Soumis par Revue Internationale le
Guerres sur tous les continents, pauvreté, misère et faim généralisées, catastrophes en tous genres, le tableau du monde est catastrophique.
"Un an après le début de la guerre au Kosovo, les vengeances meurtrières, l'augmentation de la criminalité, les conflits politiques internes, l'intimidation, et la corruption dans ce territoire donnent une image fâcheuse (...). Le Kosovo est un gâchis. " (The Guardian, 17/3/00) ([1]). La situation de haine et de guerre dans les Balkans s'est encore aggravée depuis la guerre du Kosovo et l'occupation du pays par l'OTAN. La guerre en Tchétchénie continue au prix de milliers de morts et de blessés, pour la plupart civils, et des centaines de milliers de réfugiés affamés dans des camps. Comme au Kosovo, comme en Bosnie hier, les atrocités commises sont effroyables. La capitale Grozny a été rayée de la carte, anéantie. Les généraux américains se vantent d'avoir ramené la Serbie 50 ans en arrière avec les bombardements de l'OTAN. Les généraux russes se sont révélés encore plus performant en Tchétchénie : "Cette petite République du Caucase risque ainsi d'être renvoyée, en matière de développement, un siècle en arrière" (Le Monde Diplomatique, février 2000). Les combats qui ont ravagé le pays, continuent et vont continuer encore longtemps.
Les foyers de tensions guerrières se multiplient. Particulièrement nombreux et particulièrement dangereux en Asie du sud-est. "Dans nulle autre région, tant de questions critiques sont posées de manière si dramatique. " (Bill Clinton, International Herald Tribune, 20/03/00)
Pauvreté et misère généralisées dans le monde
"La moitié de toute la population mondiale est pauvre" (International Herald Tribune, 17/3/ 00). Les discours sur la prospérité sont démentis par la situation dramatique de milliards d'hommes, de femmes et d'enfants. "Alors que la production mondiale de produits alimentaires de base représente plus de N0% des besoins, 30 millions de personnes continuent de mourir de faim chaque année, et plus de 800 millions sont sous-alimentées. " (Le Monde Diplomatique, décembre 2000)
La situation dans les pays périphériques, hier appelés "tiers-monde", aujourd'hui appelés "pays émergents" ou "en développement" - c'est révélateur des thèmes et des mensonges de la propagande actuelle - est à une paupérisation et à une misère absolues. "Le nombre de personnes sous-alimentées reste élevé dans un monde d'excédent de nourriture. Dans les pays en développement, il y a 150 millions d'enfants de poids insuffisant, autour d'un sur trois. " (International Herald Tribune, 9/3/00)
Aujourd'hui même alors qu'on nous rabâche que la crise asiatique de l'été 1997 est dépassée, que les "tigres asiatiques" sont de retour, que la récession a été beaucoup moins forte que prévue tant en Asie qu'en Amérique Latine, et que les taux de croissance sont de nouveau positifs, "2.2 milliards de personnes [vivent] avec moins de 2 dollars par jour en Asie et en Amérique Latine" (International Herald Tribune, 14/7/ 00, James D. Wolfensohn, Président de la Banque Mondiale). Inflation maîtrisée, production en hausse, la Russie est "un petit miracle, si l'on s'en dentaux indicateurs macroéconomiques" (Le Monde, 24/03/00). Mais, comme les pays asiatiques sud-américains, cette embellie au niveau des "fondamentaux économiques" se fait sur le dos de la population et au prix d'une misère croissante. La Russie "reste un pays en quasi faillite, sapé par une dette extérieure de près de 170 milliards de dollars (...). L'évolution générale du niveau de vie est restée négative depuis 1990 et, en moyenne, le revenu moyen par habitant équivaut actuellement à 60 dollars par mois, le salaire moyen se situant à 63 dollars et le montant de la retraite à 18 dollars. En août 1998, au moment du krach, 48 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté (fixé à un peu plus de 50 dollars), proportion qui est passée à 54% enfin d'année et qui atteint près de 60 % à ce jour. " (Le Monde, supplément économique, 14/03/00)
Pauvreté et misère dans les pays industrialisés
