Soumis par Révolution Inte... le
Alors que le gouvernement français a récemment prolongé l’état d’urgence jusqu’en 2017, qu’une ambiance de suspicion et de peur pèse lourdement sur une population encore sous le choc de multiples actes terroristes, une polémique, venant renforcer de façon très démagogique l’actuelle campagne anti-islam, a fait la une de la presse nationale, et même internationale, durant l’été : le port du burkini par quelques dizaines de femmes sur les plages. Cette tenue rétrograde a mobilisé l’ensemble de la classe politique, des maires de stations balnéaires aux plus éminentes autorités de l’État, la plupart, de droite comme de gauche, n’hésitant pas à plonger les deux bras dans la pire des fanges idéologiques.
Au début du mois d’août, l’association islamiste des Sœurs marseillaises, initiatrices de loisirs et d’entraide (tout un programme !), “avait privatisé un centre aquatique pour y faire venir des femmes musulmanes le 10 septembre prochain. Les consignes préconisaient le port du burkini” 1. Il n’en fallait pas plus à l’extrême-droite pour faire étalage de la paranoïa dont elle est porteuse et dénoncer, avec des mots à peine voilés, “l’invasion musulmane du pays”. Sous la pression des élus locaux, qui ne voulaient surtout pas apparaître “laxistes” dans cette région où le populisme et la xénophobie sont bien implantés, la “journée burkini” fut rapidement annulée.
Mais le 12 août, le maire de Cannes soufflait à nouveau sur les braises en interdisant par arrêté le port du burkini sur ses plages au motif de garantir l’ordre public. Plusieurs maires de la région, de Corse et du Nord-Pas-de-Calais, souvent issus de la faction la plus droitière et démagogique du parti de droite (Les Républicains – LR) ont adopté dans la foulée les mêmes types d’arrêtés. En réalité, en instrumentalisant le port du burkini, la bourgeoisie française poursuit sa campagne récurrente sur l’Islam 2 visant à pourrir les consciences, à diviser les populations en accentuant la propagande nationaliste.
Le danger du pogromisme
Dans un contexte de tendance à la dislocation croissante du corps social, dans lequel la classe ouvrière ne parvient pour le moment pas à défendre une perspective révolutionnaire, le communautarisme, et toutes les tendances irrationnelles au repli sur soi se renforcent. Cette dynamique alimente les peurs, les incompréhensions, les préjugés xénophobes et raciaux, voire la haine aveugle et obsessionnelle d’une partie des “autochtones” envers les “étrangers”, et inversement.
C’est dans ce contexte qu’une rixe éclatait le 14 août dernier dans une crique de Sisco, en Corse, entre trois familles de musulmans, qui d’après les autorités voulaient “privatiser la plage”, et une partie de la population locale. L’altercation, dont les circonstances restent encore très floues, déclenchait dès le lendemain une manifestation de 500 excités à Bastia aux cris identitaires de : “On est chez nous !” Ce type d’événement n’est malheureusement pas nouveau : déjà, en 2015, Ajaccio avait connu plusieurs journées de manifestations ouvertement xénophobes, avec destruction publique de livres par le feu (dont le Coran), provocations et mise à sac de boutiques arabes.
Ceci illustre la réalité du danger d’installation et de banalisation de la mentalité de pogrom au cœur même du capitalisme. Les difficultés actuelles de la classe ouvrière, même si elle n’a pas entièrement perdu sa capacité de résistance, sa capacité à renouer avec sa propre alternative révolutionnaire, tendent en effet à miner l’espérance en un monde meilleur dans l’esprit de nombreux prolétaires. Faute, pour le moment, de comprendre la nature réelle des rapports sociaux capitalistes et ce qu’ils contiennent de contradictions inextricables, faute de réelle perspective, le danger est de vouloir trouver des boucs émissaires aux “malheurs du monde”. Cette démarche réactionnaire, préconisant le retour chimérique à un “ordre ancien” où les rapports sociaux étaient prétendument plus “harmonieux” et “équitables”, perçoit les immigrés et les éléments les plus fragilisés par la crise comme les principaux responsables de cette illusion perdue et comme des fauteurs de troubles.
