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ICCOnline - décembre 2022

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L’autonomie de la classe ouvrière est une nécessité

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Les vastes manifestations en Iran ont été déclenchées par le meurtre en détention d’une jeune femme arrêtée pour « port incorrect du hijab » par la police des mœurs du régime, mais elles témoignent d’un mécontentement beaucoup plus profond au sein de la population iranienne, des centaines de milliers de personnes ayant afflué dans les rues et affronté la police. Au-delà d’un écœurement généralisé face à l’oppression ouverte et légale des femmes par la République islamique, elles sont une réaction à l’inflation galopante et aux pénuries exacerbées par les sanctions imposées par l’Occident à l’encontre de l’Iran et fortement aggravées par le lourd et ancien poids d’une économie de guerre gonflée par la poursuite incessante des ambitions impérialistes de l’Iran. Elles sont également une réaction à la corruption sordide de l’élite dirigeante qui ne peut se maintenir que par une répression brutale de toutes les formes de protestation, y compris la résistance de la classe ouvrière à la stagnation des salaires et aux conditions de travail misérables. Le parlement iranien vient d’adopter de nouvelles lois sanctionnant les exécutions pour des crimes « politiques », et des centaines, voire des milliers de manifestants ont été tués ou blessés par la police de l’État et les grotesquement mal nommés « gardiens de la révolution ».

Ce recours à la répression directe est un signe de la faiblesse du régime des Mollahs, et non de sa force. Il est vrai que le résultat désastreux des interventions américaines au Moyen-Orient depuis 2001 a créé une brèche qui a permis à l’impérialisme iranien d’avancer ses pions en Irak, au Liban, au Yémen et en Syrie, mais les États-Unis et leurs alliés les plus fiables (la Grande-Bretagne en particulier) ont répondu en alimentant l’armée saoudienne dans la guerre du Yémen et en imposant des sanctions paralysantes à l’Iran sous prétexte de s’opposer à sa politique de développement des armes nucléaires. Le régime se retrouve de plus en plus isolé, et le fait qu’il fournisse des drones à la Russie pour attaquer les infrastructures et les civils en Ukraine ne fera que renforcer les voix occidentales qui demandent que l’Iran soit traité, aux côtés de la Russie, comme un État paria. Les relations de l’Iran avec la Chine sont une autre raison pour laquelle les puissances occidentales veulent le voir affaibli encore plus qu’il ne l’est déjà. Parallèlement, nous assistons à un effort concerté des gouvernements des États-Unis et d’Europe occidentale pour instrumentaliser les manifestations, notamment en s’emparant du slogan le plus connu des protestations, « Femmes, Vie, Liberté » :

« Le 25 septembre 2022, le journal français Libération ornait sa première page du slogan “Femmes, Vie, Liberté” en perse et en français accompagné d’une photo de la manifestation. Lors d’un discours sur la répression des manifestants en Iran, une membre du Parlement de l’Union Européenne a coupé ses cheveux en prononçant les mots “Femmes, Vie, Liberté” dans l’enceinte même du Parlement de l’Union Européenne ». (1) De nombreux autres exemples pourraient être énoncés.

Quel genre de révolution est à l’ordre du jour en Iran ?

Compte tenu de la faiblesse du régime, on parle beaucoup d’une nouvelle « révolution » en Iran, notamment de la part des gauchistes et des anarchistes de tous bords, ces derniers parlant d’une « insurrection féministe », tandis que les factions bourgeoises les plus traditionnelles évoquent un renversement « démocratique », avec l’installation d’un nouveau régime qui abandonnerait son hostilité envers les États-Unis et leurs alliés. Mais comme nous l’avions écrit en réponse à la mystification sur la « révolution » de 1978-1979 : « les événements en Iran font apparaître que la seule révolution qui soit à l’ordre du jour, dans les pays arriérés, comme partout ailleurs dans le monde aujourd’hui, est la révolution prolétarienne ». (2)

Contrairement à la révolution de 1917 en Russie, qui se voulait un élément de la révolution mondiale, les protestations actuelles en Iran ne sont pas menées par une classe ouvrière autonome, organisée par ses propres organes unitaires et capable d’offrir une perspective à toutes les couches et catégories opprimées de la société. Il est vrai qu’en 1978-1979, nous avons eu des aperçus du potentiel de la classe ouvrière à offrir une telle perspective : « Venant à la suite des luttes ouvrières dans divers pays d’Amérique Latine, en Tunisie, en Égypte, etc., les grèves des ouvriers iraniens ont constitué l’élément politique majeur qui a conduit au renversement du régime du Shah. Alors que le mouvement “populaire” regroupant la presque totalité des couches de la société iranienne tendait, malgré ses mobilisations de masse, à s’épuiser, l’entrée dans la lutte du prolétariat d’Iran à partir d’octobre 1978, notamment dans le secteur pétrolier, non seulement relançait l’agitation mais allait poser au capital national de ce pays un problème pratiquement insoluble ». (3)

Pourtant, nous savons que même à cette époque, la classe ouvrière n’était pas assez forte politiquement pour empêcher le détournement du mécontentement de masse par les Mollahs, soutenus par une foule de gauchistes « anti-impérialistes ». La lutte de classe internationale, bien qu’entrant dans une deuxième vague de mouvements ouvriers depuis Mai 68 en France, n’était pas à même de poser la perspective d’une révolution prolétarienne à l’échelle mondiale, et les ouvriers en Iran (comme ceux de Pologne un an plus tard) n’étaient pas en mesure de poser l’alternative révolutionnaire par eux-mêmes. Ainsi, la question de savoir comment entrer en relation avec les autres couches opprimées est restée sans réponse. Comme le disait encore notre déclaration : « La place décisive occupée par le prolétariat dans les événements en Iran pose un problème essentiel que celui-ci devra résoudre pour mener à bien la révolution communiste : celui de ses rapports avec l’ensemble des autres couches non-exploiteuses de la société et notamment les sans-travail. Ce que démontrent ces événements, c’est que :

– ces couches, par elles-mêmes, et malgré leur nombre, ne constituent pas une force réelle dans la société ;

– bien plus que le prolétariat, elles sont perméables aux différentes formes de mystification et d’encadrement capitalistes, y compris les plus archaïques comme la religion ;

– en même temps, dans la mesure, où la crise les frappe avec autant ou plus de violence qu’elle frappe la classe ouvrière, elles constituent une force d’appoint dans la lutte contre le capitalisme dont la classe ouvrière peut et doit prendre la tête.

Face à toutes les tentatives de la bourgeoisie de défouler leur mécontentement dans des impasses, l’objectif du prolétariat est de mettre en évidence qu’aucune des “solutions” proposées par le capitalisme ne peut leur apporter une quelconque amélioration, et que c’est uniquement dans le sillage de la classe révolutionnaire qu’elles peuvent obtenir satisfaction pour leurs aspirations, non comme couches particulières, historiquement condamnées, mais comme membres de la société. Une telle politique suppose de la part du prolétariat son autonomie organisationnelle et politique, c’est-à-dire, en particulier, le rejet de toute politique “d’alliance” avec ces couches ».

Aujourd’hui, les mystifications qui mènent le mouvement populaire dans une impasse ne sont pas tant les mystifications religieuses, ce qui est compréhensible lorsque les masses peuvent facilement voir le visage nu et corrompu d’un État théocratique, que les idéologies bourgeoises plus « modernes » comme le féminisme, la liberté et la démocratie.

Mais le danger est encore plus grand de voir la classe ouvrière se dissoudre en tant que masse d’individus dans un mouvement inter-classiste qui n’a pas la capacité de résister aux plans de récupération des factions bourgeoises rivales. Ceci est souligné par le contexte international de la lutte des classes, où la classe ouvrière commence à peine à se réveiller après une longue période de repli au cours de laquelle la décomposition progressive de la société capitaliste a de plus en plus rongé la conscience que le prolétariat avait de lui-même en tant que classe.