L'idée que les pays industrialisés seraient un oasis de prospérité, ne résiste pas non plus à un examen, même superficiel. Et encore moins au vécu de centaines de millions d'hommes et de femmes, principalement ouvriers en activité ou au chômage. Comme nous le rappelions dans le numéro précédent, 18 % de la population américaine vit en dessous du seuil de pauvreté, soit 36 millions de personnes au moins. En Grande-Bretagne, 8 millions sont dans cette situation et 6 millions en France. Si les chiffres de chômage ont baissé, c'est au prix d'une flexibilité et d'une précarité chaque jour plus fortes et d'une baisse des salaires drastique. Avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, les Pays-Bas sont souvent cités comme exemple de réussite économique. Comment expliquer la chute du taux de chômage de 10 % en 1983 à moins de 3 % en 1999 aux Pays-Bas s'interroge Le Monde : "Plusieurs thèses ont déjà été évoquées : (...) Le développement du temps partiel [qui représentait en 1997] 38.4% de l'emploi total [et] de nombreux retraits d'activité avec le cas (très particulier aux Pays-Bas) des personnes considérées comme invalides (près de 11% de la population active en 1997). [Enfin] La modération salariale négociée dans les années 80 pourrait être à l'origine de la forte baisse du chômage" (Le Monde, supplément économique, 14/03/00). Le mystère de la réussite est levé : un adulte sur dix est invalide dans un des pays les plus industrialisés au monde ! Mais le sujet ne prête pas à rire. La réussite hollandaise ? Précarité maximum et travail à temps partiel ; tricherie sur les chiffres économiques et de... santé ; enfin baisse drastique des salaires. Voilà la recette. Et elle est appliquée dans tous les pays. ([2])
A ces données qui ne sont qu'une partie de la réalité sociale et économique des pays industrialisés, il convient de rappeler l'immense endettement public et privé des Etats-Unis, l'approfondissement de leur déficit commercial ([3]) et l'énorme bulle spéculative qui affecte Wall Street et avec elle toutes les bourses du monde. Le cycle ininterrompu de croissance américaine des années 1990 dont on nous vante tant les mérites, est financé par le reste du monde, par l'endettement généralisé et par une exploitation féroce de la classe ouvrière. Autre grand pays industrialisé, deuxième puissance mondiale, le Japon n'en finit pas avec la récession "officielle", c'est-à-dire officiellement reconnue. Et ce malgré un endettement faramineux de l'Etat qui s'élève "à 3300 milliards de dollars à la fin 1999, ce qui en faisait la dette la plus élevée du monde (...). Le Japon est donc passé devant les Etats-Unis, qui étaient auparavant la nation la plus endettée au monde. " (Le Monde, 4/03/00)
La réalité de 1'économie mondiale est à l'opposé du tableau idyllique qui nous est présenté.
Des catastrophes meurtrières et la destruction de la planète
Les catastrophes écologiques et "naturelles" se multiplient. Les dernières inondations meurtrières au Venezuela et au Mozambique, après celles de Chine entre autres, ont à leur tour fait des milliers de morts et de disparus, des centaines de milliers de victimes et de sans-abri affamés. Dans le même temps la sécheresse, moins "spectaculaire", fait tout autant de ravages en Afrique, voire dans les pays affectés par les inondations à d'autres moments. Les milliers de morts ensevelis sous les décombres de leur bidonville construit sur les flancs des montagnes entourant Caracas ne sont pas victimes d'un phénomène naturel, mais des conditions de vie et de l'anarchie qu'impose le capitalisme. Les pays riches ne sont pas non plus épargnés parles catastrophes, même si celles-ci ont des conséquences moins dramatiques dans l'immédiat. Les incidents dans les centrales nucléaires sont de plus en plus courants. Tout comme les "marées noires" dues au naufrage de pétroliers affrétés au moindre coût, les accidents de chemin de fer et d'avion. Ou bien encore la pollution des fleuves comme le déversement massif de mercure dans le Danube. L'eau est de plus en plus polluée et elle se raréfie. "Un milliard de personnes n'ont pas accès à une eau sûre et potable, essentiellement parce qu'ils sont pauvres" (International Herald Tribune, 17/3/00). L'air des villes et des campagnes est nocif. Les maladies qui avaient disparu, telles que le choléra et la tuberculose, réapparaissent massivement. "Cette année, 3 millions de personnes vont mourir de la tuberculose, et 8 millions vont développer la maladie, presque toutes dans les pays pauvres (...). La tuberculose n'est pas une simple crise médicale. C'est un problème politique et social qui pourrait avoir des conséquences incalculables pour les générations à venir. " (selon Médecins sans frontière, International Herald Tribune, 24/ 03/00)
La destruction du tissu social et ses conséquences dramatiques
Cette détérioration des conditions de vie, tant au plan économique qu'au plan général des conditions de vie, s'accompagne d'une explosion de la corruption, des mafias et de la délinquance la plus extrême. Des pays entiers sont gangrenés par la drogue, le gangstérisme et la prostitution. Le détournement des fonds du FMI alloués à la Russie, des milliards de dollars, par les membres de la famille Eltsine, n'est qu'une expression caricaturale de la corruption généralisée qui se développe dans tous les pays du monde.
