Soumis par Révolution Inte... le
“Que faire de 1917 ?”, c’est la question que pose Olivier Besancenot en titre de son dernier livre. Le porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) s’ingénie habilement à jouer le marchand de sable toujours prompt à endormir le prolétariat dans les draps de l’interclassisme et de la démocratie.
“Peuple” ou classe ?
Ce “révolutionnaire” officiel des médias et de la bourgeoisie s’est ici fixé l’objectif de jouer les redresseurs de torts en réhabilitant le personnage principal de cette histoire : “le peuple russe”, “ce héros oublié qui s’est dressé, il y a cent ans, contre le tsarisme et contre la guerre, et qui s’est auto-organisé à travers une multitude de conseils populaires”. A lire ces quelques lignes, figurant dans l’introduction du livre, on comprend très vite, et le contraire eut été étonnant, que cette prétendue “contre-histoire de la révolution russe” ne se démarque en rien de l’histoire officielle et mensongère dispensée depuis des décennies par des cénacles d’historiens s’acharnant à nier le caractère spécifiquement prolétarien de la révolution d’Octobre 1917. Comme à son habitude, sournoisement, la gauche du capital, travestit les leçons que le prolétariat d’aujourd’hui pourrait tirer de l’un des événements les plus glorieux de l’histoire de la classe ouvrière et de ses luttes.
Ainsi, tout au long de cet essai, l’action de la classe ouvrière en Russie est noyée dans les méandres du peuple russe. En effet, ce dernier aurait été “le véritable acteur de cette période”, composé “de millions de mains invisibles, populaires et besogneuses”. Ce centenaire serait l’occasion “de se mettre dans les pas de cette plèbe anonyme qui se constitua sciemment en peuple souverain et en classe sociale assumée”. Pour finir, sur la réduction de la révolution d’Octobre à une confrontation entre “les classes populaires” et la classe dominante. Comme on l’aura compris, cette référence à l’initiative populaire ne quitte pas l’argumentation du leader de la gauche radicale. Ici, la classe ouvrière est enfouie sous un amas de couches sociales, faisant de la révolution d’Octobre un mouvement informe et insaisissable où le prolétariat ne semble pas avoir joué un rôle particulier et déterminant. Au contraire, pour Besancenot, ce mouvement serait donc l’alliance concertée des ouvriers, des paysans et de toutes les couches non-exploiteuses de la société qui aurait sonné le glas du tsarisme et creusé les sillons d’une société nouvelle. En réalité, la révolution d’Octobre représente, à ce jour, la tentative d’émancipation de l’humanité la plus poussée parce que la classe ouvrière, consciente de ses potentialités, a pu s’affirmer de manière autonome et a su se placer à l’avant-garde de toutes les autres couches sociales exploitées. En centrant sa lutte sur l’arrêt de la guerre impérialiste, en créant des soviets comme organisation de tous les exploités, en cherchant à remettre en cause la propriété privée des moyens de production et la loi de la valeur, le prolétariat a su affirmer ses propres revendications, son propre être historique et ainsi, il a pu se rallier les autres couches non exploiteuses. En véritable agent de la conservation sociale, la gauche du capital préfère célébrer un mouvement mensongèrement interclassiste et faire oublier que seul le prolétariat peut jouer un rôle déterminant dans l’émancipation de l’humanité.
Négation de l’internationalisme et lunettes démocratiques petites-bourgeoises
Par ailleurs, bien que Besancenot s’en défende, l’événement n’est pas du tout replacé dans le contexte international et sa portée, en tant que point culminant de la vague révolutionnaire mondiale, est très largement masquée. Par conséquent, en enfermant la classe ouvrière à l’intérieur du “peuple russe”, en négligeant la dimension mondiale d’Octobre 1917, ce livre porte un coup à l’internationalisme qui reste encore aujourd’hui le principe phare qui permettra de guider le prolétariat sur la route de la révolution mondiale.
