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Révolution internationale n°489 - juillet août 2021

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Face au cauchemar capitaliste, le prolétariat doit mener son combat de classe!

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Alors que le monde connaît un répit précaire et fragile du point de vue sanitaire, la bourgeoisie et ses médias aux ordres profitent de la situation pour mettre en place une vaste campagne idéologique visant à faire croire que la pandémie mondiale dans laquelle le monde est plongé depuis plus d’un an va permettre, en quelque sorte, au capitalisme de se régénérer. Le « monde d’après », prétendument plus social, affichant le faux espoir d’une gouvernance politique plus « vertueuse » et « responsable », comme se plaisent à le dire ceux qui voient par exemple en Joe Biden l’artisan d’un monde meilleur et l’incarnation même de cette sorte de « new deal vert ». Bobards et mensonges ! Ce « monde d’après » sera et ne pourra être que dans la continuité de celui « d’avant »… en bien pire !

De fait, la réalité du cauchemar capitaliste vient se charger de tempérer ces chantres ridicules, même si l’on ne peut pour le moment les empêcher d’entretenir ces illusions grotesques.

D’abord parce que la pandémie n’est pas derrière nous : on est en passe d’atteindre les 4 millions de morts dans le monde ! Le Covid-19 poursuit donc son œuvre dans des conditions sanitaires toujours aussi dégradées. En effet, les retards de la vaccination, en France comme ailleurs, les clusters persistants et la progression du variant Delta dans de nombreux pays en Europe et dans le monde engendrent déjà de nouvelles restrictions, comme c’est le cas, par exemple, au Portugal qui a dû reconfiner certaines villes, mais aussi en Afrique, en Indonésie, etc. Les manques criants de personnels et de matériel, les carences au niveau des politiques sanitaires, aggravant même la pénurie dans des hôpitaux exsangues, tout cela ne fait qu’exprimer la réalité d’une crise bien plus longue et même bien plus grave que prévue et que la propagande des États tente de masquer. Pour autant, une « quatrième vague » de contamination ne semble pas être à exclure pour cet automne !

De fait, le contexte de décomposition dans lequel s’inscrit la pandémie de Covid-19 n’a pas disparu et ne fait au contraire que s’amplifier.

Ainsi, les bonnes résolutions des Sommets réunissant les grands États et celles des COP successives ne sont que de la poudre aux yeux, tout comme la politique de « développement durable » initiée, par exemple, en France, notamment sous couvert de la Convention citoyenne, une vitrine bidon donnant un alibi pour des « mesurettes » ridicules qui ne trompent personne. Cela, au moment même où un projet de rapport du GIEC, très alarmant, souligne déjà qu’un réchauffement global limité à 2° C aurait des conséquences « cataclysmiques d’ici à 2050 ».

La situation alimentaire mondiale s’est également considérablement aggravée puisque près de 60 millions de personnes supplémentaires ont souffert de la faim ces cinq dernières années selon un récent rapport de l’UNICEF. Une hausse constante depuis 2014 !

De même, la situation impérialiste est marquée par une extension du chaos guerrier à l’image de l’exacerbation des tensions au Moyen-Orient avec la relance du conflit israélo-palestinien ou encore en Afrique où la fin éventuelle de l’opération Barkhane de l’impérialisme français, pourrait déstabiliser davantage la situation dans cette région et ouvrir la voie à davantage de barbarie guerrière.

Aucune illusion, non plus, à avoir avec l’« embellie » de l’économie soulignée par les médias, du fait du rebond en effet enregistré après la chute vertigineuse du PIB mondial au printemps 2020. Derrière l’euphorie momentanée autour des différents « plans de relance », se profilent les inquiétudes face à une paupérisation grandissante et de nouveaux licenciements. L’imminence de la facture salée à payer pour le « quoi qu’il en coûte » annoncé par Macron en France, ne peut qu’engendrer d’inévitables faillites et un cortège de nouveaux laissés-pour-compte.

Toute la situation mondiale, sur différents plans, vient confirmer le fait que la pandémie a bien généré une accélération du pourrissement sur pied du capitalisme. Et tôt ou tard, la bourgeoisie n’aura pas d’autre possibilité que de faire encore payer sa crise aux travailleurs en leur portant des attaques toujours plus douloureuses. C’est tout le sens du nouveau « ballon d’essai » du gouvernement français sur la réforme des retraites et l’allongement de l’âge de départ pour recevoir une pension à taux plein, de même que sur celle de l’assurance-chômage rognant et limitant fortement les droits des ouvriers.

Si les résistances du prolétariat aujourd’hui restent modestes, dispersées, isolées, enfermées dans le corporatisme et très difficiles au vu du contexte, on peut percevoir néanmoins un fort mécontentement et la potentialité toujours réelle de s’affronter au capitalisme, comme le montrent les luttes qui se déploient actuellement. C’est le cas, par exemple, des luttes à Roissy et Orly pour les personnels des aéroports, à la SNCF sur le réseau transilien, mais aussi en Grèce dans le secteur des transports et des services publics, contre la nouvelle « loi travail ». On a vu en Allemagne, au mois de mars, 60 000 métallurgistes se battre pour des augmentations de salaire. Plus récemment, un conflit chez Amazon et une grève sauvage chez les coursiers de Gorilla se sont déclenchés.

Face aux nouvelles attaques programmées qui vont finir par pleuvoir, le prolétariat devra se battre en allant rechercher la solidarité des salariés d’autres entreprises ou d’autres secteurs et ainsi étendre la lutte et pousser à l’organisation d’assemblées au sein desquelles les exploités auraient enfin la possibilité de discuter de leurs conditions de vie et de travail, de remettre en cause la société dans laquelle ils vivent et de s’unir pour la combattre.

Cette lutte du prolétariat sur son propre terrain est indispensable pour permettre à terme d’ouvrir une perspective révolutionnaire et afin de relever le défi d’un impératif majeur pour sortir de l’impasse totale que réserve ce système agonisant : celui de détruire de fond en comble la société capitalisme et ouvrir la voie au plein épanouissement de la civilisation humaine où l’exploitation de l’homme par l’homme serait reléguée au musée des antiquités.

WH, 2 juillet 2021

Récent et en cours: 

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Quel “monde d’après” ?

Contre le poison nationaliste, solidarité internationale de tous les travailleurs !

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La puissance de frappe militaire d’Israël pour répondre au Hamas et ses bombardements soi-disant ciblés sur la prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza, ont fait réagir des centaines de milliers de personnes dans le monde dans des manifestations massives dénonçant encore une fois le déluge de feu de l’État « colonialiste oppresseur » hébreu sur des « masses palestiniennes opprimées ». Ces manifestations se sont déroulées dans la plupart des pays européens, aux États-Unis comme au Canada mais aussi en Turquie, en Tunisie, en Libye et même en Irak, comme au Bangladesh, au Kenya, en Jordanie ou encore au Japon.

Cette mobilisation exprime clairement une indignation face à la barbarie. Mais elle est manipulée de la manière la plus éhontée par la bourgeoisie dans des manifestations qui appellent à une fausse solidarité sur un terrain qui n’est pas le terrain prolétarien internationaliste mais celui du nationalisme bourgeois qui alimente toutes les confrontations impérialistes.

La solidarité prolétarienne ne passe pas par la défense d’un camp bourgeois !

Pour l’ensemble des gouvernements occidentaux, États-Unis en tête, même si la dénonciation ampoulée de la guerre ou des bombardements est clamée à l’envi, appelant Israël à la « retenue », la défense de l’État d’Israël reste une constante face au Hamas et ses roquettes frappant à l’aveugle le territoire israélien. Ce sont comme toujours les mêmes larmes de crocodile face aux atrocités d’un conflit qui dure depuis la création de l’État d’Israël en 1948 et ses multiples confrontations ayant coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes, particulièrement dans les territoires palestiniens.

Pour l’ensemble des forces de gauche ayant appelé aux manifestations partout dans le monde, le « Non au massacre ! » est surtout l’occasion, encore une fois, d’un appel à soutenir la « juste cause palestinienne contre les exactions israéliennes » ! En clair, derrière cette « détermination » à dénoncer la guerre, partout dans le monde, toute la gauche et l’extrême gauche appellent les exploités à rejoindre un camp, celui du nationalisme palestinien, contre l’oppression des masses palestiniennes par l’impérialisme hébreu. Ce terrain est celui du capital, celui de la confrontation entre puissances impérialistes : israélienne, palestinienne, européenne, iranienne, américaine… Toutes ces confrontations, issues des coulisses de la diplomatie ou d’offensives militaires, n’ont fait qu’entraîner les prolétaires palestiniens comme israéliens à payer le prix du sang au Moloch impérialiste.

Le Hamas, une organisation bourgeoise…

Qu’Israël soit une puissance bourgeoise guerrière de premier plan, sans états d’âme dans sa domination de territoires occupés depuis des décennies, méprisant et provoquant en permanence une population palestinienne sous le joug, c’est, hélas, une évidence. En imposant une colonisation systématique et expulsant sans vergogne des familles palestiniennes, comme tout dernièrement à Jérusalem-Est, ce qui a mis le feu aux poudres, ou en Cisjordanie, l’État hébreu fait encore une fois la démonstration de sa barbarie criminelle et de sa politique sans scrupule vis-à-vis des Palestiniens comme vis-à-vis de ses propres ressortissants arabes israéliens.

Mais qu’en est-il des factions bourgeoises palestiniennes de l’OLP, du Fatah, du Hezbollah ou du Hamas ? Qu’en est-il de la foire d’empoigne entre ces différentes factions pour regagner une légitimité politique et se présenter comme l’interlocuteur incontournable avec lequel Israël doit traiter ? Les experts bourgeois les plus policés constatent eux-mêmes que la stratégie du Hamas consistant à tirer des roquettes sur Israël, alimentant ainsi la riposte de Tsahal, est clairement une tactique en vue de discussions et négociations avec Israël pour des intérêts vulgairement impérialistes.

… tout comme les organisations gauchistes !

Mais pour l’extrême gauche du capital, les trotskistes de Lutte Ouvrière (LO) par exemple, l’analyse est beaucoup plus spécieuse. Ainsi, même si LO, usant comme toujours d’un langage faussement radical, affirme que « les dirigeants israéliens et palestiniens conduisent leurs peuples dans une impasse sanglante, avec la complicité des puissances impérialistes », elle s’empresse, pour amener à justifier insidieusement à soutenir un camp (le plus « faible » face au plus « fort »), d’ajouter cette perfidie : « Renvoyer les deux camps dos à dos, alors qu’un État prétendument démocratique et surarmé s’acharne à détruire un territoire déjà dévasté, c’est accepter la loi du plus fort. Et c’est surtout tourner le dos à la révolte mille fois légitime des Palestiniens ! […] Si les Palestiniens ont pour ennemi l’État israélien, ils ont le Hamas pour adversaire ».

Les organisations libertaires ne sont pas en reste et en rajoutent une couche. Pour l’Organisation Communiste Libertaire (OCL), « Face au déchaînement de violence orchestré par un régime israélien en pleine crise politique, porté par un Netanyahou à bout de souffle et prêt à sacrifier les Palestiniens pour assurer sa pérennité au pouvoir, les condamnations timorées (ou pire, les déclarations renvoyant Israéliens et Palestiniens dos à dos) ne suffisent pas. Le droit international doit être appliqué ». On ne saurait être plus clair !

Ce genre de pirouettes appelant au « droit international », terrain du panier de crabes bourgeois par excellence, considérant l’un des camps barbares comme « ennemi » et l’autre comme « adversaire » ou même « ami », sont l’expression même de leur contribution ouverte à la défense d’un camp impérialiste contre un autre, un appel à la confrontation sur le terrain bourgeois le plus pourri qui soit. Cette logique nationaliste de tous les partis gauchistes ne s’exprime pas seulement dans leurs appels à une fausse solidarité lors des manifestations, elle se poursuit en appelant carrément la classe ouvrière à lutter, faire grève, « exiger ensemble la fin de l’impérialisme et le droit à l’auto-détermination des Palestiniens », c’est-à-dire détourner l’arme de la lutte contre la classe ouvrière elle-même. On a ainsi pu voir les dockers italiens du port de Livourne refuser l’embarquement d’un bateau chargé d’armes et explosifs à destination d’Israël.

Si cette action peut paraître relever de ce que la classe ouvrière devrait faire face à la guerre, en réalité les syndicats et la gauche ont entièrement piloté cette action dans le but avoué de soutenir la « cause palestinienne ». (1)

Les prolétaires n’ont pas de patrie !

L’idéologie nationaliste est l’antithèse même du terrain prolétarien, de la défense intransigeante de l’internationalisme faisant valoir la solidarité de tous les exploités du monde entier. Ce fut exactement la même logique lorsque la social-démocratie trahit la classe ouvrière en 1914 : rejet de l’internationalisme prolétarien et appel chauvin à la participation du prolétariat à la Première Guerre mondiale contre « le militarisme allemand » pour les uns, ou « l’autocratie russe » pour les autres. Le XXe siècle a ainsi été un siècle des guerres les plus atroces de l’histoire humaine. Jamais aucune d’entre elles n’a servi les intérêts des ouvriers. Toujours, ces derniers ont été appelés à se faire tuer par millions pour les intérêts de leurs exploiteurs, au nom de la défense de « la patrie », de « la civilisation », de « la démocratie », voire de « la patrie socialiste » (comme certains présentaient l’URSS de Staline et du goulag).

