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Internationalisme (GCF) n°8 - mars 1946

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Rubrique: 

A chaque époque sa farce démagogique

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Un vieux problème revient depuis plus de 50 ans sur le tapis. Jadis rejeté de sous-commission en sous-commission, il allait se reposer dans les vieilles archives, véritables boites magiques de la bourgeoisie, jusqu'au jour où le capitalisme le ressortit, trouvant en lui une possibilité, bien aléatoire, de survie.

Avant 1914, le libéralisme vieillissant avait trouvé un marché étendu et inexploré dans les pays qui devaient devenir plus tard des colonies.

Au nom de "la civilisation européenne" contre la sauvagerie inadmissible des peuples non-européens, de véritables guerres furent déchaînées.

Les conquêtes coloniales n'apportaient rien aux peuples "arriérés" si ce n'est l'asservissement total, les maladies civilisées telle la syphilis ; mais, en revanche, elles rapportaient au capitalisme des métropoles, des bénéfices et la possibilité de faire durer le régime d'exploitation.

La guerre de 1914 qui clôt l'ère des conquêtes coloniales -car il n'y avait plus de conquête à faire- met en avant une autre grande réforme devant assurer le bien-être de l'humanité.

Face à la concentration du capital s'effectuant au travers des trusts privés, le capitalisme avait besoin de rationaliser le travail. Faire produire le plus, payer des salaires de famine, c'est l'époque fordienne avec tout le système de gendarmisation de l'usine.

On reproche à l'ouvrier de perdre de la force de travail dans des gestes inutiles. Au nom de l'économie indispensable au relèvement de l'humanité diminuée par la guerre de 1914-18, on rationalise tout depuis le réveil de l'ouvrier jusqu'à son coucher.

Taylorisation et Stakanovisation prennent des visages attrayants, une simplicité simple pour cacher l'abêtissement vers lequel on conduit l'ouvrier par la rationalisation.

L'Amérique, l'Allemagne et la Russie sont les pays où cette expérience "philanthropique" s'effectue, permettant aux USA une exportation de capitaux, ne trouvant pas à s'employer dans leur pays d'origine.

Mais la crise de 1929 vient renverser ces rêves humanitaires. L'ère de la rationalisation, comme l'a été l'ère du colonialisme, est dépassée. La guerre se repose comme seule solution pour le capitalisme.

Alors, ces deux remèdes pour l'humanité perdent leur masque fantaisiste et idyllique pour montrer leur vrai visage, leur vraie utilité d'exploitation accrue pour la survie d'un régime moribond.

Après la guerre 1939-45 -qui bouleverse de fond en comble toutes les vieilles rengaines du capitalisme où le nationalisme tombe, jeté à bas par le régime qui l'a glorifié-, la société a besoin de nouvelles formes économiques, sociales et politiques.

Les révolutionnaires conscients posent la seule solution viable qui est le renversement violent du régime pour l'instauration de la société socialiste.

Les partis pseudo-ouvriers, qui vont à la rescousse d'un régime croulant et qui veulent redorer le blason de la "patrie", proposent des solutions hybrides qui ne changent rien au caractère d'exploitation du système capitaliste.

Et ce sont les Nationalisations "par le peuple et pour le peuple". L' État perd sa caractéristique d'instrument aux mains de la classe exploiteuse pour devenir le lieu des embrassades collectives et de l'union sacrée.

Au nom du peuple, l'État prend en mains les industries-clés dans l'intérêt général.

Aux gaspillages particuliers dus à l'anarchie du mode d'échange du capitalisme, les nationalisations vont mettre un frein et de l'ordre. Du travail pour tout le monde puisque les usines appartiennent à "la Nation" qui a chargé l'État de gérer la production.

Ce caractère démagogique d'une mesure essentiellement bourgeoise est, d'après ses meilleurs défenseurs et bénéficiaires, l'anse par laquelle la société se transformera.

La morale colonialiste camouflait le besoin d'élargissement du marché mondial. L'utilitarisme social de la rationalisation cachait une tentative d'éviter la crise cyclique du régime et cherchait la possibilité au mode de production capitaliste de vivre par lui-même et en lui-même.

La portée démagogique des Nationalisations consiste en une politique "socialiste" du capitalisme -le loup prenant figure de mouton- pour masquer le besoin qu'a la bourgeoisie, à la fin de sa vie historique, d'instaurer une répression accrue de l' État et une exploitation aggravée de la classe ouvrière pour se maintenir coute que coute au pouvoir.

À chaque époque, la bourgeoisie trouve des remèdes qui, malheureusement pour elle, agissent plus par suggestion que thérapeutiquement.

Procès des nationalisations

Il est préférable, pour la compréhension du procès des nationalisations, de bien saisir à la base les caractéristiques du régime capitaliste ainsi que celles du régime socialiste.

La production capitaliste est directement sujette à l'incorporation du travail humain dans une matière œuvrable. Cette incorporation de travail social ne lui confère pas encore la qualité de marchandise qui est l'essence même du régime bourgeois. Pour que l'objet travail devienne une marchandise, encore faut-il qu'il trouve acquéreur, c'est-à-dire un consommateur capable d'échanger "l'objet travaillé" contre de l'argent représentant une même quantité de travail social.

La pierre angulaire du capitalisme réside donc, dans sa majeure partie, dans le procès de l'échange de marchandise. Ce procès, s'effectuant sur des quantités égales de force de travail dépensé, se complique du fait que la force de travail, si elle est payée à sa valeur marchande, à la propriété de produire plus que sa valeur (le salaire donne la possibilité de reproduire le travail de la veille pour un ouvrier et constitue ainsi sa valeur marchande). Cet excédent de valeur fourni par l'ouvrier s'appelle la PLUS-VALUE.

Une marchandise sera donc représentée dans son ensemble par la force de travail dépensée :

  1. sous forme de matière première, outillage, bâtiment ; c'est le capital constant ;
  2. sous forme de salaire ; c'est le capital variable ;
  3. sous forme d'excédent de travail impayé, bénéfice du capitaliste ; c'est la plus-value.

