Soumis par Revue Internationale le
La deuxième Conférence Internationale des groupes de la Gauche Communiste (novembre 1978) a mis en évidence la confusion extrême qui règne à l'heure actuelle dans les rangs révolutionnaires sur le problème de la période historique présente et plus précisément :
- sur l'existence d'une alternative historique (révolution prolétarienne ou guerre impérialiste généralisée) ouverte par l'entrée du capitalisme dans une nouvelle phase de crise aiguë (le sommet étant évidemment atteint par les groupes qui ne "voient" pas la crise) ;
- sur la possibilité de se prononcer sur la nature du cours historique (guerre ou révolution) ;
- sur la nature du cours actuel lui-même ;
- sur les implications politiques et organisationnelles de l'analyse que l'on fait du cours.
Plus généralement, les incompréhensions portent :
- sur la possibilité et la nécessité pour les révolutionnaires de faire des prévisions ;
- sur l'existence de périodes différentes dans le cours de la lutte de classe et dans la nature du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat.
C'est à l'ensemble de ces questions que tente de répondre ce texte.
1) LES RÉVOLUTIONNAIRES PEUVENT-ILS ET DOIVENT-ILS FAIRE DES PRÉVISIONS ?
La nature même de toute activité humaine suppose la prévision, le projet. Par exemple, Marx écrit : "... l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche". Chaque acte de l'homme procède d'une telle démarche : de fait, cette capacité à prévoir, à projeter est une composante essentielle de la conscience humaine. Et cela est d'autant plus vrai dans la démarche scientifique. C'est de façon constante que celle-ci utilise la prévision : c'est uniquement en transformant en prévisions les hypothèses formulées à partir d'une première série d'expériences et en confrontant ces prévisions à de nouvelles expériences que le chercheur peut vérifier (ou démentir) le bien-fondé de ces hypothèses et avancer dans la connaissance.
Se basant sur une approche scientifique de la réalité sociale, la pensée révolutionnaire du prolétariat adopte nécessairement une telle démarche à la seule différence que, contrairement aux chercheurs, les révolutionnaires ne peuvent créer en laboratoire les conditions de nouvelles expérimentations. C'est la pratique sociale qui, en confirmant ou en infirmant les perspectives qu'ils ont définies, vient valider ou invalider leur théorie. De fait, ce sont tous les aspects du mouvement historique de la classe ouvrière qui s'appuient sur la prévision : elle permet d'adapter les formes de lutte à chaque époque de la vie du capitalisme mais, surtout, c'est sur elle et notamment sur la perspective d'une faillite du capitalisme que se base le projet communiste. Comme la cellule de l'architecte, le communisme est d'abord conçu -évidemment à grands traits- dans la tête des hommes avant que d'être édifié dans la réalité.
Contrairement donc à ce que pense par exemple Paul Mattick, pour qui l'étude des phénomènes économiques ne peut déboucher sur aucune prévision utilisable pour l'activité des révolutionnaires, la définition de perspectives, la prévision sont une partie intégrante et très importante de cette activité.
La question qui peut se poser alors est la suivante :"quel est le champ d'application de la prévision pour les révolutionnaires ?"
- le long terme ? certainement : le projet communiste ne se base pas sur autre chose ;
- le court terme ? également : c'est le propre de l'activité humaine courante et donc aussi de celle des révolutionnaires ;
- le moyen terme ? parce qu'elle ne peut se cantonner dans des généralités comme dans le long terme et, qu'en même temps, elle dispose de bien moins d'éléments que pour le court terme, c'est sans doute dans ce domaine que la prévision est la plus difficile à faire pour le prolétariat mais en même temps qu'elle ne saurait être négligée car elle conditionne directement son mode de lutte à chaque époque de la vie du capitalisme.
La question peut alors se poser plus précisément : "dans le cadre de prévisions à moyen terme, peut-on et doit-on prévoir l'évolution du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat ?", ce qui suppose qu'on admette la possibilité d'une telle évolution et qu'on ait donc répondu à la question préliminaire :
2) EXISTE-T-IL DES PÉRIODES DIFFÉRENTES DANS LE COURS DE LA LUTTE DE CLASSE ?
Il peut sembler curieux qu'on soit conduit à se poser des questions aussi élémentaires. Dans le passé, elles ne venaient même pas à l'esprit des révolutionnaires tant leur réponse paraissait évidente. S'il se posait une question, ce n'était pas : "existe-t-il un cours de la lutte de classe ?" ou "est-il possible et nécessaire de l'analyser ?", mais uniquement "quelle est la nature du cours ?". Et c'est là-dessus que portaient les débats entre révolutionnaires. Dès 1852, Marx pouvait décrire le cours particulièrement heurté de la lutte de la classe ouvrière : "les révolutions prolétariennes se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau..., paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts." (18 Brumaire). Il y a plus d'un siècle, la question paraissait donc claire. Mais force est de constater que la terrible contre-révolution dont nous sortons a introduit une telle confusion dans le milieu révolutionnaire (cf. la lettre du FOR -Fomento Obrero Revolucionario- à RI publiée dans Révolution Internationale n°56 et 57) qu'il est aujourd'hui nécessaire de reposer ce type de questions.
En général, les confusions dans ce domaine s'appuient sur une ignorance de l'histoire du mouvement ouvrier (mais, comme disait Marx "l'ignorance n'est pas une excuse"). L'étude de celle-ci nous permet de constater la vérification de ce qu'avait signalé Marx, c'est-à-dire l'alternance des poussées, souvent très vives et fulgurantes de la lutte prolétarienne (1848-49, 1864-71, 1917-23) et de reculs de celle-ci (à partir de 1850, 1872 et 1923) qui d'ailleurs, à chaque fois, ont conduit à la disparition ou à la dégénérescence des organisations politiques que la classe s'était données dans la période de montée des luttes :
- Ligue des Communistes : création en 1847, dissolution en 1852 ;
- AIT (Association Internationale des Travailleurs) : fondation en 1864, dissolution en 1876 ;
- Internationale Communiste : fondation en 1919, dégénérescence et mort dans le milieu des années 20 ;
- la vie de l'Internationale Socialiste (1889-1914) ayant suivi un cours globalement similaire mais de façon moins nette.
C'est probablement la durée extrêmement longue (un demi-siècle) de la contre-révolution qui suit la vague révolutionnaire culminant en 1917 et durant laquelle la classe ouvrière reste de façon pratiquement uniforme en position de faiblesse, qui permet d'expliquer qu'il y ait aujourd'hui des révolutionnaires incapables de comprendre qu'il puisse exister une telle alternance entre périodes d'avancées et périodes de recul de la lutte de classe. L'étude sans préjugés (mais c'est tellement plus confortable de ne pas étudier et de ne pas se remettre en cause !) de l'histoire du mouvement ouvrier et des analyses marxistes aurait permis à ces révolutionnaires de surmonter le poids de la contre-révolution ; elle leur aurait également permis de savoir que les poussées de la lutte de classe accompagnent les périodes de crise de la société capitaliste (crise économique : 1848 ou guerre : 1871, 1905, 1917) du fait :
- de l'affaiblissement de la classe dominante ;
- de la nécessité pour les prolétaires de résister à la dégradation de leurs conditions de vie ;
- de l'élévation de leur conscience qui résulte de la mise à nu des contradictions du système.
