Soumis par Revue Internationale le
La canicule de l'été 2003 a tragiquement révélé à la face du monde comment, en Europe aussi, le développement de la pauvreté et de la précarité exposaient les populations aux ravages de catastrophes dites naturelles inconnues jusqu'à récemment dans ces régions. En effet, dans de nombreux pays européens, le taux de mortalité a fait un bond en ce mois d'août, avec un record pour la France où près de 15 000 décès sont directement imputables à la vague de chaleur. Les victimes se comptent en majorité parmi les personnes âgées, mais aussi les handicapés, les SDF morts de soif dans les rues, c'est-à-dire parmi ceux que le capitalisme condamne à une marginalisation et à une misère toujours plus grandes. Pour la bourgeoisie, il s'agit de bouches improductives, devenues inutiles à ses yeux, et qui constituent un fardeau toujours trop lourd pour elle, si bien qu'elle cherche en permanence à rogner sur les dépenses affectées à leur entretien. Loin de constituer un accident de l'histoire, un tel drame illustre crûment la situation que nous façonne le capitalisme puisque, aussi bien la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière que les dérèglements climatiques ne peuvent qu'empirer. Encore ne s'agit-il ici que d'une partie du paysage social qu'envahissent toutes les manifestations de la putréfaction du monde capitaliste transformant la vie sur terre en un enfer pour le plus grand nombre : violence, délinquance, drogue, regain du mysticisme, de l'irrationalité, de l'intolérance, du nationalisme. En dehors des deux conflits mondiaux du 20e siècle, la guerre elle-même n'a jamais été aussi omniprésente sur le globe. L'intensification des tensions entre grandes puissances qui, depuis deux ans, ne peuvent même plus être dissimulées, se trouve être le principal facteur d'un chaos mondial qui ne pourra que devenir de plus en plus sanglant.
Toutes les calamités qui accablent aujourd'hui l'humanité expriment la faillite du système qui régit la vie de la société, le système capitaliste. Mais la simultanéité croissante avec laquelle leurs manifestations se conjuguent sont à l'image de la rapidité avec laquelle le capitalisme, dans la phase ultime de sa décadence, celle de sa décomposition, entraîne l'humanité vers sa destruction.
La crise économique au coeur des contradictions du capitalisme
Pour entraver la prise de conscience de la faillite de son système, la bourgeoisie livre à une publicité abrutissante et décervelante tout ce qui constitue des expressions patentes de cette faillite. Ainsi, elle banalise toutes les calamités qui accablent la société, elle habitue les populations à accepter l'inacceptable, poussant chacun, face à des images souvent insoutenables servies par les actualités télévisées aux heures des repas, à se détourner du problème. Le drame de l'été a donné lieu, en France, à de multiples "expressions d'opinion" à travers les médias, souvent très critiques à l'encontre du gouvernement, mais toutes plus partielles ou fausses les unes que les autres, afin d'empêcher que ne se dévoile le fond du problème. Celui-ci réside dans le fait que, depuis les années 1980, la bourgeoisie de tous les pays industrialisés, de gauche comme de droite, prise à la gorge par la crise économique et contrainte de maintenir la compétitivité du capital national sur l'arène mondiale, s'est employée à effectuer, à un rythme de plus en plus soutenu, des coupes sombres dans tous les budgets sociaux, de santé en particulier. Il en a résulté un appauvrissement et une précarisation générale dont l'ampleur a été révélée brutalement par la vague de chaleur de l'été. De la même manière mais à une tout autre échelle, l'épidémie de grippe espagnole après la Première Guerre mondiale avait révélé, en fauchant plus de 20 millions de vies humaines, la profondeur d'un mal social constitué par des conditions épouvantables d'insalubrité et l'affaiblissement extrême des populations suite aux ravages de la guerre. Ainsi ces morts sont, elles aussi, imputables à la folie meurtrière du capital, au même titre que les 10 millions de tués sur les champs de bataille.
Dans ses discours, la bourgeoisie présente les calamités qui accablent l'humanité comme étant sans lien entre elles et surtout sans rapport avec le système qui régit la vie des hommes sur la planète, le capitalisme. Pour la classe dominante et les défenseurs de son système, les événements historiques sont soit le fruit du pur hasard, soit l'expression de la volonté divine, soit le simple résultat des passions ou des pensées des hommes, voire de la "nature humaine".