Depuis lors, tous les trotskistes et anarchistes officiels ont persisté et signé : lors de la guerre d’Espagne, de la Seconde Guerre mondiale, lors de la guerre d’Algérie, du Vietnam, et bien d’autres encore… En l’occurrence, lors des multiples conflits qui ont ravagé le Moyen-Orient depuis plus de 50 ans, ils ont appelé systématiquement les prolétaires à se battre pour la « satisfaction de l’ensemble des droits nationaux et démocratiques des Palestiniens » et permettre une « solution juste » au conflit ! Comme si la décomposition du monde capitaliste, son chaos grandissant tous les jours, sa barbarie guerrière à tous les niveaux, le militarisme grandissant des grandes puissances et des seconds couteaux régionaux, tous impérialistes, pouvaient déboucher sur une « solution juste » ! Dans cette région du monde rongée par la guerre depuis des décennies, comme dans chaque épisode guerrier partout dans le monde, il ne peut y avoir de solution dans le cadre du capitalisme !

Où se trouvent donc les intérêts de la classe ouvrière, celle en Israël, juive ou arabe, celle en Palestine, celle des autres pays du monde ? Les ouvriers juifs exploités en Israël par des patrons juifs, les ouvriers palestiniens exploités par des patrons juifs ou arabes vivent les mêmes conditions de travail et ont chacun le même ennemi : le capitalisme. Tout comme les ouvriers du monde entier !

Face à la folie guerrière subie depuis des décennies par les ouvriers israéliens et palestiniens, le prolétariat des « grandes démocraties » ne doit prendre le parti d’aucun camp contre un autre. La meilleure solidarité qu’ils puissent leur apporter ne consiste certainement pas à encourager leurs illusions nationalistes mais à développer le combat contre le système capitaliste responsable de toutes les guerres. Face au chaos grandissant à l’heure actuelle dans tout le Proche-Orient, la classe ouvrière ne pourra conquérir la paix qu’en renversant le capitalisme à travers la lutte internationale du prolétariat.

Contre le nationalisme, contre les guerres dans lesquelles veulent vous entraîner vos exploiteurs : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Alfred, 7 juin 2021

1) Solidarité Ouvrière internationaliste (14 mai 2021).

 

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  • Palestine [5]

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Conflits impérialistes

Élections régionales: Le vote ou l’abstention ne sont pas des expressions de la conscience ouvrière

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Les dernières élections régionales en France ont vu un niveau d’abstention record à près de 70 % et même plus de 80 % dans certaines banlieues de grandes métropoles comme à Vaulx-en-Velin (Rhône) avec 88 % d’abstention, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ou à Roubaix (Nord), etc. Un record depuis le début de la Ve République. Ce niveau d’abstention s’est d’ailleurs maintenu entre le premier et le deuxième tour, malgré les appels culpabilisants à plus de « responsabilité » de la part des électeurs.

Certes, ce type d’élection n’a jamais vraiment fait recette dans les urnes ni mobilisé les foules. Mais un tel niveau d’absention est clairement l’expression d’une indifférence de l’ensemble de la population, et particulièrement de la classe ouvrière vis-à-vis des principales forces politiques de la bourgeoisie, doutant très fortement de la capacité de ces élections à changer quoi que ce soit aux conditions de vie des exploités. Après plus d’un an de crise sanitaire mondiale, de forte aggravation de la situation économique avec de lourdes conséquences, notamment sur l’emploi et la précarité accrue, la perspective de voir telle ou telle clique politicienne bourgeoise tenir les rênes des régions n’était pas un stimulant suffisant pour retrouver les isoloirs. C’est une confirmation de plus d’un processus de désaffection électorale qui se vérifie globalement depuis la fin des années 1960.

Déjà, Mai 68 avait vu émerger le slogan « élections piège à cons », sans pour autant décrédibiliser tout le jeu électoral lors des décennies suivantes. En mai 1981, l’élection de Mitterrand avait redonné du tonus à l’illusion de la « transformation » de la société par les urnes. Il n’avait pas fallu longtemps pour que la réalité de la rigueur et des attaques contre la classe ouvrière reprennent leur droit. L’alternance entre la gauche et la droite a l’avantage pour la bourgeoisie de simuler un enjeu pour les échéances électorales, mais elle a aussi l’inconvénient de montrer, sur le terrain, que droite et gauche gèrent peu ou prou les affaires de la même façon. De fait, depuis trente ans que la gauche et la droite se succèdent au pouvoir ou y cohabitent, la condition ouvrière n’a fait que se dégrader toujours plus. L’érosion du processus électoral s’est ainsi poursuivie pour aboutir à cette abstention record d’aujourd’hui.

C’est un signe clair d’une fragilisation de la bourgeoisie, de ses partis et de son jeu politique. Pendant très longtemps, et plus particulièrement depuis la fin des années 1960 et le retour de la classe ouvrière sur la scène de l’histoire, les élections, partout dans le monde, ont permis à la classe dominante d’éviter que le capitalisme soit mis en accusation. Pourtant, la désaffection des urnes ne signifie pas pour la classe ouvrière une plus grande conscience de la nature de la démocratie bourgeoise.

La persistance du mythe démocratique

S’il y a un plus grand désaveu électoral aujourd’hui, ce serait une grave erreur de faire dire à cette abstention ce qu’elle ne dit pas. Qu’elle soit l’expression d’une déconnexion entre la classe politique, les institutions démocratiques, d’une part, et la classe exploitée, d’autre part, c’est un fait, mais elle n’est pas, en soi, une preuve de plus grande maturité et conscience politique de la classe ouvrière. L’écœurement généralisé face aux attaques, mensonges, magouilles et tractations politiciennes de toutes les cliques bourgeoises, amène à l’érosion et la désaffection du processus électoral mais ne signifie en rien une remise en cause de l’idéologie démocratique qui reste encore aujourd’hui extrêmement forte.

Au-delà de la compréhension croissante de la futilité et de la stérilité du processus électoral, la classe ouvrière doit prendre conscience que c’est avant tout la question de la démocratie bourgeoise comme système de défense du capitalisme qui constitue un obstacle de premier ordre contre la pleine expression de sa force politique révolutionnaire. Toute la vie sociale dans le capitalisme est organisée par la bourgeoisie autour du mythe de l’État protecteur sous sa forme « démocratique ». Ce mythe est fondé sur l’idée mensongère suivant laquelle tous les citoyens sont « égaux » et « libres » de « choisir », par leur vote, les représentants politiques qu’ils désirent. Le parlement est présenté comme le reflet de la « volonté populaire », présenté comme un acquis de haute lutte par la classe ouvrière elle-même. C’est ainsi que la bourgeoisie s’appuie sur l’histoire de mouvement ouvrier en rappelant les luttes héroïques du prolétariat pour conquérir un droit qui, à l’époque du capitalisme ascendant, représentait un progrès favorisant des réformes durables, mais qui, dans sa phase de déclin, est devenu un instrument mystificateur et réactionnaire aux mains de l’État bourgeois.

La puissance de cette idéologie démocratique se confirme aujourd’hui dans le fait qu’une majeure partie des abstentionnistes eux-mêmes considère encore le droit de vote comme un recours de premier plan contre la « dictature », le « fascisme » et, paradoxalement, qu’il faut préserver cette liberté d’expression par les urnes.

Aussi, tout est déjà sur la table des officines bourgeoises pour tenter de régénérer l’institution électorale, recrédibiliser cette mystification démocratique. L’extrême gauche trotskiste et le milieu anarchiste qui n’ont généralement pas de mots assez forts pour critiquer le cirque électoral et la « politique politicienne » de la bourgeoisie et de son État, participent cependant pleinement à ce concert pour essayer de renforcer l’illusion démocratique ;

– l’organisation trotskiste Lutte Ouvrière (LO) se targue encore une fois d’un score « honorable », se faisant forte de comptabiliser des « voix révolutionnaires ». LO a, une nouvelle fois, apporté sa pierre au maintien de l’édifice démocratique cher à l’État bourgeois.

– Les anarchistes, quant à eux, prônent l’abstention et en font un prétendu « tremplin » pour les luttes puisqu’ « il semblerait que le slogan “Élection, piège à cons”, soit de moins en moins d’actualité […] parce que l’abstention est devenue un phénomène viral et on peut s’en féliciter ». Ainsi, « le dégoût des politiciens traduit par cette abstention doit maintenant se transformer en colère et en luttes sociales ». (1)

L’extrême gauche, trotskiste ou anarchiste, confirme bien là, sa place active dans l’arsenal des forces politiques de la bourgeoisie et sa contribution à maintenir vivante l’idée que le principe électoral n’est pas mort, qu’il est même le meilleur reflet des positions politiques de la population et que l’on peut le faire parler comme un « mètre-étalon » de la conscience ouvrière.

Quelle conséquence pour la bourgeoisie française ?

La bourgeoisie ne peut que constater le pourrissement de son propre système sur tous les plans, qui n’a fait que s’aggraver au fil des ans, favorisant une tendance à la perte de contrôle de son jeu politique. Les dissensions entre ses partis et personnalités politiques, dans les rangs du gouvernement comme de la droite, de la gauche, de la mouvance écologiste ou de l’extrême droite, ont progressé au point de dresser aujourd’hui le tableau d’une véritable foire d’empoigne. Les leaders politiques, déclarés ou non, pour les élections présidentielles de 2022 sont en piste dans une guerre des chefs qui s’annonce déjà à couteaux tirés !

– Le parti d’Emmanuel Macron, La République en marche, qui avait en 2017 la prétention de « révolutionner » la vie politique en régénérant notamment les dirigeants politiques et en mettant fin aux pratiques politiciennes de « l’ancien monde », a clairement démontré qu’il ne se démarquait en rien des autres fractions de l’appareil politique de l’État. Pire, ce mouvement composé en partie d’individus de la société civile, novices en politique, ou de jeunes hauts-fonctionnaires n’ayant aucune expérience du terrain et de l’arène politique, a fait preuve à plusieurs reprises, comme lors de la crise sanitaire, de tergiversations, de manque de discernement et de sens politique, jouant un rôle dans le discrédit déjà important de cette nouvelle force politique, discrédit déjà entamé après des attaques importantes contre la classe ouvrière, en particulier dans les deux premières années de pouvoir, et toutes sortes d’affaires (Benalla, Ferrand, etc.).

– À gauche, les multiples officines social-démocrates, staliniennes ou écologistes tentent de survivre pour les uns ou faire valoir leurs spécificités pour les autres, dans une débauche de listes concurrentes, d’appels ou de tribunes où le chacun pour soi est de mise. Si la candidature commune semble la seule configuration permettant à la gauche de prétendre reprendre la direction de l’exécutif, celle-ci est loin d’être acquise tant les divisions entre le Parti socialiste, l’EELV et le PCF demeurent fortes à l’échelle nationale.

– Si la droite est parvenue à faire bonne figure en remportant sept régions, à l’image de leurs principaux chefs de file tels que Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, le plus dur reste à faire tant cette fraction reste également gangrénée par des luttes intestines qui avaient déjà handicapé Les Républicains lors des dernières élections présidentielles. La « droite la plus bête du monde » ne pourra pas jouer un rôle majeur en vue des prochaines élections présidentielles si elle n’est pas en mesure de mettre un terme à cette guerre d’ego en faisant émerger un candidat crédible ayant le soutien de l’ensemble du « parti de l’ordre ».

– A l’extrême droite, la dédiabolisation de Marine Le Pen n’a pas eu l’effet escompté sur son électorat qui attendait un positionnement plus cinglant et identitaire. Cet échec électoral d’un parti aux ambitions clairement affichées va aiguiser des confrontations déjà violentes au sein même de la direction du parti. L’éventuelle candidature d’Éric Zemmour est une expression de ces dissensions et il y a fort à parier que les parties les plus éclairées de la classe dominante poussent la « star » des plateaux de la chaîne CNews à présenter sa candidature afin de disperser l’électorat populiste et ainsi affaiblir Marine Le Pen et le Rassemblement national.

Ce sont très clairement ces rivalités d’intérêts et non de convictions, cette décomposition idéologique, ce déballage politicien, déconnecté de la vie réelle des exploités, à mille lieues de la satisfaction de leurs besoins, mais au contraire intéressés à leur faire payer davantage l’aggravation de la crise, qui est une raison majeure de la désaffection électorale actuelle et qui, au lieu de les pousser à combattre le capitalisme, tend au contraire à les inciter au repli, au rejet, au chacun pour soi. Par conséquent, ces élections régionales confirment la difficulté accrue de la bourgeoisie pour imposer la fraction politique la mieux à même de participer à la gestion du capital national et, de manière plus générale, de la société. Cependant, si dans un contexte de fortes dérives populistes, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir ne peut être écartée, et ce malgré les scores relativement faibles du RN lors de ces élections, il ne faut pas sous-estimer la capacité de la bourgeoisie à mettre en œuvre des stratégies lui permettant de laisser l’exécutif entre les mains des fractions les plus intelligentes. L’alliance entre le candidat Les Républicains, Renaud Muselier et LREM en région PACA en est un exemple.

D’autre part, l’abstention ne signifie nullement que le prolétariat puisse tirer profit de la situation et donner une autre orientation politique que celle imposée par la bourgeoisie. Au contraire, dans un premier temps, contrairement à ce que veulent nous faire croire libertaires et autres gauchistes, la bourgeoisie va utiliser cette situation pour tenter de remobiliser sur le terrain électoral des prochaines présidentielles, avec la remise en avant d’un « enjeu » autrement plus conséquent que l’élection de conseillers régionaux. Mais le résultat sera le même et c’est un constat que chaque prolétaire peut faire de sa propre expérience de participation à la mascarade électorale ; depuis la fin des années 1920 et jusqu’à aujourd’hui, quel que soit le résultat des élections, c’est finalement toujours la même politique anti-ouvrière qui est menée.

En définitive, à l’opposé des élections bourgeoises, quelles qu’elles soient, le terrain de la lutte prolétarienne est la seule possibilité pour faire émerger la conscience ouvrière, pour permettre une véritable confrontation avec la classe dominante, pour en finir avec un système capitaliste qui mène l’humanité à la barbarie.