L'enfer dans lequel se retrouvent des millions d'enfants dans le monde est effarant. "La liste est longue des activités dans lesquelles les enfants sont transformés en marchandises (...). Mais les enfants ne sont pas vendus, loin de là, que pour le «marché» de l'adoption internationale. Ils le sont bien plus encore pour leur force de travail (...). L'industrie du sexe -prostitution d'enfants, prostitution d'adultes - est aujourd'hui à ce point lucrative qu'elle représente près de 15 % du produit intérieur brut de certains pays d'Asie (Thaïlande, Philippines, Malaisie). De plus en plus jeunes, ses yjcâmes sont aussi de plus en plus démunies, dans le monde entier, surtout lorsque, malades, elles sont renvoyées dans la rue ou dans leurs villages, rejetées par leurs familles, abandonnées de tous. " (Le Monde, 21/3/00, Claire Brisset, directrice de l'information au Comité français pour l'UNICEF) ([4])
Tout aussi horrible est le développement de la prostitution des jeunes filles. L'une des conséquences de l'intervention de l'OTAN au Kosovo, a été de jeter des milliers d'adolescentes dans les camps de réfugiés. Alors que leurs frères étaient enrôlés dans les mafias de l'UCK, dans le trafic de drogue et le gangstérisme, elles sont devenues, elles aussi les proies des mafias. " Il arrive aussi q 'elles aient été achetées ou enlevées dans les camps de réfugiés avant d'être envoyées à l'étranger ou dans les bars à soldats de Pristina (...) La plupart d'entre elles subissent des sévices, en particulier des viols, avant d'être contraintes de se prostituer : « au début, (explique un responsable policier français) je ne croyais pas à l'existence de véritables camps de concentration où elles sont violées et préparées à la prostitution ». " (Le Monde, 15/3/00)
Sur tous les plans, guerres, crise économique, pauvreté, écologique et social, le tableau est sombre et catastrophique.
Vers ou le capitalisme entraîne-t-il le monde ?
Mais s'agit-il d'une période, terrible et dramatique certes, de transition dans l'attente et la perspective d'un monde meilleur, de paix et de prospérité ? Ou bien s'agit-il d'une inexorable descente aux enfers ? S'agit-il d'une société qui passe par les plus graves tourments avant de connaître un nouveau développement extraordinaire grâce aux nouvelles techniques ? Ou bien sommes-nous en face d'une décomposition irréversible du capitalisme ? Quelles sont les tendances de fond qui animent tous les aspects du monde capitaliste ?
Vers la destruction de l'environnement
Malgré les discours et les participations d'écologistes aux gouvernements, les catastrophes de toutes natures et la destruction de la planète par le capitalisme ne peuvent que se développer et s'aggraver. Quand les scientifiques réussissent à faire une étude "objective" et sérieuse, et quand on les laisse s'exprimer, leurs prévisions sont funestes. Voilà ce que dit un spécialiste de l'eau : "On va dans le mur (...). Le pire scénario pour le futur serait que l'on continue à faire comme aujourd'hui ; c'est la crise assurée (...). En 2025, la majorité de la population de la planète vivra dans des conditions d'approvisionnement en eau faibles ou catastrophiquement faibles" (cité par Le Monde, 14/03/00). La conclusion tirée par notre scientifique : "Un changement de politique globale est impératif. "
Point n'est besoin ici de revenir sur le trou dans la couche d'ozone, ni sur le réchauffement de la planète qui fait fondre les glaces des deux pôles et fait monter le niveau des mers. L'air dans la majorité des grandes agglomérations mondiales est devenu irrespirable et les maladies qui en découlent, asthme, bronchites chroniques et autres, comme le cancer, sont en augmentation rapide. Mais ce ne sont pas que les grandes villes ou les villes industrielles qui sont touchées. C'est l'ensemble de la planète. Le nuage de pollution émis par les industries en Inde et en Chine, nuage de la taille des Etats-Unis, a plané au-dessus de l'Océan indien durant des semaines. Quelle réponse offre le capitalisme ? Offre-t-il l'arrêt de la pollution, ou au moins sa diminution ? Absolument pas. Sa réponse ? S'approprier l'air et le vendre : "Pour la première fois, l'air, ressource universelle, devrait devenir une valeur marchande (...). Le principe d'un marché des permis d'émission [c'est-à-dire des droits à polluer] est simple (...). Un pays qui produit plus de C02 qu'il n'est autorisé à le faire peut acheter à un Etat qui, lui, en produit moins, l'excédent de droits à polluer de ce dernier" {Le Monde, supplément économique, 21/03/00). Tout comme il le fait déjà avec l'eau. Tout comme il le fait avec les enfants. Tout comme il le fait avec les prolétaires. Au lieu de stopper, voire au minimum de ralentir, la destruction de l'environnement et de la planète, le capitalisme en transformant tout ce qu'il touche en marchandise, en accélère la ruine et la destruction.
