Soumis par Révolution Inte... le
Nous publions ci-dessous le courrier d’un camarade à propos de notre traitement du mouvement des “gilets jaunes”, suivi de notre réponse. Dans l’esprit de débat fraternel qui a toujours animé le CCI, nous invitons nos lecteurs à suivre l’exemple du camarade et à nous envoyer questions ou divergences. Nous ne pouvons naturellement publier l’ensemble des courriers, mais nous nous efforçons de répondre aux principales préoccupations et aux questions centrales pour le développement de la conscience de classe.
“La lecture du journal est toujours intéressante et enrichissante mais ce courrier est destiné à donner mon sentiment sur un article particulier de ce numéro : “Hordes trumpiste et gilets jaunes, un amalgame pour criminaliser toute révolte contre la misère”.(1)
En effet, je trouve que le ton général de cet article resitue bien le mouvement des gilets jaunes dans le contexte de son apparition : “un mouvement de révolte contre la misère et la pauvreté” comme il est dit dans le dernier paragraphe de l’article.
Dans les articles du journal parus “à chaud” pendant le mouvement, fin 2018 à mi-2020, le ton était beaucoup plus agressif vis-à-vis des participants. Comme il est rappelé dans le n° 486, c’était “les secteurs les plus pauvres du prolétariat (les zones rurales et péri-urbaines”. En plus de cette localisation géographique, on peut ajouter la surreprésentation des retraités, des femmes élevant seules leurs enfants, des chômeurs, des précaires. J’ai eu l’impression à cette époque qu’il n’y avait aucune empathie de la part des camarades qui écrivent les articles pour ces secteurs peut-être faibles du prolétariat, mais en en faisant partie quand même. J’ai ressenti à ce moment un ton du journal dénué de compassion, sur un ton professoral, condescendant, donneur de leçons. Ce ton m’avait gêné à l’époque même si je ne vous en avais pas fait part
Dans l’article du n° 486, les faiblesses de ce mouvement sont redites, mais pas de la même façon. Il est réaffirmé deux fois qu’il y avait une composante ouvrière dans les gilets jaunes qui est sortie du piège de l’interclassisme en “faisant valoir ses propres revendications”.
J’espère que l’article du n° 486 marque une évolution dans l’évaluation du mouvement des gilets jaunes qui me convient beaucoup mieux. Les articles précédents me laissant un goût amer. En étant excessif, je dirais qu’ils me rappelaient la réflexion du personnage d’artiste joué par Jean Gabin dans le film La traversée de Paris : “salauds de pauvres !”.
Amitiés.
D.”
Notre réponse
Tout d’abord, nous voulons saluer le courrier que nous adresse le camarade. En effet, il est toujours très important d’exprimer ses doutes et désaccords afin d’avancer dans la clarification des questions politiques qui sont posées à la classe ouvrière. Nous saluons d’ailleurs la confiance du camarade envers le CCI pour l’expression de ses questionnements et de ses critiques face à une situation complexe qui touche aux difficultés actuelles de la classe ouvrière.
Dans ce courrier, deux questions sont posées à notre avis :
– Le CCI aurait modifié sa position concernant le mouvement des “gilets jaunes” ou, tout du moins, aurait modifié son analyse concernant la participation d’ouvriers dans ce mouvement.
– Le CCI aurait fait preuve, précédemment, d’un certain “mépris” à l’égard des prolétaires ayant participé au mouvement.
Sur la première question, la position du CCI a toujours été la même dans le fond comme dans la forme : le mouvement des “gilets jaunes” était un mouvement interclassiste et non prolétarien, même s’il a entraîné dans son sillage un certain nombre d’ouvriers excédés par les augmentations de taxes sur les carburants, réagissant à toute la pression étatique et se sentant “délaissés” par un pouvoir, pour le coup, méprisant.
Sur le fond, ce mouvement a largement été initié par des petits patrons, auto-entrepreneurs et petits-bourgeois réclamant plus de considération de la part de l’État, réclamant une plus grande justice fiscale favorable à leur petite entreprise, une meilleure gestion du système économique capitaliste, un fonctionnement plus démocratique de l’État, avec des revendications économiques et politiques, relevant pour beaucoup d’une vision nationaliste petite-bourgeoise, souvent chauvine et même xénophobe par moments ! Cela au point que même la droite et l’extrême-droite on pu exprimer sans sourciller leur soutien au mouvement.
Un certain nombre d’ouvriers particulièrement issus des zones péri-urbaines, provinciales, excédés certes, mais très peu politisés et sans véritables expériences de luttes collectives et massives sur un terrain prolétarien, se sont effectivement agrégés à ce mouvement en y ajoutant des revendications salariales noyées dans toutes les autres revendications et, à aucun moment, reprises sérieusement à leur compte par l’ensemble du mouvement. Rapidement, ces revendications sont d’ailleurs entrées en contradictions avec les intérêts des petits patrons qui ne voulaient surtout pas entendre parler d’augmentation du salaire minimum.