Si la plus-value était intégralement consommée par les capitalistes, nous n'aurions pas de déséquilibre permanent dans l'échange (offre par rapport à une demande solvable) ; l'élément perturbateur réside dans le fait que la plus-value n'est pas consommée dans son ensemble mais est reversée dans le circuit de production sous forme de capital constant et capital variable.

Ce cycle infernal du capitalisme, réalisant la plus-value en vue de l'introduire dans une production, s'appelle l'ACCUMULATION ÉLARGIE. Et c'est dans la fonction de l'accumulation élargie, d'accumulation de la plus-value pour une production élargie, que le capitalisme prend son sens et trouve sa faillite au bout.

On ne produit pas pour consommer mais pour accumuler et investir de la plus-value dans le capital social. La consommation solvable se rétrécit du fait que cette accumulation sans but social réduit de plus en plus le pouvoir d'achat de la société. Des quantités énormes de marchandises resteront sans acheteurs et les masses verront leur pouvoir de consommation se réduire au fur et à mesure pour permettre une économie pour le capital variable en vue de l'accumulation élargie.

Le procès de production socialiste, tout en conservant encore un principe bourgeois dans son échange (à chacun selon son travail), renverse la vapeur EN RÉDUISANT DE PLUS EN PLUS LA PART DE PLUS-VALUE ALLANT À L'ACCUMULATION, POUR AUGMENTER EN PROPORTION LE POUVOIR D'ACHAT SOCIAL, EN D'AUTRES TERMES LE CAPITAL VARIABLE.

Ces deux processus inverses de l'accumulation tiennent pour négligeable l'existence ou non des capitalistes privés ; (...) sur le capital et non sur la personne détentrice du capital.

Dans la période présente, l' État bourgeois, de par la concentration capitaliste, tend de plus en plus à se substituer au capitaliste individuel. La nécessité, causée par la crise du régime, exige ce transfert de la libre disposition des moyens de production. Ce transfert, par lui-même, ne change en rien la nature du système capitaliste puisque l'accumulation toujours croissante de la plus-value en résulte.

La loi de l'accumulation élargie -en vue d'une production plus grande de plus-value, devant être accumulée à son tour- jouant pleinement, l'État possesseur des industries-clés, en totalité ou en partie, ne fait que continuer le procès capitaliste ; nous arrivons à cette fin probable d'une élimination du capitaliste individuel par le capitalisme d'État. Sur le marché mondial, les États se présenteront à la place des anciens capitalistes privés.

La plus-value n'allant pas augmenter la consommation solvable mais, au contraire, s'économisant et s'accumulant, l'État bourgeois ne pourra en aucun cas représenter l'intérêt général mais servira plutôt à distribuer des prébendes à ses serviteurs, ses laquais et ses parasites, tels les haut-fonctionnaires, les artistes, les intellectuels et les savants à sa solde.

Et les nationalisations s'opèrent sans rien changer au procès du capital, sans rien changer à la nature du régime capitaliste, sans résoudre d'aucune façon la crise du régime découlant du décalage toujours plus grand entre la production croissante et la consommation décroissante.

La nationalisation devient donc un procédé TECHNIQUE ayant ses avantages et ses inconvénients, et non une REFONTE DE STRUCTURE.

Nécessité des nationalisations dans la période présente de l’impérialisme

Ce remplacement de tous les capitalistes individuels par le capitalisme d'État devient une nécessité urgente, de nos jours, pour les pays appauvris ou ruinés par la guerre.

La reconstruction de tout un appareil industriel demande tout d'abord une mise de fond, un investissement de capitaux que chaque capitaliste privé est dans l'impossibilité de trouver ou de garantir.

De plus, l'expérience allemande de 1924 à 1929 a prouvé pertinemment que l'exportation de capitaux était une mauvaise expérience pour le régime car, si elle retardait la crise, elle ne l'en accusait que plus gravement.

Aujourd'hui, ce que les capitalistes privés ne peuvent pas trouver sur le marché mondial, l'État le peut car il est capable de donner comme garantie l'ensemble de la richesse de la nation.

Le prêt étranger consenti à l'État est toujours accompagné d'avantages commerciaux, soit sur le marché intérieur soit dans ses colonies.

C'est donc devant l'ampleur de la tâche que le capitalisme individuel est obligé de céder le pas à l'État capitaliste. Cette mesure de concentration du capital entraîne infailliblement d'autres conséquences, telle la réduction des frais de production, des liaisons plus étroites entre toutes les industries, mais aussi une irresponsabilité plus grande dans la direction et à certains gaspillages bureaucratiques. Mais si le problème de l'investissement de capital exige la nationalisation, un problème non moins important et surtout plus aigu pose cette nécessité d'une façon urgente.

Le redémarrage de la vie économique, du point zéro où l'a amené la guerre, exige de sérieuses économies dans le pouvoir d'achat des masses que l' État seul a les moyens de faire au nom de "la nation" et "du peuple souverain".

Par une série d'impôts directes et indirectes, par la réglementation des salaires et des prix, par des dévaluations successives, l'État peut rogner de plus en plus sur le capital variable national et sur l'épargne.

Par une réglementation du ravitaillement général, il peut réduire la production de consommation au profit de la production des moyens de production et permettre de masquer les diminutions constantes de salaire et l'état de famine qui s'ensuit. On voit ainsi très bien les avantages économiques et politiques des nationalisations pour le capitalisme en général.

Du côté économique, la tendance vers la concentration capitaliste, caractéristique de l'impérialisme, peut se faire d'une manière accélérée.

Du côté politique, cette concentration du capital, accompagnée d'une misère toujours grandissante pour les masses, peut revêtir l'allure d'une mesure collective en vue de l'intérêt général, du "peuple" et de la "nation".

Oser comparer les nationalisations aux collectivisations, les staliniens, dans leur démagogie, n'ont pu aller jusque-là, sauf pour la Russie ; et pour cette dernière, en raison de l'État dit "ouvrier".

Oser dire, comme certains théoriciens fumeux de la non moins fumeuse et acrobatique théorie de l'économie de guerre, que les nationalisations en régime capitaliste sont irréalisables et illusoires sans avancer un seul argument solide, est un reste de facilité idéologique dans laquelle les trotskistes sont tombés et qui est très dangereuse pour l'avant-garde.