Le militantisme des ouvriers et les tromperies des gauchistes

Il ne s’agit pas de nier le fait que le prolétariat a, en Iran, une longue tradition de lutte militante. Les événements de 1978-1979 sont là pour le prouver ; en 2018-2019, il y a eu des luttes très étendues impliquant les ouvriers de la canne à sucre de Haft Tappeh, les camionneurs, les enseignants et d’autres ; en 2020-2021, les travailleurs du pétrole ont entamé une série de grèves militantes à l’échelle nationale. À leur apogée, ces mouvements ont donné des signes clairs de solidarité entre divers secteurs confrontés à la répression de l’État et à de puissantes pressions pour que les travailleurs reprennent le travail. En outre, face à la nature ouvertement pro-régime des syndicats officiels, il y a également eu des signes importants d’auto-organisation des travailleurs dans beaucoup de ces luttes, comme nous l’avons vu avec les comités de grève en 1978-1979, les assemblées et les comités de grève à Haft Tappeh et plus récemment dans les zones pétrolières. Il ne fait également aucun doute que les ouvriers discutent de ce qu’il convient de faire face aux manifestations actuelles et que des appels à la grève ont été lancés pour protester contre la répression de l’État. Et nous avons vu, par exemple en Mai 68, que l’indignation contre la répression de l’État, même si elle n’est pas initialement dirigée contre les travailleurs, peut être une sorte de catalyseur pour que ces derniers entrent sur la scène sociale, à condition qu’ils le fassent sur leur propre terrain de classe et en utilisant leurs propres méthodes de lutte. Mais pour le moment, ces réflexions de classe, cette colère contre la brutalité du régime, semblent être sous le contrôle des organes syndicaux de base et des gauchistes, qui tentent de créer un faux lien entre la classe ouvrière et les protestations populaires, en ajoutant des revendications « révolutionnaires » aux slogans de ces dernières.

Comme l’écrit Internationalist Voice : « La phrase “femme, vie, liberté” est enracinée dans le mouvement national et n’a pas de connotation de classe. C’est pourquoi ce slogan est brandi de l’extrême droite à l’extrême gauche, et ses échos se font entendre dans les parlements bourgeois. Ses composantes ne sont pas des concepts abstraits, mais une caractéristique des relations de production capitalistes. Un tel slogan fait des femmes qui travaillent l’armée noire du mouvement démocratique. Cette question devient un problème pour la gauche du capital, qui emploie le terme radical de “révolution”, et suggère donc que ce slogan soit “conservé” en y ajoutant des extensions. Ils ont fait les suggestions suivantes :

– Femme, vie, liberté, administration municipale (trotskistes) ;

– Femme, vie, liberté, socialisme ;

– Femme, vie, liberté, gouvernement ouvrier ».(4)

Cet appel au conseil ou au pouvoir des soviets circule en Iran au moins depuis 2018. Même s’il trouve son origine dans les efforts réels mais embryonnaires d’auto-organisation à Haft Tappeh et ailleurs, il est toujours dangereux de confondre l’embryon avec sa forme achevée. Comme Bordiga l’a expliqué dans sa polémique avec Gramsci lors des occupations d’usines en Italie en 1920, les conseils ouvriers ou soviets représentent une étape importante, au-delà des organes défensifs comme les comités de grève ou les conseils d’usine, car ils sont l’expression d’un mouvement vers une lutte unifiée, politique et offensive de la classe ouvrière. Les gauchistes qui prétendent que c’est aujourd’hui à l’ordre du jour trompent les travailleurs, avec pour objectif de mobiliser leurs forces dans une lutte pour une forme « de gauche » de gouvernement bourgeois, ornée « d’en bas » par de faux conseils ouvriers.

Les tâches de la gauche communiste

Internationalist Voice poursuit ainsi : « Contrairement à ceux de la gauche du capital, la tâche des communistes et des révolutionnaires n’est pas de sauver les slogans anti-dictature, mais d’assurer la transparence quant à leur origine et leur contenu. Encore une fois, en opposition aux démagogues de la gauche du capital, se distancer de tels slogans et élever les revendications de classe du prolétariat est un pas dans la direction de la clarification de la lutte de classe ».

Cela est vrai même si cela signifie que les révolutionnaires doivent nager à contre-courant pendant les moments d’euphorie « populaire ». Malheureusement, tous les groupes de la gauche communiste ne semblent pas être à l’abri de certaines des tromperies les plus radicales injectées dans les manifestations. Nous pouvons ici identifier deux exemples inquiétants dans la presse de la Tendance communiste internationaliste (TCI). Ainsi, dans l’article « Voix ouvrières et révoltes en Iran », (5) la TCI publie des déclarations sur les protestations par le Syndicat des Travailleurs de la Canne à Sucre Haft Tappeh, du Conseil pour l’organisation des protestations des travailleurs contractuels du pétrole et du Conseil de coordination des organisations syndicales des enseignants iraniens. Sans doute ces déclarations sont-elles une réponse à une authentique discussion sur les lieux de travail quant à la manière de réagir aux mouvements de protestation, mais le premier et le troisième de ces organismes ne se cachent pas d’être des syndicats (même s’ils peuvent tirer leurs origines d’authentiques organes de classe, en devenant des structures permanentes, ils ne peuvent qu’avoir assumé une fonction syndicale) et ne peuvent donc pas jouer un rôle indépendant de la gauche du capital qui, comme nous l’avons dit, ne défend pas l’autonomie réelle de la classe mais cherche à utiliser le potentiel des ouvriers comme outil de « changement de régime ».

Parallèlement à cela, la TCI ne parvient pas non plus à se distinguer de la rhétorique gauchiste sur le pouvoir des soviets en Iran. Ainsi, l’article « Iran : Imperialist Rivalries and the Protest Movement of “Woman, Life, Freedom” », (6) tout en fournissant des éléments importants concernant les tentatives de récupération des manifestations par les puissances impérialistes extérieures à l’Iran, annonce : « Dans notre prochain article, nous plaiderons pour une autre alternative : du pain, des emplois, la liberté, le pouvoir aux Soviets. Nous traiterons de la lutte des travailleurs et des tâches des communistes, et à la lumière de cela, nous exposerons la perspective internationaliste ».

Mais nous ne sommes pas à Petrograd en 1917, et appeler au pouvoir des soviets alors que la classe ouvrière est confrontée à la nécessité de défendre ses intérêts les plus fondamentaux face au danger de se dissoudre dans les manifestations de masse, de défendre toute forme naissante d’auto-organisation contre leur récupération par les gauchistes et les syndicalistes de base, c’est au mieux se tromper gravement sur le niveau actuel de la lutte de classe et au pire attirer les ouvriers dans des mobilisations sur le terrain de la gauche du capital. La gauche communiste ne développera pas sa capacité à élaborer une véritable intervention dans la classe en se laissant prendre au piège de l’immédiatisme au détriment des principes fondamentaux et d’une analyse claire du rapport de force entre les classes.

Un article récent dans Internationalist Voice souligne qu’il y a actuellement un certain nombre de grèves ouvrières qui ont lieu en Iran en même temps que les manifestations dans les rues : « Ces derniers jours, nous avons assisté à des manifestations et à des grèves de travailleurs, dont la caractéristique commune était la protestation contre le faible niveau de leurs salaires et la défense de leur niveau de vie. Le slogan des ouvriers grévistes de l’entreprise sidérurgique d’Ispahan, “assez de promesses, notre table est vide”, reflète les conditions de vie difficiles de l’ensemble de la classe ouvrière. Voici quelques exemples de grèves ouvrières de ces derniers jours qui avaient ou ont la même revendication : Grève des travailleurs de la compagnie sidérurgique d’Ispahan ; grève de la faim des employés officiels des sociétés de raffinage et de distribution de pétrole, de gaz et de produits pétrochimiques ; grève des travailleurs du complexe du centre-ville d’Ispahan ; grève des travailleurs de la cimenterie d’Abadeh dans la province d’Ispahan ; grève des travailleurs de l’eau minérale de Damash dans la province de Gilan ; grève des travailleurs de la compagnie Pars Mino ; grève des travailleurs de la compagnie industrielle Cruise ; protestation des travailleurs du groupe sidérurgique national ». (7)

Il semble que ces mouvements soient encore relativement dispersés et si les démocrates et les gauchistes multiplient les appels à la « grève générale », ce qu’ils entendent par là n’a rien à voir avec une réelle dynamique vers la grève de masse, mais serait une mobilisation contrôlée d’en haut par l’opposition bourgeoise et mélangée aux grèves des petits commerçants et d’autres couches non prolétariennes. Cela ne fait que souligner la nécessité pour les ouvriers de rester sur leur propre terrain et de développer leur unité de classe comme base minimale pour bloquer la répression meurtrière du régime islamique.

