Nous publions ci-dessous l’exposé introductif réalisé pour les dernières réunions publiques tenues par les différentes sections du CCI.
Depuis un an, le monde a été secoué par deux événements inédits et d’une extrême importance dans la vie du capitalisme : la pandémie du Covid-19 et, tout récemment, l’assaut contre le Capitole à Washington après les élections américaines qui ont sanctionné la défaite de Donald Trump. Ces deux événements ne sont ni anodins ni séparés l’un de l’autre. Ils ne peuvent être compris que dans un cadre historique que nous allons exposer dans cette présentation.
La crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui est l’événement le plus grave depuis l’effondrement du bloc de l’Est.
Cette pandémie s’est répandue à toute vitesse, comme une trainée de poudre, à partir d’un foyer de contamination en Chine l’hiver dernier. Le virus a traversé toutes les frontières et tous les continents. Il a fait aujourd’hui déjà plus de 2 millions de victimes. Partout, dans tous les pays, c’est l’état d’urgence sanitaire, la course contre la montre pour vacciner la population afin d’éviter une hécatombe planétaire.
Quelle est l’origine de cette pandémie ? Ce virus redoutable nous aurait été transmis, semble-t-il, par des espèces animales introduites dans l’environnement humain (le pangolin et la chauve-souris). Contrairement aux épidémies d’origine animale du passé (comme la peste introduite au Moyen Âge par les rats) aujourd’hui, cette pandémie est due essentiellement à l’état de délabrement de la planète. Le réchauffement climatique, la déforestation, la destruction des territoires naturels des animaux sauvages, de même que la prolifération des bidonvilles dans les pays sous-développés, ont favorisé le développement de toutes sorte de nouveaux virus et maladies contagieuses.
La pandémie de Covid-19 n’est donc pas une catastrophe imprévisible qui répondrait aux lois obscures du hasard et de la nature ! Le responsable de cette catastrophe planétaire, de ces millions de morts, c’est le capitalisme lui-même. Un système basé non pas sur la satisfaction des besoins humains, mais sur la recherche du profit, de la rentabilité par l’exploitation féroce de la classe ouvrière. Un système basé sur la concurrence effrénée entre les entreprises et entre les États. Une concurrence qui empêche toute coordination et coopération internationale pour éradiquer cette pandémie. C’est ce qu’on voit aujourd’hui avec la « guerre des vaccins », après la « guerre des masques » au début de la pandémie.
Jusqu’à présent, c’étaient les pays les plus pauvres et sous-développés qui étaient régulièrement frappés par des épidémies. Maintenant, ce sont les pays les plus développés qui sont ébranlés par la pandémie de Covid-19. C’est le cœur même du système capitaliste qui est attaqué et plus particulièrement la première puissance mondiale.
Aux États-Unis, on compte aujourd’hui au moins 25 millions de contaminés, et plus de 410 000 morts. Il y a eu plus de morts du Covid que de soldats américains tués lors de la Seconde Guerre mondiale ! Au mois d’avril dernier, le nombre de morts avait déjà dépassé celui des morts pendant la guerre du Vietnam !
La propagation de la pandémie s’est encore aggravée avec la mutation du virus. Dans la grande métropole de Los Angeles, un habitant sur 10 est contaminé ! En Californie, les hôpitaux sont pleins à craquer. Au début de la crise sanitaire, toute la population américaine a été frappée par les immenses tranchées où on a entassé des morts « non réclamés » dans l’État de New-York, sur Hart Island.
Avec la politique irresponsable de Trump, la gestion calamiteuse de cette pandémie a été encore pire que dans les autres pays. L’ancien Président avait misé sur l’immunité collective, sans port du masque, sans gestes barrière. Trump est même allé jusqu’à évoquer l’idée, complètement délirante, de s’injecter du gel hydroalcoolique dans les veines pour tuer le virus.
Dans le pays le plus développé du Monde, à l’avant-garde de la science, toutes sortes de théories complotistes ont fleuri. Alors que la pandémie avait déjà commencé à déferler sur le continent américain, une grande partie de la population aux États-Unis s’imaginait que le Covid-19 n’existait pas et que c’était un complot pour torpiller la réélection de Trump !
Aujourd’hui, avec 2 vaccins disponibles, chaque État américain fait sa propre cuisine dans la désorganisation et la pagaille la plus totale. En Europe, face à la remontée de l’épidémie et les variants du virus, c’est l’hécatombe en Grande-Bretagne. Partout la classe dominante vaccine à toute allure et doit gérer maintenant la pénurie, en attendant que les laboratoires accélèrent la production des vaccins.
L’explosion de cette pandémie mondiale a révélé :
1)- une perte de contrôle de la classe dominante sur son propre système.
2)-une aggravation sans précédent du « chacun pour soi » avec une concurrence effrénée entre les laboratoires pour être le premier à trouver un vaccin et le vendre sur le marché mondial. Dans cette course aux vaccins, le Spoutnik russe a été dépassé par ceux des États-Unis qui sont arrivés en tête avec le Pzifer-BionTech et le Moderna. Et si l’État d’Israël a pu obtenir autant de doses pour pouvoir vacciner toute sa population, c’est parce qu’il a acheté le vaccin Pfizer 43 % plus cher que le prix négocié par l’Union Européenne.
Il est clair que la principale préoccupation de la bourgeoisie de tous les pays, c’est de sauver avant tout le capital national face aux concurrents.
Si tous les États se démènent autant pour produire des vaccins, ce n’est certainement pas par souci pour la vie humaine. La seule chose qui intéresse la classe dominante c’est de préserver la force de travail de ceux qu’elle exploite pour prolonger encore l’agonie du système capitaliste.
Cette pandémie et l’incapacité de la classe dominante à l’endiguer, est d’abord la manifestation la plus évidente de la faillite totale du capitalisme. Face à l’aggravation de la crise économique, dans tous les pays, les gouvernements de droite comme de gauche, n’ont cessé depuis des décennies de réduire les budgets sociaux, les budgets de la santé et de la recherche. Le système de santé n’étant pas rentable, ils ont supprimé des lits, fermé des services hospitaliers, supprimé des postes de médecins, aggravé les conditions de travail des soignants. En France, le laboratoire Sanofi (lié à l’Institut Pasteur) a supprimé 500 postes de chercheurs depuis 2007. Toutes les recherches scientifiques et technologiques de pointe aux États-Unis ont été consacrées essentiellement au secteur militaire, avec y compris la recherche d’armes bactériologiques. De son côté, la Chine vend ses propres vaccins, aux pays du Maghreb et d’Afrique orientale. Le marché des vaccins chinois suit donc la Route de la soie. Une hypothèse est même émise aujourd’hui : le Covid-19 serait peut-être un virus échappé d’un laboratoire ! L’OMS a donc constitué une équipe pour mener une enquête en Chine afin de trouver quelle est l’origine de ce virus.
Cette pandémie mondiale incontrôlable confirme que le capitalisme est devenu, depuis le cataclysme de la Première Guerre mondiale, un système décadent qui met en jeu la survie de l’humanité.
Après un siècle d’enfoncement dans la décadence, ce système est entré dans la phase ultime de cette décadence : celle de la décomposition.
Nous allons maintenant expliquer brièvement pourquoi le capitalisme est entré dans sa phase de décomposition et quelles en sont les principales manifestations.
En 1989, après vingt ans de crise économique mondiale, un événement majeur, le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale, avait ébranlé le monde : l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes staliniens. C’était la manifestation la plus spectaculaire de la décomposition du capitalisme. Cette situation a provoqué aussi une dislocation du bloc occidental avec une tendance au développement du chacun pour soi.
Cette décomposition du capitalisme était due au fait qu’aucune des deux classes fondamentales de la société, ni la bourgeoisie ni le prolétariat, n’a pu apporter sa propre réponse à la crise économique : soit une nouvelle guerre mondiale (comme c’était le cas avec la crise des années 1930), soit la révolution prolétarienne. La bourgeoisie n’a pas réussi à embrigader le prolétariat derrière les drapeaux nationaux pour l’envoyer se faire massacrer sur les champs de bataille. Mais le prolétariat, de son côté, n’a pas pu développer des luttes révolutionnaires pour renverser le capitalisme. C’est cette absence de perspective qui a provoqué le pourrissement sur pied de la société capitaliste depuis la fin des années 1980.
Depuis 30 ans, cette décomposition s’est manifestée par toutes sortes de calamités meurtrières : la multiplication des massacres y compris en Europe avec la guerre dans l’ex Yougoslavie, le développement des attentats terroristes aussi en Europe, les vagues de réfugiés (hommes, femmes et enfants) qui cherchent désespérément un asile dans les pays de l’espace Schengen, les catastrophes dites naturelles à répétition, les catastrophes nucléaires comme celles de Tchernobyl en 1986 en Russie et celle de Fukushima en 2011 au Japon. Et plus récemment, la catastrophe qui a complètement détruit le port de Beyrouth au Liban, le 4 août 2020. Et la liste est longue.
Maintenant, nous avons une catastrophe sanitaire mondiale qui n’épargne plus aucun pays, aucun continent avec une hécatombe effarante. Face à la saturation des morgues pendant la première vague de la pandémie, certains États d’Europe, comme l’Espagne, ont même dû entasser des cadavres dans les patinoires !
La bourgeoisie doit imposer partout des mesures moyenâgeuses avec les confinements, les couvre-feux, la distanciation sociale. Tous les visages humains doivent être masqués avec des contrôles policiers à chaque coin de rue. Les frontières sont verrouillées, tous les lieux publics et culturels sont fermés dans la plupart des pays d’Europe. Jamais l’humanité, depuis la Seconde Guerre mondiale, n’avait vécu une telle épreuve. La pandémie de Covid-19 est donc bien aujourd’hui la principale manifestation de l’accélération de la décomposition du capitalisme.
C’est encore cette décomposition qui explique la montée des idéologies les plus irrationnelles, réactionnaires et obscurantistes. La montée du fanatisme religieux a provoqué la création de l’État islamiste avec de plus en plus de jeunes kamikazes embrigadés dans la “Guerre sainte” au nom d’Allah. La barbarie des attentats terroristes frappe régulièrement les populations en Europe, et notamment en France.
Toutes ces idéologies réactionnaires ont été aussi le fumier qui a permis le développement de la xénophobie et du populisme dans les pays centraux et surtout aux États-Unis.
L’arrivée de Trump au pouvoir, puis le refus d’admettre sa défaite électorale aux dernières présidentielles, a provoqué une explosion effarante du populisme. À Washington, ses troupes de choc avec leurs commandos, leurs milices armées complètement fanatisées, ont pris d’assaut le Capitole le 6 janvier dernier, sans que les forces de sécurité, censées protéger ce bâtiment, n’aient pu les en empêcher. Cette attaque ahurissante contre le temple de la démocratie américaine a donné au monde entier une image désastreuse de la première puissance mondiale. Le pays de la Démocratie et de Liberté est apparu comme une vulgaire république bananière du Tiers-Monde (comme le reconnaissait l’ex-président George Bush lui-même) avec le risque d’affrontements armés dans la population civile.
