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La bourgeoisie ne manque pas d’air. A l’heure où les principales puissances sont sur le point de déchaîner au Moyen-Orient une tuerie plus meurtrière que toutes celles qui ont ensanglanté la planète depuis la seconde guerre mondiale, elle ose nous jouer, à grands renforts médiatiques, la répugnante comédie de la "paix" et du "désarmement". La fameuse "Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe", ce ramassis de salopards regroupant 34 Etats aujourd’hui sur le pied de guerre, qui vient de se tenir à Paris, est un summum du cynisme et de l’hypocrisie de la classe dominante.
On veut nous faire croire, une fois de plus, qu’avec l’effondrement du bloc de l’Est, avec "la fin de la guerre froide", s’ouvre "une nouvelle ère de démocratie, de paix et d’unité" dont les participants à la conférence seraient les garants et l’exemple à suivre pour le reste du monde.
Bel exemple en effet, quand les USA viennent de décider d’expédier 200.000 hommes supplémentaires sur le théâtre du massacre qui se prépare, quand le gouvernement britannique, tout "dé-thatcherisé" qu’il soit, annonce le lendemain même de la conférence, qu’il double lui aussi ses effectifs sur le terrain, et quand tout ce beau monde se met enfin d’accord, dans les couloirs du sommet, pour l’adoption d’une résolution de l’ONU autorisant le déchaînement de la tuerie.
Mensonges et poudre aux yeux que ce "traité de désarmement" signé par les 34 participants et qualifié d’"historique" par Mitterrand, quand il s’agit pour l’essentiel de mettre à la casse le stock d’armements désuet et désormais inutilisable du défunt bloc impérialiste russe, tandis que la puissance de feu des principales puissances occidentales, Etats-Unis en tête, n’est nullement remise en cause et que chaque jour qui passe voit s’accumuler dans le Golfe une armada particulièrement efficace et meurtrière prête à être utilisée.
Cinéma enfin, que ces belles déclarations, la main sur le cœur, annonçant des relations entre Etats "désormais fondées sur le respect et la coopération", quand dans la réalité, tous ces truands, hier encore relativement solidaires et disciplinés lorsqu’ils obéissaient à leurs chefs de bande respectifs, se livrent aujourd’hui entre eux à une véritable foire d’empoigne et laissent libre court à l’affirmation de leurs intérêts respectifs (voir article ci-dessous).
Ce que révèle au contraire la situation présente, c’est à quel point, loin d’ouvrir une "ère de coopération et de sécurité", l’effondrement des anciennes alliances impérialistes, ouvre la porte au déchaînement tous azimuts des rivalités entre brigands impérialistes, à une guerre économique à outrance entre les Etats, à une situation où, plus que jamais dans toute l’histoire du capitalisme, chaque capital national est prêt à tout pour faire valoir ses intérêts contre les autres. Et, loin de s’engager à "régler les différends par des moyens pacifiques", le capitalisme n’aura d’autre réponse à ce chaos grandissant que le militarisme et la guerre.
Pour les prolétaires, il ne peut pas être question de se laisser endormir par les discours de la classe dominante. Moins que jamais, ils ne peuvent se voiler les yeux devant la gravité de la situation présente.
Ils ne peuvent se voiler les yeux ni devant le bain de sang qui s’apprête à transformer en cadavres des milliers de leurs frères de classe au Moyen-Orient, ni devant les enjeux historiques gravissimes que cette situation révèle pour l’avenir de l’espèce humaine. La guerre du Golfe ne fait qu’annoncer le déchaînement d’autres massacres toujours plus meurtriers impliquant de plus en plus les grandes puissances capitalistes et la plongée de la planète dans un chaos sanglant qui menace de la détruire totalement.
Seule la lutte de la classe ouvrière comme classe est capable d’opposer un frein à cette logique meurtrière. En premier lieu, c’est sa mobilisation comme classe, sa détermination à refuser les sacrifices économiques que lui impose le capitalisme en crise qui peuvent empêcher ce système de mort de lui imposer le sacrifice suprême de l’embrigadement pour la guerre. Et surtout, cette lutte elle-même est la seule qui, en s’opposant aux fondements même du capitalisme, l’exploitation salariée, peut s’opposer à la logique guerrière qui est devenue le mode de vie même de ce système.
Une responsabilité énorme pèse sur les épaules de la classe ouvrière des pays centraux du capitalisme. C’est de son combat de classe, et de sa capacité à le mener jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au renversement du capitalisme, que dépend le sort de l’humanité.
Face aux massacres présents et à venir, face à la misère grandissante que lui impose le capitalisme, la classe ouvrière se doit de développer avec encore plus de détermination ses combats de classe. Contre tous ceux qui tentent de l’endormir avec des discours pacifistes et de la paralyser en lui faisant croire que les attaques toujours plus féroces que lui fait subir le capitalisme n’ont rien à voir avec les menaces guerrières, elle doit au contraire faire front contre ces attaques, en comprenant que chaque combat mené contre elles, est aussi une préparation au renversement du capitalisme. C’est la seule voie possible.
PE (24.11.90)
Le 26 août dernier, l’Autrichien Kurt Waldheim s’était rendu à Bagdad pour traiter avec "le diable" en personne, Saddam Hussein, et il en avait ramené un contingent d’otages. Cette initiative avait suscité un véritable tollé unanime. La "communauté internationale" anti-Irak n’avait pas eu alors de mots assez durs pour vilipender et flétrir les "pratiques méprisables" de cet individu, s’accordant si bien avec son "passé abject" d’ancien nazi.
Le 6 novembre, l’Allemand Willy Brandt, avec l’aval de son gouvernement et la bénédiction de l’internationale Socialiste, accomplissait exactement la même chose. Cette fois, à part l’américaine et l’anglaise, aucune bourgeoisie n’avait à redire sur l’entreprise ; au contraire, cette démarche était plutôt accueillie avec sympathie et bienveillance.
Que s’est-il donc passé entre ces deux évènements pour provoquer un si net revirement d’attitude au sein même de la coalition anti-irakienne ?
Ce n’est plus un mystère aujourd’hui : le Pentagone a bel et bien attiré Saddam Hussein dans un traquenard en laissant son armée envahir le Koweït le 2 août sans bouger le petit doigt, alors que la Maison Blanche n’ignorait rien des intentions et des manœuvres militaires irakiennes en juillet. Mais le principal objectif de l’Etat américain était, dès le départ, de piéger également les autres grandes puissances en les contraignant à resserrer les rangs derrière lui.