Pour le marxisme, c'est au contraire l'économie qui, en dernière instance, détermine les autres sphères de la société : les rapports juridiques, les formes de gouvernement, les modes de pensée. C'est cette vision matérialiste que vérifie avec éclat la situation du capitalisme depuis son entrée en décadence au début du 20e siècle sous l'effet de contradictions économiques insurmontables. Depuis cette époque et en dehors des périodes de reconstruction ayant succédé aux deux guerres mondiales, il vit en situation de crise permanente. Pendant la période de décadence du capitalisme, la guerre et le militarisme expriment, avant tout, la fuite en avant des différents pays face à l'impasse économique dans un marché mondial saturé. Ils sont devenus le mode de vie permanent du capitalisme comme en attestent les deux guerres mondiales et la chaîne ininterrompue des conflits locaux, de plus en plus destructeurs, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces deux conflits mondiaux ainsi que la phase actuelle de décomposition de la société illustrent à quel point ce système devenu caduc menace l'existence même de l'humanité. Dans sa fuite en avant, le capitalisme imprime sa marque à toutes les sphères de l'activité humaine, y inclus ses rapports avec la nature. C'est ainsi que, pour maintenir ses profits, il se livre massivement, depuis plus d'un siècle, au saccage et au pillage à grande échelle de l'environnement. Si bien qu'aujourd'hui, sous l'effet de l'accumulation de pollutions de tous ordres, le désastre écologique constitue une menace tangible pour l'écosystème de la planète lui-même. Le capitalisme étant par nature un système concurrentiel qui met en compétition au plus haut niveau les différentes nations, l'approfondissement de la crise économique signifie donc aussi l'intensification de la guerre économique entre celles-ci. Après la disparition des blocs impérialistes constitués depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le maintien d'une coordination des politiques économiques entre les différents Etats, pour encadrer la guerre commerciale, a permis d'éviter une détérioration plus importante du système des relations économiques internationales, des échanges en particulier. En agissant de la sorte, les fractions de la bourgeoisie mondiale des pays les plus développés avaient conscience de devoir éviter la répétition du scénario des années 1930. En effet, pour essayer de se protéger face à la dépression, la bourgeoisie avait alors réagi en élevant des barrières douanières qui eurent pour conséquence de réduire massivement le commerce mondial et d'aggraver la crise. Tout au long des années 1990, les décisions de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) ont éliminé des barrières douanières et des mesures protectionnistes, mais essentiellement celles des pays les plus faibles au bénéfice des pays les plus forts. Lorsque des accords sont conclus entre les membres de cette organisation, ils viennent sanctifier un rapport de forces entre eux et, sur cette base, définissent les règles pour la poursuite de la guerre économique. Qu'un tel accord ne puisse être obtenu, comme cela vient d'arriver à la conférence ministérielle de Cancun (10 au 14 septembre), cela ne change strictement rien aux relations ni au rapport de forces entre les pays les plus riches et les autres, contrairement à ce qu'en dit la propagande mensongère des alter-mondialistes. En effet, cette dernière présente comme une victoire remportée par les pays du Tiers-Monde le fait qu'aucun accord ne soit sorti de Cancun (1). Ce type d'argument rejoint parfaitement la mystification tiers-mondiste selon laquelle l'issue aux problèmes tragiques que pose l'agonie du capitalisme ne réside pas dans le renversement de ce système mais dans la lutte entre le Nord, les pays développés, et le Sud, les pays sous-développés. Au moment où cette propagande nauséabonde est à nouveau développée, il faut se souvenir que c'est elle qui, dans les années 1960 à 80, a servi de justification à l'enrôlement de masses paysannes dans les conflits et guérillas, en général pour le compte du bloc russe, tout aussi impérialiste que le bloc adverse américain. Un tel positionnement ne doit pas nous étonner de la part du courant altermondialiste. Depuis quelques années, son slogan, "un autre monde est possible" et ses thèses dénonçant le libéralisme et soutenant la nécessité d'un Etat plus fort se sont trouvés propulsés sur le devant de la scène, grâce aux bons offices de la bourgeoisie, afin de faire obstacle au développement de la prise de conscience par le prolétariat de la faillite du capitalisme. Ce prétendu "autre monde" n'a rien de neuf ni de social, c'est celui dans lequel nous vivons actuellement où l'Etat, quoi qu'en en dise, est et restera le pilier de la défense des intérêts de la bourgeoisie et du capitalisme.