La montée de la violence sociale, de la criminalité, la fragmentation de la société américaine, les violences racistes contre les noirs, tout cela montre que les États-Unis sont devenus un concentré et le miroir du pourrissement de la société bourgeoise.
Même si le nouveau Président, Joe Biden, va essayer de contenir autant que possible la gangrène du populisme (avec l’ambition de “réconcilier le peuple américain”, comme il dit), il ne pourra pas stopper la dynamique générale de la décomposition. Il va faire tout ce qu’il peut pour réparer les dégâts considérables provoqués par Trump dans la gestion de la crise sanitaire. Mais le chaos est tel que la pandémie va continuer à faire encore des ravages et de nombreuses victimes. Et cela malgré la découverte des vaccins qui ne permettent pas aujourd’hui, et pour de nombreux mois encore, d’immuniser toute la population. L’OMS a d’ailleurs annoncé qu’il n’y aura pas d’immunité collective en 2021.
L’accumulation de toutes ces manifestations de la décomposition, à l’échelle mondiale et sur tous les plans de la société, montre que le capitalisme est bien entré, depuis trente ans, dans une nouvelle période historique : la phase ultime de sa décadence, celle de la décomposition. Toute la société tend à se disloquer dans un déchaînement de violence inouïe. Le système capitaliste devient complètement fou. Partout il sème la mort et la désolation. Entraîné dans une spirale infernale, il exhale une atmosphère sociale de plus en plus irrespirable et nauséabonde.
Cette situation de chaos généralisé donne une vision apocalyptique du monde.
Mais l’avenir est-il complètement bouché ? Notre réponse est : NON !
Au fond du gouffre de la décomposition, il existe une force sociale capable de renverser le capitalisme pour construire un monde nouveau, une véritable société humaine unifiée. Cette force sociale, c’est la classe ouvrière. C’est elle qui produit l’essentiel des richesses du monde. Mais c’est elle aussi qui est la principale victime de toutes les catastrophes engendrées par le capitalisme. C’est elle qui va encore faire les frais de l’aggravation de la crise économique mondiale.
La crise sanitaire ne peut qu’aggraver encore plus la crise économique. Et on le voit déjà avec les faillites d’entreprises, les charrettes de licenciements depuis le début de cette pandémie.
Face à l’aggravation de la misère, à la dégradation de toutes ses conditions de vie dans tous les pays, la classe ouvrière n’aura pas d’autre choix que de lutter contre les attaques de la bourgeoisie. Même si, aujourd’hui, elle subit le choc de cette pandémie, même si la décomposition sociale rend beaucoup plus difficile le développement de ses luttes, elle n’aura pas d’autre choix que de se battre pour survivre. Avec l’explosion du chômage dans les pays les plus développés, lutter ou crever, voilà la seule alternative qui va se poser aux masses croissantes de prolétaires et aux jeunes générations !
C’est dans ses combats futurs, sur son propre terrain de classe et au milieu des miasmes de la décomposition sociale, que le prolétariat va devoir se frayer un chemin, pour retrouver et affirmer sa perspective révolutionnaire.
Malgré toutes les souffrances qu’elle engendre, la crise économique reste, aujourd’hui encore, la meilleure alliée du prolétariat. Il ne faut donc pas voir dans la misère que la misère, mais aussi les conditions du dépassement de cette misère. L’avenir de l’humanité appartient toujours à la classe exploitée.
CCI, 29 janvier 2021
Il y a plus de cent millions de cas de Covid-19 de par le monde, avec un nombre de décès d’au moins deux millions, qui continue d’augmenter. C’est l’impact de la pandémie au niveau humain, avec des hôpitaux débordés, des vies en suspens pendant le confinement, des personnes isolées et une plus grande pauvreté, une situation incertaine avec l’imprévisibilité et l’incompétence des politiques de nombreux gouvernements et malgré l’arrivée des vaccins.
Pour le capitalisme, l’effet de la crise sanitaire est fortement ressenti au niveau économique. Le FMI a estimé que l’économie mondiale s’est contractée de 4,4 % en 2020, et que ce déclin était le pire depuis la Grande Dépression des années 1930. Bien que ce soit un coup dur pour le capitalisme au niveau international, il a eu également un effet massif sur la classe ouvrière. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) estime que les travailleurs du monde entier ont perdu jusqu’à 2700 milliards de livres sterling de revenus.
Si tous les grands pays ont été touchés, la crise n’a pas eu un impact uniforme. Le Royaume-Uni, par exemple, avec plus de 100 000 décès, a l’un des taux de mortalité par le coronavirus, les plus élevés du monde. En outre, tout au long de l’année 2020, l’ombre du Brexit a plané sur l’économie, les négociations se poursuivant pendant des mois jusqu’à ce que la bourgeoisie brise enfin les “chaînes” de l’UE au début de l’année 2021. La combinaison de la pandémie et du Brexit frappe un pays qui a déjà connu l’une des plus faibles reprises après la crise financière de 2008.
Mesurée par les fluctuations du PIB, l’économie britannique est probablement déjà entrée en récession, la première fois depuis les années 1970. Au deuxième trimestre de l’exercice en cours, le PIB a chuté de 19 %, la plus forte chute de son histoire. Même après quelques mois de croissance, on estime actuellement que l’économie est toujours inférieure de 8,5 %, à son niveau d’avant la pandémie. Le FMI estime à 10 % la contraction de l’économie britannique pour l’année dernière, soit la plus forte baisse de tous les pays du G7. Quels que soient es chiffres, l’économie n’a d’ores et déjà jamais connu une telle situation depuis le Grand Hiver de 1709, quand le PIB britannique avait chuté de 13 % (et il avait mis plus de 10 ans à se redresser).
Quant à la dette publique, les chiffres de l’Office des Statistiques Nationales (ONS) montrent que les emprunts du gouvernement britannique ont été les plus élevés jamais enregistrés en décembre, les dépenses ayant augmenté en raison du coronavirus et de la baisse des recettes fiscales. “Les emprunts ont atteint 34,1 milliards de livres sterling le mois dernier, soit environ 28 milliards de plus que le même mois de l’année précédente. Cette augmentation a porté le déficit budgétaire du gouvernement…à près de 271 milliards de livres pour les premiers mois de l’exercice financier, soit une hausse de plus de 212 milliards de livres par rapport à la même période l’année dernière. L’Office for Budget Responsibility… a estimé que les emprunts atteindraient 394 milliards de livres sterling d’ici la fin de l’exercice financier en mars, ce qui constituerait le déficit le plus élevé de l’Histoire en temps de paix… L’emprunt de décembre a fait passer la dette nationale – la somme totale de tous les déficits – à 2,1x1018 £ à la fin du mois de décembre, soit environ 99,4 %du PIB, le taux d’endettement le plus élevé depuis 1962”. (The Guardian 22/01 /21).
En 2019, le FMI avait déjà souligné que le niveau d’endettement des entreprises au Royaume Uni était si élevé que près de 40 % d’entre elles ne seraient pas en mesure de survivre en cas de récession deux fois moins profonde que celle de 2007-2008. Au cours de cette crise du Covid-19, l’hôtellerie a été particulièrement touchée et des avertissements ont été lancés sur le risque que des dizaines de milliers de pubs, restaurants, bars et hôtels disparaissent. En plus des autorisations d’ouverture, le gouvernement a adopté différentes mesures et mis en œuvre des solutions pour maintenir les entreprises à flot. Comme pour toute autre mesure capitaliste d’État (généralement soutenue par la gauche et les gauchistes), tôt ou tard, quelqu’un devra payer, c’est-à-dire la classe ouvrière en premier lieu. Si, par exemple, les plans de sauvetage Covid-19 sont liquidés, cela pourrait signifier que quelque 1,8 million d’entreprises au Royaume-Uni risquent de devenir insolvables, dont 336 000 risquent de faire faillite. Chaque fois que la permission d’ouvrir est supprimée, rien ne dit quelles industries seront capables de renaître.
Avant que le gouvernement ne fasse volte-face en décembre pour prolonger les vacances d’emplois, il y a eu un nombre record de licenciements, avec 370 000 personnes licenciées rien que pour la période août-octobre 2020. Les prévisions de centaines de milliers d’emplois menacés à la fin des vacances sont monnaie courante.
Depuis novembre 2020, le nombre de vacances d’emplois a doublé pour atteindre environ 5 millions. Ces 5 millions de personnes ne sont actuellement pas employées. Les prévisions pour la période suivant la fin du régime de chômage dû à la situation sanitaire sont que le chômage atteindra un pic de 7,5 % soit 2,6 millions de personnes. En février 2020, avant l’arrivée de la pandémie, le chiffre officiel du chômage était de 4 %. Selon ces chiffres officiels, la taux de chômage est passé à 5 % dans les trois mois précédant la fin novembre 2020, ce qui représente plus de 1,7 million de personnes – le plus haut niveau depuis août 2016. Mais les chiffres réels du chômage sont bien plus élevés que les chiffres officiels. On estime qu’au moins 300 000 personnes n’apparaissent pas dans les chiffres du chômage (leur existence étant attestée par d’autres indicateurs) et beaucoup ont renoncé à se déclarer au chômage par découragement. Parmi ceux qui ne bénéficient pas du régime de congé dû à la pandémie, des millions ont du mal à joindre les deux bouts, même avec les aides du Crédit Universel. Ainsi, lorsqu’on lit que le chômage a atteint son niveau le plus haut depuis plus de quatre ans au Royaume-Uni, on sait que le chiffre réel est beaucoup plus élevé.
Avant même que l’accord final ne soit conclu entre la Grande-Bretagne et l’UE en décembre 2020, les milliers de camions bloqués dans le Kent donnaient un avant-goût éloquent du fait que le Brexit ne serait pas synonyme d’échanges faciles. Au début de l’année 2021, les entreprises signalaient des retards dans les livraisons et les clients se plaignaient de droits de douane supplémentaires, de la TVA et d’autres frais supplémentaires sur les articles achetés dans l’UE. Il aurait pu y avoir un accord de non tarification avec l’UE, mais il existe des obstacles non tarifaires importants au commerce avec l’UE. Le chef des libéraux-démocrates a déclaré : “c’est le seul accord commercial de l’histoire qui érige des barrières commerciales au lieu de les supprimer ; il laisse à la Grande-Bretagne une frontière commerciale à la fois dans la Mer du Nord, la Manche et la Mer d’Irlande ; il signifie la fin des échanges commerciaux sans heurts avec l’UE et nécessite beaucoup de paperasse et de bureaucratie ainsi que de nombreuses commissions mixtes pour superviser son fonctionnement”. Lorsque l’accord a été conclu, il n’y avait pratiquement pas de mesures convenues pour simplifier les vérifications et contrôles douaniers.