Pourquoi ? La raison majeure, c’est que les Etats-Unis ont rapidement pris conscience dans les mois qui ont suivi la disparition du bloc de l’Est, que leurs anciens alliés commençaient à manifester des velléités de plus en plus nettes d’indépendance, à vouloir se dégager de la tutelle US pour tenter de jouer leur propre carte dans l’arène impérialiste mondiale.
Les USA ont alors compris qu’avec la fin de la menace russe, c’était le ciment principal de leur propre bloc qui avait
disparu. Il était alors évident que tout l’ordre mondial qui était jusque-là à l’avantage des Etats-Unis se trouvait chamboulé et que leur propre domination sur la plus grande partie du monde capitaliste se voyait menacée.
C’est pour cela que l’opération "Bouclier du désert" n’avait pas seulement pour but d’obtenir une unité et une cohésion des autres Etats centraux autour du problème irakien mais surtout d’intimider ces derniers, de les enrôler de gré ou de force derrière la politique choisie, décidée et imposée par les USA.
Voilà pourquoi depuis le début du conflit, la bourgeoisie américaine, pour affirmer son leadership sur le monde, a été si prompte à étaler sa faramineuse puissance militaire, concrétisée par un envoi massif de troupes nanties des matériels de guerre les plus sophistiqués, performants et meurtriers de la planète. Voilà pourquoi les autres puissances ont été embarquées et contraintes de suivre les USA dans leur équipée militaire (cf. RI n° 193,194 et 195).
Dès le début de l’opération, des réticences discrètes se sont manifestées parmi les Etats ainsi sollicités. En particulier, la bourgeoisie française, jusque là dans les meilleurs termes d’amitié et de commerce avec l’Irak, a traîné les pieds près de trois semaines, entendant même jouer dans un premier temps la carte de ses petits intérêts boutiquiers à travers ses propositions d’"arbitrage diplomatique".
Face à ce manque d’empressement à s’aligner, la réaction américaine a été pleinement significative de "la politique de la trique" que les USA entendent désormais appliquer aux récalcitrants comme en témoigne l’expulsion manu militari de l’impérialisme français du Liban (cf. RI 195).
Ainsi, pendant les deux premiers mois de l’opération "Bouclier du désert", c’était par conséquent à un resserrement progressif, imposé par la force, des liens à l’intérieur de la coalition anti-irakienne que les Etats-Unis sont parvenus à établir.
Mais à partir du mois d’octobre, c’est un tournant inverse qui tend à s’imposer. Les intérêts particuliers divergents de tous ces gangsters impérialistes s’expriment désormais ouvertement, faisant éclater cette unité de façade. C’est-à-dire qu’un des objectifs principaux des USA à travers le montage de cette guerre -réaffirmer leur autorité sur les autres grandes puissances- est nettement remis en question.
La suprématie des Etats-Unis ne peut s’affirmer qu’au détriment des intérêts impérialistes des autres puissances car, dans l’affaire, s’il est évident que les USA ont tout à gagner, pour tous les autres brigands, plus la puissance militaire américaine s’affirme, plus ils se retrouvent soumis et impuissants et plus leurs propres intérêts se trouvent remis en cause. C’est pourquoi, contrairement aux USA, ils n’ont aucun intérêt propre à l’éclatement de la guerre avec l’Irak.
C’est pourquoi ces intérêts divergents se manifestent de plus en plus au grand jour à partir de ce moment-là et se cristallisent dans les désaccords et réticences des différentes puissances impérialistes vis-à-vis de l’option militaire des Etats-Unis. C’est alors une multiplication de tentatives de plus en plus ouvertes de saboter, de torpiller cette intervention militaire.
C’est publiquement, au conseil de sécurité de l’ONU, que des "allies" tels que la France, l’URSS et la Chine, membres permanents du Conseil de Sécurité, soutenus par la plupart des autres nations, font de l’obstruction systématique dans les discussions et les votes des résolutions pour détourner ou pour limiter la portée des propositions de la délégation américaine : l’embargo, oui, le blocus, à la rigueur, la riposte en cas d’agression irakienne sur la moindre pièce du dispositif militaire, du bout des lèvres, mais pas davantage. Ainsi, ils s’opposent autant que possible depuis des semaines à la résolution préconisée sur le recours direct à la force militaire contre l’Irak pour ensuite s’abriter derrière le respect des règles "du droit international". C’est Mitterrand qui pérore à la tribune de l’ONU en prétendant que "la logique de guerre n’est peut-être pas inéluctable" et que "une autre logique pourrait s’ouvrir si Saddam Hussein renonçait à ses prétentions sur le Koweït" puis qui relance de plus belle, de concert avec Gorbatchev, l’option diplomatique. C’est aussi le gouvernement français qui fait reculer de 50 km ses troupes par rapport au front pendant que les USA renforcent leur potentiel militaire. C’est encore tout récemment Kohl qui déclarait plus nettement à la radio allemande son hostilité à la solution militaire en proclamant que "quiconque croit pouvoir résoudre le problème par cette voie doit penser au dénouement d’une telle entreprise"...
C’est également en sous-main que l’on se met à des tractations avec S. Hussein d’abord en catimini et isolément puis ouvertement et de plus en plus nombreux.
C’est le gouvernement français qui donne le coup d’envoi de ce changement d’attitude et de la ruée vers Bagdad de façon particulièrement sournoise et hypocrite. C’est après la libération des otages français que la réalité s’est peu à peu fait jour : on apprend ainsi après maints démentis officiels que l’ancien chef de la diplomatie française, Cheysson, avait rencontré mi-octobre à Amman le ministre des affaires étrangères irakien. Ensuite, la même discrétion n’a plus été de mise, une pléiade de personnalités politiques de premier plan se sont rendus directement à Bagdad. Et Cheysson pouvait alors déclarer : "La manière dont les otages sont libérés doit toujours rester secrète"... Ces voyages effectués officiellement pour négocier des libérations d’otages sont destinés à couvrir bien d’autres tractations. Les libérations d’otages ne sont pas des fleurs gratuites. Derrière les déclarations des Brandt et des Nakasone à leur retour, du style "nous avons longuement évoqué notre profonde volonté de paix tout en rappelant que l’évacuation du Koweït était un préalable sans condition à cette paix”, il faut comprendre que les "visiteurs" ont mis en avant leur désaccord profond avec l’option militaire des USA ; qu’ils n’avaient aucun intérêt à l’écrasement total de l’Irak et que si Saddam Hussein était "suffisamment raisonnable" en abandonnant le Koweït, pour leur part, ils étaient tout prêts à fournir une aide substantielle et à rétablir des relations commerciales avec l’Irak. Quant à Saddam Hussein, il a très bien su profiter de cette situation de division, en attisant encore ces clivages. Aujourd’hui encore, l’antichambre de Saddam Hussein est devenue un véritable bazar international où se croisent et se bousculent diplomates et missions parlementaires d’un peu partout et de tout poil, venus s’occuper exclusivement de leurs petites affaires, livrant un tableau édifiant du degré de "chacun pour soi" dans lequel sont tombées d’ores et déjà les différentes nations.
