Soumis par Révolution Inte... le
En 1981, sous la présidence du « socialiste » François Mitterrand, la France, dernier pays d’Europe occidentale à l’appliquer, abolissait la peine de mort. La loi portée par Robert Badinter, ministre de la Justice, permettait à la gauche récemment arrivée au pouvoir de faire d’une pierre deux coups. D’un côté, elle permettait à l’État français de se débarrasser d’un archaïsme judiciaire devenu de plus en plus encombrant dans la « patrie des Droits de l’homme », au point que, depuis plusieurs décennies déjà, les condamnés à mort étaient guillotinés en catimini avant l’aube, dans l’enceinte des prisons et à l’abri des regards. De l’autre, elle permettait à la bourgeoisie de gauche de redorer son blason en inscrivant dans la loi une vieille revendication ouvrière.
En effet, à deux reprises dans son histoire, lors de la Commune de Paris de 1871 et de la Révolution russe de 1917, la classe ouvrière avait initialement mit un terme à la peine de mort, avant d’y recourir à nouveau dans un contexte de guerre civile où se déchaînait la barbarie contre-révolutionnaire de la bourgeoisie (lors de la semaine sanglante à Paris en mai 1871, face à la terreur blanche en Russie en 1917-22). Mais depuis la trahison de la social-démocratie en 1914 et le passage des partis « socialistes » dans le camp du capital, ces derniers n’ont jamais hésité à user du meurtre pour servir les intérêts de la bourgeoisie, que ce soit contre la classe ouvrière, comme l’illustre le rôle de fer de lance de la contre-révolution joué par le SPD (sociaux démocrates) lors de la Révolution allemande de 1918-23, ou contre ses rivaux impérialistes, comme l’illustre la politique menée par le gouvernement de gauche présidé par le « socialiste » Guy Mollet en 1956-57 durant la guerre d’Algérie, gouvernement dont le ministre de la Justice à partir du 2 février 1956 était un certain… François Mitterrand. « Le 17 mars 1956 sont publiées au Journal officiel les lois 56-268 et 56-269, qui permettent de condamner à mort les membres du FLN pris les armes à la main, sans instruction préalable. […] Le 7 janvier 1957, un autre pas est franchi par le gouvernement auquel appartient François Mitterrand : il donne tous pouvoirs au général Massu et à sa 10e division parachutiste pour briser le FLN d’Alger. Les militaires gagneront la “bataille d’Alger”, mais on sait à quel prix : torture systématique et plus de 3 000 exécutions sommaires. La guillotine, elle, s’emballe : “Chiffre jamais atteint jusqu’ici, seize exécutions capitales ont eu lieu en Algérie du 3 au 12 février”, écrit France-Observateur. […] Quand il quitte son bureau de la place Vendôme, le 21 mai 1957, le gouvernement de Guy Mollet cédant la place à celui de Maurice Bourgès-Maunoury, 45 condamnés à mort ont été exécutés en seize mois. […] Sur la peine de mort elle-même, François Mitterrand restera aussi très silencieux durant les années qui le séparent de la présidence. […] Ce n’est qu’à quelques semaines de l’élection présidentielle, le 16 mars 1981, que François Mitterrand se prononce enfin sur le sujet : “Je ne suis pas favorable à la peine de mort […] ma disposition est celle d’un homme qui ne ferait pas procéder à des exécutions capitales” ». (1) Une illustration supplémentaire de l’hypocrisie éhontée, du machiavélisme et la violence sanguinaire de la social-démocratie !
Mais l’année 1981 a-t-elle représenté un « tournant moral » de la part de la bourgeoisie française en général et de la gauche en particulier ? Que nenni ! Sur le plan judiciaire, depuis l’abolition de la peine de mort, le taux de détention en France n’a cessé de croître, passant sur la période 1990-2020 de 78 à 105,4 détenus pour 100 000 habitants, chiffre inégalé depuis le XIXe siècle : la pénalisation d’un nombre de plus en plus important de comportements, le développement de procédures de jugement rapide comme la comparution immédiate, l’allongement de la durée des peines et l’augmentation récente de la détention provisoire ont ainsi abouti à la situation actuelle et persistante de surpopulation carcérale, (2) dans laquelle les détenus vivent dans la promiscuité, l’insalubrité, la souffrance psychique, dans des prisons qui sont des incubateurs notoires de violence.
Mais cette hypocrisie morale est aussi flagrante sur le terrain de l’impérialisme, où les exécutions extra-judiciaires, dont les « opérations Homo » (pour « homicides ») des services secrets, sont monnaie courante. Ainsi, selon le journaliste d’investigation français, Vincent Nouzille, « le nombre de HVT [cibles de haute valeur] “neutralisés” par nos forces armées, ou par nos alliés sur la base de nos renseignements et avec notre aval, atteint la centaine depuis 2013. Soit un rythme soutenu d’au moins une élimination par mois. Sans compter les opérations Homo, menées par des tueurs de la DGSE, par définition difficiles à recenser. Face à des menaces jugées grandissantes, François Hollande, et maintenant Emmanuel Macron, n’ont pas lésiné sur l’usage de la force ». (3) Aujourd’hui encore sous la présidence d’Emmanuel Macron, « la DGSE est autorisée par l’Élysée, dans quelques cas, à pratiquer des opérations Homo contre des “ennemis présumés” hors des lieux d’affrontements directs, de manière clandestine, de façon à ce que ces décès, d’apparence accidentelle, ne puissent être attribués à la France ».
Comme l’histoire le montre, jamais un État bourgeois, y compris sous un démocratique gouvernement de gauche, n’hésitera à prendre les mesures les plus brutales et les plus meurtrières dès lors que les sordides intérêts de la bourgeoisie seront menacés, notamment face à la seule classe ayant la capacité de la renverser en mettant, par là même, fin à sa domination barbare : la classe ouvrière.
DM, 9 octobre 2021
1) « Les guillotinés de Mitterrand », Le Point (31 août 2001).
2) « Comment expliquer la surpopulation des prisons françaises ? », paru sur le site web de l’Observatoire international des prisons (18 février 2021).
3) Vincent Nouzille, Les tueurs de la République (2020).