LES NATIONALISATIONS DEMEURENT ACTUELLEMENT LA SEULE POSSIBILITÉ POUR LE CAPITALISME DE RECONSTRUIRE SON APPAREIL INDUSTRIEL DÉTRUIT EN VUE DE LA PRÉPARATION DE LA TROISIÈME GUERRE MONDIALE.

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Communiste de France [1]

Questions théoriques: 

  • L'économie [2]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Capitalisme d'Etat [3]

Rubrique: 

Politique et économie des nationalisations

Lettres de la Gauche Communiste de France à la Fraction belge de la Gauche Communiste

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Chers camarades,

Nous avons bien reçu votre lettre du début janvier. Elle n'est pas tout à fait une réponse à la nôtre envoyée au mois d'août. Peut-être que le fait que vous ayez attendu quatre mois pour nous répondre explique l'absence de réponse au contenu de notre lettre. Nous vous signalons également que nous n'avons jamais reçu votre lettre que vous nous dites-nous avoir envoyée par l'intermédiaire de Fr, ni vos publications qui passaient par le même canal. Sans vouloir nous appesantir autrement sur ces faits, nous vous prierons à l'avenir d'éviter ces intermédiaires inutiles et de nous écrire directement. Nous avons enfin reçu vos publications que nous étudions avec intérêt et les faisons circuler.

Nous ne méconnaissons pas votre effort qui est très méritoire, mais nous ne sommes pas toujours d'accord sur vos appréciations et vos positions politiques. Ainsi relevons-nous de temps à autre des relents de la fameuse théorie dite "de l'économie de guerre" de Vercesi qui sont par ailleurs en contradiction avec d'autres affirmations dans le journal. La même chose sur la nature de la guerre impérialiste où, par moments, vous reprenez la fameuse théorie en faillite de Vercesi sur la négation des antagonismes inter-impérialistes qui ne voit dans la guerre impérialiste, dès son éclatement, que la guerre civile du capitalisme mondial contre le prolétariat.

Vous ignorez, ou voulez ignorer, tout le travail fait par la Fraction Italienne et nous-même depuis 1943. Passer sous silence nos positions au lieu de s'expliquer publiquement et les réfuter politiquement en cas de divergence n'avance à rien. Ne serait-ce que des malentendus ou des mauvaises interprétations, on ne peut les éliminer que par la confrontation et la discussion. Nous avons toujours été étrangers à la chicane mesquine et à l'obsession maladive qui voulait voir dans toute divergence secondaire une question fondamentale et gonflait artificiellement tout malentendu, le hissant à la hauteur d'une opposition de principe. Cette méthode qu'on voulait présenter comme le dernier cri du "purisme révolutionnaire" et qui n'était en fait que la manifestation d'une constipation sectaire, stérilisant tout effort théorique, rendant impossible toute discussion et confrontation politique et obscurcissant les divergences réelles, nous ne l'avons que trop bien connue dans la période de Fr-Al.

Rappellerons-nous que nous avons été opposés, de la façon la plus intransigeante, à la tendance Vercesi, que nous nous sommes catégoriquement opposés à son exclusion qu'on voulait préalable à toute discussion. Cela parce que nous sommes convaincus qu'une divergence politique ne peut être tranchée par des mesures organisationnelles avant que le débat politique ait permis à la pleine clarté de se faire et ait rendu nécessaires les mesures organisationnelles. Le même souci nous guidait quand nous nous refusions à suivre ceux qui, dans la question des rapports avec les CR et RKD, préconisaient la rupture de tout contact et de toute discussion politique avec ces groupes sous le prétexte fallacieux que ces groupes sont confusionnistes et ne se réclament pas de la GCI.

Mais si nous ne connaissons que trop, pour en avoir fait l'expérience, cette maladie funeste qui consiste à fabriquer de toute pièce des "divergences de principe", nous ne saurons pas davantage admettre qu'on minimise des divergences réelles, qu'on réduise les divergences graves à des bagatelles, ou bien pis qu'on les passe sous silence.

La crise, qui existe dans la GCI depuis l'avant-guerre et qui s'est développée et aggravée au cours de la guerre, ne repose pas sur des "malentendus" comme vous semblez le croire, ni sur le fait de la présence de "pontifes" comme voulait le prétendre Vercesi dans sa polémique contre nous. Le seul fait qu'elle dure depuis 1938, qu'elle porte sur un ensemble de questions théoriques et politiques de première importance, sur des analyses diamétralement opposées de la situation, qu'elle s'est concrétisée par l'exclusion de la tendance de Vercesi qui participait et dirigeait le Comité de coalition antifasciste italien de Bruxelles en étroite collaboration avec tous les représentants des organisations politiques de la bourgeoisie, tous ces faits prouvent qu'il ne s'agit pas de bagatelles mais de divergences politiques réelles et très graves qu'on n'a le droit ni de minimiser ni de passer sous silence.

Notre Fraction Française a fait preuve du sens des responsabilités politiques et a agi de l'unique façon communiste en portant le débat publiquement. Aux documents que nous avons publiés seuls ou avec la Fraction Italienne, et plus particulièrement les brochures "Notre réponse", "La déclaration politique" et "Quand l'opportunisme divague", aucune réponse n'a jamais été faite. On a préféré à un débat politique, à une confrontation loyale, la méthode de la petite polémique de dénigrement personnel, les chicanes organisationnelles, les intrigues aboutissant à des scissions dans l'obscurité.

Nous regrettons que la Fraction belge n'ait jamais répondu ni publiquement ni par un document intérieur pour réfuter nos positions ou y souscrire. Elle porte ainsi une responsabilité indéniable pour l'état dans lequel se trouve l'ensemble de la GCI.

La collaboration honteuse dans le Comité de Coalition Antifasciste de la fraction Vercesi, qui a duré de longs mois, s'est faite à Bruxelles, là même où vit et agit la Fraction belge ; quelle a été votre position à ce sujet ? Pourquoi, dans votre organe L'Internationaliste, n'avez-vous pas pris position ? Il fallait oser dire si vous approuvez cette collaboration qui est en fait une trahison ; il fallait que vous preniez la responsabilité politique de dire en français aux ouvriers belges ce que Vercesi dans le meeting de la coalition, en italien aux ouvriers italiens que De Brouckere, ce laquais socialiste de la bourgeoisie belge, était "l'ami des ouvriers italiens immigrés" ! On ne peut combattre le capitalisme et ses agents socialistes ou staliniens en belge, et collaborer en italien. Ou bien considérez-vous peut-être que le Comité de Coalition Antifasciste était une affaire nationale des ouvriers italiens dont vous n'avez pas à vous mêler ?

