menace la plus tangible pour la survie de la société humaine provient du processus de décomposition lui-même.
Mais il y a une autre raison pour laquelle nous nous dirigeons vers un « monde de guerres » plutôt que vers la reconstitution de blocs en vue d'une guerre mondiale classique : l'existence d'un pôle alternatif à la spirale de la décomposition.
Le fondement de la décomposition est l'impasse entre les classes, ce qui signifie qu'au cours des dernières décennies du XXe siècle, la bourgeoisie, malgré l'aggravation de la crise économique mondiale, n'a pas été en mesure de mobiliser la classe ouvrière pour une nouvelle guerre mondiale. Et, à notre avis, le prolétariat international n'a pas subi de défaite historique comparable à celle qu'il a connue après l'écrasement de la révolution mondiale à partir des années 1920 et qui a permis à la classe dirigeante de l'entraîner dans la Seconde Guerre mondiale. Certes, il a traversé une longue période de recul et de difficultés, mais la reprise des mouvements de classe déclenchée par « l'été du mécontentement » en Grande-Bretagne en 2022 était le signe que la classe ouvrière, après une longue période de maturation souterraine, revenait à la lutte ouverte et s'engageait sur la longue route vers la reconquête de son identité de classe et, en fin de compte, la perspective révolutionnaire qu'elle peut proposer comme seule alternative à la putréfaction de la société. Il est vrai que certaines parties de la classe ouvrière, comme en Ukraine et au Moyen-Orient, ont effectivement été entraînées dans la guerre, mais cela ne s'applique pas aux bataillons centraux de la classe ouvrière en Europe occidentale et en Amérique du Nord.
Les luttes qui ont commencé en 2022 étaient principalement une réponse à la détérioration des conditions de vie provoquée par la crise économique, mais il est également significatif qu'elles aient eu lieu malgré le déclenchement de la guerre aux marges de l'Europe et malgré les intenses campagnes de propagande sur la nécessité de défendre l'Ukraine et la démocratie. Et alors que la classe dirigeante s'engage à développer l'économie de guerre et retire de plus en plus son soutien financier aux dépenses sociales, le lien entre la crise économique et la guerre devient de plus en plus évident. Nous pouvons le constater, ne serait-ce qu'indirectement, à travers les tentatives de l'aile gauche du capital de « prendre en charge » ce type de questionnement dans les rangs du prolétariat, par exemple à travers la popularisation du slogan « welfare not warfare » (le bien-être plutôt que la guerre) dans les manifestations ouvrières.
À une échelle plus spectaculaire, nous avons assisté à des grèves et des manifestations très largement suivies, organisées par les syndicats italiens, en particulier les « syndicats de base » les plus radicaux, en réponse au génocide à Gaza et à l'emprisonnement des militants de la « flottille Subud » qui tentaient d'acheminer de la nourriture et d'autres fournitures à travers le blocus israélien. Contrairement aux marches pro-palestiniennes régulières à Londres et dans de nombreuses autres villes, qui sont manifestement dominées par l'idéologie nationaliste, ces actions donnent l'impression d'être situées sur un terrain ouvrier, mais comme le montre un article récent publié dans la revue italienne de la TCI, Battaglia Comunista, elles n'échappent pas à l'emprise du nationalisme pro-palestinien et donc à la logique de la guerre impérialiste :
« Inutile de dire que le contenu était marqué par le pacifisme humanitaire et le réformisme, sans la moindre trace d'internationalisme prolétarien, c'est-à-dire de classe : les drapeaux palestiniens dominaient sans contestation, accompagnés des slogans habituels « Palestine libre », etc. La division de la classe ouvrière par les syndicats était clairement visible : d'un côté, les travailleurs du Si Cobas (principalement des immigrés), de l'autre, ceux de la CGIL (principalement des Italiens), avec peu de discussion. Battaglia Comunista est intervenue dans plusieurs villes avec un tract, même si celui-ci s'est évidemment perdu dans la vague du nationalisme pro-palestinien »[5].
Mais que le pacifisme ou le nationalisme soit l'idéologie principale invoquée, ces mobilisations sont des moyens de récupérer l'indignation prolétarienne contre la guerre capitaliste. Dans ce cas, Battaglia a réussi à maintenir la ligne de classe, mais comme nous l'avons montré dans divers articles, l'incapacité à appréhender la totalité des forces derrière le massacre de Gaza a conduit de nombreux internationalistes en herbe à des confusions très dangereuses. Cela a été très évident avec des organisations anarchistes comme l'Anarchist Communist Group, avec son soutien à Palestine Action et à d'autres activités pro-palestiniennes, mais même un courant de la gauche communiste –les bordiguistes– n'a pas évité de sérieuses ambiguïtés autour de la question[6]. Il convient de noter ici que lors d'une récente réunion publique du groupe bordiguiste qui publie The International Communist Party, les camarades du PCI ont clairement indiqué qu'ils s'étaient pleinement mobilisés derrière la grève en Italie, principalement du fait de leur implication dans divers syndicats de base. Nous avons également fait valoir que la réponse « stratégique » de la TCI à la campagne belliciste –la formation de groupes No War But The Class sur une plate-forme minimale– non seulement obscurcit le rôle réel de l'organisation politique de la classe, mais les a également exposés à des alliances douteuses avec des groupes plus ou moins enlisés dans le gauchisme[7].