3) PEUT-ON FAIRE DES PRÉVISIONS SUR LE COURS HISTORIQUE DE LA LUTTE DE CLASSE ?
L'histoire nous montre que les révolutionnaires peuvent commettre des erreurs considérables dans ce domaine. Les exemples ne manquent pas :
- Tendance Willich-Schapper de la Ligue des Communistes ne comprenant pas le reflux des luttes après 1849 et poussant l'organisation vers des actions aventuristes ;
- courant bakouniniste de l’AIT s'attendant encore, après l'écrasement de la Commune de 1871, à une révolution imminente et tournant le dos à une préparation à long terme ;
- KAPD ne prenant pas conscience du recul de la révolution au début des années 1920 et se perdant dans le volontarisme et même le putschisme ;
- Trotski déclarant en 1936 que la "révolution avait commencé en France" et fondant en 1938, au creux de la vague, une "4ème Internationale" mort-née.
Cependant, l'histoire a également mis en évidence que les révolutionnaires avaient les moyens d'analyser correctement le cours et de faire des prévisions justes sur le devenir des luttes de classe :
- Marx et Engels saisissant le changement de perspective après 1849 et 1871 ;
- Gauche Italienne comprenant le reflux de la révolution mondiale après 1921 et en tirant des conclusions correctes quant aux tâches du parti et quant à la signification des événements d'Espagne 36.
L'expérience a également montré, qu'en général, ces prévisions justes n'étaient pas le fait du hasard mais étaient basées sur une étude très sérieuse de la réalité sociale englobant à la fois une analyse du capitalisme lui-même, et en premier lieu de la situation économique, mais aussi une évaluation de la dynamique des luttes sociales tant sur le plan de la combativité que de la conscience. C'est ainsi que :
- Marx et Engels concluent au recul de la révolution au début des années 1850 à partir de la constatation de la reprise économique qui fait suite à la crise de 1847-48 ;
- Lénine et les bolcheviks misent sur une montée révolutionnaire au cours du premier conflit mondial en se basant sur le fait que la guerre impérialiste constitue une manifestation de la crise mortelle du capitalisme mettant ce système en situation de faiblesse extrême.
Mais, condition nécessaire pour une reprise ouvrière, la crise du capitalisme n'est pas suffisante, contrairement à ce que pensait Trotski à la suite de la crise de 1929. De même, la combativité ouvrière n'est pas un indice suffisant de la reprise réelle et durable si elle ne s'accompagne pas d'une tendance à la rupture avec les mystifications capitalistes : c'est ce que méconnait la minorité de la Fraction Communiste Italienne qui voit dans la mobilisation et l'armement des ouvriers espagnols en juillet 1936 le début d'une révolution alors que ceux-ci sont en fait désarmés politiquement par "l'antifascisme" et, partant, incapables de s'attaquer réellement au capitalisme. On peut donc constater qu'il est possible aux révolutionnaires de faire des prévisions sur l'évolution du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat et que, loin d'aborder cette tâche comme une loterie, ils disposent de critères tirés de l'expérience qui, sans être infaillibles, leur permettent de ne pas marcher à l'aveuglette. Mais une autre objection surgit chez certains révolutionnaires : "Même s'il est possible de faire des prévisions sur le cours historique, elles ne présentent aucun intérêt pour la lutte de classe et ne conditionnent en rien l'activité des communistes. Tout cela est de la spéculation intellectuelle sans impact sur la pratique". C'est à ces arguments qu'il s'agit de répondre.
4) EST-IL NÉCESSAIRE DE FAIRE DES PRÉVISIONS SUR LE COURS HISTORIQUE ?
Pour répondre à cette question, on pourrait presque dire que les faits parlent d'eux-mêmes mais la contre-révolution a fait de tels ravages dans certains groupes révolutionnaires que, soit ils ignorent carrément ces faits, soit ils ne sont plus capables de les lire. Il suffit d'évoquer le sort tragique de la Gauche Allemande -complètement désorientée, disloquée et finalement détruite à la suite de son erreur sur le cours de la lutte de classe, et malgré la valeur de toutes ses positions programmatiques- pour se convaincre de la nécessité pour l'organisation des révolutionnaires d'une analyse correcte de la perspective historique. On se souviendra aussi de la triste errance de la minorité de la Fraction Italienne s'enrôlant dans les milices antifascistes, du sort non moins pitoyable de l'Union Communiste pratiquant pendant des années une politique de "soutien critique" aux socialistes de gauche du POUM en espérant qu'il en sortirait une avant-garde communiste capable de prendre la tête de la "révolution espagnole", pour constater l'impact désastreux que peut avoir sur les révolutionnaires une incompréhension du problème du cours.
De fait, l'analyse du cours de la lutte de classe conditionne directement le type d'organisation et d'intervention des révolutionnaires. De même que, pour remonter le courant d'une rivière, on nage sur le bord et que pour le descendre on nage au milieu, de même les rapports que les révolutionnaires établissent avec leur classe sont différents suivant qu'ils se portent à la tête de son mouvement quand il va vers la révolution ou qu'ils luttent à contre-courant d'un mouvement qui entraîne le prolétariat vers l'abîme de la contre-révolution.
Dans le premier cas, leur préoccupation essentielle sera de ne pas se couper de la classe, de suivre attentivement chacun de ses pas et chacune de ses luttes afin d'en faire épanouir le plus possible les potentialités. Sans jamais négliger le travail théorique, le travail de participation directe aux luttes de la classe sera donc privilégié. Sur le plan organisationnel, les révolutionnaires auront une attitude confiante et ouverte à l'égard des autres courants pouvant surgir dans la classe. Tout en restant, comme en toutes circonstances fermes sur les principes, ils miseront sur une évolution positive de ces courants, sur les possibilités de convergence de leurs positions respectives et porteront un maximum d'attention et d'efforts à la tâche du regroupement.
Tout autre sera la démarche des révolutionnaires dans une période de reflux historique des luttes. Il s'agira alors, en premier lieu, de permettre à l'organisation de résister à ce reflux et donc de préserver ses principes de l'influence délétère des mystifications capitalistes tendant à submerger toute la classe, en second lieu, de préparer les futurs resurgissements de celle-ci, en consacrant l'essentiel de ses maigres forces à un travail théorique d'examen et de bilan des expériences passées et notamment des causes de la défaite. Il est clair qu'une telle démarche tend à couper les révolutionnaires du reste de la classe, mais ils doivent assumer une telle conséquence à partir du moment où ils ont constaté que la bourgeoisie est pour l'heure victorieuse et que le prolétariat se laisse entraîner sur son terrain, sinon ils risquent d'être entraînés eux aussi. De même, sur le plan du regroupement des révolutionnaires, et sans jamais tourner le dos à cet effort, il serait vain en de telles périodes de miser sur des perspectives très positives, la tendance étant plutôt à un repliement jaloux de l'organisation autour de ses positions, au maintien de désaccords dont le dépassement se heurte à l'absence d'expérience vivante de la classe. On voit donc que l'analyse du cours a un impact sur le mode d'activité et d'organisation des révolutionnaires et qu'il ne s'agit nullement de "spéculations académiques". De fait, de même qu'une armée a besoin, à tout moment, de connaître la nature précise du rapport de forces avec l'armée ennemi afin de savoir si elle doit attaquer ou se replier en bon ordre, de même, la classe ouvrière a besoin d'apprécier correctement le rapport de forces avec son ennemi : la bourgeoisie. Et il appartient aux révolutionnaires, comme éléments les plus avancés de la classe, de lui fournir le maximum d'éléments pour une telle appréciation. C'est là une de leurs raisons essentielles d'exister. Cette responsabilité, les révolutionnaires l'ont, avec plus ou moins de réussite, toujours assumée dans le passé mais l'analyse du cours historique prend une importance encore bien plus grande avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence dans la mesure où l'enjeu lui-même de la lutte de classe acquiert une dimension plus considérable.
