Soumis par ICConline le
Tout au long du mois d’août, tandis que les roquettes du Hamas tombaient au gré des vents et des trêves de façades sur les populations terrifiées des villes israéliennes, le gouvernement meurtrier de Netanyahou a déversé sans aucun scrupule un tapis de bombes sur la bande de Gaza, suscitant une indignation légitime dans le monde entier. Les victimes innocentes de cet épouvantable massacre perpétré par un État démocratique sont innombrables : au plus fort de la crise, les morts s'entassaient officiellement par centaines chaque jour. Les blessés et les réfugiés ne se comptent plus, le chaos est indescriptible !
Comment ne pas être écœuré devant ces mères pleurant leurs enfants ensevelis sous les décombres, devant ces générations n'ayant connu, comme tant d'autres, que la guerre, la misère et la peur, devant toutes ces personnes piégées sur une petite bande de terre entre la fureur des armes de Tsahal et la terreur quotidienne imposée par une clique de terroristes fanatiques aussi anachronique que mafieuse ? Mais l'hypocrisie sans limite des brigands locaux, massacrant au nom de la "sécurité des civils" ou de la "libération du peuple opprimé", n'a d'égale que la comédie des grandes puissances impérialistes s'offusquant, côté pile, des "débordements scandaleux" et distribuant, côté face, les armes mêmes du carnage qu'elles n'hésitent bien entendu jamais à utiliser pour la défense de leurs propres et sordides intérêts impérialistes. Alors que la "communauté internationale" pleure toutes les larmes de crocodile de son corps, elle encourage dans le même temps les hécatombes ou organise directement les massacres en Ukraine, en Libye, en Syrie, en Centre Afrique, en Irak...1
L'impasse nationaliste
En mobilisant très tôt ses réseaux gauchistes, la bourgeoisie a su canaliser l'indignation mondiale vers l'impasse du nationalisme. En France2, notamment, les manifestations ouvertement "pro-Gaza," c'est-à-dire pro-Hamas, se sont multipliées autour de la défense d'un camp impérialiste armé dans l'ombre par de grandes puissances, en particulier l'Iran, la Chine, la Russie et peut-être même la dernière "patrie du socialisme", la Corée du Nord. C'est cela la réalité d'une guerre que Besancenot nous vend sur tous les journaux télévisés comme un conflit entre un État riche et une population pauvre, soi-disant défendue par la Hamas transformé en héroïque "organisation de la résistance palestinienne."3
C'est d'ailleurs au nom de la défense des nations "opprimées" que la gauche de l'appareil politique bourgeois s'est toujours efforcée de désarmer le prolétariat face à la guerre : Algérie, Vietnam, Kosovo, Tchétchénie… et bien d'autres pays connus pour la tempérance bienveillante de leur bourgeoisie "opprimée". Cette théorie mensongère de la lutte entre nations impérialistes et nations opprimées, c'est-à-dire la défense d'un camp impérialiste contre un autre, n'a pas d'autres conséquences que de légitimer le chauvinisme belliqueux et la barbarie militaire. Lutte Ouvrière pousse même la logique jusqu'à l'absurde en défendant le droit des nations "résistantes" à disposer… de l'arme atomique ! "Notre refus de condamner par principe tout usage de l'arme nucléaire, ose Lutte Ouvrière, ne concerne d'ailleurs pas seulement le cas, pour le moment purement théorique, d'une révolution prolétarienne ayant à se défendre contre une intervention impérialiste. Cette question se pose aussi dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, où quelques grandes puissances impérialistes dictent leur loi à tous les peuples des pays sous-développés. Ces peuples ont bien évidemment le droit, s'ils veulent s'émanciper de cette dépendance, d'utiliser tous les moyens militaires qui sont à leur disposition."4 Si le capitalisme ne parvient pas à détruire la planète, il ne faut désespérer de rien car le "communisme" à la sauce trotskiste s'en chargera volontiers !
Derrière les mensonges et les pitreries théoriques du gauchisme, c'est bien la pesante idéologie nationaliste qui est à l'œuvre, celle qui ligote la classe ouvrière aux intérêts du capital national, celle qui la fait marcher au pas sous les drapeaux des régiments et, en d'autres termes, celle qui étouffe le combat des prolétaires de tous les pays pour le communisme.
Le gouvernement socialiste de Hollande n'a d'ailleurs pas hésité a faire monter la pression en interdisant certaines manifestations organisées par les partis va-t'en-guerre de "gauche" afin de renforcer la désorientation nationaliste des esprits, déplaçant la colère légitime contre la barbarie sur le terrain du soutien à la clique des brigands du Hamas. LO, le NPA et le Front de Gauche, tous auréolés de leur prétendue "résistance" aux mesures administratives du gouvernement et des échauffourées avec la police, ont ainsi pu matraquer leurs slogans nationalistes, poser le problème sur un terrain pourri d'avance : Pour la Palestine ou Pour Israël.
En fait, avec l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, tous les États, petits ou grands et toutes les fractions politiques de la bourgeoisie sont devenus impérialistes et réactionnaires. A l'heure où l'alternative est soit la barbarie capitaliste, soit le développement de la lutte pour le socialisme, toute tentative de conciliation et de collaboration avec la classe dominante n'est rien d'autre qu'un piège, un abandon des buts historiques du prolétariat.
La bourgeoisie est parfaitement consciente que le développement de la conscience de classe est un danger mortel pour sa domination. C'est pourquoi elle met un zèle tout particulier à désorienter idéologiquement le prolétariat, en particulier au moyen du nationalisme, qui lui permet aujourd'hui de déchaîner toute sa violence militaire sans rencontrer de résistance sérieuse au nom de la défense des intérêts du "peuple" en général et de la "communauté nationale" rassemblée autour d'un État démocratique prétendument "au-dessus des classes".