Amos, novembre 2022

 

1 « The continuation of the protests, labour strikes and general strike [1] », Internationalist Voice (20 novembre 2022).

2 « Iran : leçons des événements », Révolution internationale n° 59 [2] (17 février 1979).

3 Ibid.

4 « The continuation of the protests, labour strikes and general strike [1] », Internationalist Voice (20 novembre 2022).

5 « Voix ouvrières et révoltes en Iran [3] » sur le site de la TCI (1er novembre 2022).

6 « Iran : Imperialist Rivalries and the Protest Movement of 'Woman, Life, Freedom [4]'" sur le site de la TCI (2 novembre 022).

7 « The continuation of the protests, labour strikes and general strike [1] », Internationalist Voice (20 novembre 2022).

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Iran

Quel contenu doit prendre l’intervention des révolutionnaires contre la guerre en Ukraine?

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Nous publions ci-dessous un extrait du courrier que nous a adressé un lecteur à propos de notre tract international [5] sur la guerre en Ukraine, suivi de la réponse du CCI.

Réception du tract international sur la guerre en Ukraine

Les réactions ont été glanées ici et là et en aucune sorte elles ne sauraient avoir un caractère général sur la perception de cette guerre par la classe ouvrière ou par la population en général. Pour cela, l’étude doit bien évidemment être plus longue et la méthode plus scientifique. Aussi, seule une « enquête ouvrière » pourrait revêtir un aspect objectif.

La guerre en Europe n’est pas une nouveauté, ainsi certains ont du mal à comprendre le caractère spécial de cette guerre si ce n’est la propagande officielle faisant de l’impérialisme russe le « mauvais ». (…) Le tract souligne l’importance pour la classe ouvrière et donc pour les minorités communistes de ne pas prendre parti entre les différents impérialismes dans les luttes que ceux-ci se mènent. Des décennies de propagande stalinienne et/ou tiers-mondiste rendent complexe les prises de positions pour aucun des deux protagonistes étatiques.

Ainsi, il m’a été donné d’entendre des prises de positions fortement « pro-russes » en réalité pour des raisons « d’anti-américanisme ». Il est parfois également difficile d’admettre pour certains la nature impérialiste de l’État russe. « L’impérialisme » ou « les impérialistes » sont utilisés pour parler des puissances de l’Otan et de l’Europe de l’Ouest.

(Le CCI revient sur l’historique des guerres passées depuis la Deuxième Guerre mondiale ce qui est apprécié en raison de la clarté que cela apporte mais a posé des questions par rapport à l’équivalence des différents conflits évoqués.)

La guerre aux périphéries de la Russie n’est également pas nouvelle. Les dernières guerres en Tchétchénie, en Géorgie, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et surtout la guerre larvée entre les deux factions Ukrainiennes, l’une à Kiev et l’autre à Donetsk.

La nouveauté et la surprise résident dans l’intervention directe de l’État russe et dans l’ampleur de cette intervention. Cependant, tandis que le militarisme russe était présenté comme une puissance titanesque, la lenteur de l’avancée militaire russe me fait craindre une surestimation de la puissance militaire russe. Je ne sais pas si les analogies avec la Guerre d’Hiver sont appropriées, ni si elles ont été déjà trop faites mais dans ce cadre elle me semble adéquate.

L’embrigadement de la classe ouvrière derrière la défense de la « patrie » ou de la « démocratie » n’est en revanche pas encore là. Bien qu’il soit évident que dans le cadre électoral la bourgeoisie tente à travers cela d’embrigader une partie de la population derrière elle mais cela semble avoir du mal à prendre. J’admets n’avoir entendu qu’une seule fois la phrase « le dilemme aujourd’hui, c’est qui mettre face à Poutine ». En revanche les positions internationalistes demeurent faibles. Le désintéressement semble être important surtout chez les jeunes.

La guerre quitte les périphéries pour se rapprocher des centres du capitalisme. En se rapprochant des centres elle se met face au danger que représente le prolétariat des pays avancés. La réaction de la classe ouvrière face à l’embrigadement pour la défense de la démocratie semble confirmer le cadre de la décomposition, à savoir que le prolétariat serait trop faible pour s’affirmer de manière offensive, mais pas encore vaincu au point de marcher directement derrière l’État. En ce sens, j’attends avec impatience les articles de polémiques prévues car ils reviendront certainement sur la décomposition et cela me permettra d’approfondir encore un peu.

La guerre nécessite l’intervention des communistes assumant la direction de la propagande contre la guerre, cependant, quelles perspectives de politisation de la classe ouvrière sont ouvertes sur ce thème ? Promouvoir les positions et les intérêts internationalistes du prolétariat est nécessaire mais le tract ne revient que de manière trop large et trop abstraite sur les conséquences économiques en termes de hausse des prix à venir. Or c’est sur ces points qu’il faut insister. Il faudrait peut-être traiter du salaire réel.

Je ne connais pas le calendrier qui a été adopté par l’organisation et si éventuellement d’autres interventions sont prévues sur des points plus spécifiques comme la pression économique qui va s’exercer sur les travailleurs du fait de l’inflation et contre l’embrigadement derrière le Macron chef de guerre démocrate ou les autres candidats développant un point de vue sur un terrain « pacifiste » ou « multipolaire », etc.

Je ne sais pas si tous les problèmes posés par cette guerre peuvent être traités comme un tout et sur un seul front. Je suis trop peu expérimenté pour répondre à la question.

La question des moyens utilisés pour politiser, et du processus de politisation renvoient au rapport de force entre les classes et la « mesure » de la conscience de classe.

Empiriquement, il peut y avoir quelques méthodes ou techniques pour prendre la température mais c’est l’attention portée par la classe aux révolutionnaires et leur propagande qui est déterminante. Ainsi, sur la forme du tract je ne comprends pas pourquoi il ne fait pas émerger des mots d’ordre clairs qui pourront être utilisés. Il ne s’agit en aucun cas d’activisme mais de clarté. Un mot d’ordre pour chaque question soulevée par le conflit c’est-à-dire :

1. L’impérialisme et la réponse internationaliste.

2. Les conséquences à venir pour les ouvriers de tous les pays en matière de baisse du pouvoir d’achat.

3. Lutter contre l’embrigadement derrière l’idéologie démocratique ou derrière le pacifisme.

En fait le CCI évoque toutes ces questions donc ce n’est vraiment qu’une question de forme sur le tract, sur la clarté des mots d’ordres transmis.

Albert, mars 2022

Réponse du CCI

Nous saluons fortement la démarche du camarade consistant à prendre position sur notre tract international (1) et nous rapporter les discussions qu’il a pu avoir à son sujet. Le CCI a besoin de telles initiatives qui stimulent son intervention en la soutenant, la questionnant ou la critiquant. C’est quelque chose d’indispensable pour rendre plus convaincante notre argumentation. Il ne s’agit pas ici d’une « lubie » du CCI, mais de la méthode du mouvement ouvrier. Ainsi l’Iskra (2) dédiait une page de chacun de ses numéros à la publication de correspondances. La Revue Bilan (3), malgré le contexte très défavorable de la contre-révolution, ne perdait pas une occasion de publier des correspondances. En retour, le CCI doit avoir à cœur de répondre le plus clairement possible aux courriers qu’il reçoit.