On est aux antipodes du respect du premier mot d’ordre lancé par les Etats-Unis à la "communauté internationale" : "pas la moindre négociation avec l’Hitler du Moyen-Orient !"
La réaction américaine n’en a été que plus vigoureuse, suivie comme son ombre par celle de la Grande-Bretagne avec leur réaffirmation intransigeante du refus de toute négociation. En même temps, Bush, Baker, Thatcher, se répandaient en critiques acerbes et sans ménagement envers "les alliés peu sûrs", notamment à l’encontre de la France accusée "de duplicité et de manque de conviction dans ses engagements militaires”.
Parallèlement, les USA décidaient de doubler leurs effectifs militaires et leur matériel de guerre dans le Golfe d’ici la fin de l’année, hissant le dispositif militaire des Etats-Unis au niveau du plus fort de leur engagement au Vietnam, si ce n’est davantage.
Mais l’ampleur et la force des tensions se dévoilent pleinement lors du récent sommet de la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe) où c’est un véritable bras de fer qui est engagé. Sous la pression énorme, directe et constante des Etats-Unis, la question de l’intervention militaire dans le Golfe polarise totalement ce sommet, les questions du désarmement en Europe sont expédiées, celles sur les nouvelles structures de l’Europe qui devaient être au centre des débats sont éliminées. Et c’est dans les coulisses que se règlent les différends.
Loin de freiner "la logique de guerre", l’expression ouverte et l’accentuation de ces tensions entre les Etats-Unis et les autres principales puissances n’ont fait que renforcer la détermination du gendarme US de mener l’opération militaire jusqu’à son terme. En fait, dans cette entreprise, outre le soutien inconditionnel de l’Etat britannique, les USA savent ne pouvoir compter que sur l’appui sans ambiguïté des Etats directement intéressés à la perte de l’Irak : les bourgeoisies arabes rivales de ce pays et Israël. Mais les manifestations croissantes des manoeuvres de sabotage et des résistances ouvertes chez leurs autres pseudo-alliés les ont incités à frapper d’autant plus vite et fort, à précipiter les échéances pour les contraindre.
Que ce soit à travers la tournée de Baker dans les principales capitales de la "coalition" ou lors du sommet de la CSCE, c’est le même message qui est délivré, c’est le même ultimatum qui est réitéré : si les grandes puissances s’obstinent à ne pas soutenir devant le conseil de sécurité de envers l’Irak, les USA interviendront seuls et les autres seront mis devant le fait accompli. A ce moment là, ceux qui ne suivraient pas, qui ne s’aligneraient pas et dont les troupes resteraient en dehors du conflit, le paieront très cher. Non seulement les Etats-Unis menacent de les dénoncer aux yeux du monde comme faisant le jeu de l’ennemi, comme les complices de Saddam Hussein, mais ils ajoutent des promesses de représailles à plus long terme qui auraient des répercussions encore plus sérieuses pour les Etats concernés sur le plan de leur avenir impérialiste, économique ou commercial (par exemple, leur couper les livraisons pétrolières).
Face à ce chantage brutal et cynique du "parrain", les autres malfrats impérialistes ne peuvent que s’exécuter. Ils n’ont pas les moyens de résister, n’ayant aucune alternative à proposer, aucun moyen de pression efficace à faire valoir, prouvant que leur regroupement hétéroclite autour de la défense de leurs mesquins intérêts nationaux particuliers ne pouvait aboutir qu’à une fronde lamentable.
Par exemple, l’URSS confirme avec ses volte-face à répétition, sa totale impuissance. L’ex-seconde puissance impérialiste mondiale n’a même plus de politique étrangère digne de ce nom. Ses différentes positions successives dans la crise du Golfe qui vont du jour au lendemain, du rejet de toute intervention militaire jugée "inacceptable" à l’issue de sa rencontre avec Mitterrand, à l’acceptation d’une telle intervention après la visite de Baker à Moscou, sont directement liées à la valeur des chèques et des avantages immédiats qui lui sont proposés.
Quant à la France, dès la conférence de presse qui clôturait la CSCE, Mitterrand annonçait son "accord” résigné et piteux à 'l’orientation américaine" en même temps qu’il annonçait le vote de la résolution de l’ONU, enfin "rendue possible" à brève échéance.
Même si, dans le règlement de la crise du Golfe, la politique de la trique menée par les USA à l’égard de leurs "alliés" porte ses fruits de façon immédiate, les tensions qui se sont révélées ces dernières semaines entre les principaux Etats impérialistes ne vont ni s’atténuer, ni encore moins disparaître avec le déchaînement prochain de la barbarie guerrière contre l’Irak. Au contraire.
Les antagonismes d’intérêts impérialistes sont appelés à se développer encore beaucoup plus fortement avec l’aggravation catastrophique de la crise économique mondiale où la concurrence entre les différents Etats capitalistes va tendre de plus en plus à se déchaîner sur le terrain des affrontements militaires, obligeant les USA à affirmer toujours plus leur rôle de gendarme du monde face aux tendances au "chacun pour soi".
La guerre du Golfe ouvre ainsi une période d’instabilité croissante dans lequel les coalitions d’intérêts entre Etats ne pourront qu’être éphémères et dans lequel toutes les grandes puissances vont être impliquées dans un chaos de plus en plus sanglant.
C’est bien cette perspective de la guerre de tous contre tous, dans laquelle le capitalisme à l’agonie plonge l’humanité, qui se trouve de plus en plus exposée au grand jour.