5) L'ALTERNATIVE HISTORIQUE DANS LA PÉRIODE DE DÉCADENCE DU CAPITALISME
À la suite de l'Internationale Communiste, le CCI a toujours affirmé qu'avec la décadence du capitalisme s'était ouverte "l'ère des guerres impérialistes et des révolutions prolétariennes". La guerre n'est pas une spécificité du capitalisme décadent, comme d'ailleurs elle n'est pas une spécificité du capitalisme lui-même. Mais la fonction et la forme de la guerre changent suivant que ce système est progressif ou qu'il est devenu une entrave au développement des forces productives de la société :
"À l'époque du capitalisme ascendant, les guerres (nationales, coloniales et de conquêtes impérialistes) exprimèrent la marche ascendante de fermentation, de renforcement et d'élargissement du système économique capitaliste. La production capitaliste trouvait dans la guerre la continuation de sa politique économique par d'autres moyens. Chaque guerre se justifiait et payait ses frais en ouvrant un nouveau champ d'une plus grande expansion, assurant le développement d'une plus grande production capitaliste.
À l'époque du capitalisme décadent, la guerre au même titre que la paix exprime cette décadence et concourt puissamment à l'accélérer.
Il serait erroné de voir dans la guerre un phénomène propre, négatif par définition, destructeur et entrave au développement de la société, en opposition à la paix qui, elle, sera présentée comme le cours normal positif du développement continu de la production et de la société. Ce serait introduire un concept moral dans un cours objectif, économiquement déterminé.
La guerre fut le moyen indispensable au capitalisme lui ouvrant des possibilités de développement ultérieur, à l'époque où ces possibilités existaient et ne pouvaient être ouvertes que par le moyen de la violence. De même, le croulement du monde capitaliste ayant épuisé historiquement toutes les possibilités de développement, trouve dans la guerre moderne, la guerre impérialiste, l'expression de ce croulement qui, sans ouvrir aucune possibilité de développement ultérieur pour la production, ne fait qu'engouffrer dans l'abîme les forces productives et accumuler à un rythme accéléré ruines sur ruines.
Il n'existe pas une opposition fondamentale en régime capitaliste entre guerre et paix, mais il existe une différence entre les deux phases ascendante et décadente de la société capitaliste et partant une différence de fonction de la guerre (dans le rapport de la guerre et de la paix) dans les deux phases respectives. Si dans la première phase, la guerre a pour fonction d'assurer un élargissement du marché, en vue d'une plus grande production de biens de consommation, dans la seconde phase, la production est essentiellement axée sur la production de moyens de destruction, c'est-à-dire en vue de la guerre. La décadence de la société capitaliste trouve son expression éclatante dans le fait que des guerres en vue du développement économique (période ascendante), l'activité économique se restreint essentiellement en vue de la guerre (période décadente).
Cela ne signifie pas que la guerre soit devenue le but de la production capitaliste, le but restant toujours pour le capitalisme la production de la plus-value mais cela signifie que la guerre, prenant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent."
(Rapport à la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France)
De cette analyse des rapports entre capitalisme décadent et guerre impérialiste, on peut tirer trois conclusions :
- Livré à sa propre dynamique, le capitalisme ne peut échapper à la guerre impérialiste : tous les bavardages sur la "Paix", toutes les "Sociétés des Nations" et "Organisations des Nations-Unies", toute la bonne volonté de certains de ces "grands hommes" n'y peuvent rien et les périodes de "paix" (c'est-à-dire où la guerre n'est pas généralisée) ne sont que les moments où il reconstitue ses forces pour des affrontements encore plus destructifs et barbares.
- La guerre impérialiste est la manifestation la plus significative de la faillite historique du mode de production capitaliste, elle met en évidence la nécessité et même l'urgence du dépassement de ce mode de production avant qu'il n'entraîne l'humanité dans l'abîme ou la destruction définitive, .c'est le sens de la formule citée de l'Internationale Communiste.
- Contrairement aux guerres de la période ascendante qui ne touchaient que des zones délimitées du globe et ne déterminaient pas toute la vie sociale de chaque pays, la guerre impérialiste implique une extension mondiale et une soumission de toute la société à ses exigences et en premier lieu évidemment de la classe productrice de l'essentiel de la richesse sociale : le prolétariat.
C'est pour cela que, classe qui porte en elle la fin de toutes les guerres et le seul devenir possible de la société, le socialisme, mais aussi classe qui est en première ligne des sacrifices imposés par la guerre impérialiste et qui, exclue de toute propriété, soit la seule à ne pas avoir de patrie, à être réellement internationaliste, le prolétariat tient entre ses mains le sort de toute l'humanité. Et plus directement de sa capacité à réagir sur son terrain de classe à la crise historique du capitalisme, dépend la possibilité ou non de ce système d'y apporter sa propre réponse -la guerre impérialiste- et de l'imposer à la société.
Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, les implications de la nature du cours historique sont donc presque sans commune mesure avec ce qu'elles pouvaient être au siècle dernier. Au 20ème siècle, la victoire capitaliste signifie la barbarie sans nom de la guerre impérialiste et la menace d'une disparition de l'espèce humaine ; la victoire prolétarienne, par contre signifie la possibilité d'une régénération de la société, la "fin de la préhistoire humaine et le début de son histoire véritable", la "sortie du règne de la nécessité et l'entrée dans celui de la liberté". Tel est l'enjeu que les révolutionnaires doivent avoir en vue quand ils examinent la question du cours. Mais tel n'est pas le cas chez tous les révolutionnaires notamment chez ceux qui se refusent à parler d'alternative historique (ou, s'ils en parlent, qui ne savent pas de quoi il s'agit), pour qui la guerre impérialiste et le surgissement prolétarien sont simultanés ou même complémentaires.
6) L'OPPOSITION ET L'EXCLUSION DES DEUX TERMES DE L'ALTERNATIVE HISTORIQUE
À la veille de la seconde guerre mondiale, s'est développée, dans la Gauche Italienne, la thèse que la guerre impérialiste ne serait plus le produit de la division du capitalisme entre États et puissances antagoniques luttant chacune pour l'hégémonie mondiale. Au contraire, ce système ne recourrait à cette extrémité que dans le but de massacrer le prolétariat et d'entraver la montée de la révolution. C'est à cette argumentation que répondait la Gauche Communiste de France en écrivant :
"L'ère des guerres et des révolutions ne signifie pas qu'au développement du cours de la révolution répond un développement du cours de la guerre. Ces deux cours ayant leur source dans une même situation historique de crise permanente du régime capitaliste, sont toutefois d'essence différente n'ayant pas des rapports de réciprocité directe. Si le déroulement de la guerre devient un facteur direct précipitant les convulsions révolutionnaires, il n'en est pas de même en ce qui concerne le cours de la révolution qui n'est jamais un facteur de la guerre impérialiste. La guerre impérialiste ne se développe pas en réponse au flux de la révolution, mais c'est exactement le contraire qui est vrai, c'est le reflux de la révolution qui suit la défaite de la lutte révolutionnaire, c'est l'évincement momentané de la menace de la révolution qui permettent à la société capitaliste d'évoluer vers le déclenchement de la guerre engendrée par les contradictions et les déchirements internes du système capitaliste".
