Soumis par Révolution Inte... le
Après avoir évacué à tour de bras les campements de migrants en métropole avec une brutalité sans nom, c’est au tour de Mayotte, le plus grand bidonville de France, de voir arriver les forces de l’ordre pour l’opération Wuambushu. Mayotte, dont 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et dont la moitié est sur le territoire de façon illégale (principalement des Comoriens), est sous le joug d’une violence quotidienne. De nombreux migrants viennent s’échouer sur les plages de Mayotte en espérant trouver une vie meilleure. En mars dernier, plus de vingt migrants sont morts noyés dans l’indifférence la plus totale.
Le 24 avril dernier débutait donc en grande pompe l’opération Wuambushu. L’objectif assumé est de déporter vers les Comores plus de 20 000 personnes en deux mois, soit plus que durant toute l’année précédente. Et tout ça pour rien, pour que le gouvernement puisse montrer les muscles, dans une opération de com’ cynique du sinistre Darmanin : car ceux qui se feront expulser du territoire reviendront au péril de leur vie à bord des kwassa-kwassa, ces frêles embarcations qui finissent régulièrement au fond de l’océan. Ceux qui échapperont à la traque policière iront grossir les rangs du bidonville voisin. Mais qu’importe, l’objectif sera rempli !
À Mayotte, l’État « démocratique » révèle toute la barbarie de la bourgeoisie
L’État n’a reculé devant aucune horreur pour mener à bien ses expulsions. Les sans-papiers des bidonvilles ont vu leur abri de fortune être marqué d’un numéro, signe d’une destruction prochaine. En réalité, vu l’enchevêtrement inextricable des habitations, le marquage n’est qu’un cache-sexe dérisoire : l’État compte manifestement rouler sur les habitants, sans-papiers ou non. En bref, déloger les pauvres coûte que coûte ! Cet infâme marquage n’a pour but que d’humilier un peu plus une population déjà très fragile.
Quelques jours avant le début officiel de l’opération, la police s’est mise à gazer sans raison de nombreux quartiers aux abords de Tsoundzou, si ce n’est pour instiller un peu plus une ambiance de terreur. Plus de 600 grenades lacrymogènes et une soixantaine de LBD ont été lancés sur la population en une soirée seulement. Pire encore, pour mieux effrayer et faire fuir les habitants, les forces de l’ordre n’ont pas hésité à tirer à balles réelles sur le sol. Plus tard, un mineur a été touché par une balle perdue.
Une campagne ouvertement xénophobe est également entretenue sans vergogne par les autorités locales et le gouvernement. Les Comoriens et autres migrants illégaux sont déshumanisés au point qu’ils sont qualifiés d’ennemis : « On a très peu de visibilité sur les ennemis. Ça arrive de partout », déplorait un brigadier sur l’île. Le vice-président du conseil régional, Salime Mdere, a quant à lui carrément appelé au meurtre : « Quand je vois ce qu’il se passe à Tsoundzou […], des gamins qu’on voit de loin… enfin c’est même pas des gamins. Moi je refuse d’ailleurs qu’on emploie ces termes-là : “jeunes” ou “gamins”… Ces “délinquants”, ces “voyous”, ces “terroristes”, à un moment donné, il faut peut-être en tuer ». Voilà la réponse ignoble de la bourgeoisie au chaos qu’elle engendre : « ça » ne mérite pas de vivre !
Mais, dans un premier temps, l’opération ne s’est pas passée comme prévue. La Justice a mis en suspens les « décasages » de Talus II, un des plus grands bidonvilles de Mayotte, au motif que des solutions de relogement n’ont pas été proposées aux habitants. Volte-face ce 17 mai : les décasages peuvent reprendre ! Monsieur le Juge est satisfait : 56 hébergements d’urgence de 30 m², éloignés du bidonville d’au moins quarante minutes de route, ont été proposés aux milliers de familles dont le logement a été tagué du numéro fatidique… et pour six mois seulement ! Entre la déscolarisation forcée des enfants, les familles séparées et entassées dans des bicoques, sur des matelas en mousse à même le sol, Darmanin peut se réjouir : « l’action déterminée de destruction de l’habitat indigne à Mayotte va donc pouvoir reprendre » !