Pour le camarade Albert, notre tract serait trop abstrait, pas assez en phase avec les réflexions actuelles dans la classe et ses besoins immédiats face à la situation. Le camarade avance notamment la nécessité d’insister davantage sur les conséquences de la guerre sur le plan économique et sur la pression qui va en résulter sur la classe ouvrière. Selon lui, un tel axe d’intervention serait plus à même d’orienter concrètement la classe ouvrière. Avant d’aller plus loin dans la réponse aux critiques du camarade, nous voulons particulièrement soutenir la préoccupation portée par ce courrier à l’intervention des révolutionnaires tout particulièrement dans des moments « brûlants » nécessitant de défendre des principes fondamentaux tels que l’internationalisme prolétarien.

Si notre tract, publié le 27 février, n’intervient pas d’emblée sur les conséquences économiques de la guerre sur la classe ouvrière, c’est parce que, à ce moment-là, cela n’était pas la priorité. En effet, face à un événement d’une telle importance pour le futur, la priorité ne pouvait que s’articuler, selon nous, autour des axes suivants :

  • la réaffirmation des principes prolétariens face à la guerre ;
  • la dénonciation des mensonges de la propagande guerrière et de la nature impérialiste de tous les États ;
  • la réaffirmation de la véritable solidarité à travers le développement, partout dans le monde, de luttes ouvrières massives et conscientes.

Ne pas s’en tenir à cette priorité dans une intervention par tract, à ce moment-là, aurait constitué de notre part une grave erreur politique.

Tout comme notre lecteur, nous sommes convaincus que la clé du problème se trouve dans la mobilisation de la classe ouvrière pour la défense intransigeante de ses conditions de vie face aux attaques croissantes du capitalisme en crise. En effet, pour survivre, celui-ci est contraint d’attaquer toujours plus les conditions de vie du prolétariat et ce dernier, pour survivre, sera également contraint de se défendre de façon toujours plus massive, consciente et unie… jusqu’au renversement du capitalisme ou sa propre défaite.

C’est la raison pour laquelle, très rapidement, la question du nécessaire développement de la lutte de classe a occupé une place plus importante dans notre intervention et ce sera de plus en plus le cas (4). Mais pas de façon abstraite ou à travers des mots d’ordre ne correspondant pas aux possibilités immédiates de la classe ouvrière qui, lorsque qu’éclata la guerre en Ukraine, n’avait pas encore totalement dépassé une certaine paralysie résultant de la pandémie. De plus, la guerre, le déchaînement de la barbarie et aussi en partie les campagnes démocratiques ont plongé, dans un premier temps, la classe ouvrière dans un état de sidération.

Les grèves en Grande-Bretagne ces derniers mois ont révélé un changement significatif de la situation comme nous l’avons affirmé dans un nouveau tract diffusé à l’échelle internationale et dans lequel nous avons particulièrement mis en évidence la nécessité de lutter tous ensemble, en recherchant la solidarité entre les différents secteurs alors que les syndicats n’ont de cesse d’isoler et de diviser les luttes.

Cependant, l’intervention d’une organisation révolutionnaire ne peut se résumer à des tracts, ou à des articles traitant de la lutte de classe, même s’ils sont indispensables.

En effet, si de par sa forme, une intervention par tract permet une diffusion plus large, elle ne permet cependant pas de développer une analyse politique et historique en profondeur de la situation. Or, une telle analyse est absolument indispensable et prioritaire face à des événements, comme l’éclatement de la guerre en Ukraine, de portée mondiale et impactant fortement le futur.

Si le CCI, armé de ses propres analyses, n’intervient pas à ce niveau-là, personne ne viendra défendre à sa place ses propres positions. Cet aspect de notre intervention a été dominant depuis le début du conflit. C’était indispensable afin de nous porter à la hauteur de notre responsabilité consistant à contribuer activement au développement de la conscience au sein de la classe ouvrière. Nous ne pouvions pas faire l’impasse sur les questions suivantes :

  • Comprendre la signification de la guerre dans la période de décadence du capitalisme ;
  • Comprendre les caractéristiques de la phase actuelle de décomposition du capitalisme et son impact sur les tensions impérialistes :
  • Comprendre les visées impérialistes des différents protagonistes ;
  • Evaluer la vulnérabilité des différentes factions mondiales du prolétariat aux sirènes nationalistes ;

En fait, le camarade a conscience que l’intervention d’une organisation révolutionnaire concerne différentes questions : « Je ne sais pas si tous les problèmes posés par cette guerre peuvent être traités comme un tout et sur un seul front. ». À ce propos, nous voulons insister sur ce fait que l’intervention d’une organisation révolutionnaire nécessite un cadre d’analyse qui lui-même doit être vérifié et enrichi par les situations qui se présentent afin de pouvoir faire face aux défis de la période historique. Ce cadre d’analyse doit non seulement sous-tendre notre intervention mais également être présenté au lecteur de façon adaptée.

Enfin, il est une dimension essentielle de note intervention qui doit également être pris en compte : l’appel lancé aux groupes de la Gauche communiste pour défendre conjointement l’internationalisme prolétarien face à l’éclatement du chaos guerrier en Europe. Cette initiative, ayant par la suite donné lieu à une Déclaration commune de plusieurs groupes de la Gauche communiste, se plaçait résolument dans l’héritage du mouvement révolutionnaire et tout particulièrement dans le sillage de la conférence de Zimmerwald. Celle-ci fut un événement majeur pour la défense de l’internationalisme en pleine boucherie mondiale et fièvre nationaliste. Mais elle fut aussi, sous l’impulsion des bolcheviks, un moment charnière permettant de poser les bases politiques pour le regroupement des forces révolutionnaires en vue de la fondation du nouveau parti, après la faillite de la IIe Internationale.

L’intervention par voie de presse est une tâche essentielle et permanente des organisations révolutionnaires. C’est notamment par ce biais que les révolutionnaires peuvent pleinement jouer leur rôle au sein de la classe. Mais pour que celui-ci soit le plus efficient possible il demeure indispensable que leurs prises de position répondent aux besoins concrets de la classe mais toujours avec la boussole pointée dans la même direction : la défense de la perspective révolutionnaire et la nécessité du communisme.

CCI, octobre 2022


1 Conflit impérialiste en Ukraine : Le capitalisme c’est la guerre, guerre au capitalisme ! [5].

2 Organe du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR). Il fut publié à partir de 1900, sous la direction de Lénine, Martov et Plekhanov.

3 Organe théorique de la fraction de Gauche du Parti communiste d’Italie.

4 Nous avons déjà commencé en publiant :

  • Face à la guerre comme face à la crise, la classe ouvrière ne doit accepter aucun sacrifice [6] (29 mars 1922).
  • Face à la guerre impérialiste, opposons la lutte de classe ! [7] (6 avril 1922).

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [8]

Récent et en cours: 

  • Guerre en Ukraine [9]

Rubrique: 

Courriers des lecteurs

L’identité de classe et la perspective révolutionnaire

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Nous publions ci-dessous une contribution de la camarade Rosalie qui prolonge un aspect abordé lors de la réunion publique tenue à Paris le 17 septembre dernier. Nous partageons globalement les réflexions de la camarade et voulons saluer l’effort théorique produit sur un sujet aussi essentiel pour la perspective révolutionnaire.

Nous voulons cependant faire quelques remarques. Premièrement, la camarade écrit : « À l’origine du capitalisme, les choses étaient simples : on était ouvrier, paysan ou bourgeois et pour ce qui concernait les ouvriers, les revendications étaient sur le terrain des améliorations de salaire ». En fait, les oppressions raciale, féminine ou encore homosexuelle existaient. Seule la dégradation de l’environnement n’en était pas au point de mettre en péril la survie même de la civilisation. Surtout, dans la période de décadence du capitalisme, le prolétariat ne peut plus obtenir d’amélioration significative des conditions d’existence. La bourgeoisie utilise donc tous les moyens pour détourner la classe de son propre terrain de lutte, les luttes parcellaires faisant évidemment partie de ces moyens.