D'autres théories ont également surgi plus récemment suivant lesquelles "avec l'aggravation de la crise du capitalisme, ce sont les deux termes de la contradiction qui se renforcent en même temps : guerre et révolution ne s'excluraient pas mutuellement mais avanceraient de façon simultanée et parallèle sans qu'on puisse savoir laquelle arriverait à son terme avant l'autre". L'erreur majeure d'une telle conception est qu'elle néglige totalement le facteur lutte de classe dans la vie de la société. La conception développée par la Gauche Italienne pêchait par une surestimation de l'impact de ce facteur. Partant de la phrase du "Manifeste Communiste" suivant : laquelle "l'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de la lutte de classes", elle en faisait une application mécanique à l'analyse du problème de la guerre impérialiste en considérant celle-ci comme une réponse à la lutte de classe, sans voir au contraire qu'elle ne pouvait avoir lieu qu'en l'absence de celle-ci ou grâce à sa faiblesse. Mais pour fausse qu'elle fût, cette conception se basait sur un schéma correct, l'erreur provenant d'une délimitation incorrecte de son champ d'application. Par contre, la thèse du "parallélisme et de la simultanéité du cours vers la guerre et du cours à révolution" fait carrément fi de ce schéma de base du marxisme car elle suppose que les deux principales classes antagonistes de la société puissent préparer leurs réponses respectives à la crise du système -la guerre impérialiste pour l'une et la révolution pour l'autre- de façon complètement indépendante l'une de 'autre, du rapport entre leurs forces respectives, de leurs affrontements. S'il ne peut même pas s'appliquer à ce qui détermine toute l'alternative historique de la vie de la société, le schéma du "Manifeste Communiste" n'a plus de raison d'exister et on peut ranger tout le marxisme dans un musée au rayon des inventions farfelues de l'imagination humaine. En réalité, l'histoire se charge de démontrer l'erreur d'une telle conception du "parallélisme". En effet, contrairement au prolétariat qui ne connait pas d'intérêts contradictoires, la bourgeoisie est une classe profondément divisée de par l'antagonisme existant entre les intérêts économiques de ses différents secteurs : dans une économie où règne sans partage la marchandise, la concurrence entre fractions de la classe dominante est en général insurmontable ; là réside la cause profonde des crises politiques qui s'abattent sur cette classe, de même que des tensions entre pays et entre blocs qui toutes s'exacerbent au fur et à mesure qu'avec la crise, s'aggrave la concurrence. Le niveau le plus élevé où le capital peut se donner une certaine unité est le niveau national, c'est d'ailleurs un des attributs essentiel de l'État capitaliste que d'imposer cette discipline entre secteurs du capital national. à la limite on peut considérer l'existence d'une certaine "solidarité" entre nations d'un même bloc impérialiste : c'est la traduction du fait que, seul contre tous les autres, un capital national ne peut rien et qu'il est obligé d'abandonner une part de son indépendance pour pouvoir mieux défendre ses intérêts globaux, mais cela n'élimine pas :
- les rivalités entre pays d'un même bloc ;
- le fait que jamais le capitalisme ne peut s'unifier à l'échelle mondiale (contrairement à ce que prétendait par exemple la thèse de Kautsky du "super-impérialisme") les blocs se maintiennent toujours et leurs antagonismes ne peuvent aller qu'en s'aggravant.
Le seul moment où la bourgeoisie peut se redonner une unité à l'échelle mondiale, où elle peut faire taire ses rivalités impérialistes, c'est lorsqu'elle est menacée dans sa survie même par son ennemi mortel : le prolétariat. Mais alors, et l'histoire l’a amplement démontré, elle est capable de faire preuve de cette solidarité qui lui fait défaut dans les autres circonstances. C'est ce qu'illustre :
- dès 1871, la collaboration entre la Prusse et le gouvernement de Versailles face à la Commune (libération des soldats français qui allaient être utilisés lors de la "semaine sanglante") ;
- en 1918. la "solidarité" de l'Entente à l'égard de la bourgeoisie allemande menacée par la révolution prolétarienne (libération des soldats allemands utilisés ensuite dans le massacre des Spartakistes).
C'est donc de façon non pas parallèle et indépendante mais bien antagonique et se déterminant mutuellement que se développent le cours historique vers la guerre et celui vers la révolution.
De plus, ce n'est pas seulement sur le plan du devenir de la société que guerre impérialiste et révolution s'excluent mutuellement comme réponses de deux classes historiquement antagonistes, c'est également de façon quotidienne dans leurs préparatifs respectifs que se manifeste leur opposition.
La préparation de la guerre impérialiste suppose pour le capitalisme le développement d'une économie de guerre dont le prolétariat, évidemment, supporte le plus lourd du fardeau. Ainsi, c'est déjà en luttant contre l'austérité qu'il entrave ces préparatifs et qu'il fait la démonstration qu'il n'est pas prêt à supporter les sacrifices encore plus terribles que lui demanderait la bourgeoisie lors d'une guerre impérialiste. Pratiquement, la lutte de classe, même pour des objectifs limités, représente, pour le prolétariat, une rupture de la solidarité avec "son" capital national, solidarité qu'on lui demande justement de manifester dans la guerre. Elle exprime également une tendance à la rupture avec les idéaux bourgeois comme la "démocratie", la "légalité", la "patrie", le faux "socialisme", pour la défense desquels on appellera les ouvriers à se faire massacrer et à massacrer leurs frères de classe. Elle permet enfin que se développe son unité, condition indispensable de sa capacité à s'opposer, à l'échelle internationale, aux règlements de comptes entre brigands impérialistes.
L'entrée du capitalisme, au milieu des années 60, dans une phase de crise économique aiguë signifie l'imminence de la perspective définie par l'IC : "guerre impérialiste et révolution prolétarienne", comme réponses spécifiques de chacune des deux principales classes de la société à une telle crise. Mais cela ne signifie pas que les deux termes de cette perspective vont se développer de façon simultanée. C'est sous forme d'alternative, c'est-à-dire d'exclusion réciproque que ces deux termes se présentent :
- ou bien le capitalisme impose sa réponse et cela signifie qu'il a au préalable vaincu la résistance de la classe ouvrière ;
- ou bien le prolétariat apporte sa solution et, cela va sans dire, qu’il a réussi à paralyser la main meurtrière de l'impérialisme.
