Soumis par Révolution Inte... le
Dans le mouvement contre la réforme des retraites, il était de la responsabilité des révolutionnaires (la partie de la classe ouvrière la plus résolue et la plus claire vis-à-vis des moyens et des buts du mouvement prolétarien) d’être partie prenante de ce combat de la classe ouvrière qui s’inscrit dans un contexte mondial de reprise des luttes comme on a pu le voir ces derniers mois en Finlande, en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou encore en Italie.
L’orientation de notre intervention devait s’appuyer sur l’analyse la plus approfondie possible de la signification et de la dynamique de cette lutte. Il s’agissait donc de participer à la réflexion au sein de la classe sur la manière de construire un rapport de force contre l’État bourgeois en étant également capable de mettre au jour les pièges et les manœuvres mis en œuvre par la bourgeoisie pour parvenir à faire passer cette attaque de grande ampleur permettant d’intensifier l’exploitation salariée.
Grâce à notre présence, ainsi que celle d’autres organisations de la Gauche communiste telles que le PCI dans cette mobilisation, nous avions pu constater l’énorme colère de la classe ouvrière face à cette attaque contre l’ensemble des travailleurs exploités, toutes générations et tous secteurs confondus. (1)
Partout, l’enthousiasme d’être enfin tous ensemble dans la rue, après deux décennies de paralysie, était présent. Dans toutes les manifestations, la recherche de la solidarité et de l’unité dans la lutte était visible tant sur les banderoles que sur les mots d’ordre et les chansons entonnées en chœur : “On est là, on est là pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur !” “La classe ouvrière existe !” Les slogans unitaires ont montré un début de prise de conscience que c’est toute la classe ouvrière qui est attaquée aujourd’hui et qu’il faut se battre massivement tous unis pour freiner les attaques et faire reculer le gouvernement.
Face au resurgissement de la combativité ouvrière après une décennie de calme social, il était de notre responsabilité de faire entendre la voix des révolutionnaires dans ce mouvement afin de saluer la capacité du prolétariat en France à relever la tête. Nous avons pu diffuser, massivement et sans aucune difficulté, quatre tracts à chaque étape de cette mobilisation dans la rue.
C’est en suivant la dynamique du mouvement que nous avons décidé d’adapter nos tracts en fonction de l’évolution hebdomadaire des manifestations afin de pouvoir répondre aux besoins de la lutte, aux questionnements apparus dans la classe ouvrière et afin de dénoncer les manœuvres de la bourgeoisie et contrer celles des syndicats. Le premier tract diffusé dès le premier décembre, était intitulé : “Unifions nos luttes contre les attaques de nos exploiteurs !” Le 15 décembre, l’accent était mis sur la “Solidarité dans la lutte de tous les travailleurs et toutes les générations !” Puis le 13 janvier 2020 nous titrions : “Contre les attaques du gouvernement, lutte massive et unie de tous les exploités !” Enfin, le dernier tract en date du 4 février, intitulé : “Face aux attaques du gouvernement, il faut prendre nous-mêmes nos luttes en main !”, donnait une orientation politique pour la prise en charge des luttes futures : “La “guerre de classe” est faite d’avancées et de reculs, de moments de mobilisation et de pause pour pouvoir repartir de nouveau encore plus forts. Ce n’est jamais un combat en “ligne droite” où on gagne immédiatement du premier coup. Toute l’histoire du mouvement ouvrier a démontré que la lutte de la classe exploitée contre la bourgeoisie ne peut aboutir à la victoire qu’à la suite de toute une série de défaites.
Le seul moyen de renforcer la lutte, c’est de profiter des périodes de repli en bon ordre pour réfléchir et discuter ensemble, en se regroupant partout, sur nos lieux de travail, dans nos quartiers et tous les lieux publics.
Les travailleurs les plus combatifs et déterminés, qu’ils soient actifs ou chômeurs, retraités ou étudiants, doivent essayer de former des “comités de lutte” interprofessionnels ouverts à toutes les générations pour préparer les luttes futures. Il faudra tirer les leçons de ce mouvement, comprendre quelles ont été ses difficultés pour pouvoir les surmonter dans les prochains combats”.