Si la bourgeoisie n’arrive pas à mener sa politique inhumaine aussi rapidement que prévu, elle peut tout de même compter sur des décennies de haine largement alimentées par l’État. Les autorités ont ainsi organisé un véritable pogrom contre les sans-papiers. Depuis le 3 mai, le plus grand dispensaire de l’île est bloqué par un collectif pro-Wuambushu qui n’a pas attendu les ordres d’expulsion du gouvernement pour créer ses propres milices (1). Non contents de dénoncer les sans-papiers aux autorités, ils barrent également l’accès à plusieurs centres de soin de l’île, empêchant la distribution de médicaments aux migrants, et ce avec la bénédiction des autorités : « Des “collectifs de citoyens” sont postés à l’entrée et demandent leurs papiers aux gens qui se présentent aux urgences, tout ça au vu et au su de la direction de l’hôpital et de la police… », témoigne un soignant. (2)
De nombreuses manifestations pro-Wuambushu ont eu lieu à Mayotte. On a pu y voir le chant nationaliste de La Marseillaise être entonné et le drapeau tricolore des versaillais fièrement brandit ! Et le relent guerrier nauséabond du patriotard n’est jamais bien loin : « On est sur une guerre d’usure », déclarait un membre d’un collectif soutenant Wuambushu, et « lorsqu’on part en guerre, il y a toujours des dégâts collatéraux ». (3)
Le combat contre le « néocolonialisme », une diversion idéologique
À l’annonce officielle de Wuambushu, l’intersyndicale (CGT-Solidaires-FSU), a hypocritement demandé au « gouvernement d’arrêter toutes les mesures répressives »… avec la même conviction que face à la répression qui s’est abattue sur le mouvement contre la réforme des retraites. La CGT Mayotte ne s’est pas embarrassée de telles simagrées et a ouvertement apporté son soutien total à l’opération, « qui apportera la paix sociale à Mayotte ». Le but étant que « les conditions de travail des travailleurs de Mayotte soient optimales ». Au turbin, et fissa !
Les gauchistes, quant à eux, dénoncent une politique « néocoloniale » de l’État français. Si la dimension raciste du traitement de la population est bien réelle, le statut d’ancienne colonie de Mayotte n’est pas la raison fondamentale pour laquelle l’État agit ainsi. En réalité, la bourgeoisie se comporte de la même façon avec les ouvriers en métropole, même si elle est, pour le moment, contrainte d’y mettre un peu plus de doigté. En métropole, soucieuse de maintenir vivace les illusions démocratiques, la bourgeoisie est pour l’instant moins « brutale » face au prolétariat. Mais à Mayotte, l’État ne s’embarrasse plus de telles précautions : le prolétariat y est plus isolé, avec peu d’expérience de luttes et très fortement dilué dans une population souvent marginalisée. Si le mouvement contre la réforme des retraites fût un avant-goût de ce que nous réserve la bourgeoisie, elle peut se permettre de montrer son vrai visage à Mayotte, comme elle l’a montré avec une sauvagerie sans nom face aux insurgés de la Commune de Paris, aux révolutionnaires de 1917 ou aux grévistes de 1947 en France.
Les migrants et la population mahoraise réduite à la misère n’ont, d’ailleurs, rien de plus à attendre d’une bourgeoisie moins « colonialiste » comme celle des Comores. En 2019, un accord sur la gestion des migrants a été passé avec la France : en échange d’une aide au développement de 150 millions d’euros, les Comores doivent « coopérer » avec Paris sur la question migratoire. Seulement voilà, au lieu du black-out habituel lorsqu’il s’agit d’expulser des migrants, le gouvernement français a décidé de faire de la com' à outrance sur Wuambushu. Les Comores ont dû bloquer les expulsions, pour finalement annoncer qu’ils ne reprendraient que les sans-papiers « volontaires » au retour. Par amour de leur prochain, sans doute ? Non ! Parce que « cela aurait pu être plus discret et efficace. Il y a un vol et un bateau entre Mayotte et Anjouan tous les jours », se lamentait le président Comorien.
Parallèlement, le gouverneur de l’île comorienne d’Anjouan a annoncé la création d’un « comité de vigilance », « habilité à prendre toutes initiatives et entreprendre des actions non violentes pour éviter que la population d’Anjouan soit menacée dans sa sécurité et dans sa quiétude en raison du déplacement massif de la population par la France »… « Non-violente »… Mais bien sûr ! Les Comoriens vivent dans des conditions plus extrêmes encore que leurs voisins mahorais, la police y est encore plus déchaînée et n’hésite pas à tirer à balle réelle sur la population. Les médias n’hésitent pas à relier les pénuries de riz avec l’arrivée des « refoulés » sur l’île… Un autre pogrom n’est pas loin ! Pour les migrants et la population de Mayotte, le salut ne viendra ni de la bourgeoisie française, ni de la bourgeoisie comorienne, ni d’aucune autre !
D.E., 20 mai 2023
1 Ces collectifs ont eux-mêmes organisés plusieurs opérations de « décasage », depuis 2016 et ont indiqué qu’ils iraient détruire les bidonvilles si les autorités n’agissaient pas.
2 « Depuis dix jours, des collectifs pro-Wuambushu bloquent l’accès aux centres de soins à Mayotte », Mediapart (14 mai 2023).
3 « Des Mahorais prêts à tout pour Wuambushu », Les jours (18 mai 2023)