La nature du cours présent, vers la guerre impérialiste ou vers la guerre de classe, est donc la traduction de l'évolution du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat. Comme l'ont déjà fait avant nous la plupart des révolutionnaires, et notamment Marx, ce sont ces rapports de forces qu'il s'agit d'étudier. Mais cela suppose qu'on dispose de critères pour une telle évaluation qui ne sont pas nécessairement identiques à ceux utilisés par le passé. La définition de tels critères suppose donc à la fois la connaissance de ceux du passé, la distinction parmi ceux-ci entre ceux qui sont encore valables et ceux qui sont devenus caducs compte-tenu de l’évolution de la situation historique, ainsi que la prise en compte des nouveaux critères éventuels imposés par cette évolution. En particulier, il ne saurait être question d'appliquer mécaniquement les schémas du passé bien qu'il soit nécessaire de partir de l'étude de celui-ci et notamment des conditions qui ont permis l'éclatement de la guerre impérialiste en 1914 et en 1939.
7) LES CONDITIONS DE LA GUERRE IMPÉRIALISTE EN 1914 ET EN 1939
"C’est l’arrêt de la lutte de classe, ou plus exactement la destruction de la puissance de classe du prolétariat, la destruction de sa conscience, la déviation de ses luttes, que la bourgeoisie parvient à opérer par l'entremise de ses agents dons le prolétariat, en vidant ses luttes de leur contenu révolutionnaire et les engageant sur les rails du réformisme et du nationalisme, qui est la condition ultime et décisive de l’éclatement de la guerre impérialiste.
Ceci doit être compris non d'un point de vue étroit et limité d'un secteur national isolé, mais internationalement.
Ainsi, la reprise partielle, la recrudescence de luttes et de mouvements de grèves constatés en 1913 en Russie ne diminue en rien notre affirmation. à regarder les choses de plus près, nous verrons que la puissance du prolétariat international à la veille de 1914,les victoires électorales, les grands partis sociaux-démocrates et les organisations syndicales de masse, gloire et fierté de la IIème Internationale, n'étaient qu'une apparence, une façade cachant sous son vernis le profond délabrement idéologique. Le mouvement ouvrier miné et pourri par l'opportunisme régnant en maître devait s'écrouler comme un château de cartes devant le premier souffle de guerre.
La réalité ne se traduit pas dans la photographie chronologique des événements. Pour la comprendre, il faut saisir le mouvement sous-jacent, interne, les modifications profondes qui se sont produites avant qu'elles n'apparaissent à la surface et soient enregistrées par des dates. On commettrait une grave erreur en voulant rester fidèle à l'ordre chronologique de l'histoire et présenter la guerre de 1914 comme la cause de l'effondrement de la IIème Internationale, quand, en réalité, l'éclatement de la guerre fut directement conditionné par la dégénérescence opportuniste préalable du mouvement ouvrier international. Les fanfaronnades de la phrase internationaliste se faisaient sentir d'autant plus extérieurement qu'intérieurement triomphait et dominait la tendance nationaliste. La guerre de 1914 n'a fait que mettre en évidence, au grand jour, l'embourgeoisement des partis de la IIème Internationale, la substitution à leur programme révolutionnaire initial, par l'idéologie de l'ennemi de classe, leur rattachement aux intérêts de la bourgeoisie nationale.
Ce processus interne de la destruction de la conscience de classe a manifesté son achèvement ouvertement dans l'éclatement de la guerre de 1914 qu'il a conditionné.
L'éclatement de la seconde guerre mondiale était soumis aux mêmes conditions.
On peut distinguer trois étapes nécessaires et se succédant entre les deux guerres impérialistes.
La première s'achève avec l'épuisement de la grande vague révolutionnaire de l'après-1917 et consiste dans une suite de défaites de la révolution dans plusieurs pays, dans la défaite de la Gauche exclue de l'IC où triomphe le centrisme et l'engagement de l'URSS dans une évolution vers le capitalisme au travers de la théorie et de la pratique du "socialisme dans un seul pays".
La deuxième étape est celle de l'offensive générale du capitalisme international parvenant à liquider les convulsions sociales dans le centre décisif où se joue l'alternative historique du capitalisme/socialisme : l'Allemagne, par l'écrasement physique du prolétariat et l'instauration du régime hitlérien jouant le rôle de gendarme en Europe. à cette étape correspond la mort définitive de l'IC et la faillite de l'opposition de Gauche de Trotski qui, incapable de regrouper les énergies révolutionnaires, s'engage par la coalition et la fusion avec des groupements et des courants opportunistes de la gauche socialiste, s'oriente vers des pratiques de bluff et d'aventurisme en proclamant la formation de la IVème Internationale.
La troisième étape fut celle du dévoiement total du mouvement ouvrier des pays "démocratiques". Sous le masque de défense des "libertés" et des "conquêtes" ouvrières menacées par le fascisme, on a en réalité cherché à faire adhérer le prolétariat à la défense de la démocratie, c'est-à-dire de la bourgeoisie nationale, de sa patrie capitaliste. L 'antifascisme était la plate-forme, l'idéologie moderne du capitalisme que les partis traîtres au prolétariat employaient pour envelopper la marchandise putréfiée de la défense nationale.
Dans cette troisième étape s'opère le passage définitif des partis dits communistes au service de leur capitalisme respectif, la destruction de la conscience de classe par l'empoisonnement des masses, par l'idéologie antifasciste, l'adhésion des masses à la future guerre impérialiste au travers de leur mobilisation dans les "fronts populaires", les grèves dénaturées et déviées de 1936.
La guerre antifasciste espagnole, la victoire définitive du capitalisme d'État en Russie se manifestant entre autres par la répression féroce et le massacre physique de toute velléité de réaction révolutionnaire, son adhésion à la SDN ; son intégration dans un bloc impérialiste et l'instauration de l'économie de guerre en vue de la guerre impérialiste se précipitant. Cette période enregistre également la liquidation de nombreux groupes révolutionnaires et des communistes de Gauche surgis par la crise de l'IC et qui, au travers de l'adhésion à l'idéologie antifasciste, à la "défense de l'État ouvrier" en Russie, sont happés dans l'engrenage du capitalisme et définitivement perdus en tant qu'expression de la vie de la classe. Jamais l'histoire n'a encore enregistré pareil divorce entre la classe et les groupes qui expriment ses intérêts et sa mission. L'avant-garde se trouve dans un état d'absolu isolement et réduite quantitativement à de petits ilots négligeables.
L'immense vague de la révolution jaillie à la fin de la première guerre impérialiste a jeté le capitalisme international dans une telle crainte qu'il a fallu cette longue période de désarticulation des bases du prolétariat pour que la condition soit requise pour le déchaînement de la nouvelle guerre impérialiste mondiale." (Idem)
À ces lignes lumineuses, on peut encore ajouter les éléments suivants :
- l'évolution opportuniste et la trahison des partis de la deuxième Internationale ont été permises par les caractéristiques du capitalisme à son apogée, qui, par ses progrès économiques, par son absence apparente de convulsions profondes, par les réformes qu'il était en mesure d'accorder à la classe ouvrière, avait favorisé l'idée d'une transformation progressive, pacifique et légale vers le socialisme de la société bourgeoise ;
- un des éléments essentiels du désarroi prolétarien entre les deux guerres était l'existence et la politique de l'URSS qui, soit avait dégoûté les ouvriers de toute perspective de socialisme, soit les avait ramenés dans le giron de la social-démocratie, soit, pour ceux qui continuaient d'y voir "la patrie du socialisme", avait soumis leurs luttes aux impératifs de la défense de ses intérêts impérialistes.