L'idéologie pernicieuse du pacifisme
Mais, objectera-t-on, il y a parmi les politiciens et les intellectuels des pacifistes qui ne désirent que la paix ! En fait, le pacifisme, cette doctrine aussi vieille que la guerre, a toujours fait le lit des pires boucheries. A chaque conflit impérialiste, les pacifistes en appellent au bon vouloir de la bourgeoisie en réclamant le désarmement, des traités de paix et la création de tribunaux d'arbitrage internationaux. Mais ce qu'ignore l'utopie pacifiste, c'est que l'impérialisme n'a rien de contingent, il est au contraire une tare congénitale du capitalisme décadent, un impératif pour l'ordre social existant. Que signifie le désarmement sinon exiger des nations qu'elles renoncent librement à l'essence même de leur politique extérieure, au moyen de subsistance de tout État, petit ou grand, dans l'arène de la concurrence mondiale ? En d'autres termes, le pacifisme consiste à solliciter poliment l’État pour qu'il consente à bien vouloir ne plus exister en tant qu’État sur le plan international.
A ce contexte historique de décadence du capitalisme se superpose celle de sa phase ultime de décomposition.5 Avec l'effondrement du bloc de l'Est et l'évaporation de facto de la discipline des blocs militaires, les appétits et les tensions impérialistes se sont fortement aiguisés, tout comme se sont multipliés les conflits locaux. Aucune superpuissance n'est désormais en mesure de modérer les ambitions de vassaux redevables d'une protection militaire face au péril "rouge" ou "impérialiste". Dans un contexte où les contradictions croissantes du capitalisme contraignent chaque nation à toujours plus d'agressivité impérialiste, la fin de la discipline de bloc n'a fait que renforcer la politique du "chacun pour soi" et le chaos généralisé. Les tensions au Proche-Orient, avec leurs enchevêtrements inextricables d'alliances de circonstance et de trahisons, ne font que confirmer cette analyse.
Comme la guerre est désormais une nécessité vitale pour chaque État et pour le capitalisme en général, la combattre sur le terrain de l'ordre social capitaliste est non seulement utopique mais également réactionnaire : la paix mais sans remettre en cause l'ordre social qui produit nécessairement les guerres ! Manifester contre la guerre mais sans opposer de véritable résistance à l’État qui l'organise ! Exiger la paix à la classe dominante mais lui laisser les mains libres pour préparer de nouveaux conflits !
Chercher une solution partielle ou provisoire à la guerre, comme le proposent les pacifistes, revient en définitive, et l'histoire l'a prouvé à d'innombrables reprises, à diluer le prolétariat dans la "communauté des citoyens", à assommer la conscience de la seule force sociale en mesure de mettre un terme, par son combat de classe, aux conflits guerriers, et, finalement, à pactiser avec telle ou telle fraction de la bourgeoisie au nom du "moindre mal", de la démocratie et de... la paix ! C'est pourquoi la lutte contre l'impérialisme doit nécessairement prendre la forme d'une lutte contre l'ordre capitaliste.
Comment lutter contre la guerre ?
En Palestine, comme partout dans le monde, il n'y a strictement rien à espérer des "trêves humanitaires", des "accords" et des "traités de paix". Mais que faire, ici et maintenant, pour empêcher le massacre ? Nous sommes parfaitement conscients des faiblesses du prolétariat dans le monde entier, de son incapacité actuelle à s'élever à la hauteur des enjeux historiques. Il est évident que la classe ouvrière en Israël et en Palestine n'est pas en mesure de brandir l’étendard de la solidarité internationale des travailleurs par la grève de masse contre la barbarie militaire, pas plus que le prolétariat des pays centraux, en Europe ou aux États-Unis, n'est aujourd'hui capable d'apporter une solidarité autre que platonique aux populations victimes de la guerre.
Faut-il alors attendre patiemment, en spectateur, la prochaine vague de lutte ouvrière ? Pas du tout ! Partout où les ouvriers sont prêts à débattre pour comprendre les ressorts véritables des conflits impérialistes, la nature du capitalisme, de sa crise historique ou de la perspective du communisme, il faut débattre ! Une discussion n’arrêtera évidement ni les conflits au Proche-Orient, ni les massacres au quatre coins du monde. Mais elle participe à renforcer notre confiance et notre conscience de classe, condition absolument indispensable pour que se développe la seule alternative réaliste à la barbarie : la solidarité internationale des travailleurs et le combat résolu sur le seul terrain qui vaille, celui d'une société où jeter au profit d'une poignée de maîtres des masses d'êtres humains dans une abjecte danse de la mort ne serait pas seulement un crime mais une absurdité.
Truth Martini, 19 août 2014
1 D'ailleurs, loin d'être un conflit local, cette nouvelle vague de violence s'inscrit dans un contexte géostratégique en Orient relevant de la foire d'empoigne où s’enchevêtrent les intérêts impérialistes et les retournements de veste des puissances tant régionales que mondiales. Pour de plus amples explications, voir l'éditorial de Révolution internationale n°417
2 Si des manifestations ont été organisées partout dans le monde, c'est en France qu'elles ont visiblement rencontré le plus grand succès.
3 Gaza : Plutôt mourir que revenir à la situation antérieure, sur le site internet du NPA.
4 Contre les essais nucléaires français... et contre le pacifisme !, dans Lutte de Classe n°15 (Septembre-octobre 1995)
5 Cf. La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme, dans la Revue Internationale n°62 (3e trimestre 1990), également disponible sur le site Internet du CCI.