En outre, l’accord ne couvre pas les services, qui représentent 80 % de l’économie britannique, dont 12 % sont destinés à l’UE. Tout ce que nous savons, c’est que les négociations vont se poursuivre. Cela montre que la célébration par le gouvernement d’un “grand” accord est une illusion : aucun des problèmes en suspens ne sera géré facilement et résolu à court terme.
Selon l’agence Moody (l’agence de notation du crédit), l’accord passé à la veille de Noël est biaisé en faveur de l’UE.
Selon les estimations du gouvernement britannique, grâce à l’accord conclu entre l’UE et le Royaume-Uni, la production ne sera inférieure que de 5 % dans 15 ans. Les économistes de Citigroup pensent cependant que l’économie britannique produira 2 à 2,5 % de moins en 2021 que si elle était restée dans l’UE et si elle avait renforcé ses liens avec celle-ci. Globalement, ils s’attendent à ce que le Royaume-Uni soit au moins en meilleure position qu’il ne l’aurait été en cas de Brexit “dur”, dans lequel le Royaume-Uni et l’UE auraient utilisé les règles de l’OMC pour le commerce. L’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) a, quant à elle, présenté des perspectives plus pessimistes. Elle prévoit que l’économie britannique connaîtra une croissance de 3,5 % inférieure à ce qu’elle aurait connu si elle était restée dans l’UE.
Les plus optimistes sont d’accord sur un point : l’économie britannique commencera à se redresser quand les vaccins seront disponibles en abondance. Mais avec un commerce qui coûte plus cher et qui est noyé par la “paperasserie” et une immigration en baisse, l’impact du Brexit aura des effets profonds et prolongés, et révélera toute la faiblesse du capitalisme britannique. Nicolas Bloom, un économiste de Stanford, a déclaré : “le Brexit c’est comme être tué par mille coups de couteau”. En comparaison, “le Covid, c’est comme être frappé trois fois par une batte de base-ball. Si on raisonne à long terme, le Brexit est bien pire que le Covid”.
Les conséquences économiques de la pandémie sont considérables, mais les effets négatifs du Brexit se poursuivront encore plus longtemps. Ensemble, ils posent d’énormes problèmes à la bourgeoisie et à la classe ouvrière. Les deux sont le produit de la période de décomposition, ce qui n’est un facteur positif pour aucune des deux classes. Pour l’avenir, nous pouvons nous attendre à ce que la classe dominante s’attaque davantage aux conditions de vie de la classe exploitée. La seule perspective pour la classe ouvrière est : répondre par une lutte unifiée, consciente, basée sur des exigences défensives immédiates, mais ouvrant une perspective au-delà de celles-ci.
Car, 28 janvier 2021
Cet article a comme objectif de faire connaître les positions de la Gauche communiste sur la récente grève des travailleurs agricoles, qui, selon nous, se situe sur le terrain de classe du prolétariat alors qu’elle se produit dans le contexte des manifestations citoyennes médiatisées par la bourgeoisie en défense de la démocratie bourgeoise et de l’ordre constitutionnel.1 Les travailleurs, de leur côté, se sont mobilisés pour la défense de leurs conditions de vie, contre les bas salaires et les conditions de travail précaires qu’ils subissent.
Suite à la réforme agraire mise en œuvre par le gouvernement militaire à la fin des années 19602, nous assistons depuis le milieu des années 1990 à un processus de reconcentration des terres en une série de groupes industriels bourgeois, au commerce lucratif, de l’agro-alimentaire (exportation de fruits et légumes vers les marchés nord-américains et européens. Les principales entreprises sont localisées au nord (La Libertad, Lambayeque, Ancash) et au sud de Lima (Ica). Actuellement, ces capitalistes agraires sont propriétaires de quasi un demi-million d’hectares et des ressources en eau de ces régions, profitant de surcroît de subventions et d’allégements fiscaux octroyés par les différents gouvernements qui se sont succédés. L’agro-industrie péruvienne est devenue « l’enfant gâté » au sein de cette “vitrine” de l’économie nationale (rôle traditionnellement tenu par l’industrie minière) et c’est celui qui aujourd’hui, génère les plus importants profits et jouit d’abondantes subventions financières et de juteux allègements fiscaux de la part de lÉtat.
Les ouvriers qui travaillent dans ces fabriques et sur ces terres proviennent de l’immigration et des villages qui entourent les propriétés et, à mesure que le secteur prospérait, le recrutement de « main d’œuvre » a augmenté. Il y a eu tellement d’ouvriers recrutés que la bourgeoisie parlait d’Ica comme d’une « région modèle de plein emploi », une sorte de paradis économique, digne d’être imité dans le reste du pays. Cependant, la propagande d’État et les capitalistes agro-industriels cachaient les conditions scandaleuses d’exploitation des ouvriers agraires. Salaires misérables de 39 soles (un peu moins de 9 euros), voire moins, par jour ; pas de CTS3 ni de gratifications ; pression et chantage pour augmenter la productivité et les quotas de production. Les longues journées commencent à 3 heures du matin jusqu’à la tombée de la nuit sous un soleil brûlant, les tâches et les postures sont néfastes pour la santé et il faut de plus supporter les cris et les mauvais traitements des contremaîtres qui obligent les ouvriers à travailler en silence, leur interdisant toute forme d’aide ou de solidarité entre eux. Le besoin de main d’œuvre a même amené les capitalistes à recruter des enfants pour la récolte. Bien évidemment, tout cela accompagné de la menace permanente de licenciement ou le non paiement de la journée de travail à la moindre réclamation contre ces misérables conditions de travail.
Depuis la vacance du pouvoir occasionnée par le départ de Pedro Pablo Kuczynski à la fin de 2017 jusqu’à aujourd’hui, 4 présidents ont été nommés par le Congrès. L’avant-dernier est seulement resté une semaine au pouvoir. De plus, l’actuel « gouvernement de transition » qui ne compte même pas un mois d’exercice a déjà vu passer trois ministres de l’Intérieur. Les faits de corruption qui ne font que croître, tout comme un cancer qui ronge les institutions bourgeoises, et que “dénoncent” tant les médias, ne sont rien de plus qu’une des expressions signifiatives de la phase historique de décomposition du système capitaliste4 [3]. Alors que tout cela se produit, les profits des grands capitaux péruviens augmentent, atteignant des niveaux qui font que leurs potentats ne se plaignent en rien de la pandémie.
La prolongation de cette situation dans le temps, à laquelle s’ajoutent l’impact économique et social de la pandémie, l’incapacité de développer une stratégie sanitaire capable de freiner la vague de contaminations et finalement, les manœuvres des factions bourgeoises qui s’affrontent au Congrès et se sont achevées avec le départ de l’ex-président Martin Vizcarra ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. L’explosion de l’indignation sociale a conduit aux événements du 14 janvier avec la mort de deux jeunes, ce qui a augmenté la pression sur la direction gouvernementale qui n’aurait pas hésité à poursuivre les assassinats, si cela avait été nécessaire. Dans cette ambiance de protestation et de revendications, s’ajoute le poids du chômage dans l’agricuture. Tout porte à croire que ce moment fut mis à profit pour soulever les problèmes qui probablement couvaient dans ce secteur de la production. De plus, il faut noter que, malgré le fait que le système capitaliste est en train de sombrer dans la crise économique et que la bourgeoisie péruvienne n’échappe pas à ses effets, celle-ci a pu, pour le moment, maintenir un certain contrôle sur la situation sociale. Il est certain que l’une des tendances dominantes du capitalisme en décomposition est que la bourgeoisie perd le contrôle sur ses forces politiques, comme nous l’avons expliqué au début de ce paragraphe ; néanmoins, la bourgeoisie péruvienne] a compris rapidement que la situation pourrait prendre une autre tournure que celle observée dans d’autres pays comme le Chili5 par exemple. L’attitude obstinée, prédominante jusqu’au bref gouvernement de Merino, a fait place à une position plus “conciliante”, plus « à l’écoute des demandes du peuple ». Au lieu d’envisager le projet d’une nouvelle Constitution ou sa réforme comme palliatif immédiat, se profile l’idée qu’il faudra attendre pour mener le « gouvernement de transition » jusqu’au terme des élections de l’année prochaine. Pour le moment, le gouvernement actuel véhicule le mensonge que les revendications des travailleurs seront écoutées, que les injustices commises les plus flagrantes seront corrigées. Il est évoqué l’éventuelle abrogation de la Loi de Promotion Agraire pour éviter, de surcroît, que les conflits sociaux soient menés par les travailleurs eux-mêmes, l’approbation par le parlement de la restitution de l’argent à ceux qui côtisent au système de pensions (ONP), le vote de la loi d’officialisation des taxis colllectifs tout comme celui de l’abrogation de l’immunité parlementaire, option politique bourgeoise qui a surgi bien avant l’arrivée de la pandémie. A cela s’ajoutent d’autres faits comme la réforme de la police nationale et la retraite opérée par le haut commandement de la police. Cela semble indiquer que la fraction bourgeoise qui est actuellement à la tête de l’État et quelques partis au parlement, font front commun dans une stratégie aux relents populistes, de manière à assurer une stabilisation de la situation et à récupérer des sièges dans les élections de l’année prochaine. Pour résumer, cela indique que les factions bourgeoises sont capables de mettre momentanément de côté leurs différends et d’agir de manière coordonnée lorsque les travailleurs entrent en scène et lorsque ses avantages et ses profits se voient menacés. Cela montre également que l’arsenal idéologique et les tromperies ne sont pas épuisés et que les ouvriers ne doivent pas tomber dans leurs pièges ni croire en leurs promesses. Bien que la bourgeoisie ait réussi à suivre le sens du vent, nous devons êtres conscients qu’au final, elle ne sera pas capable de répondre aux graves problèmes sociaux et elle ne renoncera pas non plus à exploiter le prolétariat. Elle ne sera pas non plus en mesure d’éviter les confrontations en son sein, chaque faction continuera de défendre bec et ongles sa part de pouvoir. Seule une action prolétarienne unie et organisée, mettant en pratique les méthodes de lutte inhérentes au mouvement ouvrier, permettra de mettre un terme au cauchemar du capitalisme en décomposition.
Nous affirmons que, à la différence des mobilisations citoyennes à Lima, cette grève des ouvriers des entreprises agro-industrielles a affiché un net caractère de classe. Le prolétariat a démontré sa force et sa capacité lorsqu’il assume directement sa lutte contre l’exploitation. Les ouvrières et ouvriers d’Ica ont commencé à protester contre leurs très pénibles et insupportables conditions de travail et tout en cessant l’activité, ils allaient bloquer l’autoroute Panamércaine pour se faire entendre.
Les forces du mouvement :
– La grève est la principale arme de lutte des travailleurs. C’est ce qu’ont compris les ouvriers des diverses entreprises du secteur qui ont à la fois paralysé la production en se mobilisant massivement et sont sortis de l’enfermement dans leur entreprise pour manifester dans les rues.