Nous voulons particulièrement insister sur le fait que derrière le développement des multiples « luttes identitaires » évoqués par la camarade, se cache le danger des luttes parcellaires susceptibles de happer des parties de la classe ouvrière sur des terrains de luttes totalement stériles et néfastes à l’affirmation de l’identité de la classe ouvrière, classe exploitée à l’échelle internationale. Aussi, ce n’est qu’en s’efforçant de développer ses luttes de façon autonome que la classe ouvrière sera peu à peu en mesure de recouvrer son identité.

Si dans ce processus long et sinueux, il s’agira d’être attentif aux réactions de la classe ouvrière dans des pays tels que la Chine ou l’Inde comme le souligne la camarade, il faut être clair et lever toute ambiguïté sur le fait que la clé demeure entre les mains du prolétariat des pays centraux du capitalisme, le plus expérimenté et donc le plus capable de déjouer les pièges de la bourgeoisie. C’est à lui qu’incombe la plus grande responsabilité dans la capacité du prolétariat mondial à ouvrir une nouvelle période révolutionnaire. D’autant, que c’est dans ces mêmes pays que figurent les principaux groupes historiques du milieu politique prolétarien.

Malgré son importance sur le plan quantitatif, le prolétariat des pays périphériques reste marqué par des faiblesses beaucoup plus importantes liées à son manque d’expérience. C’est la raison pour laquelle le CCI rejette la théorie du « maillon le plus faible », point de vue de Lénine et développé par l’Internationale communiste. (1)

Enfin, nous voulons fortement souligner la conclusion dressée par la camarade qui pose de façon particulièrement claire l’enjeu contenu dans les luttes présentes et à venir, dans la capacité de la classe ouvrière à recouvrer son identité et développer sa conscience de classe.

Par contre, le prolétariat n’est pas révolutionnaire du simple fait qu’il soit une classe de « dépossédé et d’exploité » comme le souligne la camarade mais aussi par le fait que, pour se libérer de cette exploitation, il doit mettre fin à toute forme de société de classes. La classe ouvrière étant la seule classe sociale permettant de dépasser la société capitaliste.

RI

Samedi 17 septembre, j’ai participé à la réunion publique organisée à Paris avec pour ordre du jour : la suite de l’analyse de la guerre en Ukraine et les grèves en Grande-Bretagne notamment leurs implications au niveau international. Je partage totalement l’exposé reprenant les textes du CCI et voudrais revenir sur la notion d’identité de classe, notion qui nous occupe depuis plusieurs mois dans les réunions publiques et permanences ainsi que dans la presse ; l’ordre du jour de la réunion publique d’aujourd’hui nous rappelle que la compréhension de cette question d’identité est essentielle pour appréhender la période, à savoir : est-ce que la guerre en Ukraine peut être un déclencheur de la lutte de classe autrement dit une forte opposition à la guerre et à l’engagement du prolétariat à la défense du capitalisme ? Ces deux points sont en effet essentiels car ils nous conduisent au cœur de l’alternative : socialisme ou barbarie. J’ai refait un peu d’histoire. À l’origine du capitalisme, les choses étaient simples : on était ouvrier, paysan ou bourgeois et pour ce qui concernait les ouvriers, les revendications étaient sur le terrain des améliorations de salaire, de conditions de travail, etc. Les premières associations ouvrières avaient pour mot d’ordre le fameux « Prolétaires de tous pays, unissez-vous ». Au fil du déroulement du mouvement ouvrier, la société capitaliste a évolué et fait apparaître d’autres classifications sociales. Aujourd’hui qu’observons-nous ? La société capitaliste, dans sa phase de décomposition, a donné naissance à différentes « crises d’identité » correspondant à autant de groupes d’opprimés. Ces groupes souffrant d’oppressions réelles sont encouragés à se mobiliser dans des luttes identitaires en tant que minorités ethniques, féministes, LGBT, minorités de défense de la nature, du local, antispécistes, alimentation BIO, respect de la vie animale, etc. Tous ces mouvements étant plutôt sur le terrain de la gauche, la droite s’occupe d’autres crises identitaires que ce soit la reconquête de l’homme blanc, de l’homme viril, de la religion comme base de l’organisation sociale, etc.

On le voit, les choses sont nettement plus confuses qu’avant et l’identité de classe qui devrait être revendiquée par le prolétariat devient une notion parmi d’autres, voire moins pertinente que d’autres plus modernes du fait que la bourgeoisie nous explique sans cesse que la classe ouvrière n’existe plus. La situation est d’autant plus complexe que les raisons d’oppressions existent bel et bien. Les agressions dans nos vies ne manquent pas et la vie quotidienne devient de plus en plus difficile pour les plus précaires d’entre nous. La dégradation écologique fait envisager le pis pour les années à venir. C’est dans cette fausse thématique que certains prolétaires se laissent embarquer dans ces mouvements identitaires. C’est pourquoi, il nous faut rappeler quelques vérités historiques : toutes ces manifestations sont étrangères à l’identité de classe et sont le produit de la perte de la seule identité de classe qui peut sauver l’humanité à savoir l’identité de classe du prolétariat avec comme perspective le communisme. On a des outils, me semble-t-il, et on peut s’appuyer sur quelques acquis de la théorie marxiste et le premier d’entre eux : l’exploitation de la classe ouvrière est la pierre angulaire de tout l’édifice capitaliste et c’est pour cette raison que le prolétariat de par sa position de dépossédé et d’exploité est révolutionnaire par nature et que sa lutte contient le renversement du capitalisme. Une fois qu’on a dit cela, une question demeure : Où en est le prolétariat et comment va-t-il agir en fonction de ce qu’il va être obligé historiquement de faire pour éviter la destruction de l’humanité ? Le mouvement ouvrier est né de la reconnaissance d’un intérêt commun de classe qui a été à la base de son identité de classe initiale puis son développement vers sa conscience de classe avec la création de ses organisations révolutionnaires. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le prolétariat reste la classe de la dépossession et sa fonction dans la société capitaliste n’a pas changé. Ce qui ne signifie pas que « mécaniquement » chaque prolétaire aux différents moments de l’histoire ait été ou soit en mesure de se considérer et de se positionner comme détenteur de cette identité. Ceci étant rappelé, on peut se demander pourquoi depuis les années 1980, la bourgeoisie a été capable de mettre en œuvre toute une série de campagnes idéologiques efficaces jusqu’à proclamer la fin de la lutte de classes présentée comme un épouvantail de temps révolus où la société était divisée en classes sociales… ce qui bien sûr serait totalement dépassé et ne correspondrait plus à la période. Ce qu’il convient de faire d’après la bourgeoisie, c’est se battre pour de grands thèmes sociétaux dans lesquels chaque prolétaire est dilué et devient une femme, un jeune, un vieux, une personne discriminée en raison de son origine, de son handicap, de son orientation sexuelle, de ses préférences alimentaires, de son implantation géographique le désignant comme citoyens ou immigrés avec toutes les sous-classifications possibles : politiques, économiques, climatiques, etc. On le voit très clairement, dans cette panoplie de luttes identitaires, le prolétariat a de quoi y perdre sa boussole et partir dans des luttes sans perspective et très éloignées de sa lutte politique. Un autre point à prendre en compte : il faut bien voir que plus cette situation délétère continue plus la décomposition compromet la perspective d’une autre société humaine.

Comment la situation peut-elle évoluer ? La bourgeoisie, même en phase de déclin final, continue à mettre en place quelques mesures pour tenter d’enrayer la machine (2) que ce soit la mondialisation de la production qui a comme conséquence de nouvelles grandes concentrations ouvrières comme en Chine, en Asie du Sud-Est. Ce qui, entre parenthèses, illustre que le capitalisme sans le prolétariat est une vue de l’esprit. Cette mondialisation n’est pas sans poser de problèmes : on l’a vu au moment de la pandémie COVID et de la guerre en Ukraine avec les difficultés d’approvisionnement et de transport et surtout parce que cette nécessité économique se heurte à l’actuelle tendance au protectionnisme nationaliste.