YD (24/11/90)
Nous publions ci-dessous, suivis de notre réponse, des extraits d’une lettre d’une lectrice prenant position sur les évènements actuels au Moyen-Orient, notamment sur l’attitude que doivent y opposer le prolétariat et ses organisations révolutionnaires face à la gravité des enjeux que contient la guerre du Golfe.
"(...) Si la classe ouvrière mondiale, et en particulier celle des pays centraux qui sont en train de préparer l’anéantissement de l’Irak, ne prend pas position contre cette guerre, en faisant grève massivement, en refusant l’envoi d’appelés du contingent dans le Golfe, en empêchant le départ des bateaux et des avions de guerre, alors, on peut dire que c’est à un nouveau recul de la conscience dans la classe que nous allons assister et, de recul en recul, c’est la perspective même de la révolution qui va s’éloigner. Il est un peu tard maintenant pour que la classe ouvrière réagisse avant le déclenchement de la guerre, vu l’imminence de celle-ci, mais il est de la plus haute importance que les révolutionnaires et les sympathisants interviennent maintenant dans la classe avec des mots d’ordre précis dénonçant ce conflit (...) comme l’expression de la fuite en avant de la bourgeoisie vers la fin de l’humanité, afin que la classe ouvrière ne se trouve pas désarmée et impuissante devant la force de destruction de la bourgeoisie. (...) En conclusion, il ne faut pas laisser la bourgeoisie embobiner la classe ouvrière avec des discours lénifiants sur les méchants Arabes qui vont régler leurs problèmes entre eux et sur le "ça ne nous concerne pas". Si la classe ouvrière laisse faire ce massacre sans rien dire, elle sera encore plus abattue et apathique qu’avant. Si, au contraire, elle réagit, même timidement, ce sera un élan pour l’avenir qui contribuera à favoriser son renforcement et son organisation dans les luttes revendicatives (...)”
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Nous tenons tout d’abord à saluer l’initiative de cette camarade qui, prenant conscience de l’extrême gravité de la crise du Golfe, nous fait part de ses préoccupations à partir de sa compréhension que le prolétariat est la seule force dans la société capable d’empêcher le capitalisme d’emporter toute l’humanité dans sa folie guerrière. Nous saluons également l’appel de cette camarade à la responsabilité des révolutionnaires, dont la tâche consiste aujourd’hui plus que jamais à montrer aux yeux de la classe ouvrière quelle perspective nous offre le capitalisme décadent, afin de lui faire prendre conscience de la nécessité de détruire ce système avant qu’il n’anéantisse toute la planète.
Cependant, s’il est fondamental que le prolétariat intègre la question de la guerre dans le développement de sa conscience et de sa lutte contre le capitalisme, la manière dont la camarade pose le problème ne nous semble pas correcte. Elle conduit d’une part à une vision pessimiste, se traduisant par un doute sur les capacités de la classe ouvrière à renverser le système, et d’autre part, à une démarche dangereuse, qui risque d’entraîner le prolétariat hors de son terrain de classe.
En effet, la lettre de la camarade pose, entre autres, deux questions essentielles :
1° Si le prolétariat ne réagit pas contre la guerre du Golfe, gardera-t-il ses capacités à renverser le capitalisme ?
2° Quelle doit-être l’attitude de la classe ouvrière face à la guerre du Golfe?
La première question que pose notre lectrice renvoie à l’analyse que le CCI a développée sur le cours historique, c’est-à-dire sur le sens de l’évolution du rapport des forces entre les deux classes fondamentales de la société, la bourgeoisie et le prolétariat[1]. Cette analyse mettait en évidence que depuis la fin des années 60, un nouveau cours vers des affrontements révolutionnaires s’était ouvert avec le resurgissement de la crise économique qui avait permis au prolétariat de reprendre le chemin de ses combats de classe après cinquante ans de contre-révolution. Nous affirmions également que c’était l’incapacité de la bourgeoisie à embrigader le prolétariat derrière la défense des intérêts du capital national qui avait empêché la classe dominante d’apporter sa propre réponse à la crise historique de son système : une troisième guerre mondiale.
Or, dans la situation actuelle, la camarade, constatant qu’'il est un peu tard maintenant pour que la classe ouvrière réagisse avant le déclenchement de la guerre”, en déduit que "la classe ouvrière, si elle ne réagit pas, même timidement, va subir un nouveau recul dans sa conscience", ce qui amène notre lectrice à douter des capacités futures du prolétariat, c’est-à-dire à remettre implicitement en cause la perspective de la révolution prolétarienne.
Il est vrai, comme le constate la camarade, que, face à la guerre du Golfe, aujourd’hui, le prolétariat est impuissant. Il ne pourra pas empêcher le carnage. Mais ce n’est pas à partir de ce conflit militaire, si meurtrier et barbare soit-il, qu’on peut remettre en question toute la perspective historique que les luttes ouvrières ont confirmée depuis plus de vingt ans. Des guerres comme celle qui s’annonce dans le Golfe aujourd’hui, le capitalisme en déchaînera d’autres. La croisade impérialiste menée contre l’Irak ne fait que marquer le tout début d’une nouvelle période où les conflits guerriers dans lesquels les grandes puissances seront de plus en plus impliquées vont constituer une donnée permanente dans la vie de la société, une donnée que le prolétariat sera nécessairement contraint d’intégrer dans sa prise de conscience de la barbarie du capitalisme. Toute démarche immédiatiste consistant à poser dès aujourd’hui une sorte d’ultimatum au prolétariat, comme le fait la camarade, ne peut mener qu’au doute et à la démoralisation.
Si le prolétariat mondial n’a pas la capacité aujourd’hui d’empêcher le déchaînement de la barbarie guerrière dans le Golfe, cela ne signifie nullement que nous allons vers un renversement du cours aux affrontements de classes. Une telle situation supposerait en effet que la bourgeoisie a réussi à infliger une défaite idéologique décisive au prolétariat permettant, comme dans les années 30, son embrigadement massif sous les drapeaux du capital, ce qui est loin d’être le cas dans la situation présente. Ce ne sont pas des bataillons du prolétariat que la bourgeoisie occidentale mobilise aujourd’hui dans le Golfe, mais des troupes de l’armée de métier. Le fait que la classe ouvrière se révèle à l’heure actuelle momentanément paralysée, désorientée, ne signifie en aucune façon qu’elle est prête à accepter le même niveau de sacrifices, et jusqu’au sacrifice ultime de la vie, qu’en 1914 et dans les années 30.