Les ouvriers et ouvrières ont également dirigé directement et sans intermédiaires la lutte, celle-ci prenant des formes diverses d’auto-organisation comme organiser des piquets de grève ou des soupes populaires. A Ica, l’inexistence de syndicats a empêché tout type de manœuvre ou de subordination des grévistes au sabotage et au boycott de la lutte, propres au syndicalisme.
– Une claire identité de classe s’est manifestée ainsi que des appels à ce que d’autres travailleurs se solidarisent et se joignent à la lutte. On a pu entendre des phrases comme : “Nous autres, les ouvriers, produisons les richesses pour qu’ils en profitent”; ou “à bas l’exploitation”, “augmentation des salaires”, etc. Tout cela marque une nette différence, par exemple, avec les mobilisations citoyennes à Lima, deux semaines auparavant. Toutes les revendications et pancartes des travailleurs agitaient des consignes dirigées CONTRE L’EXPLOITATION CAPITALISTE. Aucun appel propre à la litanie démocratique comme réclamer une “Nouvelle constitution”, invoquer les “droits du peuple” ou la “défense de la patrie” ne s’est fait entendre durant les cinq jours de cette lutte ouvrière.
Et malgré la brièveté de la grève, les ouvriers d’Ica ont été soutenus par la solidarité de leurs frères de classe des vallées de Moche et Viru au Nord, lesquels, à leur tour ont déclenché une grève dans leur région qui s’est soldée par l’assassinat d’un ouvrier par les hordes policières.
Les faiblesses du mouvement :
– Malgré le fort instinct de classe qui a marqué la grève, les faiblesses dont souffre actuellement le prolétariat mondial se sont manifestées également dans cette lutte. Par exemple, l’illusion légaliste et démocratique de croire que l’abrogation de la Loi de Promotion Agraire constituerait une “victoire” quand en réalité, un changement de loi ne changera jamais la situation objective de l’exploitation dont la racine est la division en classes, l’exploitation salariée, l’État bourgeois, le capitalisme. Rien de cela n’a été perçu. La grève n’a pas réussi à dépasser un stade revendicatif, nécessaire certes, mais pas suffisant pour avancer vers la solution des graves problèmes qui affectent l’ensemble du prolétariat mondial et toute l’humanité opprimée.
– Il y a eu quelques manifestations du poids du nationalisme comme l’apparition de quelques drapeaux péruviens sur les barricades mais cela était peu de choses en comparaison de l’orgie patriotique exhibée par les manifestants des marches citoyennes à Lima. En résumé, bien que ces manifestations du secteur agraire partagent un contexte politique et social marqué par les conflits entre factions bourgeoises ainsi que l’impact économique et social de la pandémie, elles se différencient de celles qui ont eu lieu autour du 14 novembre. En ce sens, elles n’ont rien à voir avec la protestation stérile et impuissante du mouvement citoyen, avec le ressentiment des secteurs de la petite-bourgeoisie qui se sentent frustrés et menacés par la crise, qui se voient s’approcher toujours plus de la pauvreté qui frappe les autres couches exploitées et qui placent leurs espoirs sur une impossible “régénération morale” de l’élite politique pourrie. La lutte du prolétariat ne ressemble en rien aux pleurnicheries de toute cette bande de journalistes, intellectuels et politiciens demandant des institutions “fortes” pour “qu’elles remettent de l’ordre” et qu’elles répriment toute manifestation de protestation ou d’indignation de la population dans le feu et le sang. Elle ne ressemble pas non plus aux actions désespérées et stériles du terrorisme ou du putschisme, fruits de prédilection du volontarisme fanatique des idéologies petite-bourgeoises qui souhaitent également imposer leurs propres intérêts et assumer le pouvoir d’État afin de perpétuer l’exploitation des travailleurs. Au fond, l’objectif final du prolétariat est de détruire le système capitaliste avec toutes ses institutions et non de remplacer un bourreau par un autre, une gestion par une autre, ce qui laisserait intacte la machine qui perpétue la misère sociale et qui menace la survie même de l’humanité.
Au moment où nous terminons cet article, les travailleurs agraires sont revenus à la charge, cette fois-ci pour réclamer le rejet par le parlement d’un texte qui légifère un nouveau Code du travail. De nouvelles actions visant à bloquer l’autoroute Panaméricaine sud durant la journée se sont développées, car ce qui avait été demandé n’a pas été satisfait, c’est-à-dire une rémunération basée sur une augmentation de 45 % du salaire mensuel, ce qui signifie 73 soles par journée de travail hors gratifications et CTS. Ce piège de la mobilisation sur le terrain de la défense de la légalité est mis en avant par la bourgeoisie, qui permet d’écarter le danger en enfermant la lutte dans un labyrinthe bureaucratique jusqu’à l’épuiser, de démoraliser les travailleurs et de leur ôter toute initiative, est une manœuvre bien connue, avec le concours et la participation active des syndicats.
S’il y a bien eu une expression d’auto-organisation, il y a eu des faiblesses. On note une grande détermination à lutter mais il n’y a pas eu d’assemblées générales et/ou de comité de grève qui centralise la lutte. La négociation a été confiée à des “dirigeants” et les ouvriers en ont passivement attendu 15 jours le “résultat”.
Lorsqu’ils ont vu que le parlement n’approuvait pas leur demande d’augmentation des salaires, les ouvriers ont immédiatement affirmé qu’on était en train de les duper et ils ont repris la grève.
Désormais, les travailleurs demandent également la destitution de l’actuel président et l’affrontement a laissé jusque maintenant 26 policiers blessés ; de plus, le Ministère de l’Intérieur a demandé aux manifestants de cesser le blocage de l’autoroute et des voix s’élèvent pour demander une plus grande fermeté. Dans un acte de provocation, des infiltrés dans la manifestation ont brûlé une ambulance, ce qui fait partie de la stratégie appuyée par les médias, de faire naître au sein de la population une réaction qui condamne le mouvement. Finalement, le gouvernement de Sagasti a déchaîné une brutale répression contre les travailleurs, asphyxiant avec des gaz lacrymogène les communautés voisines de la manifestation, causant des blessés, utilisant des hélicoptères et des chars de combat pour appuyer un énorme contingent de forces policières et militaires qui n’ont pas hésité à déchaîner leur furie contre une population sans défense, affirmant que les manifestations ont été fomentées et orchestrées par des “vandales” qui veulent s’en prendre aux véhicules et en même temps aux propriétés des grands entrepreneurs. Les entreprises agricoles ont suspendu leurs opérations, demandant le “rétablissement de l’ordre public, la sécurité et la libre-circulation” dans La Libertad et à Ica, signalant que l’arrêt de la production se maintiendra “jusqu’à ce que soit rétabli l’État de droit”. Ces actions sont destinées, en premier lieu, à créer une image de la protestation qui soit chaotique, désastreuse et dénuée de sens, de façon à la diaboliser et en plus à diviser les ouvriers entre eux en utilisant le chantage que la paralysie des activités signifiera une perte de revenus et d’emplois pour environ 100 000 travailleurs. Sans pour autant s’arrêter là, les grandes entreprises tentent de détourner tout le ressentiment qu’éprouvent les ouvriers vis-à-vis de leur exploitation vers des entreprises de taille plus modeste en disant que “beaucoup de travailleurs agricoles ont vu leurs droits violés durant de nombreuses années à cause de chefs d’entreprises malhonnêtes”6, tentant de dissimuler leur responsabilité directe dans la précarisation des conditions salariales et d’existence des ouvriers ; cela en plus de leur hypocrisie manifeste, vu qu’ils passent sous silence la réduction des coûts de production à travers le recours à ces petites entreprises intermédiaires.
Il faut souligner que l’un des aspects centraux de la stratégie de la bourgeoisie est de maintenir les travailleurs empêtrés dans le fétichisme démocratique7, dans la vision erronée qui considère l’État non pas comme l’appareil de domination des capitalistes sur la classe laborieuse mais comme une sorte d’arbitre, de pouvoir neutre au-dessus des classes qui pourrait, en faisant pression sur lui, intervenir en leur faveur en promulguant des lois qui reconnaitraient le bien-fondé des améliorations des conditions de travail et des augmentations salariales. Cette vision est bien entendue alimentée par toutes les organisations de la gauche du capital comme les Fédérations et syndicats agraires, les ONG comme CONVEAGRO, la CGTP, les députés de gauche et quelques dirigeants des ouvriers en lutte qui, en véritables pompiers, négocient avec les patrons et le Ministère du Travail ; négociations dans lesquelles tous sont d’accord pour épargner au maximum les profits de la bourgeoisie agro-industrielle, limitant le salaire à 54 soles, ce qui a eu pour conséquence que les ouvriers indignés sortent de nouveau de leur usine pour reprendre la lutte comme à Ica et dans les vallées du nord. Les ouvriers ont compris que, dans la négociation avec les hautes sphères, on mijote de nouvelles escroqueries à leur encontre, qu’on est en train de les berner, sans comprendre que ces groupuscules qui négocient en leur nom font aussi partie de la classe exploiteuse.
Bien que les travailleurs ne puissent renoncer aux luttes revendicatives, moments qui peuvent être mis à profit pour débattre et tirer des leçons, ils doivent comprendre que rester sur ce terrain est un piège qui mènera toujours à une impasse s’ils ne sortent pas du domaine légal et du respect de la Constitution. La véritable libération des travailleurs viendra lorsqu’ils feront voler en éclats l’ordre bourgeois avec ses lois, ses constitutions et ses syndicats, projetant ainsi une véritable transformation qui libère également l’humanité de ce système social en putréfaction.
Internacionalismo, section au Pérou du Courant Communiste International, 24/12/2020
1Voir sur notre site en Espagne : “Peru : frente a la crisis politica de la burgusia, autonomia et internacionalismo proletario” [5], ICCOnline, noviembre 2020.
2Gouvernement du général Velasco Alvarado (1968-75) qui s’est présenté comme un « gouvernement du peuple » avec une forte démagogie nationaliste et populiste.
3CTS : la Compensation pour Temps de Service, est une indemnisation pour licenciement ou fin de contrat de travail. Le montant est misérable.
4“Ainsi la phase décomposition de la société capitaliste ne se présente pas seulement comme celle faisant suite aux phases caractérisées par le capitalisme d’Etat et la crise permanente
Dans la mesure où les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent, et même s’approfondissent, la phase de décomposition apparaît comme celle résultant de l’accumulation de toutes ces caractéristiques d’un système moribond, celle-ci parachève et chapeaute trois quarts de siècle d’agonie d’un mode de production condamné par l’histoire […] Les manifestations de l’absence totale de perspectives de la société actuelle sont encore plus évidentes sur le plan politique et idéologique. Ainsi : l’incroyable corruption qui croît et prospère dans l’appareil politique, le déferlement de scandales dans la plupart des pays tels le Japon (où il devient de plus en plus difficile de distinguer l’appareil gouvernemental du milieu des gangsters […]”. “Thèses sur la décomposition”, Revue internationale n°107 [6].
5Voir la série d’articles sur les événements au Chili : “El dilema no es dictadura – democracia sino barbarie capitalista o lucha de clases proletaria” [7]
6“Firmas agrícolas suspenden operaciones para evitar violencia contra sus instalaciones” [8], site du journal El commercio, (23 décembre 2020).
