Soumis par Revue Internationale le
Cette guerre présente par rapport à celle de 1914-18 des points très caractéristiques de différence.
D'un côté nous nous trouvons en présence d'une bourgeoisie avertie qui a su tirer les leçons des mouvements ouvriers de 1917 en Russie et 1918 en Allemagne. Ainsi une des tâches à laquelle elle s'est consacrée le plus machiavéliquement a consisté dans la destruction idéologique et physique des organisations ouvrières par la répression bestiale et nue et par la démagogie nationaliste et démocratique.
La Russie, dans cette période, a été le premier bastion ouvrier que le capitalisme a jugé nécessaire de réduire par les armes et par les accords économiques, accentuant la dégénérescence de l'Internationale jusqu'à ce que, pour la prolongation d'un accord économique avec l'Allemagne en 1933, l'Internationale se soit liquidée en tant qu'organisation idéologique du prolétariat.
Depuis, la Russie est entrée dans le camp de la bourgeoisie ; et, d'arme de la classe ouvrière qu'elle était, elle est devenue le meilleur instrument capitaliste de duperie et d'enchaînement des masses opprimées à la guerre.
D'un autre côté, devant l'immense désarroi de l'avant-garde révolutionnaire par rapport à l'IC et le travail énorme de vérification, d'étalement des valeurs révolutionnaires qui lui incombait face à la décapitation idéologique de la classe ouvrière, elle a eu beaucoup de peine à redresser la pensée marxiste et à reprendre le chemin de Lénine, ce qui fait qu'elle n'a pu jouer en 1933 le rôle de pôle attractif.
Mais, même dans l'avant-garde révolutionnaire, la période de reflux qui va de 1933 à 1939 a été impitoyable dans l'élimination des éléments opportunistes sans pour cela permettre encore une prise réelle de conscience. La GCI, qui pourtant avait résisté à l'écueil de la guerre d'Espagne en démasquant immédiatement son caractère capitaliste, dès 1936 se fourvoie dans une perspective de révolution qui fait qu'à la déclaration de la guerre la fraction se trouve surprise, dépassée et disloquée organisationnellement.
Ainsi, dans cette guerre, contrairement à la fraction bolchevik en 1914, la GCI est incapable pendant 2 à 3 ans de remplir son rôle d'avant-garde révolutionnaire.
N'étaient la volonté de ses militants, la solidité de ses analyses et des leçons tirées de l'expérience ouvrière de 1917 à 1938 (malgré certains retards tels que la théorie de l'État prolétarien dégénéré en URSS), la GCI aurait sombré laissant ainsi sans appui idéologique tous les mouvements révolutionnaires qui doivent sortir de cette guerre.
Le pont entre la période de flux de 1917 et celle d'aujourd'hui n'aurait pu exister, ce qui se serait soldé par une confusion dans l'expression de lutte du prolétariat.
On se rend compte de la valeur de ces hypothèses au travers de l’effort continu et souvent lésé par la répression, et celle des résultats de la GCI, depuis son regroupement qui s’est exprimé par la cristallisation d’un noyau français sur la base de la GCI jusqu’à l’existence de groupements révolutionnaires confus tels que les CRF qui n’ont leur signification qu’au travers du travail anarchique du noyau français dans la discussion, l’élaboration et la propagation de la politique et du programme issus des principes de la GCI.
Tout le travail idéologique des RKD, qui a servi de base au CRF, est confus, hétéroclite mais possède indéniablement le caractère révolutionnaire. Si, jusqu’en 1944, ce programme connu par nous n’a pas été révisé par ces groupements, c’est dû entièrement à notre attitude envers eux et à notre ridicule façon de répondre à la discussion par les mêmes méthodes confuses et hétéroclites qui ont caractérisé l’élaboration de leur programme.
Si aujourd’hui ils sont arrivés à déclarer d’eux-mêmes la nécessité de réviser certaines parties de leur programme -les plus importantes- ce n’est encore pas grâce à l’expérience de la GCI mais surtout grâce à la volonté révolutionnaire de ce groupement qui, tout en tâtonnant et présentant des excès, cherche à rattraper le retard sur la situation.
Que devons-nous faire aujourd’hui ? Continuer dans cette voie anarchique en théorisant des incapacités en principe ?
Nous pensons que non, car le travail de formation des cadres qui nous incombe est fonction de la netteté des problèmes à discuter et de la clarté de la discussion. Cette discussion et ce travail en général ne se font pas en champ clos mais bien dans le prolétariat et avant tout parmi ses éléments avancés.
Ce travail ne se comprend pas dans le sens scolastique et professoral mais s’intègre, épouse, agit avec la classe ouvrière.
La dislocation des éléments idéologiques confus des CR et RKD ne s’effectuera qu’en fonction de la lutte de classe, non pas isolément, chacun dans sa tanière, mais tantôt séparés tantôt marchant parallèlement, pour leur faire profiter de notre expérience politique et les aider à se débarrasser du manteau de confusion qui les habille, au travers de cette lutte de classe qui est là pour vérifier notre expérience.