Par ailleurs, le CCI a toujours mis en évidence que, contrairement à la vague révolutionnaire des années 1917-23 qui avait surgi de la première guerre mondiale, la vague des combats ouvriers ouverte en 1968 se développe à partir de la crise économique. Ainsi, aujourd’hui, ce n’est plus la guerre qui constitue le terrain de la mobilisation du prolétariat mais les attaques économiques résultant de l’aggravation inexorable de cette crise. Et les révolutionnaires doivent reconnaître que, sur ce terrain, la classe ouvrière a maintenu et maintient toujours sa capacité à mener le combat en tant que classe contre la dégradation de toutes ses conditions de vie. En ce sens, si, dans l’immédiat, les bruits de botte dans le Golfe provoquent dans les rangs de la classe ouvrière un sentiment d’impuissance, s’ils participent à désorienter le prolétariat au point de le paralyser face aux attaques de la bourgeoisie, cette situation ne peut être que momentanée. D’abord parce que, cette guerre, il faudra la payer et c’est, bien sûr, la classe exploitée qui en fera comme toujours les frais. Ensuite, parce que le capitalisme est en train de plonger dans une récession mondiale d’une profondeur sans précédent contraignant de plus en plus toutes les bourgeoisies nationales à porter des attaques anti-ouvrières frontales et massives contre l’ensemble des conditions de vie de la classe ouvrière (cf. "RI" n° 195) Et c’est bien parce qu’aujourd’hui, le prolétariat n’est pas embrigadé, c’est bien parce qu’il va être contraint, avec l’aggravation de la crise, de reprendre le chemin de la lutte sur son propre terrain, que la perspective historique aux affrontements révolutionnaires reste ouverte.
Ainsi, concernant la deuxième question que soulève la lettre de la camarade, quelle doit être l’attitude de la classe ouvrière face à la guerre du Golfe ?, il n’y a qu’une seule réponse : le prolétariat doit résister fermement à tout ce qui peut le pousser hors de son terrain de .classe. Pour cela, il doit, bien sûr, comme le dit la camarade, refuser d’adhérer aux campagnes bellicistes de la bourgeoisie. Mais il doit aussi et surtout éviter à tout prix de tomber dans le piège des campagnes pacifistes qui constituent à l’heure actuelle le thème de prédilection de toutes les fractions de la gauche du capital. Cette idéologie pacifiste ne vise, en effet, qu’à dévoyer le prolétariat, à l’entraîner sur un terrain pourri, celui de l’interclassisme, afin de le noyer au milieu de toutes les bonnes âmes "humanistes" (tels les curés ou les intellectuels) quand ce n’est pas pour le pousser à soutenir l’impérialisme irakien (comme le préconise le prétendu anti-impérialisme des trotskistes).
C’est précisément dans ce piège que risque de tomber la camarade elle-même lorsqu’elle nous suggère d’exhorter le prolétariat à se mobiliser dès aujourd’hui contre la guerre. Toutes ses propositions d’actions "contre la guerre" sont ainsi extrêmement dangereuses dans la mesure où elles peuvent être parfaitement récupérées par les forces d’encadrement capitalistes (comme on a pu le voir à Toulon lorsque la CGT avait, au mois de septembre, tenté de bloquer le départ des bateaux de guerre). Toute mobilisation du prolétariat contre la guerre seule ne peut être que canalisée et récupérée sur le terrain bourgeois du pacifisme, y compris la grève massive que propose la camarade. En effet, la grève n’est pas en soi un moyen d’action du prolétariat. Encore faut-il savoir sur quel terrain elle se situe. Ainsi, en 1936, le prolétariat avait développé des luttes massives pour des revendications économiques, mais ces grèves avaient immédiatement été dévoyées derrière le soutien au Front populaire, c’est-à-dire derrière cette idéologie antifasciste qui allait permettre l’embrigadement de millions de prolétaires dans la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, il suffit encore de voir comment, en Arménie "soviétique", les grèves massives ont pu être canalisées derrière le mot d’ordre bourgeois de l'"indépendance nationale" pour constater que la grève n’est pas en elle-même le critère d’une réelle mobilisation du prolétariat sur un terrain de classe. Ainsi, toute adhésion de la classe ouvrière à un slogan pacifiste ne peut conduire qu’à l’interclassisme, à l’abandon de sa lutte autonome contre le capital.
En ce sens, si, comme le reconnaît très justement la camarade, la classe ouvrière doit intégrer la question de la guerre comme condition du développement de sa conscience et de sa lutte vers le renversement du capitalisme, elle ne pourra le faire qu’à partir de ses propres conditions de classe exploitée, en développant ses luttes de résistance aux attaques économiques. Le prolétariat ne pourra réellement lutter contre la barbarie guerrière du capitalisme que lorsqu’il aura développé à un niveau beaucoup plus important qu’aujourd’hui ses combats de classe. Il ne peut lutter contre la guerre qu’en menant un combat général contre le capitalisme. C’est bien pour cela que l’intervention des révolutionnaires consiste non à faire du problème de la guerre une question en soi, séparée des autres aspects de la vie du capitalisme, mais à mettre en évidence le lien entre la guerre et la crise économique, et plus globalement, l’ensemble de la barbarie dans laquelle s’enfonce le capitalisme. Les révolutionnaires doivent souligner toute la gravité des enjeux de la situation historique que nous vivons aujourd’hui, afin de planter des jalons pour l’avenir en appelant le prolétariat à prendre conscience que c’est un seul et même système en pleine putréfaction qui s’avère responsable de la misère, des famines, et de la barbarie guerrière.
Avril
Ah ça, non ! La gauche stalinienne et surtout l’extrémisme gauchiste (trotskistes, maoïstes, anarchistes, tiers-mondistes...) du capital ne font pas preuve d’indifférence face à la situation de guerre générale qui pèse sur le Moyen-Orient. Sont-ce les misères, les souffrances et les destructions que provoquerait le feu des armes qui leur font prendre parti ? Très peu. En réalité, quand cette racaille bourgeoise, avec force trémolos pacifistes dans ses articles de presse ou à l’occasion de ses défilés au long des rues citadines, enjoint les ouvriers à ne pas demeurer indifférents, c’est précisément pour leur demander d’établir des différences : il y a d’un côté, dit-elle, l’insoutenable guerre que mènent les empires pétroliers d’Occident pour protéger leurs superprofits, celle que conduisent les maîtres du monde pour faire valoir le droit international qu’ils ont pour leur seul intérêt défini eux-mêmes, et de l’autre côté la "soutenable" et très légitime guerre des petites nations - arabes en l’occurrence - ainsi que des peuples pauvres du Sud contre les privilèges des peuples et nations riches du Nord.