7“Cette vision idyllique et naïve de la “démocratie” est un mythe. La « démocratie est le paravent idéologique qui sert à masquer la dictature du Capital dans ses pôles les plus développpés. Il n’y a pas de différence fondamentale de nature entre les divers modèles que la propagande capitaliste oppose les uns aux autres pour les besoins de ses campagnes idéologiques de mystification. Tous les systèmes soi-disant différents par leur nature, qui ont servi de faire-valoir à la propagande démocratique depuis le début du siècle sont des expressions de la dictature de la bourgeoisie, du capitalisme. La forme, l’apparence peuvent varier, pas le fond. […]Dans sa forme la plus sophistiquée de la dictature du capital qu’est la “démocratie”, le capitalisme d’État doit parvenir à la gageure de faire croire que règne la plus grande liberté. Pour cela, à la coercition brutale, à la répression féroce doit le plus souvent, lorsque c’est possible, se substituer la manipulation en douceur qui permet d’aboutir au même résultat sans que la victime s’en aperçoive ». “Comment est organisée la bourgeoisie ? Le mensonge de l’Etat “démocratique” [9], Revue internationale n°76.
Après avoir exposé nos critiques sur le contenu de l’intervention du PCI (qui publie le journal Le Prolétaire en France) suite au mouvement de lutte contre la réforme des retraites, nous proposons dans ce second article de poursuivre la polémique en revenant sur le cœur de ce qui fait nos divergences sur le sujet.
Dans notre précédent article (1), nous avons souligné et critiqué une approche que nous avions jugée opportuniste de la part du PCI lors de son intervention dans le mouvement contre la réforme des retraites. Le PCI, en effet, même s’il se situe dans le camp prolétarien, n’a pas été en mesure de défendre l’autonomie du combat de la classe ouvrière. Selon nous, il est nécessaire de revenir sur ses approches, sur les fondements théoriques de notions essentielles (notamment l’analyse du rapport de force entre les classes et la question de la conscience de classe) pour clarifier la méthode avec laquelle nous devons défendre l’autonomie de la lutte du prolétariat.
La perception qu’a le PCI de la dynamique de la lutte de classe aujourd’hui, peut être exposée à l’aune de ce qu’il a écrit ces dernières décennies. Selon les camarades, le fait qu’il n’y a pas eu de vague révolutionnaire après la Seconde Guerre mondiale fait que la classe ouvrière aurait été entièrement “dominée par le réformisme”. Ainsi, pour le PCI “la situation du prolétariat aujourd’hui, en particulier dans les pays capitalistes les plus développés, reste encore une situation de paralysie de ses grandes masses, encore sous l’emprise du réformisme et du collaborationnisme interclassiste”. (2) Si les camarades reconnaissent que des grèves et des luttes assez dures ont pu exister, comme en Mai 68, rien sur le fond ne permet à leurs yeux de souligner une différence fondamentale ou qualitative par rapport à la période qui a suivi la terrible défaite du prolétariat après la vague révolutionnaire des années 1920. (3) Autrement dit, et contrairement à l’analyse du CCI, Mai 68 ne marquerait nullement une modification dans le rapport de force entre les classes. A fortiori, les luttes du mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver dernier en France, pas davantage. Rien n’aurait donc changé de manière significative à partir de 1968.
Or, les luttes de Mai 68 en France et celles qui ont immédiatement suivi de part le monde (Italie et Argentine en 1969, Pologne en 1970…), ont non seulement marqué le réveil international de la lutte d’un prolétariat qui n’était pas prêt à accepter l’austérité, mais également une forte dynamique de résistance face à la perspective, bien réelle durant la guerre froide, d’une nouvelle boucherie mondiale entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, et d’un cataclysme nucléaire. Les camarades du PCI, évinçant le prolétariat en tant que sujet conscient de la scène durant toute cette période, n’y voient qu’une masse “réformiste”, sous le joug d’une sorte de “condominium russo-américain sur le monde”. (4)
La négation de l’expérience issue de tout un processus de luttes après 1968 ne pouvait qu’empêcher les camarades de saisir la dimension politique des vagues de luttes des années 1980. Durant cette période, le combat s’est accompagné d’une maturation de la conscience de la classe ouvrière, notamment par la confrontation croissante aux syndicats, aux forces de l’État cherchant par la propagande à encadrer et à soumettre idéologiquement les ouvriers.
Inversement, alors qu’avec l’effondrement du bloc de l’Est toute une offensive médiatique, un véritable bourrage de crâne sur la “victoire de la démocratie”, la “disparition de la classe ouvrière” et la prétendue “faillite du communisme” allait avoir un impact négatif puissant, provoquant un recul dans les luttes à l’aube des années 1990, le PCI notait que l’effondrement de l’URSS avait “retiré un obstacle de grande ampleur à la reconstitution du mouvement de classe prolétarien”. (5) Le CCI soulignait, au contraire (et les faits nous ont donné raison), que le prolétariat allait être exposé aux campagnes idéologiques les plus mensongères et les plus dangereuses, aux miasmes exhalés par l’entrée du capitalisme dans sa phase historique ultime de décomposition. Nous avions à cette époque défendu que le prolétariat allait subir un recul significatif de ses luttes. Les camarades du PCI ne signalaient par contre rien de nouveau, mis à part le caractère prétendument “positif” de l’effondrement de l’URSS !
Il n’est donc pas surprenant aujourd’hui de constater que les camarades ne perçoivent pas la signification politique du mouvement de la lutte, l’hiver dernier, contre la réforme des retraites en France. Après quasiment une décennie d’atonie au sein du prolétariat, les camarades notaient certes une lente reprise de la combativité, mais sans être en mesure de prendre en compte la signification du changement opéré, de même que ce qui s’était développé également entre temps depuis le mouvement de 2003 : une maturation souterraine de la conscience de classe qui, malgré un reflux de la lutte lié à la brusque irruption du Covid-19, n’en constitue pas moins une réelle expérience, une aspiration non brisée à plus de solidarité et, en ce sens, un jalon pour faire émerger les prémices d’une reconquête de l’identité de classe.
En fin de compte, si le PCI n’est pas en mesure de percevoir les évolutions plus ou moins en dents de scie du rapport de force entre les classes, ses facteurs subjectifs, c’est que pour lui : “on ne peut parler de lutte de classe au sens marxiste du terme, que quand existe le parti de classe, que lorsqu’il dirige effectivement la lutte d’une fraction au moins du prolétariat”. (6) Bien entendu, vu sous cet angle, toute évolution ne peut s’avérer qu’insignifiante et sans objet tant que n’existe pas le parti du prolétariat !
Cela est d’autant plus évident que le PCI ne place la conscience ouvrière qu’exclusivement dans le Parti, totalement séparée de la classe elle-même : “Le parti de classe […] est l’incarnation de la conscience de classe du prolétariat : lui seul possède la théorie révolutionnaire, le programme communiste, c’est-à-dire la perspective de la lutte prolétarienne poussée jusqu’à son objectif final qui est la société communiste”. (7) La maturation de la conscience du prolétariat ne pourrait se réaliser autrement que par l’unique vecteur du Parti, elle ne “s’incarnerait” que dans la perspective d’adhésion au Parti détenteur d’une vérité programmatique immuable qui est ainsi transformé en une sorte de Messie porté par ses Saintes Écritures et ses Tables de la Loi. Pour le PCI, la classe ouvrière possèderait, en définitive, un simple “instinct” de classe lui permettant de lutter uniquement pour la défense de ses conditions de travail et d’existence mais elle serait incapable de dépasser par elle-même une vision purement trade-unioniste. Si tel était le cas, comment pourrait-elle à un moment donné reconnaître le rôle fondamental du “parti” ou plus généralement des organisations révolutionnaires pour la victoire de son combat révolutionnaire ? Par la parole révélée du parti frappant de plein fouet l’esprit de la classe peut-être ?… En réalité, toute réflexion réelle se développant au sein de la classe échappe à l’attention des camarades, soit parce qu’ils l’ignorent par principe, soit parce qu’ils en négligent la portée.
Le PCI affirme pourtant qu’une des tâches majeures des révolutionnaires consiste à “œuvrer en toutes circonstances pour l’indépendance de classe du prolétariat”. (8) Bien que nous partagions totalement cet objectif, nous pensons qu’il est nécessaire, pour le défendre, de partir de la dynamique réelle du combat de la classe ouvrière, en tenant compte justement du développement de sa conscience, de ses initiatives et des conditions historiques dans lesquelles elles s’expriment. Mais ce processus, comme nous l’avons vu, le PCI le nie au sein de la classe et ne le voit que dans le seul Parti !
Or, ce qu’a montré l’histoire du mouvement ouvrier, c’est que la classe ouvrière, comme le disait Trotsky, est capable de prendre en main elle-même “sa destinée” de manière consciente, tout comme Marx disait lui-même que le communisme ne peut être que “l’œuvre des travailleurs eux-mêmes”. Le prolétariat n’est pas un simple poids mort, à la remorque d’un Parti qui lui serait “extérieur” et qui serait “omniscient”, voire infaillible. L’histoire de la révolution russe, au moment même où le capitalisme entrait sa phase de déclin, a bien montré comment, par toute une maturation politique, le prolétariat pouvait se hisser lui-même à des sommets, en faisant surgir par son propre combat et sa réflexion politique les soviets (conseils ouvriers), la “forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat”, comme l’écrivait Lénine. Cette “découverte”, peu avant et dans le contexte de l’effervescence d’une vague de luttes révolutionnaires mondiale, d’une véritable ébullition politique, témoignait justement de la capacité d’organisation et d’inventivité des masses elles-mêmes, leur moyen d’exprimer une authentique autonomie face aux autres classes ou couches sociales de la société, alors que le Parti mondial n’était par encore constitué et que les bolcheviks n’avaient au départ que très peu d’influence. On peut dire que c’est cette dynamique même de réflexion autonome dans la classe qui posait les conditions devant permettre à l’avant-garde du prolétariat de se hisser à la hauteur des nécessités politiques en s’armant théoriquement elle-même pour prendre le pouvoir et tenter d’étendre la révolution. Le PCI néglige donc le fait que le prolétariat est capable de développer sa propre conscience pour accéder à la connaissance théorique de ses buts, de ses moyens et de ses principes : “la théorie peut s’emparer des masses”, comme le disait Marx. Cela conduit les camarades du PCI à retarder, et finalement à se couper de tout processus conscient qui existe au sein de la classe ouvrière.