L'Etat, fer de lance des attaques
Si la bourgeoisie ne peut pas nier ce qui constitue une évidence criante, à savoir que la crise économique constitue le fondement des attaques contre la classe ouvrière, elle essaie cependant de brouiller cette réalité en incriminant le "manque de civisme de certains patrons immoraux", la "mauvaise gestion" de certains autres... bref, en faisant tout pour que la vraie question, une fois de plus, ne soit pas posée, à savoir l'inéluctabilité de la crise économique en tant qu'expression des contradictions insurmontables du capitalisme. Néanmoins, lorsque c'est l'Etat lui-même, que le gouvernement soit de gauche ou de droite, qui est amené à assumer, au nom de toute la bourgeoisie, des attaques profondes, massives et générales comme celle sur les retraites, cela ne peut signifier qu'une chose : le capitalisme est de moins en moins capable d'assurer les nécessités vitales d'entretien de la classe qu'il exploite. Dans notre précédent numéro de la Revue internationale, nous mettions en évidence comment l'Etat dans différents pays avait pris en charge une telle politique d'attaque contre les retraites (France, Autriche, Brésil) et contre la sécurité sociale ou l'indemnisation du chômage (Allemagne, Hollande, Pologne). A présent c'est le gouvernement italien qui prévoit à son tour de s'engager dans une réforme du système des retraites, accusé pour l'occasion d'être "parmi les plus coûteux de l'Union européenne". Depuis le printemps, les réductions d'effectifs dans la fonction publique et les plans de licenciements sur tous les continents, dans tous les pays, dans tous les secteurs n'ont pas cessé. Pour l'illustrer nous pouvons citer les plus récents : - En cinq ans Philips a déjà fermé ou vendu 120 sites de production dans le monde et supprimé 50 000 emplois depuis mai 2001. Il va fermer ou vendre 50 de ses 150 sites sur lesquels se répartissent 170 000 personnes ; - Schneider Electric, qui emploie 75 000 salariés dans 130 pays va supprimer 1000 emplois en France ; - ST Microélectronics annonce la fermeture de son site de Rennes en France qui compte 600 salariés ; - 10% des employés de Cadence Design System (Californie), soit 500 personnes, sont licenciés ; - Volkswagen annonce un plan de 3 933 licenciements à Sao Bernardo do Campo (Etat de Sao Paulo, Brésil). Face aux risques de mobilisation ouvrière, le président de la firme menace de licencier sur le champ quiconque se mettra en grève ; - Matra automobiles ferme une usine en France en licenciant près de mille employés ; - Giat Industries (armement en France) annonce un plan de 3750 licenciements d'ici 2006 ; - L'entreprise manufacturière de tabac Altadis supprime près de 1700 emplois en Espagne et en France ; - La société métallurgique Eramet supprime 2000 emplois en Europe.
Face à la contraction du marché mondial, artificiellement entretenu par une montagne de dettes, les entreprises publiques ou privées se débarrassent d'une partie de leur main d'oeuvre pour maintenir leur compétitivité sur l'arène internationale. C'est l'Etat qui, en dernière instance, approuve les modalités des plans de licenciements et, dans le même temps, prend les dispositions permettant que ces dégraissages n'occasionnent pas par ailleurs de dépenses supplémentaires pour l'Etat lui-même. Ainsi, partout, des mesures sont prises pour revoir à la baisse les conditions d'indemnisation du chômage. Après les mesures prises au printemps dernier par l'Etat allemand, c'est au tour de l'Etat français de radier par milliers des ouvriers des listes du chômage, en application d'une loi adoptée quelques mois auparavant. Afin d'éviter que l'aggravation de la crise et des attaques ne favorise au sein de la classe ouvrière une remise en cause en profondeur du système, la fonction des fractions de gauche et d'extrême-gauche de la bourgeoisie est d'intoxiquer la conscience des prolétaires en proclamant que des solutions sont possibles au sein du système, notamment en redonnant à l'Etat le rôle plus central que le libéralisme lui aurait confisqué. Mais, comme on vient de le voir, c'est l'Etat lui-même, avec à sa tête des gouvernements de gauche comme de droite qui orchestre les attaques les plus massives depuis la fin des années soixante. Contrairement à la thèse d'une diminution