Ce n’est pas un travail de démasquage de ces organisations face à la classe ouvrière mais une tâche s’intégrant dans la nécessité de faire rattraper au prolétariat le retard qu’il a par rapport à la situation actuelle.
Attaquons la confusion le plus durement possible mais ne négligeons pas le travail d’apport révolutionnaire ; et surtout ne jouons pas aux aveugles qui cherchent à tâtons la classe ouvrière et qui ne la trouvent pas parce que nous avons jusqu’à aujourd’hui « jeté l’écorce avec le fruit », la confusion avec les éléments essentiellement révolutionnaires, au lieu de nous atteler à la tâche de briser l’écorce pour mieux faire mûrir le fruit.
Voilà pourquoi la CE a jugé utile la réunion d’une conférence internationale avec tous les groupes révolutionnaires marxistes. Les critères marxistes à l’heure présente sont donnés par les 4 points suivants :
- dénonciation du caractère impérialiste de cette guerre et lutte pour la transformation de cette guerre en guerre civile ;
- prise de conscience des idéologies bourgeoises qui servent aujourd’hui de paravent au capitalisme et que nous devons combattre et extirper du prolétariat. Les idéologies bourgeoises qui ont fait et font le mieux le travail de sape de la conscience de classe sont indiscutablement les idéologies fascistes et antifascistes qui permettent le retrait des frontières de classe et l’union sacrée ;
- dénonciation de l’État russe comme État capitaliste et contre-révolutionnaire;
- reconnaissance du caractère de classe de la révolution russe de 1917 qui implique par-là la nécessité du Parti comme seul moyen d’assurer la victoire ouvrière et la nécessité de la dictature du prolétariat comme forme d’État luttant contre la classe capitaliste.
Cette conférence a comme tâche de permettre la connaissance de l’acquis révolutionnaire dans le prolétariat (car ces groupes peuvent être considérés comme des manifestations spontanées de la classe ouvrière en raison de la manière dont ils se sont formés, sans liens avec l’expérience de 1917) au travers de l’élaboration d’une résolution sur la situation et les perspectives.
Une fois cet acquis posé clairement, les tâches politiques divergentes orienteront la discussion vers la clarté d’une façon féconde. Cette discussion, une fois embrayée sur le terrain expérimental des mouvements de classe, donnera à chaque instant la mesure de la maturation du prolétariat et permettra la concentration des énergies révolutionnaires dans l’action sur les points d’où jailliront la guerre civile et la révolution.
De plus, un bureau de liaison et d’information sera créé, permettant de prendre les mesures nécessaires à la continuation de la discussion, seule garantie de la lutte de demain en raison du retour en Allemagne des RKD et en Italie de la GCI.
Nous savons déjà que certains théoriciens de la GCI ont qualifié notre position d’opportunisme et cette conférence d’essai de constitution d’une Internationale 4¼.
Opportunistes, nous ne le croyons pas; ou alors il faut démontrer que la volonté de combattre la confusion et non de la rejeter simplement au nom des principes, que la nécessité d’asseoir cette discussion sur les mouvements présents et futurs afin de faire reculer la confusion dans les rangs de la classe ouvrière est de l’opportunisme.
Ce que nous demandons ce n’est pas des critiques partisanes mais une sérieuse volonté d’éviter le plus possible les faux-pas, là et dans la lutte de demain, par des actions indépendantes ou communes mais toujours momentanées avec les CRF et les RKD; nous pourrons vérifier nos armes et aider ces organisations à clarifier leur position parce que la situation répondra dans notre sens si nous avons vu juste et agi de même.
L’opportunisme ne se soucie pas du cours historique et ne tient compte que des contingences du moment ; nous, nous continuerons à considérer l’histoire seule, juge et inspiratrice de notre action.
L’opportunisme recherche des actions communes et des compromis en fonction du moment seulement et en acceptant de mettre de côté le but final, en concentrant uniquement la lutte sur des étapes ; nous faisons au contraire découler nos actions de certains critères vérifiés par l’histoire et en fonction du but final, en le posant toujours à l’ordre du jour.
Pour ce qui est de qualifier cette conférence « d’essai de constitution d’une Internationale 4¼, nous préférons ne pas nous hasarder sur le terrain de la prophétie, car voir dans un bureau de liaison et d’information pour la discussion un bureau politique de la classe ouvrière internationale, c’est un peu trop tôt (il a fallu un an pour que Zimmerwald se transforme en Kienthal) ou avoir lu ceci dans les astres.
Ce que demain réserve à ce bureau, seules les discussions qui s’effectueront le diront ; et s’il donne naissance à une Internationale 4¼, c’est que nous ne serons plus dedans, les CR et les RKD probablement aussi.
Sadi