Soumis par CCI le
Également une contribution à la Conférence Internationale de 1975, ce texte reprend des citations de Marx et Engels et critique la position qui refuse d’identifier totalement la dictature du Prolétariat avec l’État.
Les problèmes de la période de transition
Nous considérons ce texte comme un outil de travail et non comme quelque chose de complet ou d’achevé. Certaines positions sont seulement affirmées, d’autres esquissées. Cependant nous sommes convaincus qu’il pourra constituer une base pour une discussion correcte sur la ‘période de transition’.
Dans l’Idéologie Allemande Marx écrivait : “La révolution n’est pas nécessaire uniquement parce que la classe dominante ne peut pas être abattue autrement, mais aussi parce que c’est seulement dans une révolution que la classe qui l’abat peut réussir à se débarrasser de toute la saleté qu’elle hérite et devenir capable de jeter les bases de la société nouvelle”.
Cependant l’insurrection prolétarienne, l’affrontement et l’attaque armée contre le pouvoir bourgeois, nécessités indispensables, ne sont que les premiers pas inévitables d’un processus dynamique qui doit conduire, en fin compte, au triomphe du communisme de la société sans classe dans laquelle “le libre épanouissement de chacun est la condition du libre épanouissement de tous”.
La révolution prolétarienne est une “révolution politique à âme sociale. La révolution est un acte politique. Le socialisme ne peut être réalisé sans révolution. Il nécessite cet acte politique dans la mesure où il a besoin de détruire et de dissoudre. Mais il se débarrasse de son enveloppe politique dès le début de son activité organisatrice, dès qu’il poursuit son but propre, dès que se révèle son âme”.
L’acte politique est donc l’irruption victorieuse d’une classe née et forgée dans les entrailles même du capitalisme, l’affirmation de cette classe qui en s’émancipant émancipera toute l’humanité.
Le prolétariat, en s’érigeant en nouvelle classe dominante à travers la révolution, ne vise pas à instaurer un nouveau rapport d’oppression d’une classe sur une autre mais à supprimer “toutes les conditions inhumaines de vie de la société actuelle et qu’elle résume dans sa propre condition.”
L’abattement du pouvoir bourgeois n’est pas déjà le communisme, mais est uniquement le premier pas d’un processus plus ou moins long et difficile.
“Entre la société capitaliste et la société communiste il y a la période de la transformation révolutionnaire de l’une en l’autre. Il lui correspond aussi une période politique transitoire dont l’État ne peut être autre que la dictature révolutionnaire du prolétariat”.
(Marx, Critique du Programme de Gotha
Dans l’histoire du mouvement communiste, le prolétariat est parvenu à deux reprises à abattre l’État bourgeois, à mettre sa dictature à l’ordre du jour: la Commune de Paris et la révolution russe.
Ces deux expériences ont été défaites, la première directement par la force des armes dans un massacre généralisé, la seconde dans des bains de sang non moins importants, mais moins “visibles”, dans une lente dégénérescence des objectifs initiaux, étouffée dans sa potentialité par l’absence de la révolution en Occident, condamnée à assumer des tâches qui n’étaient pas les siennes, la combativité prolétarienne se voyant réduite à une résistance toujours plus passive : dans le cas de la Russie, ce fut un recul lent (et donc moins évident que pour la Commune de Paris), réalisée au nom du communisme (et ce fut là la pire tragédie), qui conduisit à la honte du stalinisme. “Il était facile de faire la révolution en Russie. Il était difficile de la continuer”. (Lénine).
La résolution de l’“énigme” russe, des motifs de sa dégénérescence ont amené des groupes de révolutionnaires à tenter de résoudre les problèmes posés par la “période de transition”, mais ils étaient trop liés à l’expérience russe où la question du pouvoir prolétarien et de la voie au communisme ne pouvait être que posée, jamais résolue.
Contrairement à ce que pensaient, en révolutionnaires, Lénine et Trotsky, il était impossible de résister seuls pendant des décennies et des décennies dans les tranchées de la révolution : la dictature du prolétariat est la manifestation de sa combativité ou elle ne représente rien.
Kronstadt et les agitations de Petrograd montrent les premiers signes de la scission qui s’établissait entre les exigences immédiates de la classe et un pouvoir encore prolétarien qui cherchait à résister.
Le drame de la révolution russe ne peut être compris en dehors de ce cadre qui condamnait à l’impuissance le parti bolchevik et un Lénine (qui avait pourtant écrit L’État et la Révolution qui devait maintenant admettre :
“La machine fuit des mains de celui qui la conduit: on dirait qu ‘il y a quelqu’un d’assis au volant et qui conduit cette machine, mais que cette dernière suit une di rection différente à celle voulue, comme si elle était guidée par une main secrète, illégale. Dieu seul sait à qui elle appartient, peut-être à un spéculateur ou à un capitaliste privé, ou à tous les deux ensemble. Le fait est que la machine ne va pas dans la direction voulue par celui qui est au volant, quelque fois elle va plutôt dans le sens contraire.” (Rapport politique du C.C. au parti, 1922)
“Seule la lutte décidera (en fin de compte) de combien nous pourrons avancer, seule elle décidera de quelle part de cette très haute tâche, de quelle part de nos victoires nous pourrons définitivement consolider. Qui vivra, verra.” (1921, Pour le IVe anniversaire de la Révolution d’octobre)
Tout le déroulement des événements en Russie a conduit à parler d’“État Ouvrier” ou d’“État prolétarien”.