Après avoir célébré le peuple russe, Besancenot entreprend de réduire l’ensemble des luttes du mouvement ouvrier et tout particulièrement la révolution d’Octobre 1917 à un combat en faveur de la démocratie. Octobre n’exprimerait pas autre chose, tout comme la Commune de Paris qui est réduite à un “type inédit de démocratie conciliant contrôle direct à la base et suffrage universel”. Du début à la fin du livre, la révolution d’Octobre se voit attribuer le même label à travers plusieurs qualificatifs fallacieux : “démocratie nouvelle”, “foyer de la démocratie”, “démocratie politique différente”… En falsifiant complètement le but que s’est fixée la classe ouvrière mondiale à partir de 1917, la prise du pouvoir international et la destruction du capitalisme, ce livre leurre et stérilise le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière d’aujourd’hui. La révolution d’Octobre n’avait pas vocation à améliorer les institutions de la démocratie bourgeoise. Au contraire, elle tenta d’arracher les racines de la société bourgeoise en appelant à l’abolition des classes sociales et de l’État ainsi qu’à la socialisation des moyens de production. La démocratie, elle, en particulier sous sa forme de “gauche”, prétendument “socialiste” fut le chien sanglant de la bourgeoisie contre le prolétariat en lutte en Allemagne et a fait le lit de la contre-révolution mondiale ; c’est par exemple sous le masque de la démocratie que Noske (ministre de la défense et membre du SPD), Ebert (chancelier en 1918 et membre du SPD) et Scheidemann (chancelier à partir de février 1919 et membre du SPD) et, avec eux, toute la social-démocratie au pouvoir orchestrèrent la répression féroce de la vague révolutionnaire de 1918-1923 en Allemagne, avec l’assassinat de milliers d’ouvriers, notamment des spartakistes Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht en janvier 1919.
L’un des grands apports de la Gauche communiste d’Italie est d’avoir levé le voile sur cette forme de gouvernement dont le fondement est basé sur le mensonge selon lequel toutes les classes et les couches sociales auraient tout à gagner à participer au jeu électoral où l’équilibre entre la majorité et la minorité serait enfin trouvé. Comme l’a énoncé la fraction de la Gauche italienne, “la démocratie, en tant que forme de vie sociale, représentait une forme plus avancée seulement quand le capitalisme ne s’était pas encore emparé du pouvoir, c’est-à-dire lorsqu’il représentait lui-même une classe révolutionnaire. Dans la situation actuelle au contraire, où le capitalisme est au poste de commandement de l’économie mondiale, la démocratie ne représente aucunement un pas en avant pour le prolétariat, au contraire, elle apparaît comme une ressource immédiate que l’ennemi manœuvre contre la révolution communiste”. (1)
En bon porte-parole du NPA, Besancenot exploite et déforme lui au contraire les errances théoriques de Trotsky et l’opportunisme congénital du courant trotskiste. Il joue à merveille son rôle d’agent de la bourgeoisie qui, derrière un langage et des mots d’ordre en apparence radicaux, ne fait que mystifier un prolétariat incapable pour le moment d’entrevoir la perspective dont il est porteur.
Besancenot brouille les cartes sur les causes de la contre-révolution
Après avoir réduit la révolution de 1917 à un mouvement populaire et démocratique, le leader gauchiste s’interroge sur les causes de la dégénérescence et les moyens de parvenir à une “démocratie intégrale”. Bien que le rôle contre-révolutionnaire des grandes puissances impérialistes soit évoqué, il faut malgré tout constater que le livre lui attribue un rôle secondaire et néglige cet aspect. Or, la bourgeoisie mondiale a joué un rôle actif dans la répression de la Révolution et dans son isolement. Besancenot préfère se focaliser sur la “contre-révolution bureaucratique”, fruit du “communisme de guerre” et d’une lente dépossession des organes du pouvoir dans les mains du prolétariat au profit du Parti et de sa fusion dans l’État. En insistant sur la dérive bureaucratique de la Révolution, Besancenot ne fait pas seulement qu’inverser la cause et l’effet, il sous-estime volontairement l’action déterminée des principales puissances mondiales de l’époque afin d’éviter à tout prix que la Révolution ne s’étende dans leurs propres pays. Si les erreurs des bolcheviks ont joué leur rôle, c’est avant tout dû à l’échec de l’action internationale du prolétariat. Comme nous le mettions en évidence dans notre article, La dégénérescence de la Révolution russe, dans la Revue Internationale n° 3 : “Du fait de l’impossibilité du socialisme dans un seul pays, la question de la dégénérescence de la révolution russe est avant tout une question de défaite internationale du prolétariat. La contre révolution a triomphé en Europe avant de pénétrer totalement le contexte russe “de l’intérieur”. Ceci ne doit pas, répétons – le, “excuser” les erreurs de la révolution russe ou du parti bolchevik. (…) Les marxistes n’ont rien à faire “d’excuser” ou de ne pas “excuser” l’histoire. Leur tâche est d’expliquer pourquoi ces événements ont eu lieu et d’en tirer des leçons pour la lutte prolétarienne à venir”. Ne nous trompons pas. Le ver n’était pas dans le fruit en 1917. L’ennemi se trouvait à l’extérieur du camp prolétarien. Le cordon sanitaire tendu par la France, l’Angleterre, l’Allemagne, les États-Unis et d’autres pays européens a été le point de départ de la dégénérescence de la Révolution et sa confiscation entre les mains d’une bureaucratie qui a su finir le travail ! Et le développement de la bureaucratie stalinienne, ce fut en fait la reprise en main du pouvoir par la bourgeoisie elle-même ! Omettre toute cette dimension de la contre-révolution ne peut que désarmer la classe ouvrière en la rendant incapable d’identifier son véritable ennemi.