Le problème des révolutionnaires qui ne parviennent pas à se démarquer des actions « anti-guerre » dominées par le pacifisme ou le nationalisme est lié à un problème plus large, car le dégoût croissant non seulement pour la guerre, mais aussi pour la répression et la corruption capitalistes, souvent associées à des attaques contre les conditions de vie de base, provoque une vague de révoltes dans le monde entier : les mouvements dits « Gen-Z » en Indonésie, au Népal, au Kenya, Madagascar, au Maroc et ailleurs, mais il s'agit de mouvements « populaires » qui rassemblent différentes classes et couches sociales, qui ne peuvent en eux-mêmes développer une perspective prolétarienne et se retrouvent invariablement piégés dans des revendications de changement démocratique. Et là aussi, nous avons vu l'ICT perdre la tête et se retrouver à la traîne de ces mouvements. L'article de ce numéro de la Revue internationale, Tomber dans le piège de la lutte pour la démocratie bourgeoise contre le populisme [1], nous en donne plusieurs exemples[8].
Ces mobilisations –auxquelles on peut ajouter les grandes manifestations « No Kings » contre Trump aux États-Unis, qui ont rassemblé encore plus ouvertement des millions de personnes sous la bannière de la défense de la démocratie bourgeoise contre l'autoritarisme démontrent le danger que représente la situation actuelle pour la classe ouvrière, qui risque d'être entraînée sur un faux terrain, et l'importance centrale des luttes défensives de la classe ouvrière, des réactions à la crise économique sur le terrain prolétarien, car ces luttes sont la base indispensable pour que la classe ouvrière se reconnaisse comme une force sociale distincte, comme une classe pour elle-même. Et cela est à son tour le seul point de départ pour que la classe ouvrière soit capable de poser le problème de la lutte contre le système capitaliste dans son ensemble, avec ses guerres, sa répression, ses pandémies et sa dévastation écologique. En somme, pour développer sa propre perspective révolutionnaire autonome et montrer ainsi la seule voie à suivre pour toutes les couches de la population opprimées et appauvries par le capitalisme en décomposition.
Amos, novembre 2025
[1] Militarisme et décomposition (mai 2022) [2] ; Revue Internationale 168.
[2] Idem
[3] Cinquante ans de lutte, cinquante ans à nager à contre-courant [3], Perspectives révolutionnaires 26
[4] Texte d’orientation : militarisme et décomposition [4] ; Revue internationale 64 - 1991
[5] Italie : À propos de la « grève générale » pour Gaza [5], leftcom.org
[6] Sur l'ACG, voir L'ACG fait un pas de plus vers le soutien à la campagne de guerre nationaliste [6] et Le soutien de l'ACG à Palestine Action : un pas de plus vers l'abandon de l'internationalisme [7], ICC Online. Sur les bordiguistes, voir Guerre au Moyen-Orient : le cadre théorique obsolète des groupes bordiguistes [8], ICC Online
[7] La TCI et l'initiative « No War But the Class War » : un bluff opportuniste qui affaiblit la gauche communiste [9]
[8] Voir également l'article publié par la TCI : « Déclaration sur les manifestations au Népal [10] », et signé par le NWBCW South Asia, dans lequel les jeunes Népalais se voient offrir la perspective « de mener une lutte politique et violente et de s'emparer des usines, des ressources alimentaires, des ressources énergétiques, des transports et des armes ».
Liens
[1] https://en.internationalism.org/content/17731/falling-trap-struggle-bourgeois-democracy-against-populism
[2] https://fr.internationalism.org/content/10785/militarisme-et-decomposition-mai-2022
[3] https://www.leftcom.org/en/articles/2025-10-03/fifty-years-of-struggle-fifty-years-of-swimming-against-the-tide
[4] https://fr.internationalism.org/rinte64/decompo.htm
[5] https://www.leftcom.org/en/articles/2025-10-02/italy-on-the-general-strike-for-gaza
[6] https://en.internationalism.org/content/17493/acg-takes-another-step-towards-supporting-nationalist-war-campaign
[7] https://en.internationalism.org/content/17714/acgs-support-palestine-action-further-step-towards-abandoning-internationalism
[8] https://en.internationalism.org/content/17474/war-middle-east-obsolete-theoretical-framework-bordigist-groups
[9] https://en.internationalism.org/content/17396/ict-and-no-war-class-war-initiative-opportunist-bluff-which-weakens-communist-left
[10] https://www.leftcom.org/en/articles/2025-09-11/statement-on-the-protests-in-nepal
[11] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/polemique
[12] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international
[13] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/tci-bipr
[14] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/communist-workers-organisation
[15] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/bordiguisme
[16] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/pci-proletaire