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Les guerres modernes ont la propriété d'être présentées
mensongèrement comme des guerres "défensives"
: défense de la "civilisation" contre le terrorisme
et la barbarie des "Etats voyous", défense de la démocratie
contre le totalitarisme. C'était déjà la grande
mystification que dénonçaient les militants du parti social-démocrate
russe avec Lénine dont nous publions des extraits d'un article
de 1914, intitulé "L'Internationale et la défense
nationale".
L'article de Lénine démontre comment la question de la
guerre n'est pas un problème indifférent aux débats
des deux premières Internationales, le problème y est
constamment envisagé. Il affirme que le combat contre la guerre
est une composante essentielle avec le combat contre l'exploitation
économique de la lutte du prolétariat pour mettre à
bas le capitalisme. Mais mieux encore, contre tous les juges modernistes
et contre-révolutionnaires de l'histoire qui se lamentent à
dessein sur l'impuissance et la faillite de la 2e Internationale face
à la guerre mondiale, Lénine démontre que le coeur
du combat des Internationales a été maintenu, même
après leur disparition ou leur faillite, par le noyau de militants
qui n'avaient cessé de combattre l'opportunisme des futurs traîtres
chauvins. C'est cette continuité et pugnacité du combat
qui ont permis de renforcer l'éruption du prolétariat
révolutionnaire contre la guerre en 1917 et de constituer la
3e Internationale.
Ainsi, même dans une période aussi dramatique, une poignée
de révolutionnaires, seuls héritiers de la tradition marxiste
bafouée, a prouvé que ce n'est qu'en maintenant le flambeau
de l'Internationalisme contre les social-chauvins qui les accusaient
de défendre des conceptions "surannées", qu'il
était possible de se préparer à mettre fin à
la guerre par la perspective de la révolution.
Il n'est pas vrai que l'Internationale ait consacré trop peu
d'attention au problème de la guerre. Presque tous les congrès
internationaux s'en sont occupés. Un rappel des faits suffira.
L'ancienne Internationale a consacré à ce problème
deux résolutions en deux congrès. La 2e Internationale
s'y est arrêtée dans huit congrès et huit résolutions.
Elle a, en outre, traité, dans cinq résolutions, la question
coloniale.
Il est inexact que l'Internationale ait enseigné aux ouvriers
qu'ils n'avaient qu'à se demander si une guerre était
défensive pour que la question fût tout de suite tranchée
et qu'il ne leur restât qu'à mettre le fusil sur l'épaule
et à exterminer "l'ennemi". Quiconque prendra la peine
de parcourir les résolutions authentiques de la 1ère et
2e Internationale se convaincra que rien d'analogue n'a jamais été
résolu. Examinons ces résolutions.
Depuis Marx, le combat des révolutionnaires contre la guerre
En 1867, au congrès de Lausanne, la 1ère Internationale
élabore une motion détaillée sur la guerre. Le
point essentiel est dans l'indication qu'il "ne suffit pas de supprimer
les armées permanentes pour en finir avec les guerres, mais qu'une
transformation de tout l'ordre social est à cette fin également
nécessaire". En 1867, au congrès de Bruxelles, l'Internationale
"recommande tout particulièrement aux ouvriers de cesser
le travail dans leur pays en cas de guerre".
Le Conseil général de la 1ère Internationale adopte,
en 1866, au début de la guerre austro-prussienne, une résolution
dans laquelle il recommande aux prolétariats de considérer
ce conflit comme celui de deux despotes et de tirer parti de la situation
pour leur propre émancipation.
Dans un manifeste aux trade-unions, en juillet 1868, le même Conseil
général, dans lequel on n'ignore pas que Karl Marx exerçait
une influence prépondérante, écrivait : "Les
bases de la société doivent être dans la fraternité
des travailleurs, libérés des mesquines rivalités
nationales. Le travail n'a pas de patrie."
Telles sont les résolutions de la 1ère Internationale.
A la conférence de Londres, en 1888, les députés
social-démocrates reçoivent le mandat de travailler à
l'institution de cours d'arbitrage pour la liquidation des conflits
entre Etats.
Au premier congrès de la 2e Internationale (Paris, 1889), une
résolution antimilitariste précise est prise. Revendication
principale : la substitution des milices populaires aux armées
permanentes. En 1891, le congrès de Bruxelles, "considérant
que la situation de l'Europe devient chaque année plus menaçante(...),
considérant les campagnes chauvines des classes dirigeantes,
invite tous les travailleurs à protester, par une agitation incessante,
contre toutes les tentatives de guerre et (...) déclare que la
responsabilité des guerres retombe en tout cas (...) sur les
classes dirigeantes".