La xénophobie n’est pas un phénomène inédit dans l’histoire, loin s’en faut. Mais ce qui caractérise aujourd’hui l’évolution des mentalités dans le capitalisme, c’est une forte tendance à la libération brutale des plus bas instincts, par la parole et par les actes. Le danger de substituer la recherche de boucs émissaires à la destruction physique et mentale de victimes expiatoires est bien réel.
Si pour la bourgeoisie, la montée en puissance du populisme trouble son jeu électoral et peut contrarier ses véritables orientations politiques (rejet de l’Union européenne, de la monnaie unique, etc.), elle parvient néanmoins à instrumentaliser les idéologies les plus rétrogrades et nauséabondes pour réaffirmer sa domination. C’est ainsi qu’avec la polémique sur le burkini, l’État n’hésite pas à alimenter un faux-débat et les divisions au moyen d’une campagne médiatique hystérique. Pour ou contre l’interdiction du burkini, défenseurs du “droit des femmes” ou de la “liberté de conscience outragée”, de la droite à la gauche de l’appareil politique bourgeois, tous entretiennent la confusion dans la tête des ouvriers. Ce jeu dangereux avec le populisme ne peut, à terme, que renforcer sa dynamique. Mais tout en avivant les flammes de la haine, l’État peut, d’un autre côté, se présenter à bon frais comme le garant de la démocratie et de l’unité nationale. La classe ouvrière n’a rien à gagner en prenant partie sur ce terrain pourri et piégé de bout en bout par le nationalisme.
La société capitaliste génère l’aliénation
L’apparition du burkini sur les plages est un phénomène encore très limité 3, mais il est aussi un signe tangible, comme l’essor spectaculaire des produits halal et du port du voile ces dernières années, de la montée en puissance de l’obscurantisme religieux qui, loin de “donner du sens à la vie”, est “tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple” 4.
Ces tenues sont de véritables camisoles de force contre les femmes, souvent victimes consentantes de leur propre prison vestimentaire et surtout idéologique. Le consentement à la soumission, dont les femmes voilées sont loin d’avoir le monopole, est une expression directe de l’aliénation généralisée et totalitaire que fait subir la société capitaliste à l’humanité, une intériorisation des rapports sociaux de domination. Alors que les sciences et technologies se développent de façon inouïe, les rapports sociaux de production enferment l’humanité dans la pire sauvagerie et l’aliénation. A ce titre, le burkini et les images aberrantes de Fantômas déambulant à la plage ou dans les rues aussi bien que l’humiliation publique qu’elles subissent face à des policiers en armes les faisant apparaître comme des “criminelles” à l’égard des lois démocratiques sont une caricature de discrimination entre les sexes que la “civilisation” dont s’enorgueillit la classe dominante est incapable d’abolir. Il suffit d’observer également comment la “libération des femmes” après 1968 n’a fait que renforcer de manière très insidieuse les rapports de domination machistes au quotidien. La transformation des êtres humains en marchandises pour le travail salarié, le fait que des hommes et femmes deviennent de simples “kleenex” au travail, deviennent de la chair à canon, des objets sexuels, des faire-valoir publicitaires ou des porte-manteaux anorexiques de luxe pour la mode, tout cela n’a rien à envier au scandale du burkini. L’obtention ou la conservation de “droits” et d’autres formes d’idéologies hypocrites, comme les “libertés”, les “valeurs républicaines” et “droits de l’homme” sont en réalité complètement illusoires dans la société capitaliste. Ses véritables principes, ses “vraies valeurs”, ce sont la terreur, l’exploitation et la barbarie.
WH-EG, 30 août 2016
1 La Voix du Nord, le 5 août 2016.
2 Quand il ne s’agit pas du burkini, les médias s’emballent pour le niqab, la burqa ou des phénomènes plus répandus comme les produits halal ou la construction de mosquées.
3 A l’heure où nous écrivons ces lignes, une trentaine de femmes seulement ont été verbalisées durant l’été, la plupart ayant fait leur sortie en burkini suite à la médiatisation du “phénomène”.
4 Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843.