8) LES CRITÈRES D'ÉVALUATION DU COURS HISTORIQUE
De l'analyse des conditions qui ont permis le déclenchement des deux guerres impérialistes, on peut tirer les enseignements communs suivants :
- le rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat ne peut se juger que de façon mondiale et ne saurait tenir compte d'exceptions pouvant concerner des zones secondaires : c'est essentiellement de la situation d'un certain nombre de grands pays qu'on peut déduire la nature véritable de ce rapport de forces ;
- pour que la guerre impérialiste puisse éclater, le capitalisme a besoin d'imposer préalablement une défaite profonde au prolétariat, défaite avant tout idéologique mais également physique si le prolétariat a manifesté auparavant une forte combativité (cas de l'Italie, de l'Allemagne et de l'Espagne entre les deux guerres) ;
- cette défaite ne se suffit pas d'une passivité de la classe mais suppose l'adhésion enthousiaste de celle-ci à des idéaux bourgeois ("démocratie", "antifascisme", "socialisme en un seul pays") ;
- l'adhésion à ces idéaux suppose :
a) qu'ils aient un semblant de réalité (possibilité d'un développement infini et sans heurt du capitalisme et de la "démocratie", origine ouvrière du régime qui s'est établi en URSS) ;
b) qu'ils soient associés d'une façon ou d'une autre à la défense d'intérêts prolétariens ;
c) qu'une telle association soit défendue parmi les travailleurs par des organismes qui aient leur confiance pour avoir été dans le passé des défenseurs de leurs intérêts, en d'autres termes que les idéaux bourgeois aient comme avocat des organisations anciennement prolétariennes ayant trahi.
Telles sont, à grands traits, les conditions qui ont permis par le passé le déclenchement des guerres impérialistes. Il n'est pas dit a priori qu'une éventuelle guerre impérialiste à venir ait besoin de conditions identiques, mais dans la mesure où la bourgeoisie a pris conscience du danger que pouvait représenter pour elle un déclenchement prématuré des hostilités (malgré tous ces préparatifs préalables, même la seconde guerre mondiale provoque une riposte des ouvriers en 1943 en Italie et en 1944/45 en Allemagne), on ne s'avance pas trop en considérant qu'elle ne se lancera dans un affrontement généralisé que si elle a conscience de contrôler aussi bien la situation qu'en 1939 ou au moins qu'en 1914. En d'autres termes, pour que la guerre impérialiste soit de nouveau possible, il faut qu'il existe au moins les conditions énumérées plus haut et si tel n'est pas le cas, qu'il en existe d'autres en mesure de compenser celles faisant défaut.
9) LA COMPARAISON DE LA SITUATION PRÉSENTE AVEC CELLES DE 1914 ET DE 1939
Dans le passé, le terrain principal sur lequel s'est décidé le cours historique était l'Europe, notamment ses trois pays les plus puissants, l'Allemagne, l'Angleterre et la France et accessoirement des pays secondaires comme l'Espagne ou l'Italie. Aujourd'hui, cette situation reste partiellement semblable dans la mesure où c'est ce continent qui est encore l'enjeu essentiel de l'affrontement entre les deux blocs impérialistes. Toute évaluation du cours passe donc par l'examen de la situation de la lutte de classe dans ces pays mais en même temps, ne saurait être complète si elle ne prenait pas en considération la situation en URSS aux USA et en Chine.
Si on examine l'ensemble de ces pays, on peut constater que nulle part, depuis plusieurs décennies, le prolétariat n'a subi de défaite physique ; la dernière en date des défaites de cet ordre a touché un pays aussi marginal que le Chili. De même, on ne peut relever dans aucun de ces pays de défaite idéologique comparable à celle de 1914, c'est-à-dire permettant une adhésion enthousiaste des prolétaires au capital national :
- les anciennes mystifications comme "l’antifascisme" ou le "socialisme en un seul pays" ont fait long feu ne serait-ce que face à l'absence d'un "fascisme épouvantail" et à la mise à nu de la réa1ité de ce "socialisme" ;
- la croyance en un progrès permanent et pacifique du capitalisme a été sérieusement ébranlé par plus d'un demi-siècle de convulsions et de barbarie, et les illusions qui se sont développées avec la reconstruction du second après-guerre sont aujourd'hui malmenées par le développement de la crise ;
- le chauvinisme, même s'il se maintient d'une façon non négligeable parmi un certain nombre d'ouvriers, n'a pas le même impact que par le passé ;
- ses bases sont battues en brèche par le développement du capitalisme qui, chaque jour, abolit un peu plus les spécificités et les différences nationales ;
- à l'exception des deux grandes puissances, l'URSS et les USA, il se heurte aux nécessités de mobilisation non derrière un pays mais derrière un bloc ;
- dans la mesure où c'est au nom de l'intérêt national qu'on demande de plus en plus de sacrifices aux ouvriers face à la crise, cet "intérêt national" va apparaître de plus en plus comme l'ennemi direct de leurs intérêts de class ; de fait, à l'heure actuelle, le chauvinisme, sous couvert d'indépendance nationale, ne trouve de véritable refuge que dans les pays les plus arriérés ;
- la défense de la "démocratie" et de la "civilisation" qui a pris aujourd'hui la forme des campagnes cartériennes sur les "droits de l'homme" et qui a l'avantage d'assurer une unité idéologique pour l'ensemble du bloc occidental, ne rencontre de succès important que parmi les habituels signataires de pétitions du milieu intellectuel et "nouveaux philosophes" mais très peu parmi les nouvelles générations de prolétaires qui ne voient pas tellement quel rapport il peut exister entre leurs intérêts et ces "droits de l'homme" que leurs promoteurs eux-mêmes bafouent cyniquement ;
- les anciens partis ouvriers sociaux-démocrates et "communistes" ont depuis trop longtemps déjà trahi leur classe pour qu'ils puissent avoir un impact comparable à celui du passé : les premiers sont depuis plus de 60 ans de loyaux gérants du capitalisme, leur fonction anti-prolétarienne est avérée et reconnue par beaucoup d'ouvriers. Enfin, ce sont eux qui ont eu ces dernières années la tâche, dans la plupart des pays d'Europe occidentale, de diriger des gouvernements synonymes d'austérité et de mesures anti-ouvrières et, si elle permet de redorer un peu leur blason, leur cure d'opposition actuelle ne saurait leur redonner une adhésion enthousiaste de la part des prolétaires. Quant aux partis staliniens, c'est peu dire que les prolétaires ne leur témoignent aucune confiance là où ils gouvernent : ils les haïssent, et dans les pays dont l'appartenance au camp occidental les confine dans l'opposition et où ils peuvent avoir un certain impact sur la classe, cet impact n'est pas directement utilisable pour une mobilisation derrière le bloc américain présenté comme "principal ennemi des peuples" par eux. Globalement, pour être vraiment efficace, la trahison d'un parti ouvrier doit l'être de fraîche date et ne servir, telles les allumettes, qu'une seule fois pour une mobilisation massive derrière la guerre impérialiste : c'est le cas de la social-démocratie dont la trahison ouverte date de 1914 et, dans une moindre mesure, des partis "communistes", qui trahissent au cours des années 20 avant de jouer leur rôle de rabatteurs pour la guerre dans les années 30, le poids du décalage entre les deux dates étant partiellement compensé par le fait que c'est justement, ce qu'ils clament bien fort, contre la trahison social-démocrate qu'ils s'étaient formés. à l'heure actuelle, la bourgeoisie ne dispose donc plus de cet atout considérable qui dans le passé avait fait la décision : les gauchistes, et notamment les trotskystes, ont bien posé leur candidature à la succession des sociaux-démocrates et des staliniens pour ce sale travail, mais d'emblée, ils possèdent deux handicaps de taille : d'une part, leur impact est loin de valoir celui de leurs aînés, et d'autre part, avant que cet impact ait pu se développer de façon notable, ils révèlent ouvertement leur nature bourgeoise en se spécialisant dans un rôle de rabatteurs pour les partis de gauche.
