Soumis par Révolution Inte... le
Les élections européennes qui se sont tenues en mai ont ravivé le piège du cirque électoral et de la mystification démocratique sur un terrain que les prolétaires n’ont aucun intérêt à défendre. Elles ont aussi redessiné quelque peu le paysage du parlement européen. Si les conservateurs et les sociaux-démocrates restent les principales forces politiques à Bruxelles, il n’en demeure pas moins qu’ils ont subi un véritable revers en perdant respectivement 43 et 36 sièges. Comme on pouvait s’y attendre, les partis populistes voient leur nombre de sièges augmenter mais on est loin du raz-de-marée annoncé par les analystes en tous genres au cours des semaines ayant précédé l’élection ! La véritable “surprise” reste la percée des écologistes, glanant près de 30 sièges supplémentaires, alors que ce courant politique était un peu en difficulté sur l’échiquier politique bourgeois depuis quelques années.
La campagne en faveur du climat a porté ses fruits !
Il n’aura échappé à personne que la bourgeoisie développe depuis plusieurs mois une intense campagne de propagande sur la question climatique (1) afin de mobiliser la classe ouvrière ainsi que la future jeunesse exploitée sur le terrain de l’écologie et de la défense de la démocratie. Cela pour détourner encore l’attention de la question centrale posée par la logique meurtrière et destructrice du système capitaliste.
Il n’est pas difficile d’entrevoir les effets de cette campagne lors de ces élections. D’une part, toutes les tendances politiques ont pu se réjouir de l’envolée du taux de participation en hausse de 9 points par rapport à 2014. Elles ont toutes applaudi ce score jamais vu pour des élections européennes et ont savouré la “victoire de l’Europe et de la démocratie” en martelant que ces Européennes consacraient la véritable souveraineté des peuples du vieux continent. Il semblerait que les jeunes générations se soient largement mobilisées pour venir aux urnes ce coup-ci. C’est une chose suffisamment rare pour être signalée, elles qui d’habitude sont pointées du doigt par tous les faiseurs de pensée de la bourgeoisie, accusées de négliger “leur devoir de citoyens” ! Pour ces élections, près de 40 % des 18-35 ans se sont déplacés selon l’institut de sondage Ipsos. C’est 14 points de plus que lors des élections de 2014. En France, près de 51 % des 18-35 ans sont allés voter, le plus gros score depuis 25 ans. Cette gonflée des urnes serait-elle due à une poussée subite “d’européophilie” de la part des jeunes générations ? Certainement pas ! Ces futurs exploités ont surtout été influencés par le mouvement Youth for climate et par son égérie Greta Thunberg qui préconisaient de faire pression sur la classe politique afin que cette dernière prenne des mesures énergiques contre le réchauffement climatique et la destruction de la planète. Comme nous l’avons affirmé en mars dernier au moment où cette mobilisation battait son plein : “Les manifestations se concentrent sur la réalisation de “conversations” avec des ministres, des parlementaires, des groupes de pression et des militants écologistes. Cela ne sert qu’à laver le visage de l’État démocratique et à se perdre dans le labyrinthe des lois et des politiques gouvernementales. Les tentatives de “dialogue” avec les porte-parole politiques ne débouchent que sur des promesses grandiloquentes qui ne résolvent rien”. (2)
Il ne fait pas de doute que la part significative des votes des 18-24 ans (28 %) et des 25-34 ans (25 %) en faveur d’Europe Ecologie Les Verts en France est une conséquence directe de toute cette grande mobilisation écologiste qui dure depuis des mois partout dans le monde, dans la rue et véhiculée par les médias. Face au discrédit des partis traditionnels et au peu d’engouement que soulèvent les nouvelles formations politiques, l’écologisme est un thème de mystification recyclé que la bourgeoisie a sorti de son chapeau afin de mobiliser la classe ouvrière sur le terrain électoral. Le capitalisme “vert”, soi-disant “moins prédateur” et “plus humain”, est une illusion totale qui ne vise qu’à dédouaner le capitalisme, un mode de production destructeur qui n’a plus rien à offrir à l’humanité si ce n’est de crever la gueule ouverte.
Un raz-de-marée populiste ?
Dès le résultat des élections, les fractions les plus responsables du capital se sont également félicitées d’avoir su contenir la percée des formations populistes. Dans les semaines précédant les élections, la presse et les médias annonçaient sans ambages une déferlante populiste en passe de redéfinir l’équilibre des forces dans l’hémicycle bruxellois. Ces pronostics largement exagérés visaient à mobiliser les exploités sur le terrain de l’anti-populisme. La bourgeoisie exhortait les populations européennes à se rendre aux urnes pour défendre les institutions démocratiques en passe d’être mises en péril.