Fro. D, 3 juillet 2021.

1) Alternative libértaire (juillet 2021).

 

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [6]

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  • Elections Régionales [7]

Rubrique: 

Vie politique de la bourgeoisie

Que signifie le phénomène de “l’uberisation” des travailleurs?

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Lors de nos deux dernières permanences en France, celles des 27 mars et 12 juin derniers, un des thèmes centraux portait sur la nature révolutionnaire du prolétariat. Outre l’article bilan qui avait permis de rendre compte de ces débats, (1) nous nous étions engagés à traiter d’un questionnement plus particulier soulevé par les participants et par des contributions écrites. (2) L’article ci-dessous reprend et prolonge toute une réflexion en cours d’élaboration en intégrant bon nombre d’éléments apportés par la discussion à propos du phénomène de l’ « uberisation ». Outre les éclairages apportés, s’appuyant en partie sur les apports des débats, l’article ci-dessous s’efforce de replacer les problématiques dans un cadre historique en s’appuyant sur les bases du marxisme et l’expérience du mouvement ouvrier. De notre point de vue, cet effort doit permettre d’aider à donner un cadre politique afin de poursuivre la réflexion et la clarification. De ce fait, l’article est à nos yeux davantage une contribution qu’une réponse définitive aux questions soulevées.


Dans les années 2000 apparaît une nouvelle forme d’entreprise aux États-Unis, portée notamment par la plateforme de réservation de voitures avec chauffeurs : Uber. Rapidement, d’autres entreprises naissent ou se transforment sur la base de ce modèle, formant un phénomène qui sera rapidement appelé « uberisation ». Certains y voient la capacité du capitalisme à évoluer pour s’adapter aux nouvelles technologies et en tirer le meilleur, d’autres s’alarment de la destruction que le modèle opère sur la relation de travail contractuelle, autrement dit, sur le salariat.

Pour le CCI, il ne fait aucun doute que ce modèle est une tentative de générer de nouvelles activités fructueuses en utilisant judicieusement les moyens apportés par Internet et en recherchant par ce biais une flexibilité toujours plus grande du travail et un coût le plus bas possible. Aujourd’hui en effet, nous croisons tous les jours ces « nouveaux » travailleurs, livreurs à vélo, chauffeurs « VTC », etc.

Pour autant, ces travailleurs ne sont pas stricto sensu des salariés. Ils possèdent au moins en partie leur outil de travail (le vélo, la voiture, etc.), ils ne sont pas liés à leur plateforme par un contrat de travail mais lui vendent une prestation. En France, ils ont en général le statut d’ « entrepreneur indépendant ». Cela soulève des questions fondamentales : ces travailleurs, quelle que soit leur condition économique, font-ils partie de la classe ouvrière ? Leurs luttes peuvent-elles contribuer à l’effort de la classe pour combattre et résister à l’exploitation ?

Les travailleurs uberisés font partie de la classe ouvrière

D’un premier abord, le caractère prolétarien de ces travailleurs est protéiforme. D’un côté, les jeunes livreurs à vélo n’ont souvent que cette activité pour survivre. D’un autre côté, certains chauffeurs de VTC arborent fièrement leurs grosses cylindrées et se rêvent ouvertement comme « leur propre patron ». Le fait est que nous ne sommes pas face à un secteur « homogène » comme pourraient l’être celles des cheminots, des enseignants, des ouvriers du textile, etc. Au-delà de cette hétérogénéité réelle, nous savons bien que « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience ». (3) Le fait qu’un « VTC » se rêve en patron ne fait pas de lui un bourgeois ou un petit-bourgeois. En revanche, le fait qu’il le soit matériellement, oui.

Les travailleurs indépendants des plateformes sont-ils donc matériellement des patrons ? Nous pourrions, pour répondre à cette question, nous baser sur les rapports juridiques qui les lient à leur plateforme. Comme nous l’avons exposé, ces travailleurs ne sont pas salariés, ils vendent une prestation comme n’importe quel artisan le fait à ses clients. La seule différence ici est que cette vente s’inscrit dans une relation triangulaire entre un prestataire, un vendeur et un acheteur, relation qu’on retrouve par ailleurs dans les secteurs du transport (agences de voyage), le courtage, etc.

Le travailleur n’a donc pas de dépendance juridique vis-à-vis de la plateforme. Il est juridiquement libre. Cependant, les rapports juridiques ne suffisent pas à analyser ce type de relation. Dans son examen de la naissance et du développement du capitalisme, Marx souligne la nécessité de tenir compte des rapports de production dans la relation entre le capital et le travail. Dans ce cadre, il identifie sur un plan historique deux phases : la domination formelle du capital, puis sa domination réelle. (4)

Dans la domination formelle, nous retrouvons les premières concentrations capitalistiques, les manufactures, qui précèdent l’ère industrielle, dans le domaine du textile particulièrement. Dans cette première évolution des rapports de production du capitalisme, les travailleurs restent plus ou moins dépendants du capital. Ils gardent encore, pour bon nombre d’entre eux, leur outil de travail et, à partir de la matière première fournie par le capitaliste, réalisent un produit qu’ils vendent au même capitaliste. Le cas le plus connu concerne le secteur du textile, comme celui des tisserands de Silésie évoqué par Marx en 1844, ou les premiers canuts lyonnais. Ces derniers sont détenteurs de leur propre métier à tisser et produisent des pièces de soie pour le compte d’un fabricant. Ils travaillent donc « à la pièce » ou « à la commande ».

Cette relation de travail « pré-capitaliste » s’apparente aujourd’hui, par analogie, à la relation entre le travailleur indépendant et sa plateforme de commande : le travailleur n’est juridiquement pas dépendant du capitaliste, mais reste dépendant de lui économiquement. Marx expose deux caractéristiques de ce rapport : « 1. un rapport économique de domination et de subordination, du fait que le capitaliste consomme désormais la force de travail, donc la surveille et la dirige ; 2. une grande continuité et une intensité accrue du travail ». (5)

Dans ce cadre également, les premiers travailleurs du textile étaient obligés eux-mêmes de s’imposer des horaires prolongés pour faire face à la concurrence d’autres ouvriers exploités dans de plus grandes concentrations. Comment ne pas voir certaines de ces caractéristiques chez le chauffeur ou le livreur Uber ou autres ? Celui-ci n’a pas d’autre moyen pour travailler que d’attendre les commandes de sa plateforme. Pas d’autre moyen d’augmenter ses revenus que d’augmenter toujours plus son temps de travail (par exemple, pour un livreur de pizzas en multipliant ses courses journalières). La plateforme est donc l’unique ordonnateur, contrairement à ce qui se passe pour un artisan ou une entreprise de transport, qui peut générer de l’activité en dehors des agences ou des courtiers. Qui plus est, la dépendance économique est totale quand on sait que la plateforme fait reposer ses commandes sur des algorithmes favorisant les travailleurs les plus disponibles, les plus rapides et peut de son propre chef « désactiver » un travailleur ne donnant pas satisfaction. Cela, en poussant au paroxysme la concurrence au mépris de la santé des travailleurs. Enfin, c’est la plateforme qui s’octroie la plus grande partie de la plus-value générée par l’activité. Le travailleur perçoit un paiement fixe pour chaque commande.

Nous voyons donc que si la soumission du travailleur à la plateforme ne repose pas sur un lien juridique tangible, cette soumission en prend néanmoins toutes les formes sur le plan économique. Il n’est donc pas contestable que ces travailleurs fassent partie de la classe ouvrière, bien que leur exploitation ne soit pas consacrée par un contrat salarial.

Les travailleurs uberisés sont-ils les nouveaux fers de lance de la lutte de classe ouvrière ?

Le statut de ces travailleurs leur confère, par ailleurs, une grande précarité et les soumet à une sur-exploitation. Ils font sans doute partie, avec les chômeurs, des prolétaires les plus touchés par les effets de la crise du capitalisme. Il serait donc tentant de penser que cette situation infligée par le capital est à même de développer chez eux une combativité plus grande par rapport à celle d’autres fractions du prolétariat dont le statut serait plus « protecteur ». Par ailleurs, cette confrontation brutale aux effets de la crise économique pourrait les amener à comprendre plus rapidement que les autres secteurs du prolétariat, que le capitalisme n’a pas d’issue à offrir à l’humanité. Après tout, leurs prédécesseurs canuts ou tisserands de Silésie n’ont-ils pas mené ce qu’on considère comme les premières luttes « anticapitalistes » de l’histoire ?

Cependant, si beaucoup de choses rapprochent les travailleurs indépendants d’aujourd’hui de ceux du XIXe siècle, beaucoup de choses les séparent également. Au XIXe siècle, cette forme de relation entre le capital et le travail préfigurait la relation qui allait dominer la production capitaliste, c’est-à-dire le salariat porté par le développement du machinisme et de l’industrie. Aujourd’hui, l’uberisation résulte de l’impasse de la crise économique et de la nécessité de trouver de « nouvelles » formes d’exploitation du travail. Au XIXe siècle, les canuts, par exemple, étaient parmi les travailleurs les plus qualifiés et donc les mieux rémunérés au sein des manufactures. Aujourd’hui, les travailleurs des plateformes numériques sont parmi les plus précaires des prolétaires.

Par ailleurs, le développement du mode de production capitaliste a conduit à une division du travail extrême au sein des fabriques, rendue à la fois possible et nécessaire par le développement du machinisme et de la technologie. Cette division du travail provoque une « socialisation en masse du travail par le capitalisme ». (6) Comme le dit Marx, « le caractère coopératif du procès du travail devient donc maintenant une nécessité technique dictée par la nature du moyen de travail lui-même ». (7)

Ainsi, le capitalisme n’a eu de cesse depuis deux siècles de développer une production basée sur le travail associé, détruisant progressivement les rapports de production basés sur la domination formelle du capital sur le travail. L’uberisation opère une dynamique inverse, atomisant les travailleurs les uns par rapport aux autres, les mettant en concurrence brutale pour la vente d’une prestation de service.

Or, le caractère associé du travail dans le capitalisme est un élément fondamental de l’identité de la classe ouvrière, un caractère permettant aux prolétaires de prendre conscience qu’ils subissent les mêmes conditions d’exploitation et ont donc le même intérêt à le combattre. En d’autres termes, le travail associé est un déterminant essentiel du développement de la conscience de classe et ce déterminant manque cruellement parmi les travailleurs indépendants.

La bourgeoisie tente de valoriser ce modèle en présentant le statut de « travailleur indépendant » comme un statut beaucoup plus « libre » par rapport au salariat et offrant beaucoup plus de perspectives de développer sa propre « affaire ». Cette souplesse a, en effet, permis que le modèle se développe beaucoup aux États-Unis, car il permettait aux nombreux ouvriers ayant besoin d’un deuxième emploi pour subvenir à leurs besoins, d’articuler plus « librement » leur emploi principal avec cette activité annexe. Les illusions de pouvoir s’en sortir par ses propres moyens conduisent à ce que l’idéologie individualiste petite-bourgeoise s’installe durablement parmi ces prolétaires. Cette idéologie s’exprime également à travers les tentatives de créer des entreprises autogérées de livreurs comme Coopcycle, qui se veulent être une alternative « anarcho-communiste » face à la domination sur le marché de grands groupes tels que Deliveroo, Uber Eats et autres.

La grande précarité n’a jamais été un facteur favorable au développement de la combativité et de la conscience ouvrières. Cette précarité s’accompagne d’une extrême insécurité et d’une exacerbation de la concurrence entre travailleurs.

De plus, du fait de l’atomisation dans laquelle ces travailleurs se trouvent au sein de la sphère de production et de leur inexpérience de la lutte de classes, leurs combats demeurent très isolés. Ce qui constitue également un lourd handicap pour se rattacher aux luttes des autres secteurs et s’appuyer sur les acquis historiques de la lutte de la classe ouvrière.

Le CCI a toujours défendu que l’avant-garde du prolétariat se situait au sein des pays où celui-ci a connu le plus grand développement, acquis une expérience du travail associé, des luttes et de leur organisation collective, de ses défaites et des leçons qui peuvent en être tirées. En cela, ce secteur des « travailleurs uberisés » ne peut jouer un rôle moteur pour la lutte générale de la classe ouvrière contre le système capitaliste. Pour autant, ces travailleurs ne sont nullement perdus pour la lutte de classe. Ce rôle ne pourra cependant prendre place que dans un mouvement initié par les fractions les plus avancées et expérimentées du prolétariat qui, par le développement de leur lutte consciente, parviendront à rallier à leur combat l’ensemble de la classe, jusqu’à ses parties les plus faibles.

Il est important que les révolutionnaires aient une analyse lucide de l’état de la classe ouvrière et ne cherchent pas à se consoler des faiblesses actuelles du prolétariat à travers l’espoir de voir le prolétariat dépasser rapidement les difficultés qui pèsent sur sa combativité et sa conscience. La décomposition du système capitaliste ne fait qu’accentuer les difficultés de la classe ouvrière pour reconquérir son identité et renouer avec son projet historique. Toute la classe ouvrière subit le poids de la décomposition, mais il est clair que ses parties les plus faibles restent beaucoup plus vulnérables.

Si les fractions les plus précaires et isolées du prolétariat peuvent faire preuve d’une grande combativité, elles ne présentent pas, par elles-mêmes, une menace réelle pour le capital. Rien dans la situation actuelle ne favorise une quelconque inflexion de cette réalité, au contraire. C’est clairement dans ces fractions que nous devons aujourd’hui classer les travailleurs des plateformes numériques de transport ou de livraison. L’émergence de cette fraction du prolétariat ne saurait déplacer la responsabilité historique qui continue d’être confiée aux fractions les plus expérimentées du prolétariat mondial.