Comme on peut donc le voir, aucune des conditions qui avaient permis l'embrigadement dans les conflits impérialistes du passé n'existe aujourd'hui, et on ne voit pas quelle nouvelle mystification pourrait dans l'immédiat prendre la relève de celles qui ont failli. C'est une telle analyse qui était déjà à la base de la prise de position des camarades d'Internacionalismo quand ils saluaient début 68 l'année qui venait comme étant riche de promesses de luttes de classe face à la crise qui se développait. C'est cette même analyse qui permettait à Révolution Internationale d'écrire en 68, avant donc l'automne chaud italien de 69, l'insurrection polonaise de 70 et toute la vague de luttes qui va jusqu'en 1974 :
"Le capitalisme dispose de moins en moins de thèmes de mystifications capables de mobiliser les masses et de les jeter dans le massacre... Dans ces conditions, la crise apparaît dès ses premières manifestations pour ce qu'elle est : dès ses premiers symptômes, elle verra surgir dans tous les pays des réactions de plus en plus violentes des masses... Mai 68 apparait dans toute sa signification pour avoir été une des premières et une des plus importantes réaction de la masse des travailleurs contre une situation économique mondiale allant en se détériorant." (Révolution Internationale n°2, ancienne série)
C'est cette analyse, se basant sur les positions classiques du marxisme (caractère inéluctable de la crise et provocation par celle-ci d'affrontements de classe), ainsi que sur l'expérience de plus d'un demi-siècle, qui a donc permis à notre courant, alors que beaucoup d'autres groupes ne parlaient que de contre-révolution et ne voyaient rien venir, de prévoir la reprise historique de la classe à partir de 1968, de même que la remontée présente, suite à un recul temporaire entre 1974 et 1978.
Mais il est des révolutionnaires qui, plus de 10 ans après 1968 n'ont pas encore compris sa signification et pronostiquent le cours vers une troisième guerre impérialiste. Voyons leurs arguments :
10) DÉFENSE DE L'IDÉE DU COURS VERS UNE TROISIÈME GUERRE MONDIALE
a) L'existence présente de conflits inter-impérialistes localisés :
Certains révolutionnaires ont parfaitement compris que derrière les prétendues luttes de libération nationale se dissimulent (de plus en plus mal, il est vrai, au point que même un courant aussi myope que le bordiguisme est quelquefois obligé de le reconnaître) des conflits inter-impérialistes. De la persistance pendant des décennies de tels conflits, ils n'ont pas, à raison, conclu à une "montée de la révolution" suivant l'expression trotskiste. Nous les suivons sur ce point. Mais ils vont plus loin et concluent que la simple existence de tels conflits et leur intensification récente signifie que la classe est battue mondialement et ne pourra pas s'opposer à une nouvelle guerre impérialiste. La question qu'ils ne se posent pas, démontrant ainsi le caractère erroné de leur démarche, est : "pourquoi la multiplication et l'aggravation des conflits locaux n'ont-elles pas déjà dégénéré en un conflit généralisé ?" à cette question, certains, comme la CWO (Communist Worker's Organisation) (cf. la Conférence de novembre 78) répondent : "parce que la crise n'est pas encore assez profonde", ou bien "les préparatifs militaires et stratégiques ne sont pas encore achevés". L'histoire apporte elle-même un démenti à ces interprétations :
- en 1914, la crise et les armements étaient bien moindres quand le conflit de Serbie a dégénéré en guerre mondiale.
- en 1939, après le New Deal et la politique économique nazie, qui avait partiellement rétabli la situation de 1929, la crise ne se faisait pas sentir plus violemment qu'aujourd'hui ; de même, à cette date, les blocs n'étaient pas complètement constitués puisque l'URSS se trouvait alors pratiquement au côté de l'Allemagne et que les USA étaient encore "neutres".
De fait, les conditions sont plus que mûres pour une nouvelle guerre impérialiste, la seule donnée militaire manquante est l'adhésion du prolétariat... mais ce n'est pas la moindre.
b) Les nouvelles données technologiques de l'armement :
Pour certains, emboîtant le pas à ceux qui avaient dans le passé déclaré la guerre impossible à cause des gaz asphyxiants ou de l'aviation, l'existence de l'arsenal atomique interdit désormais le recours à une nouvelle guerre généralisée qui signifierait la menace d'une destruction totale de la société. Nous avons déjà dénoncé les illusions pacifistes contenues dans une telle conception. Par contre, d'autres estiment que le développement de la technologie interdit toute possibilité pour le prolétariat d'intervenir dans une guerre moderne du fait que celle-ci utilise surtout des armes très sophistiquées maniées par des spécialistes et très peu de masses de soldats. La bourgeoisie aurait ainsi les mains libres pour mener sa guerre atomique sans craindre aucune menace de mutinerie comme ce fut le cas en 1917-18. Ce qu'ignore une telle analyse, c'est que :
- l'armement atomique ne constitue pas, et de loin, le seul dont dispose la bourgeoisie, les dépenses d'armements classiques sont encore bien plus élevées que celles d'armes nucléaires ;
- si cette classe fait la guerre, ce n'est pas à priori, pour faire un maximum de destructions, mais pour s'emparer de marchés, de territoires et de richesses de l'ennemi ; en ce sens, même si c'est là le recours extrême, elle n'a pas intérêt à utiliser d'emblée l'arme atomique, et le problème de la mobilisation d'hommes pour l'occupation des territoires conquis continue à se poser : ainsi se maintient, comme par le passé, la nécessité de l’embrigadement de dizaines de millions de prolétaires comme condition de la guerre impérialiste.
c) La guerre-accident :
Il y a dans le processus de généralisation d'un conflit impérialiste un aspect d'engrenage involontaire échappant à tout contrôle de quelque gouvernement que ce soit. Un tel phénomène fait dire à certains que, quel que soit le niveau de la lutte de classes, le capitalisme peut plonger l'humanité dans la guerre généralisée "par accident", suite à une telle perte de contrôle de la situation. Il n'y a évidemment pas de garantie absolue que le capitalisme ne nous servira jamais un tel menu, mais l'histoire a démontré que ce système se laisse d'autant moins aller à ce type de "penchants naturels" qu'il se sent menacé par le prolétariat.
d) L'insuffisance de la réaction prolétarienne :
Certains groupes, tel "Battaglia Communiste", estiment que la riposte prolétarienne à la crise est insuffisante pour constituer un obstacle au cours vers la guerre impérialiste ; ils estiment que les luttes devraient être de "nature révolutionnaire" pour qu'elles puissent contrecarrer réellement ce cours et basent leur argumentation sur le fait qu'en 1917-18, c'est la révolution seule qui a mis fin à la guerre impérialiste. En fait, ils commettent une erreur en essayant de transposer un schéma en soi juste sur une situation qui n'y rentre pas. Effectivement, un surgissement du prolétariat dans et contre la guerre prend d'emblée la forme d'une révolution :
- parce que la société est alors plongée dans la forme la plus extrême de sa crise, celle qui impose aux prolétaires les sacrifices les plus terribles ;
- parce que les prolétaires en uniforme sont déjà armés ;
- parce que les mesures d'exception (loi martiale, etc.) qui sévissent alors rendent tout affrontement de classe plus violent et frontal ;
- parce que la lutte contre la guerre prend immédiatement une forme politique d'affrontement avec l'État qui mène la guerre sans passer par l'étape de luttes économiques qui, elles, sont beaucoup moins frontales.