Mais si vous n'approuviez pas cette collaboration de classe, il fallait aussi le dire ouvertement et dénoncer publiquement, comme nous l'avons fait, et cette politique et ceux qui la pratiquent.

Aujourd'hui on essaie de minimiser, d'en faire une petite question, d'importance secondaire, on essaie de cacher à la connaissance des militants révolutionnaires ce honteux journal de la Coalition Antifasciste, "L'Italia di Domani", à la rédaction duquel Vercesi prenait une part prépondérante et où s'étalait la plus honteuse exaltation à la participation à la guerre impérialiste. Nous même n'avons pu avoir connaissance de ce journal qu'incidemment et avec un retard d'un an.

On étouffe, on tente de faire oublier cet "incident de Bruxelles" comme on s'exprime à Turin. On veut bien reconnaître dans des conversations personnelles que c'était une erreur, ou mieux encore "une erreur de perspective" (?), mais dès qu'il s'agit de s'expliquer en public, on a un bœuf sur la langue et sur la plume. Rien ne sort. Sourds et muets !

Quelle est la situation présente de la Fraction de la Gauche Communiste en France ? La scission provoquée par la minorité Fr-Al, en mai 1945, avait comme prétexte notre soi-disant manque d'intransigeance de principe. On représente notre action -comme au 1er mai avec les CR et RKD contre la guerre impérialiste et notre volonté de discussion, de confrontation et de clarification politique avec ces groupes qui, tout en n'étant pas de la Gauche Communiste Internationale, sont néanmoins des groupes révolutionnaires- comme on ne sait quelle volonté de procéder à une unification organique à brève échéance. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Nous avons effectivement procédé à une série de réunions de discussion et de confrontation politiques avec les CR et RKD auxquelles nous avons invité des militants d'autres groupes révolutionnaires. Nous avons débattu et défendu publiquement les positions de la GCI sur les problèmes fondamentaux : l'expérience russe, la question de l'État, la notion de Parti et de Fraction, le problème du regroupement de l'avant-garde, la question italienne et la formation du parti de classe en Italie. Aucune unification organique précipitée ne s'est produite. Mais le but a été partiellement atteint, à savoir l'effort de clarification. Et pendant le même temps, de l'autre côté, nous assistons à des conciliabules secrets, à des conversations mystérieuses, à des tractations personnelles, la pire pratique de noyautage où se fait jour la grosse caisse de l'influence personnelle de Vercesi qui se multiplie à travers des voyages diplomatiques, pour qu'enfin, sous le haut-arbitrage de Vercesi, surgisse un rassemblement hétéroclite qui s'intitule également "Fraction Française".

Non seulement, en pratique, la méthode de racolage personnel en dehors de tout débat politique, dans le plus grand secret vis-à-vis des autres groupes, est indigne mais encore cet enfant est porté sur les fonts baptismaux de la GC par Vercesi en personne, que les hauts faits dans le Comité de Coalition Antifasciste ont particulièrement désigné à cet honneur. Et sur quelle base s'est fait ce rassemblement ? Sur la base politique des éléments constituants, c'est-à-dire de l'ancienne Union Communiste, de l'ancienne Minorité Italienne qui a rompu avec la Fraction sur la question espagnole, sur les Thèses de Rome. La déclaration de principe qui fut le document de base à la formation de la Fraction Française est évidemment écartée et abandonnée par les ex-camarades Fr et Al, de même que nos Statuts, Thèses et Résolutions adoptés à l'unanimité de notre conférence constitutive. Comble de l'ironie, ce sont ces mêmes documents de base de la Fraction, qu'on nous reprochait de transgresser, que nos champions de l'intransigeance abandonnent totalement aujourd'hui.

Quelle est la nature politique de ce nouvel amalgame ? Un camarade responsable de ce groupe a dit qu'il repose sur "un compromis", sur "des concessions réciproques". Charmante formule ! On pourrait plus exactement dire qu'il repose sur "une amnistie politique tacite entre ceux qui se sont retrouvés à participer à la guerre impérialiste en Espagne (n'est-ce pas sur ce point crucial que vous avez rompu avec la Ligue Internationaliste et formé la Fraction Belge ?) et celui qui, au travers du Comité Antifasciste de Bruxelles, a participé à la guerre impérialiste mondiale.

C'est maintenant qu'apparaît en pleine lumière la nature profonde de la scission provoquée dans la Fraction Française au mois de mai. Nous pouvons dire que la façon dont cette scission a été faite -brusquement, après le retour de Fr de Bruxelles (convertie, pour la troisième fois en un an, au Vercesisme), sans que l'on puisse saisir les causes politiques principielles cachées adroitement par une pluie d'accusations d'ordre personnel et de chicanes organisationnelles- a été un chef-d’œuvre de manœuvre diplomatique. On ne peut qu'admirer Vercesi qui, en véritable maestro et avec un art inégalable, a conduit de loin cette opération. C'était sa façon de répondre à notre "Quand l'opportunisme divague". On peut évidemment reprocher que ce n'est pas très honnête politiquement ni très loyal. Mais, n'est-ce pas que l'honnêteté et la loyauté en politique sont, pour certains, synonymes d'imbécillité. Par tous les moyens, par la manœuvre et l'intrigue, pour arriver à ses fins, voilà le dernier cri de Vercesi. Et nous savons, par l'expérience douloureuse de la 3ème Internationale, où mène une telle morale et qui s'en sert.

