Soumis par Revue Internationale le
La Fraction italienne et nous-mêmes avons eu l'occasion de nous expliquer longuement sur la signification des événements de 1943 en Italie. On trouvera, dans les bulletins internationaux publiés depuis, les études et les articles condamnant sans retour la position de Vercesi sur ce point. Si nous revenons encore une fois aujourd'hui, c'est pour ne pas laisser sans réponse, même courte, les nouvelles sorties de Vercesi et surtout pour confronter Vercesi avec lui-même.
On connaît les positions de Vercesi. Après avoir, pendant quelques jours, cru que le cours de la révolution s'est ouvert avec les événements de 1943 en Italie, il est vite revenu sur son "erreur" et définitivement revenu. Les événements de 1943 étaient "la crise économique de l'économie de guerre", c'était "une révolution de palais" ; La chute de Mussolini était "le fruit pourri qui tombe" ; c'était tout ce que l'on veut hormis une manifestation de classe du prolétariat italien. Cette interprétation des événements de 1943 lui était nécessaire pour justifier sa position sur l'inexistence sociale du prolétariat et surtout pour combattre toute activité, toute possibilité d'une activité révolutionnaire aussi restreinte soit-elle, décriée et qualifiée par lui comme de "l'activisme", de l'aventurisme ne pouvant représenter et exprimer que le capitalisme. L'attente et la passivité absolues seules convenaient aux révolutionnaires. Et c'est par cette passivité absolue que l'on pouvait rester fidèle au prolétariat.
Mais voilà que brusquement tout change et le pourfendeur de "l'activisme qui ne pouvait exprimer que le capitalisme" se trouve à la tête d'un comité antifasciste en compagnie de tous les partis bourgeois. Et cette fois-ci on nous dirait que ne pas participer à cet activisme nous mettra en dehors du prolétariat, comme des "traîtres". Voyons un peu comment on explique cette ahurissante conversion :
- "Avez-vous vu, s'écrie Vercesi, en Italie une opposition directe contre l'État capitaliste en 1943 ? Jusqu'à présent pas encore, à part les événements en novembre 1943 à Turin. Nous n'avons pas vu d'opposition. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'au point de vue social, le prolétariat social n'a pas fait encore son apparition."
Ainsi, deux ans après, Vercesi ne voit pas encore la signification de ces événements où, par des grèves et des manifestations, le prolétariat italien a secoué tout l'édifice politique de la machine étatique fasciste. La pleine signification nous sera révélée par la suite : d'une part par les mesures prises par le capitalisme mondial qui divisera l'Italie en deux zones afin de mieux pouvoir maîtriser les violentes manifestations de classe du prolétariat, et d'autre part par le refus obstiné des ouvriers d'Italie de se laisser embrigader à nouveau dans les armées impérialistes dans les deux zones, par son refus de continuer à se faire massacrer dans la guerre impérialiste, malgré la propagande et la présence des socialistes et communistes-staliniens au gouvernement accourus à la rescousse du capitalisme. Le mouvement de classe du prolétariat italien porte encore certainement l'empreinte d'une confusion ; cela est inévitable au premier moment, d'autant plus qu'il a manqué en Italie la présence active de l'avant-garde qui est un des facteurs déterminants et indispensables pour la dissipation de la confusion. C'est l'intervention de l'avant-garde qui permet au prolétariat de prendre pleinement conscience du but de son propre mouvement et des moyens pouvant lui assurer la victoire.
Très caractéristiques sont ces quelques mots : "à part les mouvements en novembre 1943 à Turin". Vercesi le dit certainement pour être quitte avec le proverbe qui veut que les exceptions confirment la règle. Une petite exception, voyez-vous, les mouvements de Turin, qu'est-ce que cela prouve pour Vercesi ? Rien, une petite exception ! Turin représente pourtant pour l'Italie ce qu'étaient Saint-Pétersbourg ou Moscou pour la Russie. C'est un des plus grands centres industriels de l'Italie et du prolétariat italien. Une simple petite exception !!
Mais Vercesi, oubliant ce qu'il vient de dire pour justifier son "activisme" singulier d'aujourd'hui, dit un peu plus loin :
- "En un mot, les masses réclament la révolution puis qu'elles ont accepté de participer et de se faire égorger dans la guerre, non pour assurer la victoire de l'un ou de l'autre mais pour écraser le fascisme."