Au bout du compte, le non-indifférentisme de ces gens-là a pour seul sens d’amener les prolétaires à soutenir le camp belligérant réputé le plus faible et, au besoin, à se faire tuer pour lui. Véritable sergent recruteur, cette répugnante engeance bourgeoise entend rendre le prolétariat indifférent aux véritables raisons qui poussent les Etats, l’Irak, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis ou les autres, à la guerre, escompte aveugler les ouvriers quant à la nature profonde de celle-ci - qui ne dépend pas au premier chef d’un peuple ou d’une nation en particulier mais du fonctionnement global du capitalisme décadent. Elle se propose de maintenir la classe ouvrière prisonnière des raisonnements bourgeois et des choix capitalistes et se charge enfin de mettre en place le brouillard idéologique propre à laisser indiscernables les moyens seuls capables d’entraver une fois pour toute le mécanisme guerrier du capital, d’apporter une solution constructive à la misère des populations de n’importe quel pays, de lever à tout jamais le joug oppressif que les bourgeoisies du monde entier font peser sur les masses exploitées.
Pour mener à bien leur sale besogne, les gauchistes recourent à une méthode que les révolutionnaires ont apprise depuis longtemps à reconnaître et à dénoncer : s’emparer d’idées confusément exprimées au cours de l’essor historique du mouvement ouvrier pour les retourner en tant qu’armes idéologiques directement bourgeoises contre la classe ouvrière après que l’histoire les eurent rendues périmées ou démontrées fausses. Il en est assurément ainsi de deux positions-forces que les trotskistes ainsi que les maoïstes placent aujourd’hui au centre de leur propagande "parabellum" : celle qui réserve la notion d’impérialisme pour les seuls agissements des grands capitalismes d’Occident et celle qui proclame l’inaliénabilité du "droit des peuples à s’autodéterminer".
L’article suivant[1], dont nous présentons dans ce numéro-ci la première partie, relative à la question de l’impérialisme, s’attache moins à dénoncer en soi la perfidie du gauchisme qu’à anéantir les bases qui fondent sa propagande, dont la très grande nocivité parmi les ouvriers risque de provenir des relations de parenté qu’elle paraît entretenir avec les plus critiquables apports des 2e et 3e Internationales ainsi qu’avec certaines analyses erronées de Lénine.
A cette question, laissons répondre Rosa Luxemburg : "La politique impérialiste, écrit-elle dans la brochure ’La Crise de la social-démocratie’, n’est pas l’essence d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun Etat ne saurait se soustraire. ".
Rosa Luxemburg a décrit un processus historique global, un processus unifié, parce qu’elle a compris en fin de compte que tout est déterminé par le développement du marché mondial ; elle a été capable de voir qu’on ne pouvait diviser le monde en parties historiquement différentes : d’un côté un capitalisme sénile, de l’autre un capitalisme jeune et dynamique. Le capitalisme est un système global qui connaît une apogée et un déclin en tant qu’unité dont les différentes relations en son sein sont entièrement interdépendantes.
C’est en partant du développement du marché mondial que Rosa Luxemburg a pu comprendre pourquoi les luttes pour l’autodétermination nationale n’étaient plus possibles dans un monde divisé en nations impérialistes. En effet, il ne pouvait plus y avoir d’expansion réelle du marché mondial (la première guerre impérialiste mondiale l’a prouvé définitivement), mais seulement une redistribution violente des marchés existants. Sans la révolution socialiste, la logique de ce processus est l’effondrement de la civilisation. Dans ce contexte, il était impossible à tout nouvel Etat d’apparaître puis de maintenir son existence sur le marché mondial de façon indépendante ou de mener à bien le processus de l’accumulation primitive en dehors de cette barbarie générale. Donc, comme le dit Rosa Luxemburg (ouvrage déjà cité) : "Dans le monde capitaliste contemporain, il ne peut y avoir de guerre de défense nationale."
La seule possibilité pour une nation, petite ou grande, de se "défendre” était de s’allier à un impérialisme contre les attaques d’un autre impérialisme et d’avoir elle-même une attitude impérialiste vis-à-vis de nations ou Etats plus faibles, comme l’illustre de nos jours l’Irak vis-à-vis du Koweït, et ainsi de suite.
Bien que Rosa Luxemburg ait eu certaines confusions quant à la possibilité d’autodétermination nationale après la révolution socialiste et bien qu’elle n’ait jamais pu développer complètement sa position, tous ses efforts visaient à démontrer que les forces productives étaient entrées, violemment et définitivement, en conflit avec les rapports de production capitalistes, y compris aussi avec le cadre national devenu trop étroit. Les guerres impérialistes étaient le signe évident de ce conflit insurmontable et du déclin irréversible du mode de production capitaliste. C’est pour cela que les guerres de libération nationale, qui étaient auparavant une expression de la bourgeoisie révolutionnaire, ont perdu leur contenu progressiste et se sont transformées de surcroît en guerres impérialistes féroces menées dans chaque pays, quelle que soit la puissance économique de celui-ci, par une classe dont l’existence est devenue un obstacle au progrès de l’humanité.
L’analyse que développa Rosa du phénomène impérialiste - en montrant surtout qu’il ne traduit pas simplement une forme de pillage commis par les pays industriellement avancés aux dépens des nations arriérées mais constitue l’expression de l’ensemble des rapports capitalistes mondiaux - représente sans nul doute la vue la plus clairvoyante à laquelle le mouvement ouvrier a pu donner naissance dans l’époque où le capitalisme commençait, il y a près de quatre-vingts ans, à entrer dans sa période historique de décadence.