Vous nous avez écrit, quelque temps après la scission, que vous ne pouviez pas vous prononcer sur le fond de la scission, que vous attendiez des éclaircissements ultérieurs. En même temps, vous ajoutiez : "C'est plutôt les autres qui nous semblent représenter 'l'héritage' de la famille". Que reste-t-il aujourd'hui de cet "héritage" ??? Les documents de base de la Fraction Française sont abandonnés. La résolution de constitution du Bureau International est elle-même abandonnée. On donne droit de citer aux positions politiques de la Minorité italienne et de l'Union Communiste contre qui, justement, s'est formée la Gauche Communiste Internationale. Est-ce cela "l'héritage de la famille" dont vous parlez ? La Gauche Communiste, ses positions politiques, ses traditions, c'est autre chose que ce rassemblement opportuniste sans principe. Et nous comptons le défendre, cet héritage, envers et contre tous, avec des (...) politiques et la méthode de la loyauté communiste.

L'opportunisme peut évidemment obtenir quelques succès numériques (les trotskistes en sont un exemple) mais il est frappé de stérilité théorique. Et ce n'est pas un hasard alors que cet amalgame n'a pas publié, de toute son existence, un seul document, même pas une résolution politique sur sa constitution ; nous avons, nous, avec nos faibles forces numériques, avec nos moyens matériels misérables, publié, en plus de 4 numéros de "L'Etincelle", des tracts et affiches pendant les élections (ne nous a-t-on pas accusé "d'activisme"), 4 numéros de notre revue théorique "Internationalisme" et 4 fascicules de rapports et résolutions de notre conférence du mois de juillet.

Nous sommes décidés à intensifier ce travail et à le compléter par une série de brochures. Quelques-unes sont prêtes, seules nos difficultés techniques et matérielles sont cause de retard. Parmi nos brochures se trouvent notamment une sur l'État, une sur la nature de la guerre impérialiste et une troisième sur Fraction, Parti et classe.

Fin janvier, sortiront "L'Etincelle" et "Internationalisme". Ce dernier contient des articles sur l'expérience russe, les nationalisations, sur le problème du regroupement et le premier congrès du PCI.

Nous n'avons pas pu nous rendre à ce congrès mais nous avons reçu indirectement la plate-forme politique et nous avons eu des échos sur le travail du congrès. Nous traiterons cette question, comme à notre habitude, publiquement dans les prochains "Étincelle" et "Internationalisme". Nous soulignons les côtés positifs acquis, mais nous ne poussons pas de panégyriques béats. Répugnant à l'idolâtrie, nous soulignons ce qui nous apparaît comme négatif dans le PCI et dans la plate-forme ; et nous les soumettons à notre critique.

Le fait que ce soit précisément Vercesi qui fut chargé d'assurer les relations internationales nous paraît d'une indication politique extrêmement grave. Nous sommes en outre en droit de craindre que la méthode de regroupement, dont il nous a donné récemment un échantillon à Paris, devienne, sous le poids de l'autorité du PCI, la méthode par excellence dans les relations internationales et dans la GCI en particulier.

"Comment en sortir ? Que proposez-vous ?", nous demandez-vous. Avant tout par la volonté ferme de revenir à des méthodes saines de loyauté communiste. Bannir la manœuvre et l'intrigue. Seules la confrontation des idées, la lutte idéologique et la clarification des divergences réelles peuvent permettre un travail fécond. La discussion internationale par des écrits, par des conférences. Il fait éviter la fabrication d'un Bureau International de la Gauche Communiste à l'image de l'amalgame parisien. Des conférences politiques internationales des fractions avant toute solution organisationnelle. Mais cela n'est qu'un premier pas. Il faut inviter d'autres groupes, faisant partie du courant historique de la gauche qui va de la 3ème à la 4ème Internationales, à une discussion générale et organisée. Éventuellement et pour plus tard, envisager avec eux des conférences internationales. Une première délimitation s'impose, non sur la base de sympathies personnelles mais sur des critères politiques.

Nous avons exprimé notre pensée clairement là-dessus dans la résolution de notre conférence de juillet (voir résolution sur les relations internationales, fascicule n° 3 du bulletin spécial).

Nous soutiendrons tout effort qui va dans le sens de l'élimination des malentendus et de déformation consciente ou inconsciente, de rétablissement des rapports et des contacts entre les divers groupes, et plus particulièrement entre les fractions de la Gauche Communiste, sur la base d'une discussion et d'une confrontation politique loyales et saines. Dans ce but et estimant qu'il serait très important d'avoir un échange de vue plus directe, nous proposons qu'un camarade qualifié de la Fraction belge vienne nous voir et discuter ici.

Nous terminons cette lettre avec l'espoir de vous être faits comprendre et que votre effort, comme le nôtre, de dégager le mouvement révolutionnaire de l'état de confusion où il est plongé triomphera des innombrables obstacles auxquels il se heurte.

Recevez, chers camarades, nos salutations révolutionnaires.

LA GAUCHE COMMUNISTE DE FRANCE

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A LA FRACTION BELGE

2 février 1946

Chers camarades,

Nous venons de prendre connaissance de votre résolution du 19 janvier concernant les relations internationales. Nous partageons entièrement votre appréciation sur le malaise et le manque de précision théorique qui règnent, non seulement dans les relations entre les différents groupes de la GCI mais aussi entre LES DIFFÉRENTS GROUPES D'AVANT-GARDE QUI S'EFFORCENT DE REPRÉSENTER LES INTÉRÊTS HISTORIQUES DU PROLÉTARIAT.

Nous sommes heureux de vous voir vous élever et reprendre cette critique, qui est notre depuis un an, contre la négligence absolue dans les relations internationales entre les divers groupes d'avant-garde. Il est urgent de remédier à cet état de fait. Votre appel pour l'échange des documents entre les divers groupes ne peut être qu'un premier pas. Nous croyons que cet échange peut et doit être organisé.

En réalité, il s'agit :

  1. des informations sur la situation de la lutte de classe dans les divers pays,
  2. de documentation des positions fondamentales des divers groupes révolutionnaires,
  3. de la clarification idéologique par la confrontation des positions politiques respectives.

Un simple échange de documents ne répond pas complètement à ces objectifs et éparpille l'effort. Il faut plus qu'un échange ; il faut un échange GÉNÉRALISÉ, ORGANISÉ ET CONCENTRÉ. A notre avis, un bulletin de DOCUMENTATION et de DISCUSSIONS internationales s'impose. Un bulletin qui aura pour unique but de centraliser et de faire connaître les documents fondamentaux des différents groupes révolutionnaires. Sans être l'organe d'une tendance, afin de répondre à son objectif de documentation internationale, ce bulletin doit cependant être basé sur une première délimitation politique. Nous rappelons les 4 points que nous avons proposés comme base d'un tel bulletin.