Besancenot entretient la méfiance envers les organisations ouvrières
L’escamotage des leçons de la dégénérescence se poursuit lorsqu’il s’agit d’aborder le rôle du parti. Comme on l’a vu, les erreurs de celui-ci ne sont pas véritablement replacées dans le contexte de l’isolement. Derrière l’apparente sympathie à son égard, Besancenot n’hésite pas à faire planer l’idée que l’autoritarisme y fut très tôt en germe. Il fait notamment référence à la critique de Trotsky en 1903 qui apparentait Lénine à Robespierre et la présente comme visionnaire avec le recul. Si pour Besancenot, “1917 nous enseigne qu’aucune organisation politique, à elle seule, ne peut prétendre incarner la classe révolutionnaire”, c’est d’abord et avant tout pour semer la suspicion et la méfiance envers les organisations révolutionnaires. Car s’il est indispensable de tirer les leçons des erreurs du parti bolchevique, il en est tout autant de retenir les moments où ce dernier a su guider le prolétariat et le prémunir des pièges de la bourgeoisie (en avril 1917, lors des journées de juillet ou encore au moment de l’insurrection) quand les autres passaient dans le camp ennemi. (2)
Quelles formes d’organisation de la classe a légué Octobre 17 ? Quelle leçon retenir sur la prise du pouvoir ? Sur ces questions, le livre dévoie une fois encore les enseignements que le prolétariat doit retenir pour la victoire de la révolution. Prônant “l’autogestion de la société” par des organisations de forme soviets ou apparentées dans lesquels se retrouvent “des partis, des syndicats, des organisations du mouvement social, féministe, écologique ou les collectifs de quartier”, ce livre appelle la classe ouvrière à lutter main dans la main avec les différentes organisations de la classe dominante. En réalité, comme en Russie en 1917, les futurs conseils ouvriers seront aussi des lieux où il s’agira de mener une lutte politique contre toutes les organisations et les éléments qui freineront la lutte du prolétariat, ceux qui, comme Besancenot, agissent comme un cheval de Troie de la classe dominante en s’immisçant dans les rangs ouvriers afin de stériliser le combat.
Un défenseur du vieux monde
Par ailleurs, à aucun moment, Besancenot n’affirme clairement les véritables buts de la révolution et de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire la destruction de l’État, l’abolition des classes sociales, des nations et l’instauration d’une société où les moyens de production seraient aux mains de la communauté tout entière. Non, au lieu de cela, il préfère prôner une forme de gouvernement populaire hétéroclite qui transformerait progressivement la société en s’accommodant de l’État et en mettant des garde-fous afin de se prémunir de la bureaucratisation : non-cumul des mandats, formation universelle pour éviter l’émergence de spécialistes, système de rotation. Autant de mystifications qui cachent une défense en règle du capitalisme d’État et du réformisme pour le compte de la société bourgeoise.
En ménageant savamment la chèvre et le chou, en adoptant un verbiage en apparence radical, en laissant un certain nombre de zones d’ombre, Besancenot mystifie complètement Octobre 1917 pour mieux désorienter la classe ouvrière d’aujourd’hui. Il escamote complètement le but que s’était fixé la classe ouvrière en Russie et les organes dont elle s’est dotée. Il tronque les relations entre le parti d’avant-garde et la classe elle-même qui s’auto-organise avec les soviets. Il instrumentalise la désorientation du prolétariat d’aujourd’hui pour lui proposer l’autogestion de la société capitaliste dans un paradis démocratique. Mais il se garde bien d’appeler à la destruction du système capitaliste, à l’abolition des classes sociales et de l’État. Tout cela reste, encore aujourd’hui, la tâche de la classe révolutionnaire.
Joffrey, 31 mars 2018
1) Sur les mots d’ordre démocratiques, Résolution de la commission exécutive de la Fraction de la Gauche italienne, Bulletin international de l’Opposition Communiste de gauche, n° 5, mars 1931.
2) Pour toutes ces questions voir notre brochure : Octobre 1917, début de la révolution mondiale.
p { margin-bottom: 0.21cm; }a.sdfootnoteanc { font-size: 57%; }