RI, 29 juin 2021

 

1) « Le prolétariat demeure l’ennemi et le fossoyeur du capital » [8], Révolution internationale n° 488 (mai juin 2021).

2) « Les « travailleurs ubérisés » font-ils partie de la classe ouvrière ? » [9], disponible sur le site internet du CCI.

3) Marx, Avant-propos à la Critique de l’économie politique (1859).

4) Nous analysons ces concepts en réponse aux interprétations erronées du milieu politique prolétarien dans notre série d’articles : « Comprendre la décadence du capitalisme », Revue internationale n° 60, (1er trimestre 1990).

5) Marx, Le Capital, Livre 1, chapitre 6 (1867).

6) Lénine, Le développement du capitalisme en Russie (1899).

7) Marx, Le Capital, livre 1, chapitre 13.

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Courriers des lecteurs

Tribune des généraux, manifestation de flics, marche citoyenne… Toutes les forces de la bourgeoisie derrière l’état et sa police

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La pandémie et le confinement ont considérablement accentué les tendances à l’œuvre au sein de la société : accroissement de l’atomisation des individus, exacerbation de la peur de l’autre, absence d’avenir et incapacité accrue à se projeter dans le futur. Tous ces facteurs accentuent le délitement du tissu social et par là même l’exacerbation de la violence : de plus en plus d’enfants battus, d’épouses assassinées, de crimes crapuleux, de lynchage entre bandes de gamins de 15 ans… Les médias font d’ailleurs leurs choux gras de la multiplication de ces faits divers tous plus barbares les uns que les autres.

Face à ce processus mortifère, la réaction au printemps de toutes les forces politiques françaises, de l’extrême droite à l’extrême gauche, a été particulièrement éclairante sur la nature de tous ces partis et sur le seul avenir qu’ils sont capables d’offrir : toujours plus de répression.

L’affaire commence par une tribune fracassante signée par vingt généraux et publiée par la revue Valeurs actuelles le 24 avril : « L’heure est grave, la France est en péril, plusieurs dangers mortels la menacent. […] Aujourd’hui, certains parlent de racialisme, d’indigénisme et de théories décoloniales, […] ils méprisent notre pays, ses traditions, sa culture, et veulent le voir se dissoudre en lui arrachant son passé et son histoire. […] Délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution. […] Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société ».

Tous ces généraux en appellent à frapper dur, à réprimer sec, les « hordes de banlieue », pour « l’honneur du drapeau tricolore ». Il ne peut y avoir de relents plus nauséabonds. Seul le Rassemblement national a donc soutenu cette tribune, tous les autres dénonçant la puanteur de la missive, le gouvernement menaçant même de sanction. Cette fracture publique entre une partie du haut commandement militaire et le gouvernement marque à quel point la division grignote les structures étatiques. La bourgeoisie française, comme toute bourgeoisie nationale, est divisée en fractions concurrentes, mais un minimum de cohésion est nécessaire, et c’est cette unité qu’organise l’État. Que des généraux se permettent une telle sortie signifie que cette unité menace en partie de se fissurer.

Et la réaction de toutes les forces politiques le confirme encore. Car qu’ont-elles fait après avoir dénoncé les généraux « factieux » ? Elles se sont lancées dans la course à l’échalote, pour se prétendre chacune plus républicaine et amie de la police que sa voisine.

Ainsi, le 19 mai, toutes ont participé à la « marche citoyenne pour la police » aux côtés de 35 000 policiers, jusque devant l’Assemblée nationale, pour dénoncer l’augmentation des violences, le laxisme de la Justice et surtout, demander une réponse pénale plus ferme à l’encontre de leurs agresseurs… Droite, gauche, écologistes sont donc venus réclamer une justice toujours plus répressive en soutien au bras armé de l’État.

Tous ? Non ! Mélenchon et la France Insoumise ont catégoriquement refusé de participer à cette marche, dénonçant le côté « factieux » des revendications qui opposent une partie de l’État à une autre, qui oppose ministère de l’Intérieur et ministère de la Justice. Et d’organiser une autre marche citoyenne et « alternative ». Pourquoi ? Il suffit de lire : « Nous voulons réformer la police nationale de la cave au grenier et ne cesserons pas de faire des propositions en ce sens : police de proximité pour recréer les liens police population, suppression de l’IGPN et création d’un organe de contrôle indépendant, dissolution des BAC et renforcement de la police judiciaire pour démanteler les réseaux, paiement des heures supplémentaires dues, limitation des contrôles d’identité et mise en place d’un récépissé, plan de rénovation des commissariats, création de nouvelles écoles de police et passage de la formation à deux ans, valorisation des agents administratifs et scientifiques, mise en œuvre de la désescalade dans la gestion du maintien de l’ordre, etc. Rien de tout cela n’est à l’ordre du jour de cette manifestation. Nous n’irons donc pas puisque nous sommes pour une véritable police nationale républicaine de proximité au service de l’intérêt général et du peuple français ». La France Insoumise joue là parfaitement sa partition d’unité, de solidarité et de luttes communes en soutien au… capital ! À l’image de la social-démocratie qui a écrasé dans le sang la révolution allemande en 1919, assassinant des milliers d’ouvriers, dont Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, le programme sécuritaire de la France Insoumise à de quoi rassurer la classe dominante. La gauche du capital saura diriger les forces de l’ordre « de pro­ximité » et ordonner la répression la plus violente si cette force politique est amenée à diriger un jour l’appareil d’État. La France Insoumise, comme les autres fractions de gauche, sauront garantir l’ordre social bourgeois. N’ayons aucune illusion, elles sont et demeurent les chiens de garde du capital !

Le capitalisme n’a pas de solution à apporter au pourrissement de sa société, si ce n’est plus de flics, plus de répression, plus de division pour toujours plus de violence et de terreur. La seule voie possible pour lutter contre la violence de la société capitaliste, sous toutes ses formes, c’est la solidarité de classe, dans la lutte, prémices d’une autre société enfin humaine.

Sabine, 24 juin 2021

Situations territoriales: 

  • Vie de la bourgeoisie en France [6]

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Vie politique de la bourgeoisie

Conflits au Sahel: L’impérialisme français condamné à la débandade ou à l’enlisement

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La situation au Sahel est marquée par deux événements d’actualité rappelant brutalement les difficultés colossales dans lesquelles baigne l’impérialisme français : d’un côté, au Mali où deux coups d’État se sont produits à neuf mois d’intervalle au nez et à la barbe des forces de l’opération Barkhane déployées sur place ; d’un autre côté, la mort subite (« au combat ») d’Idriss Déby, tyran tchadien dont le pays constitue le pilier principal du dispositif militaire français en Afrique. Ces deux événements sont arrivés au moment où la France est face à un dilemme : l’enlisement jusqu’au cou ou la débandade humiliante.

Face à cette situation, le président Macron tergiverse et se noie dans ses incohérences habituelles en politique africaine : devant les médias il décrète « la fin de l’opération Barkhane » tout en prétendant vouloir en créer une autre appelée « Takuba » en y associant ses « partenaires » européens et africains, alors que ce « machin » existe déjà depuis 2018. La versatilité de Macron a été sévèrement jugée au sein même de l’armée française comme le prouve la réaction de ce général cité par la presse : « On peut difficilement demander à nos partenaires européens de nous venir en aide au Mali et, en même temps, donner le signal que la France retire ses billes ».

Mais plus ouvertement encore, c’est la presse de l’Afrique occidentale qui se moque de l’attitude du président français : « En attendant un enterrement de première classe, ou d’une inhumation dans l’intimité familiale, la force Barkhane vient, après une lente agonie, de pousser son dernier soupir (cette opération militaire a remplacé en 2014 l’opération Serval, lancée deux ans plutôt au Mali pour combattre les groupes terroristes). […] La force française, forte de 5 100 hommes, dont 50 ont été avalés par le sable chaud du Sahel, aura affronté le danger des canons des djihadistes au quotidien, mais aura surtout souffert de ce sentiment anti-français qui ne cesse d’enfler, au point de constituer un gros caillou dans les rangers des “Macron boys”. Mais la force Barkhane a pris un autre plomb dans l’aile : la majorité des Français la désavoue, parce que budgétivore et dévoreuse des “enfants de la patrie”, à des milliers de kilomètres de la France ». (1)

« Agacé par l’idée de la perte du verrou malien et, au-delà, de tout l’espace sahélien, et constatant son impuissance à influencer sur les événements, Emmanuel Macron en vient à proférer des menaces ». (2)

Toutes ces réactions mettent le doigt sur l’impuissance et le désarroi de la bourgeoisie française dans sa politique militaire et dans ses orientations politiques où elle perd de plus en plus le contrôle de la situation.

C’est ainsi que, lassée de la persistance sans fin du chaos et du blocage du pays à tous les niveaux (militaire, économique, politique), une partie de l’armée malienne, dirigée par le colonel Assimi Goïta, a renversé le gouvernement civil en octobre dernier en promettant d’instaurer un nouveau gouvernement civil au bout d’une période de transition (de 18 mois). Au bout de 9 mois de palabres et l’annonce de la composition du futur gouvernement, le même colonel a repris les choses en main, le 24 mai (deuxième coup d’État), sous prétexte que ses proches y étaient mal représentés. Et ayant eu satisfaction avec la nomination du premier ministre de son choix, le colonel putschiste s’est réengagé dans le processus de transition en obtenant au bout du compte l’agrément des pays voisins regroupés au sein du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), mais pas celui de la France dont pas un seul dirigeant ou diplomate n’a soutenu publiquement ses orientations pour l’avenir du Mali. Voilà une expression du profond discrédit de l’autorité de l’impérialisme français dans ces pays qu’il prétend défendre contre le terrorisme islamique depuis plus de 8 années.

Face à l’échec flagrant de sa politique interventionniste au Mali, Macron et son gouvernement tâtonnent quant à la ligne à suivre dans la « lutte anti-djihadiste ».

L’impérialisme français assoiffé de sang

Pour tenter de jouer son rôle de « gendarme » dans un Sahel déjà à feu et à sang depuis l’intervention de la France au Mali en 2013, les interventions militaires françaises sont de plus en plus orientées vers des pratiques d’assassinats ciblés, en utilisant des drones tueurs, des avions de chasse ou des commandos spécialisés en la matière.

Mais ces interventions visant à « liquider » les chefs des groupes terroristes font surtout de sanglantes « bavures » au sein de la population civile. Ainsi en janvier 2021, au Mali, une centaine de personnes s’étaient rassemblées dans un village pour célébrer un mariage et le banquet allait être servi lorsque des avions de chasse français ont surgi et lâché leurs bombes dans la foule, massacrant 22 personnes et mutilant de nombreuses autres victimes. Les témoignages des familles des victimes glacent le sang : « Les gens ramassaient les bras, les jambes et les têtes arrachés, ils les jetaient dans un trou et les enterraient » ;  « Ce n’étaient pas des djihadistes. Personne n’avait d’arme, même pas un couteau » ; « Nous étions en train de célébrer un mariage. Ils sont venus en avion puis nous ont bombardés ». (3)

L’État français a eu beau arguer que ce raid aérien avait touché uniquement des « terroristes » (ce qui a été formellement contredit par une enquête de l’ONU), il ne fait aucun doute que l’affaiblissement de son influence dans l’un de ses anciens pré-carrés le pousse à commettre les crimes les plus abjects et odieux pour maintenir sa présence impérialiste, commerciale et militaire.

En fait, l’armée française a commencé ses sales « bavures » dès le début de son intervention au Mali. Officiellement, on dénombre quelque 8 000 victimes civiles dans cette boucherie à laquelle participe activement l’ancienne puissance coloniale. Mais, après 8 ans de guerre, les islamistes sont loin d’être vaincus. Bien au contraire ! Les odieuses attaques des criminels djihadistes se développent de plus en plus au Mali, au Burkina, au Niger et dans la moitié des pays de la région, où des milliers d’écoles sont fermées du fait que les enseignants et les élèves sont pris pour cibles et risquent leur vie dans leurs salles de classe.

Dans ce contexte, il n’est même plus question de « chasser les groupes islamistes », pas plus que de « réinstaurer l’État de droit » ou de « sécuriser la population », comme le prétendait mensongèrement le président Hollande. Il s’agit désormais de négocier avec les djiadistes « les moins sanguinaires ». En réalité, l’impérialisme français se soucie comme d’une guigne des populations civiles ; il cherche d’abord et toujours à défendre ses sordides intérêts de puissance dans la région, quitte à perpétrer cyniquement et tenter de justifier d’autres crimes et tueries, tels le bombardement de populations civiles.

On appréciera ainsi les piteuses tentatives de justification, d’une hypocrisie des plus consommées, lorsque l’actuel président français déclare avec un aplomb presque touchant : « la France n’a aucun intérêt au Mali, aucun calcul politique ou économique » !

Le poids de la décomposition sur l’appareil politique français

L’enlisement de l’impérialisme français au Sahel s’explique d’abord et avant tout dans le cadre de la décomposition du capitalisme, dont l’une des manifestations frappantes est le caractère de plus en plus irrationnel des politiques menées par les représentants de la bourgeoisie à la tête de l’État.

Barkhane est une intervention très coûteuse économiquement (un milliard d’euros par an) et humainement (l’extension du conflit et des victimes et la généralisation de la misère) qui se poursuit sans objectif visible et sans fin. Pourquoi alors un tel aveuglement des gouvernements français successifs dans leur politique au Sahel ?