La présence d’ouvriers n’a donc jamais donné un caractère prolétarien au mouvement des “gilets jaunes”, n’a jamais “transformé” de manière prolétarienne ni le terrain de lutte ni les moyens de lutte qui sont restés typiquement petit-bourgeois, l’expression même de l’impuissance de la petite bourgeoisie à avoir une perspective historique et une vision collective et associée de sa lutte…
Sur ce plan, notre position n’a jamais changé. Jamais nous n’avons laissé entendre que la présence de prolétaires était porteuse de “potentialités” de transformation du mouvement lui-même. Ce mouvement était, au contraire, comme nous l’avons toujours mis en avant dans notre intervention, une impasse pour tous les ouvriers qui s’y sont impliqués. À aucun moment, il ne pouvait y avoir l’espoir d’une transformation du mouvement en quelque chose de plus “prometteur”, la transformation d’une révolte, d’une “confusion”, en un mouvement plus conscient et plus clair.
Nous en venons ainsi à la deuxième question : est-ce à dire que le CCI aurait été méprisant ou manquait d’empathie à l’égard des ouvriers illusionnés par la combativité spectaculaire du mouvement des “gilets jaunes”, galvanisés par la confrontation souvent violente à l’État, mais totalement impuissants à faire valoir une véritable perspective prolétarienne ? Le camarade D. semble exprimer une idée sous-jacente : nous aurions “enfin” entendu en quoi le mouvement des “gilets jaunes” était “un mouvement de révolte contre la misère et la pauvreté”. Pourtant, dès novembre 2018, nous écrivions que “malgré la colère légitime des “gilets jaunes”, parmi lesquels de nombreux prolétaires qui n’arrivent pas à “joindre les deux bouts”, ce mouvement n’est pas un mouvement de la classe ouvrière”.
Nous avons clairement fait le constat de la profondeur des attaques qui touchent les prolétaires en “gilet jaune”, nous l’avons comprise. À aucun moment, nous n’avons pris de haut et méprisé les ouvriers ayant participé à ce mouvement. Au contraire, c’est avec une profonde confiance dans le rôle historique de la classe ouvrière, la conscience de ce qui est de sa responsabilité pour l’avenir de l’humanité, que nous avons largement insisté sur les dangers que représente un tel mouvement interclassiste (et ceux à venir !) pour l’autonomie de la classe ouvrière. Depuis novembre 2018, nous avons défendu qu’un tel “mouvement interclassiste où les revendications ouvrières se sont mêlées à celle de la petite bourgeoisie ne pouvait conduire qu’à diluer les secteurs les plus fragiles et marginalisés du prolétariat dans “le peuple”, sans aucune distinction de classe. C’est pour cela que le mouvement des “gilets jaunes” a été immanquablement marqué par l’idéologie et les méthodes de la petite bourgeoisie victime de déclassement, de la paupérisation liée aux ravages de la crise économique et portée par le sentiment de frustration et de revanche sociale” (mars 2021). “Malgré la colère légitime de nombreux prolétaires”, le mouvement des “gilets jaunes” n’avait aucune perspective et ne pouvait pas faire réellement reculer les attaques du gouvernement et du patronat.
La solidarité et surtout la responsabilité des révolutionnaires envers la classe ouvrière s’expriment inlassablement dans la mise en lumière des pièges qui jalonnent tout son combat et qui, hélas, vont le jalonner encore longtemps. Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” n’est, en effet, pas un évènement ponctuel ou exceptionnel. Avec l’approfondissement de la crise et la plongée dans la décomposition généralisée de l’ensemble de la société, de nombreuses couches sociales, non exploiteuses certes mais non révolutionnaires, vont être amenées à réagir, à se révolter, sans avoir la capacité à offrir une perspective politique à la société. Sur le terrain de ces révoltes multiformes, radicales peut-être mais stériles, le prolétariat ne peut être que perdant. Seule, la défense de son autonomie de classe exploitée et révolutionnaire est porteuse d’une véritable confrontation à la classe dominante et à son État, peut lui permettre d’élargir toujours plus sa lutte et d’agréger, à terme, d’autres couches à son propre combat contre le capitalisme. Cette intransigeance dans la défense de cette autonomie n’est en aucun cas un “mépris” ou une vision “élitiste” du combat de notre classe : elle est la seule capable de contribuer à une véritable maturation de la conscience ouvrière, la seule capable de contribuer à construire un rapport de forces pour l’éclosion de la révolution prolétarienne.
SJ, 4 avril 2021
1“Hordes trumpistes et “gilets jaunes”: Un amalgame pour criminaliser toute révolte contre la misère !” Révolution internationale n° 486 (janvier février 2021). NdR