Mais tout autre est la situation quand la guerre ne s'est pas encore déclarée.
Dans ces circonstances, toute tendance, même limitée à la montée des luttes sur un terrain de classe suffit à enrayer l'engrenage dans la mesure où :
- elle traduit un manque d'adhésion des ouvriers aux mystifications capitalistes ;
- l'imposition aux travailleurs de sacrifices bien plus grands que ceux qui ont provoqué les premières réactions risque de déclencher de leur part une réplique en proportion.
Ainsi, alors que les menaces de guerre impérialiste généralisée ne cessent de se profiler au début du 20ème siècle, que les occasions de son déclenchement ne manquent pas (guerre russo-japonaise, heurts franco-allemands à propos du Maroc, conflit dans les Balkans, invasion de la Tripolitaine par l'Italie), le fait que jusqu'en 1912 la classe ouvrière (manifestations de masse) et l'Internationale (motions spéciales aux Congrès de 1907 et 1910, Congrès Extraordinaire en 1912 sur la question de la guerre) se mobilisent lors de chaque conflit local n'est pas étranger à la non-généralisation de ces conflits. Et ce n'est qu'au moment où la classe ouvrière, endormie par les discours des opportunistes, cesse de se mobiliser face à la menace de guerre (entre 1912 et 1914) que le capitalisme peut déchaîner la guerre impérialiste à partir d'un incident (l'attentat de Sarajevo) en apparence bénin par rapport aux précédents.
À l'heure actuelle, point n'est besoin que la révolution frappe déjà à la porte pour que soit barré le cours vers la guerre impérialiste.
e) La guerre, condition nécessaire à la révolution :
Le constat que, jusqu'à présent, les grandes vagues révolutionnaires du prolétariat (la Commune de 1871, Révolutions de 1905 et 1917-18) ont surgi à la suite de guerres, a conduit certains courants, dont la Gauche Communiste de France, à considérer que c'était uniquement d'une nouvelle guerre que pouvait surgir une nouvelle révolution. Si cette approche, bien que fausse, était défendable en 1950, son maintien aujourd'hui relève d'un attachement fétichiste et non critique au schéma du passé. Le rôle des révolutionnaires n'est pas de réciter des catéchismes bien appris dans les livres d'histoire en considérant que celle-ci se répète de façon immuable. En général, l'histoire ne se répète pas et s'il est nécessaire de bien la connaître pour comprendre le présent, l'étude de ce présent, avec toutes ses spécificités, est encore plus nécessaire. Un tel schéma de la révolution surgissant uniquement de la guerre impérialiste est aujourd'hui doublement erroné :
- il méconnait la possibilité d'un surgissement révolutionnaire à la suite d'une crise économique (conformément au schéma envisagé par Marx, si cela peut rassurer les fétichistes) ;
- il mise sur une perspective qui n'a rien d'inéluctable (comme l'a démontré l'issue de la guerre impérialiste de 1939-45} et qui suppose une étape -une troisième guerre généralisée- qui risque fort, compte-tenu des moyens actuels de destruction, de priver définitivement l'humanité de toute possibilité de réaliser le socialisme ou même de son existence.
Enfin, une telle analyse risque d'avoir des implications désastreuses pour la lutte comme nous allons le voir.
11) LES IMPLICATIONS D'UNE ANALYSE ERRONÉE DU COURS
Les erreurs sur l'analyse du cours ont toujours eu, comme on l'a vu, des conséquences graves. Mais le niveau de cette gravité est différent suivant que le cours est vers la remontée de la lutte de classe ou vers la guerre impérialiste. Se tromper lorsque la classe recule peut-être catastrophique pour les révolutionnaires eux-mêmes (exemple du KAPD) mais a peu d'impact sur la classe elle-même auprès de laquelle, de toute façon, ils ont peu d'audience. Par contre, une erreur lors d'une reprise de la lutte de classe, au moment où l'influence des révolutionnaires augmente en son sein, peut avoir des conséquences tragiques pour l'ensemble de la classe. Au lieu de la pousser à la lutte, d'encourager ses initiatives, de permettre le développement de ses potentialités, un langage de "docteurs tant-pis" agira à ce moment-là comme un facteur de démoralisation et deviendra un obstacle à la poursuite du mouvement.
C'est pour cela qu'en l'absence de critères décisifs démontrant la réalité d'un recul, les révolutionnaires ont toujours misé sur le terme positif de l'alternative, sur la perspective d'une montée des luttes et non sur celle d'une défaite : l'erreur du médecin qui abandonne les soins d'un malade ayant encore une chance même minime de survie est bien pire que celle du médecin qui s'acharne à soigner un malade qui n'en a aucune.
C'est pour cela aussi qu'aujourd'hui ce n'est pas tellement aux révolutionnaires, qui prévoient un cours de reprise, d'apporter la preuve irréfutable de leur analyse, mais bien à ceux qui annoncent un cours vers la guerre.
À l'heure actuelle, dire à la classe ouvrière, alors qu'on n'en est pas parfaitement sûr, que la perspective qu'elle a devant elle est celle d'une nouvelle guerre impérialiste au cours de laquelle peut-être, elle pourra surgir, relève de l'irresponsabilité. S'il existe une chance, même la plus minime, que ses combats puissent empêcher l'éclatement d'un nouvel holocauste impérialiste, le rôle des révolutionnaires est de miser de toutes leurs forces sur cette chance et d'encourager au maximum les luttes de la classe en faisant ressortir l'enjeu pour elle et pour l'humanité.
Notre perspective ne prévoit pas l'inéluctabilité de la révolution. Nous ne sommes pas des charlatans et nous savons trop bien, à l'inverse de certains révolutionnaires fatalistes que la révolution communiste n'est pas "aussi certaine que si elle avait déjà eu lieu". Mais, quelle que soit l'issue définitive de ces combats, que la bourgeoisie essaiera d'échelonner afin d'infliger à la classe une série de défaites partielles préludes à sa défaite définitive, le capitalisme ne peut plus, d'ores et déjà, imposer sa propre réponse à la crise de ses rapports de production sans s'affronter directement au prolétariat.
C'est en partie de la capacité des révolutionnaires à être à la hauteur de leurs tâches, et notamment à définir les perspectives correctes pour le mouvement de la classe, qu'il dépend que ces combats soient victorieux et qu'ils débouchent sur la révolution et sur le communisme.