Une des réponses crédibles à cette question se trouve dans la thèse de l’un des anciens stratèges de l’impérialisme français, Dominique de Villepin, (4) selon laquelle, au sein de la bourgeoisie française, persiste ce courant délirant pour qui déclarer la guerre donne l’illusion de mettre à distance l’ennemi djihadiste, alors que, face au terrorisme, la puissance militaire hégémonique de la France est totalement dans l’impasse : quand elle avance, elle s’expose et cristallise tous les ressentiments contre elle ; quand elle se retire, elle aiguise les appétits de ses concurrents.

Mais si l’échec de sa politique « antiterroriste » au Sahel est flagrant, en revanche la bourgeoisie française s’en sert efficacement sur son territoire. Ainsi, la politique contre le terrorisme islamique sert de plus en plus ouvertement à justifier une politique ultra-sécuritaire et répressive, c’est-à-dire susciter la peur pour pousser la population derrière l’État « protecteur » et ses flics, en particulier quand les attentats terroristes se produisent en métropole. Ce sont là les agissements d’un État policier s’orientant de plus en plus vers le renforcement de la militarisation de la société.

Que la France quitte honteusement le Sahel ou s’y embourbe durablement, le chaos et la barbarie guerrière ne cesseront pas. Les morts continueront à être « avalés par le sable chaud du Sahel ». En Afrique comme ailleurs, les effets mortifères de l’impérialisme ne peuvent trouver de remèdes si ce n’est dans la destruction même de ce qui constitue sa logique même : le capitalisme décadent !

Amina, 24 juin 2021

 

1) « La fin de l’opération Barkhane au Sahel, c’est “la fin d’un leurre”», Courrier international, (17-23 juin 2021).

2) « Concernant le Sahel, Macron perd la raison », Courrier international, (3-9 juin 2021).

3) « Au Mali, la France piégée dans une guerre sans fin », Courrier international, (10-16 juin 2021).

4) Dominique de Villepin : Mémoire de paix pour temps de guerre (2016). Villepin est un ancien ministre des affaires étrangères et premier ministre, un pur produit de la bourgeoisie française.

 

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Conflits impérialistes

Mort du président tchadien Idriss Déby: l’impérialisme français a perdu son meilleur “compagnon d’armes”

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Le Tchad, considéré comme l’incontournable allié de l’opération Barkhane au Sahel, vient de perdre son grand dictateur en chef, le feu Maréchal Déby suite à sa supposée implication dans un combat contre un groupe armé tchadien (FACT). Il a été aussitôt remplacé par un de ses fils, Mahamat Idriss Déby Itno (déjà général quatre étoiles à 37 ans !), aussitôt adoubé par le gouvernement Macron.

Idriss Déby était un militaire bien formé par ses parrains impérialistes : un tyran, stratège politique, doté d’une grande culture militaire et connaissant parfaitement le terrain. Bref, un pion de premier ordre pour servir les intérêts et la stratégie de l’impérialisme français qui n’a pas hésité à investir massivement pour acheter les faveurs du grand dictateur sanguinaire en lui fournissant tout ce qu’il désirait (argent, armements, etc.) et en fermant les yeux sur ses crimes, sur les pillages et la confiscation de biens au profit de sa clique familiale, laissant la population au bord de la famine.

Le défunt criminel gagna peu à peu ses galons de « tyran fonctionnel idéal » auprès de l’État français en devenant notamment l’élément central et le pivot du dispositif « Barkhane » au Mali et au Sahel en général. Au point que l’armée française n’a jamais hésité à intervenir directement et à plusieurs reprises pour le protéger de ses opposants armés, en utilisant chars et avions de chasse. Sa perte suscite ainsi une grande inquiétude au sein des autorités françaises, en particulier chez les partisans d’une politique interventionniste.

En clair, avec la mort de Déby, c’est l’accélération de l’effondrement du dispositif militaro-politique de la France pour la défense de ses intérêts en Afrique. Et ce n’est pas le remplacement illico du père par le fils qui peut changer la donne, car le contexte avait profondément changé, bien avant la liquidation du tyran Idriss. Le fait même que l’armée française sur place n’a pu voir venir le coup en dit long sur l’état de déliquescence du dispositif de l’impérialisme français au Sahel. De même, Macron ne se fait aucune illusion sur la capacité du nouveau dictateur tchadien à préserver les intérêts français car on assiste déjà dans son entourage à des luttes claniques et familiales souterraines qui ne peuvent que saper l’espoir de voir le fils jouer le même rôle que tenait son père auprès de l’ancienne puissance coloniale.

 

Amina, 24 juin 2021.

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Conflits impérialistes

Euro de football: Terrain de la fièvre patriotique et nationaliste!

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En 1958, le président de la Fédération italienne de football s’opposait à la création du championnat d’Europe des nations de crainte qu’il « n’excite les passions nationalistes » treize ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ses confrères, beaucoup moins candides, lui objectèrent que c’était là tout l’intérêt de la compétition ! (1) La première édition eut donc lieu en France en 1960 et suscita très tôt des tensions politiques entre nations comme les compétitions sportives internationales en ont souvent fait l’objet à des fins impérialistes.

L’Euro se déroulant, en ce moment même, dans plusieurs villes d’Europe, ne fait pas exception et illustre même le regain des tensions entre États et le repli nationaliste caractéristique de la décomposition du capitalisme. Lors du match opposant l’Autriche à la Macédoine du Nord, l’attaquant autrichien, d’origine serbe, « célébra » son but en insultant deux de ses adversaires d’origine albanaise : « Je b**** ta mère albanaise » !

Au début de la compétition, la présentation du nouveau maillot ukrainien, floqué d’une carte de l’Ukraine (Crimée comprise), assorti des slogans « Gloire à l’Ukraine ! » et « Gloire aux héros ! », suscita « l’indignation » de la Russie criant à la « provocation politique ».

Mais la palme du patriotisme exacerbé revient très probablement au journal sportif français L’Équipe titrant, en Une de son numéro, au lendemain de la victoire de la France sur l’Allemagne, « COMME EN 18 », allusion à peine voilée à l’hystérie chauvine et la « victoire » revancharde de la France sur l’Allemagne lors de la boucherie que fut la Première Guerre mondiale.

Si le journal s’est défendu hypocritement en objectant qu’il s’agissait d’une référence à la victoire de la France lors de la Coupe du monde 2018, cette métaphore guerrière odieuse démontre une fois de plus à quel point le sport forme un vecteur du nationalisme et un bouillon de culture des rivalités impérialistes. Au fond, pour caricaturer une formule célèbre, on pourrait dire que le sport n’est rien d’autre que la continuation de la guerre par un autre moyen !

La dimension fortement spectaculaire des compétitions sportives ne manque d’ailleurs pas d’emprisonner (comme d’empoisonner) les esprits dans les codes et les symboles nationaux. Ces moments « d’unions sacrées » sont une véritable gangrène pour la classe ouvrière puisque l’antagonisme de classe est nié au profit de la communion du peuple. En particulier quand vient le moment des hymnes nationaux entonnés par les spectateurs, les yeux rivés sur le drapeau national ou l’équipe qui le représente.

Les mises en scène de la victoire, à l’image de la Une de L’Équipe, avec ses manifestations d’hystérie collective, infestées de symboles nationaux, ne font qu’entretenir des sentiments aussi nauséabonds que le chauvinisme, la xénophobie, les haines ethniques ou nationalistes, tout comme durant les conflits militaires. Comme l’exprimait déjà Rosa Luxemburg il y a un peu plus d’un siècle : « Les intérêts nationaux ne sont qu’une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l’impérialisme ».

Les pratiques physiques ont toujours reflété l’éthique et l’idéologie de la société les ayant engendrées. Le sport moderne ne fait absolument pas exception. Il est une expression parmi d’autres de la concurrence et des rivalités entre États-nations caractéristiques de la société capitaliste. Ce faisant, il forme un puissant vecteur de division et de mystification au sein de la classe ouvrière qui n’a pas d’autre patrie que celle de l’internationalisme !

Vincent, 28 juin 2021

 

1) « L’Euro 2021, arène d’un continent hanté par “les tensions secrètes et nauséabondes”», Courrier international (26 juin 2021).

 

Récent et en cours: 

  • Euro de football 2021 [18]

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Nation ou classe?

Il y a 150 ans paraissait… “La Filiation de l’homme” de Charles Darwin

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Nous avons commémoré cette année le 150e anniversaire de la Commune de Paris. Il nous faut aussi fêter le 150e anniversaire du livre de Charles Darwin, La Filiation de l’homme. En effet, la première édition de ce livre paraît à Londres le 24 février 1871, quelques jours avant que la population ouvrière de Paris ne transporte sur les hauteurs de Montmartre, des Buttes-Chaumont et de Belleville les canons qu’Adolphe Thiers voulait lui confisquer.

Révolution scientifique et révolution prolétarienne

Le rapprochement de ces deux commémorations est beaucoup plus politique que chronologique. En cette deuxième moitié du XIXe siècle, le capitalisme était en pleine expansion et révolutionnait la société sur tous les plans, industriel, technologique, social et scientifique. Son œuvre de progrès était bien réelle mais elle n’était ni linéaire ni harmonieuse. Le capitalisme avait permis de maîtriser la vapeur et l’électricité, mais il condamnait le prolétariat à des souffrances atroces, il massacrait à tour de bras dans les colonies et poussait à bout la séparation de l’homme avec lui-même. Le capitalisme restait bien une société de pénurie fondée entièrement sur l’exploitation de l’homme par l’homme, mais il permit un gigantesque développement des forces productives. Dans une telle société, du moins à ses débuts, la science fait des bonds gigantesques, elle contribue à l’accumulation des connaissances et au développement de la culture humaine, mais elle est aussi, bien souvent, l’otage impuissante de la bourgeoisie qui capte ses découvertes en les orientant, non pas vers la satisfaction des besoins humains mais vers le profit et la guerre, la destruction et la mort. C’est quelque chose qui est devenu évident aujourd’hui, puisque la plupart des progrès scientifiques (la conquête spatiale, Internet, l’intelligence artificielle, par exemple) n’ont été possibles qu’en fonction des impératifs militaires. Au fur et à mesure que le capitalisme s’est acheminé vers la fin de sa mission historique, le prolétariat est devenu le gardien du patrimoine culturel et scientifique accumulé par l’espèce humaine. Rosa Luxemburg écrivait à ce propos : « Le socialisme, qui relie les intérêts des ouvriers en tant que classe au développement et à l’avenir de l’humanité en tant que grande fraternité culturelle, produit une affinité particulière entre la lutte prolétarienne et les intérêts de la culture dans son ensemble et engendre le phénomène apparemment contradictoire et paradoxal qui fait du prolétariat conscient d’aujourd’hui dans tous les pays le porte-parole le plus ardent et le plus idéaliste du savoir et de l’art, de cette même culture bourgeoise dont il est aujourd’hui le bâtard déshérité ». (1)

Certes le marxisme n’est pas une science, mais il est une théorie scientifique et militante qui contribue au développement du matérialisme et intègre progressivement les avancées scientifiques acquises dans les différents domaines. La raison en est simple. Ne possédant aucun appui, aucune propriété au sein de la société capitaliste (contrairement à la bourgeoisie au sein du féodalisme), le prolétariat est obligé de développer au plus haut point sa conscience et sa théorie. C’est uniquement parce qu’il est potentiellement armé de sa conscience de classe, de sa théorie révolutionnaire (le marxisme), de son unité, de son organisation propre et de son Parti révolutionnaire mondial qu’il pourra s’émanciper et du même coup délivrer l’humanité de la prison des classes sociales.

C’est pourquoi les découvertes de Darwin, et de la science en général, sont si importantes. En s’attaquant à la rédaction de The Descent of Man le 4 février 1868, (2) Darwin passe au deuxième épisode de la nouvelle révolution copernicienne qu’il est en train de réaliser. Le premier avait commencé au retour de son voyage autour du monde sur le H.M.S. Beagle (1831-1836), lorsqu’il prit ses premières notes dans son Carnet sur la transmutation des espèces (1837). Cet intense travail de réflexion, de mise en ordre de toutes les observations faites au cours de son voyage, de lecture des ouvrages de référence devait aboutir à la publication de L’Origine des espèces en 1859.

À l’aide d’une démarche scientifique rigoureuse, il démontre dans cet ouvrage qu’il existe une généalogie du monde vivant tout au long de laquelle les générations d’organismes se succèdent en se diversifiant. Il découvre ainsi « la descendance avec modification » et le moteur de celle-ci, « la sélection naturelle ». Tous les organismes présentent des variations totalement aléatoires. Lorsqu’il faut se déplacer et changer de milieu ou lorsque le milieu lui-même change, les variations avantageuses sont sélectionnées, ce qui entraîne une descendance plus nombreuse pour certains individus et une élimination progressive pour les autres. À terme, ce processus aboutit à l’émergence d’une nouvelle espèce qui correspond à une nouvelle phase de relative stabilité.

La théorie de la sélection naturelle donna un coup de fouet aux conceptions transformistes qui, depuis Lamarck, s’étaient fourvoyées dans l’impasse représentée par la théorie de la transmission des caractères acquis. Il était désormais possible de comprendre comment chaque espèce, à partir de l’analyse de son histoire (sa phylogénie), était le produit d’une espèce antérieure. Il était possible de remonter, en retrouvant les ancêtres communs à plusieurs espèces, jusqu’aux origines de la vie sur la Terre.

Le premier pas a donc été de donner une base scientifique solide au transformisme. Mais le deuxième épisode de cette révolution copernicienne a été encore plus important. Depuis L’Origine des espèces, le transformisme était, bon an mal an, devenu admissible, on savait que, grosso modo, « l’homme descendait du singe » (ou, plus rigoureusement, que l’homme et les grands singes sont issus d’un ancêtre commun). Avec La Filiation de l’homme et la Sélection liée au sexe, Darwin apportait deux nouveaux résultats scientifiques majeurs :

– L’homme appartient à la série animale certes, mais son émergence s’effectue sans rupture. Entre l’animal et l’homme, il n’y a qu’une différence de degré, et non de nature. Il n’y a pas « surgissement » mais processus, émergence.