En fait, les résultats des formations populistes varient fortement selon les pays. Si la victoire de la Ligue en Italie et du Brexit party en Grande-Bretagne confirme la difficulté pour les fractions les plus responsables de ces pays de refouler le populisme au sein de l’appareil politique, il n’en est pas de même dans d’autres pays comme en France où le Rassemblement national n’a pas profité autant que prévu de la mobilisation des “gilets jaunes”. C’est également le cas en Autriche et en Allemagne où l’AfD n’est arrivé qu’en quatrième position. Par conséquent, si le populisme, comme phénomène, continue de progresser en Europe, les partis populistes, eux, sont globalement contenus. Ces élections montrent ainsi une certaine capacité de la bourgeoisie à pouvoir résister malgré tout à l’avancée du populisme. Cette fois-ci, en préparant habilement le terrain aux formations écologistes.
L’Union Européenne, plus divisée que jamais
Le nouveau revers subi par les partis traditionnels dans plusieurs pays, la progression du populisme et la “surprise” écologiste dessinent un hémicycle européen en forme de mosaïque dans lequel on a du mal à voir se détacher une majorité parlementaire claire. Ces résultats confirment et renforcent donc la division qui règne entre les différentes bourgeoisies sur la politique de l’Union Européenne, l’antagonisme le plus aigu se situant entre les partis euro-sceptiques et les partis pro-européens. En effet, l’ancrage des fractions ultra-nationalistes favorables à la fermeture des frontières, accroît le chacun pour soi et les antagonismes politiques et économiques au sein de l’UE. Cette incapacité à mettre en œuvre une politique cohérente et coordonnée dans plusieurs domaines, affaiblit la capacité de l’UE à faire face à la concurrence venue d’Amérique ou d’Asie. Par exemple, si le Brexit est une catastrophe pour le Royaume-Uni, il affaiblit aussi fortement la puissance économique européenne.
Le morcèlement du parlement est aussi à l’origine de la foire d’empoigne qui s’est déroulée sous nos yeux au sujet de la nomination du futur président de la Commission européenne dont dépend également la nomination aux principaux autres postes importants de l’UE (présidence du conseil, chef de la diplomatie et de la sécurité, direction de la BCE, participation aux Sommets internationaux…). Le bras de fer auquel on a assisté ces dernières semaines au sujet de la candidature de Manfred Weber, le poulain d’Angela Merkel, témoigne des tensions qui s’instaurent sur le sujet entre les principaux leaders de l’Union européenne ; tous soucieux de défendre leur rang et de maintenir ou de renforcer leur influence en essayant de placer leur champion aux postes-clés.
Cet épisode a montré une nouvelle fois que le “couple franco-allemand” bat de l’aile puisque Emmanuel Macron était le principal opposant à ce qu’un proche d’Angela Merkel devienne le “chef” de l’UE. La volte-face de la présidente d’Outre-Rhin confirme l’affaiblissement de l’emprise de l’Allemagne au sein des 28, son leadership étant de plus en plus contesté par les principales puissances du continent, à commencer par la France. Les deux jours de négociations passés à Bruxelles sans le moindre résultat ont montré que l’Union européenne reste un terrain sur lequel les impérialismes européens s’expriment allègrement même si cela doit venir perturber momentanément les rouages de l’UE. Au final, les choses se sont réglées en catimini entre la France et l’Allemagne, ce qui a permis à Angela Merkel et à Emmanuel Macron de rappeler qui étaient les véritables leaders de l’Europe. Ursula von der Leyen, ministre de la défense du gouvernement Merkel est nommée présidente de la commission. En échange, la française Christine Lagarde, actuelle présidente du FMI, prendra les rênes de la BCE à compter de novembre. Ce coup de force, jetant aux orties le mode du spitzenkandidat, s’est attiré les foudres de la social-démocratie européenne et d’une partie du parlement qui élit son président en ce moment même.
Ainsi, ces luttes d’influence et ces tensions internes mettent une nouvelle fois en lumière que “l’unité européenne” n’est rien d’autre qu’un mythe. Si les bourgeoisies européennes ont de plus en plus besoin de coordonner leurs politiques pour faire face à la concurrence impérialiste extérieure et à la crise du capitalisme, cela ne met pas fin aux antagonismes au sein même de l’Europe qui, bien au contraire, ne font que se renforcer dans une Europe à 28 où chaque puissance, quel que soit son rang, veut défendre ses intérêts, les nouveaux entrants refusant de jouer les seconds couteaux.
Par conséquent, “l’idéal” de la “construction européenne” n’est en rien le signe d’un avenir meilleur mais une illusion entretenue par la classe dominante pour masquer la réalité du monde capitaliste suant par tous ses pores non seulement la concurrence acharnée entre États mais aussi le chaos, la misère et la mort que ce système sans avenir et enlisé dans ses contradictions porte dans ses entrailles.
Time, 3 juillet 2019
1 Voir à ce sujet notre article : “L’idéologie verte au service du capitalisme”, Révolution Internationale n° 476.
2 Tract international du CCI : “Le capitalisme menace la planète et la survie de l’humanité : seule la lutte mondiale du prolétariat peut mettre fin à cette menace”.