Que ce soit à Paris, Marseille, Lyon, Nantes, Tours ou Lille, nos tracts et notre presse ont été extrêmement bien accueillis dans ces manifestations qui ont rassemblé à chaque fois plusieurs centaines de milliers de personnes. À Toulouse, un manifestant est même venu nous aider à diffuser nos tracts dans les cortèges. Cette sympathie envers les mots d’ordre que nous avions mis en avant révèlent non seulement qu’ils correspondaient aux besoins de la lutte mais également à la recherche de l’unité et de la solidarité entre tous les secteurs, entreprises et toutes générations confondues. Est réapparu ce point de vue typiquement prolétarien selon lequel nous luttons non seulement pour nous-mêmes mais surtout pour les générations futures.
Lors de nos diffusions, nous avons pu avoir de nombreuses discussions, avec des manifestants attirés par le titre de notre journal Révolution Internationale. Plusieurs d’entre eux, que ce soit à Paris ou en province, sont venus nous demander : “Qui êtes-vous ? Et que proposez-vous ?” Dans toutes les discussions, nous avons pu constater une volonté de chercher une perspective de classe face à l’impasse du capitalisme. De nombreux travailleurs en lutte ont exprimé leur accord avec les titres de nos tracts. Aucun ne fut jeté sur la voie publique. Après les avoir survolés, certains manifestants nous ont dit le mettre dans leur poche pour le lire plus tard, ce qui montrait une volonté de réflexion que nous n’avions pas vu dans la décennie passée où la tendance générale était plutôt à la résignation.
Nous avons pu diffuser plusieurs dizaines de milliers de tracts dont près de 10 000 à Paris avec des discussions, y compris parmi les badauds et les travailleurs en colère qui manifestaient sur les trottoirs, ne voulant pas se ranger derrière les banderoles et la sono des syndicats.
À la lecture du titre de notre journal, certains manifestants nous ont fait cette remarque : “Vous avez raison, c’est une révolution qu’il nous faut”, “le capitalisme va continuer à nous attaquer”. Ou encore : “Ce qu’il faut faire, c’est une grève générale. Il nous faut un nouveau Mai 68 !” Partout était présent le sentiment que seule une lutte massive de tous les travailleurs peut permettre de construire un rapport de force contre les attaques du capital. Ces remarques ont révélé également un début de prise de conscience de l’impasse du capitalisme, incapable désormais d’améliorer les conditions de vie des exploités. C’était donc clairement une perte d’illusion au sein de la classe ouvrière sur les possibilités d’une “sortie du tunnel” (encore confirmée par les conséquences économiques de la pandémie du Covid-19).
Bien évidemment, ce sont les syndicats qui ont pris les devants et ont organisé cette mobilisation contre la réforme des retraites en appelant parfois jusqu’à trois manifestations par semaine, dans le seul objectif d’épuiser la combativité des travailleurs et leur infliger une défaite cuisante. Malgré la détermination des manifestants à “aller jusqu’au bout”, jusqu’au retrait de la réforme, (avec le slogan “On ne lâchera rien !”), malgré la méfiance d’une petite minorité envers les syndicats (et la colère contre la CFDT), la classe ouvrière n’a pas été en mesure, cependant, ni d’étendre le mouvement, ni de prendre sa lutte en main. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en avant que le principal levier pour élargir le mouvement ne pouvait être que l’organisation d’assemblées générales massives et vivantes, ouvertes à tous afin que la classe ouvrière ne se laisse pas confisquer sa lutte par les spécialistes de la négociation que sont les syndicats.
Si, dans tous les cortèges la question posée par tous était “Comment obliger Macron à retirer sa réforme des retraites ?”, “Comment peut-on gagner ?”, les difficultés de la lutte étaient également sensibles, notamment avec l’illusion que la solidarité envers les grévistes (et notamment les cheminots) pouvait prendre la forme de collectes dans les caisses de solidarité. Alors que, comme nous l’avions affirmé dans nos tracts, la vraie solidarité (en particulier avec les cheminots en grève) ne pouvait être que la solidarité active, dans et par la lutte, consistant à élargir le mouvement dès le début en envoyant des délégations massives aux entreprises les plus proches géographiquement afin d’entraîner les autres travailleurs dans le combat.
