Soumis par Révolution Inte... le
“À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante” (Marx et Engels, L’Idéologie allemande).
“Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante” (Marx et Engels, Le Manifeste du Parti communiste).
La peur de l’autre, le sentiment d’isolement, l’individualisme et la haine se répandent aujourd’hui comme un poison dans les veines de la société. Cette déliquescence sociale est l’une des manifestations de l’entrée, depuis la fin des années 1980, du capitalisme dans la phase historique ultime de sa décadence : la décomposition. Ce repli généralisé est probablement la plus grande cause de souffrance humaine : face à la crise économique mondiale et ses conséquences, face à la barbarie guerrière et ses horreurs, l’absence de solidarité, la dissolution des rapports sociaux (justement propres à cette société en décomposition) engendrent résignation, crainte et désespoir. Il n’y a rien de pire que de se sentir seul et atomisé.
En réponse, se répand un simulacre de solidarité entretenue par la classe dominante, celle du repli sur la famille, le clan, la communauté culturelle, ethnique ou religieuse, la région, la nation, la “race”, autant d’entités en concurrence, voire en guerre, contre “l’autre” : l’autre famille, clan, communauté, culture, ethnie, religion, région, nation ou “race”. Les causes de cette dynamique marquée par la peur de l’avenir, le no future, sont multiples évidemment.1
Dans ce numéro, nous avons choisi de mettre particulièrement en évidence que l’une des causes essentielles de cette dynamique mortifère est l’action volontaire, consciente et calculée de la bourgeoisie. Son idéologie, sa propagande, ses discours et ses médias aux ordres sont au service d’un objectif caractéristique des classes exploiteuses : “Diviser pour mieux régner”. Il ne faut donc surtout pas sous-estimer les capacités de notre ennemi de classe. La bourgeoisie, en particulier sa partie la plus éduquée et consciente, celle qui se regroupe et s’organise au sein des États, est la classe dominante la plus sournoise et machiavélique de l’Histoire. Elle sait parfaitement que la force du prolétariat réside dans sa capacité à être uni et solidaire. Et puisque “l’un des plus vieux principes de la stratégie militaire est la nécessité de saper la confiance et l’unité de l’armée ennemie”, “la bourgeoisie a toujours compris la nécessité de combattre ces qualités dans le prolétariat”.2 Et en ce début d’été 2015, le battage propagandiste est particulièrement bruyant et... nauséabond.
En Grèce, la classe ouvrière subit les pires affres de la crise économique mondiale. Parallèlement, la bourgeoisie, et ce à l’échelle internationale, exploite la faiblesse actuelle de la combativité et de la conscience ouvrières en n’ayant de cesse de monter les “peuples” les uns contre les autres. Les ailes d’extrême-gauche et d’extrême-droite de l’échiquier politique bourgeois désignent comme responsables de tous les maux le diktat européen, la troïka UE/BCE/FMI et les “tortionnaires allemands” ; leurs discours est ultra-nationaliste, ils en appellent à la révolte du “peuple grec”, du “peuple français”, “espagnol”... En Grèce, la victoire du non au référendum a ainsi été fêtée par des manifestations brandissant massivement le drapeau national grec. Par la voix de ses fractions de gauche, du centre et de droite, cette même classe dominante change de discours et de boucs-émissaires tout en gardant la même logique nationaliste en désignant “l’irresponsabilité traditionnelle des Grecs” et en prétendant que les “contribuables européens” vont devoir payer l’addition du “laxisme” et de “l’égoïsme” helléniques.
Au-delà des difficultés économiques réelles et insolubles à long terme du capitalisme mondial, le cirque médiatique du compte à rebours de la dette grecque, tout comme le référendum de Tsipras, sont eux aussi des pièges idéologiques qui participent à crédibiliser cette propagande. Il s’agit d’ailleurs d’une des forces de la bourgeoisie : parvenir à utiliser ses propres difficultés, sa crise, ses guerres, ses catastrophes, son pourrissement contre son plus grand ennemi, la classe ouvrière.