Cette question de la conscience était pourtant bien défendue au sein du mouvement ouvrier dès l’époque de l’Internationale communiste (IC), pour qui il était important de combattre pour “l’action de masse du prolétariat” et pour “conquérir à l’intérieur des soviets une majorité sûre et consciente”. (9) Une telle politique était conforme avec la conception en devenir selon laquelle les révolutionnaires n’ont pas à “organiser la classe” mais à œuvrer pour favoriser sa prise de conscience politique. Si la révolution ne peut être assurée sans le rôle indispensable d’orientation du Parti, elle ne saurait vaincre sans une prise de conscience politique en profondeur au sein des masses ouvrières elles-mêmes, qui ne peuvent suivre de manière aveugle le Parti (loin d’être infaillible comme l’a montrée l’histoire). Dans ce cadre, il est bien évident que si les ouvriers peuvent naturellement s’organiser, ce n’est pas dans une structure “permanente”, comme le pense le PCI, mais par un effort conscient, certes distinct, mais profondément lié à celui du Parti qui pourra surgir, dans un rapport unitaire et lié aux conseils ouvriers. Cela, contre toutes les influences des autres couches ou classes réactionnaires de la société.
Dans la période actuelle de décadence de capitalisme, en dehors de toute phase révolutionnaire, l’organisation des prolétaires est nécessairement éphémère et liée au rythme de la lutte elle-même. Elle “est constituée par les assemblées générales des ouvriers en lutte, des comités de grève désignés par ces assemblées et révocables par elles, des comités centraux de grève composés de délégués des différents comités de grève. Par nature, ces organisations existent par et pour la lutte et sont destinées à disparaître une fois que la lutte est achevée. Leur principale différence avec les syndicats, c’est justement qu’elles ne sont pas permanentes et qu’elles n’ont pas l’occasion, de ce fait, d’être absorbées par l’État capitaliste”. (10) Telles sont les principes et méthodes de lutte éprouvées dans les années 1980, notamment lors du combat des ouvriers en Pologne, lorsqu’ils ont pu en 48 heures seulement, étendre leur mouvement à tous les grands centres industriels du pays en basant leur réflexion et leur activité solidaire à partir des MKS (assemblées générales massives) pour décider eux-mêmes au plan politique des modalités de la lutte. Ce sont ces organes politiques qui ont été des creusets de conscience et d’organisation pour la classe ouvrière, même s’ils ont été immédiatement dans le collimateur de l’État qui les a torpillés, particulièrement au moyen du syndicat “libre” Solidarnosc qui en avait pris rapidement le contrôle pour mener la lutte à la défaite et la livrer à la répression.
Ce sont ces mêmes méthodes de luttes, bien qu’à moindre échelle, qui ont été mises en œuvre par les assemblées générales souveraines lors de la lutte de 2006 contre le CPE en France et qui ont obtenu le retrait de cette attaque, chose inédite depuis de longues années. Ces assemblées commençaient à élargir le combat des étudiants, majoritairement filles et fils de prolétaires, à l’ensemble des salariés, des jeunes précaires, des chômeurs et des retraités. Ces assemblées autonomes et souveraines avaient été capables de prendre en main le combat en opposition aux syndicats, du moins au début, avec un débat franc et ouvert à tous les exploités, pour réfléchir à la façon de mener la lutte. Une démarche que craignaient la bourgeoisie et le gouvernement Villepin de l’époque, obligés et forcés de reculer.
Nous avons retrouvé, quelques années plus tard, ces mêmes approches prolétariennes lors des assemblées générales ouvertes à tous du mouvement Occupy et celui des Indignados, en dépit de faiblesses et fragilités importantes.
Si la prise en main de véritables assemblée souveraines n’a pas été possible lors du mouvement contre la réforme des retraites l’hiver dernier (contrairement à ce que pense le PCI qui vante les mérites des AG syndicales interprofessionnelles) ce mouvement était plutôt guidé par une aspiration de solidarité et une volonté de combattre. Cela s’est vérifié par la mobilisation et l’état d’esprit dans les manifestations, même si ces dernières restaient sous emprise syndicale.
Cette volonté de se battre s’exprimait également dans un contexte ou des minorités tendent à se rapprocher, même avec de grandes difficultés et confusions, des positions de la Gauche communiste. Ce processus, fragile, certes moléculaire, témoigne du fait que la réflexion politique existe bien dans les tréfonds du prolétariat. Les organisations du milieu politique prolétarien doivent le reconnaître et stimuler cette dynamique pour conduire à davantage de clarté et de conviction révolutionnaire : “Ainsi, de la même manière que la conscience de classe n’est pas une conscience sur quelque chose d’extérieur au prolétariat mais la conscience que le prolétariat a de lui-même en tant que classe révolutionnaire, les révolutionnaires n’entrent pas en relation avec le prolétariat sur base d’une origine différente. Les révolutionnaires vivent comme une partie de la conscience du prolétariat et servent à homogénéiser celle-ci. Rien de plus normal, dans cette mesure, de les voir entrer dans la même lutte que l’ensemble de leur classe, participer à la même pratique globale, élaborer et enrichir le même programme. Les communistes ne possèdent pas de théorie qui soit leur trésor personnel, le fruit de leurs brillants cerveaux. Concevoir le programme communiste comme une table des dix commandements est donc une idiotie. Le programme révolutionnaire ne possède aucune origine mystique et il n’est pas un code invariant. Il est au contraire une œuvre concrète de la classe elle-même ; une arme de sa lutte. Il n’est pas seulement un énoncé abstrait des buts finaux de la société et de la lutte ouvrière, mais aussi une analyse minutieuse et concrète du développement réel précédent, de la situation économique, sociale et politique, avec toutes ses particularités bien matérielles”. (11) Cette analyse “minutieuse” nécessaire, lors du mouvement contre la réforme des retraites en France, a échappé en grande partie au PCI du fait de son opportunisme.
La profondeur de la pandémie planétaire de Covid-19, l’inquiétude sociale, les attaques présentes et à venir, dans la réalité de la phase actuelle de décomposition du capitalisme, générant toutes sortes de miasmes et de catastrophes, vont probablement avoir un impact négatif et jouer un rôle paralysant durant tout un temps, en pourrissant les consciences. Mais il n’empêche que ce mouvement contre la réforme des retraites en France aura laissé des traces durables et une expérience positive pour le futur. Il est indispensable pour les révolutionnaires de prendre cela en compte pour mener le combat, d’autant plus que la défense de l’autonomie de classe constitue aujourd’hui un enjeu vital face au danger de luttes sur un terrain interclassiste comme on l’a vu avec le mouvement des “gilets jaunes” en France ou face au mécontentement général lié aux mesures contre la pandémie, voire sur le terrain carrément bourgeois au nom de l’antiracisme comme Black Lives Matter aux États-Unis.
WH, 17 octobre 2020
1Voir sur notre site : “Les graves faiblesses du PCI dans le mouvement contre la réforme des retraites (Partie 1)” [11]
2“Ce qui nous distingue [12]” sur le site : pcint.org.
3La révolution d’Octobre 1917 en Russie marque le début d’une vague révolutionnaire internationale, que l’échec, en particulier lors de la révolution en Allemagne en 1919-23, a condamné à une rapide dégénérescence. L’arrivée au pouvoir de la clique bourgeoise stalinienne fut le coup de grâce porté à cette vague révolutionnaire et marqua le début de la contre-révolution triomphante dans le monde entier, à la fois sur le plan physique (arrestations, exécutions, massacres…) et idéologique. Cette dernière devait durer près de 50 ans.
4“Sur la période historique actuelle et les tâches des révolutionnaires”, Programme communiste n° 103 (janvier 2016).
5Idem.
6“Ce qui nous distingue [12]” sur le site : pcint.org.
7Idem.
8“Sur la période historique actuelle et les tâches des révolutionnaires”, Programme communiste n° 103 (janvier 2016).
9“Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat” rédigées par Lénine pour le premier congrès de l’IC.
10“L’opportunisme du PCI sur la question syndicale le conduit à sous-estimer l’ennemi de classe”.
11Voir notre brochure : Organisation communiste et conscience de classe.
Après la révolution russe en 1917, la révolution en Allemagne en 1918, la création de l’Internationale communiste en 1919, le CCI revient aujourd’hui sur le centième anniversaire du tragique écrasement de la révolte des marins, soldats et ouvriers de Kronstadt en mars 1921 avec la republication d’un document Les leçons de Kronstadt [15] paru dans la Revue internationale n° 3 afin de tirer les leçons essentielles de cet événement pour les luttes futures.
Au mois de mars 1921, l’État soviétique, dirigé par le parti bolchevik, met fin par la force militaire au soulèvement des marins et des soldats de la garnison de Kronstadt, sur l’île de Kotline dans le golfe de Finlande, à 30 km de Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Les 15 000 soldats et marins insurgés sont assaillis par 50 000 soldats de l’Armée rouge, dès le 7 mars au soir. Après dix jours de combats acharnés, le soulèvement de Kronstadt est écrasé. Un chiffre fiable du nombre de victimes n’est pas disponible, mais on estime à plus de 3 000 le nombre de morts et exécutés du côté des insurgés et à plus de 10 000 morts du côté de l’Armée rouge. Selon un communiqué de la Commission extraordinaire datant du 1er mai 1921, 6 528 rebelles ont été arrêtés, 2 168 exécutés (un tiers), 1 955 condamnés au travail obligatoire (dont 1 486 pour cinq années), et 1 272 libérés. Les familles des rebelles ont été déportées en Sibérie. Et 8 000 marins, soldats et civils réussissent à s’échapper vers la Finlande.
Moins de 4 ans après la prise de pouvoir par la classe ouvrière en Russie en octobre 1917, ces événements expriment de façon tragique le processus de dégénérescence d’une révolution isolée et à bout de souffle. En effet, cette révolte ouvrière est celle de partisans du régime des Soviets, de ceux qui en 1905 et en 1917 étaient à l’avant-garde du mouvement et qui pendant la révolution d’Octobre étaient considérés comme “l’honneur et la gloire de la révolution”. En 1921, les révoltés de Kronstadt exigent la satisfaction de revendications rejoignant celles des ouvriers de Petrograd en grève depuis le mois de février : libération de tous les socialistes emprisonnés, fin de l’état de siège, liberté d’expression, de la presse et de réunion pour tous ceux qui travaillent, une ration égale pour tous les ouvriers… Mais ce qui souligne l’importance de ce mouvement et exprime son profond caractère prolétarien, c’est non seulement la réaction face aux mesures de restriction mais surtout la réaction face à la dépossession et à la perte du pouvoir politique des conseils ouvriers au profit du Parti et de l’État, qui se substituent à eux et sont censés dès lors représenter l’orientation et les intérêts du prolétariat. Ceci est exprimé dès le premier point de leur résolution : “Étant donné que les soviets actuels n’expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans, d’organiser immédiatement des réélections aux soviets au vote secret en ayant soin d’organiser une libre propagande électorale”.
