Le groupe trotskiste “Lutte ouvrière” dans le rôle de sergent recruteur de la guerre impérialiste

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Emporté dans une dérive opportuniste qui l’avait conduit jusqu’à demander aux militants de son courant d’adhérer aux partis sociaux-démocrates, ceux-là mêmes qui avaient en Allemagne commandité l’assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, Léon Trotsky défendit durant les années 1930 et jusqu’à sa mort la position selon laquelle l’URSS de Staline n’était pas un pays impérialiste. Les épigones de Trotsky n’ont fait qu’exploiter, au bénéfice de la bourgeoisie, ce raisonnement erroné du vieux révolutionnaire pour enfoncer encore plus la classe ouvrière dans la contre-révolution. En reprenant les erreurs de leur maître et en les poussant jusqu’à leur caricature, les organisations trotskistes n’ont pas mis longtemps pour occuper franchement leur place sur l’échiquier politique bourgeois, aux côtés de tous ceux qui d’une façon ou d’une autre œuvrent afin que se perpétue ce système d’exploitation.

Le groupe français Lutte ouvrière se distingue au sein de la famille trotskiste par sa fidélité sans borne à ce dogme. Pour lui ce n’est pas seulement l’URSS de Staline qui n’est pas impérialiste, mais aussi celle de Khrouchtchev et celle de Brejnev. Et, forme suprême de cette fidélité à toute épreuve, la Russie de Poutine tout autant. Dans la guerre entre l’Ukraine et la Russie, cette position conduit en toute logique Lutte ouvrière à ne dénoncer qu’un seul des deux camps impérialistes, celui de l’Ukraine et de ses alliés européens et américains. Cela signifie qu’elle soutient l’autre camp impérialiste, celui de la Russie. C’est donc le chauvinisme et la défense de la patrie que défend LO en bonne organisation appartenant au camp de la bourgeoisie et non pas l’internationalisme prolétarien !

Aucun pays ne peut se soustraire à l’impérialisme

C’est ce que nous avons pu constater encore une fois lors du meeting de Lutte ouvrière (LO) à Nantes, le 17 novembre dernier. L’exposé a répété que la Russie était faible économiquement, qu’elle avait un budget militaire bien plus faible que les États-Unis ou même la France, ce qui était présenté comme un argument solide. C’est vrai que la Russie est très faible économiquement. Cependant, même si elle n’a pas les mêmes moyens que les États-Unis ou la France, elle a malgré tout un budget militaire proportionnellement très important. Elle était en 2021 le deuxième exportateur d’armes (19 % des armes vendues) derrière les États-Unis (39 %) et devant la France (11 %). La Russie est donc un pays impérialiste comme l’était déjà l’URSS. Il suffit de se souvenir des accords de Yalta en 1945 où les trois grands impérialistes vainqueurs, Churchill, Roosevelt et Staline, se sont partagés le monde. Ou encore lorsque l’URSS envahit l’Afghanistan en 1979 pour trouver un débouché vers les mers chaudes. Poutine a emporté avec lui l’héritage impérialiste du Tsar, de Staline et s’est empressé de lancer plusieurs guerres impérialistes pour protéger son territoire ou de bombarder les civils en Syrie, profitant des difficultés de l’impérialisme américain pour s’implanter au Moyen-Orient.

Notre intervention, lors du meeting de LO, avait pour but principal de rappeler la position de principe internationaliste et de dénoncer la position bourgeoise de LO en reprenant les grandes lignes de ce que nous venons d’exposer. La réponse apportée a été bien mince. Au milieu d’un discours insipide ne ressortait qu’un seul argument : « Le CCI met tout sur le même plan. Que faites-vous de la guerre d’Algérie ? » La guerre d’Algérie (1954-1962) est justement un bon exemple. Elle confirme la position de Rosa Luxemburg sur la fin des luttes de libération nationale à l’époque de l’impérialisme. Arrivée trop tard sur un marché mondial déjà partagé, l’Algérie a été obligé de se vendre à l’un ou à l’autre des grands impérialistes, l’URSS ou les États-Unis, pour essayer de survivre sans jamais pouvoir créer une véritable industrie, (1) les prolétaires algériens étant obligés d’aller vendre leur force de travail dans l’ancien pays colonisateur. Broyée par le système impérialiste mondial, l’Algérie devint elle-même un pays impérialiste comme son voisin le Maroc avec lequel elle n’a cessé de s’affronter militairement pour défendre ses intérêts impérialistes pour des questions de frontières comme au Sahara occidental par exemple.