du rôle de l'Etat dans la vie de la société et quelles que soient les apparences, celui-ci occupe une place de plus en plus prépondérante, au service de la défense des intérêts du capital national, comme l'illustrent sur un autre plan les exemples suivants : - en 1998, l'Etat japonais volait au secours d'institutions bancaires pour leur éviter la faillite ; - le 23 septembre de la même année, la Réserve fédérale américaine faisait de même en organisant le sauvetage du fonds d'arbitrage "Long Term Capital Management", au bord du dépôt de bilan ; - aujourd'hui, en France, l'Etat français n'agit pas différemment lorsqu'il se porte au secours d'Alstom (fabrication de TGV) pour le sauver. Dans tous les cas, ce sont des mesures de capitalisme d'Etat qui sont prises dans le but de maintenir à flot des entreprises, soit parce que celles-ci sont jugées stratégiques sur le plan industriel, soit parce que c'est le seul moyen d'éviter des catastrophes financières plus importantes encore. Il ne s'agit nullement de mesures sociales comme en témoigne la prévision de près de 5000 licenciements à Alstom et de 10 500 dans 15 banques au Japon qui perçoivent des fonds publics. En effet, dans ce dernier cas, si ces banques veulent continuer à bénéficier du soutien de l'Etat sans lequel elles couleraient, elles n'ont d'autre choix que d'appliquer ses directives : améliorer, par des "dégraissages", leur bilan financier menacé et fragilisé par 50 milliards de dollars de créances douteuses qui risquent de ne jamais être récupérées. Et encore, de telles estimations qui émanent de l'Etat sont, d'après des analystes indépendants, bien en deçà de la réalité (d'après BBC News du 19 septembre).
Un retour vers les conditions de vie de la classe ouvrière au 19e siècle
Pour rendre plus acceptables aux yeux des prolétaires leurs conditions de vie actuelles, il arrive que la bourgeoisie se plaise à rappeler ce qu'elles étaient aux 18e et 19e siècle. Ils s'entassaient dans de véritables taudis insalubres ; hommes, femmes, enfants subissaient des conditions de travail inhumaines, avec en particulier des journées de travail pouvant atteindre 18 heures dans certains cas. L'affaiblissement de la force de travail qui en résultait risquait de constituer une entrave à l'exploitation et donc à l'accumulation capitaliste. De même, les poches de misère qui se développaient dans les villes industrielles devenaient une source croissante d'épidémies meurtrières en premier lieu pour la classe ouvrière elle-même, mais menaçant également toute la population, petite-bourgeoisie et bourgeoisie incluses. C'est la raison pour laquelle le développement de la lutte ouvrière pour obtenir des réformes permettant une amélioration des conditions de vie coïncidait avec les intérêts généraux du capitalisme dès lors que le développement de celui-ci n'avait pas encore atteint ses limites historiques. C'est cette situation qu'illustre la citation suivante de Marx extraite de Salaires, prix et profits à propos de la lutte pour la diminution de la journée de travail : "[les économistes officiels] nous annoncèrent de grands maux (au cas où la loi des dix heures serait obtenue par les travailleurs) : l'accumulation diminuée, les prix en hausse, les marchés perdus, la production ralentie, avec réaction inévitable sur les salaires, enfin la ruine (...) Le résultat ? Une hausse des salaires en argent pour les ouvriers des fabriques, en dépit du raccourcissement de la journée de travail, une augmentation importante des bras employés, une chute continue du prix des produits, un développement merveilleux des forces productives de leur travail, une expansion inouïe des marchés pour leurs marchandises". En revanche, dès lors que, ayant cessé d'être un système progressiste, le capitalisme est entré dans une période de déclin, il a été poussé par ses propres contradictions à attaquer toujours plus profondément les conditions de vie de la classe ouvrière. Toutes les luttes de résistance que la classe ouvrière a développées au cours du 20eme siècle, bien qu'ayant effectivement freiné la violence des attaques, ont cependant été impuissantes à inverser la tendance globale à la dégradation de ses conditions de vie. Cela, seul le renversement du capitalisme sera en mesure de le permettre.