La bourgeoisie, en se référant à la répression des révoltés par l’Armée rouge, a toujours essayé de prouver aux prolétaires qu’il y a un fil ininterrompu reliant Marx et Lénine à Staline et au goulag. L’objectif de la bourgeoisie est de faire en sorte que les prolétaires se détournent de l’histoire de leur classe et ne se réapproprient pas ses propres expériences. Les thèses des anarchistes en arrivent aux mêmes conclusions en s’appuyant sur la prétendue nature autoritaire et contre-révolutionnaire du marxisme et des partis agissant en son nom. Les anarchistes portent en fait un regard abstraitement “moral” sur les événements. Partant du postulat de l’autoritarisme inhérent du parti bolchevik, ils sont incapables d’expliquer le processus de dégénérescence de la révolution en général et de l’épisode de Kronstadt, en particulier : une révolution qui s’épuise après sept années de guerre mondiale et de guerre civile, avec une infrastructure industrielle en ruines, une classe ouvrière décimée, affamée, confrontée à des insurrections paysannes dans les provinces. Une révolution dramatiquement isolée, pour qui la perspective de l’extension internationale est de moins en moins probable après l’échec de la révolution en Allemagne, sur tous ces problèmes auxquels furent confrontés la classe ouvrière et le parti bolchevik, les anarchistes ferment les yeux.
La principale leçon historique, fondamentale pour la perspective d’une révolution prolétarienne mondiale, de la répression de la révolte de Kronstadt concerne la violence de classe. Si la violence révolutionnaire est une arme du prolétariat pour abattre le capitalisme face à ses ennemis de classe, sous aucun prétexte, elle ne peut être utilisée et s’exercer au sein même de la classe ouvrière, contre d’autres prolétaires. Ce n’est pas par la force et la violence qu’on impose le communisme au prolétariat parce que ces moyens s’opposent catégoriquement au développement du caractère conscient de sa révolution qu’il ne peut acquérir que par sa propre expérience et l’examen critique constant de cette expérience. La décision par le parti bolchevik de réprimer Kronstadt ne peut se comprendre que dans le contexte de l’isolement international de la révolution russe et de la terrible guerre civile qui frappait alors la région. Une telle décision n’en demeure pas moins une erreur tragique en s’exerçant contre des ouvriers qui s’étaient dressés pour défendre leur principale arme de transformation politique consciente de la société et le véritable organe vital de la dictature de prolétariat : le pouvoir des Soviets.
Voir aussi sur le même sujet dans la Revue Internationale et dans notre journal Révolution Internationale :
– “ [15]Les leçons de Kronstadt”, Revue internationale n° 3 (4e Trimestre 1975). [15]
– “ [16]Le communisme n’est pas un bel idéal, il est à l’ordre du jour de l’histoire [8° partie]”, [16]Revue internationale n° 100 (1er semestre 2020). [16]
– “ [17]1921 comprendre Kronstadt”, [17]Revue internationale n° 104, (1er trimestre 2006). [17]
– “ [18]Le soulèvement de Kronstadt”, [18]Révolution internationale n° 84 (avril 1981). [18]
– “ [19]Kronstadt : contre les thèses anarchistes, les leçons tirées par la Gauche communiste”, [19]Révolution internationale n° 310 (mars 2001). [19]
Marc Chirik nous a quittés il y a 30 ans, en décembre 1990. En hommage aux précieuses contributions de notre camarade, de ce grand révolutionnaire dans la lignée de Marx, Engels, Lénine et Rosa Luxemburg, nous republions ci-dessous la série de deux articles parus dans la Revue internationale n° 65 et 66, juste après sa mort. Ces deux articles retracent les grandes lignes de sa vie et rappellent ses apports inestimables à la cause du mouvement ouvrier et à la défense de la méthode marxiste.
Dans cette courte présentation de ces textes, nous voudrions seulement souligner trois aspects essentiels qui ont caractérisé sa vie et son activité révolutionnaire.
D’abord, au cours d’une vie militante active de plus de 70 ans, il a été, de sa jeunesse jusqu’à son dernier souffle, un lutteur acharné, un combattant inlassable pour la cause révolutionnaire du prolétariat et du communisme. Il consacra toute son énergie à la défense intransigeante et ferme des principes internationalistes prolétariens et du marxisme. Il n’a jamais cessé d’être à la pointe du combat en mettant à profit toute son expérience politique, théorique et organisationnelle. Le militantisme révolutionnaire a été une boussole constante dans sa vie. Même au cours de la terrible période de contre-révolution, Marc n’a jamais cessé d’œuvrer à l’élaboration et la clarification des positions de la Gauche communiste avec patience et détermination. Dans ces années terribles, il a inlassablement combattu contre les trahisons du camp prolétarien mais il a aussi lutté au sein de toutes les organisations dans lesquelles il a milité, contre les manœuœuvres et dérives opportunistes, contre les attitudes centristes, en combattant fermement les conceptions et les dérives académistes comme activistes. Il a su garder le même cap et poursuivre le même combat avec la même détermination en prenant activement part au ressurgissement du prolétariat sur la scène historique en Mai 1968 avec un enthousiasme débordant, en s’impliquant totalement dans le regroupement des forces révolutionnaires qui ont donné naissance à l’actuel CCI. Il a apporté toute son énergie militante, sa conviction et son expérience dans l’orientation et la contruction de cette organisation comme ensuite dans les tentatives de regroupement et de clarification des positions des organisations du milieu politique prolétarien dans les années 1980.
Un autre trait fondamental de son tempérament fut sa capacité à maintenir vivant les acquis théoriques du mouvement révolutionnaire en particulier ceux produits par la fraction de gauche du Parti communiste d’Italie. Il put ainsi s’orienter de façon critique et lucide dans l’analyse de l’évolution de la situation mondiale. Ce “flair” politique, fondé sur l’analyse globale du rapport de forces entre les classes, lui permit de remettre en cause certains “dogmes” du mouvement ouvrier, sans pour autant s’écarter de la démarche et la méthode marxiste du matérialisme historique mais en l’ancrant au contraire dans la dynamique de l’évolution de la réalité historique concrète. A la fin de sa vie, il apporta une dernière contribution théorique en étant un des premiers dans le CCI à déceler que le capitalisme était entré dans la phase terminale de sa période de décadence, celle de sa décomposition. Il mit ainsi en avant que le prolétariat ne pouvait nullement utiliser à son profit ce pourrissement sur pied du système capitaliste mais que cette situation impliquait de nouveaux enjeux décisifs pour le prolétariat et pour la survie de l’humanité.
Le dernier élément que que nous voulons mettre en exergue est sa détermination à transmettre les leçons du mouvement ouvrier et l’expérience organisationnelle des révolutionnaires à de nouvelles générations afin de former de nouveaux militants et de permettre au CCI d’assurer la continuité politique dans les futurs combats de classe. Il était convaincu au plus haut point du besoin indispensable de l’organisation révolutionnaire pour le prolétariat, comme du besoin d’un pont reliant le passé, le présent et le futur de la lutte de classe comme de la nécessité vitale de la préservation d’une continuité organique vivante des organisations révolutionnaires. Il était conscient de représenter lui-même ce fil ténu qui reliait la continuité organique et historique de l’expérience de la classe et la mémoire vivante du mouvement ouvrier. Tout en mettant constamment en avant que “le prolétariat sécrète des organisations révolutionnaires et non pas des individus révolutionnaires”, il insistait aussi beaucoup sur les responsabilités individuelles de chaque militant et sur le sentiment de solidarité et de respect entre eux.
Rien ne saurait mieux exprimer la vie de Marc que ce que Rosa Luxemburg synthétisait en une simple phrase : “J’étais, je suis, je serai”.
– “MARC : De la révolution d'octobre 1917 à la deuxième guerre mondiale [23]”
– “MARC : II - De la deuxième guerre mondiale à la période actuelle [24]”
Il y a 150 ans, le 18 mars 1871, débutait le premier assaut révolutionnaire du prolétariat, donnant naissance à la Commune de Paris. Face à la guerre totale que lui déclara la bourgeoisie, la Commune résista pendant 72 jours, jusqu’au 28 mai 1871 : sa répression impitoyable coûta la vie à 20 000 prolétaires. Depuis, pour la classe ouvrière, de génération en génération, la Commune de Paris est un exemple, une référence, un patrimoine appartenant aux exploités du monde entier ; sûrement pas à son bourreau, la bourgeoisie, qui multiplie aujourd’hui les commémorations indécentes pour falsifier son histoire et jeter aux oubliettes les précieuses leçons que le mouvement ouvrier a su en tirer.
Durant plusieurs semaines, les journaux, les chaînes de télévisions et de radio verront défiler historiens, journalistes, hommes politiques, écrivains qui, tous, s’attacheront à faire leur sale travail de propagande au service de leur classe. De la droite à la gauche, en passant par l’extrême gauche, toute la bourgeoisie ira de ses mensonges des plus flagrants aux plus subtils.
Si la droite s’est indignée de la timidité avec laquelle l’État prévoyait de “commémorer” le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, elle a bien sûr montré toute sa morgue à propos des communards, (1) ces “assassins”, ces “fauteurs de trouble”, ces “agents du désordre” qui n’auraient qu’à rester là où ils sont, c’est-à-dire six pieds sous terre. Il faut remonter à 2016 pour voir Le Figaro, journal français de droite bien connu, avancer crûment ce que le “parti de l’ordre” a toujours pensé sur le fond, et ce sans équivoque : “Les communards ont détruit Paris, massacrés les gens honnêtes et même affamé Paris en détruisant les immenses magasins du grenier de l’abondance, grenier des réserves de céréales qui approvisionnait les boulangers de Paris”. La crapulerie et l’ignominie sont ici sans limites. C’est ainsi que les insurgés, déjà traités à l’époque comme de la vermine, devenaient responsables de leur propre famine et par la même occasion les affameurs des “honnêtes gens”. Autrement dit, si la classe ouvrière à Paris fut réduite à manger des rats, ce fut de sa faute ! Comme à son habitude, et notamment depuis les lendemains de l’événement, la droite, qui a toujours été terrorisée par les “classes dangereuses”, répète à l’envi son discours haineux assimilant les communards à des sauvages sanguinaires.
Mais cette campagne d’accusations grossières, menée avec de trop gros sabots, manquant cruellement de finesse, connaît très vite ses limites aux yeux de la classe ouvrière. Il revient donc aux forces de gauche du capital de mener l’essentiel et le véritable travail de falsification la signification de la Commune de Paris.
À partir du 18 mars prochain et durant 72 jours, la mairie de Paris va organiser pas moins de cinquante événements pour prétendument célébrer les 150 ans de la Commune. Le ton sera donné dès le 18 mars dans le square Louise Michel (18e arrondissement de Paris), en présence d’Anne Hidalgo, la maire “socialiste” de la capitale.
Ce lieu n’est pas choisi au hasard. Louise Michel a été l’une des combattantes les plus connues et héroïque de la Commune qui, lors de son jugement, refusa même la pitié des bourreaux de la Commune en leur lançant au visage : “Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’ait droit qu’a un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi”. Alors qui sont ces gens qui, aujourd’hui, veulent mettre en scène d’une façon totalement tronquée la mémoire de la Commune ? Qui sont Madame Hidalgo et tout son conseil municipal “socialiste” ? Rien de moins que les descendants des traîtres social-démocrates qui passèrent irrémédiablement dans le camp de la bourgeoisie au cours de la Première Guerre mondiale.