Dans les textes que Lénine versa en tant que contributions au débat mené par les partis de la Deuxième Internationale mourante puis de la Troisième sur la question nationale et celle de l’impérialisme, vers 1914-1919, il y a un curieux manque de clarté sur le fait de savoir si la révolution bourgeoise se fait avant tout contre le féodalisme autochtone ou contre l’impérialisme étranger. Dans bien des cas, ces deux forces étaient également ennemies du développement capitaliste national, et même, parfois, l’impérialisme maintenait délibérément des structures précapitalistes aux dépens du capitalisme indigène (à dire vrai, la plupart de ces structures pré-capitalistes n’étaient pas du tout féodales, mais des variantes du despotisme asiatique). Par ailleurs, les classes dominantes précapitalistes s’opposaient souvent violemment au capitalisme occidental qui les menaçait de disparition. Cela n’empêchait pas Lénine de conclure son "Impérialisme, stade suprême du capitalisme" (1916) avec le postulat que les révolutions bourgeoises étaient encore possibles dans les colonies.
Pour Lénine, l’impérialisme est, par essence, un mouvement des pays développés pour compenser la baisse intolérable du taux de profit due à la composition organique élevée du capital dans les métropoles. Dans "L’Impérialisme...”, Lénine aborde le phénomène de l’impérialisme de façon surtout descriptive et ne parvient pas, contrairement à Rosa Luxemburg dont il combattit les opinions sur le sujet, à poser clairement la question de l’origine de l’expansion impérialiste. Mais l’idée que les capitaux des métropoles sont obligés de s’étendre aux colonies à cause de leur composition organique élevée est inscrite en filigrane dans ses concepts de "surabondance de capitaux" et de "superprofits'' obtenus par l’exportation de capitaux dans les colonies. La caractéristique de l’impérialisme est donc, pour Lénine l’exploitation de capital dans les colonies en vue d’obtenir un taux de profit plus élevé dans la mesure où la main-d’œuvre y est moins chère et les matières premières s’y trouvent en abondance. Les pays capitalistes avancés étaient ainsi devenus dans cette optique les parasites des colonies dont ils tiraient des superprofits et de l’exploitation desquelles dépendait leur survie même (ainsi s’explique l’affrontement impérialiste mondial pour conserver la possession et conquérir des colonies). Comme on le voit, une telle vision divise le monde en nations impérialistes qui oppriment et en nations opprimées dans les régions colonisées. La lutte mondiale contre l’impérialisme requérait non seulement les efforts révolutionnaires du prolétariat des pays développés mais aussi les mouvements de libération nationale qui, en réalisant leur indépendance nationale et en brisant le système colonial, pouvaient porter un coup fatal à l’impérialisme mondial.
Il est cependant bien clair que Lénine n’a jamais adhéré aux idioties tiers-mondistes de ceux qui, tels les trotskistes ou les staliniens à la sauce Mao Zedong, ont figé les erreurs du grand révolutionnaire en idéologie bourgeoise baptisée "léninisme" et selon lesquels les luttes de libération nationale provoqueraient, par T'encerclement" des métropoles capitalistes, le soulèvement révolutionnaire du prolétariat de ces grands centres industriels.
La force de la bourgeoisie s’alimente des faiblesses du mouvement ouvrier. Les thèses que Lénine professait, dans le cadre de sa compréhension du phénomène impérialiste, sur l’existence d’une "aristocratie ouvrière" parmi le prolétariat des grandes métropoles capitalistes exprimaient une confusion et traduisaient, a son époque, les limites de la conscience ouvrière de classe. Elles contenaient les germes à partir de laquelle l’extrême gauche de la bourgeoisie a élaboré une conception tiers-mondiste entièrement hostile au prolétariat occidental accusé d’être acheté par les superprofits tirés de l’exploitation des peuples des pays pauvres. Que les gauchistes fassent aujourd’hui un commerce effréné de telles idées par rapport à la guerre dans le Golfe ne saurait étonner : c’est en grande partie pour ce travail idéologique anti-ouvrier que la classe bourgeoise les commandite.
SM (25/11/90)
[1] Essentiellement composé à partir de citations tirées de notre brochure "Nation ou Classe ?", dont nous ne saurions trop recommander la consultation à nos lecteurs.
1983, gare de Bologne en Italie. Des centaines de gens affairés se trouvent là quand éclate la bombe ; œuvre d’un dément, d’un fou dangereux, d’un terroriste sanguinaire... On se rappelle les images horribles des nombreuses victimes et aussi la réaction indignée, dégoûtée, des médias, la chasse effrénée aux terroristes par tous les gouvernements des pays de l’Ouest européen dont celui de l’Italie n’était pas le moins zélé. Ce ne fut qu’un épisode parmi les plus odieux de toute la violence terroriste qui sévissait en Europe ces années-là.
1990, Giulio Andreotti, qui participa à presque tous les gouvernements italiens depuis 1947 et se trouve aujourd’hui encore président du Conseil, fait parler de lui une nouvelle fois ; il arrive benoîtement et annonce dans un rapport "confidentiel", à présent connu de tous, qu’en Italie, il existe toujours un réseau clandestin d’agents commandé par les services secrets et largement financé par l’OTAN et la CIA. Ce réseau, du nom de "Gladio" (glaive en italien), avait été mis en place, dans toute l’Europe, par les USA au début de la guerre froide afin "de résister à une éventuelle occupation ennemie", c’est-à-dire russe. Ce réseau est composé de barbouzes triées sur le volet, rompues à toutes les techniques de la propagande, du sabotage et de la guérilla. De fil en aiguille, on en vient à ne plus douter que "Gladio" est à l’origine de pas mal d’attentats en Italie dont justement celui de Bologne ou encore le meurtre d’Aldo Moro. Le terrorisme peut bien être noir ou rouge, venir de Libye ou d’ailleurs, il semble que "Gladio" et consœurs y soient dans presque tous les cas mêlés. Alimentant "la stratégie de la tension" dans toutes ces années pour arriver à ses fins, la bourgeoisie magouille, assassine ses pairs et massacre des innocents !
Pour les "gladiateurs", il s’agissait de contrer tout ce qui était prorusse et notamment l’arrivée du PCI au pouvoir, qui aurait, paraît-il, mis l’OTAN en danger.
Puis petit à petit, on découvre aussi que le même type d’organisation clandestine existait en France jusqu’au 1er novembre, date approximative à laquelle Mitterrand l’aurait dissoute ; elle existait également en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne ou encore en Suède, bref, l’Europe occidentale en était totalement pourvue ! En fait, ce qu’on découvre aujourd’hui avec l’affaire "Gladio", c’est tout simplement l’existence d’une structure secrète de l’OTAN dont s’étaient dotés, sous l’égide des USA, les principaux pays de l’ex-bloc occidental (y compris la France, dont les velléités d’indépendance à l’égard des USA apparaissent maintenant ouvertement pour ce qu’elles étaient déjà à l’époque de De Gaulle : de l’esbroufe !).