– Avec l’émergence de l’humanité, la sélection des plus aptes et l’élimination des plus faibles tendent à s’estomper au profit de la protection des plus faibles et des plus démunis. La lutte pour l’existence est remplacée par le développement progressif de la sympathie, la reconnaissance de l’autre comme semblable. La sélection naturelle produit la civilisation qui se confond avec l’émergence de l’espèce humaine. Elle se caractérise par le développement de conduites solidaires, de la rationalité communautaire et des sentiments moraux. (3) Cette évolution conjointe des sentiments affectifs et de la rationalité aboutit à une institutionnalisation croissante de l’altruisme, marque significative du progrès de la civilisation.

L’effet réversif de l’évolution

Ces deux résultats indissociables s’expliquent par le fait que, tout comme les variations biologiques, les instincts sociaux, les comportements et les capacités rationnelles sont également transmis à la descendance. Pour Darwin, nous assistons bien à un passage de la nature à la civilisation, mais sans rupture puisque la sélection naturelle, caractérisée par l’élimination des plus faibles, favorise les instincts sociaux qui vont conduire à la protection des moins aptes. Il y a élimination de l’élimination. Pour rendre compte de ce renversement sans rupture, Patrick Tort parle d’un « effet réversif de l’évolution ». (4) Il permet effectivement de comprendre que la suppression de l’élimination est bien une conséquence de la sélection naturelle elle-même : la civilisation a été sélectionnée comme avantageuse par une sélection éliminatoire. (5)

Lorsque parut L’Origine des espèces, les protestations de la classe dominante, des sommités religieuses et scientifiques furent bien entendu extrêmement violentes. Cependant l’époque était propice à une acceptation de la théorie de l’évolution. Il y avait l’exemple de la sélection artificielle des cultivateurs et des éleveurs, il paraissait évident que la ressemblance entre certaines espèces, tout comme celle entre les enfants et les parents, provenait d’une parenté, même si l’action de la sélection naturelle et ses conséquences ne furent pas réellement comprises immédiatement.

Marx et Engels accueillirent avec enthousiasme la nouvelle théorie. Le 19 décembre 1860, Marx écrit à Engels : « C’est dans ce livre que se trouve le fondement historico-naturel de notre conception ». Une fois de plus, le prolétariat trouvait un allié au sein des sciences naturelles dans son combat pour dépasser le matérialisme mécaniste, empirique. Après la publication du Manifeste du Parti communiste en 1848, L’Origine des espèces, en 1859, démontrait à nouveau que le matérialisme moderne était en mesure d’expliquer bien plus profondément les processus de transformation du vivant comme de la société humaine.

Cependant, cet accueil favorable céda bientôt la place, chez Marx et Engels, à un certain scepticisme puis à un rejet complet. Le 18 juin 1862, Marx écrit à Engels : « Il est remarquable de voir comment Darwin reconnaît chez les animaux et les plantes sa propre société anglaise, avec sa division du travail, sa concurrence, ses ouvertures de nouveaux marchés, ses inventions et sa malthusienne lutte pour la vie ». Ce quiproquo, ce rendez-vous manqué entre Marx et Darwin aura des conséquences néfastes sur le développement théorique du marxisme. Témoignant de cet aveuglement prolongé, Plekhanov écrivait encore en 1907 : « Beaucoup de gens confondent la dialectique avec la doctrine de l’évolution. La dialectique est, en effet, une doctrine de l’évolution. Mais elle diffère essentiellement de la vulgaire “théorie de l’évolution”, qui repose essentiellement sur ce principe que ni la nature, ni l’histoire ne font de bonds, et que tous les changements ne s’opèrent dans le monde que graduellement. Déjà Hegel avait démontré que, comprise ainsi, la doctrine de l’évolution était inconsistante et ridicule ». (6) Les conséquences de cette mauvaise interprétation de Darwin se manifesteront par un rejet du continuisme et une conception spéculative du « bond qualitatif ».

Marxisme et darwinisme

La principale cause de cette bévue est le rapide essor, dès 1859, du « darwinisme social » en Allemagne et dans le monde. Darwin attendit dix ans avant de publier La Filiation de l’homme dans laquelle il appliquait enfin à l’homme sa théorie de l’évolution. Il savait que l’exposé de son anthropologie ferait l’effet d’une bombe et il passa tout ce temps à répondre aux critiques, à affûter ses arguments, à surveiller les nombreuses rééditions revues et complétées de L’Origine des espèces. Spencer en profita pour créer sa philosophie synthétique de l’évolution, un nouveau système inspiré du libéralisme qui appliquait à l’homme le principe de la lutte pour l’existence, de l’élimination des plus faibles alors que Darwin avait clairement circonscrit ce principe aux végétaux et aux animaux. Darwin fut contraint de se démarquer de Spencer et de Malthus, mais il était trop tard et la frauduleuse théorie du « darwinisme social » s’imposa partout. L’un de ses plus ardents défenseurs était Carl Vogt, l’agent de Napoléon III qui avait calomnié Marx et qui se chargea de la préface de la traduction française de The Descent of Man. (7)

Progressivement, tout au long des années 1980, puis en 2009 à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Darwin, nous avons assisté à une (re) découverte de sa véritable anthropologie. La précarité des couches sociales les plus défavorisées au sein du capitalisme, la concurrence et la guerre, les multiples comportements de prédateur chez les hommes, tout laissait croire que la sélection des variations avantageuses, l’élimination des moins aptes et la lutte pour l’existence étaient encore le facteur dominant dans la société humaine. C’était là le fondement du succès du darwinisme social et celui-ci nous invitait à accepter le capitalisme comme une fatalité naturelle et bénéfique : en laissant les forts s’imposer au détriment des individus plus faibles, le peuple et la nation pouvaient progresser et s’imposer, c’est-à-dire, en dernière instance, vaincre dans la compétition militaire et économique, augmenter le taux d’exploitation du prolétariat.

Socialisme ou barbarie

Mais dans la réalité, les choses se passent tout autrement. La civilisation se développe au fil d’un renversement. Comme nous l’avons vu en expliquant l’effet réversif de l’évolution, il y a à la fois continuité et discontinuité. Si on décrit le processus qui va de la sélection naturelle éliminatoire jusqu’à la tendance anti-éliminatoire de la solidarité affective et sociale qui est censée prévaloir dans toute société « civilisée », alors on doit en conclure, comme l’explique Patrick Tort, qu’il s’agit bien d’un effet de rupture et non d’une rupture effective. Pour la première fois, une espèce n’est pas contrainte de s’adapter à son milieu (sélection des plus aptes) mais est capable d’adapter son milieu, de le transformer en produisant ses moyens d’existence.

Contrairement aux stupidités répétées par les écologistes, ce n’est pas l’espèce humaine en soi qui détruit la nature, elle la domine, ce qui veut dire tout simplement qu’elle ne trouve pas directement dans la nature de quoi se nourrir mais qu’elle produit ses moyens d’existence. Ce qui détruit la nature, ce n’est pas l’espèce humaine mais un mode de production spécifique, le capitalisme, qui attaque la biodiversité et brise l’équilibre organique entre les hommes et la nature.

Les marxistes s’étaient jusque-là fourvoyés en croyant trouver dans la fabrication des outils un critère distinctif pour l’homme. Mais les recherches scientifiques montraient au contraire que plusieurs espèces animales étaient parfaitement capables de fabriquer des outils et que ce qui change fondamentalement avec l’humanité, c’est la production.

La réconciliation entre Darwin et Marx était enfin devenue possible, et la première intuition de ce dernier était la bonne. Cette conception découverte par le premier était bien inscrite au cœur de l’œuvre de Marx. On trouve par exemple dans L’Idéologie allemande, rédigée par Marx et Engels en 1846, un passage reprenant la même description des processus que Darwin : « On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion ou par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils se mettent à produire leurs moyens d’existence : ils font là un pas qui leur est dicté par leur organisation physique. En produisant leurs moyens d’existence les hommes produisent indirectement leur vie matérielle elle-même ».

Le continuisme est en particulier parfaitement reconnu à travers la formule, « ils font là un pas qui leur est dicté par leur organisation physique ». À travers la notion d’effet de rupture, la continuité et le « bond qualitatif » sont également réunifiés dans une version matérialiste et dialectique.

En créant la civilisation, l’espèce humaine ne s’est pas débarrassée de la nature et de la biologie. Il est certain que, dans les phases de régression intense, le barbare et l’élimination des plus faibles réapparaissent nettement. Mais ce n’est pas là le fondement de l’histoire humaine. La civilisation a pris la forme d’une succession de modes de production jusqu’à aboutir au capitalisme où la perte de maîtrise des forces sociales créées par l’homme apparaît dans toute son ampleur dramatique en se retournant contre lui, contre ses racines biologiques et naturelles. Dans ces conditions, seule la révolution prolétarienne peut rétablir cette maîtrise du devenir humain en renversant le pouvoir de la bourgeoisie et en créant une société qui sera en mesure d’affronter les nouveaux problèmes biologiques, épidémiologiques, écologiques que l’humanité va immanquablement rencontrer dans la poursuite de son voyage à bord du vaisseau spatial, la planète Terre.

Théorie contre nihilisme

L’anthropologie darwinienne, dont on a vu le lien indissoluble avec la théorie de la descendance modifiée par le moyen de la sélection naturelle, a été tout à la fois falsifiée, ignorée et attaquée de toutes parts, en particulier par ceux qui ne pouvaient accepter que l’homme puisse perdre son statut transcendantal. Elle continue aujourd’hui d’être attaquée, non seulement par les créationnistes et les fondamentalistes religieux mais aussi par tous les idéalistes qui décrètent une séparation entre L’Origine des espèces, dont on concède la valeur scientifique, et La Filiation de l’homme qui est présentée comme une œuvre philosophique, instituant par là une prétendue coupure chez Darwin entre la science et l’idéologie.

Dans la période actuelle où le prolétariat (et sa perspective révolutionnaire) est absent momentanément de la scène sociale, la voie est ouverte au rejet de la science et de toute théorie scientifique.

Au XVIIe siècle, James Ussher, archevêque d’Armagh en Irlande, avait décrété que la création avait eu lieu au début de la nuit précédant le 23 octobre de l’an 4004 avant J.C. Au XIXe siècle, une majorité de scientifiques défendait encore la légende biblique de la création au sixième jour de l’Homme et des animaux domestiques « selon leur espèce ».

Aujourd’hui, les théories complotistes, les croyances absurdes et le scepticisme envers la science reflètent l’absence de perspective offerte par la société existante et apparaissent comme un retour aux temps obscurs. Le combat de la classe ouvrière contre l’exploitation et l’affirmation progressive de sa perspective révolutionnaire seront au contraire accompagnés d’un développement libérateur de la conscience et de la démarche rationnelle, cohérente et scientifique.

A. Elberg, 29 juin 2021

 

1) Rosa Luxemburg, La question nationale et l’autonomie.

2) Nous disposons enfin d’une traduction française rigoureusement scientifique. Il s’agit de l’édition dirigée par Patrick Tort : Charles Darwin, La Filiation de l’homme et la Sélection liée au sexe (2013).

3) Voir notre article : « À propos du livre “L’effet Darwin : une conception matérialiste des origines de la morale et de la civilisation”», Révolution internationale n° 400 (avril 2009).

4) Patrick Tort, L’effet Darwin (2008).

5) Voir le passage explicite mais pendant longtemps occulté du chapitre XXI de La Filiation, op.cit., p. 939-940. : « Si importante qu’ait été, et soit encore…»

6) Plekhanov, Les Questions fondamentales du marxisme (1910).

7) Anton Pannekoek, Patrick Tort, Darwinisme et marxisme (2011).

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  • Darwin [19]

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Science et conscience de classe

Élections au Pérou: Seule la lutte autonome, unie et internationale du prolétariat pourra sortir l’humanité du chaos capitaliste

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Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article d’Internacionalismo, section au Pérou du CCI, paru pendant la campagne pour les élections présidentielles marquées par le contexte de la pandémie de Covid-19.


Une fois de plus, la bourgeoisie péruvienne a mis en marche un processus électoral. Un processus marqué par le conflit social et politique de l’année dernière, qui s’est terminé par de violentes protestations de la population à Lima, après que le Congrès a approuvé la vacance de Martin Vizcarra, suivie de la démission de son successeur, Manuel Merino (qui n’a pas tenu plus d’une semaine au pouvoir). Ces luttes étaient des luttes interclassistes sur le terrain mystificateur des « revendications citoyennes ». Mais, à la fin, il y a eu les manifestations de travailleurs du secteur agro-industriel, qui, elles, se situaient sur un terrain de classe.

Ces événements ont eu pour cadre général l’aggravation de la pandémie, qui a renforcé la perception dans la société de l’incapacité de la classe dirigeante, non seulement à gérer de manière responsable la pandémie, mais aussi à organiser ses propres forces politiques. […]

Alors que les fractions de la bourgeoisie se préparent pour le deuxième tour, le nombre de morts de Covid-19 ne fait qu’augmenter. Comme d’autres bourgeoisies dans le monde, la bourgeoisie péruvienne ne cache pas son véritable intérêt : tenter d’assurer les conditions politiques minimales nécessaires au bon fonctionnement de la production et du capital.

Pendant ce temps, le nombre de décès causés par le Covid-19 dans le pays s’élève à 165 608 personnes à cette date. (1) Il ne faut pas oublier qu’en août de l’année dernière, le Pérou est devenu l’un des pays du monde où le nombre de décès par million d’habitants est le plus élevé.