Voyons, "le prolétariat n'a pas fait son apparition du point de vue social" mais "les masses réclament la révolution". Passons sur la contradiction criante et demandons-nous seulement pourquoi l'emploi de ce terme vague de "masses" ? Cela n'est pas par hasard. Il s'agit en l'occurrence des masses des partisans de l'Italie du nord, ceux encasernés par la bourgeoisie dans la résistance. Pour justifier sa participation au comité de coalition avec la bourgeoisie, Vercesi a besoin à la fois de nier l'existence du prolétariat et de découvrir les nouvelles forces de la révolution, les "masses" des partisans, en raison de quoi il inaugure sa tactique dite indirecte.
Polémiquant contre ceux qui voyaient le prolétariat dans les événements de 1943 en Italie et proclamant comme devoir de l'avant-garde de manifester sa présence par son action, Vercesi recourt aux arguments suivants :
- "Si en réalité des possibilités sociales avaient existé en 1943, vous auriez vu l'invasion des rues et des places et de tous les édifices publics ; rien ne serait resté debout, comme il ne restera rien debout, absolument rien de tout le capitalisme et de tous les fascistes, le jour où le prolétariat reprendra la parole en Italie ; ce jour sera une bacchanale de sang et tout sera balayé, et c'est alors que nous pourrons parler de la présence de la classe prolétarienne en Italie."
Voilà une apparence d'arguments forts destinés à vous impressionner et convaincre sans réplique ; mais à regarder de plus près, ce ne sont que des mots creux et fanfarons. Il n'est pas exact que, dès que le prolétariat apparaît, il bouleverse tout immédiatement. Dans la réalité, le cours de la révolution connaît des hauts et des bas, il peut être momentanément freiné, dévié, reflué pour rebondir plus puissamment par la suite, ou même être complètement arrêté et défait. La révolution russe nous offre le meilleur exemple d'une révolution qui devait pourtant être victorieuse, passant par un long moment d'hésitation et de recul. Le 1923 allemand nous offre un autre exemple historique où l'hésitation du parti communiste et l'application à grande échelle de la tactique du front unique devaient endiguer la marche du prolétariat et permettre au capitalisme de liquider la situation révolutionnaire avant que celle-ci ait pu évoluer et atteindre son point culminant.
Vercesi le sait très bien puisque, plus loin, il dira comme si de rien n'était :
- "Une fois que l'histoire épuise les possibilités de survie du capitalisme, le prolétariat entre en scène. Il y entre d'abord par une première phase extrêmement confuse qui engendre de son sein des positions générales aussi confuses qui passent par le tri d'une deuxième expérience…"
Cette "première phase extrêmement confuse", Vercesi l'accorde au mouvement de la résistance des partisans du nord – qui sont trompés et se sont fait les auxiliaires de l'impérialisme anglo-saxon et russe – mais il le dénie catégoriquement aux grèves de 1943 de Turin, de Milan, de toute l'Italie ; il le dénie à ces mouvements qui ont disloqué l'armée italienne et qui portaient comme devise : "A bas la guerre!"
Comme nous comprenons bien, à présent, les raisons profondes du scepticisme et des exigences sévères formulées par Vercesi à l'égard du prolétariat italien :
- "Si en 1943, dit Vercesi, des grèves contre la guerre avaient surgi en Italie, la conséquence inévitable (surtout à Turin qui est une des villes industrielles les plus fondamentales de la vie économique italienne) aurait été, avec une logique implacable, un ébranlement révolutionnaire qui aurait eu ses répercussions à l'étranger et dans tous les pays capitalistes. C'est pourquoi, qu'importe ce qu'ont crié les ouvriers à Turin, à mon avis ces grèves ne représentent pas l'apparition du prolétariat sur l'arène sociale."
Les ouvriers de Turin ont crié en faisant des grèves contre la guerre et contre le gouvernement fasciste mais cela "importe" peu, car Vercesi, lui, n'est pas dupe et ne croit pas que ces grèves représentent l'apparition du prolétariat.
Il serait peut-être non sans intérêt de rappeler au grand sceptique Vercesi le "Rapport sur la situation en Italie" présenté au congrès de la Fraction italienne (voir Bilan n° 22, septembre 1935) où nous lisons :
- "… une évolution pacifique du fascisme vers sa démocratisation ou vers sa succession par un gouvernement démocratique étant exclue. Si un pareil gouvernement devait ressurgir en Italie, ce serait uniquement au feu des luttes révolutionnaires déjà livrées par le prolétariat et il représenterait une nouvelle rançon que les ouvriers devraient payer à la contre-révolution pour ne pas avoir su forger le parti, le guide de la révolution, alors que les conditions pour la victoire avaient mûri."
Ce rapport, adopté par tous et aussi par Vercesi, fut écrit par le camarade Philippe qui, croyons-nous, devait être un tout proche cousin de Vercesi. Il est vrai que Vercesi fut alors un marxiste, un révolutionnaire, un membre de la Fraction italienne de la Gauche communiste.