On le voit bien : tous ces éléments objectifs ne sont pas suffisants pour « réveiller » l’identité de classe au sein du prolétariat et il faut la combinaison de plusieurs facteurs subjectifs comme : quel est le niveau politique des nouvelles générations d’ouvriers en Asie ? en Inde ? Et comment vont réagir toutes ces fractions du prolétariat à l’aggravation de la crise qui comme partout dans le monde, vont les mettre par pans entiers dans la plus grande précarité ? Si l’étincelle de la lutte de classe est attendue dans les pays occidentaux industrialisés de longue date et ayant grâce aux organisations révolutionnaires pu sauvegarder les acquis prolétariens, cette nouvelle répartition de l’exploitation ouvrière doit être prise en compte.

Pour conclure, c’est dans cette perspective que les prochaines luttes vont être déterminantes : en effet, soit elles vont permettre au prolétariat d’affirmer son identité de classe et jouer son rôle historique, soit ces luttes vont rester sur le terrain bourgeois auquel cas le prolétariat restera atomisé à la bourgeoisie faute d’engagement politique sur son terrain.

R., 17 septembre 2022

1 Pour de plus larges développements sur ce sujet voir :

– « Débat : à propos de la critique de la théorie du « maillon le plus faible" », [10]Revue internationale n° 37, (2e trimestre 1984). [10]

– « La théorie du “maillon faible” et la responsabilité du prolétariat des “pays centraux” », [11]Révolution internationale n° 491, (novembre-décembre 2021). [11]t

2 Le texte de la camarade semble, ici, contenir une erreur de formulation. Cette phrase nous paraît contradictoire. La camarade ne voulait-elle pas plutôt dire que les « quelques mesures » prises par la bourgeoisie visent à tenter de contenir la plongée du capitalisme dans le marasme ? Donc à essayer de « huiler » la machine plutôt que de « l’enrayer » ? (NdR)

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [8]

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Courriers des lecteurs

Lutte Ouvrière et Révolution Permanente, deux artisans du sabotage des luttes!

  • 304 lectures

Depuis cet été, la situation sociale a évolué de manière significative en Europe. L’aggravation considérable de la crise économique avec, en particulier, la flambée spectaculaire des prix et ses conséquences dramatiques sur les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière ont poussé le prolétariat à réagir : en Grande-Bretagne d’abord, et dans d’autres pays européens ensuite comme en France, en Allemagne, en Italie ou en Grèce. Des grèves ont été organisées par les syndicats sous la pression du mécontentement qui règne dans la classe ouvrière. Cette situation s’est concrétisée en France par trois journées de grèves et de manifestations (les 29 septembre, 18 octobre et 10 novembre), relativement bien suivie pour la première, un peu moins pour les suivantes. Quoiqu’il en soit, ces événements ont démontré la réalité de la combativité des prolétaires, mais qui, pour le moment, reste parfaitement encadrée par les chiens de garde de l’ordre social que sont les syndicats et les partis d’extrême-gauche.

Les discours des gauchistes dans les dernières luttes: isoler, désorienter et démoraliser !

Certains groupes politiques trotskystes comme Révolution Permanente (RP) et Lutte Ouvrière (LO) se sont fortement mobilisés dans ces grèves avec un discours anti-prolétarien bien rodé. LO s’était déjà exprimée sur les luttes en Grande-Bretagne, avec un discours faussement radical comme à son habitude, en affirmant que « les travailleurs n’ont aucun contrôle sur leurs grèves, entièrement dirigées et décidées par des directions syndicales, qui pourraient y mettre fin sur la base de compromis insatisfaisants », (1) ce qui est exact, même si les « compromis insatisfaisants » montreraient par trop la collusion des syndicats avec l’État-patron, et que « pour que la grève se généralise, pour qu’elle soit commune à l’ensemble du monde du travail, il faudrait que les travailleurs débordent les organisations syndicales des différents secteurs ». Cette officine de l’État bourgeois va même plus loin en proclamant qu’il est impératif de « déborder les organisations syndicales » regrettant que « la plupart des mobilisations sont restées sectorielles » et que « la dynamique des grèves […] est émiettée par cette dispersion et par l’absence de plan d’ensemble ». On retrouve le même discours à propos des récentes grèves et journées de manifestations en France puisque dans le « Bulletin d’entreprise » du 10 octobre dernier, (2) signé par Nathalie Arthaud, LO nous dit que « la lutte est difficile. C’est pourquoi il faut la préparer. Souvent l’initiative des débrayages ou de la grève est prise par les syndicats. […] L’essentiel est que la lutte soit dirigée démocratiquement par les travailleurs qui veulent se battre. » Évidemment, LO ne donne absolument pas la clé permettant à la classe ouvrière de s’approprier sa lutte. Sous des accents de radicalité, LO ne fait ici que propager la mystification classique de l’extrême-gauche selon laquelle c’est à la « base » et non pas « aux directions syndicales » de prendre en charge la lutte, discours dont elle s’est déjà faite le porte-voix zélé pour saboter les luttes de l’intérieur même de syndicats pourtant discrédités. En effet, systématiquement, ses militants appuient de manière directe ou indirecte la sale besogne des syndicalistes.(3) Le seul et unique objectif de cette propagande consiste à épouser verbalement le sentiment de méfiance pouvant régner au sein de la classe à l’égard des « directions » pour mieux enchaîner les ouvriers à l’emprise du syndicalisme à travers l’appel « au syndicalisme de base » ou des « coordinations ». Face à toutes ces mystifications propices à la désorientation des luttes, la seule ligne prolétarienne demeure l’auto-organisation des luttes contre les syndicats (et pas uniquement leurs directions) et le contrôle du mouvement par des assemblées générales unitaires ouvertes à tous les ouvriers.

Le groupe Révolution Permanente, (4) très présent dans les manifestations, est quant à lui sur une approche bien moins subtile : non seulement il laisse entendre que la grève dans les raffineries est « légitime » du fait des profits extravagants des entreprises pétrolières, comme si la lutte pouvait être justifiée, non par les sacrifices que le capital impose à la classe ouvrière, mais par les profits qu’il en tire (et donc que, si le capital perdait de l’argent, la lutte serait bien moins justifiée !), mais ce groupe pousse ouvertement à l’isolement des ouvriers dans leur secteur d’activité, les raffineries, en l’occurrence : « Faire tenir la grève, en alimentant les caisses de grèves des deux entreprises, […] mais aussi par un élan de solidarité, qui peut s’exprimer par des visites de soutien, des communiqués ou motions syndicales de soutien à la grève, et plus globalement par une dénonciation acharnée des profits des groupes pétroliers, de leur politique de destruction de la planète et de leurs profits faramineux : voilà notre tâche actuelle. ». (5) En plus d’appuyer totalement la campagne syndicale de « blocage de l’économie », RP met surtout en scène l’impuissance des ouvriers à soutenir le mouvement dans les raffineries, en transformant les autres secteurs ouvriers en purs spectateurs de cette grève.

La classe ouvrière a déjà depuis longtemps fait l’expérience de ce genre de stratégie qui ne mène qu’à épuiser les ouvriers en grève en les isolant les uns des autres : les secteurs « stratégiques » dans l’économie ne manquant pas, on peut répéter ce genre de stratégie stérile dans autant de secteurs que l’on veut ! La triste expérience des mineurs anglais et de leur année de grève en 1983/84, qui eux aussi cherchaient à « bloquer » une économie alors encore très dépendante du charbon, doit nous rappeler toute l’inanité de ces mots d’ordre. En appuyant le mouvement des raffineries, totalement encadré par les syndicats, isolé malgré la sympathie que lui témoignent la plupart des autres ouvriers, RP ne cherche qu’à étouffer davantage le mouvement et à créer la confusion dans la tête des ouvriers les plus combatifs. RP cherche, en effet, à réduire le combat de la classe ouvrière à des conflits par procuration, une lutte contre un patronat avide et non contre le capitalisme. Du reste, lorsque la situation a commencé à se détériorer, l’État a mis en place la réquisition des quelques ouvriers nécessaires à la remise en marche de la distribution du carburant, et a rouvert les vannes des pompes à essence !