Vers encore plus de pauvreté et de misère
Depuis le début de ce siècle, et malgré les progrès techniques et un développement des forces productives quantitativement immenses, les conditions de vie de l'ensemble de la population mondiale, et y compris de la classe ouvrière des pays industrialisés, se sont considérablement dégradées. Sans compter les sacrifices et la misère des deux guerres mondiales. Comme l'avait défini l'Internationale Communiste en 1919, s'ouvrait alors la période de décadence du capitalisme (Voir dans ce numéro An 2000 : le siècle le plus barbare de l'histoire).
Les années 1970 avaient vu la faillite des pays africains et l'endettement des pays d'Amérique Latine. Les années 1980 ont vu la faillite de ces derniers et l'endettement des pays de l'Est. Les années 1990 ont vu la faillite des pays de l'Est, l'endettement des pays asiatiques et la faillite qui l'a suivi encore plus rapidement. Que ce soit l'Afrique, l'Amérique Latine, et maintenant l'Asie et l'Europe de l'Est, la situation n'a fait qu'empirer dramatiquement tout au long de cette fin de siècle. Au début des années 1970, le nombre de pauvres (disposant de moins de un dollar par jour selon la Banque Mondiale) s'élevait à 200 millions. Au début des années 1990, leur nombre était de 2 milliards.
Après la chute du capitalisme d'Etat stalinien dans les pays de l'Est, la pseudo prospérité occidentale était promise à tous. "Mais au lieu de converger vers les niveaux de salaire et de vie de l'Europe de l'Ouest, le déclin régional relatif (des pays de l'ex-bloc russe) s'accéléra après 1989. Le produit intérieur brut (PIB) chuta de 20 % même dans les pays les plus développés. Dix ans après le début de la transition, seule la Pologne a dépassé son PIB de 1989, tandis que la Hongrie s'en rapproche seulement à la fin des années 90. " {Le Monde Diplomatique, février 2000)
En Asie où la crise de 1'été 1997 serait terminée dit-on, "nombre de banques se retrouvent encore avec des dettes effarantes, qui, même si le climat économique s'améliore, n'ont aucune chance d'être un jour remboursées" {The Economist dans Le Monde en 2000 publié en français par Courrier International). Certes, depuis peu, la bourgeoisie s'émerveille sur les capacités de récupération des économies asiatiques. "Le redressement des économies de la région est «remarquable» a estimé le vice-président de la Banque mondiale pour l'Asie de l'Est et le Pacifique " pour qui "la pauvreté n'augmente plus, les taux de change sont stables, les réserves sont importantes, les exportations augmentent, l'investissement étranger reprend et l'inflation est faible" {Le Monde, 24/03/00). Comme 1'indique le fait que "la pauvreté n'augmente plus", les bons résultats des "fondamentaux" sont le fruit de la destruction de pans entiers de l'économie des pays asiatiques et d'une paupérisation massive de la population, d'un endettement public et privé accru qui explique que "les réserves soient importantes", et d'une monnaie dévaluée qui favorise les exportations et l'investissement étranger. Mais même dans le cas de la Corée du Sud, 10e puissance industrielle avant la crise de l'été 1997, les avis des spécialistes sont partagés et tous, loin s'en faut, ne se laissent pas griser par les nécessités propagandistes.
"Hilton Root, un ancien professeur d'économie de la Wharton School, a décrit une tableau inquiétant de la reprise coréenne plus superficiellement que profondément enracinée. Les puissants «chaebols» sud-coréens - les puissants conglomérats –sont encore englués dans des dettes énormes, le pays a trop peu de familles possédant beaucoup trop de richesses, et la corruption continue à dépouiller le système politique et légal de la nation. Mr Root doute que la reprise coréenne se maintienne même si Mr Kim apparaît plus fort que jamais. En effet, beaucoup de gens s'inquiètent que, sous un tel mandat, la Corée du Sud glisse rapidement en arrière" {International Herald Tribune, 18/03/00). On le voit, et même si l'explication des difficultés par notre économiste est largement incomplète, la réalité n'est pas aussi brillante et limpide que le claironnent les spécialistes de la bourgeoisie internationale.
Pour les pays de la périphérie du capitalisme, c'est-à-dire pour l'immense majorité des continents, des pays et de la population mondiale, les perspectives économiques sont à la ruine, la misère et la faim.
Vers l'aggravation du chômage et de la précarité dans les pays riches
( Comment pouvons-nous dire que le capitalisme est en faillite alors que "la croissance est là" ?
Sommes-nous aveugles ? La "nouvelle économie" ne va-t-elle pas relancer encore plus la machine et assurer une prospérité continue ? Ne va-t-on pas vers le "plein emploi" comme l'affichent les gouvernements ? Réalité ou chimère ? Possibilité ou mensonge ?