En 1893, le congrès de Zurich déclare : "La social-démocratie
révolutionnaire internationale doit s'insurger avec la plus grande
énergie contre les aspirations chauvines des classes dirigeantes.
Les représentants des partis ouvriers sont tenus de refuser tous
les crédits militaires et de protester contre le maintien des
armées permanentes."
En 1900, au congrès de Paris, l'Internationale décide
catégoriquement que : "Les députés socialistes
de tous les pays sont inconditionnellement tenus de voter contre toutes
les dépenses militaires, navales, et contre les expéditions
coloniales."
En 1907, à Stuttgart, après avoir examiné la question
sous tous ses aspects, l'Internationale adopte une résolution
circonstanciée, dont le passage le plus important est celui-ci
: "Si la guerre éclate pourtant, les socialistes ont pour
devoir d'intervenir pour en hâter la fin et tirer de toute façon
parti de la crise économique et politique, pour soulever le peuple
et précipiter par là même la chute de la domination
capitaliste."
En 1910, à Copenhague, la résolution de Stuttgart est
confirmée et l'Internationale déclare une fois de plus
que c'est "le devoir invariable" des députés
socialistes de refuser tous les crédits de guerre.
En novembre 1912, au congrès de Bâle, réuni pendant
la guerre des Balkans, l'Internationale formule une claire menace de
révolution si les gouvernements criminels vont jusqu'à
la guerre mondiale. "Que les gouvernements n'oublient pas, déclare
le congrès de Bâle, que la guerre franco-allemande a provoqué
l'éruption révolutionnaire de la Commune, que la guerre
russo-japonaise a mis en mouvement les forces révolutionnaires
des peuples de la Russie. Les prolétaires considèrent
comme un crime de se tirer les uns sur les autres pour les bénéfices
capitalistes, les rivalités dynastiques et les traités
diplomatiques secrets." Tel était jusqu'à présent,
le langage de l'Internationale. On chercherait en vain dans ces motions
une approbation de la guerre même défensive.
1914 : La "défense nationale" signe l'arrêt de mort de la 2e Internationale
L'Internationale disait comment combattre la guerre, comment agir quand
la guerre éclate. Elle disait : "Votez contre les crédits,
appelez les masses au combat, préparez la guerre civile (la Commune
donnée en exemple) ; rappelez-vous que les guerres ne sont que
violences des classes dirigeantes contre les ouvriers, qu'elles sont
enfantées par l'ordre capitaliste. Elle appelait à la
lutte contre la guerre moderne". (...) Mais aujourd'hui !... Comme
les social-chauvins de tous les pays l'ont déshonorée,
l'Internationale !
L'Internationale n'a jamais dit que les socialistes dussent participer
à la "défense nationale" dans toute guerre défensive.(...)
Dans les guerres impérialistes qui caractérisent toute
notre époque, l'assaillant peut demain se trouver en état
de défense et vice versa. Pour cette raison déjà,
l'Internationale ne pouvait conseiller en toutes occasions la guerre
défensive. Il ne faut pas confondre les fâcheuses déclarations
isolées de quelques leaders socialistes avec l'opinion de l'Internationale.(...)
La différence entre une guerre offensive et la guerre défensive
est, dans la majorité des cas, tout à fait douteuse, écrivait
Kautsky lui-même en 1905. Et, en 1907, au congrès de la
social-démocratie allemande, à Essen, Kautsky, répliquant
à Bebel, disait encore :
"En réalité, la question ne se posera pas pour nous
en cas de guerre par rapport à telle ou telle nation isolée,
car la guerre entre les grandes puissances deviendra une guerre mondiale
et ne se limitera pas à deux Etats. Il arrivera qu'un beau jour
le gouvernement allemand tentera de berner les travailleurs allemands,
en leur assurant que la France est l'agresseur. Le gouvernement français
fera de même de son côté. Et nous serons les témoins
d'une guerre dans laquelle les ouvriers français et allemands,
également enthousiastes et suivant leurs gouvernements, s'égorgeront
entre eux."
(...) L'Internationale n'a jamais justifié ni préconisé
ce qu'ont fait les social-chauvins en Allemagne, en Autriche, en France
et en Belgique. Le simple recueil des résolutions de l'Internationale
constituerait le meilleur réquisitoire contre les opportunistes
qui les ont déchirées, amenant l'Internationale même
au krach. Les opportunistes étaient très forts dans l'Internationale,
mais pas assez pour affirmer, sous son égide, le patriotisme
d'aujourd'hui claironné par Haase et Vaillant, Hervé et
Sudekum. Au moment où l'opportunisme et le chauvinisme ont temporairement
triomphé dans les plus grands partis européens, la 2e
Internationale a cessé de vivre.
Une autre Internationale la remplacera.
Lénine (12 décembre 1914)