En ce qui concerne la position de la Fraction Belge sur l'économie de guerre et sur l'État prolétarien (en Russie), nous devons faire remarquer que c'est LA PREMIÈRE FOIS qu'une résolution de la Fraction se prononce contre les positions émises antérieurement.

Il est indispensable, et afin d'en finir avec la confusion, que la Fraction Belge fasse publiquement la critique des théories de l'économie de guerre et de l'État ouvrier dégénéré.

Salutations communistes!

LA GAUCHE COMMUNISTE DE FRANCE

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Communiste de France [1]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [4]

Rubrique: 

Correspondance et polémique

Réponse à la résolution des RKD datée du 31 janvier 1946

  • 5 lectures

Les contre-révolutionnaires staliniens à court d'argumentation emploient, contre les groupes révolutionnaires de la Gauche, toutes armes traditionnelles de la bourgeoisie : calomnie, délation, pogrome...

La faiblesse politique des organisations centristes trotskistes les oblige à ignorer ceux qu'ils nomment "les ultra-gauchistes", qualificatif qui remplace pour eux toute critique.

On désigne "les ultra-gauchistes" comme le croquemitaine pour les petits enfants, et l'affaire est classée.

Il est malheureux de remarquer que les jeunes organisations révolutionnaires ont du mal à se défaire des méthodes traditionnelles du stalinisme et du trotskisme par lesquels la plupart des militants sont passés.

La résolution du RK en est un exemple frappant. On préfère de beaucoup employer des phrases pompeuses, des mots sonnants et vides de sens pour se donner à soi-même l'illusion de la critique, plutôt que d'approfondir les questions.

Le RK a préféré, à un document politique de critique des groupes cités et de leur forme organisationnelle, une déclaration définissant en quelques phrases le caractère politique "non marxiste conséquent" des groupes cités.

Notre rôle n'est pas de défendre les autres groupes inculpés ; il n'est pas non plus de nous défendre mais de demander aux RK de cesser ses méthodes grandiloquentes et donquichottesques de résolutions chargées de détruire des moulins à vent ! Le RK ferait mieux de s'attacher sérieusement (...) [à l’]auto-critique des documents qui sortent régulièrement de notre organisation.

Nous voulons profiter pour poser au Comité responsable des RK quelques questions qui ont trait au caractère de la GCF et qu'il serait bien intéressant de voir éclaircir un jour :

  1. Qu'est-ce que le Comité responsable du RK entend par idéologie bordiguiste traditionnelle ?
  2. Quelle différence y a-t-il entre dictature du prolétariat et dictature de classe du prolétariat ?
  3. Comment le Comité responsable du RK peut-il garder foi en la révolution prolétarienne si il affirme d'avance qu'en période révolutionnaire le Parti ne peut "en réalité que masquer la bourgeoisie" ?

Et enfin, où sont les documents des RK sur les questions sus-dites portant des principes politiques "conséquentes" dans lesdites questions ou portant critique aux organisations citées ?

Nous sommes d'accord sur les points 6 et 7 avec "le comité responsable" du RK et nous portons en même temps une suggestion pour l'organisation de cercle où seront abordées les questions de marxisme et de matérialisme dialectique appliquées à l'histoire, l'économie et la philosophie.

Salutations révolutionnaires.

LA GAUCHE COMMUNISTE DE FRANCE

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Correspondance et polémique

Le but de Socialist Parti of Great Britain

  • 3 lectures

Nous reproduisons la déclaration de principe du PS de GB (qui n'a rien à voir avec le Parti travailliste) que nous avons reçue.

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La création d'une forme de société dans laquelle les moyens de production et de distribution sont la propriété commune et dans laquelle ses moyens sont administrés démocratiquement dans l'intérêt du peuple entier.

DÉCLARATION DE PRINCIPES

Le Socialist Party of Great Britain affirme:

1. que la base de la forme actuelle de la société est le fait que les moyens d'existence (la terre, les fabriques, les chemins de fer etc.) sont la propriété privée d'une classe capitaliste et qu'il s'en suit un asservissement des producteurs ou travailleurs qui, seuls, produisent tout ce qui a de la valeur ;

2. et qu'il s'en suit que, dans la société actuelle, un conflit d'intérêt se produit sous la forme d'une lutte des classes entre les propriétaires non producteurs d'une part et les producteurs non propriétaires d'autre part ;

3. que le seul moyen d'abolir ce conflit est que le moyen de production et de distribution soit transformé en propriété commune du peuple entier, et qu'il soit administré démocratiquement ; ce n'est que de cette façon que les producteurs (la classe salariée) pourront s'affranchir de la domination de la classe capitaliste.

4. Étant donné que, dans l'ordre de l'évolution des classes, celle des salariés est la dernière à s'émanciper, cette émancipation entraînera l'affranchissement de toute l'humanité sans distinction de race ou de sexe ;

5. que cette émancipation ne peut être que l'œuvre du prolétariat lui-même ;

6. étant donné que le seul but de l'appareil administratif, y compris les forces armées, est de conserver entre les mains de la classe capitaliste le monopole des valeurs prises à la classe salariée, celle-ci doit s'organiser, en pleine connaissance de cause, sur le plan politique, dans le but d'entrer en possession des pouvoirs administratifs, tant nationaux que locaux, afin que l'appareil administratif, y compris les forces armées, soit transformé d'un moyen d'oppression en un moyen d'affranchissement et d'abolition de tout privilège aristocratique ou ploutocratique.

7. Étant donné que tout parti politique n'est que l'expression des intérêts de classe et étant donné que l'intérêt du prolétariat se trouve nettement opposé à celui de n'importe quel groupe de la classe des maîtres, le parti qui a pour but l'affranchissement du prolétariat doit nécessairement s'opposer à tout autre parti politique.