Mais cette situation est-elle seulement le résultat de la négligence de la bourgeoisie péruvienne ? Dans notre « Rapport sur la pandémie de Covid-19 et la période de décomposition capitaliste » de juillet 2020, nous avons clairement indiqué que cette pandémie représente non seulement la crise la plus importante depuis que le système est entré dans sa dernière phase de déclin historique, celle de la décomposition sociale, inaugurée par l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, mais qu’elle traduit « toute une série d’éléments de chaos qui représentent la putréfaction généralisée du système capitaliste ». […]

En ce sens, les crises politiques récurrentes qu’a connues le pays, notamment dans le contexte de la pandémie, le manque de coordination institutionnelle allant jusqu’à l’utilisation des effets de la pandémie comme arme de confrontation entre les fractions de la bourgeoisie, chacune cherchant à affaiblir ou à discréditer l’adversaire, le faible investissement dans la santé depuis des décennies, un système de santé déficitaire en médecins et en lits, entre autres aspects, ont retardé ou rendu inefficaces les mesures nécessaires pour combattre le virus.

Le chaos que le monde, et particulièrement le Pérou, connaissent aujourd’hui avec la pandémie est le résultat d’un abandon progressif de la population, en particulier sur le plan sanitaire, exprimant un aspect caractéristique de la décomposition capitaliste, qui est « la perte croissante de contrôle des moyens que la bourgeoisie elle-même s’était donnés jusqu’à aujourd’hui pour limiter et canaliser les effets du déclin historique de son mode de production ». Il est clair que ce n’est pas la bourgeoisie d’un pays ou d’un autre, ou une certaine fraction de celle-ci, mais le capitalisme, en tant que système politique et social qui fait passer ses intérêts économiques, sa volonté de se perpétuer et d’accumuler pour le profit, bien avant les conditions de vie de la population.

Fuerza Popular et Perú Libre sont tous deux les gardiens du capital contre les travailleurs. (2) Malgré le taux d’abstention le plus élevé de ces vingt dernières années (selon l’Office National des processus électoraux, 7,1 millions de personnes ne sont pas allés voter), la bourgeoisie péruvienne marque un point, puisqu’elle a réussi à mobiliser plus de 18 millions d’électeurs. Elle a réussi à éteindre momentanément le conflit social et même à mettre la question de la pandémie au second plan, afin de concentrer tout son appareil de communication pour alimenter sa propagande autour des attentes électorales parmi la population.

Cela ne signifie pas pour autant qu’elle a réussi à inverser les confrontations en son sein, l’érosion de ses forces et le rejet par la population de ses anciennes forces politiques. C’est dans ce contexte que la candidature de Pedro Castillo, issu d’un parti socialiste de gauche, surfe sur la vague du discrédit des vieux partis et du chaos provoqué par la pandémie. Ce candidat a réussi à capitaliser politiquement de situations telles que la pauvreté, qui, en 2020, a atteint 30,1 %, c’est-à-dire le niveau d’il y a une décennie. Il a ainsi accru son audience dans certaines provinces du pays et dans le secteur de l’éducation, étant l’un des principaux leaders syndicaux de la grève des enseignants de 2017. Il a relié à lui d’autres personnalités, comme Vladimir Cerrón, fondateur du parti Perú Libre, se définissant comme « marxiste-léniniste-mariatéguiste », (3) qui a été accusé par d’autres fractions de la bourgeoisie d’avoir des liens avec Sentier lumineux […]. En 2019, il a participé à l’événement « Rencontre latino-américaine des gouvernements locaux et de la démocratie participative », à l’invitation de Nicolás Maduro, au cours de laquelle il a déclaré : « Les États-Unis veulent briser l’unité latino-américaine, la démocratie, nous sommes ici pour coordonner les efforts et l’en empêcher […]». La campagne de Castillo s’est attachée à le présenter comme un candidat contre la corruption, dont l’objectif principal est de fermer la voie au retour du Fujimorisme, en plus de réaliser les grandes revendications des enseignants et des paysans : contrôler les importations « pour arrêter la concurrence déloyale des importations qui affectent l’industrie nationale », une nouvelle réforme agraire, discuter d’une nouvelle réforme politique, rediscuter les conditions dans lesquelles les entreprises étrangères opèrent dans le secteur minier, convoquer un référendum pour élaborer une nouvelle Constitution, car il considère que l’actuelle est une « Constitution de la dictature » qui a « une matrice coloniale et ignore les institutions politiques et culturelles des peuples indigènes et des communautés paysannes », et inclure dans le système politique la révocation du président et des parlementaires. Il a également critiqué les médias, tout cela indique qu’il cherche à être perçu comme quelqu’un qui accordera à la population les avantages économiques et sociaux historiquement refusés.

De l’autre côté, il y a la candidate du parti Fuerza Popular, Keiko Fujimori, fille de l’ancien président Alberto Fujimori, lequel purge une peine de 25 ans de prison pour corruption et violation des droits de l’homme. Cette candidate est accusée de crimes liés à l’affaire « Lava Jato » pour avoir reçu des pots-de-vin lors de ses précédentes campagnes présidentielles, pour lesquelles le procureur général de l’affaire a demandé 30 ans de prison à son encontre. Ce parti-là est un parti de droite, continuateur de l’idéologie fujimoriste, « anti-communiste » et conservateur.

Voilà les forces politiques qui s’affrontent et qui représentent le pire du passé politique du Pérou, où règnent en maître la corruption et la violence, un résultat évident de la décomposition croissante du système, et, plus particulièrement, de la façon dont cette phase historique affecte les forces de la bourgeoisie comme classe dominante, caractérisée par la tendance croissante à perdre le contrôle politique de ses propres forces, devenue une tendance dominante de l’évolution sociale et politique. (4) Le fait que la bourgeoisie se trouve prise dans un réseau interminable et inextricable de corruption, de pots-de-vin et de chantage, qui a pris corps dans toutes ses institutions, l’oblige à manipuler jusqu’à l’absurde les lois mêmes qu’elle a créées pour réglementer son système politique, ce qui rend plus difficile l’établissement de conditions garantissant un certain niveau de gouvernabilité et de stabilité politique.

C’est un réel danger pour le prolétariat péruvien d’être entraîné dans la pourriture représentée par ces fractions en guerre, c’est-à-dire de devenir la proie de la bipolarisation dans la confrontation entre factions bourgeoises que les deux parties tentent de creuser, en présentant les choses comme une lutte entre « démocratie et communisme », en disant qu’il faut protéger les « acquis de la démocratie et de l’économie » face à « l’autoritarisme communiste », alors que les deux côtés ne représentent que les intérêts de la classe exploiteuse. Ces deux candidats, une fois élu président, développeront la même répression contre la classe ouvrière. L’un comme l’autre ouvriront un nouveau chapitre de violence politique et sociale, parce que ni l’un ni l’autre ne peuvent échapper à la tendance, ouverte avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, au développement des formes d’État totalitaires, à semer un climat de haine, de règlements de compte et de chaos dans la population, dont ces mêmes factions sont porteuses, et qui frappe aussi au sein des couches les plus appauvries de la population et d’une classe moyenne en ruine.

Nous, travailleurs, ne devons pas tomber dans le piège tendu de cette confrontation, ni prendre parti pour l’une ou l’autre des fractions bourgeoises participant à ce cirque électoral. Défendre les institutions bourgeoises, leur idéologie et leurs mécanismes politiques, c’est défendre nos exploiteurs et nos bourreaux. La position marxiste que nous, militants de la Gauche communiste, défendons, s’est ainsi concrétisée dans la plateforme de notre organisation : « Au moment où la tâche fondamentale du prolétariat est de détruire les institutions étatiques bourgeoises et donc le parlement, où il doit établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société capitaliste ; sa participation aux institutions parlementaires et électorales conduit, quelles que soient les intentions de ceux qui la préconisent, à maquiller avec une apparence de vitalité ces institutions moribondes ». […] Que ce soit par la « démocratie directe », par une « plus grande participation des citoyens aux décisions politiques », toutes ont abouti à des formules qui ont servi à imposer aux travailleurs tout le poids de la crise économique, en exigeant les plus grands sacrifices, comme c’est le cas aujourd’hui avec la pandémie. Bien qu’à l’heure actuelle, nous ne soyons pas confrontés à d’importantes mobilisations de notre classe, et qu’un moment décisif de la lutte des classes ne soit pas proche, depuis des décennies, les conditions sont réunies pour que le prolétariat réalise une véritable révolution, qui détruise à la racine l’exploitation capitaliste. Tel est le véritable objectif du mouvement ouvrier, et non de servir sur un plateau d’argent à la bourgeoisie ce qui nous a tellement coûté de construire, en participant à leurs processus électoraux. La voie à suivre est celle des luttes contre la dégradation de nos conditions de vie, pour donner le sens politique que ces luttes contiennent, pour renforcer notre autonomie et notre identité de classe, en défendant nos intérêts de travailleurs au niveau international.

Internacionalismo, section au Pérou du CCI (3 juin 2021)

 

1) Un mois plus tard, ce chiffre s’éléve à plus de 193 000 morts alors que la bourgeoisie parle de décrue depuis 15 jours.

2) Le 11 avril a eu lieu le premier tour de l’élection présidentielle au Pérou. Deux candidats sont restés en lice : l’une d’extrême droite, Keiko Fujimori, (Fuerza Popular) et l’autre d’extrême gauche, Pedro Castillo, (Pérou Libre). Ce dernier l’a finalement emporté, à l’issue d’un second tour serré (Note du traducteur).

3) José Carlos Mariátegui (1894-1930), un des fondateurs du parti socialiste péruvien devenu plus tard parti communiste et théoricien d’un « socialisme adapté au monde latino-américain », mêlant indigénisme et production nationale basée sur l’agriculture, en particulier à la société péruvienne qui pourrait passer notamment directement d’un mode féodal au « socialisme » à partir du collectivisme traditionnel comme le pratiquaient les Amérindiens (Note du traducteur).

4) Lire nos “Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme”, Revue internationale n° 107 (4e trimestre 2011).

Géographique: 

  • Pérou [20]

Rubrique: 

Vie politique de la bourgeoisie

Nouvelles attaques contre la Gauche communiste: Bourseiller invente une seconde fois “la complexe histoire des gauches communistes” (Partie 2)

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La première partie de cet article [21] dénonçait le rôle de médiocre petit flic et de calomniateur de Bourseiller. Cette seconde partie montrera comment l’auteur de la Nouvelle Histoire de l’ultra-gauche cherche à amalgamer la Gauche communiste à l’extrême gauche de l’appareil politique bourgeois pour mieux la discréditer.


Ce qui distingue la Gauche communiste du gauchisme

En 2003, Bourseiller avait conclu son Histoire générale de l’ultra-gauche par la prophétie d’une désintégration définitive de l’ultra-gauche. « Née en 1920, lorsque les “gauchistes” de la IIIe Internationale prirent le large et s’affranchirent de la tutelle bolchevik, [l’ultra-gauche] s’est désagrégée dans le siècle finissant. Comme un mirage d’été, s’abolissant au fil de la route ». (1) Il ne s’était pas rendu compte que l’ultra-gauche n’a jamais été autre chose qu’un mirage. Mais il a finalement changé de prophétie : « Je me trompais. Nous assistons actuellement, contre toute attente, au retour de flamme d’un mouvement en pleine effervescence » (p. 7). Pensez-donc  ! L’occasion était trop belle d’attaquer une nouvelle fois la réputation de la Gauche communiste  ! Sa technique consistait hier à créer tout un brouillard destiné à confondre le marxisme, l’anarchisme et le modernisme  ; aujourd’hui, il voudrait bien qu’on confonde la Gauche communiste et la violence nihiliste des zadistes et des black blocs.

Bourseiller divulgue déjà un gros mensonge dans ses interviews, lorsqu’il affirme que c’est Lénine qui a créé la notion d’ultra-gauche. Dans son ouvrage, La Maladie infantile du communisme  : le gauchisme, Lénine ne parle jamais d’ultra-gauche. Il polémique fraternellement contre une tendance apparue au sein du mouvement communiste, tendance qu’il appelle « les gauches », « le gauchisme » ou « les communistes de gauche » et qui se caractérise comme une réaction prolétarienne face à la dégénérescence de la révolution en Russie et aux positions opportunistes apparues au sein de l’Internationale communiste à partir de son deuxième congrès en 1920. Bourseiller se garde bien de citer un passage de l’ouvrage de Lénine qui est révélateur de la continuité politique entre les bolcheviks et la Gauche communiste : « L’erreur représentée par le doctrinarisme de gauche dans le mouvement communiste est, à l’heure présente, mille fois moins dangereuse et moins grave que l’erreur représentée par le doctrinarisme de droite ». (2)

Le terme « gauchisme » a finalement été consacré par l’usage dans les années 1970 pour désigner des organisations qui se placent à l’extrême gauche de l’échiquier politique bourgeois. Les trotskistes et une partie des maoïstes défendent la voie parlementaire et nationale pour aller au communisme et se donnent comme objectif une vague République sociale construite à l’aide d’une alliance (le Front unique) avec les partis de la gauche officielle. Cette frange du gauchisme est un peu la Greta Thunberg du terrain social, car elle se traîne à genoux dans la poussière, sans aucune pudeur, en suppliant les partis de gauche et les syndicats de s’unir et de lancer des mots d’ordre de lutte, des appels à la grève générale. Ce sont très clairement des rabatteurs qui cherchent à empêcher les ouvriers de prendre conscience de qui sont leurs ennemis. Les autres maoïstes et les anarchistes (3) se placent sur le terrain de l’action directe, du sabotage, de la grève générale censée abattre d’un seul coup le régime bourgeois au profit du fédéralisme et de l’autogestion. Leur objectif, fortement influencé par l’idéologie de la petite bourgeoisie, est la création, sur la base de l’usine ou du village, de communautés autonomes, conception illusoire et dangereuse qui cherche à détourner le prolétariat de sa tâche politique propre : la prise du pouvoir et l’internationalisation de la révolution.