Les prévisions économiques qui nous sont largement présentées dans les médias sont de la pure propagande. Elles ont pour but de cacher la faillite généralisée. A l'appui de leurs discours, les politiciens, les spécialistes et les journalistes avancent des chiffres qui sont manipulés et mensongers. Objet de campagne aujourd'hui, le retour au "plein emploi" serait à portée de main, en partie grâce à la "nouvelle économie" ([5]). Comment vont-ils y arriver ? Par laprécarité, le temps partiel imposé, et la tricherie : "Si les temps changent, les repères aussi. Pendant des lustres, il a été admis que le plein emploi était atteint quand le taux de chômage ne dépassait pas les 3 %. Plus récemment, les experts considéraient que le même résultat serait obtenu avec 6 % de chômeurs. Or voilà que le chiffre est révisé à la hausse par certains, jusqu'à 8.5 %" {Le Monde, supplément économique, 21/03/00). Le fait même qu'ils revoient leurs critères chiffrés, disqualifie à l'avance le retour au "plein emploi" dans les statistiques et indique la confiance qu'ils ont dans leurs propres pronostics. Le chômage et la précarité vont s ' approfondir encore et peser sur les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière mondiale.
Il en va de même pour les chiffres de croissance. Habitué à tricher, il est alors tout à fait normal qu'un éminent dirigeant japonais se refuse à admettre la récession dans son pays. "Même si cela fait deux trimestres de suite ([6]) que le PIB se contracte, nous ne pensons pas que l'économie soit en récession" (cité par Le Monde, 14/03/00). Pourquoi se gênerait-il ? Puisque les chiffres sont tripatouillés de manière à apparaître sous leur meilleur jour : "Dans le passé, on aurait considéré (un taux de croissance de 1 à 1,5 % pour l'économie mondiale) comme une récession. A l'occasion des trois précédentes « récessions » mondiales - de 1975, 1982 et 1991 -, la production mondiale n 'a en effet jamais véritablement reculé" (The Economiste Le Monde en 1999 publié par Courrier International). Dans ces conditions, nous ne pouvons accorder aucun crédit sérieux aux déclarations triomphantes sur la croissance retrouvée dans les pays industrialisés.
En fait, un des enjeux de la situation actuelle est de masquer aux yeux de la population mondiale, et particulièrement de la classe ouvrière des pays industrialisés, la faillite économique du capitalisme. Une des manifestations les plus criantes de cette faillite, est le recul de la production, la récession, et ses conséquences dramatiques et violentes. Là aussi, les envolées lyriques sur la croissance américaine dont nous avons vu les conditions "artificielles" et le prix pour la population américaine, visent à cacher la récession mondiale. Combien d'articles et d'éloges sur l'exemple américain à côté des quelques mentions, dispersées sur "les graves récessions dans la plupart des pays du tiers-monde" (The Economist) et des pays de l'Est européen ?
Vers l'aggravation des contradictions de l'économie américaine
Malgré ses tricheries, la bourgeoisie est néanmoins obligée d'essayer d'y voir clair, ne serait-ce que pour essayer de contrôler la situation de faillite. D'où les interrogations actuelles sur 1'"atterrissage en douceur". La crise "asiatique" de l'été 1997 qui a fait des ravages en Asie, en Amérique Latine et en Europe de l'Est, a été contenue dans les pays d'Amérique du nord et d'Europe occidentale, au prix pour ces derniers, et particulièrement les Etats-Unis d'un endettement public et privé accru avec comme conséquence l'inflation, la surchauffe de 1'économie et une spéculation boursière encore plus gigantesque et "irrationnelle" qu'auparavant.
