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De Gaulle, nouveau monstre de foire
L'entrée dans la scène politique de De Gaulle a été saluée, dans la mare aux crapauds de la politique, par un véritable tollé général. Chaque parti voyait naître un concurrent -disons-le immédiatement- plus redoutable en apparence qu'en réalité.
Rappelons brièvement certains faits : la politique bourgeoise française avant l'arrivée au pouvoir de Blum, comme l'âne de Buridan, ne savait pas si elle devait boire à la source russe ou dans le râtelier américain d'abord. Avec Blum la France subit un net coup de barre en direction du bloc américain. Depuis cette époque, une série de mesures économiques fort démagogiques -baisse nominale des prix, déflation illusoire traduisant plus un embarras de crédit qu'un assainissement du Trésor- avaient été appliquées dont le pays n'a pas encore senti les effets bienheureux. Car il semble que la conjoncture économique se fiche pas mal des décisions gouvernementales et, pire encore, les ignore.
Cette situation politique poursuit un axe de direction bien américain tandis que, économiquement, sur le plan intérieur, nous assistons à une difficulté à faire démarrer le plan Monnet malgré l'aide de l'emprunt de Washington- qui se traduit, sur le plan immédiat, par un amoindrissement du pouvoir d'achat des ouvriers et par une réduction du ravitaillement.
Tout en tenant compte de la période de morte-saison qui se situe entre février et mai, le problème de la soudure du blé devient aussi angoissant qu'au pire moment de l'Occupation. La viande traîne sa crise depuis pas mal de mois ; le vin n'a non seulement pas augmenté mais on parle de réduire la ration. Le sucre, dont on nous avait généreusement octroyé 250 grammes supplémentaires par mois, vient d'être ramené à ses modestes limites de 500 grammes.
Le gouvernement peut très bien stigmatiser "ceux qui essaient de profiter de ces difficultés, il n'en reste pas moins vrai que ces difficultés, loin d'être momentanées, persistent et persisteront en s'aggravant à l'avenir. Donner de beaux discours et des élections "progressistes" comme solutions à ces difficultés montre bien l'impasse où la prétendue paix conduit les pays qui se prétendent démocratiques.
Mais, revenons à De Gaulle pour rechercher une part l'importance politique de son geste, d'autre part l'emploi que comptent en faire les partis de la bourgeoisie, du PRL au PC ainsi que les annexes gauches et droites de ces partis tels le PCI ou les anarchistes, grands claironneurs de mot-d’ordres d'agitation dans le vide.
De Gaulle, par certains côtés, peut être mis en parallèle avec Boulanger. En effet, tous les deux ont raté le moment psychologique de la prise du pouvoir, Boulanger en s'enfuyant en Belgique, De Gaulle en hésitant pendant 2 ans pour, en janvier 1946, démissionner du pouvoir. Seulement Boulanger s'est suicidé sur la tombe de sa bien-aimée et là s'arrête la comparaison.
De Gaulle, après son silence de près de 1 an, voyant qu'au travers des difficultés du pays jamais personne n'a songé à supplier le "sauveur" de revenir à la barre de l'État, rentre par la porte de service dans l'arène politique. Mais il rentre après avoir murement réfléchi sur certaines constatations fort décevantes.
La politique de "la grandeur de la France", de l'indépendance totale de la "patrie" -et il faut l'entendre dans le sens de non-vassalisation du pays à un bloc ou à un autre -, la politique de prestige et de grande puissance n'a servi qu'à lui aliéner l'aide américaine et à lui fournir un symbolique "acte de majorité" avec l'accord franco-russe.
Lui, qui voulait faire jouer à la France un rôle d'arbitre entre les 2 blocs, n'a réussi effectivement qu'à se voir, par l'attitude de méfiance des États-Unis à son égard, rejeté, même contre sa volonté et sa pensée réelle, dans le bloc russe (rappelons un fait amusant : l'accord franco-russe, symbole de notre majorité politique, nous a rapporté une aide symbolique en céréales de la part de la Russie, c'est-à-dire quelques sacs de blé).
De Gaulle, avant sa démission, se trouvait obligé de lutter contre le courant qui le dirigeait -parce qu'il ne voulait pas se rallier au bloc américain- vers la Russie. Bien qu'il ait multiplié, en 1945, des démarches pour se rapprocher des États-Unis, ces démarches n'ont eu aucun succès.
Et c'est la crise qui s'ouvre en janvier 1946 avec la démission de De Gaulle. Le problème qui se posait à ce moment-là était : quelle influence politique allait diriger la France ?
La SFIO avait donné assez de garanties de soumission à l'Amérique. Depuis, à part une brève interruption, les socialistes n'ont pas cessé de diriger les intérêts de la France vers le bloc occidental.
De Gaulle a mis près de 6 ans pour se rendre compte du caractère irréalisable de son idée politique. Pendant une année de réflexion, il a dû arriver à rejeter et à renier toutes ses anciennes idées politiques pour se proclamer le champion de l'amitié franco-américaine.
S'il a cru avoir bien choisi le moment pour sa rentrée en scène, il doit être fort déçu aujourd'hui de son manque de flair politique. Son arlequinade de rassemblement est bien maigre. N'était-ce sa personnalité passée, ses chances de succès auraient été bien moindres qu'elles ne le sont aujourd'hui.
Son geste pourtant est important car il permet de concrétiser, dans la politique intérieure de la France, l'existence de deux blocs bourgeois rattachés internationalement aux deux blocs impérialistes du monde ; non par le fait que De Gaulle serait le leader d'un des blocs intérieurs mais parce qu'il a clairement exprimé leur existence dans ses différents discours.