Finalement, la tendance qui était la cible de Lénine a donc repris son vrai nom, la Gauche communiste, et se caractérise par son attachement au marxisme, à l’internationalisme, à la perspective de la révolution prolétarienne et de son but final, le communisme. Les moyens qu’elle prône pour atteindre ce but sont la grève de masse, l’internationalisation des luttes, la destruction des États dans chaque nation et la dictature du prolétariat sous la forme du pouvoir international des conseils ouvriers. Elle se conçoit comme un pont reliant l’ancien parti qui a trahi et le futur parti mondial qui, le moment venu, pourra jouer tout son rôle d’orientation politique et militante au sein de la classe ouvrière. Tout comme la Gauche marxiste avait mené le combat contre l’opportunisme au sein de la IIe Internationale, la Gauche communiste a repris la lutte contre l’opportunisme qui est à nouveau apparu dans la IIIe Internationale. En ce sens, elle représente la continuité du mouvement ouvrier puisqu’elle s’inscrit dans la tradition de la lutte de Lénine (lui-même fondateur d’une Fraction de gauche au sein du Parti ouvrier social-démocrate de Russie, la Fraction bolchevique) et de Rosa Luxemburg contre le révisionnisme et le réformisme.

Le marécage de l’ultra-gauche

Il est vrai que le terme « ultra-gauche » a été parfois utilisé par Trotsky durant les années 1930 pour masquer sa dérive opportuniste et déconsidérer ses critiques intransigeants, en particulier la Fraction de la gauche italienne qui publiait Prometeo et Bilan. Mais ce terme a été surtout employé durant les années 1970 lorsque le courant de la Gauche communiste est réapparu en critiquant le volontarisme et la confusion qui régnaient alors du fait de l’agitation des éléments de la petite bourgeoisie. Une partie du milieu politique de l’époque se définissait donc comme ultra-gauche pour se placer à la gauche du gauchisme, exactement comme le gauchisme se positionnait à la gauche des partis soi-disant communistes. Clairement distincte de cette confusion ambiante, la Gauche communiste se plaçait sur le terrain de classe et dénonçait tous les organismes, de gauche ou d’extrême gauche, appartenant à l’appareil politique du capital.

Le magma informe appelé « ultra-gauche » n’a rien à voir avec les organisations du milieu politique prolétarien qui défendent un marxisme vivant et le but communiste qui verra la disparition des classes et de l’État. Rassemblement hétéroclite d’intellectuels divers au radicalisme anarchisant, sans réelle filiation historique et sans tradition organisationnelle, il a toujours été le lieu de passage de toutes sortes de relectures modernistes du marxisme, typiques de l’impatience de la petite bourgeoisie déçue par la classe ouvrière. Fait de personnalités beaucoup plus intéressées à faire parler d’elles qu’à défendre des positions de classe, il est aussi le lieu de tous les aventurismes.

Bourseiller dénonce les « pauvres utopies sociales » incarnées par la Gauche communiste et tente de donner une consistance à cette fiction de l’ultra-gauche. Il la définit comme un courant marxiste anti-autoritaire. Il s’agit là d’un amalgame grossier et en fait d’une véritable œuvre de falsification  ! Le but est de discréditer la Gauche communiste en effaçant les frontières qui la distingue de l’anarchisme et du modernisme qui, comme l’Internationale situationniste, a jeté aux poubelles de l’histoire aussi bien le marxisme que la classe ouvrière comme classe révolutionnaire.

Dans la continuité de la social-démocratie révolutionnaire, la Gauche communiste s’est toujours nettement démarquée de l’anarchisme et de ses théories anti-autoritaires. Elle a clairement dénoncé la guerre d’Espagne en 1936 comme une préparation à la Seconde Guerre mondiale, elle est restée internationaliste au cours de celle-ci. Anton Pannekoek écrivait encore en 1948 : « Il semble d’ailleurs qu’à l’heure actuelle, on ait parfois tendance à se rapprocher de l’idée des conseils au sein de l’anarchisme, en particulier dans les cas où celui-ci comprend des groupes ouvriers. Mais la vieille doctrine anarchiste à l’état pur est trop étroite, trop restreinte, pour être utile aujourd’hui à la lutte de la classe ouvrière ». (4)

Quant au modernisme, toujours à la mode chez les petits-bourgeois, elle l’a combattu sans relâche comme une arme de destruction de la perspective prolétarienne et du militantisme ouvrier. Héritier de l’École de Francfort et du groupe Socialisme ou Barbarie, le modernisme a constaté l’échec des révolutions prolétariennes et en a conclu que cette option pouvait être abandonnée pour retourner chez Stirner, Proudhon et Marcuse. (5) Fieffés imbéciles  ! N’ayant aucun appui, ni propriété, ni pouvoir, ni patrie dans la société bourgeoise, c’est précisément dans les leçons qu’il tire de ses tragiques défaites que le prolétariat pourra puiser une conscience plus aiguë, une plus grande unité de ses forces. Déçus par la classe ouvrière qui n’a pas balayé le système capitaliste assez vite à leur goût, les modernistes se réfugièrent dans les discours ampoulés à la Hegel. Ils sont ainsi dénoncés à l’avance par Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste : « De cette façon, on émascula complètement la littérature socialiste et communiste française. Et, parce qu’elle cessa entre les mains des Allemands d’être l’expression de la lutte d’une classe contre une autre, ceux-ci se félicitèrent de s’être élevés au-dessus de l’étroitesse française et d’avoir défendu non pas de vrais besoins, mais le “besoin du vrai”  ; d’avoir défendu non pas les intérêts du prolétaire, mais les intérêts de l’être humain, de l’homme en général, de l’homme qui n’appartient à aucune classe ni à aucune réalité et qui n’existe que dans le ciel embrumé de la fantaisie philosophique ». (6)

Ceux qui étaient proches de positions révolutionnaires dans les années 1970, se rappelleront comment l’arrogance des modernistes combinait l’état d’esprit de l’intellectuel petit-bourgeois et celui du lumpenprolétariat. L’ultra-gauche est bien une chimère où Bourseiller mélange délibérément les situationnistes, les communistes libertaires et la Gauche communiste pour compromettre celle-ci.

Théories de la violence

Mais le sommet de toute cette manipulation, sa motivation principale, consiste à ruiner la réputation de la Gauche communiste en lui trouvant des points communs avec les zadistes et les black blocs. Il y a ici tout un art dans la calomnie. La Gauche communiste n’a cessé de condamner en termes marxistes la violence minoritaire, le terrorisme et l’acte exemplaire des anarchistes censé réveiller ou agiter les masses. (7) Tant pis, Bourseiller la déclare coupable de cette violence nihiliste consistant à briser des vitrines, des abribus, à s’affronter aux flics, tout cela justifié par la guerre de classe et les attaques contre la marchandise. Le prolétariat n’a rien à voir avec cette violence gratuite et cette idéologie nihiliste du no future, avec la révolte populiste. C’est le terrain béni des manipulations orchestrées par les aventuriers ou les provocateurs de la police. (8)

Quant aux zadistes, qui défendent eux-mêmes leur théorie de la violence, ils idéalisent la nature sans rien comprendre à la façon dont le capitalisme altère les rapports entre les hommes et celle-ci. (9) Proches des mouvements citoyens ou des courants autogestionnaires, ils finissent toujours dans la défense de la petite propriété et dans un individualisme débridé. Le véritable objectif politique de leur action n’est pas l’abolition des classes mais l’auto-exploitation de la classe ouvrière.

Ce que défend le courant de la Gauche communiste, ce n’est pas un retour en arrière illusoire de l’histoire mais un combat pour le futur où la dissolution des classes et de la loi de la valeur (l’esclavage salarié) permettra une accélération de la socialisation internationale et une production orientée vers la satisfaction des besoins humains, un dépassement de l’aliénation humaine. Seule la révolution prolétarienne internationale rendra possible ce saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté.

Comme les bolcheviks en Russie, la Fraction de Bordiga mena le combat au sein du Parti socialiste et se trouva à la tête du Parti communiste d’Italie fondé à Livourne en 1921. En 1959, Bordiga se moquait encore de ces « piteuses parodies » du programme communiste authentique qui clamaient ces « formules, la terre aux paysans et les usines aux ouvriers ». (10) C’est bien là la tradition de la Gauche communiste défendant les principes du marxisme contre les théories farfelues du zadisme.

Régulièrement au cours de son histoire, le prolétariat a dû défendre son autonomie de classe contre l’interclassisme alors que les couches sociales intermédiaires sont menacées elles-mêmes par la crise du capitalisme. Avant d’être assez fort pour entraîner ces couches sociales derrière lui, il devra défendre ses revendications, ses méthodes de lutte propres et critiquer en actes tous ceux qui récusent sa nature révolutionnaire, ceux qui, récupérateurs, manipulateurs et aventuriers, prétendent se mettre en travers de sa route, tous ceux, justement, qui trouvent grâce aux yeux de Bourseiller : « La révolte des banlieues apparaît en fin de compte comme la préfiguration d’une insurrection populaire globale. Quant aux catégories issues du marxisme, telle la classe prolétarienne, elles appartiennent à un temps révolu. Guy Debord à la fin de sa vie mettait d’ailleurs en exergue, non plus la classe ouvrière, mais “les classes dangereuses”, un ensemble incluant les affranchis de toutes sortes, qu’ils soient délinquants, chômeurs, voyous ou… déclassés » (p. 359).

Cette campagne menée tambour battant par Bourseiller trouve son parallèle et révèle son secret dans l’évolution totalitaire de la démocratie bourgeoise. Avec, par exemple, la loi « sécurité globale » et celle contre le séparatisme adoptées en France, elle renforce son arsenal juridique après avoir surarmé ses forces de répression. C’est ainsi que la bourgeoisie se prépare à affronter son ennemi de classe, en le matraquant dans les rues, en le traînant en justice pour propos « antisystème », en le matraquant de ses calomnies.

Bourseiller utilise l’histoire de manière abusive et tortionnaire. (11) Ce genre de personnage insiste pour apporter sa petite pierre aux entreprises idéologiques pour le maintien de l’ordre existant et finit toujours par travailler pour la police, qu’il en ait conscience ou pas. C’est ce qui faisait dire à Joseph Conrad : « L’impudence affichée de ces opérations, qui jouent de façon insidieuse sur la sottise et la crédulité humaines, le boniment qui crânement, sans vergogne, révèle la fraude tout en insistant sur la régularité du jeu, provoque écœurement et dégoût ». (12)

Et notre conclusion sera celle-ci : cette intense préparation de la bourgeoisie aux futures confrontations de classe est déjà une preuve en soi que la Commune de Paris, de Munich, de Budapest et de Petrograd n’est pas morte. Elle renaîtra plus grande et plus forte dans tous les pays et, comme hier, on pourra lire demain sur ses banderoles déployées : Abolition du travail salarié  ! Abolition de la propriété privée  !

Avrom E., 30 avril 2021

 

1) Christophe Bourseiller, Histoire générale de l’ultra-gauche (2003). Voir notre dénonciation dans Révolution internationale n° 344 (mars 2004) : « À propos du livre de Bourseiller  : “Histoire générale de l’ultra-gauche [22]”».

2) Lénine, La Maladie infantile du communisme  : le gauchisme (1920).

3) Il subsiste malgré tout un courant anarchiste internationaliste qui a refusé la trahison lors des deux Guerres mondiales et qui est resté fidèle au combat de classe.

4) Cité dans Pannekoek et les conseils ouvriers de Serge Bricianer (1977).

5) Stirner et Proudhon sont deux théoriciens de l’anarchisme. Marcuse, issu de l’école de Francfort, prônait dans les années 1970 la fin du rôle révolutionnaire que devait jouer le prolétariat au sein du capitalisme.

6) Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti communiste, Chapitre III, « Littérature socialiste et communiste » (1848).

7) Pannekoek dénonce ces théories fumeuses dans deux articles datant de 1933, « L’acte personnel » et « La destruction comme moyen de lutte », traduits en français dans la revue Échanges, n° 90 (printemps été 1999).

8) Voir notre article : « Black blocs : la lutte prolétarienne n’a pas besoin de masque [23] », Révolution internationale n° 471 (juillet août 2018).

9) Voir notre article en ligne : « Pas de solution à la catastrophe écologique sans l’émancipation du travail de l’exploitation capitaliste [24] ».

10) Amadeo Bordiga, « Tables immuables de la théorie communiste de parti », dans Bordiga et la passion du communisme, (1974). En soutien à Bordiga, nous écrivions dans nos commentaires à ce texte : « Dans le communisme, l’entreprise individuelle doit être abolie en tant que telle. Si l’entreprise continue à être la propriété de ceux qui y travaillent, ou même de la communauté locale autour d’elle, elle n’a pas été vraiment socialisée, et les relations entre les différentes entreprises autogérées doivent nécessairement être fondées sur l’échange de marchandises ». (« Damen, Bordiga et la passion du communisme », Revue internationale n° 158).

11) Pour les lecteurs qui veulent découvrir l’histoire véritable et les positions défendues par la Gauche communiste, nous recommandons les deux livres édités par le CCI, La Gauche communiste d’Italie et La Gauche gérmano-hollandaise.

12) Joseph Conrad, Souvenirs personnels (2012).

Personnages: 

  • Bourseiller [25]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [26]

Rubrique: 

Défense de la Gauche communiste

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