Le gauchisme reste une arme indispensable de la bourgeoisie contre la classe ouvrière

Il existe aujourd’hui non seulement une nécessité de lutter contre les sacrifices que la crise du capitalisme et la décomposition de la société imposent au prolétariat, mais aussi un mécontentement de plus en plus fort menant à une volonté de plus en plus marquée de se battre et d’en découdre. Il existe au sein de la classe ouvrière mondiale une conscience que la situation ne peut qu’empirer, et cette préoccupation devient centrale dans le rapport de force entre la bourgeoisie et classe ouvrière. La bourgeoisie le sait parfaitement, et elle veut absolument éviter que ce mécontentement ne mène à une généralisation des luttes, ce qui permettrait à la classe ouvrière d’éprouver sa force et de retrouver une partie de son identité, de la conscience de son rôle pour la transformation de la société. Pour éviter cela, la classe dominante cherche à encadrer la lutte des exploités au moyen de ses syndicats et à les désorienter en pourrissant leur conscience avec une idéologie faussement prolétarienne.

Depuis Mai 68 et la reprise internationale de la lutte de classe, le gauchisme occupe en France une place importante dans le dispositif bourgeois d’encadrement du prolétariat, notamment du fait de la place très importante qu’y occupait le Parti communiste français stalinien et de la nécessité de lui adjoindre une opposition « critique » de gauche(6). L’effondrement mondial du stalinisme ne peut que renforcer l’importance de la place qu’occupe le trotskysme dans l’organigramme bourgeois et étatique des saboteurs de luttes : leur caution « radicale » (dont on peut voir qu’elle va très loin dans le cas de LO) est fondamentale pour crédibiliser, d’une part, la gauche « de gouvernement », en appelant à « faire pression sur elle » (comme lorsque LO appelait à voter pour le « socialiste » Mitterrand en 1981 ou pour Royal en 2007), et les syndicats, qui sont toujours présentés comme des organes de lutte, mais menés par des « directions syndicales qui jouent le jeu du dialogue social avec le gouvernement et le patronat ». Nulle part, jamais ces officines gauchistes n’expliqueront que les prolétaires, dès lors qu’ils luttent contre la dégradation de leurs conditions de vie et de travail, s’affrontent en fait à l’État capitaliste, et donc que leur lutte est à la fois économique et politique, alors que les syndicats, de par leur nature même, ne peuvent que se cantonner à les encadrer et enfermer sur un terrain strictement économique et limité en désarmant totalement la classe ouvrière face à son principal ennemi, l’État.

Dans les luttes, lorsque les ouvriers parviennent à desserrer le carcan syndical en s’auto-organisant, en menant des assemblées générales avec une réelle prise en main pour discuter des perspectives et des moyens de la lutte, les trotskystes ont toujours joué les chiens de garde empêchant les ouvriers combatifs et les révolutionnaires de participer aux assemblées générales, comme lors de la lutte des cheminots de décembre 1986 ou celle des infirmières en 1988, en sabotant les décisions de ces assemblées générales comme le faisaient les militants du NPA lors de la lutte contre le CPE en 2006, en poussant les ouvriers dans des luttes stériles et isolées dont ils ne peuvent sortir que vaincus, amers et désabusés, comme lors de la lutte des raffineries du mois dernier.

LO et RP cherchent toutes deux à briser la prise de conscience des ouvriers sur la nature et la fonction des syndicats, la première en déviant la réflexion sur une fausse opposition entre base et direction syndicale, la seconde en martelant la validité de la stratégie syndicale sur l’isolement dans la corporation et l’entreprise. Cela signifie, clairement, que la lutte de la classe ouvrière est aussi une lutte contre le gauchisme et contre des organisations comme LO et Révolution Permanente.

Pour la Gauche communiste, il est vital que les ouvriers étendent leur lutte le plus rapidement possible, sortent de l’usine ou de l’administration pour obliger la bourgeoisie à céder le plus rapidement possible sur les revendications. Nous savons combien les grèves longues sont un piège pour le prolétariat. Nous savons aussi que les syndicats seront présents et dangereux jusqu’à la révolution, aussi les communistes doivent-ils dès à présent se battre dans chaque lutte, même la plus petite, pour donner une direction politique très claire sur la nécessité de l’extension géographique de la lutte et la nécessité des assemblées générales. Cette direction politique ne signifie pas que les révolutionnaires puissent organiser la classe ou décider à sa place, mais qu’ils doivent montrer concrètement la validité de cette orientation politique et contrer toutes les tentatives de maintenir la lutte dans l’isolement.

HG, 9 novembre 2022

 

1 « ne vague de grèves inédite en Grande-Bretagne », Lutte de classe n° 226 (septembre-octobre 2022).

2 « Après le 18 octobre : préparer une lutte d’ensemble », Lutte ouvrière n°2830, (28 octobre 2022).

3 Cf. notre brochure : Bilan de la lutte des infirmières (octobre 1988). Par le biais de « l’entrisme », des militants de LO sont eux-mêmes syndiqués et jouent un rôle non négligeable avec les syndicalistes (au sein de la CGT par exemple).

4 Ce groupe est le produit d’une scission au sein du NPA.

5 « Contre Total et les groupes énergétiques : pourquoi soutenir la grève des raffineurs pour des augmentations de salaire ? », site de Révolution permanente (3 octobre 2022).

6 Le trotskysme cessa d’être un courant du mouvement ouvrier quand il passa définitivement dans le camp de la bourgeoisie au cours de la Deuxième Guerre mondiale en abandonnant l’internationalisme prolétarien au profit de la défense d’un camp impérialiste contre l’autre, en particulier au nom de l’antifascisme ou de la défense de la « patrie socialiste ». Voir la Brochure du CCI : Le trotskysme contre la classe ouvrière [12].

Courants politiques: 

  • Gauchisme [13]
  • Trotskysme [14]

Rubrique: 

Le gauche du Capital contre la classe ouvrière

Face à l’accélération de la décomposition capitaliste, seule la lutte du prolétariat peut représenter une alternative pour l’humanité

  • 167 lectures

L’accentuation considérable du chaos guerrier provoquée par la guerre en Ukraine, la pandémie de Covid 19 et ses millions de victimes, les catastrophes climatiques s’abattant avec une violence redoublée aux quatre coins de la planète, la crise économique, sans doute l’une des pires de l’histoire du capitalisme, faisant sombrer des pans entiers du prolétariat dans la précarité et la misère... Toutes ces manifestations de barbarie, de chaos et de misères démontrent l’impasse irrémédiable face à laquelle se trouve le capitalisme.

Dès lors, les années 2020 vont marquer, dans toutes les régions du monde et sur tous les continents, une aggravation sans précédent des convulsions, des catastrophes et des pires souffrances. C’est l’existence-même de la civilisation humaine qui est ouvertement menacée ! Comment expliquer cette accumulation et agrégation de tant de catastrophes ?

Pour autant, les luttes ouvrières qui se développent en Grande Bretagne depuis cet été, montrent que la classe ouvrière, certes avec beaucoup de difficultés, commence à réagir et refuse de subir les attaques portées par la bourgeoisie sur ses conditions de travail et d’existence. C’est en développant les luttes sur ce terrain là que la classe ouvrière se donnera les moyens de retrouver son identité de classe et sera en mesure de dégager une alternative face la spirale mortifère dans laquelle le capitalisme plonge l’humanité.

Nous vous invitons à venir débattre de ces sujets en participant aux réunions publiques du CCI qui se tiendront à :

Marseille : le 28 janvier à partir de 15H00, local de Mille Bâbords, 61 Rue Consolât, 13001.

Paris : le 28 janvier à partir de 15H00, CICP, 21 ter rue Voltaire (Métro « rue des boulets »).

Toulouse : le 14 janvier à partir de 14H00, Mairie annexe de Saint Cyprien (Métro « Saint Cyprien »).