Des situations de plus en plus catastrophiques dues à la détérioration de l'environnement
Des torrents de boue qui engloutissent des habitations de fortune, des cyclones qui les démantèlent, des tremblements de terre qui disloquent des immeubles construits à bon marché, avec plus de sable que de ciment, la perte par milliers de vies humaines, complètement démunies face aux éléments naturels déchaînés du fait de la misère qui les étreint, tout cela constitue, depuis des décennies, le lot commun des contrées du Tiers-Monde à la dérive. Mais, désormais, de telles catastrophes n'épargnent plus le coeur du monde industrialisé qui, lui aussi, compte de plus en plus de démunis et où commencent nettement à se faire sentir, depuis quelques années, les effets du dérèglement climatique de la planète. Même si les différences demeurent considérables, il apparait de plus en plus clairement que c'est bien la situation du Tiers-Monde qui indique le futur des grands pays industrialisés et non pas l'inverse. Alors que l'humanité n'avait jamais été aussi près de pouvoir dominer la nature pour vivre en harmonie avec elle, grâce à l'énorme pas en avant dans le développement des forces productives qu'avait permis le capitalisme, l'Europe, le berceau du développement de ce système, est de plus en plus impuissante face aux éléments naturels, comme en témoigne la courte rétrospective suivante sur un an seulement : - Eté 2003 : la canicule a aussi été à l'origine des incendies de forêts les plus importants jamais recensés dans ces contrées et faisant de nombreux morts. Près de 20% des surfaces boisées d'un pays comme le Portugal sont parties en fumée. - Janvier 2003 : la vague de froid qui s'est abattue sur l'Europe s'est soldée par de nombreux morts, comme c'est désormais régulièrement le cas chaque fois que le thermomètre affiche moins de zéro degré en hiver : un millier en Russie, quelques dizaines en Europe de l'Ouest. Ce dernier chiffre peut sembler dérisoire au regard de certains autres, mais il mérite néanmoins d'être relevé dans la mesure où il correspond à un phénomène tout à fait nouveau. - Septembre 2002 : une gigantesque montagne d'eau descend des Cévennes (Sud-Est de la France) en dévastant tout ce qui se trouve sur son passage, transformant en marécage toute une région couvrant trois départements. Bilan : une quarantaine de morts, ponts effondrés, chemins de fer, autoroutes, lignes téléphoniques coupés. - Août 2002 : depuis les rives de la Mer Noire jusqu'aux régions de l'Allemagne de l'Est, la Bavière, la République tchèque, l'Autriche se trouvent noyées par les eaux débordées de l'Elbe, du Danube et de leurs affluents. Les inondations, conséquence de pluies interminables, ont touché les campagnes, les villes, petites et grandes : 100 000 personnes évacuées à Dresde, des quartiers entiers dévastés à Prague, à Vienne, ponts de chemins de fer détruits, complexes chimiques menacés, pertes financières pharamineuses et surtout, des morts qui se comptent par dizaines un peu partout. Tout comme les autres aspects de la décomposition de la société capitaliste, la menace qui pèse sur l'environnement souligne le fait que, plus le prolétariat tarde à faire sa révolution, plus grand est le danger que le cours vers la destruction et le chaos n'atteigne le point de non retour qui rendrait impossible la lutte pour la révolution et la construction d'une société nouvelle (cf. Revue Internationale n° 63 ; "Mensonges et vérités de l'écologie ; c'est le capitalisme qui pollue la terre").