Démentant toutes les dithyrambes sur la bonne santé de 1'économie, sur la révolution et le boom de la "nouvelle économie" liée à Internet, les spécialistes et les responsables économiques les plus sérieux n'ont qu'une seule vraie préoccupation :l’"atterrissage en douceur" de l'économie mondiale. C'est dans les faits une reconnaissance tacite que la tendance est déjà à une chute de l'économie. "Une chose est claire : l'expansion des Etats-Unis va se modérer (...). Le freinage pourrait-il être brutal au point d'entraîner une récession mondiale ? C'est fort peu probable, mais le risque n'est pas à exclure. [Néanmoins] cette situation a deux conséquences inquiétantes. Premièrement, le ralentissement nécessaire pour éviter un retour de l'inflation aux Etats-Unis en 2000 sera de grande ampleur (...). Si la nouvelle économie est un mirage ou, en tout cas, si elle est beaucoup moins réelle qu'on le prétend, les valorisations boursières actuelles des entreprises américaines sont injustifiables. Dès lors qu 'on associe la nécessité d'une modération de la demande globale et un marché boursier à la fois surévalué et apparemment non préparé aux désillusions, y compris les moins graves, toutes les conditions sont réunies pour un atterrissage nettement moins réussi." (The Economist dans Le Monde en 2000 publié par Courrier International)
Le doute s'installe donc. Est-ce que la bourgeoisie arrivera à continuer à contrôler la chute évitant ainsi un choc brutal et incontrôlé à la 1929 ? L'enjeu n'est pas faillite ou pas faillite. La faillite est déjà là. Croissance ou récession ? La récession est déjà là comme on l'a vu plus haut. Prospérité ou misère ? La misère est déjà là. Chômage-précarité ou plein emploi ? Chômage et précarité sont déjà là. Non, l'enjeu est : est-ce que la bourgeoisie va pouvoir continuer à contrôler la chute comme elle le fait encore aujourd'hui ? Chute contrôlée ou incontrôlée ? Et le doute et l'interrogation sont présents dans un autre article de la même publication : "En réussissant un atterrissage en douceur, le pays [les Etats-Unis] aura accompli un miracle tout aussi remarquable que la croissance soutenue qu'il a connue ces dernières années" (idem). Diable ! Deux "miracles" à la suite ! Quelle foi aveugle. Et quelle confiance dans les vertus de l'économie capitaliste. Comme le premier, ce nouveau miracle s'il doit survenir, ne sera pas réalisé par le marché, mais par l'intervention autoritaire des Etats - au premier chef américain - sur l'économie, par des décisions politiques des gouvernements et "techniques" des banques centrales qui tricheront une fois de plus avec la loi de la valeur non pour sauver 1'économie mais pour "atterrir" le plus doucement possible.
Vers plus de guerres et de chaos
Nous l'avons vu ([7]), la paix ne reviendra pas en Tchétchénie. Ni dans les Balkans. Et les foyers de tension sont nombreux. Au milieu de multiples antagonismes locaux, les tensions permanentes entre la Chine et Taiwan, 1 ' Inde et le Pakistan, et donc l'Inde et la Chine, les trois dotés de l'arme nucléaire, sont lourdes de menaces. De même, les antagonismes entre les grandes puissances industrielles, même si cela est en partie caché, s'exacerbent. Ces rivalités entretiennent les conflits locaux, quand elles n'en sont pas directement la cause comme en Yougoslavie, et les aggravent. Les différends sur le Kosovo et sur l'utilisation des forces d'occupation de l'OTAN en sont une manifestation.
Relance des conflits locaux, accentuation des antagonismes entre les grandes puissances impérialistes, voilà vers où nous mène le capitalisme chaque jour un peu plus.
Au niveau des antagonismes impérialistes locaux, la période actuelle de décomposition a provoqué une situation de chaos dans la plupart des continents. "Un peu partout, dans les pays du Sud, l'Etat s'effondre. Des zones de non droit, des entités chaotiques ingouvernables se développent, échappent à toute légalité, replongent dans un état de barbarie où seuls des groupes de pillards sont en mesure d'imposer leur loi en rançonnant les populations" (Le Monde Diplomatique, décembre 1999). L'Afrique à l'abandon en est l'illustration la plus claire. Les régions immenses d'Asie centrale ont pris le même chemin et, sans atteindre le même degré, l'Amérique Latine est tout aussi affectée comme le montre l'exemple colombien. ([8])
Tout comme au plan écologique et au plan économique, cette tendance irréversible du capitalisme à la décomposition, entraîne l'humanité dans le chaos et la catastrophe. "Cet empire [La Russie] qui se défait en régions autonomes, cet ensemble sans lois, ni cohérence, cet univers flamboyant» où se juxtaposent les plus grandes richesses et les pires violences, constitue en effet une lumineuse métaphore de ce nouveau Moyen Age dans lequel pourrait replonger la planète tout entière si la mondialisation n'était pas maîtrisée" (J. Attali, ancien conseiller du président français F. Mitterrand, L'Express, hebdomadaire français, 23/3/00).
YA-T-ILUNFUTUR POUR L'HUMANITE ?
Le tableau du monde d'aujourd'hui est effroyable et catastrophique. Les perspectives qu'offre le capitalisme à l'humanité sont effrayantes et apocalyptiques tout autant qu'inéluctables. Sauf à en finir avec la cause de ces malheurs : le capitalisme.
"Le mythe persiste que la faim résulte d'une pénurie de nourriture (...). Le fil commun qui parcourt toute la faim, dans les pays riches et pauvres, est la pauvreté" (International Herald Tribune, 9/3/00). Le monde capitaliste a développé suffisamment de forces productives pour pouvoir nourrir le monde entier. Et cela malgré les destructions massives de richesses et de forces productives tout au long du 20e siècle. L'abondance de biens et la fin de la misère sont une possibilité pour l'humanité entière. Avec elle, la maîtrise des forces productives et de la distribution sociale des biens. Avec elle, la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme. La fin des guerres et des massacres. Et avec elle, la fin de la destruction de l'environnement. Economiquement et techniquement, la question est réglée depuis le début du 20e siècle. Reste posée la question de la destruction du capitalisme.