Loin de mettre toutes les guerres dans le « même sac », le CCI reprend la démarche du marxisme, celle de Lénine et de Luxemburg, qui consiste à replacer chaque guerre dans sa période historique, aujourd’hui celle de la décadence du capitalisme, où l’enjeu est devenu : Révolution communiste ou destruction de l’humanité !

Après la défaite de la vague révolutionnaire internationale et son expulsion d’URSS, Trotsky est resté aveugle devant la contre-révolution à l’œuvre en Russie malgré la terreur stalinienne et la surexploitation du prolétariat. Il s’est bercé d’illusion sur un effondrement possible de la clique stalinienne, cherchant toujours à s’allier avec ce qu’il croyait discerner comme une tendance de gauche au sein de celle-ci. Dans ce but, il caractérisa le régime « soviétique » non pas comme un système capitaliste d’État mais comme un « État ouvrier dégénéré » où subsisteraient certains acquis de la révolution d’Octobre, ce qui voulait dire qu’il fallait à tout prix défendre ce qui n’avait pourtant plus rien d’un bastion prolétarien contre toute agression des autres pays. Une position intenable ! Rongé par ces contradictions et par des crises à répétition, le trotskisme a fait faillite au moment du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Il passa alors irrémédiablement dans le camp de la bourgeoisie en soutenant le camp des alliés, c’est-à-dire celui qui prônait à la fois l’idéologie antifasciste, qui avait permis d’embrigader le prolétariat dans la nouvelle guerre impérialiste, et la défense de la patrie socialiste qui dissimulait en fait la réalité du retour de la bourgeoisie à la tête de l’État russe. Alors qu’en 1945 l’armée russe, comme toute armée d’une puissance impérialiste, envahissait l’Allemagne vaincue en tuant des civils, en pillant et en violant, la presse de l’ancêtre de LO saluait l’avancée de l’armée rouge qui, pour lui, rapprochait toujours plus le jour de la révolution prolétarienne mondiale. Ce passage dans le camp de la bourgeoisie est définitif et toutes les variantes du trotskisme ont abandonné le combat pour l’émancipation du prolétariat, l’internationalisme et n’ont cessé depuis de soutenir de manière ouverte ou plus sournoise un camp impérialiste contre un autre. (2)

Pour LO, la perspective du communisme est un continent inconnu

Avec un tel début, la suite de la réunion était prévisible. De nombreux jeunes étaient présents et visiblement certains d’entre eux étaient à la recherche de réponses pour toutes les questions engendrées par cette situation de crise et de guerre. Ils étaient déterminés dans la recherche d’un cadre politique cohérent et d’une perspective révolutionnaire. Leurs questions étaient naturellement très générales : « Qu’est-ce que le communisme ? Comment lutter pour sa victoire ? » Évidemment, à ces questions générales, LO s’est contenté de répondre de façon très générale et les participants durent s’en contenter. Rien sur la nécessité d’une révolution internationale et l’impossibilité du socialisme en un seul pays, rien sur l’insurrection et l’attitude à avoir face à l’État bourgeois, rien sur la dictature du prolétariat et le nouvel État post-révolutionnaire, rien sur la guerre civile révolutionnaire, rien sur les tâches du prolétariat durant la période de transition au communisme, rien sur les caractéristiques de la société communiste qui représente le but final du combat prolétarien ! (3)

À la question : « Qu’est-ce que le communisme ? », la réponse de LO était : « L’abolition de la propriété privée des moyens de production. » Les auditeurs repartiront avec l’idée que le prolétariat ayant pris le pouvoir n’aura qu’à nationaliser les entreprises, et c’est d’ailleurs sans nul doute la vision des militants de LO sur les tâches de la révolution. L’expérience russe a pourtant invalidé la position de Trotsky qui voyait la propriété nationalisée en URSS comme une preuve du caractère prolétarien de l’État. C’était là réduire le capital à une simple forme juridique au lieu de l’appréhender comme un rapport social.