Le chaos et la guerre sont les seules perspectives offertes par le capitalisme
Comme nous l'avons exposé à différentes reprises dans nos colonnes, la première puissance mondiale est en permanence contrainte de prendre l'initiative sur le plan militaire, là où s'exprime son écrasante supériorité par rapport à tous ses rivaux, afin de défendre face à ceux-ci un leadership mondial qui lui est de plus en plus contesté. Depuis la première guerre du Golfe, les conflits majeurs ont été le produit d'une fuite en avant de la part des Etats-Unis talonnés par cette contradiction insurmontable : chaque nouvelle offensive, tout en faisant taire momentanément la contestation du leadership américain, crée en même temps les conditions pour une relance de celle-ci en favorisant les frustrations et le développement d'un sentiment anti-américain. L'escalade qui, depuis septembre 2001, a amené les Etats-Unis (sous prétexte de guerre contre le terrorisme et les "dictateurs dangereux") à occuper militairement, sans se soucier de l'ONU et l'OTAN, l'Afghanistan et l'Irak, n'échappe pas à cette logique. Néanmoins, aucun des conflits précédents n'avait comme l'Afghanistan, mais surtout l'Irak, engendré une situation aussi difficile à gérer pour les Etats-Unis. Forte de la facilité de sa victoire militaire sur l'Irak de Saddam Hussein, la bourgeoisie américaine ne s'attendait certainement pas à des problèmes aussi importants que ceux que lui posent actuellement l'occupation et le contrôle du pays. L'enlisement militaire des Etats-Unis en Irak renvoie à un avenir pour le moins hypothétique les belles promesses de l'administration Bush sur la reconstruction et la démocratie en Irak. Les implications d'une telle situation sont multiples. Pour tenter de maintenir l'ordre et contrôler la situation, les Etats-Unis sont contraints d'augmenter les effectifs de leurs troupes d'occupation. Signe de l'impopularité de cette mission, les professionnels volontaires deviennent plus difficiles à trouver et les troupes sur place expriment ouvertement leurs états d'âme, quand ce n'est pas leur nervosité en tirant sur tout ce qui bouge, de peur de recevoir la première balle.
Avant de lancer les Etats-Unis dans cette nouvelle offensive militaire, Bush avait annoncé que la libération de ce pays allait bouleverser le paysage géopolitique de la région. C'était effectivement un objectif, non avoué évidemment, que la domination américaine sur l'Irak permette un renforcement de son influence sur toute la région, notamment en tant que moyen d'encerclement de l'Europe. Un tel scénario incluait nécessairement que les Etats-Unis soient en mesure d'imposer la "pax americana" sur tous les foyers de tensions, en particulier sur le plus explosif d'entre eux, le conflit israélo-palestinien. Bush avait d'ailleurs annoncé le règlement prochain de celui-ci. Il était tout à fait exact, comme l'a fait Bush, de considérer que l'évolution de la situation en Irak aurait une incidence sur celle des territoires occupés par Jérusalem. C'est ce que démontre aujourd'hui, à contrario des espérances de Bush, l'aggravation des affrontements dans ces territoires. L'échec actuel de la bourgeoisie américaine en Irak constitue en effet un handicap vis-à-vis de la politique de mise au pas de son turbulent allié israélien pour lui faire respecter une "feuille de route" qu'il n'a de cesse de saboter. De telles difficultés de la bourgeoisie américaine pour imposer ses exigences à Israël ne sont pas nouvelles et expliquent en partie l'échec des différents plans de paix tentés depuis 10 ans. Néanmoins, elles n'ont jamais été aussi lourdes de conséquences qu'aujourd'hui. C'est ce qu'illustre la politique à courte vue qu'un Sharon est capable d'imposer au Moyen-Orient, basée exclusivement sur la recherche de l'escalade dans la confrontation avec les palestiniens en vue de les chasser des territoires occupés. Même si, à l'image du reste du monde, il n'y a pas de paix possible dans cette région, la carte jouée par Sharon, le boucher de Sabra et Chatila (2), ne pourra qu'aboutir à des bains de sang qui ne régleront pas pour autant, pour Israël, le problème palestinien. Au contraire, celui-ci reviendra, tel un boomerang, notamment à travers une recrudescence du terrorisme encore plus incontrôlable qu'actuellement. Une telle issue ne pourra que rejaillir négativement sur les Etats-Unis qui, évidemment, ne pourront pas pour autant lâcher leur meilleur allié dans la région. Les déboires des Etats-Unis en Irak affectent leur crédit et leur autorité sur le plan international, ce dont tous leurs rivaux ne peuvent que se réjouir et qu'ils vont tenter d'exploiter. A la faveur de ces circonstances, le plus