Il faut préciser que dans les années 20 ces expressions étaient synonymes de “dictature du prolétariat”. L’État prolétarien dont on parlait alors était un : “…nouvel appareil tout à fait différent de celui actuel, non seulement parce qu’il n’y aura plus besoin de la distinction existante dans l’État bourgeois entre appareil représentant et appareil exécutif, mais surtout du fait des différences fondamentales de structures, conséquences elles-mêmes de l’opposition dans les tâches historiques à accomplir et sur lesquelles les révolutions prolétariennes depuis la Commune de Paris Jusqu’à la république russe des soviets, ont jeté une lumière décisive”. (Il Communista février 1921)
Par la suite, ces “synonymes” sont allés en s’autonomisant jusqu’à ce qu’on parle de “faire à la place de la classe” et d’une classe qui ne “comprenait” pas que “tout était fait dans ses intérêts”.
Les écrits sur le dépérissement de l’État/commune prenaient une résonance sinistre face à la croissance de cette force anonyme représentante du capital.
Marx a laissé, après la Commune de Paris, des écrits mémorables dans lesquels il exprimait, de la meilleure façon possible, l’essence et la nature de la révolution communiste et de la dictature du prolétariat. Nous devons revenir à lui pour fonder sur ces bases notre perspective.
Marx, en corrigeant ce qu’il avait écrit 25 ans auparavant, écrivait: “La classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État telle qu’elle est, pour la faire fonctionner à son profit. En fait l’appareil d’État est bourgeois en tant que tel et non uniquement parce que ses rouages sont aux mains de la bourgeoisie. L’État n’est pas un instrument neutre, mais de classe, Cependant, ce qui en fait un appareil bourgeois ce n’est pas l’origine bourgeoise du personnel qui le dirige, mais bien sa propre nature d’appareil opposé au reste de la société”.
La révolution communiste donne vie, au cours de son affirmation, à des institutions qui diffèrent de celles de la bourgeoisie de par leurs principes mêmes : telles sont la Commune et les soviets.
La Commune a été: “La forme politique enfin trouvée dans laquelle pouvait s’accomplir l’émancipation économique du travail”.
La lutte de classe ne finit pas avec la victoire politique de la classe :
“La Commune ne supprime pas la lutte des classes […] Elle crée le climat le plus rationnel dans lequel cette lutte peut se dé rouler à travers diverses phases de la façon la plus rationnelle et la plus en accord avec l’essence humaine […] Elle ouvre la porte à l’émancipation du travail, sa grande finalité”.
La classe à qui on a ôté le pouvoir ne peut pas être abolie par décret; elle survit, elle cherche à se réorganiser politiquement. Le prolétariat ne partagera le pouvoir avec personne, il exercera sa dictature pour combattre tous ceux qui s’opposent aux mesures qui minent le privilège économique.
Le premier pas de la dictature du prolétariat vers l’abolition du salariat consistera dans l’obligation pour tous de travailler (généralisation de la condition du prolétariat) et dans l’action, simultanée, pour une réduction sensible du temps de travail. C’est déjà la fin de la séparation entre travail manuel et travail intellectuel.
L’avancement de ce processus en termes réels, matériels, est vital pour le pouvoir prolétarien ; le renforcement de ce dernier est simultanément prémisse et garantie du progrès vers le but final: le communisme.
“Le communisme, abolition positive de cette aliénation de l’homme par lui-même que constitue la propriété privée, donc conquête effective de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme; donc retour complet conscient, atteint à travers l’entière richesse du développement passé, de l’homme pour lui-même en tant qu’homme social, c’est-à-dire en tant qu’homme humain. Ce communisme est [… la véritable solution de la contradiction entre existence et essence, entre réalité objective et conscience subjective, entre liberté et nécessité, entre individu et espèce. Le communisme c’est la solution de l’énigme de l’histoire et il se considère comme tel”.
Sur la base de ce que nous venons d’exposer nous critiquons:
- Aussi bien la position d’après laquelle c’est le parti qui prend le pouvoir, dirige et se confond avec l’État du fait qu’il posséderait une claire vision de la perspective révolutionnaire, etc., etc.
- Que la position qui parle de l’État prolétarien comme d’un instrument, expression de la classe, mais qui conserve toutes les caractéristiques de l’État, et où seul le nom et la direction changent.
- Que la position d’après laquelle, à côté de la dictature du prolétariat est nécessaire un État, compromis provisoire dans une société divisée en classes antagonistes.
Nous revendiquons, après la destruction du pouvoir bourgeois, la dictature du prolétariat, dictature de la classe ouvrière victorieuse qui ôte par la force tout droit aux autres classes et n’admet aucune sorte de médiation, moment politique et social qui vit et s’alimente dans la prise de conscience de masses toujours plus larges.
Rivoluzione Internazionale -Italie (Décembre 1974)
Revue Internationale N°1 (Avril 1975)