Bien évidemment, une grande majorité de manifestants avaient pleinement conscience que la “grève par procuration” ne pouvait pas permettre de développer un mouvement massif capable de faire reculer le gouvernement. Tous avaient conscience des difficultés à mobiliser les travailleurs précaires et les ouvriers du secteur privé. Mais la combativité et la détermination de ceux qui ont continué à participer aux manifestations, semaine après semaine, avaient essentiellement pour objectif d’affirmer que la lutte de classe avait ressurgi et que le prolétariat était là de nouveau sur le devant de la scène sociale. Partout, nous avons pu constater un début de prise de conscience générale que seules la solidarité et la recherche de l’unité étaient un moyen de faire comprendre à la bourgeoisie que la classe exploitée a les mêmes intérêts à défendre et qu’elle n’était plus disposée à se laisser paralyser, ni à encaisser les attaques du capital et la plongée dans la misère sans réagir. En cela, nous avons pu déceler les germes pouvant permettre de recouvrer une identité de classe.
Avec le reflux du mouvement après la reprise du travail chez les cheminots, cette combativité ne s’était nullement épuisée, malgré le caractère moins massif des manifestations.
Malgré l’encadrement syndical, de petits groupes de manifestants scandaient parfois : “Grèves sauvages, manifs sauvages !” Ces slogans, bien que très sporadiques et localisés, ont révélé un début de contestation de l’encadrement syndical au sein de petites minorités.
Du fait des limites de ce mouvement, nous avons mis en avant que le principal gain de la lutte, c’est la lutte elle-même ; c’est la capacité du prolétariat en France à faire de nouveau l’expérience de la lutte et à se battre sur son propre terrain de classe. Nous avons mis également en évidence que la classe ouvrière a perdu une bataille (et elle en perdra d’autres) mais n’a pas perdu la guerre. Afin d’éviter la démoralisation de la défaite, nous avons exhorté les travailleurs les plus combatifs à se regrouper dans des “comités de lutte” pour pouvoir tirer les leçons de cette mobilisation et préparer les luttes futures.
Ce n’est pas seulement une reprise de la combativité ouvrière que nous avons pu voir dans ce mouvement, mais également un début de prise de conscience que le capitalisme n’a aucun avenir à offrir aux exploités, qu’ils soient retraités, actifs, précaires ou au chômage et qu’il n’y a qu’une seule solution : le renversement à terme de ce système moribond.
L’accueil souvent très chaleureux que nous avons reçu dans ce mouvement montre que la presse des révolutionnaires ne suscite plus aujourd’hui la méfiance comme c’était le cas dans les décennies passées. Au contraire, l’intérêt porté à nos tracts a révélé que la situation a mûri avec l’aggravation de la crise économique et des attaques contre toute la classe ouvrière.
Ce mouvement a démontré que la voix des révolutionnaires et leur intervention est indispensable, pour donner une orientation politique générale pour les combats futurs de la classe ouvrière en mettant en avant la perspective historique de la révolution prolétarienne à l’échelle mondiale. Quelques manifestants ont exprimé le besoin de continuer à discuter avec nous afin de poursuivre et approfondir leur réflexion. Nous les avons donc invités à venir participer à nos réunions publiques.
En intervenant activement dans les manifestations, malgré ses faibles forces, le CCI a pleinement rempli ses responsabilités politiques au sein de la classe ouvrière. Le fruit de cette intervention se manifestera (et s’est déjà manifesté, même si c’est encore de façon à peine perceptible) par l’émergence de petites minorités d’éléments à la recherche des positions de classe et d’une perspective révolutionnaire.
RI, mai 2020
1 ) Voir nos articles dans Révolution Internationale n° 480 à 482 et disponibles sur le site internet du CCI.