Face à cela, la bourgeoisie rappelle sans arrêt que tout projet révolutionnaire est inévitablement voué à la faillite sanglante ; et le mensonge selon lequel le communisme est égal à sa négation, le stalinisme. Elle met en avant, à travers ses forces "contestataires", des campagnes démocratiques contre Pinochet, contre l'extrême-droite en Autriche, contre l'emprise des grandes puissances financières sur la société, contre les excès du libéralisme, contre l'OMC lors du grand show médiatique de la manifestation anti-sommet de Seattle, pour la taxe-Tobin. Ces campagnes ont leur prolongement adapté à chaque situation nationale particulière, telle 1'affaire Dutroux en Belgique, la lutte contre le terrorisme de l'ETA en Espagne, les scandales mafieux en Italie, ou bien encore l'antiracisme en France. L'idée force de ces campagnes démocratiques est que les populations, au premier chef la classe ouvrière, se regroupent comme "citoyens" autour de leur Etat et pour 1'aider, voire pour les plus radicaux, 1'obliger à défendre la démocratie.
L'objet de ces campagnes et de cette mystification démocratiques est clair. A la lutte de la classe ouvrière, on substitue le mouvement des citoyens toutes classes et intérêts confondus.
A la lutte contre le capitalisme et son représentant et défenseur suprême, l'Etat, on substitue l'appui à cet Etat. La classe ouvrière aurait tout à perdre à se diluer dans la masse interclassiste des citoyens ou du peuple. Elle aurait tout à perdre à se ranger derrière l'Etat capitaliste. La bourgeoisie claironne aussi que la lutte de classes n'existe plus et que la classe ouvrière a disparu. Pourtant, l'existence même de ces campagnes, leur orchestration et leur ampleur, bien souvent internationales, révèlent que pour la bourgeoisie, la classe ouvrière reste un danger et une classe à combattre.
D'autant qu'aujourd'hui même un certain nombre de luttes ouvrières apparaissent, certes en ordre dispersé, contrôlées et défaites par les syndicats et les forces politiques de gauche, mais réelles et répondant à un mécontentement croissant devant les attaques subies. En Allemagne, en Grande-Bretagne, en France, des mouvements significatifs, bien qu'encore timides et largement sous le contrôle des syndicats, ont lieu ([9]). Le mouvement de manifestations des ouvriers du métro à New York de novembre-décembre 1999 (voir Intemationalism n°lll, publication du CCI aux Etats-Unis) a sans doute été une des expressions majeures des forces, des faiblesses et des limites de la classe ouvrière aujourd'hui : d'un côté une combativité, un refus d'accepter les sacrifices sans réaction, une disposition à se rassembler et à discuter des besoins et des moyens de lutte, et une certaine méfiance vis-à-vis des manoeuvres syndicales ; de l'autre, un manque de confiance en soi, un manque de détermination pour surmonter les obstacles syndicaux, pour engager ouvertement la lutte et pour essayer d'organiser son élargissement à d'autres secteurs.
Les mensonges sur la bonne santé de l'économie visent à empêcher et surtout à retarder au maximum la prise de conscience par l'ensemble des ouvriers, non pas des attaques et de la détérioration de leurs conditions de vie et de travail - ça, ils le vivent au quotidien et le savent - mais de la faillite du capitalisme. Et au plan idéologique et politique, la campagne permanente et systématique sur la nécessité de défendre la démocratie et^è la renforcer est au centre de l'offensive politique de la bourgeoisie contre le prolétariat dans la période actuelle.
L'enjeu historique est de taille. Pour le capitalisme, il s'agit de retarder et de dévier au maximum le développement de luttes massives et unies et de repousser d'autant la confiance en soi des ouvriers. Et ainsi réussir à user, à disperser et finalement à défaire les inévitables ripostes prolétariennes. Malheur à l'humanité toute entière si le prolétariat international sortait défait et anéanti des affrontements de classe décisifs à venir !
R.L. 26 mars 2000.
[1] Les traductions en français de la presse anglo-saxonne sont notre, sauf celles de The Economist tirées de Courrier International.
[2] Temps partiel et flexibilité, tricherie avec les chiffres aussi pour la Grande-Bretagne : "Donnée pourtant capitale, l'importante baisse de la population active est généralement passée sous silence (...). Autre facteur qui fait la différence : la formidable progression du temps partiel, qui, depuis 1992, est la caractéristique de deux emplois créés sur trois. Un record d'Europe ! Enfin, vieille recette, les statistiques de l'emploi sont soumises à un rude traitement outre-Manche : toute personne souhaitant travailler mais ne cherchant pas activement un emploi (soit 1 million de personnes) est rayée des registres, de même que celles (200 000 environ) ne pouvant être disponibles de suite " (Le Monde Diplomatique, février 98). Cf. aussi Le Monde Diplomatique, avril 98 pour des données sur la précarité et le temps partiel imposé dans les principaux pays industrialisés, Etats-Unis, Grande-Bretagne, France...