8. Donc le Socialist Parti of Great Britain entre dans l'arène politique avec une détermination inébranlable de lutter résolument contre tout autre parti politique s'il est franchement capitaliste ou s'il prétend être un parti des travailleurs ; il demande au prolétariat de ce pays de s'unir sous son drapeau afin que soit terminé, dans le plus bref délai, le système qui leur vole les fruits de son travail et afin que la pauvreté soit remplacée par le confort, les privilèges par l'égalité et l'esclavage par la liberté.

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Correspondance

1ère réponse de la GCF au PS du Canada (26/01/1946)

  • 13 lectures

Cher camarade,

Nous venons de recevoir à l'instant votre lettre ainsi que votre déclaration de principes

Nous sommes très heureux d'être en relation avec vous car, ainsi, se reforme la trame internationale de ceux qui pensent encore à la révolution socialiste.

D'après votre document sur vos principes, nous constatons une certaine identité de vue sur les principes généraux. Mais cette déclaration reste pourtant fort vague. Manifestement prolétarienne, nous aimerions avoir des précisions :

1. sur votre analyse de la guerre 1939-45 et votre position. Pour nous, cette guerre contient la même nature que celle de 1914-18, encore plus aggravée du fait de la présence de l'URSS. Comme telle, notre mot-d'ordre était "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" sur tous les fronts et dans tous les secteurs sans exception ;

2. sur votre appréciation du fascisme et de l'antifascisme, que nous considérons comme deux formes d'un même contenu bourgeois et capitaliste, et ayant servi, d'un côté comme de l'autre, à enchaîner le prolétariat à la guerre et au char de la bourgeoisie. C'est pour cela que nous rejetons tous les CLN comme étant des organismes de collaboration de classe au service du capitalisme, ainsi que toute forme de nationalisme ;

3. sur votre appréciation de l'État russe qui, pour nous, est totalement intégré dans le système capitaliste mondial et, de ce fait, n'a plus aucune caractéristique prolétarienne.

4. Si vous reconnaissez la révolution d'Octobre comme une révolution prolétarienne dont les enseignements sont riches pour la classe ouvrière.

5. Est-ce une confusion ou une erreur de langage quand vous posez la prise du pouvoir politique "nationalement et localement" (point 6) ? Le problème de la direction internationale révolutionnaire semble être en suspens. Nous aimerions des explications plus approfondies.

6. Votre notion du parti est juste mais vague. Dans la période transitoire, en laissant toute liberté à l'intérieur des soviets et syndicats, avec indépendance des syndicats par rapport à l'appareil étatique, avec liberté de fraction dans les organismes unitaires de la classe ouvrière et dans le Parti, avec l'interdiction de toute violence envers un secteur retardataire du prolétariat, identifiez-vous la dictature du prolétariat avec la dictature du Parti révolutionnaire qui demeure toujours une minorité, bien que la plus consciente de la classe ? Concevez-vous l'indépendance totale entre l'appareil étatique ouvrier, le Parti et les Soviets ?

Ces questions, qui sont du plus haut intérêt pour la classe ouvrière, doivent être débattues internationalement et la discussion doit être la plus large possible entre les groupes d'avant-garde ayant accepté les 4 premiers points de notre lettre...

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Nous publions ci-dessous une lettre que le "Socialist Party of Canada" vient de nous envoyer. Cette lettre a tout son intérêt, plus particulièrement pour la position prise face à la guerre impérialiste.

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Lettre du PS du Canada à la GCF

Chers camarades,

J'ai bien reçu votre lettre avec beaucoup de plaisir. Nous nous rendons compte combien avancée est votre éducation prolétarienne comparée à la nôtre. Vous faites aussi marque d'une expression facile et aisée en des discussions sur des sujets complexes.

En réponse à votre demande sur notre position par rapport à la guerre 1939-45, nous pouvons dire que notre journal a été mis hors-la-loi pour ses dénonciations des causes de la guerre qui est la nature même du capitalisme. Pour nous, cette guerre n'a servi que les intérêts des groupes de capitalistes qui se sont enrichis davantage au prix d'une destruction colossale de vies humaines. Un groupe de capitalistes s'est servi de la masse prolétarienne pour empêcher l'expansion d'un autre groupe ennemi de capitalistes qui menaçait leurs intérêts, et ce fut une très bonne occasion pour eux de trouver un marché idéal pour leur commodité. Comme on s'en rend compte, nous ne fumes dans tout cela que des instruments servant les intérêts de nos maîtres capitalistes. Vous jugerez mieux notre position, à ce sujet, par la littérature du parti.

La déclaration de votre 2ème article est très logique et notre position est très semblable à la vôtre sur ce rapport quoique, à mon avis, notre littérature ne précise pas, comme vous et aussi bien, le parti ; et je suis d'accord avec vous que le prolétariat doit rejeter toute forme de nationalisme, qui ne peut conduire qu'à l'antagonisme.

En ce qui concerne votre 3ème article, je puis vous affirmer positivement que notre Parti juge l'État actuel de la Russie comme ayant toutes les caractéristiques du capitalisme, avec la différence qu'il est à la base d'entreprises d'État, ce qui ne change rien en ce qui concerne le sort de l'ouvrier à propos de l'exploitation sinon que son sort est pire que notre forme de capitalisme existant ici et ailleurs.

Sur votre 4ème article, évidemment nous reconnaissons la révolution d'Octobre comme une révolution prolétarienne ayant des enseignements riches pour les révolutionnaires actuels et futurs.

En ce qui a trait à votre très important article 5, je ne puis vous répondre d'une manière précise. Quoi que j'ai des opinions personnelles à ce sujet, je crois comme vous que le Parti laisse le problème de la direction internationale révolutionnaire en suspens ou, mieux, semble l'ignorer. Pour plus de précision, il m'est agréable de vous transmettre l'adresse du SP of GB.

Votre article 6 semble être le plus complexe tout en étant le plus intéressant. Pour vous dire franchement, le sujet de ce dernier article est à peu près ignoré de notre littérature. Cela est dû au fait que notre Parti est sous l'impression que les capitalistes règnent avec le consentement de la grosse majorité de leurs sujets et que ce règne cesserait dès que ce consentement leur serait retiré. Pour moi, je crois en la révolution que sur le plan international et, pour la période transitoire, je crois en la dictature de la minorité la plus consciente de la classe et l'interdiction, le plus possible, de violence vis-à-vis des secteurs retardataires du prolétariat.