Que tout cela perce aujourd’hui au grand jour n’est en rien une preuve de "changement d’attitude" de la bourgeoisie sur le fond. La conjonction extraordinaire des circonstances historiques actuelles permet à elle seule de comprendre pourquoi tout cela se sait maintenant, pourquoi, à la suite de l’Etat italien, toutes les puissances européennes lancent à présent ce pétard. C’est bien sûr, comme l’avoue ouvertement Andreotti, parce que les blocs impérialistes d’hier ont disparu que la raison de l’existence de "Gladio" s’écroule aussi. Mais au-delà de cette réalité, ce que révèle cette affaire, c’est surtout la tentative des principaux pays occidentaux de se dégager de la tutelle américaine, voire de s’y opposer, au moment même où les USA s’efforcent par tous les moyens de réaffirmer leur leadership sur le monde à travers leur offensive militaire contre l’Irak. En faisant exploser au grand jour le réseau "Gladio", tous les pays européens impliqués dans cette opération, ne visent ainsi à rien de moins que torpiller la discipline que cherchent à leur imposer les USA. L’affaire "Gladio" n’est, ainsi, qu’une nouvelle manifestation caricaturale de la tendance au "chacun pour soi" qui caractérise la politique de tous les Etats sur l’arène impérialiste mondiale.
Baldwin (22.11.90)
Tandis que les bruits de bottes se font de jour en jour plus assourdissants et que tous les gouvernements, de droite comme de gauche, sont sur le pied de guerre, on peut voir s’agiter depuis un certain temps, comme s’ils se situaient en dehors et en opposition radicale à ce vacarme belliciste, ce qu’il reste des PC et leurs séides gauchistes jouant les pacifistes et déployant force énergie dans l’organisation de manifestations "pour la paix", "pour la négociation", "pour le retrait des troupes occidentales". Ces derniers jours en France, on a ainsi pu voir au coude à coude le Parti Communiste, la Ligue Communiste Révolutionnaire, Lutte Ouvrière, les Verts, la CGT, la Fédération Anarchiste, l’Union des Travailleurs Communistes Libertaires et quelques autres appelant tout le "peuple de France" à se mobiliser contre la guerre.
Tout ce battage qui exploite aujourd’hui à fond le sentiment de peur, le rejet de la guerre, que partagent toutes les couches de la population dans tous les pays vise en premier lieu la classe ouvrière. Il fait partie, comme chaque fois que la bourgeoisie a eu besoin de faire accepter aux prolétaires sa logique meurtrière, d’un vaste partage du travail au sein de la bourgeoisie. Tandis que les gouvernements organisent la mobilisation guerrière et invitent ouvertement les ouvriers à l’union sacrée derrière leurs exploiteurs, il revient à la gauche dans l’opposition et aux gauchistes la tâche de prétendre s’opposer à cette politique en distillant un poison pacifiste destiné à paralyser les rangs ouvriers. De tout temps, cela a été la fonction de la gauche que de dévoyer ainsi les préoccupations des ouvriers vis-à-vis des menaces de guerre vers un terrain pourri sur lequel ils sont impuissants. De tout temps, c’est cette fraction de la bourgeoisie qui s’est chargée de diffuser le mensonge selon lequel un capitalisme sans guerre est possible, que la paix dépend de la bonne volonté des gouvernements et qu’il suffit de faire pression sur eux, de les convaincre de désarmer, pour que celle-ci triomphe. De tout temps, ce mensonge et ces mobilisations pacifistes n’ont eu d’autre rôle que d’entraver toute prise de conscience dans les rangs ouvriers des véritables causes de la guerre et de cacher aux yeux des prolétaires la seule mesure capable de mettre fin à la barbarie guerrière : la destruction du capitalisme. A chaque fois, les grandes manifestations pacifistes, qu’il s’agisse de celles qui ont précédé lçs deux guerres mondiales ou des défilés "pour le désarmement" qui se sont multipliés durant les années 80, organisés par la social-démocratie en Allemagne et en Belgique contre les Pershing II ou par le PC et son "Appel des 100" en France, n’ont servi qu’à détourner les prolétaires du seul terrain sur lequel ils puissent développer une force capable de s’opposer réellement au capitalisme et à sa logique guerrière : le terrain de ses luttes de résistance comme classe aux attaques du capital. Au contraire, en les invitant à se noyer dans les "protestations" de toute la population, à se fondre dans un magmas interclassiste stérile, elles n’ont eu d’autre but que de désarmer les ouvriers en les déracinant du sol naturel de leur lutte. A la veille de chacune des guerres mondiales, ce sont elles qui ont permis, en démobilisant les énergies ouvrières, que se déchaîne finalement l’holocauste.
Aujourd’hui comme hier, au moment où la classe dominante révèle ouvertement la logique meurtrière de son système, elle peut compter sur ses fractions de gauche dans l’opposition et sur ses syndicats pour assurer les arrières. Si les PC, les trotskistes et consorts, ceux-là mêmes qui n’ont cessé, à travers l’histoire de ces dernières décennies, de prendre parti dans chaque conflit guerrier pour un camp belligérant contre l’autre, et qui ont à leur actif un passé glorieux dans la justification de tous les massacres impérialistes, redécouvrent aujourd’hui des accents pacifistes et multiplient les protestations contre la guerre, c’est qu’il s’agit de ne pas laisser à découvert le terrain social en ces temps difficiles. Au moment où le déchaînement de la logique de guerre capitaliste risque en effet d’ouvrir les yeux de la classe ouvrière sur l’avenir effrayant que ce système nous promet, au moment où ces évènements tragiques peuvent devenir le ferment d’une prise de conscience ouvrière des enjeux de ses combats, il s’agit d’entretenir chez les prolétaires le sentiment d’impuissance, de les empêcher de faire le lien entre la crise et la guerre et de miner ainsi la mobilisation ouvrière sur son propre terrain. Avec l’acharnement même que ces fractions bourgeoises, chargées d’encadrer et de contrôler le terrain social, mettent à saboter les luttes ouvrières, elles prennent en charge la neutralisation de toute prise de conscience dans les rangs ouvriers.
MP
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_196_i_dec.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/5/59/irak
[3] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre
[4] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decomposition
[5] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/imperialisme
[6] https://fr.internationalism.org/tag/5/42/italie