L’instrumentalisation des actes terroristes les plus barbares en est l’une des meilleures illustrations. Quand les djihadistes abattent, massacrent, découpent, guillotinent et pulvérisent aux quatre coins du globe de pauvres innocents, les médias procèdent à un matraquage destiné à terroriser et exploiter les réactions émotionnelles ainsi suscitées. Les discours politiques utilisent en effet ces actes horribles pour leurs propres intérêts en tournant en boucle autour de la “guerre des civilisations”, de la “nécessaire surveillance et répression”, etc. Ceci, afin de justifier les guerres impérialistes à l’extérieur des frontières et le flicage de la classe ouvrière à l’intérieur.3
Grands événements internationaux ou petits faits divers locaux, partout, la classe dominante occupe le terrain en distillant sa propagande, en suscitant peur, division et méfiance ; son principal souci est d’éviter que les prolétaires pensent par eux-mêmes et discutent entre eux.
En France, le gouvernement socialiste est passé maître dans cet art de désigner telle ou telle partie de la population pour focaliser sur elle toute l’attention et les haines : Roms, homosexuels, chauffeurs clandestins de taxis... les diversions se succèdent et se ressemblent. La politique de Hollande tient en un mot : bouc-émissarisation. Dans les entreprises, ce sont les syndicats qui prennent magistralement le relais de cette même politique d’atomisation. En effet, quand de rares salariés commencent à se poser des questions et à vouloir lutter pour leur dignité, alors les syndicats entrent en scène pour isoler ces luttes dans le carcan corporatiste, sectoriel ou régionaliste tandis que les médias dénoncent, eux, le prétendu “égoïsme” des salariés en lutte. Telle a été par exemple la manœuvre dont ont été victimes les salariés des Hôpitaux de Paris tout au long du mois de juin.4
Pas une dimension de la vie quotidienne n’échappe aux coups de boutoirs idéologiques de la bourgeoisie. Dernier exemple en date, le festival de Cannes et le triomphe du film La loi du marché. Quand un réalisateur et ses acteurs portés par des valeurs humanistes et voulant dénoncer l’esclavage salarié, mais involontairement influencés par l’ambiance et l’idéologie dominante, tombent dans le piège de l’apologie de la révolte individuelle et désespérée, la bourgeoisie s’empresse de braquer sur eux tous ses projecteurs, les applaudit à tout rompre et leur attribue des prix.
Au fond, toute cette énergie déployée par la bourgeoisie et ses États montre aussi une chose : elle connaît la force du prolétariat, elle sait qu’il est son ennemi mortel, un ennemi potentiellement capable de bouleverser la société de fond en comble. Elle a conscience qu’il est une classe portée par la capacité à s’unir, à se solidariser, à s’organiser collectivement et à se battre pour le futur de toute l’humanité. Confiance du prolétariat en lui-même et dans le futur, voilà ce que s’échine à défaire en permanence la bourgeoisie et ses campagnes ! Car au fond, c’est elle qui a le plus peur, peur de la fin de son monde et de ses privilèges.
Il est donc essentiel de ne pas se laisser faire, de se rappeler qui est réellement le prolétariat, ce qu’il est capable de réaliser par sa lutte historique :
“Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, des mouvements de minorités au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité”.
“À la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement pour tous” (Manifeste Communiste, 1848).
Il n’y a pas de combat plus noble et passionnant.
Claire, 4 juillet 2015
1 Ne pouvant analyser ici de façon exhaustive l’ensemble de ces causes, nous renvoyons nos lecteurs à trois articles fondamentaux de notre organisation disponibles sur notre site Web : "La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", Texte d'orientation, 2001 : La confiance et la solidarité dans la lutte du prolétariat, 1ère partie, et A l'aube du 21e siècle...pourquoi le prolétariat n'a pas encore renverse le capitalisme (I)
2 In "La confiance et la solidarité dans la lutte du prolétariat” (CCI, 2003).
3 Lire notre article sur les attentats de la fin juin dans ce numéro.
4 Lire notre article sur les dernières grèves en France