À la question : « Est-ce que la nature humaine, bien souvent égoïste, n’empêche pas la réalisation de cet idéal ? », les participants ont eu pour toute réponse : « Les ouvriers étouffent dans le capitalisme et n’ont pas le droit de s’exprimer, de participer à la gestion de la société. Avec les conseils ouvriers et la démocratie ouvrière, tous pourront participer à la révolution et à la construction du communisme. » Rien sur le combat que doivent mener les prolétaires pour que les conseils ouvriers conservent le pouvoir et empêcher la fusion avec l’État de transition qui avait entraîné leur déclin en Russie dès 1918.

À la question : « Que peut-on faire de concret dès aujourd’hui ? », la réponse a été : « Il y a eu une grève à La Poste récemment. Certes nous n’avons pas pu créer un comité de grève mais nous avons pu constater et encourager la combativité des ouvriers. » Bien entendu, LO est incapable d’expliquer quels sont les besoins de la lutte revendicative, comment déjouer les pièges de la bourgeoisie et quelle est la fonction des syndicats.

Les flous et les silences ont été les plus significatifs face à la question : « Et si la bureaucratie confisque une fois de plus la révolution ? » Pour répondre à cette question, il est indispensable de tirer les leçons de la révolution et de la contre-révolution. C’est la première chose à dire aux jeunes qui veulent s’engager politiquement dans le camp du prolétariat. Ces leçons expliquent que la bureaucratie qui a envahi l’appareil d’État et le parti bolchevik, bureaucratie contrôlée par Staline et ses amis, n’était pas une tendance politique erronée, centriste au sein du camp prolétarien comme le pensait Trotsky, mais qu’elle était le fer de lance de la contre-révolution bourgeoise. Cette contre-révolution bourgeoise s’est progressivement imposée à la faveur de l’isolement de la révolution et de l’identification entre le parti et l’État. Trotsky ne voyait pas la contre-révolution, se bornant dramatiquement à dénoncer le risque d’un « Thermidor » engendré par tous ceux qui poussaient au retour de la propriété privée (les hommes de la NEP, les koulaks, la droite de Boukharine).

La fonction du trotskisme est de rabattre les ouvriers qui prennent conscience de leurs intérêts de classe vers l’idéologie de la bourgeoisie. Dans les luttes revendicatives, là où les ouvriers sont au contact des syndicats et commencent à prendre conscience de leur rôle de saboteurs, LO va tout faire pour les rabattre vers le syndicalisme de base. Lorsque les ouvriers commencent à se détourner des partis de gauche (qui appartiennent en fait à l’appareil politique de la bourgeoisie, tout comme « l’extrême-gauche ») et des élections, LO appelle au front unique avec la gauche « de gouvernement », participe aux élections et appelle à voter au second tour pour un candidat du parti socialiste (pour F. Mitterrand puis pour S. Royal).

Comme nous l’avons vu avec le meeting de LO, il faut inclure dans cette fonction du trotskisme l’encadrement des jeunes éléments qui cherchent à rejoindre le combat prolétarien en les décourageant ou en les embrigadant dans l’activisme et la confusion. À aucun moment LO n’a défendu réellement le programme de la révolution prolétarienne et du communisme. Rien de plus naturel puisqu’elle appartient au camp de ceux que Lénine appelait les social-chauvins, socialistes en parole, chauvins en fait.

Avrom & Romain

 

1 La décolonisation n’a pas empêché les pays centraux de maintenir leur domination sur les pays périphériques et de fermer la porte à un réel développement économique chez ceux-ci. Les seules exceptions sont quelques pays qui vivent de la rente pétrolière dans une situation précaire qui dépend du bon vouloir des pays les plus puissants, et la Chine qui a bénéficié d’abord du soutien américain et ensuite du choc de l’effondrement du bloc impérialiste russe, puis de la dissolution du bloc américain qui en a découlé, pour contrôler une plus grande part du marché mondial.

2 Par exemple lors de la guerre en Irak au début des années 1990. Voir notre article « Les trotskistes, pourvoyeurs de chair à canon », dans Révolution internationale n° 199, mars 1991.

3 On trouvera des réponses détaillées à toutes ces questions dans notre brochure : Le Communisme n’est pas un bel idéal.

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Intervention du CCI au Meeting de LO à Nantes