Je ne peux identifier la dictature du prolétariat avec la dictature du Parti révolutionnaire pour la raison que la révolution n'est possible que par le support du prolétariat. Je ne conçois qu'une coopération la plus complète entre l'appareil de l'État ouvrier, le Parti et les conseils ou les syndicats.

Je suis d'avis que le meilleur moyen de réorganiser la nouvelle Internationale, semblable à la 1ère, serait l'élaboration et la propagande d'un objectif, une déclaration de principes qui serait une sorte de Manifeste abrégé et qui pourrait être mis à la portée et à la compréhension du prolétariat. Ce serait là la vraie semence de la révolution qui éventuellement se répandrait de par le monde et serait l'appel au prolétariat international pour le renversement du capitalisme.

Demeurant fraternellement votre pour le socialisme.

Montréal le 25 février 1946

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Correspondance

2ème réponse de la GCF au PS du Canada

  • 4 lectures

Cher camarade,

Nous venons de recevoir votre lettre que nous nous permettons de publier dans notre revue théorique, en regard de la nôtre.

D'après ce que vous nous avez écrit, il existe une grande identité de vue entre vous et nous ; mais nous serions très heureux de continuer la discussion sur certains points, tels la prise du pouvoir, l'État et le Parti.

Nous serions heureux de publier des articles de votre parti sur une question intéressant le mouvement ouvrier ; nous vous autorisons à publier des articles ou des documents que vous recevrez sous peu.

Sur la prise du pouvoir, il y a un point obscur que nous relevons. Vous dites : "Les capitalistes règnent avec le consentement de la grosse majorité de leurs sujets ; ce règne cesserait dès que ce consentement leur serait retiré."

Entendez-vous par là qu'au travers du jeu démocratique et parlementaire, si le prolétariat retirait son consentement à la bourgeoisie, la prise du pouvoir pourrait s'effectuer calmement et simplement ?

Nous ne vous attribuons pas ces pensées ; nous vous disons seulement ce que cette phrase semble indiquer.

Pour nous, le jeu démocratique et parlementaire, que nous dénonçons, est une démagogie et une voie de garage à tout mouvement de révolte de la classe ouvrière.

La prise du pouvoir n'est pas un consentement que l'on retire à la bourgeoisie mais une guerre civile et ouverte contre cette dernière au moment le plus aigu de sa crise interne de régime.

La dictature du prolétariat s'impose à la bourgeoisie avec une violence égale à la résistance du capitalisme qui ne veut pas abandonner le pouvoir.

Nous savons par l'expérience du fascisme que, sitôt que le jeu démocratique devient une gêne sérieuse, la bourgeoisie son masque libéral pour laisser libre jeu à sa répression féroce de la classe. Le prolétariat ne peut, devant ces faits, réclamer le pouvoir démocratiquement car, face à une armée blanche et réactionnaire, un parlement à majorité révolutionnaire est une farce ridicule. Octobre 1917 nous a prouvé la justesse de la position révolutionnaire qui réside dans la destruction violente de l'État bourgeois par le prolétariat en armes.

Même si on participe au jeu parlementaire et bourgeois, le parti révolutionnaire doit dénoncer l'illusion parlementariste et démocratique, comme l'a fait le 1er congrès de l'IC, et doit déclarer bien haut qu'il y participe non en vue de réformes de la structure bourgeoise mais pour se servir de la tribune parlementaire comme moyen de propagande et de dénonciation des traficotages capitalistes.

Pour ce qui a trait à notre position sur le Parti, vous recevrez sous peu des documents à ce sujet. Nous préciserons pourtant un certain point : l'État ouvrier ne vit pas grâce à la démocratie en elle-même ; il vit parce qu'il est soumis à une idéologie révolutionnaire.

Cette idéologie n'est pas le fait du jeu démocratique mais du travail patient et quotidien des militants organisé dans le Parti. L'État ouvrier ne se confond jamais, mais cette dernière se retrouve dans son idéologie et dans ses intérêts que dans le parti révolutionnaire.

Dictature du prolétariat ne peut jamais être la dictature de l'État ouvrier qui doit dépérir en vue de l'organisation d'une société sans classe.

Dictature du prolétariat signifie dictature des intérêts de classe d'une classe, d'une classe (la seule capable de mener la société vers un monde sans classe) contre toutes les autres classes qui tentent de perpétuer la division en classes.

Ce parti exprime le plus hautement cette conception ainsi que les moyens idéologiques pour amener le prolétariat du stade insurrectionnel au stade d'organisateur de la société. L'État ouvrier ne peut être qu'un instrument pour cette œuvre révolutionnaire ; mais cet instrument que nous lègue la bourgeoisie est dangereux si on ne s'assure pas, dès le début, de son dépérissement en vue du socialisme, en faisant attention de ne jamais le confondre avec le prolétariat en armes qui ne trouve sa raison d'être, en arme et en lutte, que dans l'idéologie qu'exprime le parti de classe.

Une fois ceci admis, la violence ne peut jamais s'effectuer sur un quelconque secteur retardataire du prolétariat, ce dernier ayant pleine liberté d'expression à l'intérieur des soviets, des syndicats et du Parti (liberté de fractions organisées en son sein).

De plus, les syndicats ne seront jamais rattachés à l'État ouvrier car ce serait étouffer les réactions spontanées de la classe face à une dégénérescence toujours possible de l'État ouvrier. Nous allons plus loin et consacrons le droit de grève dans l'État ouvrier.

Pour ce qui est de votre idée sur l'utilité d'une nouvelle Internationale, nous pensons qu'elle ne peut surgir qu'au feu du combat décisif de classe, comme en 1917-18.

Mais il est très utile de resserrer les liens internationaux de l'avant-garde par une discussion très serrée et très vaste sur les points importants du programme de classe, en vue d'une conférence internationale de confrontation de l'avant-garde, une fois admis les quatre premiers points de notre lettre précédente.

Nous avons écrit au PS d'Angleterre. Dites-nous si vous avez reçu notre matériel et combien d'exemplaires désirez-vous ?

Fraternellement, avec nos salutations communistes.

La Gauche Communiste de France

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