Depuis ce temps, dans l’opposition ou au gouvernement, les “socialistes” ont toujours agi contre les intérêts de la classe ouvrière. C’est donc en toute hypocrisie et à des fins de récupération politique que le premier adjoint d’Anne Hidalgo lors des vœux de 2021 pouvait cyniquement instrumentaliser la mémoire de Louise Michel en la citant : “Chacun cherche sa route, nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour ou le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé le genre humain sera heureux”. Pour les communards, ces mots signifiaient la fin de l’esclavage salarié, la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, la destruction de l’État bourgeois. Voilà quel était pour eux le sens des mots “liberté” et “égalité”. Voilà pourquoi à la place du drapeau tricolore des Versaillais qui flotte aujourd’hui sur le toit de l’Hôtel de Ville de Paris, les communards y avaient dressé le drapeau rouge, symbole du combat des ouvriers du monde entier ! Mais pour cette classe d’exploiteurs et de massacreurs, le “règne de la liberté” n’est rien de plus que le règne du commerce, de la domination et de l’exploitation des prolétaires dans les bagnes industriels.
Le Parti socialiste peut bien multiplier les spectacles à la gloire de la démocratie bourgeoise aux quatre coins de la capitale, les intellectuels, écrivains, cinéastes de gauche peuvent bien sortir films et ouvrages à profusion pour diluer le caractère révolutionnaire de la Commune, la presse peut bien, à l’image du Guardian, (2) la faire passer pour une “lutte du peuple” et la comparer au mouvement interclassiste des “gilets jaunes” afin d’en nier le caractère indubitablement prolétarien, la Commune de Paris ne fut ni un combat pour la mise en œuvre des valeurs et de la démocratie bourgeoise, cette forme la plus sophistiquée de la domination de classe et du capital, ni un combat du “peuple de Paris”, voire de la “petite-bourgeoisie artisanale”. Elle incarnait au contraire une lutte à mort pour abattre le pouvoir de la classe bourgeoise dont le parti socialiste et tous les notables de “gauche” sont aujourd’hui les dignes représentants.
Les gauchistes ne sont pas en reste quand il s’agit d’apporter leur petite pierre à l’édifice de la falsification des expériences du mouvement ouvrier. Il s’agit d’ailleurs le plus souvent des déformations les plus insidieuses.
Ainsi, les trotskistes du NPA enfourche le cheval de la “démocratie directe” pour dénaturer la signification de la Commune. Ces gauchistes reconnaissent bien que les communards se sont attaqués à l’État, mais pour en déduire de fausses leçons, pour tirer des conclusions inoffensives pour le capital qu’ils défendent avec zèle. Le NPA du Loiret, par exemple, dans un bulletin publié le 13 mars dernier, ouvre ses colonnes à l’historien Roger Martelli (3) dont la prose est un véritable plaidoyer pour la démocratie bourgeoise : “Sans doctrines figées, sans même un programme achevé, la Commune a fait en quelques semaines ce que la République va mettre bien du temps à décider. Elle a ouvert la voie à une conception du “vivre ensemble”, fondé sur l’égalité et la solidarité. Elle a enfin esquissé la possibilité d’une demande moins étroitement représentative, plus directement citoyenne. En bref elle a voulu mettre concrètement en œuvre ce “gouvernement du peuple par le peuple” dont le président Lincoln avait annoncé l’avènement des années plus tôt”. Quelle honte ! Martelli crache sans aucun scrupule sur la tombe des communards ! Le NPA, de manière totalement ouverte et “décomplexée”, fait passer la Commune pour une simple réforme démocratique radicale habillée de participation populaire. En fin de compte, l’avenir que préfigurait la Commune est ramené à l’idéal bourgeois démocratique !
Jean Jaurès, malgré ses préjugés réformistes, avait au moins l’honnêteté intellectuelle, contrairement aux falsificateurs du NPA, de dire que : “la Commune fut dans son essence, elle fut dans son fond la première grande bataille rangée du travail contre le capital. Et c’est même parce qu’elle fut cela avant tout qu’elle fut vaincue, qu’elle fut égorgée”. (4)
De son côté, Lutte ouvrière (LO), l’autre principal parti trotskiste français, contribue avec son langage faussement radical à cette campagne de falsification en feignant d’opposer la démocratie parlementaire (à laquelle LO participe sans rechigner depuis des décennies) à la dictature du prolétariat, c’est-à-dire, à ses yeux, une forme plus radicale de démocratie bourgeoise. C’est ce que ce parti électoraliste expliquait en 2001 : “Dans un programme qu’ils n’eurent pas le temps de développer, les communards proposaient que toutes les communes des grandes villes aux plus petits hameaux de campagne s’organisent selon le modèle de la Commune de Paris et qu’elles constituent la structure de base d’une nouvelle forme d’État vraiment démocratique”. (5) C’est la raison pour laquelle, LO s’empresse de préciser : “Cela ne signifie pas que les communistes révolutionnaires sont indifférents aux libertés dites démocratiques, bien au contraire, ne serait-ce que parce qu’elles permettent aux militants de défendre plus ouvertement leurs idées”. (6)
Les organisations de la gauche du capital jouent sans conteste le rôle le plus perfide, consistant à présenter la Commune comme une expérience de démocratie “radicale”, qui n’aurait pas eu d’autres horizons que d’améliorer le fonctionnement de l’État. Rien de plus ! 150 ans après, la Commune de Paris a de nouveau à faire à la Sainte alliance de toutes les forces réactionnaires bourgeoises, comme elle a eu à faire en son temps à la Sainte alliance de l’État prussien et de la République française. Ce sont les trésors politiques légués par la Commune que la classe bourgeoise cherche à cacher et enterrer.
En réalité, comme l’ont affirmé haut et fort Marx et Engels au lendemain de l’événement, la Commune de Paris s’est lancée dans le premier assaut révolutionnaire du prolétariat en voulant détruire l’État bourgeois. La Commune chercha immédiatement à asseoir son pouvoir en supprimant l’armée permanente et les administrations d’État, en instaurant la révocabilité permanente des membres de la Commune, responsables devant l’ensemble de ceux qui les avaient élus. Bien avant les révolutions de 1905 et 1917 en Russie, alors que les conditions historiques n’étaient pas mûres, les communards se sont engagés sur le chemin de la formation des conseils ouvriers, “la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat” comme le disait Lénine. Ce n’est donc pas la construction d’un État “réellement démocratique” auquel s’attelaient ainsi les communards, mais à la remise en cause de la domination de la classe bourgeoise. La Commune de Paris a démontré que la “classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État toute prête et de la faire fonctionner pour son propre compte”. (7) C’est une des leçons essentielles que Marx et le mouvement ouvrier ont tiré de cette expérience tragique.
Si la Commune de Paris était un assaut prématuré qui s’est conclu par le massacre de la fine fleur du prolétariat mondial, il ne demeure pas moins qu’elle fut un combat héroïque du prolétariat parisien, une contribution inestimable à la lutte historique des exploités. Pour cette raison, il reste fondamental que la classe ouvrière du XXIe siècle soit en mesure de s’approprier et de faire vivre l’expérience de la Commune et les leçons inestimables que les révolutionnaires en ont tiré.
Paul, 18 mars 2020.
Pour approfondir les leçons de la Commune de Paris, nous conseillons la lecture des articles suivant :
– “La Commune de Paris, premier assaut révolutionnaire du prolétariat [27]”.
– “1871 : la première révolution prolétarienne : le communisme, une société sans État [28]”, huitième partie de notre série : “Le communisme n’est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle”.
– “Glorification du Sacré-Cœur : un nouveau crime contre la Commune de Paris [29]”.
1 Au Conseil de Paris, les élus de droite se sont opposés à la célébration des 150 ans de la Commune, menant une campagne assourdissante sur la légitimité et même le devoir national de célébrer la mort de Napoléon Bonaparte.
2 “Vive la Commune? The working-class insurrection that shook the world”, The Guardian (7 mars 2021).
3Lié au courant rénovateur du parti stalinien en France, le PCF, désormais proche du parti de gauche, La France insoumise, au discours nationaliste très musclé.
4Jean Jaurès, Histoire Socialiste.
5“Démocratie, démocratie parlementaire, démocratie communale”. Cercle Léon Trotski intitulé n° 89 (26 janvier 2001). Dans cet article qui en dit très long sur l’idéologie démocratise de LO, le parti trotskiste ajoute d’ailleurs sans sourciller : “Parmi toutes les institutions bourgeoises, les municipalités [c’est-à-dire les rouages de la démocratie bourgeoise où LO a le plus de chance d’obtenir des élus] restent encore aujourd’hui, potentiellement, les plus démocratiques, parce qu’elles sont les plus proches de la population, les plus soumises à son contrôle”. Sans commentaire…
6“La Commune de Paris et ses enseignements pour aujourd’hui”, Lutte de classe n° 214 (mars 2021).
7 Marx et Engels, Préface du Manifeste du Parti communiste (24 juin 1872).
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[2] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne
[3] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/coronavirus
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/covid-19
[5] https://es.internationalism.org/content/4622/peru-frente-la-crisis-politica-de-la-burguesia-autonomia-e-internacionalismo-proletario
[6] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[7] https://es.internationalism.org/content/4615/chile-el-dilema-no-es-dictadura-democracia-sino-barbarie-capitalista-o-lucha-de-clases
[8] https://elcomercio.pe/economia/peru/firmas-agricolas-anuncian-suspension-de-operaciones-para-evitar-violencia-contra-sus-instalaciones-nndc-noticia/
[9] https://fr.internationalism.org/rinte76/mensonge.htm
[10] https://fr.internationalism.org/tag/5/242/perou
[11] https://fr.internationalism.org/content/10392/graves-faiblesses-du-pci-mouvement-contre-reforme-des-retraites-partie-1
[12] https://www.pcint.org/20_Cqnd_Prg_Qsn_Site/Cqnd_Fr.htm
[13] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/syndicalisme
[14] mailto:[email protected]
[15] https://fr.internationalism.org/rinte3/kronstadt.htm
[16] https://fr.internationalism.org/french/rint/100_communisme_ideal
[17] https://fr.internationalism.org/rinte104/cronstadt.htm
[18] https://fr.internationalism.org/content/10159/soulevement-kronstadt
[19] https://fr.internationalism.org/ri310/anars.html
[20] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[21] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/troisieme-internationale
[22] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/kronstadt
[23] https://fr.internationalism.org/rinte65/marc.htm
[24] https://fr.internationalism.org/rinte66/marc.htm
[25] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/marc-chirik
[26] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[27] https://fr.internationalism.org/isme351/la_commune_de_paris_premier_assaut_revolutionnaire_du_proletariat.html
[28] https://fr.internationalism.org/rinte77/communisme.htm
[29] https://fr.internationalism.org/content/9995/glorification-du-sacre-coeur-nouveau-crime-contre-commune-paris
[30] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/commune-paris-1871