bruyant d'entre eux, la France s'est permis l'outrecuidance, par la voix de Chirac à l'assemblée générale de l'ONU, sous prétexte d'exprimer sa différence par rapport à son "grand allié de toujours", de signifier à Bush qu'il a commis une erreur en intervenant en Irak, malgré les réserves que ce projet avait suscité de la part de nombreux pays, dont la France. Plus préoccupant pour les Etats-Unis, ils n'ont pas jusqu'à aujourd'hui pu obtenir, malgré leurs appels renouvelés, qu'une autre grande puissance, en dehors de la Grande-Bretagne qui a participé dés le début à l'opération militaire, vienne renforcer à leurs côtés le contingent des troupes d'occupation en Irak. L'Espagne, qui n'est pas une grande puissance, a expédié un détachement militaire tout à fait symbolique. Seule la Pologne, qui est une puissance encore moins grande, a répondu positivement aux avances américaines l'invitant à parader au soleil dans la cour des grands. Il sera également difficile pour les Etats-Unis de trouver beaucoup de volontaires pour financer avec eux le coût de la stabilisation et de la reconstruction de l'Irak. En fait la bourgeoisie américaine se trouve dans une impasse résultant elle-même de l'impasse de la situation mondiale qui ne peut se résoudre, du fait des circonstances historiques actuelles, à travers la marche vers une nouvelle guerre mondiale. En l'absence de cette issue bourgeoise radicale à la crise mondiale actuelle, qui signifierait à coup sûr la disparition de l'humanité, cette dernière s'enfonce progressivement dans le chaos et la barbarie qui caractérisent la phase ultime actuelle de décomposition du capitalisme. La situation présente de faiblesse relative des Etats-Unis a suscité une ardeur renouvelée de ses rivaux à reprendre l'offensive. Ainsi le 20 septembre avait lieu à Berlin une rencontre entre G. Schröder, J. Chirac et T. Blair où s'est dégagé un accord des trois dirigeants sur l'idée de doter l'Europe d'un état-major opérationnel autonome, modalité qui se heurtait jusqu'alors à l'hostilité de la bourgeoisie britannique. Les quelques pas de cette dernière en direction de rivaux avérés des Etats-Unis ne sont pas étrangers au fait que la Grande-Bretagne fait aussi les frais de la mésaventure irakienne et qu'il est plus que nécessaire pour elle d'équilibrer ses alliances, à travers différents contrepoids à l'influence américaine. La déclaration de Blair au terme de cette rencontre est tout à fait éloquente : "Nous avons sur la défense européenne une position de plus en plus commune" (cité par le journal Le Monde du 23 septembre). De même, à l'occasion de l'assemblée plénière de l'ONU qui vient de se tenir au mois de septembre, les 25 membres de l'Europe Elargie ont tous voté, vraisemblablement sous l'initiative de l'Allemagne et de la France, en faveur d'un texte qui ne peut qu'accentuer l'embarras des Etats-Unis face à la politique de son allié Israël, puisqu'il condamne la décision de Sharon d'expatrier Arafat (3). A travers ce vote symbolique, ce qui est visé c'est l'image des Etats-Unis pour la ternir davantage encore. Parmi les vingt-cinq membres de l'Europe Elargie qui ont ainsi implicitement critiqué les Etats-Unis, une majorité avait, avant le déclenchement de la guerre en Irak, peu ou prou soutenu l'option américaine contre le trio France, Allemagne, Russie. Ce fait, de même que l'évolution récente de la position de la Grande-Bretagne à propos de l'état-major opérationnel autonome européen, viennent illustrer une caractéristique de la période ouverte par la disparition des blocs impérialistes, mise en évidence par le CCI suite à la guerre du Golfe : "Dans la nouvelle période historique où nous sommes entrés, et les évènements du Golfe viennent de le confirmer, le monde se présente comme une immense foire d'empoigne, où jouera à fond la tendance au "chacun pour soi", où les alliances entre Etats n'auront pas, loin de là, le caractère de stabilité qui caractérisait les blocs, mais seront dictées par les nécessités du moment." (cf. Revue Internationale n°64 ; "Militarisme et décomposition"). C'est à juste titre que les révolutionnaires ont comparé les moeurs de la bourgeoisie à celles des gangsters. Mais, alors que par le passé il existait des règles chez les uns et les autres destinées à "encadrer" leurs forfaits, celles-ci volent aujourd'hui en éclat laissant la place à des comportements sans foi ni loi. Schröder en a récemment donné une brillante illustration en déclarant être entièrement d'accord avec G. Bush suite à la rencontre qu'il venait d'avoir avec lui en marge des travaux de l'assemblée de l'ONU, alors que jusqu'à présent il était avec la France, le porte drapeau de l'anti-américanisme.