A-t-il des possibilités de supplanter la SFIO auprès des américains ? Nous ne le croyons pas et l'avenir en décidera. Mais il ne faudrait pas voire là un changement d'orientation politique en France ; ce serait uniquement un changement sans importance de clique ministérielle (et dire qu'en se rangeant du côté russe l'avenir politique de De Gaulle était fait).
Le 2ème point à analyser est celui de savoir quel emploi les partis comptent faire du nouveau rassemblement gaulliste. Comme nous l'avons dit dans la première phrase de notre article : un tollé général a suivi l'annonce de la formation du RPF.
Le MRP et la SFIO craignaient de se voir grignoter sur leur droite ; le MRP surtout qui, jusqu'à présent aux yeux de sa clientèle électorale, faisait figure de parti officieux de De Gaulle. Les radicaux n'ont plus rien à perdre après avoir été tellement rogné par les autres partis, mais ils essaient quand même de regagner une certaine influence par leur dénonciation de la politique du pouvoir personnel. Simple battage démagogique.
Les staliniens, eux, ne craignent pas de perdre leur clientèle électorale ; mais le RPF leur permettrait de construire un nouveau monstre réactionnaire devant galvaniser les masses autour du PC. Avec les incidents indochinois et malgaches, les staliniens essayaient de faire figure d'opposition, tout en faisant attention de plier l'échine chaque fois que le problème de la solidarité gouvernementale était posé. L'opposition s'exprimait par la bouche d'un Marty pour calmer les troupes trop dégoûtées de la collaboration sacrée, nationale. La voie de la raison et de la fermeté prenait la figure de Thorez pour calmer les petits-bourgeois apeurés de perdre leurs lambeaux de propriété, ce qui ne fait qu'aggraver leur misère. Quant à Duclos, il parle, ruse avec lui-même, croyant duper ses adversaires politiques. Il parle encore...
L'intérêt du RPF pour le PC réside essentiellement dans la possibilité de crier : "La République est en danger !", et sonner le rassemblement du peuple français autour du "seul parti de la renaissance et de défense de la patrie", nous avons nommé le PC. Et voilà des comités de vigilance -patronnés par le PC, la CGT, l'Union des Femmes Françaises, le Front National- poussant comme des champignons après la pluie. Objet : la défense de la République contre les attaques de la réaction gaulliste.
Ces comités semblent regrouper un grand nombre d'organisations. En fait, toute cette somme de noms se résume dans le PC. Seulement c'est une possibilité, pour les staliniens, d'inviter le MRP, les radicaux et la SFIO à entrer dans ces comités, espérant par-là les entraîner à certaines actions en faveur du bloc russe ou à les dénoncer en cours de route sous prétexte qu'ils pactisent avec la réaction.
C'est la vieille tactique du front unique qui ressort encore une fois. Mais, comme toujours, les staliniens n'enfermeront personne d'autre qu'eux-mêmes.
En effet, après le tollé général, les partis se sont mis à réfléchir : rejeter De Gaulle c'est tomber dans les comités de vigilance, en d'autres termes c'est faire le jeu russe. Rejoindre De Gaulle c'est perdre la clientèle électorale et, peut-être, indisposer l'Amérique qui ne semble pas encore bien disposée à son égard. Changer de coursier en pleine course est toujours mauvais.
Aussi on s'aperçoit dès maintenant, après quelques jours de grandes violences oratoires, que le péril De Gaulle n'est pas si grand et que le RPF est un nouveau parti fort démocratique, pouvant même adhérer aux comités de vigilance. Les hommes qui l'ont suivi sont généralement considérés comme étant de "gauche".
Le Bureau politique provisoire du RPF est composé d'hommes politiques tels Malraux -stalinophile pendant la guerre d'Espagne, résistant puis colonel de maquis et de FTP -, tels Paul Fort l'ancien secrétaire de la SFIO, tels Soustelle l'UDSR, ancien ministre d'un gouvernement tripartite quelconque et actuellement secrétaire général provisoire du RPF. Ces hommes ont donné autant de preuves de leur attachement à la cause dite "de gauche" que les Blum ou les Thorez. Un homme de droite comme Capitant passe au deuxième plan. Et la manœuvre devient classique puisque la politique des partis dits "ouvriers" sert mieux la politique de la bourgeoisie française, en enchaînant la classe ouvrière, que les partis de droite. Le RPF sera de "gauche" comme les social-patriotes et le parti de "la renaissance française" communément appelé PC.
Beaucoup de bruit pour rien, semble-t-il ? Eh bien non, nous ne le pensons pas. De la même façon que l'on peut comprendre les discours de Churchill comme étant la voix officieuse du gouvernement Attlee, qui ne peut officiellement tenir un langage directement anti-russe, de même De Gaulle joue ce rôle auprès du gouvernement Ramadier. De Gaulle a été un élément actif pour augmenter la clarté de l'opposition EU-Russie, sur le plan français, en prenant position nettement pour le bloc EU-GB.
Enfin, comme sur un autre plan il a donné la base à un autre rassemblement du peuple français, malgré la quasi-indifférence de la masse au débat De Gaulle, ce dernier a permis aux partis dits "ouvriers" de trouver un dérivatif pour calmer moralement le ventre des masses en leur montrant un danger réactionnaire - De Gaulle - bien mis en scène, pouvant cacher ou au moins voiler la situation fort menacée et fort menaçante pour l'avenir : la 3ème guerre mondiale.
Mousso
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Nous apprenons, en dernière heure, que le parti socialiste a invité les autres partis du gouvernement à prendre contact avec lui pour étudier les moyens de lutter contre les menaces réactionnaires, sans dire d'où elles viennent. Au front unique par la base des staliniens, en vue de l'éternelle possibilité de noyautage, la SFIO répond par un front unique par le haut, c'est-à-dire par les organismes dirigeants.