Lille : le 14 janvier à partir de 15H00, bistrot « Les Sarrazins », 52 rue des Sarrazins (Métro « Wazemmes »).

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [15]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [16]

Rubrique: 

Réunions publiques du CCI : Les années 20 du XXIe siècle

Coupe du monde de football 2022 au Qatar: Une illustration de l’irrationalité et de la barbarie criminelle du capitalisme

  • 90 lectures

L’édition de la coupe du monde du football 2022, aussi « festive » soit-elle, exprime au plus haut point l’irrationalité et la pourriture du monde capitaliste. La bourgeoisie est bien consciente que, cette fois-ci, la compétition pue ouvertement la corruption, comme le révèle le « scandale » du « Qatargate » impliquant un vaste réseau de corruption au sein de l’honorable institution du Parlement européen, subventionné par le Qatar et le Maroc (dont une des vice-présidentes, « socialiste » de surcroît, a été écrouée après la découverte de 600 000 € en liquide chez elle) ou encore le fort soupçon pesant sur le président de l’Union des associations européennes de foot, Michel Platini, d’avoir perçu de substantiels dessous-de-table pour avoir soutenu la candidature du Qatar comme pays organisateur de cette Coupe, et où flotte encore l’odeur des cadavres de milliers d’ouvriers morts sur les chantiers ! Mais elle préfère vite oublier et s’extasier plutôt sur la « bonne organisation de ce Mondial ». Une expression, probablement, de sa cynique « positive attitude » en plein marasme économique ! La bourgeoisie ne pourra jamais se priver d’une occasion pour attiser le chauvinisme et le nationalisme, même si c’est au prix de se rouler dans la fange !

Des stades construits sur le sang des ouvriers

Les conditions de travail terribles des ouvriers qui ont construit les stades, les métros, les logements et la ville nouvelle de Lusail sont connus depuis longtemps : travail forcé, interdiction de boire ou de manger sur le chantier, confiscation des documents d’identités, salaires versés au compte-goutte (voire, pas du tout), logements pourris et surpeuplés, emprisonnement dans les stades ou autres lieux de travail, interdiction de quitter le pays ou de changer d’emploi…

Il est impossible de savoir le nombre exact d’accidents de travail graves et mortels, car le Qatar fait tout pour dissimuler les chiffres. Mais des enquêtes du Guardian, de la BBC et d’Amnesty International indiquent clairement que des milliers d’ouvriers venant du Bangladesh, de l’Inde, du Kenya, du Népal, des Philippines, du Sri Lanka ou du Soudan sont morts dans ces véritables camps de travail. Le comble, quelques semaines avant le Mondial, les survivants ont été expulsés en masses de leur logement pour faire de la place aux supporters et pour « nettoyer » les quartiers de la réalité barbare du sport et de l’exploitation capitaliste.

Cette compétition est aussi une catastrophe environnementale ahurissante. Alors que la planète se réchauffe dramatiquement, que les ressources en eau se raréfient, menaçant des régions entières de désastre écologique, la bourgeoisie n’a pas trouvé mieux que de construire huit stades climatisés consommant chacun 10 000 litres d’eau par jour pour une déplorable compétition sportive !

L’hypocrisie des grandes « démocraties »

Face à l’indignation suscitée par la barbarie de la bourgeoisie qatarie, une partie de la presse occidentale et des partis de gauche ont été contraints de dénoncer l’horreur de la situation, comme le caractère rétrograde du régime en place. Comme d’habitude, on nous explique que seuls le Qatar et les instances dirigeantes corrompues du football (c’est-à-dire une partie de la bourgeoisie) seraient responsables de ce désastre. Mais le véritable responsable, c’est le capitalisme !

Les pays « démocratiques » ont mis aussi les deux pieds dans la barbarie ! Car les entreprises de construction, les sociétés de logistique ou de transports sont des firmes françaises, allemandes, chinoises, néerlandaises, belges… Le président de la FIFA, Gianni Infantino, a d’ailleurs répondu cyniquement aux critiques et accusations venant des pays européens : « Combien de ces entreprises européennes qui gagnent des millions et des millions au Qatar ou dans d’autres pays de la région (des milliards chaque année), combien d’entre elles se sont penchées sur les droits des travailleurs migrants ? J’ai la réponse : aucune, car si elles changent la législation, cela signifie moins de profits ». Pour une fois, on ne pourra pas lui reprocher de mentir ! Les pays « démocratiques » participent ainsi sans broncher à la coupe du monde, et pas seulement sur le plan sportif. L’homophobie, l’archaïsme du régime, l’esclavage et les morts ne comptent pas. Les juteux bénéfices valent bien quelques milliers de vie ouvrières. Si l’Émir du Qatar et sa clique de mafieux abjects n’inspirent que le dégoût, loin d’être une aberration, ils ne sont qu’une expression de la réalité sordide de l’exploitation capitaliste !

Face aux enjeux impérialistes, le foot n’est pas qu’un « jeu »

L’organisation de la coupe du monde au Qatar a été décidée en 2010 par les pays démocratiques, avec le soutien appuyé de la France et des autres puissances occidentales, le tout dans une ambiance de corruption éhontée. Car ces événements sportifs n’ont rien à voir avec la « fraternité entre les peuples » tant vantée par la bourgeoisie. La France, par exemple, a soutenu le Qatar et sa volonté d’apparaître comme une puissance régionale respectable, car elle y a des intérêts importants.

Mais, immédiatement après le vote, les accusations de corruption se sont multipliées, révélant les enjeux et tensions impérialistes derrière la « fête » du football. Ce sont les médias anglais qui ont accusé la FIFA de corruption. C’est la justice américaine qui a enquêté et condamné des responsables dans les diverses organisations internationales de football. Le président américain, Barack Obama, a même ouvertement critiqué le choix du Qatar, parce que les États-Unis voulaient eux-mêmes devenir le pays hôte pour 2022 et en récolter les revenus et le prestige !

Maintenant que la crise de l’énergie fait rage en Europe suite à la guerre en Ukraine, il est encore plus important de maintenir de bonnes relations avec le Qatar, qui est un producteur majeur de gaz naturels liquéfiés. Ce n’est pas un hasard si l’Allemagne et la Chine viennent de conclure des accords pour l’importation du gaz qatari.

Il y a en revanche une chose que les différentes bourgeoisies ne bouderont pas : c’est la propagande nationaliste forcenée que chacune de ces compétitions suscite ! Avec ses drapeaux, ses hymnes nationaux, ses supporters beuglant leur haine de l’adversaire, le Mondial est une nouvelle occasion de déchaîner une énorme campagne pour faire croire aux ouvriers que l’union derrière le drapeau national, celui des intérêts de la bourgeoisie, est une « fête » !

LC, 20 décembre 2022

Récent et en cours: 

  • Coupe du Monde [17]

Rubrique: 

Barbarie du capitalisme

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Liens
[1] https://en.internationalistvoice.org/the-continuation-of-the-protests-labour-strikes-and-general-strike/ [2] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_59.pdf [3] https://www.leftcom.org/fr/articles/2022-11-01/voix-ouvrières-et-révoltes-en-iran [4] http://www.leftcom.org/en/articles/2022-11-02/iran-imperialist-rivalries-and-the-protest-movement-of-woman-life-freedom [5] https://fr.internationalism.org/content/10714/conflit-imperialiste-ukraine-capitalisme-cest-guerre-guerre-au-capitalisme-tract [6] https://fr.internationalism.org/content/10733/face-a-guerre-face-a-crise-classe-ouvriere-ne-doit-accepter-aucun-sacrifice [7] https://fr.internationalism.org/content/10736/editorial-face-a-guerre-imperialiste-opposons-lutte-classe [8] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs [9] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-ukraine [10] https://fr.internationalism.org/rinte37/debat.htm [11] https://fr.internationalism.org/content/10589/theorie-du-maillon-faible-et-responsabilite-du-proletariat-des-pays-centraux [12] https://fr.internationalism.org/brochures/trotskysme [13] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauchisme [14] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme [15] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques [16] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decomposition [17] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/coupe-du-monde