Les responsabilités de la classe ouvrière
Avec l'effondrement du bloc de l'Est et la désintégration du bloc occidental disparaissait, au début des années 1990, la menace d'un conflit nucléaire mondial qui, en anéantissant l'humanité, aurait mis un terme brutal aux contradictions du capitalisme. C'est dans un contexte différent, éliminant pour toute une période la possibilité d'un conflit mondial, que ces contradictions ont continué à s'exprimer depuis lors sous la forme d'un phénomène de plus en plus accentué de décomposition du capitalisme, imprimant sa marque à tous les aspects de la vie de la société. Cela ne peut pas constituer un motif de consolation puisque : "La décomposition mène, comme son nom l'indique, à la dislocation et à la putréfaction de la société, au néant. Laissée à sa propre logique, à ses conséquences ultimes, elle conduit l'humanité au même résultat que la guerre mondiale. Etre anéanti brutalement par une pluie de bombes thermonucléaires dans une guerre généralisée ou bien par la pollution, la radioactivité des centrales nucléaires, la famine, les épidémies et les massacres de multiples conflits guerriers (où l'arme atomique pourrait aussi être utilisée), tout cela revient, à terme, au même" (cf. Revue Internationale n°107 ; "La décomposition phase ultime de la décadence du capitalisme"). Tant que la menace de destruction de la société était représentée uniquement par la guerre impérialiste, le fait que les luttes du prolétariat soient en mesure de se maintenir comme obstacle décisif à un tel aboutissement, suffisait à barrer la route à cette destruction. En revanche, contrairement à la guerre impérialiste généralisée qui, pour pouvoir se déchaîner, requiert l'adhésion du prolétariat aux idéaux de la bourgeoisie, la décomposition n'a nul besoin de l'embrigadement de la classe ouvrière pour détruire l'humanité. En effet, de même qu'elles ne peuvent s'opposer à l'effondrement économique, les luttes du prolétariat dans ce système ne sont pas non plus en mesure de constituer un frein à la décomposition. Pour mettre fin à la menace que constitue la décomposition, les luttes ouvrières de résistance aux effets de la crise ne suffisent plus : seule la révolution communiste peut venir à bout d'une telle menace. Malgré le coup porté par l'effondrement du bloc de l'Est à la prise de conscience du prolétariat, dont les répercussions sur le niveau de la lutte de classe sont encore loin d'être dépassées, celui-ci n'a subi aucune défaite majeure et sa combativité reste pratiquement intacte. Si l'aggravation inexorable de la crise du capitalisme est à l'origine de la progression de la décomposition, elle constitue en même temps le stimulant essentiel de la lutte et de la prise de conscience de la classe ouvrière, lesquelles sont la condition même de sa capacité à résister au poison idéologique du pourrissement de la société. En effet, la crise met à nu les causes ultimes de l'ensemble de la barbarie qui s'abat sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement de système, et de l'impossibilité d'en améliorer certains aspects. Néanmoins, si la lutte défensive est nécessaire, elle est en elle-même insuffisante pour jalonner le chemin qui mène à la révolution. La compréhension des moyens et des buts de son combat par le prolétariat ne peut être que le produit d'un effort conscient de sa part, au sein duquel les organisations révolutionnaires ont un rôle primordial, pour comprendre les enjeux de sa lutte, la tactique et les pièges tendus par la classe ennemie, et pour tendre vers toujours plus d'unité.
LC (3 octobre)
(1) José Bové, porte-parole de la Confédération paysanne et un des leaders français les plus en vue de l'alter-mondialisation, archi-médiatisé par la bourgeoisie française et entretenant de bonnes relations avec toutes les composantes de la gauche et de l'extrême gauche dans ce pays, déclarait le 10 septembre à la fête de l'Humanité (quotidien du Parti communiste français) qu'il fallait " faire capoter Cancun".
(2) Sharon avait conduit avec une barbarie toute particulière l'expédition punitive israélienne dans ces deux camps de réfugiés palestiniens de Beyrouth Ouest, en septembre 1982, laquelle avait fait des milliers de morts et de blessés, hommes, femmes et enfants.
(3) Les principaux rivaux européens des Etats-Unis ont su exploiter la position très inconfortable dans laquelle se trouvent les Etats-Unis dans cette affaire. En effet, bien qu'ayant critiqué publiquement cette position d'Israël, ceux-ci ne pouvaient néanmoins pas se permettre de lâcher leur allié, ce qui les a conduit à faire usage de leur droit de veto à l'ONU pour éviter à Israël d'être condamné par une résolution.