[3] "Le déficit des comptes courants s'est chiffré à 338,9 milliards de dollars pour l'ensemble de 1999, un gonflement de 53,6 % sur les 220,6 milliards de dollars accusés en 1998. Le déficit n'a jamais été aussi lourd depuis que le gouvernement fédéral établit ces statistiques, c'est-à-dire juste après la fin de la deuxième guerre mondiale. " (Le Monde, 17/03/00)
[4] Les enfants comme marchandise ne sont pas le propre de situations de pays pauvres et où règne le chaos le plus total : "Ce pays [la Grande-Bretagne] est également le champion européen du travail des enfants, comme en témoigne un rapport accablant rédigé par une commission indépendante, la Low Pay Unit, et rendu public le 11 février dernier : 2 millions déjeunes entre 6 et 15-16 ans, dont 500 000 âgés de moins de 13 ans, ont un emploi quasi régulier. Il ne s'agit pas seulement de «petits boulots», mais d'activités qui devraient normalement être assurées par des adultes dans l'industrie et les services, et qui sont rémunérées de manière dérisoire. Le dumping gêné rationnel, telle est la dernière innovation en date du «modèle» britannique... " {Le Monde Diplomatique, avril 98).
[5] Nous ne pouvons dans le cadre de cet article analyser, critiquer et dénoncer la nouvelle trouvaille, le nouveau truc, qui va sortir l'humanité et le capitalisme de l'impasse : Internet et la "nouvelle économie". Remarquons simplement que l'enthousiasme des derniers mois est en train de retomber et que la frénésie et les ardeurs spéculatives sur Internet se refroidissent déjà. Il faut dire que les chiffres astronomiques de capitalisation boursière des sociétés liées à Internet sont complètement irrationnels par rapport aux chiffres d'affaire et encore plus par rapport aux bénéfices, quand ils existent ce qui est rarement le cas. Le fait que des masses immenses de capitaux financiers quittent la "vieille économie", c'est-à-dire celle qui produit des biens de production et des biens de consommation, et se précipitent sur des sociétés qui ne produisent rien, avec comme seul objectif la spéculation, est une confirmation éclatante de l'impasse du capitalisme. "En janvier, il y a eu un afflux net de 32 milliards de dollars dans les fonds de technologie en forte croissance [la « nouvelle économie » liée à Internet]. Pendant ce temps, les investisseurs retiraient leur argent des autres actions qui ont souffert un retrait net de 13 milliards. Les chiffres de décembre étaient tout aussi frappant : 26 milliards de dollars pour la haute technologie et 13 milliards s'enfuirent des autres catégories." (International Herald Tribune, 14/03/00)
[6] Selon les règles en usage parmi les économistes, il faut deux trimestres consécutifs de recul de la croissance pour que la récession soit "officiellement" reconnue. Mais comme le relève The Economist les chiffres négatifs ne sont que l'expression d'une récession "ouverte" qui n'infirme en rien l'existence d'une récession même dans le cas de chiffres positifs.
[7] Cf. les numéros précédents de la Revue Internationale pour des analyses et des prises de position plus précises sur les conflits impérialistes, en particulier le Kosovo, le Timor et la Tchétchénie (n°97, 98, 99 et 100).
[8] A relever que "la Colombie est devenue le troisième récipiendaire de l'aide militaire américaine, après Israël et l'Egypte " {Le Monde en 2000 publié par Courrier International).
[9] En Allemagne, "Des tensions sociales se sont réchauffées sur deux fronts... au moment où le gouvernement met en avant des changements sensibles dans la politique d'emploi " (International Herald Tribune, 24/03/00). Voir aussi Weltrevolution, notre journal en Allemagne. Sur la Grande-Bretagne, voir notre journal mensuel World Révolution n°228 et 229, ainsi que la prise de position de la Communist Workers Organisation dans Revolutionary Perspectives n°15 et 16 sur les différences d'appréciation sur les luttes ouvrières récentes. Sur la France voir notre journal mensuel Révolution Internationale.
Les mouvements les plus significatifs ne sont pas les plus médiatisés. Ainsi en France, les grèves minoritaires et corporatistes des agents des impôts et de 1 ' enseignement ont occupé le devant de la scène et fait les gros titres pour se terminer par des "victoires" bidons, mises au compte des syndicats, alors que la multitude de conflits dans d'autres secteurs privés et publics, comme La Poste par exemple, contre l'application des 35 heures et ses conséquences sont minimisés quand ils ne sont pas passés sous silence.